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L’ennéagramme et le christianisme

L’ennéagramme peut-il être utilisé par les chrétiens pour mieux se connaître et se comprendre ?

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Le succès de l’ennéagramme parmi les formations chrétiennes interroge. Cette méthode, qui distingue neuf types de personnalité, vient de faire l’objet d’un livre, signé par Anne Lécu, qui alerte sur ses dangers. La religieuse dialogue ici avec Odile Cavaro, formatrice en ennéagramme, qui en souligne les bienfaits et aussi les limites.

L’ennéagramme est un outil issu du développement personnel, qui catégorise les personnalités de chacun selon neuf profils. La formatrice Odile Cavaro, qui l’utilise, et soeur Anne Lécu, qui a écrit un livre à son sujet, débattent de l’utilité ou des risques de cet outil

Ennéagramme signifie en grec « figure à neuf points ». Cette méthode, née il y a un siècle, a pour ambition de définir neuf manières d’être, neuf types de personnalités. Selon ses promoteurs, cet « outil » améliore la connaissance de soi et aide à mieux entrer en relation avec les autres. Dans le milieu chrétien, il est largement diffusé dans des centres spirituels.

La parution récente du livre de sœur Anne Lécu (1), qui est un réquisitoire contre ce « dispositif », suscite bien des réactions et interroge sur la pertinence, pour des chrétiens, d’utiliser l’ennéagramme. La religieuse, sensibilisée à la question des abus, veut être un « caillou dans la chaussure » de ceux qui plébiscitent l’ennéagramme sans s’interroger sur sa nature, ses fondements et ses dérives potentielles.

Plutôt que d’entrer dans un débat purement théorique, nous avons voulu organiser une rencontre entre Anne Lécu et Odile Cavaro, une praticienne qui organise, entre autres, des stages d’ennéagramme. Avec, pour nous, le souci d’éclairer les chrétiens qui ont entendu parler de cette méthode et qui aimeraient en savoir davantage.

Ce dialogue soulève d’autres questions, qui dépassent le cadre de cet entretien. Peut-on et doit-on utiliser, en milieu chrétien, des outils provenant du développement personnel ? Quel discernement opérer ? Ces outils peuvent-ils être importés et évangélisés afin que le croyant puisse en tirer profit ? N’alimentent-ils pas une confusion entre le domaine psychologique et le domaine spirituel, dont on ne cesse de mesurer les terribles conséquences dans les affaires d’abus qui secouent l’Église ? La vigilance est plus que jamais nécessaire.

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Qu’est-ce que l’ennéagramme ?

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Odile Cavaro : C’est un outil parmi d’autres – j’insiste vraiment sur ce point – qui permet d’éclairer nos motivations profondes. On distingue neuf grandes familles ou portes d’entrée que je peux résumer à gros traits. Celui ou celle qui emprunte la porte n° 1 a pour moteur le désir d’améliorer les choses et pense qu’on peut toujours faire mieux. Quelqu’un de la famille n° 2 a un besoin viscéral d’apporter son aide. La porte n° 3 regroupe ceux qui veulent faire plaisir ; ils déploient toute leur énergie et leur efficacité pour atteindre ce but. La n° 4 concerne les personnes sensibles à la beauté, à la profondeur de ce qui est gratuit, unique. La n° 5 rassemble ceux qui ont besoin de comprendre les choses à fond ; ils valorisent la connaissance et la précision. La porte n° 6 est celle d’une personne qui place au-dessus de tout la loyauté, l’intégrité et la fiabilité : « On doit pouvoir compter sur moi ». La n° 7 s’adresse à ceux qui voient plutôt le verre à moitié plein, qui ont une capacité à rebondir ; ils sont très actifs tant qu’ils éprouvent du plaisir. Les membres de la famille n° 8 ont besoin de protéger les autres ; ils sont des combattants pour la justice. La porte n° 9 concerne ceux qui auront à cœur de créer un climat de paix et d’harmonie, où chacun trouve sa place.

Quel en est le fonctionnement ?

  1. C. : Chacun des neuf types entretient des liens de familiarité avec d’autres profils, révélant ainsi nos qualités mais aussi nos faiblesses. Par exemple, si une personne se reconnaît dans le n° 6 (la fiabilité et la loyauté), elle entretient des liens avec le n° 9 (le désir d’harmonie) et le n° 3 (faire plaisir)… L’ennéagramme est une école d’humilité, car il révèle nos talents et nos limites. Il est aussi une école de bienveillance car, au lieu de juger les autres parce qu’ils ne fonctionnent pas comme moi, j’apprends à mieux les comprendre, et donc à mieux les accueillir tels qu’ils sont.

Qu’en pensez-vous, Anne Lécu ?

Anne Lécu : Le problème de fond avec l’ennéagramme, c’est qu’il n’a aucune base scientifique ni psychologique sérieuse. Il ne trouve pas son origine dans une prétendue sagesse ancestrale, ni de l’Égypte ancienne, ni du monde soufi, ni même des Pères de l’Église, comme l’affirment certains. Il a été inventé, au début du XXe siècle, par un gourou russe du nom de Gurdjieff, qui expliquait à ses disciples que l’humain fonctionne comme une machine. Son objectif était d’apprendre à analyser son propre fonctionnement pour s’en affranchir, et de comprendre le comportement des autres afin de les manipuler – c’est écrit noir sur blanc ! Il enseigne que l’ennéagramme explique tout ce qui existe dans le monde. Plus tard, ses vulgarisateurs sud-américains ont plaqué sur chaque numéro des catégories psychopathologiques, empruntées au manuel de psychiatrie nord-américain. Ils soutiennent que nous nous sommes constitués à partir d’une blessure d’enfance et que notre comportement est dicté par une surréaction à celle-ci…

 

En quoi est-ce problématique à vos yeux ?

  1. L. : L’ennéagramme a une visée totalisante qui prétend cartographier l’âme humaine. Il nous oblige à chausser des lunettes qui poussent à regarder le monde à travers ces neuf « cages ». C’est un système fermé sur lui-même qui risque de figer les gens dans un comportement dont ils n’arrivent plus à se défaire. Sans parler de ceux qui, pour avoir un ascendant ou une emprise sur leur entourage, étiquettent les autres en fonction de leur prétendu ennéatype.
  1. C. : Sur ce dernier point, je mets toujours en garde les stagiaires sur la tentation de typer les autres, c’est dangereusement réducteur. De la même façon, je m’abstiens de donner des indications sur le type auquel pourrait appartenir une personne. C’est à elle de mener sa propre réflexion à partir des éléments que je fournis et les questions auxquelles je réponds – sans aucune obligation d’aboutir à un chiffre précis.

 

Et par rapport aux origines de l’ennéagramme ?

  1. C. : L’ennéagramme n’est évidemment pas une science. Il s’est construit à partir d’une observation fine de l’homme et de ses comportements. Quant à Gurdjieff, il est une personnalité problématique mais il est trop facile de réduire l’ennéagramme à sa seule figure. Son apport reste minime. L’outil a bien évolué depuis sa création il y a cent ans et il est toujours en développement. On ne l’enseigne plus aujourd’hui comme il y a quarante ans.

 

Et sur la dimension psychopathologique ?

  1. C. : Je suis d’accord avec Anne Lécu. Je suis moi-même très réservée sur une interprétation de l’ennéagramme à partir de traumatismes de l’enfance. L’apport récent des neurosciences nous apprend que la formation d’une personnalité est très complexe…

Pensez-vous que l’ennéagramme a quelque chose à apporter à un chrétien ?

  1. L. : Absolument pas (rires)! Je dois vous avouer mon effarement quand je lis des publications traitant de l’ennéatype du pape François, de celui des personnages de la Bible, voire de la Trinité ! L’ennéagramme n’est pas neutre sur le plan spirituel. Il appartient aux gnoses (hérésies condamnées par l’Église au IIe siècle qui fondent le salut sur la connaissance des choses divines, réservée à quelques initiés, NDLR), comme le rappelait un document du Vatican sur la pensée new age, publié en 2003 (2). Beaucoup de catholiques ignorent ses origines ésotériques…
  1. C. : Il est important de remettre les choses à leur place : l’ennéagramme n’est pas un outil chrétien, ni un outil spirituel. Il nous fournit une meilleure connaissance de nous-mêmes et une meilleure compréhension de nos relations. Que je fasse des liens avec ma foi, cela m’appartient à titre personnel. Il est totalement compatible avec la foi chrétienne dans la mesure où il m’apprend à être plus tolérant, plus charitable envers mon prochain, en étant moins dans le jugement et davantage dans la bienveillance.
  2. L. : Je reçois des témoignages qui ne vont pas dans ce sens. Je pense à cette communauté dont les membres ont été formés à l’ennéagramme. Une religieuse témoigne de la manière dont cela a porté atteinte de façon systémique à la fraternité. Chacune s’autorise à donner des conseils « avisés » aux autres, ce qui crée un climat de suspicion et de jugement permanent…
  1. C. : D’où l’importance de tenir le cadre déontologique : ne pas typer les autres. Ce n’est pas parce qu’il y a des dérives et des abus que l’outil est mauvais en soi. Je peux utiliser un marteau pour planter un clou ou pour frapper la tête de mon voisin… Une religieuse me confiait récemment combien cet outil lui avait permis de réduire ses attentes et son niveau d’exigence vis-à-vis d’elle-même et de ses sœurs, et donc de développer des relations plus apaisées.

Que diriez-vous à quelqu’un qui veut s’inscrire à un stage pour se faire sa propre opinion ?

  1. C. : Il serait dommage de se priver d’un tel outil. Le Christ nous le dit lui-même : « Aime ton prochain comme toi-même. »C’est le projet d’une vie entière ! Avant de vous inscrire à un stage, renseignez-vous d’abord sur l’intervenant, sa formation et sa façon d’aborder l’ennéagramme. Consultez Internet, appelez-le directement, contactez des personnes qui ont suivi sa formation. Dans ce domaine, comme dans d’autres, rien ne vaut le bouche-à-oreille.
  1. L. : Je pense simplement qu’il vaut mieux ne pas faire de stage ennéagramme. Faire un stage met insidieusement en tête une sorte de filtre qui entraîne à regarder le monde à travers neuf cases. Multiplier les stages d’approfondissement est encore plus préoccupant car on s’enferme dans cette logique.

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Anne Lécu est une religieuse dominicaine et médecin, elle vient de publier le livre L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher. / EMELINE SAUSER POUR LA CROIX

Anne Lécu, vigie sur les abus dans l’Église

Anne Lécu est religieuse dominicaine, médecin généraliste à la prison des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne). Elle est membre de la cellule « Emprise et dérives sectaires dans l’Église catholique » de la Conférence des évêques de France. Constatant la diffusion de l’ennéagramme en milieu chrétien, elle s’est intéressée à ce « dispositif » dans le cadre d’un diplôme universitaire sur l’emprise. La Miviludes, l’organisme gouvernemental de lutte contre les dérives sectaires, alerté par l’inflation de ces formations en entreprise, a encouragé la religieuse à en approfondir l’étude. Anne Lécu vient de publier le résultat de ses recherches dans son livre L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher (Éditions du Cerf).

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Odile Cavaro utilise l’ennéagramme parmi d’autres outils lors de ses formations en relations humaines. / EMELINE SAUSER POUR LA CROIX

Odile Cavaro, formatrice en relations humaines

Formatrice en relations humaines, Odile Cavaro propose l’ennéagramme et d’autres outils (communication, écoute active, gestion des émotions et des conflits) à des associations confessionnelles ou non. Pour la partie chrétienne, cette déléguée diocésaine au diaconat en Charente-Maritime (avec son mari diacre et médecin de campagne) intervient notamment auprès du Secours catholique, des Associations familiales catholiques, de la Congrégation des filles du cœur de Marie, du centre spirituel ignatien Sainte-Ursule en Indre-et-Loire… Formée à l’Institut français de l’ennéagramme, elle estime avoir initié environ 700 personnes à cet outil.

(1) L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher, Éditions du Cerf

(2) Jésus-Christ le porteur d’eau vive, par le Conseil pontifical de la culture et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Disponible sur vatican.va

SOURCE La Croix du 12/05/2023

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