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La théologie du corps selon Jean-Paul II

La « théologie du corps » de Jean-Paul II, une vision de la sexualité audacieuse mais idéalisée

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Entre 1979 et 1984, le pape Jean-Paul II a proposé chaque mercredi une catéchèse autour du couple, de la sexualité et du mariage. Si des catholiques ont trouvé dans cette « théologie du corps » un enseignement éclairant leur vie conjugale, d’autres en pointent les limites. Corps et âme (5/6)

Carême 2023 : corps et âme

Épisode 8/12

Mercredi 5 septembre 1979, place Saint-Pierre à Rome. Les pèlerins qui affluent au petit matin pour l’audience générale ne savent pas que Jean-Paul II compte leur parler ce jour-là du couple et du mariage. Ce sera la première des 129 catéchèses données par le pape polonais, chaque mercredi, jusqu’en novembre 1984. Elles forment ce qu’il est convenu d’appeler sa « théologie du corps », qui est surtout une théologie de la sexualité et de la conjugalité.

L’intérêt de Jean-Paul II pour ces questions remonte loin : aux premières années de son ministère quand il était aumônier d’étudiants, puis à son enseignement en théologie morale à l’Université catholique de Lublin (Pologne). « L’amour humain a toujours passionné Jean-Paul II, dès les tout débuts de son ministère de prêtre, dans l’accompagnement des jeunes et des fiancés, de qui, de son aveu, il a tout appris, souligne François de Muizon, philosophe et professeur de théologie à l’Université catholique de l’Ouest (UCO) (1). Dès les années 1950, il a fait preuve d’une grande audace pour aborder le corps et la sexualité, avec les ressources de la sexologie et de la psychologie, qu’il a intégrées au dynamisme global de la personne. C’était très novateur pour un prêtre, en Pologne et avant le Concile, d’aborder ces sujets-là. »

« Le corps est considéré comme expression de la personne »

Ces catéchèses sont aussi une manière de répondre aux débats, et même au scandale, provoqués parmi les catholiques par l’encyclique Humanae vitae (1968), qui a condamné les moyens modernes de contraception. « La théologie du corps de Jean-Paul II est en fait une réécriture d’Humanae vitae, à partir du concept de personne humaine préféré à celui de loi naturelle, devenu difficile à comprendre », explique la théologienne Francine Charoy, ancienne enseignante de théologie morale à l’Institut catholique de Paris (ICP).

Ce travail de reformulation passe par une méditation très personnelle de l’Écriture, notamment de la Genèse, des prophètes, du Cantique des Cantiques et du Livre de Tobie. S’y mêlent des influences philosophiques empruntant au personnalisme de Max Scheler et à la phénoménologie, « où le corps est considéré comme expression de la personne, manifestation de l’invisible, corps-sujet, corps signifiant et langage, et pas seulement corps-objet ou organisme », indique François de Muizon. Son enseignement est également nourri de références à la spiritualité de Jean de la Croix et à « la nuptialité de l’amour ».

Une méditation sur la condition humaine originelle

Que contient la « théologie du corps » ? Elle commence par une méditation sur la condition humaine originelle « dont nous gardons un écho en nous sous la forme d’une aspiration fondamentale à aimer et à nous donner », explique François de Muizon. Le corps sexué est considéré comme portant la trace du Créateur, comme langage du Créateur et de la personne.

Le propos se prolonge ensuite avec une méditation sur la condition historique, où l’homme et la femme apparaissent marqués par le péché, qui se manifeste dans la tentation d’instrumentaliser le corps et d’en faire un objet de convoitise. Elle se poursuit par une réflexion sur la « condition glorieuse » à venir des corps dans la résurrection.

 Jean-Paul II entend ainsi répondre au contexte culturel de la libération sexuelle, mais aussi à ceux qui, au sein du christianisme, portent encore un regard condescendant sur la sexualité. Il veut proposer un discours qui mette fin au soupçon pesant sur le corps, au dualisme entre corps et esprit, et reconnaisse pleinement le mariage comme un chemin de sainteté. Mais son discours entend aussi fixer la norme de l’amour humain authentique.

 « Jean-Paul II procède à un travail de renforcement de la doctrine. Il n’hésite pas à aller plus loin qu’Humanae vitae, en affirmant qu’une union sexuelle qui n’est pas ouverte à la vie n’est pas une relation authentiquement humaine, fait remarquer Francine Charoy. En affirmant que les époux rejouent dans l’acte sexuel l’acte créateur, ce discours donne à la sexualité un sens profond, mais aussi éminemment normatif. »

« Un discours un peu iréniste »

De fait, la « théologie du corps » laisse dans l’obscurité tout ce qui sort de la norme du mariage unique, hétérosexuel et indissoluble : la sexualité hors mariage, la réalité des divorcés remariés et des célibataires, l’homosexualité…

 « On est dans un discours idéalisé et un peu iréniste, comme si la sexualité était une réalité sans ombres, objectivable et maîtrisable par le savoir ou l’effort sur soi, relève le psychanalyste Jacques Arènes. Ce discours ne tient pas compte de la pulsion de mort qui la traverse. Il passe aussi sans cesse de ce qui est “souhaitable” à ce qui serait “sacré”. Ce qui fait peser un poids énorme sur les épaules des catholiques et peut susciter une angoisse terrible de ne pas être “à la hauteur’’. »

Dans sa recherche, Jean-Paul II mobilise les Écritures, mais il met en œuvre une lecture qui privilégie ce qui vient conforter la doctrine, sans relever les dissonances ou les silences qui pourraient la nuancer. Quitte parfois à tordre les textes. Dans son interprétation de la Genèse, il lie ainsi la bénédiction d’Adam et Ève à celle de leur fécondité. Il propose aussi une méditation sur la solitude originelle de l’homme, qui questionne des théologiens.

Une théologie qui mériterait d’être l’objet de discussions paisibles

« Cela a de grandes implications pour le statut des femmes, fait remarquer le théologien Philippe Bordeyne. Quand vous partez d’une solitude originelle et non d’une relation originelle entre l’homme et la femme, vous avez beaucoup plus tendance à développer la spécificité du féminin à partir d’une reconstruction masculine. C’est en quelque sorte une autoroute pour une pensée patriarcale. »

Quarante ans après sa formulation, cette théologie du corps mériterait d’être l’objet de discussions critiques paisibles. « C’est malheureusement souvent impossible. Si on la discute, on passe pour ne pas l’avoir lue ou comprise », regrette Francine Charoy.

 La crise des abus sexuels dans l’Église devrait pourtant rendre ce travail incontournable, tant son langage a pu être dévoyé par les abuseurs, dont certains furent des proches de Jean-Paul II. « Toute cette théologie du corps, qui a fait vibrer beaucoup de clercs, a été le royaume de la perversion pour des abuseurs, poursuit la théologienne. Des victimes ont été confrontées au renversement complet de son discours sur la donation totale par la sexualité. »

 

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Pour aller plus loin

La Théologie du corps, Jean-Paul II, Cerf, 2014, 784 p., 39 €.

Quelle éthique théologique de la procréation et de la filiation pour les débats actuels ?, Bruno Saintôt, Revue d’éthique et de théologie morale, n°297, mars 2018.

L’invention chrétienne du corps, Adolphe Gesché, Revue théologique de Louvain, n°2, 2004.

Eros enchaîné. Les chrétiens, la famille et le genre, André Paul, Albin Michel, 2014, 320 p., 20 €

Après la CIASE, penser ensemble l’Église et l’éthique des relations, Revue d’éthique et de théologie morale, n°317, février 2023.

Un corps pour se donner. Aimer en vérité selon Jean-Paul II, Mame, 160 p.

https://www.la-croix.com/Religion/theologie-corps-Jean-Paul-II-vision-sexualite-audacieuse-idealisee-2023-03-23-1201260376

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE DU PROPHETE EZECHIEL, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 129

Dimanche 26 mars 2026 ; 5ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 26 mars 2023 : 5ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Ézékiel 37,12-14

12 Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu.
Je vais ouvrir vos tombeaux
et je vous en ferai remonter,
ô mon peuple,
et je vous ramènerai sur la terre d’Israël.
13 Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR,
quand j’ouvrirai vos tombeaux
et vous en ferai remonter,
ô mon peuple !
14 Je mettrai en vous mon esprit,
et vous vivrez ;
je vous donnerai le repos sur votre terre.
Alors vous saurez que Je suis le SEIGNEUR :
J’ai parlé
et je le ferai.
– Oracle du SEIGNEUR.

DIEU N’ABANDONNERA JAMAIS SON PEUPLE
Ce texte est très court mais on voit bien qu’il forme une entité : il est encadré par deux expressions similaires ; au début « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu », à la fin « Parole du SEIGNEUR ». Un cadre qui a évidemment pour but de solenniser ce qui est encadré. Chaque fois qu’un prophète juge utile de repréciser qu’il parle de la part du SEIGNEUR, c’est parce que son message est particulièrement important et difficile à entendre.
Le message d’aujourd’hui, c’est donc ce qui est encadré : c’est une promesse répétée deux fois et adressée au peuple de Dieu, puisque Dieu dit « ô mon peuple » ; les deux fois, la promesse porte sur deux points : premièrement « je vais ouvrir vos tombeaux », deuxièmement « je vous ramènerai sur la terre d’Israël », ou « Je vous donnerai le repos sur votre terre », ce qui revient au même. Ces expressions nous permettent de situer le contexte historique : le peuple est en exil à Babylone, réduit à la merci des Babyloniens, il est anéanti (au vrai sens du terme, réduit à néant), comme mort, c’est pourquoi Dieu parle de tombeaux.
Et donc l’expression « je vais ouvrir vos tombeaux » signifie que Dieu va relever son peuple. Si vous avez la curiosité de vous reporter à votre Bible, au chapitre 37 d’Ezékiel, vous verrez que notre petit texte d’aujourd’hui fait suite à une vision du prophète qu’on appelle « la vision des ossements desséchés » et il en donne l’explication. Je vous rappelle cette vision : le prophète voit une immense armée morte, gisant dans la poussière ; et Dieu lui dit : tes frères sont tellement désespérés dans leur Exil qu’ils se disent morts, finis… eh bien, moi, Dieu, je les relèverai.
Et toute cette vision et son explication que nous avons lue aujourd’hui, évoquent cette captivité du peuple exilé et son relèvement par Dieu. Car, pour le prophète Ezékiel, c’est une certitude : le peuple ne peut pas être éliminé parce que Dieu lui a promis une Alliance éternelle que rien ne pourra détruire ; donc, quelles que soient les défaites, les brisures, les épreuves, on sait que le peuple survivra et qu’il retrouvera sa terre, parce qu’elle fait partie de la promesse. « Je vais ouvrir vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur la terre d’Israël » : au fond ces phrases n’ont rien d’étonnant : depuis toujours, le peuple d’Israël sait que son Dieu est fidèle ; et l’expression « Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR » dit justement que c’est à sa fidélité à ses promesses que l’on reconnaît le vrai Dieu.
Mais pourquoi répéter deux fois à peu près les mêmes choses ? A dire vrai, la deuxième promesse ne se contente pas de répéter la première, elle l’amplifie : elle redit bien « J’ouvrirai vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je vous donnerai le repos sur votre terre, et vous saurez que je suis le SEIGNEUR » et tout cela au fond c’est le retour à l’état antérieur avant le désastre de l’exil à Babylone ; mais dans cette deuxième promesse, il y a autre chose, il y a beaucoup plus, il y a du neuf, du jamais vu : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » ; c’est la nouvelle Alliance qui est dite là : désormais la loi d’amour sera inscrite non plus sur des tables de pierre, mais dans les cœurs . Ou pour reprendre une autre formule d’Ezékiel, les cœurs  humains ne seront plus de pierre mais de chair.
JE METTRAI EN VOUS MON ESPRIT ET VOUS VIVREZ
Ici, donc, il n’y a pas d’hésitation possible, la répétition de la formule « ô mon peuple » montre clairement que ces deux promesses annoncent un sursaut, une restauration du peuple. Il n’est pas question ici d’une résurrection individuelle : pas plus qu’aucun des prophètes de son époque, Ezéchiel n’envisage encore une chose pareille. En fait, le peuple d’Israël n’a découvert la foi en la Résurrection qu’au deuxième siècle av.J.C. Jusque-là, on affirmait que les morts descendent au « Shéol » ; un lieu sombre dont on ne sait rien ; mais aussi curieux que cela nous paraisse aujourd’hui, c’est un sujet dont on se préoccupait peu. Car la mort individuelle n’atteint pas l’avenir du peuple ; or, pendant bien longtemps, c’est l’avenir du peuple, et lui seul, qui comptait. Quand quelqu’un mourait, on disait qu’il était « couché avec ses pères », mais on n’envisageait pas de survie possible ; en revanche la survie du peuple a toujours été une certitude puisque le peuple est porteur des promesses de Dieu. On peut dire que, pendant des siècles, on s’est intéressé au lendemain du peuple et non à celui de l’individu.
Pour croire en la Résurrection individuelle, il faut combiner deux éléments : d’abord s’intéresser au sort de l’individu : ce qui n’était pas le cas au début de l’histoire biblique : l’intérêt pour le sort de l’individu est une conquête, un progrès tardif. Ensuite, un deuxième élément est indispensable pour que naisse la foi en la Résurrection : il faut croire en un Dieu qui ne vous abandonne pas à la mort.
Cette certitude que Dieu n’abandonne jamais l’homme n’est pas née d’un coup ; elle s’est développée au rythme des événements concrets de l’histoire du peuple élu. L’expérience historique de l’Alliance est ce qui nourrit la foi d’Israël. Or l’expérience d’Israël est celle d’un Dieu qui libère l’homme, qui veut l’homme libre de toute servitude, qui intervient sans cesse pour le libérer ; un Dieu fidèle qui ne se reprend jamais. C’est cette foi qui guide toutes les découvertes d’Israël ; elle en est le moteur.
Quatre siècles après Ezékiel, vers 165 av. J.C., ces deux éléments conjugués, foi en un Dieu qui libère sans cesse l’homme, découverte de la valeur de toute personne humaine, ont abouti à la foi en la résurrection individuelle ; au terme de cette double évolution, il est apparu évident que Dieu libèrera l’individu de l’esclavage le plus terrible, définitif de la mort. Cette découverte est si tardive dans le peuple juif qu’au temps du Christ, cette foi n’était pas encore partagée par tout le monde puisqu’on désignait les Sadducéens par cette précision « ceux qui ne croient pas à la résurrection ».
Il n’est bien sûr pas interdit de penser que la prophétie d’Ezéchiel dépassait sa propre pensée sans qu’il le sache lui-même ; l’Esprit de Dieu parlait par sa bouche et maintenant nous pouvons penser « Ezéchiel ne savait pas si bien dire ».

PSAUME – 129 (130),1-8

1 Des profondeurs je crie vers toi, SEIGNEUR,
2 Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

3 Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR,
Seigneur, qui subsistera ?
4 Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

5 J’espère le SEIGNEUR de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
6 Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

7 Oui, près du SEIGNEUR, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
8 C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

PRÈS DE TOI SE TROUVE LE PARDON
Il y a dans le psautier un ensemble de quinze psaumes qui portent un nom particulier : chacun d’eux commence par ces mots « cantique des montées ». En hébreu, le verbe « monter » est employé pour dire « Aller à Jérusalem en pèlerinage ».
Dans les Evangiles, d’ailleurs, l’expression « monter à Jérusalem » apparaît plusieurs fois dans le même sens : elle évoque le pèlerinage pour les trois fêtes annuelles et, en particulier, la plus importante d’entre elles, la fête des Tentes.
Ces quinze psaumes, donc, accompagnaient l’ensemble du pèlerinage. Avant même d’arriver à Jérusalem, ils évoquaient par avance le déroulement de la fête. Pour certains, on peut même deviner à quel moment du pèlerinage ils étaient chantés ; par exemple, le psaume 121 (122) « J’étais dans la joie quand je suis parti vers la maison du SEIGNEUR… maintenant, nous voici devant tes portes, Jérusalem… » était probablement le psaume de l’arrivée.1
Le psaume 129 (130) est donc l’un de ces cantiques des Montées ; il était probablement chanté pendant la fête des Tentes (l’une des trois grandes fêtes de pèlerinage), à l’automne, au cours d’une cérémonie pénitentielle. C’est pourquoi le vocabulaire de la faute et du pardon est relativement important dans ce psaume. « Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR, Seigneur, qui subsistera ? »
Le pécheur qui parle ici, et qui supplie, certain déjà d’être pardonné, c’est le peuple qui reconnaît à la fois l’infinie bonté de Dieu, son inlassable fidélité (sa « Hessed ») et l’incapacité foncière de l’homme à répondre à l’Alliance. Ces infidélités répétées à l’Alliance sont vécues comme une véritable « mort spirituelle » : « Des profondeurs, je crie vers Toi » ; mais ce cri s’adresse à celui dont l’Etre même est le Pardon : c’est le sens de l’expression « Près de toi est le pardon ».
Dieu est Amour et Il est Don, c’est la même chose ; or le « Par-Don » n’est pas autre chose : c’est le don « par-delà ». Pardonner, c’est continuer à proposer une Alliance, un avenir possible, au-delà des infidélités de l’autre. Rappelez-vous l’histoire de David : après le meurtre du mari de Bethsabée par le roi, le prophète Natan lui avait annoncé le pardon de Dieu avant même que David ait eu le temps d’exprimer la moindre parole de regret, ni le moindre aveu.
Curieusement, cette idée que Dieu pardonne toujours n’est pas du goût de tout le monde ; mais pourtant, incontestablement, c’est l’une des affirmations majeures de la Bible, et ce dès l’Ancien Testament. Et Jésus reprend avec force le même enseignement : par exemple, dans la parabole de l’enfant prodigue, chez Luc (chapitre 15), le père est là sur le chemin à attendre son fils (ce qui prouve qu’il lui a déjà pardonné) et il lui ouvre les bras avant que le fils, lui, ait ouvert la bouche. Et l’exemple du pardon de Dieu absolument gratuit nous est donné par Jésus lui-même sur la croix : ceux qui sont en train de le tuer n’ont pas eu la moindre parole de repentir et pourtant, il dit bien « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
MON ÂME ATTEND LE SEIGNEUR PLUS QU’UN VEILLEUR NE GUETTE L’AURORE.
C’est dans son pardon, précisément, nous dit la Bible, que Dieu révèle sa puissance. Cela encore, c’est une des grandes découvertes d’Israël ; vous connaissez cette phrase du livre de la Sagesse : « Ta force (Seigneur) est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose… toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement. » L’idée, c’est que quelqu’un dont le pouvoir est incontesté n’a pas besoin de l’étaler. (Sg 12,16.18).
Certains craignent que l’annonce de la miséricorde de Dieu incite au laisser-aller ; à mon avis c’est le contraire : une fois qu’on est vraiment convaincus de la tendresse et du pardon inconditionnel de Dieu, on a envie d’y correspondre et d’essayer de lui ressembler. Donc la certitude de la « miséricorde » de Dieu n’engendre chez le croyant ni présomption ni indifférence au péché, mais reconnaissance humble et émerveillée.
« Près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne » : cette formule très ramassée dit quelle doit être l’attitude du croyant face à ce Dieu qui n’est que don et pardon. Nous trouvons là encore une définition de la « crainte de Dieu » : ce n’est pas la crainte du châtiment. Toute la pédagogie de Dieu au long de l’histoire biblique cherche à nous libérer de toute peur ; car la peur n’est pas une attitude d’homme libre et Dieu veut nous libérer totalement. La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est une adoration pleine d’émerveillement devant la Toute-Puissance de Dieu faite seulement d’amour. « Craindre » le Seigneur, c’est l’adorer et lui faire tellement confiance qu’on fera tout son possible pour obéir à sa Loi dans la certitude que cette Loi n’est dictée que par son amour paternel.
Cette certitude du « Par-don », du Don toujours acquis au-delà de toutes les fautes inspire à Israël une attitude d’espérance extraordinaire. Israël repentant attend son pardon « plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ». « C’est Lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes » : nous rencontrons régulièrement dans les textes bibliques des expressions similaires. Elles annoncent à Israël sa libération définitive, la libération de toutes les fautes de tous les temps.
Israël attend plus encore : précisément parce que le peuple de l’Alliance expérimente sa faiblesse et son péché toujours renaissant, mais aussi la Fidélité de Dieu, il attend de Dieu lui-même la réalisation définitive de ses promesses. Au-delà du pardon immédiat, c’est l’aurore définitive que ce peuple attend de siècle en siècle, qu’il « espère contre toute espérance » (comme Abraham), l’aurore du Jour de Dieu. Tous les psaumes sont traversés par l’attente messianique.
Les Chrétiens savent encore plus sûrement que notre monde va vers son accomplissement : un accomplissement qui se nomme Jésus-Christ : « Notre âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ».
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Note
La Bible grecque a traduit « Cantiques des degrés », c’est-à-dire des « marches ». Or, un escalier de quinze marches reliait la Cour des femmes au parvis du Temple : certains en déduisent que chacun de ces quinze psaumes était chanté sur l’une des marches. Quand on imagine, au moins pour les jours de grandes fêtes, la foule innombrable qui se pressait aux abords du Temple, sur les divers parvis et sur ces fameuses quinze marches, il est hautement improbable qu’on ait pu attribuer des psaumes précis à des marches précises sauf, peut-être, pour des démarches individuelles. Il est très probable, au contraire, que ces quinze psaumes aient été composés pour accompagner l’ensemble du pèlerinage.

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Romains 8, 8-11

Frères,
8 ceux qui sont sous l’emprise de la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.
9 Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous celle de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché,
mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.

L’ESPRIT DE DIEU HABITE EN NOUS
« Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ezéchiel (dans notre première lecture) ; désormais, depuis notre baptême, nous dit Paul, c’est chose faite. Il emploie une expression imagée : « L’Esprit de Dieu habite en vous ». La prenant au pied de la lettre, un commentateur de ce passage parle de « changement de propriétaire ». Nous sommes devenus des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.
Il serait intéressant de se demander, dans tous les secteurs de notre vie, personnelle et communautaire, qui est aux postes de commande, qui est le maître de maison chez nous, ou si vous préférez, quel est notre objectif, qu’est-ce qui nous « fait courir », comme on dit. D’après Paul, il n’y a pas trente-six solutions : ou bien nous sommes sous l’emprise de l’Esprit, c’est-à-dire que nous nous laissons guider par l’Esprit, ou bien nous ne nous laissons pas inspirer par l’Esprit et c’est ce qu’il appelle « être sous l’emprise de la chair ». Etre sous l’emprise de l’Esprit, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot Esprit par le mot Amour. Et dans la lettre aux Galates, Paul explique ce que sont les fruits de l’Esprit ; « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5,22-23), en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.
J’ai bien dit les « circonstances concrètes » : pour Paul la vie selon l’Esprit ne veut pas dire la tête dans les nuages ; Paul est l’héritier de toute la tradition des prophètes : or tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les « Chants du Serviteur », Isaïe (chapitres 42,49,50,52-53), affirme très fermement que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Et les prophètes ont toujours des mots très durs pour ceux qui croient plaire à Dieu par des cérémonies magnifiques pendant que des pauvres meurent de faim ou de chagrin à leur porte.
Une fois définie la vie selon l’Esprit, ce qui veut dire tout simplement la vie selon l’amour, on déduit très facilement ce que Paul entend par vie selon la chair : c’est le contraire, c’est-à-dire l’indifférence ou la haine ; pour le dire autrement, l’amour c’est le décentrement de soi, la vie sous l’emprise de la chair, c’est le centrement sur soi. Ma question de tout-à-l’heure « Qui commande ici ? « se transforme alors en « Qui est le centre de notre monde ? »
Il est clair que sous l’emprise de la chair, dans ce sens-là, c’est-à-dire centré sur soi, on ne peut pas être en harmonie avec Dieu, accordé à Dieu qui n’est qu’amour. « Sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu » dit Paul.
TEL PERE, TELS FILS
Au contraire, le Christ est le Fils bien-aimé en qui Dieu se complaît, c’est-à-dire qu’il est en harmonie parfaite avec Dieu précisément parce que le Christ n’est lui aussi qu’amour. Dans ce sens le récit des Tentations, que nous avons lu pour le premier dimanche de carême, était saisissant : c’est au chapitre 4 de Matthieu. Il nous montre Jésus centré uniquement sur Dieu et sur la Parole de Dieu. Il refuse résolument de se centrer sur sa faim ni même sur les besoins de sa mission de Messie :
Première tentation : après quarante jours de jeûne, Jésus a faim… la tentation n’est pas là, bien sûr. Avoir faim au bout de quarante jours de jeûne, c’est normal, c’est même plutôt bon signe ! La tentation, c’est d’exiger de Dieu un miracle pour son bénéfice personnel, c’est de se prendre pour le centre du monde, si j’ose dire. « Ordonne à ces pierres de devenir des pains » lui susurre le tentateur, le diviseur. Jésus préfère mettre la Parole au centre du monde et de sa vie « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la maîtrise de soi, la patience, dit Paul.
Deuxième tentation : « Jette-toi du haut du Temple, Dieu sera bien obligé de te protéger » ; réponse de Jésus : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la confiance en Dieu.
Troisième Tentation : « Détourne-toi de Dieu, prosterne-toi devant moi, tu seras le maître des royaumes de la terre » ; mais Jésus est complètement centré sur son Père et non sur ce qu’il pourrait obtenir pour lui : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras, c’est à lui seul que tu rendras un culte ». Le fruit de l’Esprit qui les résume tous, c’est l’amour, dit encore Paul.
Si ce texte des tentations nous est proposé chaque année en début de Carême, c’est parce que le temps du Carême est justement une entreprise de décentrement de nous-mêmes pour nous centrer sur les autres et sur Dieu.
Un peu plus loin dans cette même lettre aux Romains, Paul dit que l’Esprit de Dieu fait de nous des fils, c’est lui qui nous pousse à appeler Dieu-Père ; j’ai envie de dire « tel Père, tel fils ». Ce qui en nous est amour vient de Dieu, c’est notre héritage de fils. « L’Esprit est votre vie » dit encore Paul. Traduisez « l’amour est votre vie » ; d’ailleurs, nous savons tous d’expérience que seul l’amour est créateur.
Tandis que ce qui n’est pas amour ne vient pas de Dieu et parce que cela ne vient pas de Dieu, c’est voué à la mort. La très bonne nouvelle de ce texte d’aujourd’hui, c’est que tout ce qui en nous est amour vient de Dieu et donc ne peut mourir. Comme dit Paul, « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».

EVANGILE – selon saint Jean 11,1-45

En ce temps-là,
3 Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare,
envoyèrent dire à Jésus :
« Seigneur, celui que tu aimes est malade. »
4 En apprenant cela, Jésus dit :
« Cette maladie ne conduit pas à la mort,
elle est pour la gloire de Dieu,
afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
5 Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare.
6 Quand il apprit que celui-ci était malade,
il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.
7 Puis, après cela, il dit aux disciples :
« Revenons en Judée. »

17 À son arrivée,
Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
20 Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus,
elle partit à sa rencontre,
tandis que Marie restait assise à la maison.
21 Marthe dit à Jésus :
« Seigneur, si tu avais été ici,
mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je le sais,
tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
23 Jésus lui dit :
« Ton frère ressuscitera. »
24 Marthe reprit :
« Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
25 Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie.
Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
26 quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
27 Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois :
tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

33 Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,
34 et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? »
Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »
35 Alors Jésus se mit à pleurer.
36 Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »
37 Mais certains d’entre eux dirent :
« Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle,
ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
38 Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau.
C’était une grotte fermée par une pierre.
39 Jésus dit : « Enlevez la pierre. »
Marthe, la sœur du défunt, lui dit :
« Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. »
40 Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ?
Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »
41 On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé.
42 Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ;
mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure,
afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »
43 Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »
44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes,
le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit :
« Déliez-le, et laissez-le aller. »
45 Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie
et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

CELUI QUI CROIT EN MOI, MEME S’IL MEURT, VIVRA
Nous avons pris l’habitude d’appeler ce passage « la résurrection de Lazare », mais, soyons francs, ce n’est pas le terme qui convient ; quand nous proclamons « Je crois à la résurrection des morts et à la vie éternelle », il s’agit de bien autre chose.
La mort de Lazare n’a été qu’une parenthèse en quelque sorte dans sa vie terrestre ; sa vie après le miracle de Jésus a repris son cours ordinaire, et elle a dû être à peu de choses près la même après qu’auparavant. Lazare a eu seulement en quelque sorte un supplément de vie terrestre. Son corps n’était pas transformé et il a dû mourir une seconde fois ; sa première mort n’a pas été ce qu’elle sera pour nous, c’est-à-dire le passage vers la vraie vie.
Mais alors, du coup, on peut se demander à quoi bon ? En faisant ce miracle, Jésus a pris de grands risques pour lui-même parce qu’il ne s’était déjà que trop fait remarquer… et quant à Lazare cela n’a fait que reculer l’échéance définitive.
C’est Saint Jean qui répond à notre question « à quoi bon ce miracle ? » ; il nous dit c’est un signe très important : Jésus est manifesté là comme celui en qui nous avons la vie sans fin et en qui nous pouvons croire, c’est-à dire sur qui nous pouvons miser notre vie.
Et d’ailleurs, les grands prêtres et les Pharisiens ne s’y sont pas trompés : ils ont fort bien compris la gravité du signe que Jésus avait donné là : d’après Saint Jean, toujours, trop de gens se mirent à croire en Jésus à la suite de la résurrection de Lazare, et c’est là qu’ils décidèrent de le faire mourir.
C’est donc ce miracle qui a signé l’arrêt de mort de Jésus ; évidemment, quand on y réfléchit deux mille ans plus tard, on se dit que c’est un comble : être capable de rendre la vie, cela méritait la mort ; triste exemple des aberrations où nous mènent parfois nos certitudes…
Revenons au récit de ce que je vous propose d’appeler le « réveil de Lazare » car il ne s’agit pas d’une véritable résurrection comme celle de Jésus, il s’agit plutôt d’un supplément de vie terrestre. Je ferai seulement deux remarques :
SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU
Première remarque : pour Jésus, la seule chose qui compte, c’est la gloire de Dieu ; mais pour voir la gloire de Dieu, il faut croire (« Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit-il à Marthe). Dès le début du récit, alors qu’on vient d’annoncer à Jésus « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il dit à ses disciples : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu », c’est-à-dire la révélation du mystère de Dieu. Non pas que la manifestation de la gloire de Dieu soit une récompense pour bien-pensants ou bien-croyants ; mais quand nous ne sommes pas dans une attitude de foi, tout se passe comme si nous laissions notre regard s’obscurcir par le soupçon, la méfiance, c’est comme si nous mettions des lunettes sombres, nous ne voyons plus la lumière. La foi nous ouvre les yeux, elle fait sauter ce bandeau de la méfiance que nous avions mis sur nos yeux.
Deuxième remarque : la foi en la résurrection franchit là sa dernière étape : à propos du texte d’Ezéchiel qui nous est proposé en première lecture pour ce cinquième dimanche de Carême, nous avions vu que la foi en la résurrection est apparue très tardivement en Israël ; elle n’est affirmée très clairement qu’au deuxième siècle av. J.C. à l’occasion de la terrible persécution du roi grec Antiochus Epiphane ; et à l’époque du Christ, elle n’est même pas encore admise par tout le monde. Marthe et Marie, visiblement, font partie des gens qui y croient. Mais, dans leur idée, il s’agit encore d’une résurrection pour le dernier jour ; quand Jésus dit à Marthe « Ton frère ressuscitera », Marthe répond : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection ». Jésus rectifie : il ne parle pas au futur, il parle au présent : « Moi, je suis la résurrection et la vie… Tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais… Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » A l’entendre, on a bien l’impression que la Résurrection, c’est pour tout de suite. « Je suis la résurrection et la vie » : cela veut dire que la mort au sens de séparation de Dieu n’existe plus, elle est vaincue dans la Résurrection du Christ. Avec Paul les croyants peuvent dire « Mort, où est ta victoire ? » Non, rien désormais ne nous séparera de l’amour du Christ, même pas la mort.

CORAN, ISLAM, JESUS CHRIST, JESUS DANS LE CORAN ET LA TRADITION MUSULMANE, JESUS-CHRIST, MUSULMANS

Jésus dans le Coran et dans la tradition musulmane

Jésus dans le Coran et dans la tradition musulmane

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Pour le chrétien, comprendre l’islam veut dire également comprendre ce que pensent les musulmans de Jésus. Dans cet article, Henri de La Hougue nous introduit aux sources musulmanes les plus importantes sur ce sujet.

Henri de La Hougue, enseignant à l’Institut de science et de théologie des religions (Institut catholique de Paris), 

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Maryam (Marie) et Jésus-Îsâ (ancienne miniature persane).WIKICOMMONS

JESUS ET LE CORAN

La naissance de Jésus

Sourate 19, 16-35 (traduction Blachère)
« Et, dans l’Écriture, mentionne Marie quand elle se retira de sa famille en un lieu oriental et qu’elle disposa un voile en deçà d’eux. Nous lui envoyâmes Notre Esprit et il s’offrit à elle [sous la forme] d’un mortel accompli. « Je me réfugie dans le Bienfaiteur, contre toi », dit [Marie]. « Puisses-tu être pieux! »

– « Je ne suis », répondit-il, « que l’émissaire de ton Seigneur, [venu] pour que je te donne un garçon pur. » – « Comment aurais-je un garçon », demanda-t-elle, « alors que nul mortel ne m’a touchée et que je ne suis point femme? »
– « Ainsi sera-t-il », dit [l’Ange]. « Ton Seigneur a dit: Cela est pour Moi facile et Nous ferons certes de lui un signe pour les gens et une grâce (rahma) [venue] de Nous: c’est affaire décrétée. »
Elle devint enceinte de l’enfant et se retira avec lui dans un lieu éloigné. Les douleurs la surprirent près du stipe du palmier. « Plût au ciel », s’écria-t-elle, « que je fusse morte avant cet instant et que je fusse totalement oubliée! »
[Mais] l’enfant qui était à ses pieds lui parla: « Ne t’attriste pas! Ton Seigneur a mis à tes pieds un ruisseau. Secoue vers toi le stipe du palmier: tu feras tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange et bois et que ton œil se sèche! Dès que tu verras quelque mortel, dis: « Je voue au Seigneur un jeûne et ne parlerai aujourd’hui à aucun humain! » Elle vint donc aux siens, portant [l’enfant].
– « O Marie! », dirent-ils, « tu as accompli une chose monstrueuse! O sœur d’Aaron! ton père n’était pas un père indigne ni ta mère une prostituée! » Marie fit un signe vers [l’Enfant]. – « Comment », dirent-ils, parlerions-nous à un enfançon qui est au berceau? »
Mais [l’enfant] dit: « Je suis serviteur d’Allah. Il m’a donné l’Écriture et m’a fait Prophète! Il m’a béni où que je sois et m’a recommandé la Prière et l’Aumône tant que je resterai vivant, ainsi que la bonté envers ma mère. Il ne m’a fait ni violent ni malheureux. Que le salut soit sur moi le jour où je naquis, le jour où je mourrai et le jour où je serai rappelé vivant! »
Celui-là est Jésus fils de Marie. Parole de vérité qu’ils révoquent en doute!
Il n’était pas séant à Allah de prendre quelque enfant.
Gloire à Lui! Quand Il décide quelque chose, Il dit seulement: « Sois! » et elle est. »

On trouve dans cette sourate 19 quelques éléments proches de la foi chrétienne comme :

– l’annonciation
– la venue de l’esprit de Dieu
– la conception virginale de Jésus ainsi que d’autres éléments coraniques, comme le fait que Jésus parle dès sa naissance.

Regardons l’autre grand passage du Qur’ân qui mentionne la conception de Jésus :

Sourate 3, 42-51 (traduction Blachère)

Et [rappelle] quand les Anges dirent: « O Marie!, Allah t’a choisie et purifiée. Il t’a choisie sur [toutes] les femmes de ce monde. O Marie!, sois en oraison devant ton Seigneur! Prosterne-toi et incline-toi avec ceux qui s’inclinent! »
Ceci fait partie des récits (‘anbâ’) de l’Inconnaissable que Nous te révélons car tu n’étais point parmi eux [Prophète!], quand ils jetaient leurs calames [pour savoir] qui d’entre eux se chargerait de Marie; tu n’étais point parmi eux quand ils se disputaient.
[Rappelle] quand les Anges dirent: « O Marie!, Allah t’annonce un Verbe [émanant] de Lui, dont le nom est le Messie, Jésus fils de Marie, [qui sera] illustre dans la [Vie] Immédiate et Dernière et parmi les Proches [du Seigneur]. Il parlera aux Hommes, au berceau, comme un vieillard, et il sera parmi les Saints. »
– « Seigneur! », répondit [Marie], « comment aurais-je un enfant alors que nul mortel ne m’a touchée? »
– « Ainsi », répondit-Il (sic), « Allah crée ce qu’Il veut. Quand Il décrète une affaire, Il dit seulement à son propos: « Sois! » et elle est. » [Allah] lui enseignera l’Écriture, la Sagesse, la Thora et l’Évangile.
« …Et [j’ai été envoyé] comme Apôtre aux Fils d’Israël, disant: « Je viens à vous avec un signe de votre Seigneur. Je vais, pour vous, créer d’argile une manière d’oiseaux; j’y insufflerai [la vie] et ce seront des oiseaux, avec la permission d’Allah. Je guérirai le muet et le lépreux. Je ferai revivre les morts, avec la permission d’Allah. Je vous aviserai de ce que vous mangez et de ce que vous amassez dans vos demeures. En vérité, en cela, est certes un signe pour vous, si vous êtes croyants.
[Je suis envoyé] déclarant véridique ce qui a été donné avant moi, de la Torah, afin de déclarer pour vous licite une partie de ce qui avait été pour vous déclaré illicite. Je suis venu à vous avec un signe de votre Seigneur. Soyez pieux envers Allah et obéissez-moi! Allah est mon Seigneur et votre Seigneur. Adorez-Le donc! C’est une voie droite. »

La Mission de Jésus :

Jésus succède aux prophètes d’Israël (5,46; 57,27). Il est envoyé aux Fils d’Israël (3,49; 43,59-64; 61,6) pour confirmer la Torah (3,50; 5,46; 61,6); mais il supprime certains interdits (3,50) et annonce Muhammad (61,6).

Ses miracles :

– en général (bayyinât) (2,87; 5,110; 43,63; 61,6)
– en particulier: il parle à sa naissance (19,24-26), au berceau (19,30) et adulte (3,46; 5,110); vivifie l’oiseau, opère des guérisons, ressuscite les morts, devine les secrets (3,49; 5,110); la mâ’ida (5,112-115).

Sa prédication :

Nadorer qu’un seul Dieu (3,51; 5,72 et 117; 19,36; 43,63), craindre Dieu et lui obéir (3,50; 5,112; 43,63). Il apporte la Sagesse (43,63), explique aux Fils d’Israël ce sur quoi ils sont divisés (43,63).

Le drame de sa fin sur terre :

Il se heurte à l’incrédulité des Juifs (3,52; 5,110; 61,6); il fait appel à ses « Auxiliaires », les Apôtres (3,52; 5,111) , maudit les juifs (5,78), qui rusent pour le faire mourir (3,54-55; 4,157) ; mais il est sauvé par Dieu (3,54; 5,110), ni tué ni crucifié, mais élevé au ciel (3,55; 4,158). Pour les orthodoxes sunnites, Jésus n’a pas été crucifié. Certains courants shiites, philosophiques (platonisants) et mystiques, admettront que le corps de Jésus est mort en croix, mais que son âme a été élevée au ciel. Entre son élévation au ciel et son retour sur terre, Jésus vit auprès de Dieu, volant autour de son Trône, mi-ange mi-homme, sans boire ni manger, couvert de plumes. C’est ainsi que Muhammad le rencontre dans son ascension nocturne (mirâj).

Son rôle eschatologique, lors de son retour sur terre :

Signe de l’Heure (43,61) et au Jugement, témoin contre les chrétiens (4,159; 5,116-117). Les Shiîtes le remplacent par le retour de leur « Imâm caché », appelé le Mahdî. D’où réaction orthodoxe : « Pas d’autre Mahdî que Jésus » (Là mahdiya illâ °Îsâ).

Les divers noms de Jésus dans le Coran (Qur’ân) :

‘Îsâ (Jésus) est cité dans 10 sourates différentes et revient 25 fois dans le Coran. L’étymologie de (‘Îsâ) n’est pas évidente, il existe plusieurs hypothèses pour expliquer la différence avec (Yasû’) le Jésus biblique. Toujours est-il que dans l’esprit des musulmans,
‘Îsâ est bien Jésus, fils de Marie qui a donné l’évangile (al-injîl), dont les chrétiens ont fait un fils de Dieu.

– Al-masîh (le messie) 11 fois
La racine (MSH) signifie « mesurer », « frotter » et « oindre ». Mais le mot Messie (al-masîh) provient sans doute de l’araméen ou de l’hébreu, où il était employé dans le sens de sauveur (masîah). Muhammad a pris ce mot aux chrétiens arabes, chez qui le nom
‘abd al-masîh (« serviteur du messie »), était connu à l’époque préislamique, mais il est douteux qu’il ait connu le vrai sens du terme.
Le mot ne se trouve que 11 fois dans le Coran et uniquement dans des sourates médinoises, la plupart du temps lié à « fils de Marie » (ibn Maryam), et toujours pour parler de Jésus.
Al-masîh est donc un titre de Jésus, mais sans connotation messianique, ni aucune interprétation eschatologique.
Dans la tradition, dans le hadith canonique, al-masîh se rencontre dans trois passages, toujours pour parler de Jésus : dans un rêve de Muhammad, au retour de Jésus et au jugement dernier.

– Kalima min Allah (Parole venant de Dieu). Kalima est très fréquent dans le Coran on le retrouve dans le sens de :
– parole proférée (bonne 14,24 ou mauvaise 9,74)
– parole de Dieu réalisatrice au sens de (‘Amr)
Jésus est appelé « parole venant de Dieu » (kalima min Allah) en 3, 39.45, mais les commentateurs voient dans ce titre :
– soit une parole divine liée au (kun) « sois » et rapprochent la création de Jésus à celle d’Adam : « Il en est de Jésus comme d’Adam auprès de Dieu, Dieu l’a créé de terre, puis il lui a dit « sois! » et il est » 3,59
– soit le fait que Jésus est le prophète annoncé dans la parole de Dieu, reçue et prêchée par les prophètes antérieurs.
– soit parce que Jésus parle de la part de Dieu et ainsi conduit les hommes dans le bon chemin. – soit parce que Jésus est une bonne nouvelle, parole de vérité (qawl al-haqq).

Il ne faudrait pas trop vite voir dans cette « parole » (kalima) l’équivalent de notre verbe (logos) ce n’est pas l’attribut de la parole (kalâm) mais son expression en laquelle se formulent et se communiquent les décisions divines.

– Nabi (prophète) en 19,30
Jésus est prophète, il est d’ailleurs cité plusieurs fois parmi les autres prophètes. Comme tout prophète il a une mission à accomplir dans un peuple particulier, les fils d’Israël. Mais il est plus qu’un prophète, puisqu’il a le statut d’envoyé.

– Rasûl (envoyé) 3 fois
Le rasûl est plus qu’un prophète, il est un envoyé, qui a un message à délivrer, comme l’ange Gabriel. Jésus a transmis l’Evangile, il est donc rasûl, comme Moïse qui a transmis la Torah, ou Muhammad qui a récité le Coran.

– ‘Abd Allah (serviteur de Dieu)
Ce mot signifie et rappelle avant tout que Jésus est une créature de Dieu, soumise à Dieu. Cependant c’est un attribut de Jésus très important, puisque cela en fait un des meilleurs musulmans. Ibn Arabi dira de Jésus qu’il est le sceau de la sainteté.

Un chrétien ne peut pas ne pas penser au serviteur d’Isaïe (‘ebed) et à l’esclave de Ph 2, 7 (doulos). Du point de vue du dialogue, c’est certainement un attribut très important de Jésus, parce que ce terme a une signification forte en Islam, comme dans le Christianisme. Il faut cependant se rappeler la signification première qui est une négation de la divinité de Jésus.

– Rûh (esprit venant de lui) en 4, 171 Jésus est un Esprit de Dieu (Rûh min Allah)
« O Détenteurs de l’Écriture!, ne soyez pas extravagants, en votre religion! Ne dites, sur Allah, que la vérité! Le Messie, Jésus fils de Marie, est seulement l’Apôtre d’Allah, son Verbe jeté par Lui à Marie, et un Esprit [émanant] de Lui. Croyez en Allah et en Ses Apôtres et ne dites point: « Trois! » Cessez! [Cela sera] un bien pour vous. Allah n’est qu’une divinité unique. A Lui ne plaise d’avoir un enfant! A Lui ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre.Combien Allah suffit comme protecteur (wakîl)! » (4,171)

Mais la suite du verset nous garde bien de faire de ce titre une interprétation trop chrétienne. Comme nous l’avons vu plus haut, ce titre vient avant tout du fait que Jésus est né du souffle divin né en Marie : « Et [fais mention de] celle restée vierge en sorte que Nous soufflâmes en elle de Notre esprit et que Nous fîmes d’elle et de son fils un signe pour le monde. » (21,91) et que pour accomplir sa mission, Jésus a été fortifié par l’Esprit Saint (Rûh al qudus) 5,110

Autres titre :
– Ibn Maryam (fils de Marie) 33 fois dont 16 avec (‘Îsâ)
– min al-muqarrabîn (parmi les proches) en 3, 45
– wajîh (digne de considération) en 3,45
– mubârak (béni) en 19,31
– qawl al-haqq (parole de vérité) en 19, 34 2.

DANS LA TRADITION MUSULMANE

On trouve dans la tradition un certain nombre de hadith (« propos » attribués au Prophète, qui constituent la tradition musulmane, la sunna) concernant Jésus ou Marie qui permettent de voir comment la tradition situe Jésus par rapport au prophète Muhammad. Nous avons été voir chez Bukhâri (mort en 870/ h.256), le plus important des traditionnistes.

Sur la nature de Jésus, on trouve :

« D’après Sa’îd-ben-al-Mosayyab, Abou Horaïra a dit: J’ai entendu l’envoyé de Dieu s’exprimer ainsi :  » Il ne nait pas un seul fils d’Adam, sans qu’un démon ne le touche au moment de sa naissance. celui que le démon touche ainsi pousse un cri. Il n’y a eu d’exeption que pour Marie et son fils ». (El-Bokhâri, Les traditions islamiques, Maisonneuve, Paris 1984, tomeII, Livre 60, ch 44)

D’après ‘Obâda, le prophète a dit: quiconque témoignera qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu, l’unique, n’ayant pas d’associés; que Mahomet est son adorateur et son envoyé; que Jésus est l’adorateur de Dieu, son envoyé, son verbe jeté dans le sein de Marie et une émanation de Dieu; que le paradis est une vérité, que l’enfer est une vérité, Dieu le fera entrer dans le paradis quelles qu’aient été ses œuvres. » (Ibid. ch 47)

Abou Salama rapporte que Abou Horaïra a entendu l’envoyé de Dieu dire: « Je suis parmi les hommes, le plus rapproché du fils de Marie. Les prophètes sont les enfants d’un même père et de mères différentes. Entre Jésus et moi, il n’y a pas eu de prophète. (Ibid. ch 48,6)

Le prophète dit avoir rencontré Jésus lors de son voyage « …Le prophète a dit, la nuit où l’on me fit faire le voyage, je vis Moïse, c’était un homme brun, de haute taille, crépu, on aurait dit d’un Chanouïte; je vis Jésus, c’était un homme de taille et de complexion moyennes, d’une couleur entre le rouge et le blanc, et aux cheveux lisses… » (Ibid. livre 59, ch7, 16)

« Abdallah ben ‘Omar rapporte que l’envoyé de Dieu a dit : « une nuit que j’étais auprès de la Ka’ba, je vis un homme brun comme un des plus beaux hommes bruns que tu n’aies jamais vus. il avait une chevelure comme la plus belle des chevelures que tu n’aies jamais vue; cette chevelure était flottante et était encore ruisselante d’eau. appuyé sur deux hommes, il faisait le tour du temple. Comme je demandais qui était cette personne, on me répondit: « c’est le Messie, fils de Marie »…(Ibid. tomeIV, livre77, Ch 68, 3)

Après Adam, Noé, Abraham, Moïse, les gens vont voir Jésus pour lui demander d’intercéder auprès de Dieu, mais celui-ci s’en juge incapable, et renvoie à Muhammad : … »[Moïse dit] adressez vous à un autre que moi, allez trouver Jésus. Ils iront trouver Jésus et leur diront: « O Jésus, tu es un envoyé de Dieu; il a envoyé son verbe dans Marie; tu es l’esprit de Dieu, et tout enfant, dès le berceau, tu parlais aux hommes; intercède en notre faveur auprès du seigneur, ne vois-tu pas dans quel état nous sommes? Le Seigneur, répondra Jésus est aujourd’hui dans une colère telle qu’il n’en a jamais eu de pareille auparavant et qu’il n’en aura plus jamais de semblable à l’avenir. Il ne parlera pas de faute commise et ajoutera : « c’est moi, moi, moi (qui aurait besoin d’un intercesseur). Adressez-vous à un autre que moi, allez trouver Mahomet »… (Ibid, tome III, livre 65, ch5,1 cf aussi 65, 2, 1)

La tradition nous donne une connaissance un peu plus précise de Jésus que le Qu’rân, mais, par rapport à la somme de hadith existant, ceux consacrés à Jésus sont peu nombreux. Comme le Qu’rân, ils reconnaissent l’importance de Jésus, mais rappellent que celui-ci passe après Muhammad et qu’il n’est pas fils de Dieu.

Pour trouver une réflexion plus approfondie sur le Christ, on doit chercher chez les mystiques.

JESUS DANS LA TRADITION MYSTIQUE

(Nous nous référerons au livre de Roger Arnaldez, Jésus dans la pensée musulmane , coll. Jésus et Jésus-Christ n° 32, Desclée, Paris 1988, ch 3)

Dans l’œuvre des mystiques, Jésus est tout d’abord présenté comme un mystique qui enseigne :

– la crainte et l’amour de Dieu : « Le Christ a dit : ‘O Apôtres! la peur qui fait redouter Dieu et l’amour du Paradis font hériter la patience pour supporter les peines et éloignent de ce bas monde » (Ghazâlî Arnaldez, Op.cit. p.111)
– la patience dans les épreuves : « Le Messie a dit: ‘Vous n’obtiendrez ce que vous aimez que par votre patience à supporter ce que vous abhorrez' » (Makkî et Ghazâlî, Ibid., p. 113)
– l’abandon à Dieu : « Jésus a dit: ‘Regardez les oiseaux; ils ne sèment ni ne moissonnent, ils ne font pas de provisions et Dieu pourvoit à leur subsistance jour après jour' » (Ghazâlî Ibid. p. 117)
– l’ascèse et la pauvreté : « On raconte de Jésus qu’il posa une pierre sous sa tête, comme si, en la soulevant de terre, il éprouvait un soulagement. Iblis lui fit une objection en disant: ‘O fils de marie, n’avais-tu pas prétendu que tu pratiquais l’ascétisme dans ce monde? Jésus répondit que oui. Iblîs dit: ‘Et ce que tu as bien arrangé sous ta tête, qu’est-ce que c’est donc?’ Jésus rejeta la pierre et dit: ‘prends-la avec tout ce que j’ai déjà abandonné.' » (Makkî, Ibid, p.128)
– l’humilité : « On rapporte que Jésus a dit: ‘Il manque de science, celui qui ne se réjouit pas dêtre frappé de maux en son corps et en ses biens, en espérant par là expier ses fautes’. » (Makkî, Ibid. p. 132)
– l’amour : « On rapporte que Jésus passa près d’un homme qui était aveugle, atteint de la lèpre, privé de ses jambes, frappé d’une paralysie du côté droit et du côté gauche, dont les chairs tombaient en lambeaux sous le coup de l’éléphantiasis. Et cet homme disait: ‘Dieu soit loué, car il m’a préservé de ce par quoi il éprouve un grand nombre de ses créatures! ‘Jésus lui demanda: ‘dis-moi quelle est cette épreuve dont je puisse constater qu’elle a été écartée de toi? L’homme dit: ‘O Esprit de Dieu! Je suis moi, en meilleur état que celui dans le coeur de qui Dieu n’a pas mis la connaissance de lui-même qu’il a mise dans mon coeur.’ Jésus lui répondit: ‘Tu as dit vrai; donne-moi ta main’. L’homme la lui tendit et voici que son visage devint le plus beau du monde, et que sa tournure prit le meilleur aspect. Dieu avait fait disparaître le mal qui était en lui. Il s’atacha à Jésus et s’adonna avec lui à l’adoration. » (Ghazâlî, I bid. pp. 138-139)

Chez Ibn ‘Arabi, Jésus est présenté comme le sceau universel de la sainteté

Parmi tous les prophète, Jésus a une place à part dans la doctrine d’Ibn ‘Arabi (un des plus grand mystiques de l’Islam, mort à Damas en 1240/ h.638) :

La conception de Jésus lui confère un statut tout particulier

« Gabriel était donc le véhicule de la Parole divine transmise à Marie […] Dès l’instant, le désir amoureux envahit Marie, de sorte que le corps de Jésus fut créé de la véritable eau de marie et de l’eau purement imaginaire de Gabriel […] Ainsi, le corps de Jésus fut constitué d’eau imaginaire et d’eau véritable, et il fut enfanté sous la forme humaine à cause de sa mère et à cause de Gabriel, sous forme d’homme. » (Ibid, p. 168)

« […] Jésus manifesta de l’humilité jusqu’à ordonner à sa communauté […] que si quelqu’un est frappé sur la joue, il tende l’autre à celui qui l’a frappé, et ne se révolte jamais contre lui, ni ne cherche vengeance. Ceci, Jésus le tient du côté de sa mère, car c’est à la femme de se soumettre tout naturellement […] Son pouvoir vivifiant et guérissant, par contre, lui parvint du souffle de Gabriel revêtu de forme humaine. C’est pour cela que Jésus put vivifier les morts en ayant la forme d’homme. » (Ibid., p. 169)

Jésus sceau de la sainteté universelle

« N’est il pas vrai que le sceau de la sainteté est un envoyé qui n’a pas d’égal dans les mondes? Il est l’Esprit, fils de l’esprit et de Marie sa mère: c’est là un lieu où ne conduit aucune voie. […] Quant à Jésus, il a la qualité de sceau en ce sens qu’il possède le sceau du cycle du royaume (le monde créé). En effet, il est le dernier des envoyés à apparaître, et il apparaît avec le forme d’Adam, relativement à son mode de génération, puisqu’il n’est pas engendré de père humain et qu’aucun fils, je veux dire dans la descendance d’Adam dans la suite des générations, n’est semblable à lui.[…] En outre Jésus, quand il descendra sur la terre à la fin des temps, recevra le sceau de la lus grande sainteté depuis Adam jusqu’au dernier prophète, en rendant hommage à Muhammad, du fait que Dieu ne scelle la sainteté universelle en toute communauté que par un envoyé qui suit la loi de Muhammad. Et alors, Jésus possède le sceau du cycle du royaume et le sceau de la sainteté, j’entends la sainteté universelle. » (Ibid., p.181)

Chez al-Hallaj Jésus a une très grande importance dans la spiritualité d’al-Hallâj (grand mystique, condamné à mort pour son enseignement trop hétérodoxe en 922/ h.309), parce qu’il est la réalisation la plus parfaite, pour un homme, de l’union mystique entre l’humanité et Dieu. Lors de son retour eschatologique, Jésus remplira le monde de sagesse et de justice en promulgant la loi musulmane définitive.

Hallâj croit à la passion et à la résurrection du Christ et cette passion est pour lui rédemptrice. Les disciples d’al-Hallâj ont affirmé que par sa mort sur un gibet, Hallaj avait réalisé l’idéal du soufisme. Néanmoins, cette perception n’est pas la même que la perception chrétienne. Il y a chez Hallaj, une idée de fuite du corps humain et du monde.

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(Pour en savoir plus, nous vous recommandons : Tarif KHALIDI : Un musulman nommé Jésus, Albin Michel, Paris, 2003)

https://www.la-croix.com/Definitions/Lexique/Islam/Jesus-dans-le-Coran-et-dans-la-tradition-musulmane

AU XXè SIECLE LE CHRISTIANISME FAIT DU CORPS LE LIEU DE SAINTETE DES EPOUX, CARÊME 2023, CAREME, EGLISE CATHOLIQUE

AU XXè SIECLE LE CHRISTIANISME FAIT DU CORPS LE LIEU DE SAINTETE DES EPOUX

 « Au XXe siècle, le christianisme fait du corps le lieu de sainteté des époux »

Pendant le Carême, La Croix se penche sur l’histoire du christianisme et sur son rapport au corps. Cette semaine, le XXe siècle, ou le déploiement de la spiritualité conjugale et la revalorisation de la sexualité. Corps et âme (4/6)

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Historien du catholicisme, chargé de recherche pour la Ciase

La Croix : La crise que traverse l’Église pose des questions plus profondes sur le rapport des catholiques au corps. De quoi sommes-nous héritiers ? Au XXe siècle, comment le rapport au corps change-t-il ?

Paul Airiau : Le XXe siècle est marqué par une prise en compte plus positive du corps dans le christianisme. Il n’est pas seulement un tombeau, comme le laissait entendre une pensée pessimiste, mais il a une fonction propre pour la croissance spirituelle et pour l’épanouissement de la personne.

Cette nouvelle valorisation s’observe dès la fin du XIXe siècle, en premier lieu dans l’intégration de la pratique sportive. Au début, certains milieux catholiques résistent à admettre qu’il puisse y avoir une beauté, une légitimité et même une recherche de performance dans l’action de la chair, mais cette dimension va l’emporter, d’autant qu’une telle vision rejoint la dimension de l’ascèse dans la vie chrétienne dont saint Paul parle en partant de l’image des athlètes s’entraînant au stade. Le sport s’inscrit ainsi dans la continuité d’une idée chrétienne très ancienne. S’appliquer à l’effort en bordant sa volonté, en renonçant à des satisfactions pour obtenir un but… Il véhicule une dimension presque pénitentielle facilement intégrable dans un discours chrétien.

Le christianisme est ainsi un des acteurs importants de la valorisation de l’effort physique par le biais du corps dans la société, au XXe siècle, en particulier à travers l’essor des patronages qui proposent de la gymnastique et d’autres pratiques sportives aux jeunes. La devise des Jeux olympiques – « citius, altius, fortius » (« plus vite, plus haut, plus fort ») est d’ailleurs inspirée par un dominicain, le père Didon, proche de Pierre de Coubertin.

L’autre domaine dans lequel on observe une revalorisation du corps à cette époque, c’est celui de la vie conjugale, en particulier dans sa dimension sexuelle, comme lieu de sainteté du couple.

La spiritualité conjugale est-elle une nouveauté au XXe siècle ?

  1. A. : C’est une tradition en réalité beaucoup plus ancienne (1). Dès les années 1620-1630, apparaît un discours inspiré par François de Sales (1567-1622), porté par des clercs mais aussi des laïcs qui prodiguent des conseils sur la manière de se sanctifier dans le mariage, et dans l’harmonie du corps – même si ce n’est pas dit aussi clairement.

Cette tradition est mise sous le boisseau après 1750, à la période dite du jansénisme, mais elle ne disparaît jamais totalement, d’autant qu’une partie des manuels du XVIIe siècle destinés aux couples sont réédités jusqu’au milieu du XIXe siècle ; et parce qu’elle va rencontrer la thématique de l’amour romantique qui est le propre de la modernité à partir des années 1750.

À quel moment est-ce formalisé sous le terme de spiritualité conjugale ?

 

  1. A. : De manière explicite, pas avant les années 1930-1940, avec l’abbé Viollet, puis avec l’abbé Caffarel, qui fonde la revue L’Anneau d’or et les Équipes Notre-Dame. C’est le moment où, très explicitement, est assumée par une partie des militants catholiques et du clergé, l’idée que le mariage étant un sacrement, le couple – et pas seulement la famille – est le lieu de réalisation de la sainteté des époux… Et que la relation sexuelle entre conjoints est elle aussi destinée à construire cette sainteté.

Dans les années 1920-1930 déjà, on repère ces thématiques en particulier dans des lettres adressées à l’abbé Viollet, le fondateur de l’Association du mariage chrétien (2) : des militants catholiques sont confrontés à la question de la limitation des naissances à une époque où le discours catholique est désormais nataliste – ce qui n’était pas tout à fait le cas précédemment. Ces catholiques témoignent du fait que ce qui est le propre du couple, ces moments d’intimité physique, sont bons pour leur vie de couple non pas seulement pour le plaisir qu’ils y prennent mais aussi pour leur équilibre psychologique, pour le renforcement de leur union spirituelle, etc.

L’Église, au fond, a vécu sa révolution sexuelle au XXe siècle ?

  1. A. : Elle a vécu une forme de révolution sexuelle qui n’est pas celle du reste de la société mais elle n’en a jamais été autonome de toute façon… Il y a des formes d’intégration de la jouissance dans le catholicisme dès les années 1930.

En quoi cette vision renouvelée du corps a-t-elle un impact sur la vie religieuse ?

  1. A. : L’impact est fort en ce sens que les religieux, célibataires et continents, sont exclus de la valorisation de la vie de couple marié. Or elle peut être mise au même niveau de réalisation de sainteté qu’une vie ascétique, pénitente et continente de religieux ou de prêtres. L’idée que le choix de la continence est une voie supérieure, privilégiée d’accès au salut est ainsi battue en brèche, alors qu’elle prédominait au moins depuis Tertullien (vers 220 après J.-C.). C’est la remise en cause d’une tradition bien ancrée, portée par les clercs…

Eux-mêmes, du reste, réinterrogent leur tradition de pratiques ascétiques et quasiment d’identités de genre dans les années 1960-70… Est-on vraiment homme et femme de ce temps en étant chaste et continent alors qu’on est religieux ? La consécration religieuse implique-t-elle une castration amoureuse ? Se développe la théorie de la « troisième voie ».

C’est-à-dire ?

  1. A. : C’est l’idée que le religieux s’engage à être continent mais que cela n’empêche pas d’être amoureux, et bien plus, que cette relation amoureuse doit servir à la croissance spirituelle. Il y a une sorte de « conjugalisation » de la vie religieuse : un religieux aura une religieuse dont il sera amoureux et réciproquement, et leur amitié amoureuse leur permettra de croître vers la sainteté. C’est à l’époque une manière de récupérer le discours sur la vie conjugale, ou tout un discours plus ancien sur l’amitié spirituelle, au profit de conditions nouvelles et d’équilibre psychologique individuel.

Ce qui permet aussi le passage à des pratiques sexuelles plus ou moins acceptées dans certains cas, avec cette idée que « Oui, on aura des échecs, on va coucher ensemble mais à terme on réussira à être un religieux et une religieuse continents, nous aimant chastement pour la gloire de Dieu ». Par exemple, dans les années 1980, un prêtre, à la fin d’une conférence sur la spiritualité conjugale, a vu venir à lui un prêtre et une religieuse, qui le remercièrent d’avoir mis des mots sur ce qu’ils vivaient. Ils étaient tombés amoureux et avaient en toute bonne conscience des relations sexuelles. Le fait même que le Saint-Siège ait rappelé fortement dans les années 1990 ce qu’est la continence religieuse dit bien qu’un problème se posait. Mais la théorisation la plus nette a été celle de « l’amour d’amitié » du père Marie-Dominique Philippe…

  

Mais avec le père Philippe, on parle d’abus…

  1. A. : Oui (même s’ils ne sont pas toujours vécus comme tels par les victimes). Et lorsque sœur Noëlle Hausman, théologienne spécialisée dans la vie consacrée, rappelle que le célibat consacré, par principe, n’est pas compatible avec une « troisième voie », et que la direction spirituelle est un lieu de potentiels abus, elle a parfaitement raison (3).

 

La direction spirituelle au cours de laquelle le prêtre se présente comme un révélateur ou un guérisseur de la féminité de la religieuse ou de la femme qu’il accompagne, c’est une source d’abus qu’on retrouve régulièrement dans les archives, par exemple chez les jésuites dès les années 1960. Ce n’est pas du tout limité aux communautés nouvelles.

Paul Airiau, un expert sollicité par la Commission Sauvé

Pendant deux ans, Paul Airiau a participé à l’équipe de recherche socio-historique de la Commission Sauvé sur les abus dans l’Église. Une plongée dans les archives ecclésiales et diocésaines qui lui a permis d’ « apprendre énormément » sur l’Église et son rapport à la sexualité, de confirmer aussi des intuitions nées de ses recherches antérieures.

Passionné par son sujet, cet agrégé et docteur en histoire de 51 ans s’est spécialisé dans la recherche sur l’identité sacerdotale aux XIXe-XXIe siècles, le catholicisme apocalyptique et les systèmes de croyance et de culture catholiques. Il a consacré sa thèse de doctorat au Séminaire français de Rome à l’époque de l’abbé le Floch (1904-1927), qui vit passer les futurs ténors du traditionalisme français. Il enseigne par ailleurs en classes préparatoires, au lycée Chaptal à Paris. Marié et père de neuf enfants, Paul Airiau est membre de la communauté Aïn Karem.

Henri Caffarel, un précurseur

  1. Naissance à Lyon.
  2. Ordination à Paris.
  3. Première rencontre des Équipes Notre-Dame (END), qu’il fonde pour répondre à l’appel de couples voulant vivre le sacrement de mariage. Il développe alors toute une théologie du mariage.
  4. Fondation de la revue L’Anneau d’Orsur la spiritualité conjugale. Il s’intéresse à la vie conjugale, mais surtout à la réalité de la vie spirituelle du couple, estimant que le mariage est un lieu de sainteté.
  5. Fondation de la revue Cahiers sur l’oraison.
  6. Il quitte de lui-même son service des END.
  7. Mort à Troussures (Oise) où il a fondé une « Maison de prière ».
  8. Ouverture de sa cause de béatification, qui sera déposée à la Congrégation des causes des saints à Rome en novembre 2014.

(1) Voir Agnès Walch, La Spiritualité conjugale dans le catholicisme français, XVIe-XXe siècle. Paris, Cerf, 2002

(2) Martine Sevegrand, L’Amour en toutes lettres. Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943), Paris, Albin Michel, 1996.

(3). Noëlle Hausman, « Former en prévenant les abus. Démaîtrise et responsabilité ecclésiale », Nouvelle revue théologique, 2018/1, p. 55-73

https://www.la-croix.com/Religion/Au-XXe-siecle-christianisme-fait-corps-lieu-saintete-epoux-2023-03-16-1201259393

AU XIXè SIECLE L'EGLISE CHERCHE A CONTRÔLER LA SEXUALITE, CARÊME 2023, CAREME, EGLISE CATHOLIQUE

AU XIXè siècle l’Eglise cherche à contrôler la sexualité

Caroline Muller, historienne :

« Au XIXe siècle, l’Église cherche à contrôler la sexualité »

Pendant le Carême, La Croix se penche sur l’histoire du christianisme et sur son rapport au corps. Cette semaine, Caroline Muller, historienne spécialiste du catholicisme et du genre à l’université Rennes 2, analyse le discours de l’Église sur le corps au XIXe siècle. Corps et âme (3/6)

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« Le principal moyen » de l’Église pour exercer un contrôle la sexualité des fidèles « est la confession », selon l’historienne Caroline Muller.DOMINIKA – STOCK.ADOBE.COM

 

La Croix : Au XIXe siècle, quel discours l’Église tient-elle sur la sexualité ?

Caroline Muller : Le dogme ne change pas. La sexualité détachée d’un but procréatif est condamnée au XIXe siècle, mais elle l’était déjà aux siècles précédents. La grande évolution concerne donc le discours délivré aux fidèles, c’est-à-dire la pastorale. Vers les années 1860-1870, on a clairement pris conscience que de nombreux couples, en particulier en France, régulent les naissances au sein de leur foyer. Les « funestes secrets » de la contraception – c’est-à-dire essentiellement la connaissance du coitus interruptus – se sont répandus et la société française connaît une évolution malthusienne avant les autres pays européens. Face à cette situation, Rome demande aux curés de rappeler quelles sont les exigences de l’Église sur ce point. On assiste donc à un très net durcissement pastoral sur la sexualité. Cela entraîne régulièrement des tensions avec les fidèles, car nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas qu’un prêtre leur dise ce qu’ils doivent faire dans leur chambre à coucher… Et qui ont encore moins envie de se conformer aux prescriptions !

Comment l’Église cherche-t-elle à exercer ce contrôle sur la sexualité des fidèles ?

  1. M. : Le principal moyen est la confession. On ne s’est jamais autant confessé qu’au XIXe siècle. Lorsqu’ils reçoivent les pénitents, les prêtres posent donc désormais un certain nombre de questions précises sur le comportement sexuel. L’enseignement de l’Église est rappelé à ceux qui l’enfreignent et des pénitences sont imposées. Puisque les hommes se confessent plus rarement et acceptent moins de se soumettre au prêtre, on développe aussi une pastorale spécifiquement masculine qui passe par des « causeries ». Le prêtre profite de discussions anodines, dans lesquelles il n’occupe pas une position d’autorité, pour prodiguer ses conseils… Enfin, la production d’écrits est un autre grand moyen employé par l’Église pour normer les comportements. Des dizaines de romans édifiants et de manuels de bonne conduite sont produits afin de promouvoir une culture catholique du corps.

Pourquoi ce contrôle de la sexualité a-t-il une si grande importance pour l’Église au XIXe siècle ?

  1. M. : On peut d’abord dire que l’Église se concentre sur la sphère de l’intime au moment où le pouvoir politique lui échappe. Cela est particulièrement vrai en France, et notamment sous la IIIeRépublique. Cependant, on peut aller plus loin en disant qu’existe un objectif de reconquête démographique. En incitant les familles catholiques à avoir beaucoup d’enfants, on espère que le catholicisme pourra à terme accroître son influence sur la société. Cependant, il ne faut pas imaginer que l’Église espère ainsi obtenir des vocations plus nombreuses. Au XIXesiècle, le nombre de clercs est largement suffisant pour couvrir les besoins. Le but est plutôt de favoriser la montée en puissance numérique des laïcs catholiques qui contribueront à faire évoluer la société dans un sens favorable à l’Église.

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Pour aller plus loin

Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello ont dirigé une très riche Histoire du corps en trois volumes, parue au Seuil entre 2005 et 2006. Cette somme contient, pour les différentes périodes de la Renaissance jusqu’à nos jours, des chapitres consacrés aux rapports que le christianisme entretient avec le corps.

Sur le discours de l’Église à propos de la sexualité au XIXe siècle, on lira avec profit l’ouvrage de Caroline Muller Au plus près des âmes et des corps (Puf, 2019), un livre qui se penche notamment sur les questionnements spirituels des hommes et ces femmes de ce temps à propos de leur vie intime.

https://www.la-croix.com/Religion/Caroline-Muller-historienne-XVIe-XVIIe-siecles-lEglise-cherche-controler-sexualite-2023-03-09-1201258439

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX EPHESIENS, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIER LIVRE DE SAMUEL, PSAUME 22

Dimanche 19 mars 2023 : 4ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 19 mars 2023 : 4ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – premier livre de Samuel 16,1b.6-7.10-13a

En ces jours-là,
1 le SEIGNEUR dit à Samuel :
« Prends une corne que tu rempliras d’huile, et pars !
Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem,
car j’ai vu parmi ses fils mon roi. »
6 Lorsqu’ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab,
il se dit :
« Sûrement, c’est lui le messie,
lui qui recevra l’onction du SEIGNEUR ! »
7 Mais le SEIGNEUR dit à Samuel :
« Ne considère pas son apparence ni sa haute taille,
car je l’ai écarté.
Dieu ne regarde pas comme les hommes :
les hommes regardent l’apparence,
mais le SEIGNEUR regarde le cœur. »
10 Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils,
et Samuel lui dit :
« Le SEIGNEUR n’a choisi aucun de ceux-là. »
11 Alors Samuel dit à Jessé :
« N’as-tu pas d’autres garçons ? »
Jessé répondit :
« Il reste encore le plus jeune,
il est en train de garder le troupeau. »
Alors Samuel dit à Jessé :
« Envoie-le chercher :
nous ne nous mettrons pas à table
tant qu’il ne sera pas arrivé. »
12 Jessé le fit donc venir :
le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau.
Le SEIGNEUR dit alors :
« Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! »
13 Samuel prit la corne pleine d’huile,
et lui donna l’onction au milieu de ses frères.
L’Esprit du SEIGNEUR s’empara de David à partir de ce jour-là.

LE MYSTERE DES CHOIX DE DIEU
Si je comprends bien, d’après ce texte, le grand prophète Samuel, lui-même, a dû apprendre à changer de regard. Chargé par Dieu de désigner le futur roi parmi les fils de Jessé à Bethléem, il n’avait que l’embarras du choix, apparemment. Jessé a commencé par appeler son fils aîné. Celui-ci s’appelait Eliav, il était grand et beau, il semblait digne de succéder au roi actuel, Saül. Mais non, Dieu fit savoir à Samuel que son choix ne se portait pas sur celui-là : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille… Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (verset 7).
Alors, de très bonne grâce, Jessé a fait défiler ses fils l’un après l’autre, par ordre d’âge, devant le prophète. Mais le choix de Dieu ne se porta sur aucun d’entre eux. Finalement, Jessé dut se décider à faire chercher le dernier, celui auquel personne n’avait pensé : David, dont la seule utilité était de garder le troupeau ; eh bien, justement, c’est celui-là que Dieu avait choisi pour garder son propre troupeau !
Visiblement, le récit biblique se plaît à souligner qu’une fois encore le choix de Dieu s’est porté sur le plus petit : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort », dira Saint Paul (1 Co 1,27) car « sa puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9). Voilà une bonne raison pour changer résolument de regard sur les hommes !
Au passage, ce texte nous apprend trois choses sur la conception de la royauté en Israël :
Premièrement, le roi est l’élu de Dieu : mais ce choix, comme toute vocation, est pour une mission. On retrouve à son niveau la même articulation que nous connaissons bien : comme le peuple d’Israël est élu de Dieu pour le service de l’humanité… de la même manière, le roi d’Israël est l’élu de Dieu pour le service du peuple. Cela peut vouloir dire le cas échéant, une possibilité de désaveu : c’est le cas pour le roi Saül ; si l’élu ne fait plus l’affaire, il sera remplacé ; manière, donc, de rappeler le roi à l’ordre, peut-être ; manière, peut-être aussi, pour les descendants de David, de justifier ce changement de dynastie.
Deuxièmement, le roi reçoit l’onction d’huile, il est littéralement le « messie », ce qui signifie « celui qui a été frotté d’huile ». Et visiblement, dans la suite, on a attaché beaucoup d’importance à ce rite d’onction puisque notre texte a l’air d’en faire l’élément majeur du récit : « Prends une corne que tu rempliras d’huile et pars ! Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem, dit Dieu à Samuel, car j’ai vu parmi ses fils mon roi.»
Troisièmement, cette onction confère au roi l’esprit de Dieu : « Samuel prit la corne pleine d’huile et donna l’onction à David au milieu de ses frères. L’Esprit du SEIGNEUR s’empara de David à partir de ce jour-là ». Le roi désormais est inspiré par Dieu en toutes circonstances, il devient une personne sacrée et il devient sur terre le « lieu-tenant » de Dieu au véritable sens du terme, c’est-à-dire « tenant-lieu ». Ce qui veut dire qu’il gouvernera le peuple, non selon l’esprit du monde, mais selon les vues de Dieu, qui n’ont rien à voir avec celles des hommes, comme on sait.
LES HOMMES REGARDENT L’APPARENCE… LE SEIGNEUR REGARDE LE COEUR
Je reviens sur le mystère des choix de Dieu : certains récits bibliques prennent un malin plaisir à faire remarquer que les choix de Dieu se portent souvent sur les plus petits : David n’était que le huitième des fils de Jessé et personne n’avait jamais songé à lui pour des emplois d’avenir ; il n’était sûrement pas vilain, puisque plus tard, il plaira beaucoup aux femmes, mais son frère aîné, Eliav, avait bien plus fière allure.
Moïse avait des difficultés à parler, semble-t-il, puisqu’il a cherché à se soustraire à l’appel de Dieu en disant : « Pardon, mon Seigneur, mais moi, je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur. (sous-entendu cela ne s’est pas arrangé depuis que tu me parles) ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! » (Ex 4,10). Certains en déduisent qu’il était bègue, ce qui n’est pas, à nos yeux, très indiqué pour un chef de peuple ! Le prophète Samuel (celui dont il est question dans cette lecture d’aujourd’hui) était tout jeune et inexpérimenté quand le Seigneur l’a appelé.
Jérémie était trop jeune lui aussi et il objecte : « Ah, SEIGNEUR mon Dieu ! vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! » (Jr 1,6). Timothée, le collaborateur de Paul, était de santé fragile puisque Paul parle de ses fréquentes faiblesses… Et l’on pourrait certainement allonger la liste. Quant au peuple d’Israël, choisi par Dieu pour être le peuple élu, associé à l’oeuvre de salut de l’humanité, c’était un peuple peu nombreux, et qui ne pouvait se targuer d’aucune vertu spéciale.
Ces choix de Dieu ne s’expliquent pas à vues humaines : mais, une fois de plus, c’est l’occasion de nous rappeler la phrase d’Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins – oracle du SEIGNEUR. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (Is 55,8-9). Notre texte d’aujourd’hui le dit à sa manière : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le cœur . » (1 S 16,7).
Voilà qui devrait éviter deux pièges à tous les envoyés de Dieu : le piège de la prétention comme celui du découragement. Car, apparemment, ce n’est pas une affaire de mérite, mais seulement de disponibilité. Aucun d’entre nous ne possède en lui-même les qualités ou les forces nécessaires, mais Dieu y pourvoira.

PSAUME – 22 (23),1-6

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

J’HABITERAI LA MAISON DU SEIGNEUR POUR LA DURÉE DE MES JOURS
Nous venons d’entendre ce psaume en entier : c’est donc l’un des plus courts du psautier ; mais il est d’une telle densité qu’il a pu être choisi par les premiers chrétiens comme psaume privilégié de la nuit pascale : cette nuit-là, les nouveaux baptisés, remontant de la cuve baptismale, chantaient le psaume 22/23 en se dirigeant vers le lieu de leur Confirmation et de leur première Eucharistie. Si bien qu’on en est venu à l’appeler le « psaume de l’initiation chrétienne ».
Si les Chrétiens ont pu y déchiffrer le mystère de la vie baptismale, c’est parce que déjà, pour Israël, ce psaume exprimait de manière privilégiée le mystère de la vie dans l’Alliance, de la vie dans l’intimité de Dieu. Ce mystère est celui du choix de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté ; chaque génération s’émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? …Il t’a été donné de voir tout cela… » (Dt 4,32… 35). A ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d’entrer le premier dans l’intimité de Dieu, non pas pour en jouir égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres.
Pour dire le bonheur du croyant, notre psaume 22/23 se réfère à deux expériences, celle d’un lévite (un prêtre) et celle d’un pèlerin.
Vous connaissez l’institution des lévites ; d’après le livre de la Genèse, Lévi était l’un des douze fils de Jacob, les mêmes qui ont donné leurs noms aux douze tribus d’Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n’a pas reçu de territoire, car elle est vouée au service du culte. On dit que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage ; image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (psaume 15/16,5)1. Les lévites habitent dispersés dans les villes des autres tribus, vivant des dîmes qui leur sont versées. A Jérusalem, ils sont consacrés au service du Temple. Notre lévite, ici, chante de tout son cœur  : « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du SEIGNEUR pour la durée de mes jours ». Cette expérience du lévite est une belle image de l’élection d’Israël : comme au sein du peuple, le lévite est heureux d’être consacré au service de Dieu, de la même manière, Israël est conscient de sa vocation particulière au sein de l’humanité.
Deuxième image, Israël se dépeint aussi sous les traits d’un pèlerin venu au Temple pour offrir un sacrifice d’action de grâce. Pendant son pèlerinage vers le Temple, il est comme une brebis : son berger c’est Dieu. On retrouve là un thème habituel dans la Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient couramment appelés les bergers du peuple et Israël emploie le même vocabulaire. Le roi idéal était souvent décrit comme un « bon berger » plein de sollicitude et de fermeté pour protéger son troupeau.
IL VEILLE SUR NOUS COMME SUR LA PRUNELLE DE SON OEIl
Mais ce qui était particulier en Israël c’est qu’on affirmait très fort que le seul vrai roi d’Israël c’est Dieu ; les rois de la terre ne sont que ses « lieutenants » (au sens étymologique de « tenant lieu »). De la même manière, le vrai bon berger d’Israël c’est Dieu, un berger attentif aux besoins véritables de son troupeau : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. » Le prophète Ezéchiel, par exemple, a longuement développé cette image.
Réciproquement, l’image du peuple d’Israël comme le troupeau de Dieu est très souvent développée dans l’Ancien Testament : « Oui, il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. » (Ps 94/95,7). Ce psaume est une méditation sur l’Exode et la sortie d’Egypte : c’est là qu’on a fait l’expérience première de la sollicitude de Dieu ; sans lui, on ne s’en serait jamais sortis ! C’est lui qui a rassemblé son peuple comme un troupeau et lui a permis de survivre malgré tous les obstacles.
Si bien que, lorsque Jésus a tranquillement affirmé « Je suis le Bon Pasteur », cela a fait l’effet d’une bombe ! Car, sous cette phrase anodine pour nous, ses interlocuteurs ont entendu : « Je suis le Roi-Messie, le vrai roi d’Israël », ce qui leur paraissait quand même bien audacieux.
Je reviens à notre psaume : on sait bien qu’un pèlerinage peut parfois être périlleux : en chemin, le pèlerin rencontre peut-être des ennemis (« Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » v.5) ; il frôlera peut-être même la mort (« Si je traverse les ravins de la mort » v.4) ; mais quoi qu’il arrive, il ne craint rien, Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure ».
Arrivé au Temple, le pèlerin accomplit le sacrifice d’action de grâce pour lequel il est venu, puis il prend part au repas rituel qui suit toujours le sacrifice d’action de grâce. Ce repas prend les allures d’une joyeuse festivité entre amis avec une « coupe débordante » dans l’odeur des « parfums » (v. 5).
On comprend que les premiers Chrétiens aient trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur expérience croyante : Jésus lui-même est le vrai berger (Jn 10) : par le Baptême, il les tire du ravin de la mort, les fait revivre en les menant vers les eaux tranquilles ; la table préparée, la coupe débordante disent le repas eucharistique ; le parfum sur la tête désigne la confirmation.
Une fois de plus, les Chrétiens découvrent avec émerveillement à quel point Jésus n’abolit pas, n’annule pas l’expérience croyante de son peuple, mais au contraire l’accomplit, lui donne toute sa dimension.
————–
Note
1 – C’est ce qui a inspiré le célèbre chant du « negro spiritual » : « Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , tu es mon héritage ; en toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, toi mon seul partage ».

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Ephésiens 5,8-14

Frères,
6 autrefois, vous étiez ténèbres ;
maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ;
conduisez-vous comme des enfants de lumière
7 – or la lumière
a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité –
8 et sachez reconnaître
ce qui est capable de plaire au Seigneur.
9 Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres,
elles ne produisent rien de bon ;
démasquez-les plutôt.
10 Ce que ces gens-là font en cachette,
on a honte même d’en parler.
11 Mais tout ce qui est démasqué
est rendu manifeste par la lumière,
14 et tout ce qui devient manifeste est lumière.
C’est pourquoi l’on dit :
Réveille-toi, ô toi qui dors,
relève-toi d’entre les morts,
et le Christ t’illuminera.

MAINTENANT, DANS LE SEIGNEUR, VOUS ÊTES LUMIÈRE
Bien souvent, dans les Ecritures, c’est la fin du texte qui en donne la clé. Je vous rappelle cette dernière phrase : « C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ». La formule d’introduction « C’est pourquoi l’on dit… » prouve bien que l’auteur n’invente pas le chant, il le cite. C’était certainement un (sinon le) cantique très habituel pour les cérémonies de baptême. « Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » était donc un cantique de nos premiers frères chrétiens ; ce qui, évidemment, ne peut pas nous laisser indifférents.
Du coup, nous comprenons mieux le début du texte que nous venons d’entendre : il est fait tout simplement pour expliquer les paroles de ce cantique ; comme si, à la sortie d’une célébration de baptême, quelques personnes étaient venues poser des questions au théologien de service, Paul en l’occurrence (ou l’un de ses disciples, car on n’est pas très sûrs que cette lettre soit de Paul lui-même) des questions du genre « Qu’est-ce que cela voulait dire, les paroles du chant qu’on a chanté tout-à-l’heure, pendant le baptême ? » Et Paul explique :
Grâce à votre baptême, une vie nouvelle a commencé, une vie radicalement neuve. A tel point que, à l’époque et encore aujourd’hui d’ailleurs, le nouveau baptisé s’appelait un « néophyte », ce qui veut dire « nouvelle plante ». Notre auteur explique donc le chant en disant : la nouvelle plante que vous êtes devenu est radicalement autre. Quand on fait une greffe, le fruit de l’arbre greffé est radicalement autre que celui du porte-greffe ; et c’est bien dans ce but précis que l’on fait une greffe, d’ailleurs ! Chaque printemps m’en donne un exemple : chaque année, dans un jardin que je connais, un rhododendron rouge profond fleurit sur un porte-greffe qui était primitivement violet ; mais certaines années, des fleurs violettes de l’arbre primitif, le porte-greffe, reviennent subrepticement ; évidemment, par la couleur, on distingue très facilement ce qui est fleur du nouvel arbre et ce qui est rejeton indésirable du porte-greffe.
Si je comprends bien, c’est exactement la même chose pour le Baptême : les fruits du nouvel arbre, entendez le baptisé, sont des activités de lumière ; avant la greffe (le baptême), vous étiez ténèbres, vos fruits étaient des activités de ténèbres. Et de la même manière qu’il arrive que des fleurs violettes apparaissent quand même encore sur le rhododendron, il arrive que vous soyez tentés de prendre part à vos activités antérieures ; alors il est important de savoir les reconnaître.
Pour notre auteur, la distinction est bien simple : les fruits du nouvel arbre, c’est tout ce qui est bonté, justice et charité. A l’inverse, ce qui n’est pas bonté, justice et charité est un rejeton indésirable de l’arbre ancien.
CONDUISEZ-VOUS COMME DES ENFANTS DE LUMIÈRE
Or qui peut vous faire produire des fruits de lumière ? Jésus-Christ : car il est toute bonté, toute justice, toute charité ; un peu comme une plante doit demeurer au soleil pour fleurir, offrez-vous à sa lumière ; l’expression de notre chant dit bien à la fois l’œuvre  du Christ et la participation de l’homme « Réveille-toi, relève-toi », c’est la liberté de l’homme qui est sollicitée. « Le Christ t’illuminera » : lui seul peut le faire.
Pour Saint Paul, à la suite de tous les prophètes de l’Ancien Testament la lumière est un attribut de Dieu ; et donc dire « Le Christ t’illuminera », c’est dire deux choses :
Premièrement que le Christ est Dieu ; deuxièmement que la seule manière pour nous d’être en harmonie avec Dieu c’est de vivre greffés sur Jésus-Christ, c’est-à-dire très concrètement dans la justice, la bonté, la charité. Comme dit Jésus, il ne s’agit pas de dire « Seigneur, Seigneur… » il s’agit de faire la volonté du Père, lequel a en souci tous ses enfants. Et là bien sûr, Saint Paul a certainement en mémoire le fameux texte d’Isaïe au chapitre 58 : « Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante (Saint Paul dirait « les activités des ténèbres »), si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. ». Et encore « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci :… partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore… et la gloire du SEIGNEUR fermera la marche. » (Is 58,9-10.7).
Il s’agit bien de la gloire du Seigneur, de la lumière du Seigneur que nous sommes invités à refléter ; comme le dit Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3,18). Le mot « refléter » dit bien que c’est le Christ qui est lumière et qui nous donne de refléter sa lumière.
Refléter la lumière du Christ, telle est la vocation des baptisés : c’est bien pourquoi un cierge allumé au cierge pascal nous est remis au baptême et à chaque renouvellement de notre profession de foi baptismale, dans la nuit de Pâques. Mais on le sait bien, une lumière ne brille pas pour elle-même : elle est faite pour éclairer ce qui l’entoure. Dans la lettre aux Philippiens, Paul disait déjà que nous sommes appelés à être des sources de lumière pour le monde. Voici cette phrase : « Faites tout sans récriminer et sans discuter ; ainsi vous serez irréprochables et purs, vous qui êtes des enfants de Dieu sans tache au milieu d’une génération tortueuse et pervertie où vous brillez comme les astres dans l’univers, en tenant ferme la parole de vie. » (Phi 2,14-16). C’est sa manière à lui de traduire la phrase de Jésus : « Vous êtes la lumière du monde ».
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Compléments
1 – « Faites tout sans récriminer et sans discuter » : ici, Paul fait certainement allusion aux « murmures », c’est-à-dire au manque de foi des Hébreux dans le désert. (Ex 17,1-7).
2 – On retrouve dans ce texte comme dans tant d’autres le thème des deux voies si cher à Paul comme à tous les Juifs : le même parallèle entre lumière et vie opposées aux ténèbres et à la mort.
3 – Pour que des formules baptismales aient eu le temps de se fixer et de devenir des cantiques connus de tous, au point qu’on puisse les citer en exemple, il a certainement fallu beaucoup de temps.
Nous avons donc ici un argument pour ceux, et ils sont nombreux, qui pensent que cette lettre aux Ephésiens n’est pas de Saint Paul : elle serait d’un de ses disciples. On sait que le procédé qui consiste à prolonger la pensée d’un auteur illustre en écrivant sous son nom était très courant à l’époque ; on appelle ce procédé la « pseudépigraphie ».
Ici, bien sûr, nous sommes dans le domaine des hypothèses et que la lettre aux Ephésiens soit de Paul lui-même ou d’un de ses disciples n’est pas le plus important : cela ne change rien à l’intérêt considérable qu’a toujours représenté pour l’Eglise chrétienne la lettre dite de Paul aux Ephésiens. De toute façon, si l’auteur n’est pas Paul lui-même, il en est extrêmement proche et par le contexte et par la doctrine.

EVANGILE – selon saint Jean 9, 1-41 (lecture brève)

En ce temps-là,
en sortant du Temple,
1 Jésus vit sur son passage
un homme aveugle de naissance.
6 Il cracha à terre
et, avec la salive, il fit de la boue ;
puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,
7 et lui dit :
« Va te laver à la piscine de Siloé »
– ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ;
quand il revint, il voyait.
8 Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant
– car il était mendiant –
dirent alors :
« N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
9 Les uns disaient :
« C’est lui. »
Les autres disaient :
« Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. »
Mais lui disait : « C’est bien moi. »
13 On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
14 Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue
et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir.
Il leur répondit :
« Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé,
et je vois. »
16 Parmi les pharisiens, certains disaient :
« Cet homme-là n’est pas de Dieu,
puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. »
D’autres disaient :
« Comment un homme pécheur
peut-il accomplir des signes pareils ? »
Ainsi donc ils étaient divisés.
17 Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle :
« Et toi, que dis-tu de lui,
puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »
Il dit : « C’est un prophète. »
34 Ils répliquèrent :
« Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance,
et tu nous fais la leçon ? »
Et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors.
Il le retrouva et lui dit :
« Crois-tu au Fils de l’homme ? »
36 Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
37 Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
38 Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

LE PIRE AVEUGLEMENT N’EST PAS CELUI QU’ON PENSE
On entend ici comme une illustration de ce que Saint Jean disait dès le début de son évangile, dans ce qu’on appelle « le Prologue » : « Le Verbe était la vraie Lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. » (Jn 1,9-10). C’est ce que l’on pourrait appeler le drame des évangiles. Mais Jean continue : « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. »
C’est exactement ce qui se passe ici : le drame de ceux qui s’opposent à Jésus et refusent obstinément de reconnaître en lui l’envoyé de Dieu ; mais aussi et heureusement, le salut de ceux qui ont le bonheur, la grâce d’ouvrir les yeux, comme notre aveugle, aujourd’hui.
Car Jean insiste bien pour nous faire comprendre qu’il y a deux sortes d’aveuglement : la cécité naturelle, qui est le lot de cet homme depuis sa naissance, et puis, beaucoup plus grave, l’aveuglement du cœur .
Lors de sa première rencontre avec l’aveugle, Jésus a fait le geste qui le guérit de sa cécité naturelle. Lors de sa deuxième rencontre, c’est le coeur de l’aveugle que Jésus ouvre à une autre lumière, la vraie lumière. D’ailleurs, vous l’avez remarqué, Jean se donne la peine de nous expliquer le sens du mot « Siloé » qui veut dire « Envoyé ». Or, dans d’autres cas semblables, il ne donne pas le sens des mots. Cela veut dire qu’il y attache une grande importance. Jésus est vraiment envoyé par le Père pour illuminer le monde de sa présence.
Mais une fois de plus, nous butons sur le même problème : comment se fait-il que celui qui était envoyé dans le monde pour y apporter la lumière de Dieu a été refusé, récusé, par ceux-là mêmes qui l’attendaient avec le plus de ferveur ? Et, en ces jours-là, plus que jamais, peut-être, puisque, si l’on en croit les chapitres précédents de l’évangile de Jean, l’épisode de l’aveugle-né s’est déroulé le lendemain de la fête des Tentes qui était la grande fête à Jérusalem et au cours de laquelle on évoquait à plusieurs reprises avec ferveur la venue du Messie.
LE DANGER DES CERTITUDES
On sait qu’au temps de Jésus cette impatience de la venue du Messie agitait tous les esprits. Il faut se mettre à la place des contemporains de Jésus : pour eux tout le problème était donc de savoir s’il était réellement « l’envoyé du Père »… celui que l’on attendait depuis des siècles, ou un imposteur ; c’est la grande question qui accompagnera toute la vie de Jésus : est-il le Messie, oui ou non ?
Or ce qui alimentait les discussions, c’était le côté paradoxal des faits et gestes de Jésus : d’une part, il accomplissait des oeuvres bonnes, qui sont bien celles qu’on attendait du Messie : on savait qu’il rendrait la vue aux aveugles justement, et la parole aux muets, et l’ouïe aux sourds. Mais il ne se préoccupait guère du sabbat, semble-t-il ; car cet épisode de l’aveugle-né s’est passé un jour de sabbat justement. Or si Jésus était l’envoyé de Dieu comme il le prétendait, il respecterait le sabbat, c’est évident.
Ce sont précisément ces « évidences » qui sont le problème : encore une fois, les Juifs du temps de Jésus attendaient le Messie, l’aveugle tout autant que l’ensemble du peuple et les autorités religieuses. Mais nombre d’entre eux avaient trop d’idées bien arrêtées sur ce qu’il est bien de faire ou dire et n’étaient pas prêts à l’inattendu de Dieu. L’aveugle, lui, en savait moins long : quand les Pharisiens lui demandent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répond simplement : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » C’est à ce moment-là que les Pharisiens se divisent : les uns disent : « Cet homme n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » A quoi d’autres répliquent : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? »
L’aveugle, lui, n’est pas empêtré dans des idées toutes faites : il leur répond tranquillement : « Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » (versets 31-33). Mais c’est toujours la même histoire : celui qui s’enferme dans ses certitudes ne peut même plus ouvrir les yeux ; tandis que celui qui fait un pas sur le chemin de la foi est prêt à accueillir la grâce qui s’offre ; alors il peut recevoir de Jésus la véritable lumière.
—————
Complément
Cet épisode de la guérison de l’aveugle-né se situe dans un contexte de polémique entre Jésus et les Pharisiens. A deux reprises, Jésus leur a reproché de « juger selon les apparences ». (Jn 7,24 ; 8,15). On comprend, de ce fait, le choix de la première lecture qui nous rapporte le choix de David et cette phrase : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7).

AUX XVIè ET XVIè SIECLES SOUFFRIR POUR GAGNER LE CIEL, CARÊME 2023, CAREME, EGLISE CATHOLIQUE

Aux XVIè et XVIIè siècles, souffrir pour gagne le ciel

Aux XVIe et XVIIe siècles, souffrir pour gagner le ciel

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Pendant le Carême, La Croix se penche sur l’histoire du christianisme et sur son rapport au corps. Cette semaine, les XVIe et XVIIe siècles, grande époque de l’exaltation de la souffrance. Corps et âme (3/6)

Au cours des siècles, le dogme de l’Incarnation a conféré une importance considérable au corps dans le christianisme.ELOÏSE

« Et homo factus est » – « Et il s’est fait homme » : en prononçant ces quelques mots du Credo, les chrétiens se souviennent que le Christ « a pris chair de la Vierge Marie ». Au cours des siècles, le dogme de l’Incarnation a ainsi conféré une importance considérable au corps dans le christianisme.

Sur ce sujet, une période singulière s’ouvre dans l’histoire de l’Église catholique à la fin du XVIe siècle et surtout au XVIIe siècle : c’est la grande époque d’une exaltation de la souffrance physique qu’on appellera plus tard « dolorisme ». L’atmosphère de Contre-Réforme y contribue assurément : en acceptant, voire en recherchant les tourments du corps, on témoigne en effet des vertus héroïques du catholicisme dont seraient privés les hérétiques protestants.

Éloigner les tentations et expier ses péchés

L’heure est donc à célébrer la douleur car elle est un moyen de s’approcher de Dieu. Il existe un triple fondement à cette idée. Souffrir est d’abord un moyen de dresser le corps afin d’éloigner les tentations. Les tourments endurés dans sa chair sont ensuite un moyen d’expier ses péchés pour gagner le Ciel. Enfin, l’Église insiste sur les incommensurables souffrances infligées à Jésus sur la croix ; de nombreux catholiques entendent donc vivre dans leur chair les douleurs endurées par le Christ. On souhaite « s’incorporer au Christ », pour reprendre les mots de l’historien Jacques Gélis (1).

Dans les siècles précédents, c’est le martyre qui permettait de participer pleinement à la Passion. Avec la fin de la Reconquista et l’épuisement de la croisade, les occasions de mourir pour la foi se font désormais rares. La mortification apparaît alors comme le moyen privilégié d’accompagner le Christ dans son supplice. Au « martyre rouge » se substitue le « martyre blanc » que l’on s’inflige à soi-même dans le secret.

Ascèse alimentaire, réveil en pleine nuit…

Les ouvrages de piété évoquent les multiples manières de se mortifier. On pratique l’ascèse alimentaire, en se privant de nombreux aliments. On porte une robe de bure qui irrite la peau, et le cilice qui fait couler le sang. On se couche à même la pierre, la terre battue. On se réveille en pleine nuit, aux heures où le démon rôde, pour se donner la discipline avec des verges. Pour éteindre le feu de la concupiscence, certains s’immergent dans l’eau glacée.

Au milieu du XVIIe siècle, le pénitent breton Pierre de Keriolet se jette ainsi dans une fosse ennoyée avant de marcher pendant des heures dans un froid glacial en portant ses vêtements humides. Précisons ici une chose : si des laïcs nombreux s’infligent des souffrances volontaires, ce sont les religieux qui poussent le plus loin les exigences de la mortification.

Le cas de Véronique Giuliani, religieuse italienne

Vouloir participer aux souffrances du Christ peut conduire à ce que les traces visibles de la Passion se manifestent dans le corps. Le XVIIe siècle est le grand siècle des stigmatisations. Plusieurs auteurs de l’époque les recensent, aboutissant à des chiffres qui vont d’une dizaine de cas à plus de trente. Cette multiplication des stigmatisations va de pair avec l’essor du courant mystique.

À la fin du XVIIe siècle, Véronique Giuliani, religieuse italienne de 33 ans – l’âge du Christ sur la croix – voit ainsi apparaître autour de sa tête un cercle rouge bosselé sur lequel se distinguent des taches en forme d’épines : c’est la couronne de la Passion. Quelques mois plus tard, le Vendredi saint de l’année 1697, le Christ lui apparaît. Il lui demande ce qu’elle désire, elle répond qu’elle souhaite être crucifiée avec lui. Les cinq plaies du Christ se forment alors sur son corps.

La souffrance comme extase

Un autre phénomène mystique dans lequel la souffrance physique occupe une place essentielle est caractéristique de la période : la transverbération. C’est ce qu’a connu Thérèse d’Avila (1515-1582). La carmélite raconte qu’un rayon de lumière ardente s’est enfoncé dans ses chairs comme une lame. « La suavité de cette immense douleur, note sainte Thérèse, est si excessive qu’on ne peut désirer qu’elle s’apaise. » La souffrance, chez la mystique espagnole, participe à l’extase.

Dans certains cas, transverbération et stigmatisation vont de pair. C’est ce qui arrive à la mère Marie-Magdelaine de la Très Sainte Trinité. Son biographe, le père Piny, écrit que son corps, marqué comme l’est celui du Christ, fait d’elle « une copie achevée de lui-même quand il fut cloué sur la croix ». Suprême accomplissement.

Tout ce qui affaiblit le corps élève l’âme

L’exaltation de la souffrance conduit aussi à regarder positivement la maladie. Elle permet d’abord de se préserver de la faute. Le jansénisme, spécialement intransigeant dans ses exigences morales, contribue à cette valorisation des pathologies du corps. Antoine Arnauld, l’un des principaux chefs de file de ce courant, explique ainsi doctement que « le feu brûlant d’une fièvre éteint un autre feu plus brûlant qui est celui des passions ». Dans le combat entre le corps et l’âme, tout ce qui affaiblit le premier élève la seconde.

Parmi les maladies, il en est une qui occupe une place particulière : la tumeur. Face à elle, la médecine du temps est absolument démunie alors que l’on sait qu’elle entraînera d’épouvantables souffrances et une mort certaine. Elle est, pour cela, parfois regardée comme un signe d’élection. En envoyant ce mal, Dieu a manifesté sa confiance dans la capacité du fidèle à supporter l’épreuve.

Apaiser les douleurs du prochain

Une multitude de biographies spirituelles du XVIIe siècle évoquent les exemples édifiants de religieuses qui supportent dans le secret les affres d’un « ulcère malin » qu’on ne découvre qu’après leur mort, lorsque l’on procède à la toilette du corps. Endurer beaucoup – et en silence – est un moyen efficace de gagner le Paradis. L’Église en est convaincue : la souffrance participe du salut.

Reste que le catholicisme du XVIIe siècle ne se résume pas à cette apologie des tourments du corps. En 1633 sont fondées les Filles de la Charité par saint Vincent de Paul. Selon lui, les religieuses doivent se rendre « dix fois le jour » auprès des malades pour chaque fois y trouver Dieu. La tâche du chrétien, cette fois, n’est pas d’exalter sa propre souffrance, mais d’apaiser les douleurs du prochain. Sans doute ce visage du catholicisme de jadis nous convient-il davantage aujourd’hui…

(1) Histoire du corps dirigée par Georges Vigarello, Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine (3 volumes), Éd du Seuil, 2005-2006.

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Caême : au MoyenÂge, les moines se soumettent à des pratiques austères

 « Au Moyen Âge, les moines se soumettent à des pratiques austères »

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Entretien 

Cécile CabyHistorienneLes pratiques monastiques mettent l’accent sur une ascèse renforcée, explique cette professeure en histoire médiévale à Sorbonne Université.

Carême 2023 : corps et âme

Épisode 4/12

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La Croix : Comment le corps est-il considéré dans la tradition monastique ?

Cécile Caby : Au Moyen Âge, le corps n’est pas totalement méprisé. Il est inséparable de l’âme. Le dévaloriser conduirait à nier l’incarnation du Christ. Mais le corps doit être discipliné par l’ascèse. Pour se consacrer entièrement à Dieu, le moine doit se libérer des passions et renoncer aux biens de ce monde. Les règles et les constitutions monastiques encadrent les moindres faits et gestes du moine : sa prière et son travail, son alimentation, son sommeil, sa santé, ses pratiques de mortifications…

En quoi consistent ces pratiques ?

  1. C. : Elles se développent dans un contexte particulier. Face au « monachisme relâché » des moines de Cluny, de nouveaux ordres plus rigoristes sont apparus aux XIe et XIIe siècles : les cisterciens, les chartreux, les chanoines réguliers de Prémontré. Ils défendent un retour aux sources et mettent l’accent sur l’austérité. Certains moines et surtout ermites pratiquent la flagellation, le port de vêtements rugueux ou qui blessent le corps : des fers, des chaînes, de lourdes cuirasses (la lorica). Mais ces pratiques doivent rester dans les limites de la discretio, c’est-à-dire de la modération, car il ne faudrait pas que le moine s’enorgueillisse d’un exploit personnel.

Quelle place occupe l’alimentation dans l’ascèse ?

  1. C. : Elle est l’objet de multiples polémiques, car elle est un indicateur du degré d’ascèse de la communauté. Les débats se cristallisent sur l’abstinence de viande, qui a été instaurée par saint Benoît pour prendre le contrepied de l’aristocratie, grande consommatrice de mets carnés. Les chartreux l’éliminent totalement de leur alimentation. Certains monastères interdisent la cuisine avec les graisses animales, comme le saindoux. Les restrictions s’appliquent aussi au nombre de repas, au vin et à la richesse des aliments. Les plus austères maintiennent les restrictions même en cas de maladie ou de travaux pénibles.

Quelle attention est portée au travail physique ?

  1. C. : L’activité principale du moine, c’est la prière. Même chez les cisterciens, le travail manuel est envisagé comme une peine, un labeur, autrement dit comme une mortification, qui trouve sa source dans le Livre de la Genèse (3, 19) : « À la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain. »La fameuse devise « ora et labora »(« prie et travaille »), qui ne figure pas sous cette forme dans la Règle de saint Benoît, doit beaucoup… au XIXe siècle.

Qu’en est-il de la chasteté ?

  1. C. : Elle est valorisée. Parce qu’il est chaste et vierge, le moine est comparable à un agneau immaculé – un être supérieur, plus proche de Dieu. Depuis le XIe siècle, cet idéal monastique s’est étendu au clergé, dont le mariage ou le concubinage sont interdits. Cette austérité, et les transgressions qu’elle suscite, sont raillées dans les récits satiriques qui mettent en scène la figure du moine glouton et luxurieux.

Cette ascèse s’applique-t-elle aux moniales ?

  1. C. : Le corps des femmes est le grand impensé de l’époque. Héloïse, devenue abbesse, reproche à Abélard des règlements conçus par des hommes pour des hommes. Elle pointe l’inadéquation des vêtements, l’absence de prise en compte des règles… Les femmes, plus sujettes, pense-t-on, aux assauts du démon, disparaissent sous le voile et derrière les grilles et les murs de la plus stricte clôture monastique.

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Carême : le Moyen Âge, entre corps humilié et corps glorifié

Carême : le Moyen Âge, entre corps humilié et corps glorifié

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Pendant le Carême, La Croix se penche sur l’histoire du christianisme et sur son rapport au corps. Cette semaine, les ambivalences du corps au XIIIe siècle.

Carême 2023 : corps et âme

Épisode 3/12

 

« La dynamique de la société et de la civilisation médiévales résulte de tensions. (…) L’une des principales est celle entre le corps et l’âme. Et plus encore à l’intérieur du corps lui-même », explique l’historien Jacques Le Goff (1). Il y a d’un côté « le corps méprisé, condamné, humilié », marqué par le péché, qui doit être mortifié par la pénitence (lire l’entretien) ; et de l’autre côté le « corps glorifié » par l’incarnation du Christ et promis à la résurrection.

Deux hautes figures du XIIIe siècle personnifient, selon Jacques Le Goff, cette « oscillation » entre « refoulement et exaltation ». L’ascétique roi saint Louis, affligé de ne pouvoir recevoir le « don des larmes » de dévotion et de repentir, qui marche de long en large dans sa chambre pour calmer ses pulsions charnelles. Et saint François d’Assise, le « jongleur de Dieu », prêchant « la joie et le rire », qui célèbre « frère corps » et reçoit « comme une récompense » les stigmates qui l’identifient au Christ souffrant sa Passion.

Pratiquer la charité

L’attention au corps souffrant du prochain est portée dans les prédications des ordres mendiants fondés au XIIIe siècle par saint François d’Assise et saint Dominique. La conversion personnelle, prêchée dans les églises, sur les places et sur les routes, se traduit notamment par la pratique des « œuvres de miséricorde » envers le corps des souffrants, explique l’historienne médiéviste Nicole Bériou.

Le Jugement dernier, rappellent les prédicateurs, s’opérera à partir du chapitre 25 de l’Évangile selon saint Matthieu dans lequel le Christ se manifeste par l’affamé, l’assoiffé, l’étranger, le dénudé, le malade, le prisonnier… « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, dit Jésus, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Mais la charité dépasse le cadre individuel et concerne la société tout entière. « La caritas, première des vertus théologales, ainsi que l’infirmitas, souvent associée à la pauvreté et à la maladie, vont constituer de puissants leviers à la naissance de l’hôpital médiéval, lieu public et gratuit de la charité », explique Jacques Le Goff. Chaque malade doit être traité « comme le seigneur de la maison », dispose l’article 21 des « statuts d’hôtels-Dieu et de léproseries » du XIIIe siècle.

 « En tant que maisons d’accueil fondées et gérées à l’origine par des autorités religieuses, les hôpitaux répondaient à ce devoir de charité en offrant les soins spirituels, matériels et corporels aux plus démunis, détaille l’archéologue Laura Gagnard (2). Ils constituaient ainsi des communautés de soignants et de patients vivant ensemble au quotidien avec comme horizon l’obtention du salut, les uns en tant que personnes charitables offrant une partie de leurs biens ou de leur temps aux nécessiteux, les autres en tant que pauperes Christi assimilés au Christ. Les indigents se partageaient ainsi les lits disponibles avec les malades et les peregrini (pèlerins et voyageurs), tandis que le personnel, religieux ou laïque, salarié ou bénévole, s’engageait au dévouement et à une régularité religieuse. »

Toutefois, le chrétien est forcément confronté dans sa chair aux « tribulations » (maladie, vieillesse, revers de fortune…), explique Nicole Bériou. Le croyant est appelé à « cultiver les grandes vertus de patience et de persévérance » dont a fait preuve le Christ durant sa Passion. Ces vertus sont particulièrement glorifiées dans les récits de vie et de martyre des saints, compilés par le dominicain Jacques de Voragine dans la célèbre Légende dorée. Saint Dominique lui-même, quand il prêche pour obtenir la conversion des hérétiques albigeois, rêve d’endurer les plus grands supplices pour son Seigneur Jésus-Christ…

Spéculations sur la résurrection des corps

Le corps dans tous ses états, charnel ou spirituel, nourrit l’imaginaire médiéval. L’âme est représentée sous la forme d’un petit corps qui s’échappe de la bouche des mourants. Les anges les recueillent dans leur bras pour les emmener au Paradis, souligne la médiéviste. C’est sous la forme d’un corps soumis à de très rudes tourments que sont représentées les âmes du purgatoire. Les sermons de la Fête des morts, le 2 novembre, exhortent les chrétiens à pratiquer la charité en priant pour libérer ces pauvres âmes du purgatoire et leur donner d’accéder au « chemin de Paradis ».

Les spéculations sur la résurrection des corps excitent les esprits. Les prédicateurs, en vulgarisant les articles du Credo, esquissent ce que sera le corps dans la gloire divine. Selon eux, les corps ressusciteront avec leur corps âgé de 33 ans (âge du Christ à sa mort) et seront dotés de capacités extraordinaires : la luminosité (ils ont un éclat particulier), la subtilité (ils peuvent traverser les murs), l’agilité (qui s’oppose à la lourdeur des corps terriens), l’impassibilité (ils ne sentent plus la souffrance). « Les sermons rappellent au fidèle qu’ils sont destinés à connaître cette expérience éternelle au moment de la résurrection finale, où l’âme reviendra dans le corps transformé », explique Nicole Bériou.

Éduquer le plaisir pour l’accomplissement de la vertu

Faut-il conclure que le Moyen Âge abolit toute notion de plaisir en ce monde ? Dans le registre amoureux, les maladies, la guerre, la rudesse de la vie quotidienne « laissent peu de place à la romance », pointe Jacques Le Goff. La poésie d’amour courtois ou Le Roman de la rose sont cependant imprégnés de façon plus ou moins explicite, de « volupté », de « licence », et d’« érotisme ». Pour l’Église, la sexualité ne peut s’exprimer que dans le cadre du mariage. Elle est ordonnée à la procréation.

Sous l’influence de la philosophie d’Aristote, diffusée par les penseurs arabo-musulmans et traduite en latin, le plaisir est considéré de façon positive, à partir du moment où il s’exerce dans la mesure et la sobriété et qu’il ne cède pas à la tentation du vice et de la luxure. « Le dominicain saint Thomas d’Aquin place au cœur de sa Somme théologique une réflexion sur le plaisir, indique Nicole Bériou. Le plaisir, dit-il, fait partie de la condition humaine.Éduqué, il devient l’instrument d’un accomplissement de la vertu. »

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Au XIIIe siècle, la spiritualité chrétienne valorise le corps souffrant

En 1224, saint François d’Assise est le premier stigmatisé de l’histoire. Ces stigmates traduisent un besoin croissant des chrétiens de s’identifier au Christ souffrant.

En 1238, le futur Saint Louis achète à grands frais la couronne d’épines, qui a une connotation plus doloriste que les habituelles reliques de la « vraie Croix ».

Vers 1250 : Premières images du Christ souffrant dans les couvents franciscains et dominicains de Toscane. Elles remplaceront très vite les crucifixions montrant un Christ en Croix glorieux et paisible. Les scènes de la Passion se multiplient dans l’art.

(1) Auteur avec Nicolas Truong d’Une histoire du corps au Moyen Âge, Éd. Liana Levi, 240 p., 10 €.

(2) « Les hôpitaux de Rennes et leurs cimetières (XIe-XVIe siècle) : gestion de la pauvreté, de la maladie et de la mort », publié dans les Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 2018 (n° 125-

  

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Sexualité, femmes et péché originnel selon saint Augustin

Sexualité, femmes, péché originel :

 qu’en dit vraiment saint Augustin ?

Saint Augustin (354-430), évêque, père et docteur de l’Église, est réputé pour sa vision méprisante du corps, de la sexualité et des femmes dans sa lecture du péché originel. Selon Jean-Marie Salamito, historien, spécialiste du christianisme antique, il a au contraire revalorisé le corps et combattu certaines injustices faites aux femmes.

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Fresque de saint Augustin dans l’abbaye de Klosterneuburg, au nord de Vienne en Autriche.RENÁTA SEDMÁKOVÁ – STOCK.ADOB

Carême 2023 : corps et âme

Épisode 2/12

 

La Croix : On présente souvent Augustin comme l’inventeur de la notion de péché originel, avec une vision très pessimiste du corps. Qu’en est-il réellement ?

Jean-Marie Salamito : Augustin n’accuse pas le corps. Il dit avec une très belle formule que « ce n’est pas la chair corruptible qui a rendu l’âme pécheresse. C’est l’âme pécheresse qui a rendu la chair corruptible » (La Cité de Dieu, livre 14, chapitre 3). Augustin, qui a été manichéen avant de devenir chrétien, réhabilite en chrétien la chair que le manichéisme condamnait. Pour lui, mépriser le corps, c’est faire insulte au Créateur, car ce que celui-ci crée est toujours bon. Ainsi, même la nature du diable est bonne, puisqu’il a été créé par Dieu. Ce qui est en cause, c’est sa volonté, pas sa nature. « Il ne faut pas qu’à propos de nos péchés et de nos vices nous fassions injure au Créateur en accusant la nature de la chair », écrit-il également dans La Cité de Dieu (livre 14, chapitre 5).

Au XVIIIe siècle, le jansénisme, radicalement pessimiste, a noirci l’image de saint Augustin. Ce qui est vrai, c’est qu’Augustin a été amené à développer sa pensée en opposition à des adversaires, ce qui a pu le conduire à durcir ses positions à certains moments. Et les jansénistes ont abusivement privilégié certains ouvrages, en les coupant de l’ensemble de sa pensée. Mais c’est là une erreur de perspective, et même une trahison.

Quel regard porte-t-il sur les femmes ?

J.-M. S. : Dans l’Antiquité, les chrétiens ont découvert que les femmes étaient au moins aussi courageuses que les hommes quand il s’agissait de subir le martyre. D’un autre côté, il y a la figure de Marie, dont la grandeur rejaillit sur toutes les femmes. Augustin s’écrie : « Femmes, ne vous méprisez pas vous-mêmes : le Fils de Dieu est né d’une femme ! » (Le Combat chrétien, chapitre 9). La virginité corporelle de Marie est importante comme signe de la virginité du cœur.

On trouve d’ailleurs chez Augustin une réflexion sur le viol, qui l’amène à distinguer virginité physique et virginité de l’esprit. Il développe notamment cela dans le premier livre de La Cité de Dieu. Il a été confronté au sac de Rome par les Wisigoths, du 24 au 26 août 410. Ce fut un très grand traumatisme, une violence au cœur même de l’Empire romain. Il y a eu des viols, notamment de chrétiennes, vierges consacrées. Des païens, se souvenant du suicide de Lucrèce, après qu’elle a été violée par son neveu, se demandent pourquoi ces chrétiennes ne se sont pas donné la mort. Augustin dit qu’il n’y a aucune raison qu’elles le fassent car ce qu’elles ont subi, elles ne l’ont pas approuvé. L’idée d’Augustin est qu’on peut avoir perdu sa virginité physique et gardé sa chasteté. Il sort ainsi d’un point de vue masculin qui tend à une extrême injustice vis-à-vis des femmes.

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