“Amanda”, le film de la maturité de Mikhaël Hers
Sa sœur tuée dans un attentat, David devient subitement le tuteur de sa nièce. Un mélodrame magnifique sur l’apprivoisement de deux êtres.
Pendant les vingt premières minutes, il règne une légèreté suspecte pour qui connaît le cinéma profondément désenchanté de Mikhaël Hers. David jongle avec nonchalance entre deux jobs alimentaires : la gestion d’appartements meublés pour touristes et l’élagage des arbres du 20e arrondissement de Paris. Il va aussi chercher, au pas de course car toujours en retard, sa nièce Amanda à la sortie de l’école, pour aider sa sœur, Sandrine, prof d’anglais au lycée Arago et jeune mère célibataire. Les trois membres de la famille Sorel paraissent heureux et unis malgré un quotidien pas toujours simple mais régulièrement égayé par les paris-brest de la boulangerie et les chansons d’Elvis Presley. C’est le début de l’été. La saison des pique-niques. Ce soir-là, David est retenu à la gare de Lyon pour accueillir des locataires. Sandrine et Léna, une voisine avec qui il commence à flirter, sont déjà parties au bois de Vincennes. Quand David les rejoint d’un coup de vélo, sa vie, et le film, bascule : des terroristes islamistes ont fait un carnage sur la pelouse.
En injectant, pour la première fois, du réel dans son univers ouaté et jusqu’ici volontairement déconnecté de la laideur de l’actualité, Mikhaël Hers opère une forme de changement dans la continuité. A sa façon : par petites touches, toujours avec une infinie délicatesse. Le thème du deuil parcourait déjà ses deux films précédents, qu’il s’agisse de la perte, métaphorique, des souvenirs de jeunesse d’une bande de copains au seuil de l’âge adulte dans Memory Lane (2010) ou des conséquences de la disparition brutale d’une jeune trentenaire terrassée par la maladie au début de Ce sentiment de l’été (2015). Après deux films transpercés par la mélancolie, le cinéaste du temps perdu assume un mélodrame pur et dur sur la délicate gestion du chagrin.
Dans Amanda, film de la maturité, il aborde frontalement des effusions qu’il avait l’habitude de laisser hors champ ou d’éviter pudiquement au moyen d’ellipses. La scène, tant redoutée, d’annonce de la mort de Sandrine à sa fille, sur le banc d’un square désert, est bouleversante de simplicité. Mikhaël Hers n’hésite pas non plus à filmer, brièvement mais sans ambages, les victimes ensanglantées de la fusillade.
L’attentat du bois de Vincennes, fictif mais, hélas, très plausible, est aussi l’occasion pour le réalisateur, passionné de pop et grand arpenteur de salles de concert depuis la fin des années 1980, de rendre un hommage discret aux victimes de la tuerie du Bataclan et, plus généralement, à la jeunesse parisienne décimée le 13 novembre 2015. Une jeunesse qui le fascine et qu’il n’a de cesse, depuis ses premiers courts métrages (Primrose Hill, Montparnasse), de mettre en scène pour en percer les mystères.
Point de bascule du récit, l’attaque terroriste reste circonscrite à deux ou trois très courtes scènes avant d’être évacuée pour laisser au film le temps de développer son vrai sujet : la paternité accidentelle. Orphelin de père et brouillé avec une mère qui a abandonné le foyer sans donner signe de vie pendant dix ans, David, « adolescent » de 24 ans (Vincent Lacoste, très convaincant dans son premier grand rôle dramatique), se retrouve du jour au lendemain à devoir gérer son propre deuil et la vie d’une enfant de 7 ans. Epaulé par une tante bienveillante (Marianne Basler, véritable baume de réconfort), David a bien du mal à s’improviser papa et à reconstruire en même temps la fragile relation avec Léna, son amoureuse, rescapée mais traumatisée.
Fidèle à son habitude de laisser ses personnages dénouer leur douleur et leurs conflits à l’air libre et en mouvement, Mikhaël Hers envoie David et Amanda arpenter l’Est parisien, de la place Voltaire au Parc Floral, en passant par les quais de Seine. Succession de scènes de la vie quotidienne d’une douce banalité où, pour réapprendre à s’aimer, les paroles échangées comptent moins que les sensations revenues. Jusqu’à cette déterminante excursion londonienne au stade de Wimbledon pour assister à la symbolique « remontada » d’un joueur de tennis à la peine. A chaque point gagnant, des larmes de joie sur les joues d’Amanda et sur les nôtres. Dans les yeux embrumés de la blonde orpheline, on peut enfin lire le mot qui lui faisait défaut. Revivre.
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