ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE DU PROPHETE EZECHIEL, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 129

Dimanche 26 mars 2026 ; 5ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 26 mars 2023 : 5ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Ézékiel 37,12-14

12 Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu.
Je vais ouvrir vos tombeaux
et je vous en ferai remonter,
ô mon peuple,
et je vous ramènerai sur la terre d’Israël.
13 Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR,
quand j’ouvrirai vos tombeaux
et vous en ferai remonter,
ô mon peuple !
14 Je mettrai en vous mon esprit,
et vous vivrez ;
je vous donnerai le repos sur votre terre.
Alors vous saurez que Je suis le SEIGNEUR :
J’ai parlé
et je le ferai.
– Oracle du SEIGNEUR.

DIEU N’ABANDONNERA JAMAIS SON PEUPLE
Ce texte est très court mais on voit bien qu’il forme une entité : il est encadré par deux expressions similaires ; au début « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu », à la fin « Parole du SEIGNEUR ». Un cadre qui a évidemment pour but de solenniser ce qui est encadré. Chaque fois qu’un prophète juge utile de repréciser qu’il parle de la part du SEIGNEUR, c’est parce que son message est particulièrement important et difficile à entendre.
Le message d’aujourd’hui, c’est donc ce qui est encadré : c’est une promesse répétée deux fois et adressée au peuple de Dieu, puisque Dieu dit « ô mon peuple » ; les deux fois, la promesse porte sur deux points : premièrement « je vais ouvrir vos tombeaux », deuxièmement « je vous ramènerai sur la terre d’Israël », ou « Je vous donnerai le repos sur votre terre », ce qui revient au même. Ces expressions nous permettent de situer le contexte historique : le peuple est en exil à Babylone, réduit à la merci des Babyloniens, il est anéanti (au vrai sens du terme, réduit à néant), comme mort, c’est pourquoi Dieu parle de tombeaux.
Et donc l’expression « je vais ouvrir vos tombeaux » signifie que Dieu va relever son peuple. Si vous avez la curiosité de vous reporter à votre Bible, au chapitre 37 d’Ezékiel, vous verrez que notre petit texte d’aujourd’hui fait suite à une vision du prophète qu’on appelle « la vision des ossements desséchés » et il en donne l’explication. Je vous rappelle cette vision : le prophète voit une immense armée morte, gisant dans la poussière ; et Dieu lui dit : tes frères sont tellement désespérés dans leur Exil qu’ils se disent morts, finis… eh bien, moi, Dieu, je les relèverai.
Et toute cette vision et son explication que nous avons lue aujourd’hui, évoquent cette captivité du peuple exilé et son relèvement par Dieu. Car, pour le prophète Ezékiel, c’est une certitude : le peuple ne peut pas être éliminé parce que Dieu lui a promis une Alliance éternelle que rien ne pourra détruire ; donc, quelles que soient les défaites, les brisures, les épreuves, on sait que le peuple survivra et qu’il retrouvera sa terre, parce qu’elle fait partie de la promesse. « Je vais ouvrir vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur la terre d’Israël » : au fond ces phrases n’ont rien d’étonnant : depuis toujours, le peuple d’Israël sait que son Dieu est fidèle ; et l’expression « Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR » dit justement que c’est à sa fidélité à ses promesses que l’on reconnaît le vrai Dieu.
Mais pourquoi répéter deux fois à peu près les mêmes choses ? A dire vrai, la deuxième promesse ne se contente pas de répéter la première, elle l’amplifie : elle redit bien « J’ouvrirai vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je vous donnerai le repos sur votre terre, et vous saurez que je suis le SEIGNEUR » et tout cela au fond c’est le retour à l’état antérieur avant le désastre de l’exil à Babylone ; mais dans cette deuxième promesse, il y a autre chose, il y a beaucoup plus, il y a du neuf, du jamais vu : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » ; c’est la nouvelle Alliance qui est dite là : désormais la loi d’amour sera inscrite non plus sur des tables de pierre, mais dans les cœurs . Ou pour reprendre une autre formule d’Ezékiel, les cœurs  humains ne seront plus de pierre mais de chair.
JE METTRAI EN VOUS MON ESPRIT ET VOUS VIVREZ
Ici, donc, il n’y a pas d’hésitation possible, la répétition de la formule « ô mon peuple » montre clairement que ces deux promesses annoncent un sursaut, une restauration du peuple. Il n’est pas question ici d’une résurrection individuelle : pas plus qu’aucun des prophètes de son époque, Ezéchiel n’envisage encore une chose pareille. En fait, le peuple d’Israël n’a découvert la foi en la Résurrection qu’au deuxième siècle av.J.C. Jusque-là, on affirmait que les morts descendent au « Shéol » ; un lieu sombre dont on ne sait rien ; mais aussi curieux que cela nous paraisse aujourd’hui, c’est un sujet dont on se préoccupait peu. Car la mort individuelle n’atteint pas l’avenir du peuple ; or, pendant bien longtemps, c’est l’avenir du peuple, et lui seul, qui comptait. Quand quelqu’un mourait, on disait qu’il était « couché avec ses pères », mais on n’envisageait pas de survie possible ; en revanche la survie du peuple a toujours été une certitude puisque le peuple est porteur des promesses de Dieu. On peut dire que, pendant des siècles, on s’est intéressé au lendemain du peuple et non à celui de l’individu.
Pour croire en la Résurrection individuelle, il faut combiner deux éléments : d’abord s’intéresser au sort de l’individu : ce qui n’était pas le cas au début de l’histoire biblique : l’intérêt pour le sort de l’individu est une conquête, un progrès tardif. Ensuite, un deuxième élément est indispensable pour que naisse la foi en la Résurrection : il faut croire en un Dieu qui ne vous abandonne pas à la mort.
Cette certitude que Dieu n’abandonne jamais l’homme n’est pas née d’un coup ; elle s’est développée au rythme des événements concrets de l’histoire du peuple élu. L’expérience historique de l’Alliance est ce qui nourrit la foi d’Israël. Or l’expérience d’Israël est celle d’un Dieu qui libère l’homme, qui veut l’homme libre de toute servitude, qui intervient sans cesse pour le libérer ; un Dieu fidèle qui ne se reprend jamais. C’est cette foi qui guide toutes les découvertes d’Israël ; elle en est le moteur.
Quatre siècles après Ezékiel, vers 165 av. J.C., ces deux éléments conjugués, foi en un Dieu qui libère sans cesse l’homme, découverte de la valeur de toute personne humaine, ont abouti à la foi en la résurrection individuelle ; au terme de cette double évolution, il est apparu évident que Dieu libèrera l’individu de l’esclavage le plus terrible, définitif de la mort. Cette découverte est si tardive dans le peuple juif qu’au temps du Christ, cette foi n’était pas encore partagée par tout le monde puisqu’on désignait les Sadducéens par cette précision « ceux qui ne croient pas à la résurrection ».
Il n’est bien sûr pas interdit de penser que la prophétie d’Ezéchiel dépassait sa propre pensée sans qu’il le sache lui-même ; l’Esprit de Dieu parlait par sa bouche et maintenant nous pouvons penser « Ezéchiel ne savait pas si bien dire ».

PSAUME – 129 (130),1-8

1 Des profondeurs je crie vers toi, SEIGNEUR,
2 Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

3 Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR,
Seigneur, qui subsistera ?
4 Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

5 J’espère le SEIGNEUR de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
6 Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

7 Oui, près du SEIGNEUR, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
8 C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

PRÈS DE TOI SE TROUVE LE PARDON
Il y a dans le psautier un ensemble de quinze psaumes qui portent un nom particulier : chacun d’eux commence par ces mots « cantique des montées ». En hébreu, le verbe « monter » est employé pour dire « Aller à Jérusalem en pèlerinage ».
Dans les Evangiles, d’ailleurs, l’expression « monter à Jérusalem » apparaît plusieurs fois dans le même sens : elle évoque le pèlerinage pour les trois fêtes annuelles et, en particulier, la plus importante d’entre elles, la fête des Tentes.
Ces quinze psaumes, donc, accompagnaient l’ensemble du pèlerinage. Avant même d’arriver à Jérusalem, ils évoquaient par avance le déroulement de la fête. Pour certains, on peut même deviner à quel moment du pèlerinage ils étaient chantés ; par exemple, le psaume 121 (122) « J’étais dans la joie quand je suis parti vers la maison du SEIGNEUR… maintenant, nous voici devant tes portes, Jérusalem… » était probablement le psaume de l’arrivée.1
Le psaume 129 (130) est donc l’un de ces cantiques des Montées ; il était probablement chanté pendant la fête des Tentes (l’une des trois grandes fêtes de pèlerinage), à l’automne, au cours d’une cérémonie pénitentielle. C’est pourquoi le vocabulaire de la faute et du pardon est relativement important dans ce psaume. « Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR, Seigneur, qui subsistera ? »
Le pécheur qui parle ici, et qui supplie, certain déjà d’être pardonné, c’est le peuple qui reconnaît à la fois l’infinie bonté de Dieu, son inlassable fidélité (sa « Hessed ») et l’incapacité foncière de l’homme à répondre à l’Alliance. Ces infidélités répétées à l’Alliance sont vécues comme une véritable « mort spirituelle » : « Des profondeurs, je crie vers Toi » ; mais ce cri s’adresse à celui dont l’Etre même est le Pardon : c’est le sens de l’expression « Près de toi est le pardon ».
Dieu est Amour et Il est Don, c’est la même chose ; or le « Par-Don » n’est pas autre chose : c’est le don « par-delà ». Pardonner, c’est continuer à proposer une Alliance, un avenir possible, au-delà des infidélités de l’autre. Rappelez-vous l’histoire de David : après le meurtre du mari de Bethsabée par le roi, le prophète Natan lui avait annoncé le pardon de Dieu avant même que David ait eu le temps d’exprimer la moindre parole de regret, ni le moindre aveu.
Curieusement, cette idée que Dieu pardonne toujours n’est pas du goût de tout le monde ; mais pourtant, incontestablement, c’est l’une des affirmations majeures de la Bible, et ce dès l’Ancien Testament. Et Jésus reprend avec force le même enseignement : par exemple, dans la parabole de l’enfant prodigue, chez Luc (chapitre 15), le père est là sur le chemin à attendre son fils (ce qui prouve qu’il lui a déjà pardonné) et il lui ouvre les bras avant que le fils, lui, ait ouvert la bouche. Et l’exemple du pardon de Dieu absolument gratuit nous est donné par Jésus lui-même sur la croix : ceux qui sont en train de le tuer n’ont pas eu la moindre parole de repentir et pourtant, il dit bien « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
MON ÂME ATTEND LE SEIGNEUR PLUS QU’UN VEILLEUR NE GUETTE L’AURORE.
C’est dans son pardon, précisément, nous dit la Bible, que Dieu révèle sa puissance. Cela encore, c’est une des grandes découvertes d’Israël ; vous connaissez cette phrase du livre de la Sagesse : « Ta force (Seigneur) est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose… toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement. » L’idée, c’est que quelqu’un dont le pouvoir est incontesté n’a pas besoin de l’étaler. (Sg 12,16.18).
Certains craignent que l’annonce de la miséricorde de Dieu incite au laisser-aller ; à mon avis c’est le contraire : une fois qu’on est vraiment convaincus de la tendresse et du pardon inconditionnel de Dieu, on a envie d’y correspondre et d’essayer de lui ressembler. Donc la certitude de la « miséricorde » de Dieu n’engendre chez le croyant ni présomption ni indifférence au péché, mais reconnaissance humble et émerveillée.
« Près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne » : cette formule très ramassée dit quelle doit être l’attitude du croyant face à ce Dieu qui n’est que don et pardon. Nous trouvons là encore une définition de la « crainte de Dieu » : ce n’est pas la crainte du châtiment. Toute la pédagogie de Dieu au long de l’histoire biblique cherche à nous libérer de toute peur ; car la peur n’est pas une attitude d’homme libre et Dieu veut nous libérer totalement. La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est une adoration pleine d’émerveillement devant la Toute-Puissance de Dieu faite seulement d’amour. « Craindre » le Seigneur, c’est l’adorer et lui faire tellement confiance qu’on fera tout son possible pour obéir à sa Loi dans la certitude que cette Loi n’est dictée que par son amour paternel.
Cette certitude du « Par-don », du Don toujours acquis au-delà de toutes les fautes inspire à Israël une attitude d’espérance extraordinaire. Israël repentant attend son pardon « plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ». « C’est Lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes » : nous rencontrons régulièrement dans les textes bibliques des expressions similaires. Elles annoncent à Israël sa libération définitive, la libération de toutes les fautes de tous les temps.
Israël attend plus encore : précisément parce que le peuple de l’Alliance expérimente sa faiblesse et son péché toujours renaissant, mais aussi la Fidélité de Dieu, il attend de Dieu lui-même la réalisation définitive de ses promesses. Au-delà du pardon immédiat, c’est l’aurore définitive que ce peuple attend de siècle en siècle, qu’il « espère contre toute espérance » (comme Abraham), l’aurore du Jour de Dieu. Tous les psaumes sont traversés par l’attente messianique.
Les Chrétiens savent encore plus sûrement que notre monde va vers son accomplissement : un accomplissement qui se nomme Jésus-Christ : « Notre âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ».
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Note
La Bible grecque a traduit « Cantiques des degrés », c’est-à-dire des « marches ». Or, un escalier de quinze marches reliait la Cour des femmes au parvis du Temple : certains en déduisent que chacun de ces quinze psaumes était chanté sur l’une des marches. Quand on imagine, au moins pour les jours de grandes fêtes, la foule innombrable qui se pressait aux abords du Temple, sur les divers parvis et sur ces fameuses quinze marches, il est hautement improbable qu’on ait pu attribuer des psaumes précis à des marches précises sauf, peut-être, pour des démarches individuelles. Il est très probable, au contraire, que ces quinze psaumes aient été composés pour accompagner l’ensemble du pèlerinage.

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Romains 8, 8-11

Frères,
8 ceux qui sont sous l’emprise de la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.
9 Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous celle de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché,
mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.

L’ESPRIT DE DIEU HABITE EN NOUS
« Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ezéchiel (dans notre première lecture) ; désormais, depuis notre baptême, nous dit Paul, c’est chose faite. Il emploie une expression imagée : « L’Esprit de Dieu habite en vous ». La prenant au pied de la lettre, un commentateur de ce passage parle de « changement de propriétaire ». Nous sommes devenus des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.
Il serait intéressant de se demander, dans tous les secteurs de notre vie, personnelle et communautaire, qui est aux postes de commande, qui est le maître de maison chez nous, ou si vous préférez, quel est notre objectif, qu’est-ce qui nous « fait courir », comme on dit. D’après Paul, il n’y a pas trente-six solutions : ou bien nous sommes sous l’emprise de l’Esprit, c’est-à-dire que nous nous laissons guider par l’Esprit, ou bien nous ne nous laissons pas inspirer par l’Esprit et c’est ce qu’il appelle « être sous l’emprise de la chair ». Etre sous l’emprise de l’Esprit, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot Esprit par le mot Amour. Et dans la lettre aux Galates, Paul explique ce que sont les fruits de l’Esprit ; « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5,22-23), en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.
J’ai bien dit les « circonstances concrètes » : pour Paul la vie selon l’Esprit ne veut pas dire la tête dans les nuages ; Paul est l’héritier de toute la tradition des prophètes : or tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les « Chants du Serviteur », Isaïe (chapitres 42,49,50,52-53), affirme très fermement que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Et les prophètes ont toujours des mots très durs pour ceux qui croient plaire à Dieu par des cérémonies magnifiques pendant que des pauvres meurent de faim ou de chagrin à leur porte.
Une fois définie la vie selon l’Esprit, ce qui veut dire tout simplement la vie selon l’amour, on déduit très facilement ce que Paul entend par vie selon la chair : c’est le contraire, c’est-à-dire l’indifférence ou la haine ; pour le dire autrement, l’amour c’est le décentrement de soi, la vie sous l’emprise de la chair, c’est le centrement sur soi. Ma question de tout-à-l’heure « Qui commande ici ? « se transforme alors en « Qui est le centre de notre monde ? »
Il est clair que sous l’emprise de la chair, dans ce sens-là, c’est-à-dire centré sur soi, on ne peut pas être en harmonie avec Dieu, accordé à Dieu qui n’est qu’amour. « Sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu » dit Paul.
TEL PERE, TELS FILS
Au contraire, le Christ est le Fils bien-aimé en qui Dieu se complaît, c’est-à-dire qu’il est en harmonie parfaite avec Dieu précisément parce que le Christ n’est lui aussi qu’amour. Dans ce sens le récit des Tentations, que nous avons lu pour le premier dimanche de carême, était saisissant : c’est au chapitre 4 de Matthieu. Il nous montre Jésus centré uniquement sur Dieu et sur la Parole de Dieu. Il refuse résolument de se centrer sur sa faim ni même sur les besoins de sa mission de Messie :
Première tentation : après quarante jours de jeûne, Jésus a faim… la tentation n’est pas là, bien sûr. Avoir faim au bout de quarante jours de jeûne, c’est normal, c’est même plutôt bon signe ! La tentation, c’est d’exiger de Dieu un miracle pour son bénéfice personnel, c’est de se prendre pour le centre du monde, si j’ose dire. « Ordonne à ces pierres de devenir des pains » lui susurre le tentateur, le diviseur. Jésus préfère mettre la Parole au centre du monde et de sa vie « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la maîtrise de soi, la patience, dit Paul.
Deuxième tentation : « Jette-toi du haut du Temple, Dieu sera bien obligé de te protéger » ; réponse de Jésus : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la confiance en Dieu.
Troisième Tentation : « Détourne-toi de Dieu, prosterne-toi devant moi, tu seras le maître des royaumes de la terre » ; mais Jésus est complètement centré sur son Père et non sur ce qu’il pourrait obtenir pour lui : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras, c’est à lui seul que tu rendras un culte ». Le fruit de l’Esprit qui les résume tous, c’est l’amour, dit encore Paul.
Si ce texte des tentations nous est proposé chaque année en début de Carême, c’est parce que le temps du Carême est justement une entreprise de décentrement de nous-mêmes pour nous centrer sur les autres et sur Dieu.
Un peu plus loin dans cette même lettre aux Romains, Paul dit que l’Esprit de Dieu fait de nous des fils, c’est lui qui nous pousse à appeler Dieu-Père ; j’ai envie de dire « tel Père, tel fils ». Ce qui en nous est amour vient de Dieu, c’est notre héritage de fils. « L’Esprit est votre vie » dit encore Paul. Traduisez « l’amour est votre vie » ; d’ailleurs, nous savons tous d’expérience que seul l’amour est créateur.
Tandis que ce qui n’est pas amour ne vient pas de Dieu et parce que cela ne vient pas de Dieu, c’est voué à la mort. La très bonne nouvelle de ce texte d’aujourd’hui, c’est que tout ce qui en nous est amour vient de Dieu et donc ne peut mourir. Comme dit Paul, « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».

EVANGILE – selon saint Jean 11,1-45

En ce temps-là,
3 Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare,
envoyèrent dire à Jésus :
« Seigneur, celui que tu aimes est malade. »
4 En apprenant cela, Jésus dit :
« Cette maladie ne conduit pas à la mort,
elle est pour la gloire de Dieu,
afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
5 Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare.
6 Quand il apprit que celui-ci était malade,
il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.
7 Puis, après cela, il dit aux disciples :
« Revenons en Judée. »

17 À son arrivée,
Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
20 Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus,
elle partit à sa rencontre,
tandis que Marie restait assise à la maison.
21 Marthe dit à Jésus :
« Seigneur, si tu avais été ici,
mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je le sais,
tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
23 Jésus lui dit :
« Ton frère ressuscitera. »
24 Marthe reprit :
« Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
25 Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie.
Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
26 quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
27 Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois :
tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

33 Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,
34 et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? »
Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »
35 Alors Jésus se mit à pleurer.
36 Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »
37 Mais certains d’entre eux dirent :
« Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle,
ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
38 Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau.
C’était une grotte fermée par une pierre.
39 Jésus dit : « Enlevez la pierre. »
Marthe, la sœur du défunt, lui dit :
« Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. »
40 Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ?
Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »
41 On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé.
42 Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ;
mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure,
afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »
43 Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »
44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes,
le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit :
« Déliez-le, et laissez-le aller. »
45 Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie
et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

CELUI QUI CROIT EN MOI, MEME S’IL MEURT, VIVRA
Nous avons pris l’habitude d’appeler ce passage « la résurrection de Lazare », mais, soyons francs, ce n’est pas le terme qui convient ; quand nous proclamons « Je crois à la résurrection des morts et à la vie éternelle », il s’agit de bien autre chose.
La mort de Lazare n’a été qu’une parenthèse en quelque sorte dans sa vie terrestre ; sa vie après le miracle de Jésus a repris son cours ordinaire, et elle a dû être à peu de choses près la même après qu’auparavant. Lazare a eu seulement en quelque sorte un supplément de vie terrestre. Son corps n’était pas transformé et il a dû mourir une seconde fois ; sa première mort n’a pas été ce qu’elle sera pour nous, c’est-à-dire le passage vers la vraie vie.
Mais alors, du coup, on peut se demander à quoi bon ? En faisant ce miracle, Jésus a pris de grands risques pour lui-même parce qu’il ne s’était déjà que trop fait remarquer… et quant à Lazare cela n’a fait que reculer l’échéance définitive.
C’est Saint Jean qui répond à notre question « à quoi bon ce miracle ? » ; il nous dit c’est un signe très important : Jésus est manifesté là comme celui en qui nous avons la vie sans fin et en qui nous pouvons croire, c’est-à dire sur qui nous pouvons miser notre vie.
Et d’ailleurs, les grands prêtres et les Pharisiens ne s’y sont pas trompés : ils ont fort bien compris la gravité du signe que Jésus avait donné là : d’après Saint Jean, toujours, trop de gens se mirent à croire en Jésus à la suite de la résurrection de Lazare, et c’est là qu’ils décidèrent de le faire mourir.
C’est donc ce miracle qui a signé l’arrêt de mort de Jésus ; évidemment, quand on y réfléchit deux mille ans plus tard, on se dit que c’est un comble : être capable de rendre la vie, cela méritait la mort ; triste exemple des aberrations où nous mènent parfois nos certitudes…
Revenons au récit de ce que je vous propose d’appeler le « réveil de Lazare » car il ne s’agit pas d’une véritable résurrection comme celle de Jésus, il s’agit plutôt d’un supplément de vie terrestre. Je ferai seulement deux remarques :
SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU
Première remarque : pour Jésus, la seule chose qui compte, c’est la gloire de Dieu ; mais pour voir la gloire de Dieu, il faut croire (« Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit-il à Marthe). Dès le début du récit, alors qu’on vient d’annoncer à Jésus « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il dit à ses disciples : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu », c’est-à-dire la révélation du mystère de Dieu. Non pas que la manifestation de la gloire de Dieu soit une récompense pour bien-pensants ou bien-croyants ; mais quand nous ne sommes pas dans une attitude de foi, tout se passe comme si nous laissions notre regard s’obscurcir par le soupçon, la méfiance, c’est comme si nous mettions des lunettes sombres, nous ne voyons plus la lumière. La foi nous ouvre les yeux, elle fait sauter ce bandeau de la méfiance que nous avions mis sur nos yeux.
Deuxième remarque : la foi en la résurrection franchit là sa dernière étape : à propos du texte d’Ezéchiel qui nous est proposé en première lecture pour ce cinquième dimanche de Carême, nous avions vu que la foi en la résurrection est apparue très tardivement en Israël ; elle n’est affirmée très clairement qu’au deuxième siècle av. J.C. à l’occasion de la terrible persécution du roi grec Antiochus Epiphane ; et à l’époque du Christ, elle n’est même pas encore admise par tout le monde. Marthe et Marie, visiblement, font partie des gens qui y croient. Mais, dans leur idée, il s’agit encore d’une résurrection pour le dernier jour ; quand Jésus dit à Marthe « Ton frère ressuscitera », Marthe répond : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection ». Jésus rectifie : il ne parle pas au futur, il parle au présent : « Moi, je suis la résurrection et la vie… Tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais… Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » A l’entendre, on a bien l’impression que la Résurrection, c’est pour tout de suite. « Je suis la résurrection et la vie » : cela veut dire que la mort au sens de séparation de Dieu n’existe plus, elle est vaincue dans la Résurrection du Christ. Avec Paul les croyants peuvent dire « Mort, où est ta victoire ? » Non, rien désormais ne nous séparera de l’amour du Christ, même pas la mort.

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX EPHESIENS, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIER LIVRE DE SAMUEL, PSAUME 22

Dimanche 19 mars 2023 : 4ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 19 mars 2023 : 4ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – premier livre de Samuel 16,1b.6-7.10-13a

En ces jours-là,
1 le SEIGNEUR dit à Samuel :
« Prends une corne que tu rempliras d’huile, et pars !
Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem,
car j’ai vu parmi ses fils mon roi. »
6 Lorsqu’ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab,
il se dit :
« Sûrement, c’est lui le messie,
lui qui recevra l’onction du SEIGNEUR ! »
7 Mais le SEIGNEUR dit à Samuel :
« Ne considère pas son apparence ni sa haute taille,
car je l’ai écarté.
Dieu ne regarde pas comme les hommes :
les hommes regardent l’apparence,
mais le SEIGNEUR regarde le cœur. »
10 Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils,
et Samuel lui dit :
« Le SEIGNEUR n’a choisi aucun de ceux-là. »
11 Alors Samuel dit à Jessé :
« N’as-tu pas d’autres garçons ? »
Jessé répondit :
« Il reste encore le plus jeune,
il est en train de garder le troupeau. »
Alors Samuel dit à Jessé :
« Envoie-le chercher :
nous ne nous mettrons pas à table
tant qu’il ne sera pas arrivé. »
12 Jessé le fit donc venir :
le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau.
Le SEIGNEUR dit alors :
« Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! »
13 Samuel prit la corne pleine d’huile,
et lui donna l’onction au milieu de ses frères.
L’Esprit du SEIGNEUR s’empara de David à partir de ce jour-là.

LE MYSTERE DES CHOIX DE DIEU
Si je comprends bien, d’après ce texte, le grand prophète Samuel, lui-même, a dû apprendre à changer de regard. Chargé par Dieu de désigner le futur roi parmi les fils de Jessé à Bethléem, il n’avait que l’embarras du choix, apparemment. Jessé a commencé par appeler son fils aîné. Celui-ci s’appelait Eliav, il était grand et beau, il semblait digne de succéder au roi actuel, Saül. Mais non, Dieu fit savoir à Samuel que son choix ne se portait pas sur celui-là : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille… Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (verset 7).
Alors, de très bonne grâce, Jessé a fait défiler ses fils l’un après l’autre, par ordre d’âge, devant le prophète. Mais le choix de Dieu ne se porta sur aucun d’entre eux. Finalement, Jessé dut se décider à faire chercher le dernier, celui auquel personne n’avait pensé : David, dont la seule utilité était de garder le troupeau ; eh bien, justement, c’est celui-là que Dieu avait choisi pour garder son propre troupeau !
Visiblement, le récit biblique se plaît à souligner qu’une fois encore le choix de Dieu s’est porté sur le plus petit : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort », dira Saint Paul (1 Co 1,27) car « sa puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9). Voilà une bonne raison pour changer résolument de regard sur les hommes !
Au passage, ce texte nous apprend trois choses sur la conception de la royauté en Israël :
Premièrement, le roi est l’élu de Dieu : mais ce choix, comme toute vocation, est pour une mission. On retrouve à son niveau la même articulation que nous connaissons bien : comme le peuple d’Israël est élu de Dieu pour le service de l’humanité… de la même manière, le roi d’Israël est l’élu de Dieu pour le service du peuple. Cela peut vouloir dire le cas échéant, une possibilité de désaveu : c’est le cas pour le roi Saül ; si l’élu ne fait plus l’affaire, il sera remplacé ; manière, donc, de rappeler le roi à l’ordre, peut-être ; manière, peut-être aussi, pour les descendants de David, de justifier ce changement de dynastie.
Deuxièmement, le roi reçoit l’onction d’huile, il est littéralement le « messie », ce qui signifie « celui qui a été frotté d’huile ». Et visiblement, dans la suite, on a attaché beaucoup d’importance à ce rite d’onction puisque notre texte a l’air d’en faire l’élément majeur du récit : « Prends une corne que tu rempliras d’huile et pars ! Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem, dit Dieu à Samuel, car j’ai vu parmi ses fils mon roi.»
Troisièmement, cette onction confère au roi l’esprit de Dieu : « Samuel prit la corne pleine d’huile et donna l’onction à David au milieu de ses frères. L’Esprit du SEIGNEUR s’empara de David à partir de ce jour-là ». Le roi désormais est inspiré par Dieu en toutes circonstances, il devient une personne sacrée et il devient sur terre le « lieu-tenant » de Dieu au véritable sens du terme, c’est-à-dire « tenant-lieu ». Ce qui veut dire qu’il gouvernera le peuple, non selon l’esprit du monde, mais selon les vues de Dieu, qui n’ont rien à voir avec celles des hommes, comme on sait.
LES HOMMES REGARDENT L’APPARENCE… LE SEIGNEUR REGARDE LE COEUR
Je reviens sur le mystère des choix de Dieu : certains récits bibliques prennent un malin plaisir à faire remarquer que les choix de Dieu se portent souvent sur les plus petits : David n’était que le huitième des fils de Jessé et personne n’avait jamais songé à lui pour des emplois d’avenir ; il n’était sûrement pas vilain, puisque plus tard, il plaira beaucoup aux femmes, mais son frère aîné, Eliav, avait bien plus fière allure.
Moïse avait des difficultés à parler, semble-t-il, puisqu’il a cherché à se soustraire à l’appel de Dieu en disant : « Pardon, mon Seigneur, mais moi, je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur. (sous-entendu cela ne s’est pas arrangé depuis que tu me parles) ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! » (Ex 4,10). Certains en déduisent qu’il était bègue, ce qui n’est pas, à nos yeux, très indiqué pour un chef de peuple ! Le prophète Samuel (celui dont il est question dans cette lecture d’aujourd’hui) était tout jeune et inexpérimenté quand le Seigneur l’a appelé.
Jérémie était trop jeune lui aussi et il objecte : « Ah, SEIGNEUR mon Dieu ! vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! » (Jr 1,6). Timothée, le collaborateur de Paul, était de santé fragile puisque Paul parle de ses fréquentes faiblesses… Et l’on pourrait certainement allonger la liste. Quant au peuple d’Israël, choisi par Dieu pour être le peuple élu, associé à l’oeuvre de salut de l’humanité, c’était un peuple peu nombreux, et qui ne pouvait se targuer d’aucune vertu spéciale.
Ces choix de Dieu ne s’expliquent pas à vues humaines : mais, une fois de plus, c’est l’occasion de nous rappeler la phrase d’Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins – oracle du SEIGNEUR. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (Is 55,8-9). Notre texte d’aujourd’hui le dit à sa manière : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le cœur . » (1 S 16,7).
Voilà qui devrait éviter deux pièges à tous les envoyés de Dieu : le piège de la prétention comme celui du découragement. Car, apparemment, ce n’est pas une affaire de mérite, mais seulement de disponibilité. Aucun d’entre nous ne possède en lui-même les qualités ou les forces nécessaires, mais Dieu y pourvoira.

PSAUME – 22 (23),1-6

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

J’HABITERAI LA MAISON DU SEIGNEUR POUR LA DURÉE DE MES JOURS
Nous venons d’entendre ce psaume en entier : c’est donc l’un des plus courts du psautier ; mais il est d’une telle densité qu’il a pu être choisi par les premiers chrétiens comme psaume privilégié de la nuit pascale : cette nuit-là, les nouveaux baptisés, remontant de la cuve baptismale, chantaient le psaume 22/23 en se dirigeant vers le lieu de leur Confirmation et de leur première Eucharistie. Si bien qu’on en est venu à l’appeler le « psaume de l’initiation chrétienne ».
Si les Chrétiens ont pu y déchiffrer le mystère de la vie baptismale, c’est parce que déjà, pour Israël, ce psaume exprimait de manière privilégiée le mystère de la vie dans l’Alliance, de la vie dans l’intimité de Dieu. Ce mystère est celui du choix de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté ; chaque génération s’émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? …Il t’a été donné de voir tout cela… » (Dt 4,32… 35). A ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d’entrer le premier dans l’intimité de Dieu, non pas pour en jouir égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres.
Pour dire le bonheur du croyant, notre psaume 22/23 se réfère à deux expériences, celle d’un lévite (un prêtre) et celle d’un pèlerin.
Vous connaissez l’institution des lévites ; d’après le livre de la Genèse, Lévi était l’un des douze fils de Jacob, les mêmes qui ont donné leurs noms aux douze tribus d’Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n’a pas reçu de territoire, car elle est vouée au service du culte. On dit que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage ; image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (psaume 15/16,5)1. Les lévites habitent dispersés dans les villes des autres tribus, vivant des dîmes qui leur sont versées. A Jérusalem, ils sont consacrés au service du Temple. Notre lévite, ici, chante de tout son cœur  : « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du SEIGNEUR pour la durée de mes jours ». Cette expérience du lévite est une belle image de l’élection d’Israël : comme au sein du peuple, le lévite est heureux d’être consacré au service de Dieu, de la même manière, Israël est conscient de sa vocation particulière au sein de l’humanité.
Deuxième image, Israël se dépeint aussi sous les traits d’un pèlerin venu au Temple pour offrir un sacrifice d’action de grâce. Pendant son pèlerinage vers le Temple, il est comme une brebis : son berger c’est Dieu. On retrouve là un thème habituel dans la Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient couramment appelés les bergers du peuple et Israël emploie le même vocabulaire. Le roi idéal était souvent décrit comme un « bon berger » plein de sollicitude et de fermeté pour protéger son troupeau.
IL VEILLE SUR NOUS COMME SUR LA PRUNELLE DE SON OEIl
Mais ce qui était particulier en Israël c’est qu’on affirmait très fort que le seul vrai roi d’Israël c’est Dieu ; les rois de la terre ne sont que ses « lieutenants » (au sens étymologique de « tenant lieu »). De la même manière, le vrai bon berger d’Israël c’est Dieu, un berger attentif aux besoins véritables de son troupeau : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. » Le prophète Ezéchiel, par exemple, a longuement développé cette image.
Réciproquement, l’image du peuple d’Israël comme le troupeau de Dieu est très souvent développée dans l’Ancien Testament : « Oui, il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. » (Ps 94/95,7). Ce psaume est une méditation sur l’Exode et la sortie d’Egypte : c’est là qu’on a fait l’expérience première de la sollicitude de Dieu ; sans lui, on ne s’en serait jamais sortis ! C’est lui qui a rassemblé son peuple comme un troupeau et lui a permis de survivre malgré tous les obstacles.
Si bien que, lorsque Jésus a tranquillement affirmé « Je suis le Bon Pasteur », cela a fait l’effet d’une bombe ! Car, sous cette phrase anodine pour nous, ses interlocuteurs ont entendu : « Je suis le Roi-Messie, le vrai roi d’Israël », ce qui leur paraissait quand même bien audacieux.
Je reviens à notre psaume : on sait bien qu’un pèlerinage peut parfois être périlleux : en chemin, le pèlerin rencontre peut-être des ennemis (« Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » v.5) ; il frôlera peut-être même la mort (« Si je traverse les ravins de la mort » v.4) ; mais quoi qu’il arrive, il ne craint rien, Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure ».
Arrivé au Temple, le pèlerin accomplit le sacrifice d’action de grâce pour lequel il est venu, puis il prend part au repas rituel qui suit toujours le sacrifice d’action de grâce. Ce repas prend les allures d’une joyeuse festivité entre amis avec une « coupe débordante » dans l’odeur des « parfums » (v. 5).
On comprend que les premiers Chrétiens aient trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur expérience croyante : Jésus lui-même est le vrai berger (Jn 10) : par le Baptême, il les tire du ravin de la mort, les fait revivre en les menant vers les eaux tranquilles ; la table préparée, la coupe débordante disent le repas eucharistique ; le parfum sur la tête désigne la confirmation.
Une fois de plus, les Chrétiens découvrent avec émerveillement à quel point Jésus n’abolit pas, n’annule pas l’expérience croyante de son peuple, mais au contraire l’accomplit, lui donne toute sa dimension.
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Note
1 – C’est ce qui a inspiré le célèbre chant du « negro spiritual » : « Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , tu es mon héritage ; en toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, toi mon seul partage ».

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Ephésiens 5,8-14

Frères,
6 autrefois, vous étiez ténèbres ;
maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ;
conduisez-vous comme des enfants de lumière
7 – or la lumière
a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité –
8 et sachez reconnaître
ce qui est capable de plaire au Seigneur.
9 Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres,
elles ne produisent rien de bon ;
démasquez-les plutôt.
10 Ce que ces gens-là font en cachette,
on a honte même d’en parler.
11 Mais tout ce qui est démasqué
est rendu manifeste par la lumière,
14 et tout ce qui devient manifeste est lumière.
C’est pourquoi l’on dit :
Réveille-toi, ô toi qui dors,
relève-toi d’entre les morts,
et le Christ t’illuminera.

MAINTENANT, DANS LE SEIGNEUR, VOUS ÊTES LUMIÈRE
Bien souvent, dans les Ecritures, c’est la fin du texte qui en donne la clé. Je vous rappelle cette dernière phrase : « C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ». La formule d’introduction « C’est pourquoi l’on dit… » prouve bien que l’auteur n’invente pas le chant, il le cite. C’était certainement un (sinon le) cantique très habituel pour les cérémonies de baptême. « Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » était donc un cantique de nos premiers frères chrétiens ; ce qui, évidemment, ne peut pas nous laisser indifférents.
Du coup, nous comprenons mieux le début du texte que nous venons d’entendre : il est fait tout simplement pour expliquer les paroles de ce cantique ; comme si, à la sortie d’une célébration de baptême, quelques personnes étaient venues poser des questions au théologien de service, Paul en l’occurrence (ou l’un de ses disciples, car on n’est pas très sûrs que cette lettre soit de Paul lui-même) des questions du genre « Qu’est-ce que cela voulait dire, les paroles du chant qu’on a chanté tout-à-l’heure, pendant le baptême ? » Et Paul explique :
Grâce à votre baptême, une vie nouvelle a commencé, une vie radicalement neuve. A tel point que, à l’époque et encore aujourd’hui d’ailleurs, le nouveau baptisé s’appelait un « néophyte », ce qui veut dire « nouvelle plante ». Notre auteur explique donc le chant en disant : la nouvelle plante que vous êtes devenu est radicalement autre. Quand on fait une greffe, le fruit de l’arbre greffé est radicalement autre que celui du porte-greffe ; et c’est bien dans ce but précis que l’on fait une greffe, d’ailleurs ! Chaque printemps m’en donne un exemple : chaque année, dans un jardin que je connais, un rhododendron rouge profond fleurit sur un porte-greffe qui était primitivement violet ; mais certaines années, des fleurs violettes de l’arbre primitif, le porte-greffe, reviennent subrepticement ; évidemment, par la couleur, on distingue très facilement ce qui est fleur du nouvel arbre et ce qui est rejeton indésirable du porte-greffe.
Si je comprends bien, c’est exactement la même chose pour le Baptême : les fruits du nouvel arbre, entendez le baptisé, sont des activités de lumière ; avant la greffe (le baptême), vous étiez ténèbres, vos fruits étaient des activités de ténèbres. Et de la même manière qu’il arrive que des fleurs violettes apparaissent quand même encore sur le rhododendron, il arrive que vous soyez tentés de prendre part à vos activités antérieures ; alors il est important de savoir les reconnaître.
Pour notre auteur, la distinction est bien simple : les fruits du nouvel arbre, c’est tout ce qui est bonté, justice et charité. A l’inverse, ce qui n’est pas bonté, justice et charité est un rejeton indésirable de l’arbre ancien.
CONDUISEZ-VOUS COMME DES ENFANTS DE LUMIÈRE
Or qui peut vous faire produire des fruits de lumière ? Jésus-Christ : car il est toute bonté, toute justice, toute charité ; un peu comme une plante doit demeurer au soleil pour fleurir, offrez-vous à sa lumière ; l’expression de notre chant dit bien à la fois l’œuvre  du Christ et la participation de l’homme « Réveille-toi, relève-toi », c’est la liberté de l’homme qui est sollicitée. « Le Christ t’illuminera » : lui seul peut le faire.
Pour Saint Paul, à la suite de tous les prophètes de l’Ancien Testament la lumière est un attribut de Dieu ; et donc dire « Le Christ t’illuminera », c’est dire deux choses :
Premièrement que le Christ est Dieu ; deuxièmement que la seule manière pour nous d’être en harmonie avec Dieu c’est de vivre greffés sur Jésus-Christ, c’est-à-dire très concrètement dans la justice, la bonté, la charité. Comme dit Jésus, il ne s’agit pas de dire « Seigneur, Seigneur… » il s’agit de faire la volonté du Père, lequel a en souci tous ses enfants. Et là bien sûr, Saint Paul a certainement en mémoire le fameux texte d’Isaïe au chapitre 58 : « Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante (Saint Paul dirait « les activités des ténèbres »), si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. ». Et encore « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci :… partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore… et la gloire du SEIGNEUR fermera la marche. » (Is 58,9-10.7).
Il s’agit bien de la gloire du Seigneur, de la lumière du Seigneur que nous sommes invités à refléter ; comme le dit Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3,18). Le mot « refléter » dit bien que c’est le Christ qui est lumière et qui nous donne de refléter sa lumière.
Refléter la lumière du Christ, telle est la vocation des baptisés : c’est bien pourquoi un cierge allumé au cierge pascal nous est remis au baptême et à chaque renouvellement de notre profession de foi baptismale, dans la nuit de Pâques. Mais on le sait bien, une lumière ne brille pas pour elle-même : elle est faite pour éclairer ce qui l’entoure. Dans la lettre aux Philippiens, Paul disait déjà que nous sommes appelés à être des sources de lumière pour le monde. Voici cette phrase : « Faites tout sans récriminer et sans discuter ; ainsi vous serez irréprochables et purs, vous qui êtes des enfants de Dieu sans tache au milieu d’une génération tortueuse et pervertie où vous brillez comme les astres dans l’univers, en tenant ferme la parole de vie. » (Phi 2,14-16). C’est sa manière à lui de traduire la phrase de Jésus : « Vous êtes la lumière du monde ».
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Compléments
1 – « Faites tout sans récriminer et sans discuter » : ici, Paul fait certainement allusion aux « murmures », c’est-à-dire au manque de foi des Hébreux dans le désert. (Ex 17,1-7).
2 – On retrouve dans ce texte comme dans tant d’autres le thème des deux voies si cher à Paul comme à tous les Juifs : le même parallèle entre lumière et vie opposées aux ténèbres et à la mort.
3 – Pour que des formules baptismales aient eu le temps de se fixer et de devenir des cantiques connus de tous, au point qu’on puisse les citer en exemple, il a certainement fallu beaucoup de temps.
Nous avons donc ici un argument pour ceux, et ils sont nombreux, qui pensent que cette lettre aux Ephésiens n’est pas de Saint Paul : elle serait d’un de ses disciples. On sait que le procédé qui consiste à prolonger la pensée d’un auteur illustre en écrivant sous son nom était très courant à l’époque ; on appelle ce procédé la « pseudépigraphie ».
Ici, bien sûr, nous sommes dans le domaine des hypothèses et que la lettre aux Ephésiens soit de Paul lui-même ou d’un de ses disciples n’est pas le plus important : cela ne change rien à l’intérêt considérable qu’a toujours représenté pour l’Eglise chrétienne la lettre dite de Paul aux Ephésiens. De toute façon, si l’auteur n’est pas Paul lui-même, il en est extrêmement proche et par le contexte et par la doctrine.

EVANGILE – selon saint Jean 9, 1-41 (lecture brève)

En ce temps-là,
en sortant du Temple,
1 Jésus vit sur son passage
un homme aveugle de naissance.
6 Il cracha à terre
et, avec la salive, il fit de la boue ;
puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,
7 et lui dit :
« Va te laver à la piscine de Siloé »
– ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ;
quand il revint, il voyait.
8 Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant
– car il était mendiant –
dirent alors :
« N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
9 Les uns disaient :
« C’est lui. »
Les autres disaient :
« Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. »
Mais lui disait : « C’est bien moi. »
13 On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
14 Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue
et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir.
Il leur répondit :
« Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé,
et je vois. »
16 Parmi les pharisiens, certains disaient :
« Cet homme-là n’est pas de Dieu,
puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. »
D’autres disaient :
« Comment un homme pécheur
peut-il accomplir des signes pareils ? »
Ainsi donc ils étaient divisés.
17 Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle :
« Et toi, que dis-tu de lui,
puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »
Il dit : « C’est un prophète. »
34 Ils répliquèrent :
« Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance,
et tu nous fais la leçon ? »
Et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors.
Il le retrouva et lui dit :
« Crois-tu au Fils de l’homme ? »
36 Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
37 Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
38 Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

LE PIRE AVEUGLEMENT N’EST PAS CELUI QU’ON PENSE
On entend ici comme une illustration de ce que Saint Jean disait dès le début de son évangile, dans ce qu’on appelle « le Prologue » : « Le Verbe était la vraie Lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. » (Jn 1,9-10). C’est ce que l’on pourrait appeler le drame des évangiles. Mais Jean continue : « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. »
C’est exactement ce qui se passe ici : le drame de ceux qui s’opposent à Jésus et refusent obstinément de reconnaître en lui l’envoyé de Dieu ; mais aussi et heureusement, le salut de ceux qui ont le bonheur, la grâce d’ouvrir les yeux, comme notre aveugle, aujourd’hui.
Car Jean insiste bien pour nous faire comprendre qu’il y a deux sortes d’aveuglement : la cécité naturelle, qui est le lot de cet homme depuis sa naissance, et puis, beaucoup plus grave, l’aveuglement du cœur .
Lors de sa première rencontre avec l’aveugle, Jésus a fait le geste qui le guérit de sa cécité naturelle. Lors de sa deuxième rencontre, c’est le coeur de l’aveugle que Jésus ouvre à une autre lumière, la vraie lumière. D’ailleurs, vous l’avez remarqué, Jean se donne la peine de nous expliquer le sens du mot « Siloé » qui veut dire « Envoyé ». Or, dans d’autres cas semblables, il ne donne pas le sens des mots. Cela veut dire qu’il y attache une grande importance. Jésus est vraiment envoyé par le Père pour illuminer le monde de sa présence.
Mais une fois de plus, nous butons sur le même problème : comment se fait-il que celui qui était envoyé dans le monde pour y apporter la lumière de Dieu a été refusé, récusé, par ceux-là mêmes qui l’attendaient avec le plus de ferveur ? Et, en ces jours-là, plus que jamais, peut-être, puisque, si l’on en croit les chapitres précédents de l’évangile de Jean, l’épisode de l’aveugle-né s’est déroulé le lendemain de la fête des Tentes qui était la grande fête à Jérusalem et au cours de laquelle on évoquait à plusieurs reprises avec ferveur la venue du Messie.
LE DANGER DES CERTITUDES
On sait qu’au temps de Jésus cette impatience de la venue du Messie agitait tous les esprits. Il faut se mettre à la place des contemporains de Jésus : pour eux tout le problème était donc de savoir s’il était réellement « l’envoyé du Père »… celui que l’on attendait depuis des siècles, ou un imposteur ; c’est la grande question qui accompagnera toute la vie de Jésus : est-il le Messie, oui ou non ?
Or ce qui alimentait les discussions, c’était le côté paradoxal des faits et gestes de Jésus : d’une part, il accomplissait des oeuvres bonnes, qui sont bien celles qu’on attendait du Messie : on savait qu’il rendrait la vue aux aveugles justement, et la parole aux muets, et l’ouïe aux sourds. Mais il ne se préoccupait guère du sabbat, semble-t-il ; car cet épisode de l’aveugle-né s’est passé un jour de sabbat justement. Or si Jésus était l’envoyé de Dieu comme il le prétendait, il respecterait le sabbat, c’est évident.
Ce sont précisément ces « évidences » qui sont le problème : encore une fois, les Juifs du temps de Jésus attendaient le Messie, l’aveugle tout autant que l’ensemble du peuple et les autorités religieuses. Mais nombre d’entre eux avaient trop d’idées bien arrêtées sur ce qu’il est bien de faire ou dire et n’étaient pas prêts à l’inattendu de Dieu. L’aveugle, lui, en savait moins long : quand les Pharisiens lui demandent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répond simplement : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » C’est à ce moment-là que les Pharisiens se divisent : les uns disent : « Cet homme n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » A quoi d’autres répliquent : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? »
L’aveugle, lui, n’est pas empêtré dans des idées toutes faites : il leur répond tranquillement : « Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » (versets 31-33). Mais c’est toujours la même histoire : celui qui s’enferme dans ses certitudes ne peut même plus ouvrir les yeux ; tandis que celui qui fait un pas sur le chemin de la foi est prêt à accueillir la grâce qui s’offre ; alors il peut recevoir de Jésus la véritable lumière.
—————
Complément
Cet épisode de la guérison de l’aveugle-né se situe dans un contexte de polémique entre Jésus et les Pharisiens. A deux reprises, Jésus leur a reproché de « juger selon les apparences ». (Jn 7,24 ; 8,15). On comprend, de ce fait, le choix de la première lecture qui nous rapporte le choix de David et cette phrase : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7).

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE DE L 'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 94

Dimanche 12 mars 2023 : 3ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 12 mars 2023 : 3ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de l’Exode 17,3-7

En ces jours-là,
3 dans le désert, le peuple, manquant d’eau,
souffrit de la soif.
Il récrimina contre Moïse et dit :
« Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ?
Était-ce pour nous faire mourir de soif
avec nos fils et nos troupeaux ? »
4 Moïse cria vers le SEIGNEUR :
« Que vais-je faire de ce peuple ?
Encore un peu, et ils me lapideront ! »
5 Le SEIGNEUR dit à Moïse :
« Passe devant le peuple,
emmène avec toi plusieurs des anciens d’Israël,
prends en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil,
et va !
6 Moi, je serai là, devant toi,
sur le rocher du mont Horeb.
Tu frapperas le rocher,
il en sortira de l’eau,
et le peuple boira ! »
Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël.
7 Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve)
et Mériba (c’est-à-dire : Querelle),
parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au SEIGNEUR,
et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant :
« Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous,
oui ou non ? »

LA PANIQUE EST MAUVAISE CONSEILLERE
On a beau chercher sur la carte du désert du Sinaï, le lieu dit « Massa et Meriba » n’existe pas ; c’est un nom symbolique : Massa veut dire « défi », Meriba veut dire « accusation » parce que, effectivement, c’est l’histoire d’un défi, d’une accusation, presque d’une mutinerie qui s’est passée là. L’histoire se passe à « Rephidim », en plein désert, quelque part entre l’Egypte et Israël : le texte dit simplement : « Les fils d’Israël campaient dans le désert à Rephidim » ; Moïse guidait la marche du peuple, hommes, femmes, enfants, troupeaux, de campement en campement, de point d’eau en point d’eau. Mais un jour, à l’étape de Rephidim, l’eau a manqué. On imagine bien qu’en plein désert, en pleine chaleur au printemps, le manque d’eau peut vite devenir gravissime et cela peut dégénérer. En quelques heures, la déshydratation devient une question de vie ou de mort et la panique peut nous prendre.
Ce n’est évidemment pas la bonne attitude ! La seule bonne attitude serait la confiance : il aurait fallu trouver la force de se dire « Dieu nous veut libres, il l’a prouvé, donc il nous fera trouver les moyens de survivre ».
Au lieu de cela, la panique s’est emparée de tout le peuple. Que fait-on quand on se laisse envahir par la panique ? Nos ancêtres du treizième siècle av. J.C. ont fait exactement ce que nous ferions aujourd’hui : ils s’en sont pris au gouvernement ; et le gouvernement de l’époque, c’est Moïse. C’était tentant de s’en prendre à lui ; parce que c’est bien joli de fuir l’Egypte pour conquérir sa liberté… Mais si c’est pour mourir ici, en plein désert, à quoi bon ? Mieux vaut être esclave et vivant… que libre et mort… Et comme, en plus, on a toujours tendance à embellir les souvenirs, ils commencent tous à s’attendrir sur le passé et sur les délicieuses marmites et l’eau en abondance qu’ils avaient chez leurs maîtres en Egypte.
En fait, bien sûr, la mutinerie contre Moïse vise quelqu’un d’autre… Dieu lui-même, parce qu’on sait bien que si Moïse a conduit le peuple jusque-là, c’est en se référant à un ordre qu’il dit avoir reçu jadis, quand Dieu lui a parlé dans un buisson en feu et qu’il lui a dit « Descends en Egypte et fais sortir mon peuple »… Mais qu’est-ce que c’est que ce Dieu qui prétend libérer une nation et qui l’amène crever de faim et de soif dans un désert stérile ?
La phrase : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Egypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? » peut vouloir dire deux choses : dans un premier temps, on trouve que Moïse s’est bien mal débrouillé « tu nous as fait sortir d’Egypte, c’est entendu, mais si c’est pour en arriver là, tu aurais mieux fait de t’abstenir » … les heures passant, le ton monte et l’angoisse aussi. Et on en arrive à faire un véritable procès d’intention à Moïse et surtout à Dieu : sur le thème : « On a compris ; tu nous as fait sortir, tu nous as amenés au fin fond du désert pour qu’on y meure de soif, pour te débarrasser de nous ».
LE SEIGNEUR EST-IL VRAIMENT AU MILIEU DE NOUS ?
Alors le texte dit que Moïse se mit à crier vers Dieu : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! ». Et Dieu répond : « Emmène avec toi plusieurs des anciens d’Israël, prends en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, et va ! Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! » Alors Moïse a frappé le rocher et le peuple a pu étancher sa soif.
Cette eau qui jaillit, c’est la soif apaisée, d’abord, et déjà c’est un immense soulagement. Mais c’est encore plus : c’est la certitude retrouvée que Dieu est bien là, « au milieu de son peuple » comme on dit, c’est-à-dire à ses côtés et qu’il mène lui-même son peuple sur le chemin de la liberté … Ce dont on n’aurait jamais dû douter.
Et voilà pourquoi, dans la mémoire d’Israël, ce lieu ne s’appelle plus Rephidim, comme si c’était le nom d’un campement parmi d’autres ; ce qui s’y est passé est trop grave. « Moïse donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire : Querelle), parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au SEIGNEUR, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant : « Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? » En langage moderne, on dirait « le Seigneur est-il pour nous ou contre nous ? »
Cette tentation de douter de Dieu est aussi la nôtre quand nous rencontrons des difficultés ou des épreuves : le problème est bien toujours le même, tellement toujours le même qu’on en est venu à dire qu’il est « originel », c’est-à-dire qu’il est à la racine de tous nos malheurs. L’auteur du récit du jardin d’Eden n’a fait que transposer l’expérience de Massa et Meriba pour nous faire comprendre que le soupçon porté sur Dieu empoisonne nos vies. Adam confronté à un commandement qu’il ne comprend pas écoute la voix du soupçon qui prétend que Dieu ne veut peut-être pas le bien de l’humanité… Chacun de nous rencontre des difficultés à faire confiance, quand vient l’épreuve de la souffrance ou la difficulté de rester fidèles aux commandements… Qui nous dit que Dieu nous veut vraiment libres et heureux ?
Quand le Christ enseignait le Notre Père à ses disciples, c’était précisément pour les installer dans la confiance filiale ; « ne nous laisse pas entrer en tentation » pourrait se traduire « tiens-nous si fort que nos Rephidim ne deviennent pas Massa », ou si vous préférez « que nos lieux d’épreuve ne deviennent pas lieux de doute ». Dans la difficulté, continuer à appeler Dieu « Père », c’est affirmer envers et contre tout qu’il est toujours avec nous.

PSAUME – 94 (95),1-2.6-7.8-9

1 Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR,
acclamons notre Rocher, notre salut !
2 Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

6 Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le SEIGNEUR qui nous a faits.
7 Oui, il est notre Dieu :
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
8 « Ne fermez pas votre cœur  comme au désert
9 où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

LA QUESTION DE CONFIANCE
Dans la Bible le texte de la dernière strophe que nous venons d’entendre est légèrement différent ; le voici : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur  comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ». C’est dire que ce psaume est tout imprégné de l’expérience de Massa et Meriba ; on comprend bien pourquoi nous le chantons pour ce troisième dimanche de Carême, en écho au récit de Massa et Meriba, qui est le texte de la première lecture.
Dans cette simple strophe, est résumée toute l’aventure de notre vie de foi, personnelle et communautaire. C’est ce que l’on peut appeler, au vrai sens du terme, la « question de confiance ». Pour le peuple d’Israël, la question de confiance s’est posée à chaque difficulté de la vie au désert : « Le SEIGNEUR est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? » ce qui revient à dire « Peut-on lui faire confiance ? S’appuyer sur lui ? Etre sûr qu’il nous donnera à chaque instant les moyens de nous en sortir… ? »
La Bible dit que la foi, justement, c’est tout simplement la confiance. Cette question de confiance, telle qu’elle s’est posée à Massa et Meriba, est l’un des piliers de la réflexion d’Israël ; la preuve, c’est qu’elle affleure sous de nombreux textes bibliques ; et, par exemple, le mot qui dit la foi en Israël signifie « s’appuyer sur Dieu » ; c’est de lui que vient le mot « Amen » qui dit l’adhésion de la foi : il signifie « solide », « stable » ; on pourrait le traduire « j’y crois dur comme pierre » (en français on dit plutôt « dur comme fer »).
Toute une autre série de textes brodent sur le mot « écouter », parce que quand on fait confiance à quelqu’un, on l’écoute. D’où la fameuse prière juive, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt 6,4-5)… Tu aimeras, c’est-à-dire tu lui feras confiance.
Pour écouter, encore faut-il avoir l’oreille ouverte : encore une expression qu’on rencontre à plusieurs reprises dans la Bible, dans le sens de mettre sa confiance en Dieu ; vous connaissez le psaume 39/40 « tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu m’as ouvert l’oreille » ; ou encore ce chant du serviteur d’Isaïe : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille… » (Is 50,5). Et les mots « obéir, obéissance » sont de la même veine : en hébreu comme en grec, quand il s’agit de l’obéissance à Dieu, ils sont de la même racine que le verbe écouter, au sens de faire confiance. En français aussi, d’ailleurs, puisque notre verbe « obéir » vient du verbe latin « audire » qui veut dire « entendre ».
Cette confiance de la foi est appuyée sur l’expérience… Pour le peuple d’Israël, tout a commencé avec la libération d’Egypte ; c’est ce que notre psaume appelle « l’exploit de Dieu » : « Et pourtant ils avaient vu mon exploit. » (verset 9). Cette expérience, et de siècle en siècle, pour les générations suivantes, la mémoire de cette expérience vient soutenir la foi : si Dieu a pris la peine de libérer son peuple de l’esclavage, ce n’est pas pour le laisser mourir de faim ou de soif dans le désert.
IL EST NOTRE ROCHER, NOTRE SALUT
Et donc, on peut s’appuyer sur lui comme sur un rocher… « Acclamons notre rocher, notre salut », ce n’est pas de la poésie : c’est une profession de foi. Une foi qui s’appuie sur l’expérience du désert : à Massa et Meriba, le peuple a douté que Dieu lui donne les moyens de survivre… Mais Dieu a quand même fait couler l’eau du Rocher ; et, désormais, on rappellera souvent cet épisode en disant de Dieu qu’il est le Rocher d’Israël.
Le récit du paradis terrestre, lui-même, peut se lire à la lumière de cette réflexion d’Israël sur la foi, à partir de l’épisode de Massa et Meriba : pour Adam, c’est-à-dire chacun d’entre nous, la question de confiance peut se poser sous la forme d’un obstacle, une limitation de nos désirs (par exemple la maladie, le handicap, la perspective de la mort)… Ce peut être aussi un commandement à respecter, qui limite apparemment notre liberté, parce qu’il limite nos désirs d’avoir, de pouvoir… La foi, alors, c’est la confiance que, même si les apparences sont contraires, Dieu nous veut libres, vivants, heureux et que de nos situations d’échec, de frustration, de mort, il fera jaillir la liberté, la plénitude, la résurrection.
Pour certains d’entre nous la question de confiance se pose chaque fois que nous ne trouvons pas de réponse à nos interrogations : accepter de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre, accepter que les voies de Dieu nous soient impénétrables exige parfois de nous une confiance qui ressemble à un chèque en blanc… Il ne nous reste plus qu’à dire comme Pierre à Capharnaüm, « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jn 6,68).
Quand Saint Paul dit aux Corinthiens « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20), on peut traduire « Cessez de lui faire des procès d’intention, comme à Massa et Meriba » ou quand Marc dit dans son Evangile « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle », on peut traduire « croyez que la Nouvelle est bonne », c’est-à-dire croyez que Dieu vous aime, qu’il n’est que bienveillant à votre égard.
Ce choix résolu de la confiance, il est à refaire chaque jour : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » Je lis cette phrase comme très libérante : chaque jour est un jour neuf, aujourd’hui, tout est de nouveau possible. Chaque jour nous pouvons réapprendre à « écouter », à « faire confiance » : c’est pour cela que ce psaume 94/95 est le premier chaque matin dans la Liturgie des Heures ; et que chaque jour les juifs récitent deux fois leur profession de foi (le « Shema Israël ») qui commence par ce mot « Ecoute ». Et le texte d’Isaïe que je citais tout-à-l’heure à propos du Serviteur le dit bien : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples… Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille, pour qu’en disciple j’écoute. » (Is 50,4).
Dernière remarque, le psaume parle au pluriel : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? »… Cette conscience de faire partie d’un peuple était très forte en Israël ; quand le psaume 94/95 dit « Nous sommes le peuple que Dieu conduit », là non plus, ce n’est pas de la poésie, c’est l’expérience d’Israël qui parle ; dans toute son histoire, on pourrait dire qu’Israël parle au pluriel. « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous » sous-entendu sans vous demander où vous en êtes chacun dans votre sensibilité croyante ; nous touchons peut-être là un des problèmes de l’Eglise actuelle : dans la Bible, c’est un peuple qui vient à la rencontre de son Dieu… « Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR, acclamons notre rocher, notre salut ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Romains 5,1-2.5-8

Frères,
1 nous qui sommes devenus justes par la foi,
nous voici en paix avec Dieu
par notre Seigneur Jésus Christ,
2 lui qui nous a donné, par la foi,
l’accès à cette grâce
dans laquelle nous sommes établis ;
et nous mettons notre fierté
dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu.
5 Et l’espérance ne déçoit pas,
puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs
par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
6 Alors que nous n’étions encore capables de rien,
le Christ, au temps fixé par Dieu,
est mort pour les impies que nous étions.
7 Accepter de mourir pour un homme juste,
c’est déjà difficile ;
peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien.
8 Or, la preuve que Dieu nous aime,
c’est que le Christ est mort pour nous,
alors que nous étions encore pécheurs.

LE CHRIST A ACCEPTE DE MOURIR PAR AMOUR
Le chapitre 5 marque un tournant dans la lettre aux Romains : jusque-là, Paul parlait du passé de l’humanité (des païens comme des croyants) ; désormais il parle de l’avenir, un avenir transfiguré pour les croyants, par la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ.
Peut-être pour comprendre la pensée de Paul, faut-il lire ce texte en commençant par la fin : premièrement, le Christ a accepté de mourir pour nous, alors que nous étions pécheurs ; deuxièmement, l’Esprit Saint nous a été donné, et avec lui, c’est l’amour même de Dieu qui s’est répandu dans nos cœurs  ; troisièmement, désormais, tout notre orgueil est là, nous espérons et nous savons que nous aurons part à la gloire de Dieu.
Premièrement, le Christ a accepté de mourir pour nous, alors que nous étions pécheurs ; la formule « pour nous » en français est ambiguë : elle ne signifie pas « à notre place » ; comme si les condamnés à mort que nous étions avaient pu se faire remplacer par lui. « Pour nous » veut dire « en notre faveur ». « Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort en faveur des coupables que nous étions », dit Paul.
De quoi étions-nous coupables ? De toute la haine et la violence qui envahissent la vie des hommes, tout cela, bien souvent, par amour de l’argent ou du pouvoir…
De quoi étions-nous coupables ? De cette espèce de dévoiement général que Paul décrit au début de cette lettre aux Romains, et qui fait qu’on a bien souvent envie de dire « pauvre humanité ». Créée pour la paix, la tendresse, l’amour, le partage des biens et des joies, l’humanité a laissé s’installer en son sein des germes sans cesse renaissants de divisions, d’injustice et donc de haine et on a bien peur que ce soit sans issue ; Jésus prend cette situation à bras le corps et il la combat jusqu’à en mourir. Il vient dire ce qui est pourtant simple, mais que nous avons bien du mal à entendre : « Il vous faut retrouver le seul chemin qui mène au bonheur ; dussé-je en perdre la vie, je vous montrerai jusqu’au bout ce qu’aimer et pardonner veut dire. Et alors il vous suffira de me suivre, de prendre le même chemin que moi pour vous retrouver, avec moi, dans le monde pour lequel vous êtes faits, celui de la grâce et de l’amour. »
Deuxièmement, l’Esprit Saint nous a été donné, et avec lui, c’est l’amour même de Dieu qui s’est répandu dans nos coeurs ; ce que Paul dit là, c’est que, mystérieusement, mais de façon certaine, dans ce paroxysme d’amour du Fils de Dieu qu’a été la passion et la croix, l’Esprit de Dieu s’est répandu sur le monde.
L’ESPRIT SAINT NOUS A ÉTÉ DONNÉ
Jusqu’à ce chapitre 5, la lettre aux Romains ne mentionne jamais l’Esprit Saint sauf dans les toutes premières lignes qui constituent l’adresse. Mais, dans le corps de la lettre, c’est la première fois que Paul en parle, et ce n’est certainement pas un hasard ; c’est justement le moment où il parle de la croix du Christ ; le lien entre les deux versets est frappant : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs  par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions. »
Saint Jean fait exactement le même rapprochement dans son évangile ; déjà au moment de la fête des tentes quand Jésus avait parlé de l’eau vive : « Au jour solennel où se terminait la fête, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié. » (Jn 7,37-39). Et, au moment de la mort du Christ, pour montrer que cette promesse est accomplie, Jean note « Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli ». Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. » (Jn 19,30).
Troisièmement, désormais, tout notre orgueil est là, nous espérons et nous savons que nous aurons part à la gloire de Dieu. Paul utilise plusieurs fois le mot « orgueil » ou le verbe « s’enorgueillir » dans sa lettre et il a une position très ferme là-dessus ; elle tient en deux points : tout d’abord, nous n’avons en nous-mêmes aucun motif d’orgueil, quelles que soient nos bonnes œuvres   ; ce serait oublier que tout nous vient de Dieu, y compris le peu de vertu que nous avons. En revanche, et c’est le deuxième point, nous avons le droit d’être orgueilleux des dons de Dieu, à partir du moment où nous avons découvert à quel destin fabuleux Dieu nous invite ; déjà son Esprit nous habite ; et mieux encore, nous savons quelle gloire nous attend, quand ce même Esprit, justement, aura transformé nos cœurs  et nos corps à l’image du Christ ressuscité. Le récit de la Transfiguration, dimanche dernier, nous en a donné comme un avant-goût.
Quel chemin depuis Massa et Meriba, le récit du peuple soupçonneux de notre première lecture ! Un chemin que seule notre foi en Jésus-Christ peut nous faire parcourir : « Notre Seigneur Jésus Christ nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ; et nous mettons notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu. »
Dernière remarque : cet Esprit que Jésus nous a transmis, c’est l’Esprit même de Dieu, c’est-à-dire l’amour personnifié ; cette certitude devrait vaincre toutes nos peurs. Avec lui, les croyants d’abord, toute l’humanité ensuite, vaincront les forces de division. C’est une certitude puisque « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs  par l’Esprit Saint qui nous a été donné. »

EVANGILE – selon saint Jean 4, 5 … 42 (lecture brève)

En ce temps-là,
5 Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar,
près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.
6 Là se trouvait le puits de Jacob.
Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source.
C’était la sixième heure, environ midi.
7 Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau.
Jésus lui dit :
« Donne-moi à boire. »
8 – En effet, ses disciples étaient partis à la ville
pour acheter des provisions.
9 La Samaritaine lui dit :
« Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire,
à moi, une Samaritaine ? »
– En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
10 Jésus lui répondit :
« Si tu savais le don de Dieu
et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’,
c’est toi qui lui aurais demandé,
et il t’aurait donné de l’eau vive. »
11 Elle lui dit :
« Seigneur, tu n’as rien pour puiser,
et le puits est profond.
D’où as-tu donc cette eau vive ?
12 Serais-tu plus grand que notre père Jacob
qui nous a donné ce puits,
et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
13 Jésus lui répondit :
« Quiconque boit de cette eau
aura de nouveau soif ;
14 mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai
n’aura plus jamais soif ;
et l’eau que je lui donnerai
deviendra en lui une source d’eau
jaillissant pour la vie éternelle. »
15 La femme lui dit :
« Seigneur, donne-moi de cette eau,
que je n’aie plus soif,
et que je n’aie plus à venir ici pour puiser.
19 Je vois que tu es un prophète !…
20 Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là,
et vous, les Juifs, vous dites
que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »
21 Jésus lui dit :
« Femme, crois-moi :
l’heure vient
où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem
pour adorer le Père.
22 Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ;
nous, nous adorons ce que nous connaissons,
car le salut vient des Juifs.
23 Mais l’heure vient – et c’est maintenant –
où les vrais adorateurs
adoreront le Père en esprit et vérité :
tels sont les adorateurs que recherche le Père.
24 Dieu est esprit,
et ceux qui l’adorent,
c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
25 La femme lui dit :
« Je sais qu’il vient, le Messie,
celui qu’on appelle Christ.
Quand il viendra,
c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
26 Jésus lui dit :
« Je le suis,
moi qui te parle. »

39 Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus.
40 Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui,
ils l’invitèrent à demeurer chez eux.
Il y demeura deux jours.
41 Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire
à cause de sa parole à lui,
et ils disaient à la femme :
42 « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit
que nous croyons :
nous-mêmes, nous l’avons entendu,
et nous savons que c’est vraiment lui
le Sauveur du monde. »

SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU
L’eau courante n’apporte pas avec elle que des bienfaits ; nous ne connaissons plus les rencontres autour du puits, le puits en plein désert ou le puits du village : combien de relations sont nées là, combien de mariages dans la Bible ? Auprès d’un puits, le serviteur d’Abraham a rencontré Rébecca, celle qui devait devenir la femme d’Isaac ; auprès d’un puits, Jacob s’est épris de Rachel ; auprès d’un puits de Samarie, Jésus entame l’un des dialogues les plus célèbres de l’évangile de Jean, le dialogue avec celle qu’on appelle désormais la Samaritaine.
Jésus est de passage en Samarie, en route vers la Galilée ; il a quitté la Judée où les Pharisiens commencent à le surveiller ; il est environ midi : pourquoi Jean précise-t-il l’heure ? Dans un pays chaud, ce n’est pas l’heure d’aller puiser de l’eau ; la Samaritaine, mal vue dans son village, choisit-elle cette heure précisément pour ne rencontrer personne ? Ou bien Jean veut-il nous faire entendre que c’est l’heure de la pleine lumière et que la lumière du monde vient de se lever sur la Samarie, avec la révélation du Messie ? Car aux yeux des Pharisiens la Samarie passait pour avoir bien besoin de conversion.
La brouille entre Judéens et Samaritains remontait loin : du côté de Jérusalem, on considérait depuis longtemps les Samaritains comme des hérétiques, parce que certains d’entre eux descendaient de populations païennes installées là par l’Empire Assyrien après la conquête de la Samarie. Mais, soyons francs, les Samaritains le leur rendaient bien ; car il n’y avait quand même pas que des descendants de populations déplacées parmi eux ; il y avait également des descendants des tribus du Nord et qui essayaient tout autant que les habitants de Jérusalem de rester fidèles à la loi de Moïse ; et ils trouvaient tout autant de reproches à faire à ceux qui se croyaient plus purs qu’eux à Jérusalem. L’inimitié était donc parfaitement réciproque et la méfiance mutuelle n’avait fait que se durcir au cours des siècles ; on la ressentait très nettement à l’époque du Christ. D’où l’étonnement de la femme de Samarie : un Juif s’abaisserait-il à lui demander quelque chose ?
Mais simplement parce qu’elle l’a écouté, Jésus peut lui proposer le don véritable « Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit ‘Donne-moi à boire’ » ; le don de Dieu, c’est Jésus lui-même ; c’est de le connaître : Jésus le redit dans sa dernière prière, toujours dans l’évangile de Jean « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » (Jn 17,3).
Bien qu’ils soient des hérétiques aux yeux des Pharisiens de Jérusalem, les Samaritains attendent, eux aussi, le Messie et ils savent qu’il leur fera tout connaître : comme la Samaritaine le dit à Jésus « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. » Simplement parce qu’elle a accepté le dialogue, parce qu’elle a été ouverte, parce qu’elle a demandé de bonne foi une explication sur ce qu’il fallait faire pour plaire à Dieu, elle peut entrer dans cette connaissance du Messie « Je le suis, moi qui te parle ».
Tout au long de ce récit, Jean nous fait comprendre qu’avec la venue du Messie, la face du monde est changée : toutes les questions ont trouvé leur réponse, les temps sont accomplis : l’heure vers laquelle tendait toute l’histoire humaine a sonné. Désormais, le culte n’est plus une affaire de lieu, de temple, de montagne. L’eau vive jaillit dans chaque cœur  croyant : « Celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » Vous avez remarqué l’insistance de Jésus sur le don : avec le Dieu d’amour tout est don et pardon ; la Samaritaine qui se sait bien peu vertueuse accueille tout simplement, (plus simplement que d’autres, peut-être ?) le don et le pardon.
Et quand Jésus parle de source jaillissante, il veut peut-être dire que l’eau qui jaillit des coeurs croyants peut désormais en abreuver d’autres ? En tout cas c’est ce que vivra la Samaritaine qui aussitôt va dire à toute la ville « J’ai rencontré le Messie ».

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON MATTHIEU, LIVRE DE LA GENESE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 32

Dimanche 5 mars 2023 : 2ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 5 mars 2023 : 2ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de la Genèse 12, 1-4a

En ces jours-là,
1 le SEIGNEUR dit à Abram :
« Quitte ton pays,
ta parenté et la maison de ton père,
et va vers le pays que je te montrerai.
2 Je ferai de toi une grande nation,
je te bénirai,
je rendrai grand ton nom,
et tu deviendras une bénédiction.
3 Je bénirai ceux qui te béniront ;
celui qui te maudira, je le réprouverai.
En toi seront bénies
toutes les familles de la terre. »
4 Abram s’en alla, comme le SEIGNEUR le lui avait dit,
et Loth s’en alla avec lui.

ABRAM S’EN ALLA COMME LE SEIGNEUR LE LUI AVAIT DIT
Les quelques lignes que nous venons de lire sont le premier acte de toute l’aventure de notre foi, la foi des Juifs d’abord, bien sûr, puis dans l’ordre chronologique, des Chrétiens, et des Musulmans. Nous sommes au deuxième millénaire av.J. C. Abram* vivait en Chaldée, c’est-à dire en Irak, et plus précisément, à l’extrême Sud-Est de l’Irak, dans la ville de OUR, dans la vallée de l’Euphrate, près du golfe persique. Il y vivait avec sa femme, Saraï ; chez son père Térah, et avec ses frères, (Nahor et Haran), et son neveu Loth. Abram avait soixante-quinze ans, sa femme Saraï soixante-cinq ; ils n’avaient pas d’enfant, et donc, vu leur âge, ils n’en auraient plus jamais.
Un jour le vieux père, Térah, prit la route avec Abram, Saraï et son petit-fils Loth.  La caravane remonte la vallée de l’Euphrate du Sud-Est au Nord-Ouest avec l’intention de redescendre vers le pays de Canaan ; il y aurait une route plus courte, bien sûr, que ce grand triangle pour relier le golfe persique à la Méditerranée mais elle traverse un immense désert ; Térah et Abram préfèrent emprunter le « Croissant Fertile » qui porte bien son nom. Leur dernière étape au Nord-Ouest s’appelle Harran. C’est là que le vieux père, Térah, meurt.
C’est là, surtout, que pour la première fois, il y a donc presque 4000 ans, vers 1850 av.J.C., Dieu parla à Abram. « Quitte ton pays », dit notre traduction liturgique, mais elle omet les deux premiers mots, probablement pour éviter les excès d’interprétation dont on ne s’est pas toujours privés. En réalité, en hébreu, les deux premiers mots sont « Toi, Va ! » Grammaticalement, cela ne veut rien dire d’autre. C’est un appel personnel, une mise à part : il s’agit bien d’un récit de vocation. Et c’est à ce simple appel qu’Abram a répondu. On aime souvent traduire « Va pour toi », mais c’est déjà une surinterprétation croyante. J’y reviendrai. Il y a eu pire : « Va vers toi-même » est de la pure fantaisie, injuste par rapport au texte.
Je reviens à la traduction « Va pour toi » : il faut être conscient que l’on s’éloigne de la littéralité du texte pour entrer dans une interprétation, un commentaire spirituel. C’est Rachi, le grand commentateur juif du 11ème siècle (à Troyes en Champagne), qui traduit « Va pour toi, pour ton bien et pour ton bonheur ». Effectivement, c’est ce qu’Abram a expérimenté au long des jours.
Si Dieu appelle l’homme, c’est pour le bonheur de l’homme, pas pour autre chose ! Le dessein bienveillant de Dieu sur l’humanité est dans ces deux petits mots « Pour toi ». Déjà Dieu se révèle comme celui qui veut le bonheur de l’homme, de tous les hommes** ; s’il faut retenir une chose, c’est celle-là ! « Va pour toi » : un croyant c’est quelqu’un qui sait que, quoi qu’il arrive, Dieu l’emmène vers son accomplissement, vers son bonheur. Voilà donc la première parole de Dieu à Abram, celle qui a déclenché toute son aventure… et la nôtre !
« Toi, Va, quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai ». Et la suite n’est que promesses : « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction… En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Abram est arraché à son destin naturel, choisi, élu par Dieu, investi d’une vocation d’ampleur universelle.
Abram, pour l’heure, est un nomade, riche peut-être, mais inconnu, et il n’a pas d’enfant, et sa femme, Saraï, a largement passé l’âge d’en avoir. C’est lui, pourtant, que Dieu choisit pour en faire le père d’un grand peuple. Voilà ce que voulait dire le « pour toi » de tout à l’heure : Dieu lui promet tout ce qui, à cette époque-là, fait le bonheur d’un homme : une descendance nombreuse et la bénédiction de Dieu.
CE SONT LES CROYANTS QUI SONT FILS D’ABRAHAM
Mais ce bonheur promis à Abram n’est pas pour lui seul : dans la Bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres. Ici, il y a cette phrase « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Elle veut dire au moins deux choses : premièrement, ta réussite sera telle que tu seras pris comme exemple : quand on voudra se souhaiter du bonheur, on se dira « puisses-tu être heureux comme Abram ». Ensuite, ce « en toi » peut signifier « à travers toi » ; et alors cela veut dire « à travers toi, moi, Dieu, je bénirai toutes les familles de la terre ».
Le projet de bonheur de Dieu passe par Abram, mais il le dépasse, il le déborde ; il concerne toute l’humanité : « En toi, à travers toi, seront bénies toutes les familles de la terre ». Tout au long de l’histoire d’Israël, la Bible restera fidèle à cette découverte première : Abraham et ses descendants sont le peuple élu, choisi par Dieu, dans le mystère impénétrable de sa volonté, mais c’est au bénéfice de l’humanité tout entière, et cela depuis le premier jour, depuis la première annonce à Abram. Reste que les autres nations demeurent libres de ne pas entrer dans cette bénédiction ; c’est le sens de la phrase un peu curieuse à première vue : « Je bénirai ceux qui te béniront, celui qui te maudira, je le réprouverai. » C’est une manière de dire notre liberté : tous ceux qui le désirent pourront participer à la bénédiction promise à Abram, mais personne n’est obligé d’accepter !
Et voilà ! L’heure du grand départ a sonné ; le texte est remarquable par sa sobriété ; il dit simplement « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui ». On ne peut pas être plus laconique ! Ce départ, sur simple appel de Dieu, est la plus belle preuve de foi ; quatre mille ans plus tard, nous pouvons dire que notre propre foi a sa source dans celle d’Abraham ; et si nos vies tout entières sont illuminées par la foi, c’est grâce à lui ! Ce que Saint Paul exprime dans la lettre aux Galates quand il dit « Ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux, les fils d’Abraham… Ainsi, ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham, le croyant » (Ga 3,7…9). Et toute l’histoire humaine est ainsi devenue le lieu de l’accomplissement de ces promesses de Dieu à Abraham. Accomplissement lent, accomplissement progressif, mais accomplissement sûr et certain.
———————
Note
*Au début de cette grande aventure, celui que nous appelons Abraham ne s’appelait encore que « Abram » ; c’est plus tard, après des années de pèlerinage, si l’on peut dire, qu’Abram recevra de Dieu son nouveau nom, celui sous lequel nous le connaissons, « Abraham » qui veut dire « père des multitudes ». Et c’est vrai que nous sommes des multitudes, répandus sur toute la terre, à le reconnaître comme notre père dans la foi. Saraï, elle aussi, plus tard, recevra de Dieu un nouveau nom et s’appellera Sara.
** Ce « pour toi » ne doit pas être entendu comme exclusif, mais on ne l’a pas compris tout de suite. Ce n’est qu’après une longue découverte de l’Alliance de Dieu que les croyants ont pu accéder à la vérité tout entière : le projet de Dieu ne concerne pas seulement Abraham et ses descendants, il concerne l’humanité tout entière. C’est ce que l’on appelle l’universalité du projet de Dieu. Cette découverte date de l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant J.C.

Complément
Dans un autre moment crucial de la vie d’Abraham, au moment de l’offrande d’Isaac, Dieu emploiera la même expression « Toi, Va » pour lui rappeler tout le chemin déjà parcouru et lui donner la force d’affronter l’épreuve.
Et quand l’auteur de la lettre aux Hébreux veut dire ce qu’est la foi, il prend pour exemple ce départ d’Abraham qui ressemblait fort à un saut dans l’inconnu, justifié par sa seule confiance en Dieu : « Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait. Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre Promise, comme en terre étrangère… Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable. » (He 11,8…12).

PSAUME – 32 (33), 4-5. 18-19. 20.22

4 Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
5 Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

18 Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
19 pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

20 Nous attendons notre vie du SEIGNEUR :
il est pour nous un appui, un bouclier.
22 Que ton amour, SEIGNEUR, soit sur nous,
comme notre espoir est en toi.

UN CAREME A L’IMAGE D’ADAM OU A L’IMAGE D’ABRAHAM ?
Nous avons entendu trois fois le mot « amour » dans ces quelques versets ; et cette insistance répond fort bien à notre première lecture de ce dimanche : Abraham est le premier de toute l’histoire humaine à avoir découvert que Dieu est amour et qu’il forme pour l’humanité des projets de bonheur. Encore fallait-il croire à cette révélation extraordinaire. Et Abraham a cru, il a accepté de faire confiance, simplement, aux paroles d’avenir que Dieu lui annonçait. Un vieillard sans enfant, pourtant, aurait eu toutes les bonnes raisons de douter de cette promesse invraisemblable de Dieu. Rappelons-nous le texte de notre première lecture : Dieu lui dit « Quitte ton pays… je ferai de toi une grande nation. » Et le texte de la Genèse conclut : « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit. »
Bel exemple pour nous en début de Carême : il faudrait croire en toutes circonstances que Dieu fait des projets de bonheur sur nous. C’était bien le sens de la phrase qui a été prononcée sur nous le mercredi des Cendres : « Convertissez-vous et croyez à l’évangile (ou à la Bonne Nouvelle) » : ce qui signifie : « Se convertir, c’est croire une fois pour toutes que la Nouvelle est Bonne ; que Dieu est Amour ». Jérémie disait de la part de Dieu : « Moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du SEIGNEUR -, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29,11).
Et ainsi, nos deux premiers dimanches de Carême nous invitent à un choix : pour le premier dimanche de Carême, nous avons relu dans le livre de la Genèse l’histoire d’Adam, c’est-à-dire l’homme qui soupçonne Dieu ; devant une interdiction (celle de manger du fruit d’un arbre) interdiction qui est seulement une mise en garde, l’homme qui ne croit pas résolument à l’amour de Dieu imagine que Dieu pourrait avoir des mauvaises intentions sur l’homme, et peut-être même qu’il pourrait être jaloux ! Ce sont les insinuations du serpent, ce qui veut bien dire que c’est du poison.
Pour ce deuxième dimanche de Carême, au contraire, nous lisons l’histoire d’Abraham, le croyant. Un peu plus loin, le livre de la Genèse dit de lui : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » Et, pour nous aider à prendre le même chemin qu’Abraham, ce psaume vient nous suggérer les mots de la confiance : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort… La terre est remplie de son amour »… et vous avez remarqué au passage : l’expression « ceux qui le craignent » est expliquée à la ligne suivante : ce sont ceux qui  « mettent leur espoir en son amour »… on est loin de la peur, c’est même tout le contraire !
Tout au long de son histoire, le peuple élu a oscillé d’une attitude à l’autre : tantôt confiant, sûr de son Dieu, conscient que son bonheur était au bout de l’observance fidèle des commandements, parce que si Dieu a donné la Loi, c’est pour le bonheur de l’homme… « Oui, elle est droite la Parole du SEIGNEUR » ; tantôt au contraire, le peuple était en révolte, attiré par des idoles : à quoi bon être fidèle à ce Dieu et à ses commandements ? C’est bien exigeant et au nom de quoi faudrait-il obéir ? Qui nous dit que c’est le bonheur assuré ? On veut être libres et faire tout ce qu’on veut… n’obéir qu’à soi-même.
Celui qui a composé ce psaume connaît les oscillations de son peuple, il l’invite à se retremper dans la certitude de la foi, seule susceptible de construire du bonheur durable ; cette certitude de la foi, elle est assise sur une expérience de plusieurs siècles. On peut dire, parce qu’on en a eu de nombreuses preuves, que « Dieu est fidèle en tout ce qu’il fait » ; et, ici, l’expression « ce qu’il fait » est beaucoup plus forte qu’en français ; le « faire » de Dieu, c’est son oeuvre, son entreprise de libération de son peuple.
LA FOI D’ISRAEL EST AFFAIRE D’EXPERIENCE
Réellement, c’est d’expérience que le peuple élu peut dire : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour » car Dieu a veillé sur eux comme un père sur ses fils, comme le dit le Livre du Deutéronome, en parlant de la traversée du désert, après la libération d’Egypte. Le psalmiste continue : « Pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine » ; là encore, c’est l’expérience qui parle ; jamais on n’aurait survécu à la traversée de la Mer si le Seigneur ne s’en était mêlé ; on n’aurait pas non plus survécu à l’épreuve du désert… Quand on affirme « il les délivre de la mort » on ne parle évidemment pas de la mort biologique ; mais il faut savoir qu’à l’époque où ce psaume est composé, la mort individuelle n’est pas considérée comme un drame ; car ce qui compte, c’est la survie du peuple ; or on en est sûrs, Dieu fera survivre son peuple quoi qu’il arrive ; à tout moment, et particulièrement dans l’épreuve, Dieu accompagne son peuple et « le délivre de la mort » ; quant à l’expression « jours de famine », elle est certainement une allusion à la manne que Dieu a fait tomber à point nommé pendant l’Exode, quand la faim devenait menaçante…
Cette expérience de la sollicitude de Dieu, tout le peuple croyant peut en témoigner à toutes les époques ; et quand on chante « Dieu est fidèle en tout ce qu’il fait », on redit tout simplement le nom du « Dieu de tendresse et de fidélité » qui s’est révélé à Moïse (Ex 34,6).
La fin est une prière de confiance : « que ton amour soit sur nous… comme notre espoir est en toi » et on connaît bien le sens du subjonctif : ce n’est pas l’expression d’un doute ou d’une incertitude « Son amour est toujours sur nous ! » Mais c’est une invitation pour le croyant à s’offrir à cet amour. La dimension d’attente est très forte dans les derniers versets : « Nous attendons notre vie du SEIGNEUR : il est pour nous un appui, un bouclier. » Sous-entendu « et lui seul » : c’est-à-dire, résolument, nous ne mettrons notre confiance qu’en lui. C’est dans cette confiance que le croyant puise sa force : non, pas SA force mais celle que Dieu lui donne.

DEUXIEME LECTURE – Deuxième lettre de saint Paul à Timotée 1, 8b – 10

Fils bien-aimé,
8 avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances
liées à l’annonce de l’Évangile.
9 Car Dieu nous a sauvés,
il nous a appelés à une vocation sainte,
non pas à cause de nos propres actes,
mais à cause de son projet à lui et de sa grâce.
Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus
avant tous les siècles,
10 et maintenant elle est devenue visible,
car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté :
il a détruit la mort,
et il a fait resplendir la vie et l’immortalité
par l’annonce de l’Évangile.

DIEU NOUS A APPELÉS À UNE VOCATION SAINTE
Paul est en prison à Rome, il sait qu’il sera prochainement exécuté : il donne ici ses dernières recommandations à Timothée ; « Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Evangile ». « Prends ta part de souffrance » : cette souffrance, c’est la persécution ; elle est inévitable pour un véritable disciple du Christ. Jésus l’avait dit lui-même « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive… Celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. » (Mc 8,34-35).
Je reviens à la lettre de Paul : l’expression « l’annonce de l’Evangile » se retrouve à l’identique à la fin de ce passage qui se présente donc comme une inclusion ; et le passage central, encadré par ces deux expressions identiques détaille ce que c’est que cet Evangile ; quand Paul emploie le mot « évangile », il ne pense pas aux quatre livres que nous connaissons aujourd’hui et que nous appelons les quatre évangiles ; il emploie le mot « évangile » dans son sens étymologique de « bonne nouvelle ». Tout comme Jésus lui-même l’employait quand il commençait sa prédication en Galilée en disant « Convertissez-vous, croyez à l’évangile, à la bonne nouvelle. » Et il ne s’agit pas de n’importe quelle bonne nouvelle : ce mot « évangile » était employé pour annoncer la naissance de l’empereur ou sa venue dans une ville. Il est évidemment intéressant d’entendre ce mot ici : cela veut dire que la prédication chrétienne est l’annonce que le royaume de Dieu est enfin inauguré.
En ce qui concerne Paul, c’est donc dans la phrase centrale de notre texte que nous allons découvrir en quoi consiste pour lui l’évangile : il tient finalement en quelques mots : « Dieu nous a sauvés par Jésus-Christ ».
« Dieu nous a sauvés », c’est au passé, c’est acquis, mais en même temps, pour que les hommes entrent dans ce salut, il faut que l’évangile leur soit annoncé ; c’est donc vraiment d’une vocation sainte que nous sommes investis : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte » : … « vocation sainte » parce qu’elle est confiée par le Dieu saint, vocation sainte parce qu’il s’agit ni plus ni moins d’annoncer le projet de Dieu, vocation sainte parce que le projet de Dieu a besoin de notre collaboration : chacun doit y prendre sa part, comme dit Paul.
Mais l’expression « vocation sainte » signifie aussi autre chose : le projet de Dieu sur nous, sur l’humanité, est tellement grand qu’il mérite bien cette appellation ; car si j’en crois ce que Paul dit ailleurs du « dessein bienveillant de Dieu », la vocation de toute l’humanité est de ne faire plus qu’un en Jésus-Christ, d’être le Corps dont le Christ est la tête, et d’entrer dans la communion de la Trinité sainte. La vocation particulière des apôtres s’inscrit dans cette vocation universelle de l’humanité.
Je reviens sur la phrase « Dieu nous a sauvés » : dans la Bible, le mot « sauver » veut toujours dire « libérer » ; il a fallu toute la découverte progressive de cette réalité par le peuple de l’Alliance : Dieu veut l’homme libre et il intervient sans cesse pour nous libérer de toute forme d’esclavage ; des esclavages, l’humanité en subit de toute sorte : esclavages politiques comme la servitude en Egypte, ou l’Exil à Babylone, par exemple, et chaque fois, Israël a reconnu dans sa libération l’œuvre  de Dieu ; esclavages sociaux, et la Loi de Moïse comme les prophètes appellent sans cesse à la conversion des cœurs  pour que tout homme ait les moyens de subsister dignement et librement ; esclavages religieux, plus pernicieux encore ; la phrase célèbre « Liberté, combien de crimes a-t-on commis en ton nom ! » pourrait se dire encore plus scandaleusement « Religion, combien de crimes a-t-on commis en ton nom ! » … Et les prophètes n’ont cessé de répercuter cette volonté de Dieu de voir l’humanité enfin libérée de toutes ses chaînes.
MÊME LA MORT NE NOUS SÉPARERA PAS DE DIEU
Et Paul va jusqu’à dire que Jésus nous a libérés de la mort : « Notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Evangile. » Curieuse phrase au moment même où Paul se prépare à être exécuté ! Et Jésus lui-même est mort ; quant à nous, il faut bien l’admettre, nous devons tous mourir. On ne peut donc pas dire que Jésus a détruit la mort biologique… Alors de quelle victoire s’agit-il ?
Ce que Jésus nous donne, parce qu’il est rempli de l’Esprit Saint, c’est sa propre vie qu’il nous fait partager, spirituellement, et que rien ne peut détruire, même la mort biologique. Sa Résurrection est bien la preuve que la mort biologique ne peut l’anéantir ; et pour nous-mêmes, la mort biologique ne sera qu’un passage vers la lumière sans déclin. C’est ce que dit l’une des prières de la liturgie des funérailles : « La vie n’est pas détruite, elle est transformée ».
La bonne nouvelle, c’est que, si la mort biologique fait partie de notre constitution physique faite de poussière, comme dit le livre de la Genèse, elle ne réussit pas à nous séparer de Jésus-Christ (cf Rm 8,39). En nous, il y a une vie, faite de notre relation à Dieu et que rien, même la mort biologique, ne peut détruire ; c’est ce que Saint Jean appelle « la vie éternelle ».
Et cela est don gratuit de Dieu : vous avez entendu comme moi l’insistance de Paul là-dessus : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce ».
Cette grâce devient visible par la vie terrestre de Jésus-Christ, mais Paul insiste fortement sur le fait que ce projet, Dieu l’a conçu de toute éternité ; le Christ Jésus s’est manifesté à nos yeux par sa vie, sa mort et sa résurrection, mais Il est depuis toujours présent auprès du Père. « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible. »
Pour annoncer ce projet, Timothée, comme tout baptisé, n’a qu’une chose à faire, compter sur la puissance de Dieu : « Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Evangile ». Cette petite phrase devrait nous donner toutes les audaces : chaque fois que nous sommes en service commandé pour l’annonce de l’évangile, nous pouvons compter sur la force de Dieu.

EVANGILE – selon saint Matthieu 17, 1-9

En ce temps-là,
1 Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère,
et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne.
2 Il fut transfiguré devant eux ;
son visage devint brillant comme le soleil,
et ses vêtements, blancs comme la lumière.
3 Voici que leur apparurent Moïse et Élie,
qui s’entretenaient avec lui.
4 Pierre alors prit la parole et dit à Jésus :
« Seigneur, il est bon que nous soyons ici !
Si tu le veux,
je vais dresser ici trois tentes,
une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
5 Il parlait encore,
lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre,
et voici que, de la nuée, une voix disait :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
en qui je trouve ma joie :
écoutez-le ! »
6 Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre
et furent saisis d’une grande crainte.
7 Jésus s’approcha, les toucha et leur dit :
« Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
8 Levant les yeux,
ils ne virent plus personne,
sinon lui, Jésus, seul.
9 En descendant de la montagne,
Jésus leur donna cet ordre :
« Ne parlez de cette vision à personne,
avant que le Fils de l’homme
soit ressuscité d’entre les morts. »

MON FILS BIEN-AIMÉ, EN QUI JE TROUVE MA JOIE. ECOUTEZ-LE
« Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère » : nous sommes là une fois de plus devant le mystère des choix de Dieu : c’est à Pierre que Jésus a dit tout récemment, à Césarée : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ; et la Puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle » (Mt 16,18). Mais Pierre, investi de cette mission capitale, au vrai sens du terme, n’est pas seul pour autant avec Jésus, il est accompagné des deux frères, Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée.
« Et Jésus les emmena à l’écart sur une haute montagne » : sur une haute montagne, Moïse avait eu la Révélation du Dieu de l’Alliance et avait reçu les tables de la Loi ; cette loi qui devait éduquer progressivement le peuple de l’Alliance à vivre dans l’amour de Dieu et des frères. Sur la même montagne, Elie avait eu la Révélation du Dieu de tendresse dans la brise légère… Moïse et Elie, les deux colonnes de l’Ancien Testament …
Sur la haute montagne de la Transfiguration, Pierre, Jacques et Jean, les colonnes de l’Eglise, ont la Révélation du Dieu de tendresse incarné en Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie ». Et cette révélation leur est accordée pour affermir leur foi avant la tourmente de la Passion.
Pierre écrira plus tard : « Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » (2 P 1,16-18).
Cette expression « mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. Ecoutez-le » désigne Jésus comme le Messie : pour des oreilles juives, cette simple phrase est une triple allusion à l’Ancien Testament ; car elle évoque trois textes très différents, mais qui étaient dans toutes les mémoires ; d’autant plus que l’attente était vive au moment de la venue de Jésus et que les hypothèses allaient bon train : on en a la preuve dans les nombreuses questions qui sont posées à Jésus dans les évangiles.
« Fils », c’était le titre qui était donné habituellement au roi et l’on attendait le Messie sous les traits d’un roi descendant de David, et qui régnerait enfin sur le trône de Jérusalem, qui n’avait plus de roi depuis bien longtemps. « Mon bien-aimé, en qui je trouve ma joie », évoquait un tout autre contexte : il s’agit des « Chants du Serviteur » du livre d’Isaïe ; c’était dire que Jésus est le Messie, non plus à la manière d’un roi, mais d’un Serviteur, au sens d’Isaïe (Is 42,1). « Ecoutez-le », c’était encore autre chose, c’était dire que Jésus est le Messie-Prophète au sens où Moïse, dans le livre du Deutéronome, avait annoncé au peuple : « Au milieu de vous, parmi vos frères, le SEIGNEUR votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » (Dt 18,15).
LA RÉALISATION EST ENCORE PLUS BELLE QUE LA PROMESSE
« Dressons trois tentes » : cette phrase de Pierre suggère que l’épisode de la Transfiguration a peut-être eu lieu lors de la Fête des Tentes ou au moins dans l’ambiance de la fête des Tentes… cette fête était célébrée en mémoire de la traversée du désert pendant l’Exode, et de l’Alliance conclue avec Dieu dans la ferveur de ce que les prophètes appelleront plus tard les fiançailles du peuple avec le Dieu de tendresse et de fidélité ; pendant cette fête, on vivait sous des tentes pendant huit jours… Et on attendait, on implorait une nouvelle manifestation de Dieu qui se réaliserait par l’arrivée du Messie ; et pendant la durée de la fête, de nombreuses célébrations, de nombreux psaumes célébraient les promesses messianiques et imploraient Dieu de hâter sa venue.
Sur la montagne de la Transfiguration, les trois apôtres se trouvent tout d’un coup devant cette révélation du mystère de Jésus : rien d’étonnant qu’ils soient saisis de la crainte qui prend tout homme devant la manifestation du Dieu Saint ; on n’est pas surpris non plus que Jésus les relève et les rassure : déjà l’Ancien Testament a révélé au peuple de l’Alliance que le Dieu très Saint est le Dieu tout proche de l’homme et que la peur n’est pas de mise.
Mais cette révélation du mystère du Messie, sous tous ses aspects, n’est pas encore à la portée de tous ; Jésus leur donne l’ordre de ne rien raconter pour l’instant, « avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». En disant cette dernière phrase, Jésus confirme cette révélation que les trois disciples viennent d’avoir ; il est vraiment le Messie que le prophète Daniel voyait sous les traits d’un homme, venant sur les nuées du ciel : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7,13-14).
Au passage, n’oublions pas que le même Daniel présente le Fils de l’homme non pas comme un individu solitaire, mais comme un peuple, qu’il appelle « le peuple des saints du Très-Haut »
La réalisation est encore plus belle que la promesse : en Jésus, l’Homme-Dieu, c’est l’humanité tout entière qui recevra cette royauté éternelle et sera éternellement transfigurée. Mais Jésus a bien dit « Ne dites rien à personne avant la Résurrection… » C’est seulement après la Résurrection de Jésus que les apôtres seront capables d’en être les témoins.
———————-
Compléments
Verset 1 : Le texte grec commence par l’expression « Six jours après » qui confirme le lien supposé avec la fête des Tentes. Cela voudrait dire : « Six jours après le Yom Kippour », le jour du Grand Pardon.
Verset 3 : Pourquoi Moïse et Elie ? Les deux mêmes qui ont eu la révélation du Père sur le Sinaï ont ici la révélation du Fils. La mosaïque de la basilique de la Transfiguration au Monastère Sainte Catherine dans le Sinaï confirme cette interprétation : dans cette mosaïque, Moïse est représenté déchaussé, ses sandales délacées à côté de lui : il s’est déchaussé comme devant le buisson ardent (Ex 3).

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE DE LA GENESE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 50

Dimanche 26 février 2023 : 1er dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 26 février 2023 : 1er dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de la Genèse 2,7-9 ; 3,1-7a

2,7 Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme
avec la poussière tirée du sol ;
il insuffla dans ses narines le souffle de vie,
et l’homme devint un être vivant.
8 Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient,
et y plaça l’homme qu’il avait modelé.
9 Le SEIGNEUR Dieu fit pousser du sol
toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ;
il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin,
et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
3,1 Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs
que le SEIGNEUR Dieu avait faits.
Il dit à la femme :
« Alors, Dieu vous a vraiment dit :
‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? »
2 La femme répondit au serpent :
« Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
3 Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin,
Dieu a dit :
‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas,
sinon vous mourrez.’ »
4 Le serpent dit à la femme :
« Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
5 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez,
vos yeux s’ouvriront,
et vous serez comme des dieux,
connaissant le bien et le mal. »
6 La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux,
qu’il était agréable à regarder
et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence.
Elle prit de son fruit, et en mangea.
Elle en donna aussi à son mari,
et il en mangea.
7 Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent
et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.

LA PARABOLE DU JARDIN D’EDEN
Avant d’aborder ce texte, il faut se souvenir que son auteur n’a jamais prétendu faire œuvre  d’historien ! La Bible n’a été écrite ni par des scientifiques, ni par des historiens ; mais par des croyants pour des croyants. Le théologien qui écrit ces lignes, sans doute au temps de Salomon, au dixième siècle avant J.C., cherche à répondre aux questions que tout le monde se pose : pourquoi le mal ? Pourquoi la mort ? Pourquoi les mésententes dans les couples humains ? Pourquoi la difficulté de vivre ? Pourquoi le travail est-il pénible ? La nature parfois hostile ?
Pour répondre, il s’appuie sur une certitude qui est celle de tout son peuple, c’est la bonté de Dieu : Dieu nous a libérés d’Egypte, Dieu nous veut libres et heureux. Depuis la fameuse sortie d’Egypte, sous la houlette de Moïse, depuis la traversée du désert, où on a expérimenté à chaque nouvelle difficulté la présence et le soutien de Dieu, on ne peut plus en douter. Le récit que nous venons de lire est donc appuyé sur cette certitude de la bienveillance de Dieu et il essaie de répondre à toutes nos questions sur le mal dans le monde. Avec ce Dieu qui est bon et bienveillant, comment se fait-il qu’il y ait du mal ?
Notre auteur a inventé une fable pour nous éclairer : un jardin de délices (c’est le sens du mot « Eden »), et l’humanité symbolisée par un couple qui a charge de cultiver et garder le jardin. Le jardin est plein d’arbres tous plus attrayants les uns que les autres. Celui du milieu s’appelle « l’arbre de vie » ; on peut en manger comme de tous les autres. Mais il y a aussi, quelque part dans ce jardin, le texte ne précise pas où, un autre arbre, dont le fruit, lui, est interdit. Il s’appelle « l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux ».
Devant cette interdiction, le couple a deux attitudes possibles : soit faire confiance puisqu’on sait que Dieu n’est que bienveillant ; et se réjouir d’avoir accès à l’arbre de vie : si Dieu nous interdit l’autre arbre, c’est qu’il n’est pas bon pour nous. Soit soupçonner chez Dieu un calcul malveillant : imaginer qu’il veut nous interdire l’accès à la connaissance.
C’est le discours du serpent : il s’adresse à la femme ; il se fait faussement compréhensif : « Alors ? Dieu vous a vraiment dit : vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin ? »1
La femme répond : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin, mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ». Vous avez remarqué le déplacement : simplement parce qu’elle a écouté la voix du soupçon, elle ne parle déjà plus que de cet arbre-là et elle dit « l’arbre qui est au milieu du jardin » : désormais, de bonne foi, c’est lui, et non l’arbre de vie, qu’elle voit au milieu du jardin.
QUI FAUT-IL CROIRE ? DIEU OU LE SERPENT ?
Son regard est déjà faussé, du seul fait qu’elle a laissé le serpent lui parler ; alors le serpent peut continuer son petit travail de sape : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
Là encore, la femme écoute trop bien ces belles paroles et le texte suggère que son regard est de plus en plus faussé : « La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder
et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. ». Le serpent a gagné : elle prend le fruit, elle en mange, elle le donne à son mari, il en mange aussi. Et vous avez entendu la fin de l’histoire : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus ».
Le serpent avait bien dit « vos yeux s’ouvriront » ; l’erreur de la femme a été de croire qu’il parlait dans son intérêt, et qu’il dévoilait les mauvaises intentions de Dieu ; ce n’était que mensonge : le regard est changé, c’est vrai, mais il est faussé.
Ce n’est pas un hasard si le soupçon porté sur Dieu est représenté sous les traits d’un serpent ; Israël au désert avait fait l’expérience des serpents venimeux. Notre théologien de la cour de Salomon lui rappelle cette cuisante expérience et dit : il y a un poison plus grave que le poison des serpents les plus venimeux ; le soupçon porté sur Dieu est un poison mortel, il empoisonne nos vies.
L’idée de notre théologien, c’est que tous nos malheurs viennent de ce soupçon qui gangrène l’humanité. Dire que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est réservé à Dieu, c’est dire que Dieu seul connaît ce qui fait notre bonheur ou notre malheur ; ce qui, après tout, est logique s’il nous a créés. Vouloir manger à tout prix du fruit de cet arbre interdit, c’est prétendre déterminer nous-mêmes ce qui est bon pour nous : la mise en garde « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez » indiquait bien qu’il s’agissait là d’une fausse piste.
Le récit va encore plus loin : au cours du périple dans le désert, Dieu a prescrit la Loi qu’il faudrait appliquer désormais, ce que nous appelons les commandements. On sait que la pratique quotidienne de cette Loi est la condition de la survie et de la croissance harmonieuse de ce peuple ; si on savait suffisamment que Dieu veut uniquement notre vie, notre bonheur, notre liberté, on ferait confiance et c’est de bon cœur  qu’on obéirait à la loi. Elle est vraiment « l’arbre de vie » mis à notre disposition par Dieu.
Je disais en commençant qu’il s’agit d’une fable, mais dont la leçon est valable pour chacun d’entre nous ; depuis que le monde est monde, c’est toujours la même histoire. Saint Paul (que nous lisons ce dimanche en deuxième lecture) poursuit la méditation et dit : seul le Christ a fait confiance à son Père en toutes choses ; il nous montre le chemin de la Vie.
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Note
Dans le texte hébreu, la question du serpent est volontairement ambigüe : « Vraiment ! Dieu vous a dit : vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Posée ainsi, en effet, la question peut s’entendre « vous ne mangerez pas de tous les fruits » ou « vous ne mangerez d’aucun » !

Complément
Le récit de la Genèse a de multiples résonances dans la méditation du peuple d’Israël. L’une des réflexions suggérées par le texte concerne l’arbre de vie : planté au milieu du jardin d’Eden, il était accessible à l’homme et autorisé à la consommation. On peut penser que son fruit permettait à l’homme de rester en vie, de cette vie spirituelle que Dieu lui a insufflée : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7).
Alors les rabbins ont fait le rapprochement avec la Loi donnée par Dieu au Sinaï. Car elle est accueillie par les croyants comme un cadeau de Dieu, un soutien pour la vie quotidienne : « Mon fils, n’oublie pas mon enseignement ; que ton cœur observe mes préceptes : la longueur de tes jours, les années de ta vie, et ta paix en seront augmentées. » (Pr 3,1-2)

PSAUME – 50 (51), 3-4.5-6.12.13.14.17

3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4 Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

5 Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
6 Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

12 Crée en moi un cœur  pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

SELON TA GRANDE MISÉRICORDE, EFFACE NOS PÉCHÉS
« Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. » Le peuple d’Israël est en pleine célébration pénitentielle au Temple de Jérusalem. Il se reconnaît pécheur, mais il sait aussi l’inépuisable miséricorde de Dieu. Et d’ailleurs, s’il est réuni pour demander pardon, c’est parce qu’il sait d’avance que le pardon est déjà accordé.
Cela avait été, rappelez-vous, la grande découverte du roi David : David avait fait venir au palais sa jolie voisine, Bethsabée ; (au passage, il ne faut pas oublier de préciser qu’elle était mariée avec un officier, Urie, qui était à ce moment-là en campagne). C’est d’ailleurs bien grâce à son absence que David avait pu convoquer la jeune femme au palais ! Quelques jours plus tard, Bethsabée avait fait dire à David qu’elle attendait un enfant de lui. Et, à ce moment-là, David avait organisé la mort au champ d’honneur du mari trompé pour pouvoir s’approprier définitivement sa femme et l’enfant qu’elle portait.
Or, et c’est là l’inattendu de Dieu, quand le prophète Natan était allé trouver David, il n’avait pas d’abord cherché à obtenir de lui une parole de repentir, il avait commencé par lui rappeler tous les dons de Dieu et lui annoncer le pardon, avant même que David ait eu le temps de faire le moindre aveu. (2 S 12). Il lui avait dit en substance : « Regarde tout ce que Dieu t’a donné… eh bien, sais-tu, il est prêt à te donner encore tout ce que tu voudras ! »
Et, mille fois au cours de son histoire, Israël a pu vérifier que Dieu est vraiment « le SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté » selon la révélation qu’il a accordée à Moïse dans le désert (Ex 34,6).
Les prophètes, eux aussi, ont répercuté cette annonce et les quelques versets du psaume que nous venons d’entendre sont pleins de ces découvertes d’Isaïe et d’Ezéchiel. Isaïe, par exemple : « C’est moi, oui, c’est moi qui efface tes crimes, à cause de moi-même ; de tes péchés je ne vais pas me souvenir. » (Is 43,25) ; ou encore « J’efface tes révoltes comme des nuages, tes péchés comme des nuées. Reviens à moi, car je t’ai racheté. » (Is 44,22).
Cette annonce de la gratuité du pardon de Dieu nous surprend parfois : cela paraît trop beau, peut-être ; pour certains, même, cela semble injuste : si tout est pardonnable, à quoi bon faire des efforts ? C’est oublier un peu vite, peut-être, que nous avons tous sans exception besoin de la miséricorde de Dieu ; ne nous en plaignons donc pas ! Et ne nous étonnons pas que Dieu nous surprenne, puisque, comme dit Isaïe, « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. » Et justement, Isaïe précise que c’est en matière de pardon que Dieu nous surprend le plus.

UNE SEULE CONDITION, SE RECONNAÎTRE PÉCHEUR
Cela nous renvoie à la phrase de Jésus dans la parabole des ouvriers de la onzième heure : « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20,15). On peut penser également à la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15) : lorsqu’il revient chez son père, pour des motifs pourtant pas très nobles, Jésus met sur ses lèvres une phrase du psaume 50 : « Contre toi et toi seul j’ai péché », et cette simple phrase renoue le lien que le jeune homme ingrat avait cassé.
Face à cette annonce toujours renouvelée de la miséricorde de Dieu, le peuple d’Israël, parce que c’est lui qui parle ici comme dans tous les psaumes, se reconnaît pécheur : l’aveu n’est pas détaillé, il ne l’est jamais dans les psaumes de pénitence ; mais le plus important est dit dans cette supplication « pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché … » Et Dieu qui est toute miséricorde, c’est-à-dire comme aimanté par la misère, n’attend rien d’autre que cette simple reconnaissance de notre pauvreté. Vous savez d’ailleurs, que le mot pitié est de la même racine que le mot « aumône » : littéralement, nous sommes des mendiants devant Dieu.
Alors il nous reste deux choses à faire : tout d’abord, remercier tout simplement pour ce pardon accordé en permanence ; la louange que le peuple d’Israël adresse à son Dieu, c’est sa reconnaissance pour les bontés de Dieu dont il a été comblé depuis le début de son histoire. Ce qui montre bien que la prière la plus importante dans une célébration pénitentielle, c’est la parole de reconnaissance des dons et pardons de Dieu : il faut commencer par le contempler, lui, et ensuite seulement, cette contemplation nous ayant révélé le décalage entre lui et nous, nous pouvons nous reconnaître pécheurs. Notre rituel de la réconciliation le dit bien dans son introduction : « Nous confessons l’amour de Dieu en même temps que notre péché ».
Et le chant de reconnaissance jaillira tout seul de nos lèvres, il suffit de laisser Dieu nous ouvrir le cœur  : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » ; certains ont reconnu ici la première phrase de la Liturgie des Heures, chaque matin ; effectivement, elle est tirée du psaume 50/51. A elle seule, elle est toute une leçon : la louange, la reconnaissance ne peuvent naître en nous que si Dieu ouvre nos cœurs  et nos lèvres. Saint Paul le dit autrement : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! » (Ga 4,6).
Cela fait irrésistiblement penser à un geste de Jésus, dans l’évangile de Marc : la guérison d’un sourd-muet ; touchant ses oreilles et sa langue, Jésus avait dit « Effétah », ce qui veut dire « Ouvre-toi ». Et alors, spontanément, ceux qui étaient là avaient appliqué à Jésus une phrase que la Bible réservait à Dieu : « Il fait entendre les sourds et parler les muets ». (cf Is 35,5-6). Encore aujourd’hui, dans certaines célébrations de baptême, le célébrant refait ce geste de Jésus sur les baptisés en disant « Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et parler les muets ; qu’il vous donne d’écouter sa parole et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père ».
Deuxième chose à faire et que Dieu attend de nous : pardonner à notre tour, sans délai, ni conditions… et c’est tout un programme !

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul aux Romains 5, 12-19

12 Nous savons que par un seul homme,
le péché est entré dans le monde,
et que par le péché est venue la mort ;
et ainsi, la mort est passée en tous les hommes,
étant donné que tous ont péché.
13 Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde,
mais le péché ne peut être imputé à personne
tant qu’il n’y a pas de loi.
14 Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse,
la mort a établi son règne,
même sur ceux qui n’avaient pas péché
par une transgression semblable à celle d’Adam.
Or, Adam préfigure celui qui devait venir.
15 Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute.
En effet, si la mort a frappé la multitude
par la faute d’un seul,
combien plus la grâce de Dieu
s’est-elle répandue en abondance sur la multitude,
cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
16 Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul
n’ont pas la même mesure non plus :
d’une part, en effet, pour la faute d’un seul,
le jugement a conduit à la condamnation ;
d’autre part, pour une multitude de fautes,
le don gratuit de Dieu conduit à la justification.
17 Si, en effet, à cause d’un seul homme,
par la faute d’un seul,
la mort a établi son règne,
combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul,
régneront-ils dans la vie,
ceux qui reçoivent en abondance
le don de la grâce qui les rend justes.
18 Bref, de même que la faute commise par un seul
a conduit tous les hommes à la condamnation,
de même l’accomplissement de la justice par un seul
a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
19 En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain
la multitude a été rendue pécheresse,
de même par l’obéissance d’un seul
la multitude sera-t-elle rendue juste.

CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA
« Adam préfigurait celui qui devait venir », nous dit Paul ; il parle d’Adam au passé, parce qu’il fait référence au livre de la Genèse, et à l’histoire du fruit défendu, mais pour lui, le drame d’Adam n’est pas une histoire du passé ; cette histoire est la nôtre au quotidien ; nous sommes tous Adam à nos heures ; les rabbins disent : « chacun est Adam pour soi ».
Et s’il fallait résumer l’histoire du jardin d’Eden (que nous relisons en première lecture ce dimanche), on pourrait dire : en écoutant la voix du serpent, plutôt que l’ordre de Dieu, en laissant le soupçon sur les intentions de Dieu envahir leur cœur , en croyant pouvoir tout se permettre, tout « connaître » comme dit la Bible, l’homme et la femme se rangent eux-mêmes sous la domination de la mort. Et quand on dit : « chacun est Adam pour soi », cela veut dire que chaque fois que nous nous détournons de Dieu, nous laissons les puissances de mort envahir notre vie.
Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, poursuit la même méditation : et il annonce que l’humanité a franchi un pas décisif en Jésus-Christ ; nous sommes tous frères d’Adam ET nous sommes tous frères de Jésus-Christ ; nous sommes frères d’Adam quand nous laissons le poison du soupçon infester notre cœur , quand nous prétendons nous-mêmes faire la loi, en quelque sorte ; nous sommes frères du Christ quand nous faisons assez confiance à Dieu pour le laisser mener nos vies.
Nous sommes sous l’empire de la mort quand nous nous conduisons à la manière d’Adam, mais quand nous nous conduisons comme Jésus-Christ, quand nous nous faisons comme lui « obéissants », (c’est-à-dire confiants), nous sommes déjà ressuscités avec lui, déjà dans le royaume de la vie. Car la vie dont il est question ici n’est pas la vie biologique : c’est celle dont Jean parle quand il dit « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » ; c’est une vie que la mort biologique n’interrompt pas.
D’ailleurs, il faut revenir au récit du livre de la Genèse : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » Ce souffle de Dieu qui fait de l’homme un être vivant, comme dit le texte, les animaux ne l’ont pas reçu : ils sont pourtant bien vivants au sens biologique ; on peut en déduire que l’homme jouit d’une vie autre que la vie biologique.
IL EST GRAND, LE MYSTERE DE LA FOI
Je reviens au mot « règne » : vous avez remarqué que Paul emploie plusieurs fois les mots « règne », « régner »… Deux royaumes s’affrontent. On peut écrire son texte en deux colonnes : dans une colonne, on peut écrire Adam (c’est-à-dire l’humanité quand elle agit comme Adam), règne du péché, règne de la mort, jugement, condamnation. Dans l’autre colonne, Jésus-Christ (c’est-à-dire avec lui l’humanité nouvelle), règne de la grâce, règne de la vie, don gratuit, justification. Aucun d’entre nous n’est tout entier dans une seule de ces deux colonnes : nous sommes tous des hommes (et des femmes) partagés : Paul lui-même le reconnaît quand il dit : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7,19).
Adam (au sens de l’humanité) est créé pour être roi (pour cultiver et garder le jardin, disait le livre de la Genèse de manière imagée), mais, mal inspiré par le serpent, il veut le devenir tout seul par ses propres forces ; or cette royauté, il ne peut la recevoir que de Dieu ; et donc, en se coupant de Dieu il se coupe de la source ; Jésus-Christ, au contraire, ne « revendique » pas cette royauté, elle lui est donnée. Comme le dit encore Paul dans la lettre aux Philippiens « lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais il s’est fait obéissant1 » (Phi 2,6 ; trad TOB). Le récit du jardin d’Eden nous dit la même chose en images : avant la faute, l’homme et la femme pouvaient manger du fruit de l’arbre de vie ; après la faute, ils n’y ont plus accès.
Chacun à leur manière, ces deux textes de la Genèse d’une part, et de la lettre aux Romains d’autre part, nous disent la vérité la plus profonde de notre vie : avec Dieu, tout est grâce, tout est don gratuit ; et Paul, ici, insiste sur l’abondance, la profusion de la grâce, il dit même la « démesure » de la grâce : « il n’en va pas du don gratuit comme de la faute… combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. ». Tout est « cadeau » si vous préférez ; pas étonnant, bien sûr, puisque, comme dit Saint Jean, Dieu est Amour.
Ce n’est pas une question de bonne conduite du Christ qui recevrait une récompense ou de mauvaise conduite d’Adam qui entraînerait un châtiment ; c’est beaucoup plus profond : le Christ est confiant qu’en Dieu tout lui sera donné… et tout lui est donné dans la Résurrection ; Adam, (c’est-à-dire chacun de nous à certaines heures), veut se saisir de ce qui ne peut qu’être accueilli comme un don ; il se retrouve « nu », c’est-à-dire démuni.
Je reprends mes deux colonnes : par naissance nous sommes citoyens du royaume d’Adam ; par le baptême, nous avons demandé à être naturalisés dans le royaume de Jésus-Christ.
——————–
Note
Obéissance et désobéissance au sens de Paul : on pourrait remplacer le mot « obéissance » par confiance et le mot « désobéissance » par méfiance ; comme le dit Kierkegaard : « Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, le contraire du péché, c’est la foi ».
Complément
Si nous relisons le récit de la Genèse, nous pouvons noter que, intentionnellement, l’auteur n’avait pas donné de prénoms à l’homme et à la femme ; il disait « le Adam » qui veut dire « le terreux », « le poussiéreux », (fait avec de la poussière) ; en ne leur donnant pas de prénoms, il voulait nous faire comprendre que le drame d’Adam n’est pas l’histoire d’un individu particulier, elle est l’histoire de chaque homme depuis toujours.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 4, 1-11

En ce temps-là,
1 Jésus fut conduit au désert par l’Esprit
pour être tenté par le diable.
2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits,
il eut faim.
3 Le tentateur s’approcha et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu,
ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
4 Mais Jésus répondit :
« Il est écrit :
L’homme ne vit pas seulement de pain,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
5 Alors le diable l’emmène à la Ville sainte,
le place au sommet du Temple
6 et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu,
jette-toi en bas ;
car il est écrit :
Il donnera pour toi des ordres à ses anges,
et : Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
7 Jésus lui déclara :
« Il est encore écrit :
Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
8 Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne
et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
9 Il lui dit :
« Tout cela, je te le donnerai,
si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
10 Alors, Jésus lui dit :
« Arrière, Satan !
car il est écrit :
C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras,
à lui seul tu rendras un culte. »
11 Alors le diable le quitte.
Et voici que des anges s’approchèrent,
et ils le servaient.

JÉSUS À L’HEURE DES CHOIX
Chaque année, le Carême s’ouvre par le récit des tentations de Jésus au désert : il faut croire qu’il s’agit d’un texte vraiment fondamental ! Cette année, nous le lisons chez Saint Matthieu.
Après avoir rapporté le baptême de Jésus, Matthieu continue aussitôt « Alors, Jésus fut conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté. » L’évangéliste nous invite donc à faire un rapprochement entre le baptême de Jésus et les tentations qui le suivent immédiatement. Cet homme s’appelle « Jésus » et Matthieu a dit quelques versets plus haut : « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés », c’est le sens même du nom de Jésus.
Jésus venait donc d’être baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain ; et rappelez-vous, Jean-Baptiste n’était pas d’accord et il l’avait dit : « C’est moi (Jean), qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi (Jésus), qui viens à moi ! » (sous-entendu c’est le monde à l’envers ; Mt 3,14)… Et, là, au cours du Baptême de Jésus, il s’était passé quelque chose : « Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. »
Cette phrase, à elle seule, annonce publiquement que Jésus est vraiment le Messie : car, l’expression « Fils de Dieu » était synonyme de Roi-Messie et la phrase « mon bien-aimé, en qui je trouve ma joie » était une référence à l’un des chants du Serviteur chez Isaïe. En quelques mots, Matthieu vient donc de nous rappeler tout le mystère de la personne de Jésus ; et c’est lui, précisément, Messie, sauveur, serviteur qui va affronter le Tentateur. Comme son peuple, quelques siècles auparavant, il est emmené au désert ; comme son peuple, il connaît la faim ; comme son peuple, il doit découvrir quelle est la volonté de Dieu sur ses fils ; comme son peuple, il doit choisir devant qui se prosterner.
« Si tu es Fils de Dieu », répète le Tentateur, manifestant par là que c’est bien là le problème ; et Jésus y a été affronté, pas seulement trois fois, mais tout au long de sa vie terrestre ; être le Messie, concrètement, en quoi cela consiste-t-il ? La question prend diverses formes : est-ce résoudre les problèmes des hommes à coup de miracles, comme changer les pierres en pain ? Est-ce provoquer Dieu pour vérifier ses promesses ? … En se jetant du haut du temple par exemple, car le psaume 90/91 promettait que Dieu secourrait son Messie… Est-ce posséder le monde, dominer, régner, à n’importe quel prix, quitte à adorer n’importe quelle idole ? Quitte même à n’être plus Fils ? Car je remarque que, la troisième fois, le Tentateur ne répète plus « Si tu es Fils de Dieu ».
JESUS, PREMIER DE CORDEE
Le comble de ces tentations, c’est qu’elles visent des promesses de Dieu : elles ne promettent rien d’autre que ce que Dieu lui-même a promis à son Messie. Et les deux interlocuteurs, le Tentateur comme Jésus lui-même le savent bien. Mais voilà… les promesses de Dieu sont de l’ordre de l’amour ; elles ne peuvent être reçues que comme des cadeaux ; l’amour ne s’exige pas, ne s’accapare pas, il se reçoit à genoux, dans l’action de grâce. Au fond, il se passe la même chose qu’au jardin de la Genèse ; Adam sait, et il a raison, qu’il est créé pour être roi, pour être libre, pour être maître de la création ; mais au lieu d’accueillir les dons comme des dons dans l’action de grâce, dans la reconnaissance, il exige, il revendique, il se pose en égal de Dieu… Il est sorti du registre de l’amour et il ne peut plus recevoir l’amour offert… il se retrouve pauvre et nu.
Jésus fait le choix inverse : « Passe derrière moi, Satan ! » Comme il le dira une fois à Pierre « tes pensées sont des pensées à la manière d’Adam » : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16,23)… D’ailleurs, plusieurs fois dans ce texte, Matthieu a appelé le tentateur du nom de « diable », en grec le « diabolos » ce qui veut dire « celui qui divise ». Est Satan pour chacun de nous, comme pour Jésus lui-même, celui qui tend à nous séparer de Dieu, à voir les choses à la manière d’Adam et non à la manière de Dieu. Au passage, je remarque que tout est dans le regard : celui d’Adam est faussé ; au contraire, pour garder le regard clair, Jésus scrute la Parole de Dieu : ses trois réponses au tentateur sont des citations du livre du Deutéronome (au chapitre 8), dans un passage qui est précisément une méditation sur les tentations du peuple d’Israël au désert.
Alors, précise Matthieu, le diable (le diviseur) le quitte ; il n’a pas réussi à diviser, à détourner le cœur  du Fils ; cela fait irrésistiblement penser à la phrase de Saint Jean dans le Prologue (Jn 1,1) : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu (« pros ton Theon » en grec, qui signifie tourné vers Dieu) et le Verbe était Dieu » Le diable n’a pas réussi à détourner le cœur  du Fils et celui-ci est alors tout disponible pour accueillir les dons de Dieu : « Voici que des anges s’approchèrent et ils le servaient ».

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LIVRE DES LEVITES, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 102

Dimanche 19 février 2023 : 7ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

dimanche 19 février 2023 : 

7ème dimanche du Temps Ordinaire

dent-pour-dent

Commentaire de Marie Noëlle Thabut

  • 1ère lecture

  • Psaume

  • 2ème lecture

  • Evangile

PREMIERE LECTURE – livre des Lévites 19,1-2.17-18

1 Le SEIGNEUR parla à Moïse et dit :
2 « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël.
Tu leur diras :
Soyez saints,
car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint.

17 Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur.
Mais tu devras réprimander ton compatriote,
et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui.
18 Tu ne te vengeras pas.
Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Je suis le SEIGNEUR. »


A L’IMAGE ET A LA RESSEMBLANCE DE DIEU
Etre « comme des dieux » : on en a tous rêvé un jour ou l’autre… et le livre de la Genèse, racontant la faute d’Adam et Eve, dit que c’est bien là notre problème ! « Vous serez comme des dieux » avait promis le serpent, avait menti le serpent, devrait-on dire, et cette prétention les a perdus.
Mais voilà que c’est Dieu lui-même qui nous dit : « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint », ce qui revient à dire « Soyez saints COMME moi ». C’est un ordre, mieux, c’est un appel, c’est notre vocation. Donc, nous ne nous trompons pas quand nous rêvons d’être comme des dieux ! C’est le psaume 8 qui dit : « Tu as voulu l’homme à peine moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ». Seulement voilà : pour ressembler vraiment à Dieu, encore faudrait-il avoir une juste idée de Dieu.
Les premiers chapitres de la Bible disaient déjà que l’homme est fait pour ressembler à Dieu. Encore faut-il savoir en quoi consiste la ressemblance : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre » (Gn 1,26). La formule « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître… » donne à penser que cette ressemblance serait de l’ordre de la royauté, de la soumission… Réellement, l’homme est créé pour être le roi de la création. Mais, le vocabulaire employé par l’auteur suggère que la royauté à laquelle l’homme est appelé est une autorité d’amour et non une domination.
Un peu plus loin, le même livre de la Genèse emploie de nouveau deux fois la même formule : une fois à l’identique : « Le jour où Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu », mais la seconde fois il s’agit des enfants d’Adam : « Adam engendra un fils à sa ressemblance et à son image » : cette fois on a bien l’impression que les mots image et ressemblance ont le sens qu’on leur donne d’habitude quand on dit qu’un fils ressemble à son père. « Tel père tel fils », dit-on.
Enfin, cette phrase que nous connaissons bien, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; il les créa homme et femme » (Gn 1,27), nous dit que le couple créé pour l’amour et pour le dialogue est l’image du Dieu d’amour.
Il a fallu des siècles pour que le peuple comprenne que les mots « Sainteté » et « Amour » sont synonymes. « Saint », on s’en souvient, c’est le mot de la vocation d’Isaïe : au chapitre 6, il nous raconte la vision dont il a bénéficié ; comment, alors qu’il était dans le temple de Jérusalem, ébloui, il entendait les chérubins répéter « Saint ! Saint ! Saint, le SEIGNEUR de l’univers ! ». Ce mot « Saint » signifie que Dieu est le Tout-Autre, qu’un abîme nous sépare de lui. En même temps Isaïe a eu une révélation : cet abîme, c’est Dieu lui-même qui le franchit : et donc, quand il nous invite à lui ressembler, c’est que nous en sommes capables… grâce à lui, bien sûr, ou dans sa grâce, si vous préférez.

SAINTETE ET AMOUR SONT SYNONYMES
Les deux derniers versets du passage d’aujourd’hui ne sont que l’application de cette phrase « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint ». Concrètement, cela veut dire « Tu ne haïras pas… Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune. Tu aimeras… » C’est cela être à la ressemblance de Dieu : Lui ne connaît ni haine, ni vengeance, ni rancune. C’est justement parce qu’il n’est qu’amour qu’il est le Tout-Autre. Et c’est seulement petit à petit que les prophètes comprendront eux-mêmes et feront comprendre au peuple que ressembler au Dieu saint, c’est tout simplement développer ses capacités d’amour.
Cela ne veut pas dire qu’on perd toute capacité de jugement sur ce qui est bon ou mauvais : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote » : réprimander à bon escient, voilà un art bien difficile ! Et pourtant cela aussi, c’est de l’amour. Parmi nous, les parents ou les éducateurs le savent bien : c’est vouloir le bien de l’autre, c’est parfois arrêter l’autre au bord du gouffre. La critique positive par amour fait grandir.
Mais Dieu est patient envers nous : ce n’est pas en un jour que notre attitude peut devenir semblable à la sienne ! Si j’en crois les nouvelles qui nous parviennent tous les jours, il faudra encore beaucoup de temps ! Et Dieu déploie avec son peuple une pédagogie très progressive : quand ce texte est écrit, il ne parle pas encore d’amour universel, il se contente de dire : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur », « Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple »… « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
C’est déjà une première étape dans la pédagogie biblique… Des siècles plus tard, Jésus, dans la parabole du Bon Samaritain (Lc 10,29-37), élargira à l’infini le cercle du prochain.
Voilà donc la royauté à laquelle nous sommes invités : quand nous rêvons d’être comme des dieux, nous pensons spontanément domination, puissance, et surtout la puissance nécessaire pour vaincre la maladie et la mort. Tandis que quand Dieu nous invite à lui ressembler, il nous appelle à la sainteté, à sa sainteté qui n’a rien à voir avec une quelconque domination ! Une sainteté qui n’est qu’amour et douceur. Cela nous paraît bien difficile ; mais là encore, peut-être sommes nous trop souvent des « hommes de peu de foi ».


PSAUME – 102 (103 ), 1-2, 3-4, 8-10, 12-13

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse ;

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
10 il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

12 aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
13 comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint !


BENIS LE SEIGNEUR, O MON AME
La liturgie de ce dimanche ne nous propose que huit versets d’un psaume qui en comporte vingt-deux ! Or l’alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres donc on dit de ce psaume qu’il est « alphabétisant » ; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance. Et effectivement, André Chouraqui disait que ce psaume est le « Te Deum » de la Bible, un chant de reconnaissance pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez) le peuple d’Israël a été comblé par Dieu.
Deuxième caractéristique de ce psaume, le « parallélisme » : chaque verset se compose de deux lignes qui se répondent comme en écho ; l’idéal pour le chanter serait d’alterner ligne par ligne ; il a peut-être, d’ailleurs, été composé pour être chanté par deux choeurs alternés. Ce parallélisme, ce « balancement » est très fréquent dans la Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages en prose ; procédé de répétition utile à la mémoire, bien sûr, dans une civilisation orale, mais surtout très suggestif ; si on soigne la lecture en faisant ressortir le face à face des deux lignes à l’intérieur de chaque verset, la poésie prend un relief extraordinaire.
D’autre part, cette répétition d’une même idée, successivement sous deux formes différentes, permet évidemment de préciser la pensée, et donc pour nous de mieux comprendre certains termes bibliques. Par exemple, le premier verset nous propose deux parallèles intéressants : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».
Premier parallèle : « Bénis le SEIGNEUR »… « Bénis son Nom très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la Bible, c’est la personne. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les Juifs ne s’autorisent jamais à prononcer le NOM de Dieu.1
Deuxième parallèle dans ce premier verset : « Ô mon âme… tout mon être » : on voit bien que le mot âme n’a pas ici le sens que nous lui donnons spontanément. A la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l’homme comme l’addition de deux composants différents, étrangers l’un à l’autre, l’âme et le corps. Mais les progrès des sciences humaines, au cours des siècles, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Or, déjà, la mentalité biblique, avait une conception beaucoup plus unifiée et, dans l’Ancien Testament, quand on dit « l’âme », il s’agit de l’être tout entier. « Bénis le Seigneur, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».
Un autre exemple de parallélisme, un peu plus loin dans ce psaume nous permet de mieux comprendre une expression un peu difficile pour nous, la « crainte de Dieu » : nous rencontrons assez souvent ce mot de « crainte » dans la Bible et il ne nous est pas forcément très sympathique a priori. Or nous le trouvons ici dans un parallèle très intéressant : « Comme la tendresse du père pour ses fils, (telle est) la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint » : ce qui veut bien dire que la crainte de Dieu est tout sauf de la peur, elle est une attitude filiale.

CONVERTIR LA CRAINTE DE DIEU EN CONFIANCE
Je parle souvent de la pédagogie de Dieu à l’égard de son peuple : eh bien, là aussi, la pédagogie de Dieu s’est déployée lentement, patiemment, pour convertir la peur spontanée de l’homme envers Dieu en esprit filial ; je veux dire par là que, mis en présence de Dieu, du sacré, l’homme éprouve spontanément de la peur ; et il faut toute une conversion des croyants pour que, sans rien perdre de notre respect pour Celui qui est le Tout-Autre, nous apprenions à son égard une attitude filiale. La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est vraiment la peur convertie en esprit filial : cette pédagogie n’est pas encore terminée, bien sûr ; notre attitude devant Dieu, notre relation à lui a sans cesse encore besoin d’être convertie. C’est peut-être cela « redevenir comme des petits enfants » : des petits enfants qui savent que leur père n’est que tendresse. Cette « crainte » comporte donc à la fois tendresse en retour, reconnaissance et souci d’obéir au père parce que le fils sait bien que les commandements du père ne sont guidés que par l’amour : comme un petit s’éloigne du feu parce que son père le prévient qu’il risque de se brûler.
Ce n’est donc pas un hasard si ce psaume qui parle de crainte de Dieu fait référence à la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse au Sinaï : « Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse. Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR. Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34,6). Dans notre psaume, cette phrase célèbre est rendue par : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». Elle est très souvent citée, en particulier dans les psaumes ; elle est à la fois la définition de Dieu et, inséparablement, un rappel de l’Alliance. Car tous les psaumes, et plus particulièrement les psaumes d’action de grâce sont, avant tout, émerveillement devant l’Alliance.
Les versets retenus aujourd’hui insistent sur une des manifestations de cette tendresse de Dieu, le pardon. Un Dieu lent à la colère, Israël l’a expérimenté tout au long de son histoire : depuis la traversée du Sinaï, dont Moïse a pu dire au peuple « Depuis le jour où vous êtes sortis d’Égypte jusqu’à ce que vous arriviez en ce lieu, vous avez été rebelles au SEIGNEUR. » (Dt 9,7), la longue histoire de l’Alliance a été le théâtre du pardon de Dieu accordé à chaque régression de son peuple. « Il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie… il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés. »
La vraie tendresse, celle dont nous avons besoin pour repartir, c’est celle justement qui oublie nos péchés, nos abandons ; Jésus ne fera que la mettre en images dans la parabole du père et de l’enfant prodigue.
——————–
Note
1 – Le NOM : ce sont les fameuses quatre lettres, YHVH, (le « tétragramme »). Le prononcer, ce serait prétendre connaître Dieu. Seul, le grand-prêtre, une fois par an, au jour du Kippour, prononçait le NOM très saint, dans le Temple de Jérusalem. Encore aujourd’hui, les Bibles écrites en hébreu ne transcrivent pas les voyelles qui permettraient de prononcer le NOM. Il est donc transcrit uniquement avec les quatre consonnes YHVH. Et quand le lecteur voit ce mot, aussitôt il le remplace par un autre (Adonaï) qui signifie « le SEIGNEUR » mais qui ne prétend pas définir Dieu.
Depuis le Synode des Evêques sur la Parole de Dieu, en octobre 2008, il est demandé à tous les catholiques de ne plus prononcer le NOM de Dieu (que nous disions Yahvé), et de le remplacer systématiquement par « SEIGNEUR » et ce pour plusieurs raisons :
– Tout d’abord, personne ne sait dire quelles voyelles portaient les consonnes du NOM de Dieu, YHVH. La forme « Yahvé » est certainement erronée.
– Ensuite, c’est une marque de respect pour nos frères juifs qui s’interdisent, eux, de prononcer le Nom divin.
– Enfin, et surtout, il nous est bon d’apprendre à respecter la transcendance de Dieu.
– Une quatrième raison nous vient de notre propre tradition chrétienne : les premiers traducteurs de l’Ancien Testament en latin, et, en particulier Saint Jérôme, ont traduit le Tétragramme par « Dominus », c’est-à-dire « SEIGNEUR »

Complément
« Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés » : dans la liturgie du Baptême des premiers siècles, les baptisés se tournaient vers l’Occident pour renoncer au mal, puis faisaient demi-tour sur place et se tournaient vers l’Orient pour prononcer leur profession de foi avant d’entrer dans le baptistère.


DEUXIEME LECTURE –

première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 3,16-23

Frères,
16 ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu,
et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?
17 Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu,
cet homme, Dieu le détruira,
car le sanctuaire de Dieu est saint,
et ce sanctuaire, c’est vous.
18 Que personne ne s’y trompe :
si quelqu’un parmi vous
pense être un sage à la manière d’ici-bas,
qu’il devienne fou pour devenir sage.
19 Car la sagesse de ce monde
est folie devant Dieu.
Il est écrit en effet :
C’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté.
20 Il est écrit encore :
Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur !
21 Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté
en tel ou tel homme.
Car tout vous appartient,
22 que ce soit Paul, Apollos, Pierre,
le monde, la vie, la mort,
le présent, l’avenir :
tout est à vous,
23 mais vous, vous êtes au Christ,
et le Christ est à Dieu.


LE TEMPLE DE L’AMOUR
Si vous êtes déjà allés au Petit Trianon, à Versailles, vous connaissez le hameau de Marie-Antoinette et le Temple de l’Amour : eh bien, si j’en crois Saint Paul, chacun de nous est un temple de l’amour… « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ». Or Dieu est Amour et l’Esprit est l’Esprit d’Amour. Donc nous sommes, chacun de nous, et l’Eglise tout entière, le Temple de l’Amour. Malheureusement, pour être honnêtes, nous devons reconnaître que ce n’est pas encore vraiment la réalité, et que nous faisons mentir Saint Paul tous les jours ! Il le sait bien, mais justement, il nous rappelle notre vocation et s’il dit « Ne savez-vous pas ? », c’est parce que les Corinthiens, tout comme nous, avaient parfois tendance à l’oublier.
« Garde-toi bien d’oublier » répète souvent le livre du Deutéronome. La foi, c’est la mémoire de l’oeuvre de Dieu : si le peuple d’Israël oublie son Dieu, il se perdra à la suite de fausses idoles : « Garde-toi de jamais oublier ce que tes yeux ont vu ; ne le laisse pas sortir de ton cœur un seul jour. » (Dt 4,9). « Gardez-vous d’oublier l’Alliance que le SEIGNEUR votre Dieu a conclue avec vous : ne vous faites pas une idole, pas une image de quoi que ce soit. » (Dt 4,23). Toujours, quand la Bible dit « N’oublie pas », c’est pour mettre en garde contre ce qui serait une fausse piste, un chemin de mort. La Mémoire, c’est la sécurité du croyant.
Pourquoi est-ce si important de ne pas oublier que nous sommes appelés à être des temples de l’amour ? Parce que le projet de Dieu, son projet d’amour ne peut se réaliser qu’avec nous. Nous n’avons pas d’autre raison d’être. Cela peut paraître prétentieux d’oser dire une chose pareille, mais pourtant c’est vrai. Quand Jésus dit à ses apôtres : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », c’est bien cela qu’il veut dire ! Nous sommes les temples de l’amour construits sur toute la surface de la terre, pour que l’amour de Dieu soit manifesté partout.
Je reviens au hameau de Marie-Antoinette : ce temple de l’amour n’est pas refermé sur lui-même, il est au contraire complètement ouvert sur l’extérieur, simplement soutenu par des colonnes ; évidemment ce serait un non-sens de s’appeler temple de l’amour et d’être replié sur soi-même ! On peut certainement en dire autant de chacun de nous et de l’Eglise tout entière. Une fois encore, chez Saint Paul, je retrouve un écho de la prédication des prophètes : leur grande insistance toujours sur l’amour des autres… Un amour en actes et pas seulement en paroles, bien sûr.
Il serait intéressant également de se demander, chacun pour soi, et aussi en Eglise, quelles sont les colonnes qui soutiennent le temple que nous sommes ? Certainement pas la raison raisonnante, d’après Saint Paul ! « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu (nous dit-il)… Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! »
DEVENIR FOUS AUX YEUX DES HOMMES POUR ETRE SAGES AUX YEUX DE DIEU
En revanche, ceux qui nous ont transmis la foi, sont bien des colonnes ; Paul, Apollos ou Pierre pour les Corinthiens, d’autres pour nous. Ils ne sont pas le centre pour autant : dès le début de sa lettre, Paul avait très fermement remis les choses en place : l’apôtre, si grand soit-il, n’est qu’un jardinier ; quand nous applaudissons le prédicateur qui nous a fait vibrer et parfois même nous a converti, les applaudissements ne vont pas à lui mais à Celui seul qui connaît le fond de notre coeur. Reste que ceux à qui nous devons la foi, nos parents, nos proches ou une communauté, demeurent pour nous des appuis dont nous ne pouvons pas nous passer ; on n’est pas Chrétien tout seul.
Les véritables apôtres sont ceux qui ne nous retiennent pas, ne nous captent pas, mais nous guident vers Jésus-Christ : « Tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ». On a bien là l’image d’une construction ; et il me semble que, là encore et toujours, Paul annonce le dessein bienveillant de Dieu : nous sommes au Christ, c’est-à-dire nous lui appartenons, nous sommes greffés sur lui et lui est à Dieu. Tout est repris dans ce grand dessein : « le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir »… Dans la lettre aux Ephésiens, Paul dit : le grand projet de Dieu c’est de réunir l’univers entier, tout ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre en Jésus-Christ.
Nous sommes bien loin de nos raisonnements humains ! Et pourtant Paul nous dit que c’est la seule sagesse : « Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage ». Nous retrouvons cette insistance de Paul sur l’abîme qui sépare la logique de Dieu de nos logiques humaines. « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins », comme dit Isaïe (Is 55,8).
Et l’abîme qui sépare nos pensées de celles de Dieu est tel que si nous nous laissons gagner par les raisonnements humains, cela risque de nous ébranler et de détruire le temple que nous sommes ; rappelez-vous la phrase de tout à l’heure : « Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! »*
En relisant encore une fois ce texte, on comprend pourquoi la liturgie prévoit l’encensement des fidèles à la Messe. Chaque fois qu’on nous encense, nous les baptisés, c’est pour nous dire : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ».
—————–
Note
Ce verset « Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! » est une référence au psaume 93/94,11 qui emploie le mot « buées » pour qualifier les pensées des hommes. De la buée, cela ne produit pas une colonne solide ! Ce mot « buée » est celui employé par le livre de Qohélet et traduit généralement par « vanité » : « vanité des vanités, tout est vanité » (Qo 1,2).


EVANGILE – selon Saint Matthieu 5,38-48

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
38 « Vous avez appris qu’il a été dit :
Œil pour œil, et dent pour dent.
39 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ;
mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite,
tends-lui encore l’autre.
40 Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice
et prendre ta tunique,
laisse-lui encore ton manteau.
41 Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas,
fais-en deux mille avec lui.
42 À qui te demande, donne ;
à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
43 Vous avez appris qu’il a été dit :
Tu aimeras ton prochain
et tu haïras ton ennemi.
44 Eh bien ! moi, je vous dis :
Aimez vos ennemis,
et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ;
car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons,
il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
46 En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle récompense méritez-vous ?
Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous ne saluez que vos frères,
que faites-vous d’extraordinaire ?
Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits
comme votre Père céleste est parfait. »


DE L’AMOUR DU PROCHAIN A L’AMOUR DES ENNEMIS
Une précision de vocabulaire pour commencer : Jésus dit : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » En réalité, vous ne trouverez nulle part dans l’Ancien Testament le commandement de haïr nos ennemis et Jésus le sait mieux que nous. Mais c’est une manière de parler en araméen ; cela veut dire : commence déjà par aimer ton prochain. L’ambition reste modeste, mais c’est un premier pas. Dans le texte d’aujourd’hui, justement, il nous invite à franchir une deuxième étape. L’amour du prochain doit être acquis, Jésus invite à aimer désormais également nos ennemis.
Une autre maxime nous choque dans l’évangile d’aujourd’hui : Jésus dit : « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Oeil pour oeil, dent pour dent’ » (ce que nous appelons la loi du talion) : effectivement, cette maxime est dans l’Ancien Testament (qui ne l’a pas inventée, d’ailleurs : on la trouvait déjà dans le code d’Hammourabi en 1750 av.J.C. en Mésopotamie*) ; elle nous paraît cruelle ; mais il ne faut pas oublier dans quel contexte elle est née : elle représentait alors un progrès considérable ! Rappelez-vous d’où on venait : Caïn, qui se vengeait sept fois et, cinq générations plus tard, son descendant Lamek se faisait une gloire de se venger soixante dix-sept fois ; vous connaissez la chanson de Lamek à ses deux femmes, Ada et Silla : « Ada et Silla, entendez ma voix, épouses de Lamek, écoutez ma parole : Pour une blessure, j’ai tué un homme ; pour une meurtrissure, un enfant. Caïn sera vengé sept fois, et Lamek, soixante-dix-sept fois ! » (Gn 4,23-24).
En Israël, la loi du talion apparaît dans le livre de l’Exode pour imposer une réglementation de la vengeance : désormais le châtiment est limité, il doit rester proportionnel à l’offense. « S’il arrive malheur, tu paieras vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » (Ex 21,23-25). C’est déjà un progrès, ce ne sont plus la haine et l’instinct seuls qui déterminent la hauteur de la vengeance, c’est un principe juridique qui s’impose à la volonté individuelle. Ce ne sont plus sept vies pour une vie ou soixante-dix-sept vies pour une vie. La pédagogie de Dieu est à l’oeuvre pour libérer l’humanité de la haine ; évidemment, pour ressembler vraiment à Dieu, il y a encore du chemin à faire, mais c’est déjà une étape. Jésus, dans le sermon sur la montagne, propose de franchir la dernière étape : ressembler à notre Père des cieux, c’est s’interdire toute riposte, toute gifle, c’est tendre l’autre joue. « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Oeil pour oeil, dent pour dent’, eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant, mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ». Pourquoi s’interdire désormais toute vengeance, toute haine ? Simplement pour devenir vraiment ce que nous sommes : les fils de notre Père qui est dans les cieux.

TEL PERE, TELS FILS
Car, en fait, si on y regarde bien, ce texte est une leçon sur Dieu avant d’être une leçon pour nous : Jésus nous révèle qui est vraiment Dieu ; l’Ancien Testament avait déjà dit que Dieu est Père, qu’il est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour (Ex 34,6) et que nos larmes coulent sur sa joue, car il est tout proche ; cette dernière phrase est de Ben Sirac, vous vous souvenez (Si 35,18). Tout cela, l’Ancien Testament l’avait déjà dit ; mais nous avons la tête dure… et grand mal à croire à un Dieu qui ne soit qu’amour. Jésus le redit de manière imagée : « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » Cette image, bien sûr, était plus parlante du temps de Jésus, dans une civilisation agraire où soleil et pluie sont tous deux accueillis comme des bénédictions. Mais l’image reste belle et, si je comprends bien, ce n’est pas une leçon de morale qui nous est donnée là : c’est beaucoup plus profond que cela. Dieu nous charge d’une mission, celle d’être ses reflets dans le monde : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Soyons francs, croire que Dieu est amour n’est pas un chemin de facilité : cela va devenir au jour le jour extrêmement exigeant pour nous dans le registre du don et du pardon ! « À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! » : jusque-là, l’Ancien Testament avait cherché à développer l’amour du prochain, du frère de race et de religion, et même de l’immigré qui partageait le même toit. Cette fois Jésus abolit toutes les frontières : le sens de la phrase, c’est « A quiconque te demande, Donne ; à qui (sous-entendu quel qu’il soit) veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Tout cela nous paraît fou, déraisonnable, démesuré ; et pourtant c’est exactement comme cela que Dieu agit avec chacun de nous chaque jour, comme il n’a pas cessé de le faire pour son peuple.
Cela nous renvoie à tout ce que nous avons lu ces derniers dimanches dans la première lettre aux Corinthiens : Paul opposait nos raisonnements humains à la sagesse de Dieu : la raison raisonnante (et quelques amis bien intentionnés) nous poussent à ne pas nous « faire avoir » comme on dit. Jésus est dans une tout autre logique, celle de l’Esprit d’amour et de douceur. Elle seule peut hâter la venue du Royaume… à condition que nous n’oubliions pas ce que nous sommes : comme le dit Paul « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? »
—————–
Note
La loi du talion apparaît déjà dans le code d’Hammourabi, vers 1750 av. J.C. Et, visiblement, la loi biblique s’en inspire, mais elle est encore en progrès par rapport à la précédente : dans le code d’Hammourabi, la blessure infligée à un riche est plus grave et plus sévèrement punie que la blessure infligée à un pauvre.

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La Géhenne dans la Bible

La géhenne dans la Bible

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Nom donné par les Juifs, après l’exil et du temps de Jésus, au lieu où les méchants, après la mort, reçoivent leur châtiment. Les Israélites anciens (avant l’exil) ne paraissent avoir eu aucune conception analogue.

Pour eux, le séjour des morts, appelé cheôl, était un lieu où se trouvaient réunis les bons et les méchants. 11 était situé dans les profondeurs de la terre (No 16.30 ; Job 11.8), à l’extrême opposé du ciel (Ps 139.8). C’était le séjour du silence (Ps 44.17), de l’obscurité (Job 10.22) et de la tristesse (Ps 6.6 ; Job 3.17-11 ; Esa 38.18). Les morts y avaient, croyait-on, la même apparence que sur la terre, quoiqu’ils ne fussent plus que des ombres (1Sa 18.14 ; Eze 32.27) et n’y poursuivissent plus qu’une vie réduite (Job 3.17 ; Ecc 9.10) où, même pour les âmes pieuses, il ne pouvait être question de vivre en communion avec Dieu (Ps 6.6 ; 30.10 ; 88.11 ; 115.17 ; Esa 38.18).

Cette existence diminuée, la même pour tous, triste perspective d’avenir pour les bons et les méchants, ne comportait ni récompense ni châtiment. Deux ou trois passages, tout au plus, nous montrent dans l’Ancien Testament, qu’une idée différente de l’au-delà s’élaborait lentement dans la pensée juive d’après l’exil. Nous y trouvons, ici et là, comme un pressentiment que le juste reverra Dieu, sera reçu dans la gloire (Job 19.25ss ; Ps 73.23ss ; Esa 26.19) et que le temps viendra où la mort sera détruite (Esa 25.8 ; voir : Séjour des Morts).

L’idée de récompense et de châtiment d’outre-tombe apparaît pour la première fois d’une façon indubitable au IIe siècle avant J-C. dans le livre de Daniel (Da 12.3). On la voit se développer de plus en plus dans les apocalypses juives ultérieures (voyez notamment : Hénoch, 22).

On localisait le séjour où les méchants sont punis soit dans le cheôl (Hénoch 22.13 ; 63.10 ; 99.11 ; 103.7 ; Jubilé 7.29 ; 22.22 ; Psaumes de Salomon, 16.2), soit dans le Troisième Ciel (Secrets d’Hénoch 10.2ss ; Apoc. de Baruch, 4), soit plus ordinairement dans une vallée située au sud de Jérusalem, la « vallée du fils de Hinnom » ou « vallée de Hinnom » — en hébreu Géhinnom, en grec Géhenna, d’où les mots français Géhenne et gêne (tourment) — vallée maudite en raison des sacrifices d’enfants qui s’y célébraient autrefois.

Cette dernière localisation est supposée déjà dans Esa 66.24 ; elle se retrouve dans Hén. 27.1-3 ; 48.7 ; 54.1-2 ; 62.12-13 ; 90.26-27). —

Dans le Nouveau Testament, la transformation de la vieille idée hébraïque nous apparaît achevée. Les Juifs, au temps de Jésus — ceux du moins qui croyaient à un jugement d’outre-tombe — distinguaient dans le séjour des morts la demeure des bienheureux appelée « paradis » ou « sein d’Abraham » et celle où les réprouvés subissaient des tourments. Un abîme séparait les deux domaines (Luc 16.22-26 ; 23.43.

Le mot Géhenne est souvent employé dans le Nouveau Testament pour désigner le lieu où les méchants seront châtiés soit avant soit après la résurrection (Mt 5.29-30 ; 10.28 ; 18.9 ; 23.15 ; Marc 9.48, 45 ; Luc 11.5 ; Jas 3.6).

1595519546

GÉHENNE DICTIONNAIRE BIBLIQUE LELIÈVRE 

 https://www.bible.audio/definition-lelievre-61-GEHENNE.htm

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Dimanche 12 février 2023 : 6ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 12 février 2023 :

6ème dimanche du Temps Ordinaire 

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Ben Sira le Sage 15, 15-20

15 Si tu le veux, tu peux observer les commandements,
il dépend de ton choix de rester fidèle.
16 Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu :
étends la main vers ce que tu préfères.
17 La vie et la mort sont proposées aux hommes,
l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix.
18 Car la sagesse du Seigneur est grande,
fort est son pouvoir, et il voit tout.
19 Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent,
il connaît toutes les actions des hommes.
20 Il n’a commandé à personne d’être impie,
il n’a donné à personne la permission de pécher.

Ben Sira le Sage nous propose ici une réflexion sur la liberté de l’homme ; elle tient en trois points : premièrement, le mal est extérieur à l’homme ; deuxièmement l’homme est libre, libre de choisir de faire le mal ou le bien ; troisièmement, choisir le bien, c’est aussi choisir le bonheur.
Premièrement, le mal est extérieur à l’homme ; cela revient à dire que le mal ne fait pas partie de notre nature, ce qui est déjà une grande nouvelle ; car si le mal faisait partie de notre nature, il n’y aurait aucun espoir de salut, nous ne pourrions jamais nous en débarrasser. C’était la conception des Babyloniens par exemple ; au contraire la Bible est beaucoup plus optimiste, elle affirme que le mal est extérieur à l’homme ; Dieu n’a pas fait le mal et ce n’est pas lui qui nous y pousse. Il n’est donc pas responsable du mal que nous commettons ; c’est le sens du dernier verset que nous venons d’entendre : « Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a permis à personne de pécher ». Et quelques versets avant ceux d’aujourd’hui, Ben Sira écrit : « Ne dis pas, c’est à cause du Seigneur que je me suis écarté… Ne dis pas le Seigneur m’a égaré ».
Si Dieu avait fait d’Adam un être mélangé, en partie bon en partie mauvais, comme l’imaginaient les Babyloniens, le mal ferait partie de notre nature. Mais Dieu n’est qu’amour, et le mal lui est totalement étranger. Et le récit de la chute d’Adam et Eve, au livre de la Genèse, a été écrit justement pour faire comprendre que le mal est extérieur à l’homme puisqu’il est introduit par le serpent ; et il se répand dans le monde à partir du moment où l’homme a commencé à se méfier de Dieu.
On retrouve la même affirmation dans la lettre de Saint Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise ‘Ma tentation vient de Dieu’. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et il ne tente personne. » Autrement dit, le mal est totalement étranger à Dieu, il ne peut pousser à le commettre. Et Saint Jacques continue : « Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit. » (Jc 1,13-17).
Deuxième affirmation de ce texte : l’homme est libre, libre de choisir le mal ou le bien : cette certitude n’a été acquise que lentement par le peuple d’Israël, et pourtant, là encore, la Bible est formelle. Dieu a fait l’homme libre. Pour que cette certitude se développe en Israël, il a fallu que le peuple expérimente l’action libératrice de Dieu à chaque étape de son histoire, à commencer par l’expérience de la libération d’Egypte. Toute la foi d’Israël est née de son expérience historique : Dieu est son libérateur ; et petit à petit on a compris que ce qui est vrai aujourd’hui l’était déjà lors de la création, donc on en a déduit que Dieu a créé l’homme libre.
Et il faudra bien que nous apprenions à concilier ces deux certitudes bibliques : à savoir que Dieu est tout-puissant et que, pourtant, face à lui l’homme est libre. Et c’est parce que l’homme est libre de choisir, qu’on peut parler de péché : la notion même de péché suppose la liberté ; si nous n’étions pas libres, nos erreurs ne pourraient pas s’appeler des péchés.
Peut-être, pour pénétrer un peu dans ce mystère, faut-il nous rappeler que la toute-puissance de Dieu est celle de l’amour : nous le savons bien, seul l’amour vrai veut l’autre libre.
Pour guider l’homme dans ses choix, Dieu lui a donné sa Loi ; cela devrait donc être simple. Et le livre du Deutéronome y insiste : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd’hui n’est pas trop difficile pour toi, il n’est pas hors d’atteinte. Il n’est pas au ciel : on dirait alors ‘Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?’ Il n’est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : ‘Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?’ Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique. » (Dt 30,11-14).
Troisième affirmation de Ben Sira aujourd’hui : choisir le bien, c’est choisir le bonheur. Je reprends le texte : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix… Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu, étends la main vers ce que tu préfères ». Pour le dire autrement, c’est dans la fidélité à Dieu que l’homme trouve le vrai bonheur. S’éloigner de lui, c’est, tôt ou tard, faire notre propre malheur. On dit de manière imagée que l’homme se trouve en permanence à un carrefour : deux chemins s’ouvrent devant lui (dans la Bible, on dit deux « voies »). Une voie mène à la lumière, à la joie, à la vie ; bienheureux ceux qui l’empruntent. L’autre est une voie de nuit, de ténèbres et, en définitive n’apporte que tristesse et mort. Bien malheureux sont ceux qui s’y fourvoient. Là encore on ne peut pas s’empêcher de penser au récit de la chute d’Adam et Eve. Leur mauvais choix les a entraînés sur la mauvaise voie.
Ce thème des deux voies est très souvent développé dans la Bible : dans le livre du Deutéronome, particulièrement ; « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses Lois et ses coutumes… Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. » (Dt 30, 15…20).
D’après le thème des deux voies, nous ne sommes jamais définitivement prisonniers, même après des mauvais choix, puisqu’il est toujours possible de rebrousser chemin. Par le Baptême, nous avons été greffés sur Jésus-Christ, qui, à chaque instant, nous donne la force de choisir à nouveau la bonne voie : c’est bien pour cela qu’on l’appelle le Rédempteur, ce qui veut dire le « Libérateur ». Ben Sira disait « Il dépend de ton choix de rester fidèle ». Baptisés, nous pouvons ajouter « avec la force de Jésus-Christ ».

PSAUME – 118 (119)

1 Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR !
2 Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout cœur  !

4 Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
5 Puissent mes voies s’affermir
à observer tes commandements !

17 Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j’observerai ta parole.
18 Ouvre mes yeux
que je contemple les merveilles de ta Loi.

33 Enseigne-moi, SEIGNEUR, le chemin de tes ordres :
à les garder, j’aurai ma récompense.
34 Montre-moi comment garder ta Loi,
que je l’observe de tout cœur .

Ce psaume fait parfaitement écho à la première lecture tirée de Ben Sira : c’est la même méditation qui continue ; l’idée qui est développée (de façon différente, bien sûr, mais très cohérente), dans ces deux textes, c’est que l’humanité ne trouve son bonheur que dans la confiance en Dieu et l’obéissance à ses commandements. Le malheur et la mort commencent pour l’homme dès qu’il s’écarte de la voie de la confiance tranquille. Laisser entrer en nous le soupçon sur Dieu et sur ses commandements et du coup n’en faire qu’à sa tête, si j’ose dire, c’est s’engager sur un mauvais chemin, une voie sans issue. C’est tout le problème d’Adam et Eve dans le récit de la chute au Paradis terrestre.
Et nous retrouvons bien ici en filigrane le thème des deux voies dont nous avions parlé au sujet de la première lecture : si on en croit Ben Sira, nous sommes de perpétuels voyageurs obligés de vérifier notre chemin… Bienheureux parmi nous ceux qui ont trouvé la bonne route ! Car des deux voies, des deux routes qui s’ouvrent en permanence devant nous, l’une mène au bonheur, l’autre mène au malheur.
Et le bonheur, d’après ce psaume, c’est tout simple ; la bonne route, pour un croyant, c’est tout simplement de suivre la Loi de Dieu : « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR ! » Le croyant connaît la douceur de vivre dans la fidélité aux commandements de Dieu, voilà ce que veut nous dire ce psaume.
Il est le plus long du psautier et les quelques versets retenus aujourd’hui, n’en sont qu’une toute petite partie, l’équivalent d’une seule strophe. En réalité, il comporte cent soixante-seize versets, c’est-à-dire vingt-deux strophes de huit versets. Vingt-deux… huit… ces chiffres ne sont pas dûs au hasard.
Pourquoi vingt-deux strophes ? Parce qu’il y a vingt-deux lettres dans l’alphabet hébreu : chaque verset de chaque strophe commence par une même lettre et les strophes se suivent dans l’ordre de l’alphabet : en littérature, on parle « d’acrostiche », mais ici, il ne s’agit pas d’une prouesse littéraire, d’une performance ! Il s’agit d’une véritable profession de foi : ce psaume est un poème en l’honneur de la Loi, une méditation sur ce don de Dieu qu’est la Loi, les commandements, si vous préférez. D’ailleurs, plus que de psaume, on ferait mieux de parler de litanie ! Une litanie en l’honneur de la Loi ! Voilà qui nous est passablement étranger.
Car une des caractéristiques de la Bible, un peu étonnante pour nous, c’est le réel amour de la Loi qui habite le croyant biblique. Les commandements ne sont pas subis comme une domination que Dieu exercerait sur nous, mais comme des conseils, les seuls conseils valables pour mener une vie heureuse.1 « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR ! » Quand l’homme biblique dit cette phrase, il la pense de tout son coeur.
Ce n’est pas magique, évidemment : des hommes fidèles à la Loi peuvent rencontrer toute sorte de malheurs au cours de leur vie, mais, dans ces cas tragiques, le croyant sait que, seul le chemin de la confiance en Dieu peut lui donner la paix de l’âme.
Et, non seulement la Loi n’est pas subie comme une domination, mais elle est reçue comme un cadeau que Dieu fait à son peuple, le mettant en garde contre toutes les fausses routes ; elle est l’expression de la sollicitude du Père pour ses enfants ; tout comme nous, parfois, nous mettons en garde un enfant, un ami contre ce qui nous paraît être dangereux pour lui. On dit que Dieu « donne » sa Loi et elle est bien considérée comme un « cadeau ». Car Dieu ne s’est pas contenté de libérer son peuple de la servitude en Egypte ; laissé à lui-même, Israël risquait de retomber dans d’autres esclavages pires encore, peut-être. En donnant sa Loi, Dieu donnait en quelque sorte le mode d’emploi de la liberté. La Loi est donc l’expression de l’amour de Dieu pour son peuple.
Il faut dire qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour et que finalement la Loi n’a pas d’autre but que de nous mener sur le chemin de l’amour. Toute la Bible est l’histoire de l’apprentissage du peuple élu à l’école de l’amour et de la vie fraternelle. Le livre du Deutéronome disait : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ; tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur , de tout ton être, de toute ta force ». (Dt 6,4). Et le livre du Lévitique enchaînait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Et, un peu plus tard, Jésus rapprochant ces deux commandements, a pu dire qu’ils étaient le résumé de la Loi juive.
Je reviens à cette curieuse « Béatitude » du premier verset de ce psaume : « Heureux l’homme qui suit la Loi du SEIGNEUR » : le mot « heureux », nous avons déjà appris à le traduire par l’expression « En marche » ; on pourrait par exemple traduire ce premier verset : « Marche avec confiance, toi, l’homme qui observes la Loi du SEIGNEUR ». Et l’homme biblique est tellement persuadé qu’il y va de sa vie et de son bonheur que cette litanie dont je parlais tout à l’heure est en fait une prière. Après les trois premiers versets qui sont des affirmations sur le bonheur des hommes fidèles à la Loi, les cent soixante-treize autres versets s’adressent directement à Dieu dans un style tantôt contemplatif, tantôt suppliant du genre : « Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta Loi. » Et la litanie continue, répétant sans arrêt les mêmes formules ou presque : par exemple, en hébreu, dans chaque strophe, reviennent huit mots toujours les mêmes pour décrire la Loi. Seuls les amoureux osent ainsi se répéter sans risquer de se lasser.
Huit mots toujours les mêmes et aussi huit versets dans chacune des vingt-deux strophes : le chiffre huit, dans la Bible, est le chiffre de la nouvelle Création2 : la première Création a été faite par Dieu en sept jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l’humanité vivra selon la Loi de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour puisque c’est la même chose !
———————
Note
1 – En hébreu, le mot traduit ici par « enseigner » est de la même racine que le mot « Loi »
2 – Voici d’autres éléments de la symbolique du chiffre huit :
– il y avait quatre couples humains (8 personnes) dans l’Arche de Noé
– la Résurrection du Christ s’est produite le dimanche qui était à la fois le premier et le huitième jour de la semaine
C’est pour cette raison que les baptistères des premiers siècles étaient souvent octogonaux ; encore aujourd’hui nous rencontrons de nombreux clochers octogonaux.

Complément
– Voici les huit mots du vocabulaire de la Loi ; ils sont considérés comme synonymes : commandements, Loi, Promesse, Parole, Jugements, Décrets, Préceptes, Témoignages. Ils disent les facettes de l’amour de Dieu qui se donne dans sa Loi
« commandements » : ordonner, commander
« Loi » : vient d’une racine qui ne veut pas dire « prescrire », mais « enseigner » : elle enseigne la voie pour aller à Dieu. C’est une pédagogie, un accompagnement que Dieu nous propose, c’est un cadeau.
« Parole » : la Parole de Dieu est toujours créatrice, parole d’amour : « Il dit et cela fut » (Genèse 1). Nous savons bien que « je t’aime » est une parole créatrice !
« Promesse » : La Parole de Dieu est toujours promesse, fidélité
« Juger » : traiter avec justice
« Décrets » : du verbe « graver » : les paroles gravées dans la pierre (Tables de la Loi)
« Préceptes » : ce que tu nous as confié
« Témoignages » : de la fidélité de Dieu.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 2,6-10

Frères,
6 c’est bien de sagesse que nous parlons
devant ceux qui sont adultes dans la foi,
mais ce n’est pas la sagesse de ce monde,
la sagesse de ceux qui dirigent ce monde
et qui vont à leur destruction.
7 Au contraire, ce dont nous parlons,
c’est de la sagesse du mystère de Dieu,
sagesse tenue cachée,
établie par lui dès avant les siècles,
pour nous donner la gloire.
8 Aucun de ceux qui dirigent ce monde ne l’a connue,
car, s’ils l’avaient connue,
ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.
9 Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture :
« ce que l’œil n’a pas vu,
 ce que l’oreille n’a pas entendu,
ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme,
ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. »
10 Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation.
Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses,
même les profondeurs de Dieu.

Dimanche dernier, la lettre de Paul opposait déjà sagesse humaine et sagesse de Dieu : « Votre foi, disait-il, ne repose pas sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Et il insistait pour dire que le mystère du Christ n’a rien à voir avec nos raisonnements humains : aux yeux des hommes, l’évangile ne peut que passer pour une folie : et sont considérés comme insensés ceux qui misent leur vie dessus. Soit dit en passant, cette insistance sur le mot « sagesse » nous surprend peut-être, mais Paul s’adresse aux Corinthiens, c’est-à-dire à des Grecs pour qui la sagesse est la vertu la plus précieuse.
Aujourd’hui, Paul poursuit dans la même ligne : oui, la proclamation du mystère de Dieu est peut-être une folie aux yeux du monde, mais il s’agit d’une sagesse combien plus haute, la sagesse de Dieu. « C’est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi mais ce n’est pas la sagesse de ce monde… Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu… »
A nous de choisir, donc : vivre notre vie selon la sagesse du monde, l’esprit du monde, ou selon la sagesse de Dieu. Les deux ont bien l’air totalement contradictoires ! Nous retrouvons là le thème des autres lectures de ce dimanche : la première lecture tirée du livre de Ben Sira et le psaume 118/119 développaient tous les deux, chacun à sa manière, ce qu’on appelle le thème des deux voies : l’homme est placé au carrefour de deux routes et il est libre de choisir son chemin ; une voie mène à la vie, à la lumière, au bonheur ; l’autre s’enfonce dans la nuit, la mort, et n’offre en définitive que de fausses joies.

« Sagesse tenue cachée » : une des grandes affirmations de la Bible est que l’homme ne peut pas tout comprendre du mystère de la vie et de la Création, et encore moins du mystère de Dieu lui-même. Cette limite fait partie de notre être même.
Voici ce que dit le livre du Deutéronome : « Au SEIGNEUR notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29,28). Ce qui veut dire : Dieu connaît toutes choses, mais nous, nous ne connaissons que ce qu’il a bien voulu nous révéler, à commencer par la Loi qui est la clé de tout le reste.
Cela nous renvoie encore une fois au récit du paradis terrestre : le livre de la Genèse raconte que dans le jardin d’Eden, il y avait toute sorte d’arbres « d’aspect attrayant et bon à manger ; et il y avait aussi deux arbres particuliers : l’un, situé au milieu du jardin était l’arbre de vie ; et l’autre à un endroit non précisé s’appelait l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. Adam avait le droit de prendre du fruit de l’arbre de vie, c’était même recommandé puisque Dieu avait dit « Tu pourras manger de tout arbre du jardin… sauf un ». Seul le fruit de l’arbre de la connaissance était interdit. Manière imagée de dire que l’homme ne peut pas tout connaître et qu’il doit accepter cette limite : « Au SEIGNEUR notre Dieu (sous-entendu et à lui seul) sont les choses cachées » dit le Deutéronome. En revanche, la Torah, la Loi, qui est l’arbre de vie, est confiée à l’homme : pratiquer la Loi, c’est se nourrir jour après jour de ce qui nous fera vivre.
Je reviens sur cette formule : « Sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire ». Paul insiste plusieurs fois dans ses lettres sur le fait que le projet de Dieu est prévu de toute éternité : il n’y a pas eu de changement de programme, si j’ose dire. Parfois nous nous représentons le déroulement du projet de Dieu comme s’il avait dû changer d’avis en fonction de la conduite de l’humanité. Par exemple, nous imaginons que, dans un premier temps, acte 1 si vous voulez, Dieu a créé le monde et que tout était parfait jusqu’au jour où, acte 2, Adam a commis la faute : et alors pour réparer, acte 3, Dieu aurait imaginé d’envoyer son Fils. Contre cette conception, Paul développe dans plusieurs de ses lettres cette idée que le rôle de Jésus-Christ est prévu de toute éternité et que le dessein de Dieu précède toute l’histoire humaine.
Par exemple, je vous rappelle la très belle phrase de la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ. » (Ep 1,9-10). Ou bien, dans la lettre aux Romains, Paul dit « J’annonce l’évangile en prêchant Jésus-Christ, selon la Révélation d’un mystère gardé dans le silence durant des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de tous les peuples païens… » (Rm 16,25-26).
Et l’aboutissement de ce projet, si je reprends la phrase de Paul, c’est de « nous donner la gloire » : la gloire, normalement, c’est un attribut de Dieu et de lui seul. Notre vocation ultime, c’est donc de participer à la gloire de Dieu. Cette expression est, pour Paul, une autre manière de nous dire le dessein bienveillant : le projet de Dieu, c’est de nous réunir tous ensemble en Jésus-Christ et de nous faire participer à la gloire de la Trinité.
Je continue le texte : « Ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Ecriture, ce que personne n’avait vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu ». L’expression « comme dit l’Ecriture » renvoie à une phrase du prophète Isaïe : « Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï-dire, jamais l’oeil n’a vu qu’un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui. » (Is 64, 3). Elle dit l’émerveillement du croyant biblique gratifié de la Révélation des mystères de Dieu.
Reste la fin de la phrase « Ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » : y aurait-il des gens pour qui cela n’était pas préparé ? Y aurait-il donc des privilégiés et des exclus ? Bien sûr que non : le projet de Dieu, son dessein bienveillant est évidemment pour tous ; mais ne peuvent y participer que ceux qui ont le cœur  ouvert. Et de notre coeur, nous sommes seuls maîtres. D’une certaine manière, c’est le saut dans la foi qui est dit là. Le mystère du dessein de Dieu ne s’ouvre que pour les petits. Comme le disait Jésus, « Dieu l’a caché aux sages et aux savants, et il l’a révélé aux tout-petits ». Nous voilà tout-à-fait rassurés : tout-petits, nous le sommes, il suffit de le reconnaître.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 5, 17-37

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples
17 « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes :
je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
18 Amen, je vous le dis :
Avant que le ciel et la terre disparaissent,
pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi
jusqu’à ce que tout se réalise.
19 Donc, celui qui rejettera
un seul de ces plus petits commandements,
et qui enseignera aux hommes à faire ainsi,
sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux.
Mais celui qui les observera et les enseignera,
celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux.
20 Je vous le dis en effet :
Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens,
vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux.
21 Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens :
Tu ne commettras pas de meurtre,
et si quelqu’un commet un meurtre,
il devra passer en jugement.
22 Eh bien ! moi, je vous dis :
Tout homme qui se met en colère contre son frère
devra passer en jugement.
Si quelqu’un insulte son frère,
il devra passer devant le tribunal.
Si quelqu’un le traite de fou,
il sera passible de la géhenne de feu.
23 Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel,
si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande, là, devant l’autel,
va d’abord te réconcilier avec ton frère,
et ensuite viens présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire
pendant que tu es en chemin avec lui,
pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge,
le juge au garde,
et qu’on ne te jette en prison.
26 Amen, je te le dis :
tu n’en sortiras pas
avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.
27 Vous avez appris qu’il a été dit :
Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Eh bien ! moi, je vous dis :
Tout homme qui regarde une femme avec convoitise
a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.
29 Si ton œil droit entraîne ta chute,
arrache-le et jette-le loin de toi,
car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres
que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute,
coupe-la et jette-la loin de toi,
car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres
que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne.
31 Il a été dit également :
Si quelqu’un renvoie sa femme,
qu’il lui donne un acte de répudiation.
32 Eh bien ! moi, je vous dis :
Tout homme qui renvoie sa femme,
sauf en cas d’union illégitime,
la pousse à l’adultère ;
et si quelqu’un épouse une femme renvoyée,
il est adultère.
33 Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens :
Tu ne manqueras pas à tes serments,
mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur.
34 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout,
ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre, car elle est son marchepied,
ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi.
36 Et ne jure pas non plus sur ta tête,
parce que tu ne peux pas
rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.
37 Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’,
‘non’, si c’est ‘non’.
Ce qui est en plus
vient du Mauvais. »

Nous avons entendu là un des maîtres mots de Saint Matthieu : le mot « accomplir ». Il vise ce grand projet que Paul appelle « le dessein bienveillant de Dieu » ; et si le mot est de Saint Paul, l’idée remonte beaucoup plus Loin que lui ; depuis Abraham, toute la Bible est tendue vers cet accomplissement. Le Chrétien, normalement, n’est pas tourné vers le passé, c’est quelqu’un qui est tendu vers l’avenir. Et il juge toutes les choses de ce monde en fonction de l’avancement des travaux, entendez l’avancement du Royaume ». Quelqu’un disait : « La Messe du dimanche, c’est la réunion du chantier du Royaume » : le lieu où on fait le point sur l’avancement de la construction.
Et réellement, le Royaume avance, lentement mais sûrement : c’est le cœur  de notre foi. Bien sûr, cela ne se juge pas sur quelques dizaines d’années : il faut regarder sur la longue durée ; Dieu a choisi un peuple comme tous les autres : il s’est peu à peu révélé à lui et après coup, on est bien obligé de reconnaître qu’un énorme chemin a été parcouru. Dans la découverte de Dieu, d’abord, mais aussi dans la relation aux autres hommes ; les idéaux de justice, de liberté, de fraternité remplacent peu à peu la loi du plus fort et l’instinct de vengeance.
Ce lent travail de conversion du cœur  de l’homme a été l’œuvre  de la Loi donnée par Dieu à Moïse : les premiers commandements étaient de simples balises qui disaient le minimum vital en quelque sorte, pour que la vie en société soit simplement possible : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas tromper… Et puis, au long des siècles on avait affiné la Loi, on l’avait précisée, au fur et à mesure que les exigences morales progressaient.
Jésus s’inscrit dans cette progression : il ne supprime pas les acquis précédents, il les affine encore : « On vous a dit… moi je vous dis… » Pas question de gommer les étapes précédentes, il s’agit d’en franchir une autre : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ». Première étape, tu ne tueras pas, deuxième étape, tu t’interdiras même la colère et tu iras jusqu’au pardon. Dans un autre domaine, première étape, tu ne commettras pas l’adultère en acte, deuxième étape, tu t’interdiras même d’y penser, et tu éduqueras ton regard à la pureté. Enfin, en matière de promesses, première étape, pas de faux serments, deuxième étape, pas de serments du tout, que toute parole de ta bouche soit vraie.
Aller plus loin, toujours plus loin dans l’amour, voilà la vraie sagesse ! Mais l’humanité a bien du mal à prendre ce chemin-là ! Pire encore, elle refuse bien souvent les valeurs de l’évangile et se croit sage en bâtissant sa vie sur de tout autres valeurs. Paul fustige souvent cette prétendue sagesse qui fait le malheur des hommes : « La sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent », lisions-nous dans la deuxième lecture.
Dans chacun de ces domaines, Jésus nous invite à franchir une étape pour que le Royaume vienne. Curieusement, mais c’est bien conforme à toute la tradition biblique, ces commandements renouvelés de Jésus visent tous les relations avec les autres. Si on y réfléchit, ce n’est pas étonnant : si le dessein bienveillant de Dieu, comme dit saint Paul, c’est de nous réunir tous en Jésus-Christ, tout effort que nous tentons vers l’unité fraternelle contribue à l’accomplissement du projet de Dieu, c’est-à-dire à la venue de son Règne. Il ne suffit pas de dire « Que ton Règne vienne », Jésus vient de nous dire comment, petitement, mais sûrement, on peut y contribuer.

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La symbolique des chiffres dans la Bible

La symbolique des chiffres dans la Bible

 

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La Bible compte un grand nombre de chiffres, mais tous ne sont pas à prendre « au premier degré ». Au-delà du sens quantitatif que nous sommes habitués à leur prêter, les chiffres bibliques revêtent souvent un sens symbolique, et parfois un sens gématrique. La connaissance de ces subtilités mathématiques est précieuse pour éclairer et comprendre la Parole de Dieu.

Pour nous, hommes modernes, les chiffres sont utilisés dans un but bien précis : désigner une quantité. En revanche, en Orient, à l’époque antique, ils revêtaient, en plus du sens quantitatif, un sens symbolique et un sens gématrique. Dans la Bible, les chiffres endossent donc ces trois réalités distinctes. C’est pourquoi Jérôme Martineau, bibliste canadien, ancien directeur de la revue Notre-Dame du Cap, désormais directeur d’une communauté de l’Arche au Québec, invite tout lecteur de la Bible qui rencontre un nombre à se demander : ce nombre indique-t-il une quantité ou renferme-t-il un message ? Pour nous aider à y voir plus clair, il revient sur la symbolique des chiffres, dans un article paru sur le site Interbible.org.

Le sens symbolique

LE CHIFFRE 1

Symbolise Dieu, l’unique. Il exprime l’exclusivité, la primauté, l’excellence. Ainsi Jésus dit : « Le Père et moi, nous sommes UN » (Jn 10, 30). De même, saint Paul déclare : « Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu » (Eph 4, 5). Le chiffre 1 symbolise l’environnement divin.

LE CHIFFRE 2

Représente l’homme, en qui il existe une dualité, une division intérieure, conséquence du péché originel. Ce sens permet de résoudre certaines énigmes contenues dans l’Évangile. Par exemple, à Jéricho, selon Saint Marc (10, 46), un seul aveugle, nommé Bartimée, est guéri, alors que dans la même scène, racontée selon saint Matthieu (20, 30), il y avait deux aveugles ! Qui dit la vérité ? Tous les deux : Marc nous livre la version historique des faits, tandis que Matthieu recourt au chiffre symbolique.

LE CHIFFRE 3

Exprime une totalité, en rapport avec les trois dimensions du temps : passé, présent, futur. Dans la Bible, dire trois équivaut à dire « la totalité » ou « toujours ». Ainsi, les trois fils de Noé représentent la totalité de ses descendants. Les trois reniements de Pierre symbolisent toutes les fois où Pierre a été infidèle à son Maître. Les trois tentations que Jésus subit de la part du diable, représentent l’ensemble des tentations auxquelles il dut faire face au cours de son existence terrestre. Et quand l’Ancien Testament appelle Dieu le trois fois saint, c’est pour signifier qu’il possède la plénitude de la sainteté.

LE CHIFFRE 4

Symbolise le cosmos, le monde, en lien avec les quatre points cardinaux. Aussi, quand Ezéchiel demande à l’Esprit de venir des quatre vents pour souffler sur les ossements desséchés, cela ne signifie pas qu’il n’existe que quatre vents, mais qu’il est fait appel à tous les vents du monde entier. De même, lorsque l’auteur de l’Apocalypse parle du trône de Dieu, entouré de quatre vivants, il veut dire que la Terre toute entière est son trône.

LE CHIFFRE 5

Signifie « quelques-uns », une quantité indéterminée. Ainsi, Jésus, lors de la multiplication des pains, prend cinq pains ; sur le marché, cinq moineaux se vendent deux sous ; Élizabeth, la mère de Jean-Baptiste, après avoir conçu, se tient cachée dans sa maison durant cinq mois. Plusieurs fois, dans ses paraboles, Jésus emploie le chiffre 5 en lui donnant ce sens indéterminé : les cinq vierges sages et les cinq vierges imprévoyantes, les cinq talents, les cinq paires de bœufs achetés par des invités au banquet…

LE CHIFFRE 7

Représente la perfection. Jésus dira à Pierre qu’il doit pardonner à son frère jusqu’à 70 fois. Le 7 apparaît souvent en relation avec les choses de Dieu. L’auteur de l’Apocalypse est celui qui y recourt le plus fréquemment (54 fois), pour décrire symboliquement des réalités divines : les sept Églises d’Asie, les sept esprits autour du trône de Dieu, les sept trompettes, les sept candélabres, les sept cornes et les sept yeux de l’agneau, les sept tonnerres, les sept plaies, les sept coupes déversées.

Le 7 peut aussi désigner la perfection dans le mal, comme c’est le cas lorsque Jésus enseigne que, si un esprit immonde sort d’un homme, il peut revenir avec sept autres esprits plus mauvais, ou quand l’Évangile nous apprend que le Seigneur a délivré Marie-Madeleine de sept démons. La Tradition chrétienne est restée fidèle à ce symbolisme, en fixant à 7 le nombre de sacrements et des dons du Saint Esprit.

LE NOMBRE 12

Exprime l’élection. Ainsi parle-t-on des 12 tribus d’Israël, alors que l’Ancien Testament en signale plus de 12 ! Mais cela signifie que ces tribus sont élues. Les 12 apôtres de Jésus, qu’il nomme Les Douze, sont les élus du Seigneur. L’Apocalypse parle des 12 étoiles qui couronnent la Femme, des 12 portes de la Jérusalem céleste, des 12 anges et des 12 fruits de l’arbre de Vie.

LE NOMBRE 40

Représente le remplacement d’une période par une autre, ou bien la durée d’une génération. Ainsi le Déluge se prolonge pendant 40 jours et 40 nuits, le temps du passage à une humanité nouvelle. Les Israélites séjournent 40 ans dans le désert, le temps nécessaire pour que la génération infidèle soit remplacée par une autre. Moïse reste 40 jours sur le mont Sinaï, Elie marche 40 jours. Jésus jeûne 40 jours pour marquer son passage de la vie privée à la vie publique.

Le sens gématrique

En plus du sens quantitatif et symbolique, le troisième sens qu’un nombre peut avoir dans la Bible est le sens gématrique. Particularité des langues hébraïque et grecque, la gématrie est une forme d’exégèse qui associe un chiffre à une lettre. Ainsi, un mot peut désigner également un nombre lorsqu’on additionne les « lettres-chiffres ».

Le jeu biblique de gématrie le plus célèbre, selon Jérôme Martineau, est celui que l’on trouve dans l’Apocalypse, concernant le chiffre 666, désignant la Bête. L’auteur affirme qu’il s’agit là d’un « chiffre d’homme ». Est donc née l’hypothèse que celui qui se cacherait derrière ce chiffre serait l’empereur Néron. En effet, la valeur numérique de son nom, si on lui adjoint son titre de « César », est 666 : QSAR NERON = 100 + 60 + 200 + 50 + 200 + 6 + 50 = 666.

Autre exemple, dans la Genèse  : l’invasion de la Palestine par quatre armées puissantes, qui firent prisonnier, Lot, neveu d’Abraham. Quand ce dernier en fut informé, il rassembla 318 hommes, se mit à la poursuite des ravisseurs et parvint à libérer Lot. Comment imaginer qu’Abraham, ne disposant que de 318 hommes, ait pu vaincre les quatre puissantes armées de Mésopotamie ? Ce nombre, 318, explique le bibliste, a une signification spéciale. Nous savons qu’Abraham avait un serviteur nommé Eliézer, qu’il avait désigné comme héritier de tous ses biens. Si nous prenons les nombres qui correspondent aux lettres hébraïques de ce nom, on obtient : e=1 + l=30 + i=10 + e=70 + z=7 + r=200 = 318. Ce qui voudrait dire qu’Abraham partit combattre avec tous ses héritiers, et que ces héritiers triompheront toujours de leurs ennemis.

Source Aletia

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La symbolique des chiffres dans la Bible

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Quelle est la place accordée aux chiffres dans la Bible ?

Les chiffres jouent un rôle important dans la Bible. Leur utilisation est à replacer dans le contexte plus large de l’ancien Orient, qui aimait la symbolique des nombres. En Mésopotamie, où les mathématiques étaient relativement développées, rappellent les auteurs du Vocabulaire de théologie biblique (Éd. du Cerf), on attribuait aux dieux certains nombres sacrés. Selon les spéculations pythagoriciennes, 1 et 2 étaient masculins, 3 et 4 féminins, 7 virginal, etc.

Influencée par les civilisations dans lesquelles elle a été composée, la Bible elle-même confère à certains chiffres des emplois symboliques et conventionnels. Pour autant, à aucun, elle n’accorde un caractère sacré. « Dans les littératures ésotériques, on se sert des chiffres pour en faire une lecture magique, prévient le P. François Brossier, exégète, professeur honoraire de l’Institut catholique de Paris. Dans la Bible, ils ont d’abord pour fonction de donner du sens. Il faut absolument se demander quelles ont été les intentions des auteurs lorsqu’ils les ont employés. »

Connaît-on la portée symbolique de tous les chiffres ?

Il s’agit avant tout de ne pas procéder à des extrapolations hâtives. Le sens premier des chiffres dans la Bible est tout simplement de mesurer des quantités. « Quand nous lisons que quatre hommes amenèrent le paralytique étendu sur une civière, il est évident que le chiffre 4 traduit une réalité : la civière avec quatre poignées était le moyen le plus simple pour le transporter », indique par exemple le bibliste canadien Jérôme Martineau, rédacteur en chef de la revue Notre-Dame du Cap, dans un article paru sur le site Interbible.org.

Cela dit, le sens symbolique de certains chiffres dans la Bible s’est également peu à peu imposé. Ainsi Jésus choisit douze apôtres parce que le peuple d’Israël à l’origine était composé de douze tribus, chiffre lui-même symbolique : il indique par ce chiffre le nouveau peuple de Dieu.

Cette signification symbolique est renforcée par l’utilisation des multiples. Lorsque Jésus indique à Pierre qu’il doit pardonner « non pas jusqu’à 7 fois, mais 77 fois » (Mt 18, 21-22), il indique par là la perfection de l’amour évangélique qui n’a pas de borne. De même, le nombre des disciples attendant la Pentecôte est de 120 (Actes 1,15), soit 10 fois 12, symbole de ce nouveau peuple de Dieu qui commence à naître. L’Apocalypse annonce qu’au jour de la manifestation du Seigneur, 144 000 personnes seront marquées du sceau du Dieu vivant, 12 000 de chaque tribu d’Israël, soit la multitude (Ap 7).

Les auteurs du Nouveau Testament ont tout naturellement puisé dans la symbolique de l’Ancien Testament, bien connue de leurs lecteurs, pour mettre en lumière le mystère du Christ. Lorsque Jésus désigne 72 disciples pour évangéliser les villes et localités (cf. Lc 10,1), l’évangéliste fait allusion dans la Genèse (Gn 10) à la somme totale des peuples et nations répartis sur la terre. Manière de signifier que Jésus leur confie le soin de faire parvenir l’Évangile à toutes les nations du monde.

Dans l’évangile selon saint Marc figurent deux récits de multiplication des pains. À la fin du premier (Mc 6, 30-44), il reste douze corbeilles pleines, le nombre des douze tribus. Cette multiplication est faite pour Israël, elle est l’accomplissement des promesses faites par Dieu à son peuple au désert. Il envoie un Messie pour rassasier son peuple, et pour qu’il se rassemble autour de son Seigneur. Dans le deuxième récit (Mc 8, 1-10), il reste sept corbeilles, ce nombre évoquant la complétude selon Dieu (voir infographie) : Jésus est ému par ces foules qui le suivent, quatre mille hommes, c’est-à-dire des quatre points de l’horizon, les nations rassemblées, bien au-delà du peuple d’Israël. Ainsi ces deux multiplications des pains que nous rapporte saint Marc ont été voulues pour montrer qu’il vient rassembler les tribus d’Israël mais aussi pour toutes les nations.

Pour d’autres chiffres, en revanche, la clé d’interprétation nous échappe aujourd’hui. Ainsi des âges fabuleux attribués aux patriarches d’Israël, tel Mathusalem qui serait mort à 969 ans, Noé à 950 ans ou Lamech à 777 ans… évocation, peut-être, de la bonté de la Création, qui s’altère (les chiffres diminuent) jusqu’au déluge. Intrigue tout autant le nombre de 153 poissons de la pêche miraculeuse (Jean 21,11), qui a donné lieu à de multiples hypothèses, certaines extravagantes pour un esprit moderne.

Quelle valeur le judaïsme accorde-t-il aux chiffres ?

Chaque lettre de l’alphabet hébreu revêt une valeur numérique : de 1 pour « aleph », la première lettre, à 400 pour « tav », la dernière lettre. Ce qui signifie que l’on peut attribuer une valeur numérique à chaque mot en additionnant la somme de ses lettres. Procédé courant dans la lecture biblique : « Ce type de combinaisons permet de créer du lien et du sens entre des versets qui n’avaient a priori qu’un très lointain rapport entre eux », explique Hervé Landau, directeur de la collection « Lectures du judaïsme » aux Presses Universitaires de France. « Les valeurs numériques deviennent alors des révélateurs de sens seconds, cachés, appels à interprétation supplémentaire, à des regards neufs et innovants. »

Il existe des méthodes de construction et d’interprétation variées, livrées pour partie par les textes, pour partie par tradition orale, qui entrent toutes dans ce que l’on appelle la guématrie. Un exemple biblique classique se situe dans le livre de la Genèse où le nombre 318 (Gn 14, 14) renverrait à la personne d’Eliezer, serviteur désigné héritier d’Abraham (Gn 15,2) dont la valeur numérique est de 318… L’école juive de la Kabbale utilise massivement ce procédé.

Un certain nombre de chiffres du Nouveau Testament s’expliquent sans doute par ce procédé. Le jeu biblique de guématrie le plus célèbre, selon le bibliste Jérôme Martineau, est celui que l’on trouve dans l’Apocalypse concernant le chiffre 666, qui est censé désigner la Bête. L’auteur affirme qu’il s’agit là d’un « chiffre d’homme ». Or, si l’on transcrit le nom de l’empereur Néron, on obtient justement la valeur de 666…

On a aussi proposé de voir dans les 3 fois 14 générations qui composent la généalogie de Jésus, dans l’Évangile selon saint Matthieu qui s’adressait particulièrement à des communautés judéo-chrétiennes, une guématrie du nom de David (DVD = 4 + 6 + 4). Comme on espérait que le Messie serait un descendant de David, l’évangéliste désigne ainsi Jésus comme « triple David », véritable descendant du roi prophète. Mais c’est également un multiple du chiffre 7, le chiffre de Dieu.

Source Journal La Croix

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Dimanche 5 février 2023 : 5ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 5 février 2023 :

5ème dimanche du Temps Ordinaire 

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – prophète Isaïe 58,7-10

Ainsi parle le SEIGNEUR :
7 Partage ton pain avec celui qui a faim,
accueille chez toi les pauvres sans abri,
couvre celui que tu verras sans vêtement,
ne te dérobe pas à ton semblable.
8 Alors ta lumière jaillira comme l’aurore,
et tes forces reviendront vite.
Devant toi marchera ta justice,
et la gloire du SEIGNEUR fermera la marche.
9 Alors, si tu appelles, le SEIGNEUR répondra ;
si tu cries, il dira : « Me voici. »
Si tu fais disparaître de chez toi
le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
10 si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires,
et si tu combles les désirs du malheureux,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera lumière de midi.

A première vue, on pourrait prendre ce texte pour une belle leçon de morale et ce ne serait déjà pas si mal ! Mais, en fait, il s’agit de bien autre chose : je vous rappelle le contexte ; nous sommes à la fin du sixième siècle avant J.C. ; le retour d’Exil est chose faite, mais il reste encore bien des séquelles de cette période terrible ; puisque, un peu plus bas, le même prophète parle des « dévastations du passé » et des ruines à relever.
La pratique religieuse s’est remise en place à Jérusalem et, de bonne foi, on s’efforce de plaire à Dieu. Mais notre prophète est ici chargé de délivrer un message un peu délicat : oui, vous voulez plaire à Dieu, c’est une affaire entendue, seulement voilà : le culte qui plaît à Dieu n’est pas ce que vous croyez ; et le prophète leur adresse de lourds reproches : vous cherchez à vous faire bien voir de Dieu par des jeûnes spectaculaires parce que vous voulez vous attirer ses bonnes grâces, mais pendant ce temps vous n’êtes que disputes, querelles, brutalités, appât du gain.
Voici ce que dit Isaïe, quelques lignes avant notre texte d’aujourd’hui : « Le jour de votre jeûne, vous savez (quand même) tomber sur une bonne affaire, et tous vos gens de peine, vous les brutalisez ! Vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute, et en frappant du poing méchamment ! Vous ne jeûnez pas comme il convient en un jour où vous voulez faire entendre là-haut votre voix. Doit-il être comme cela le jeûne que je préfère, le jour où l’homme s’humilie ? S’agit-il de courber la tête comme un jonc, d’étaler en litière sac et cendre ? Est-ce pour cela que tu proclames un jeûne ? » (58,4-5).
Cela nous vaut l’un des textes les plus percutants de l’Ancien Testament ! Dommage que nous ne le lisions pas plus souvent ! Car il bouscule nos idées sur Dieu et sur la religion : nous avons là la réponse à l’une de nos grandes questions : « Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? » Et, en fait de réponse, on ne peut pas être plus clair !
En quelques lignes, tout est dit ; mais comme toujours, quand un texte est très dense, on peut se dire qu’il a été longuement travaillé : c’est bien le cas ici, pour ce passage d’Isaïe. Car ces quelques lignes sont l’aboutissement de toute l’œuvre  des prophètes. Depuis des siècles, en Israël, et pas seulement depuis l’Exil, depuis Abraham, c’est-à-dire à peu près 1850 ans av. J.C., on cherche à faire ce qui plaît à Dieu. On a tout essayé : les sacrifices humains, d’abord, mais Dieu a tout de suite fait savoir qu’avec lui, le Dieu des vivants, il ne pouvait pas en être question ; alors on a continué à offrir des sacrifices, mais d’animaux seulement ; et puis il y a eu, comme dans toutes les religions, des jeûnes, des offrandes de toute sorte, des prières.
Tout au long de ce lent développement de la foi d’Israël, les prophètes appelaient le peuple à ne pas se contenter du culte mais à vivre l’Alliance au quotidien. Et c’est bien le sens de ce passage. Le prophète commence par dire (juste avant notre texte de ce dimanche) : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » Si je comprends bien, aux yeux de Dieu, tout geste qui vise à libérer nos frères vaut mieux que le jeûne le plus courageux.
Puis vient le passage que nous avons entendu tout à l’heure qui nous propose des gestes de partage : nourrir l’affamé, et désaltérer l’assoiffé, recueillir le malheureux sans abri, vêtir celui qui a froid, combler le désir des malheureux… en un mot secourir toutes les souffrances que nous rencontrons.
Je vous propose trois remarques : premièrement, les gestes de libération, les gestes de partage qu’Isaïe nous recommande sont tout simplement l’imitation de l’œuvre  de Dieu lui-même ; Israël a expérimenté bien souvent l’action du Dieu libérateur et la compassion du Dieu miséricordieux ; et ce qui lui est demandé, c’est de faire les mêmes gestes à son tour. Décidément, l’homme est vraiment fait pour être l’image de Dieu ! Et si l’on en croit les prophètes, notre attitude envers les autres est le meilleur thermomètre de notre attitude envers Dieu.
Deuxièmement, alors on ne s’étonne pas qu’Isaïe puisse promettre : « Si tu combles les désirs du malheureux, la gloire du SEIGNEUR t’accompagnera » (« la gloire du SEIGNEUR », c’est-à-dire le rayonnement de sa présence) ; ce n’est pas une récompense ! C’est beaucoup mieux que cela : c’est une réalité… car, réellement, quand nous agissons à la manière de Dieu par des actes qui libèrent, qui rassurent, qui encouragent, qui adoucissent les épreuves de toute sorte, alors il nous est donné de refléter un peu pour eux la lumière de Dieu. Et vous avez remarqué l’insistance d’Isaïe sur la lumière : « Alors ta lumière jaillira comme l’aurore… ta lumière se lèvera dans les ténèbres, ton obscurité sera comme la lumière de midi ». Bien sûr, puisqu’il s’agit de la lumière même de Dieu. Pour le dire autrement, Isaïe nous dit « Quand tu donnes, tu reflètes la présence de Dieu. » Une fois de plus on peut rappeler cette superbe phrase de la tradition chrétienne « Là où il y a de l’amour, là est Dieu ».
Troisièmement, tout acte de justice, de libération, de partage est un pas vers le Royaume de Dieu : puisque, justement, ce Royaume que tout l’Ancien Testament attend est le lieu de la justice et de l’amour ; c’est bien le sens de l’évangile des Béatitudes, dans lequel Jésus nous dit que le Royaume est construit au jour le jour par les doux, les purs, les pacifiques, les assoiffés de justice et de miséricorde.

PSAUME – 111 (112)

4 Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.
5 L’homme de bien a pitié, il partage ;
il mène ses affaires avec droiture.

6 Cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.
7 Il ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le SEIGNEUR.

8 Son cœur est confiant, il ne craint pas.
9 À pleines mains, il donne au pauvre ;
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira, et sa gloire !

Chaque année, au cours de la fête des Tentes, cette fête qui dure, encore aujourd’hui, une semaine à l’automne, le peuple entier faisait ce qu’on pourrait appeler sa « profession de foi » : il renouvelait l’Alliance avec Dieu et s’engageait de nouveau à respecter la Loi. Le psaume 111/112 était certainement chanté à cette occasion.
L’ensemble de ce psaume est à lui seul un petit traité de la vie dans l’Alliance : pour mieux le comprendre, il faut le lire depuis le début. Je vous lis le premier verset : « Alleluia ! Heureux qui craint le SEIGNEUR, qui aime entièrement sa volonté ! »
Tout d’abord, donc, il commence par le mot Alleluia, littéralement « Louez Dieu » qui est le maître-mot des croyants : quand l’homme de la Bible nous invite à louer Dieu, c’est pour le don de l’Alliance précisément. Ensuite, ce psaume se présente comme un psaume alphabétique : c’est-à-dire qu’il comporte vingt-deux lignes, autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet hébreu ; le premier mot de chaque ligne commence par une lettre de l’alphabet dans l’ordre alphabétique ; manière d’affirmer que l’Alliance avec Dieu concerne toute la vie de l’homme et que la Loi de Dieu est le seul chemin du bonheur pour la totalité de la vie, de A à Z. Enfin, le premier verset commence par le mot « heureux » adressé à l’homme qui sait se maintenir sur le chemin de l’Alliance.
Cela fait immédiatement penser à l’évangile des Béatitudes qui résonne de ce même mot « heureux » : Jésus employait là un mot très habituel dans la Bible mais que malheureusement notre traduction française ne peut pas rendre complètement ; dans son commentaire des psaumes, André Chouraqui faisait remarquer que la racine hébraïque de ce mot « a pour sens fondamental la marche, le pas de l’homme sur la route sans obstacle qui conduit vers le Seigneur. » Il s’agit donc « moins du bonheur que de la démarche qui y conduit. » C’est pour cela que le même Chouraqui traduisait le mot « Heureux » par « En Marche », sous-entendu, vous êtes sur la bonne voie, continuez ».
Généralement, dans la Bible, le mot « heureux » ne va pas tout seul, il est opposé à son contraire « malheureux » : l’idée générale étant qu’il y a dans la vie des fausses pistes à éviter ; certains chemins (traduisez choix, comportements) vont dans le bon sens et d’autres, opposés, ne sèmeront que du malheur. Et si on lit ce psaume en entier dans la Bible, on s’aperçoit qu’il est construit de cette manière ; le psaume 1 qui est plus connu est, lui aussi, construit exactement de la même façon : il commence par détailler longuement quels sont les bons choix, ce qui est chemin de bonheur pour tous et, beaucoup plus brièvement, parce que cela ne vaut pas la peine d’en parler, les mauvais choix.
Ici, le bon choix est précisé dès le premier verset : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR ! » Nous retrouvons cette expression si fréquente dans l’Ancien Testament : « la crainte de Dieu » ; malheureusement, la lecture liturgique est coupée ici et ne nous fait pas entendre la seconde ligne de ce premier verset ; je vous le lis en entier : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR, qui aime entièrement sa volonté. » Voilà donc une définition de la « crainte de Dieu » : c’est l’amour de sa volonté. Parce qu’on est en confiance, tout simplement. La crainte du Seigneur, on le sait bien, n’est pas de l’ordre de la peur : d’ailleurs, un peu plus bas, un autre verset le précise bien : « L’homme de bien… s’appuie sur le SEIGNEUR ; son cœur  est confiant… »
La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est à la fois la conscience de la Sainteté de Dieu, la reconnaissance de tout ce qu’il fait pour l’homme, et, puisqu’il est notre Créateur, le souci de lui obéir ; car, s’il est notre Créateur, lui seul sait ce qui est bon pour nous. C’est une attitude filiale de respect et d’obéissance confiante. La double découverte d’Israël c’est à la fois que Dieu est le Tout-Autre ET qu’il se fait le Tout-Proche. Il est infiniment puissant, oui, mais cette toute-puissance est celle de l’amour. Nous n’avons donc rien à craindre puisqu’il peut et veut notre bonheur ! Vous connaissez ce verset du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint ». Craindre le Seigneur, c’est bien avoir à son égard une attitude de fils à la fois respectueux et confiant. C’est aussi « s’appuyer sur lui » : « L’homme de bien… s’appuie sur le SEIGNEUR ; son coeur est confiant ».
Voici donc la juste attitude envers Dieu, celle qui met l’homme sur la bonne voie : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR ! » Voici maintenant la juste attitude envers les autres : « L’homme de bien a pitié, il partage ; homme de justice, de tendresse et de pitié… A pleines mains, il donne au pauvre. » La formule « homme de justice, de tendresse et de pitié » fait irrésistiblement penser à la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse : « Le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté … » (Ex 34, 6). Et d’ailleurs, le psaume précédent (110/111) qui ressemble beaucoup à celui-ci emploie exactement les mêmes mots « justice, tendresse et pitié » pour Dieu et pour l’homme. Manière de dire que l’observation quotidienne de la Loi, dans toute notre vie, de A à Z, comme le symbolise l’alphabétisme de ce psaume, finit par nous modeler à l’image et à la ressemblance de Dieu.
J’ai bien dit ressemblance : le psalmiste n’oublie pas que le Seigneur est le Tout-Autre : les formules ne sont donc pas exactement les mêmes : pour Dieu on dit qu’Il « EST » justice, tendresse et pitié… alors que pour l’homme, le psalmiste dit « il est homme DE justice, DE tendresse, DE pitié », ce qui veut dire que ce sont des vertus qu’il pratique, ce n’est pas son être même. Ces vertus, il les tient de Dieu, il les reflète en quelque sorte.
Et alors parce que son action est à l’image de celle de Dieu, l’homme de bien est une lumière pour les autres : « Lumière des cœurs  droits, il s’est levé dans les ténèbres ». Nous entendons là un écho de la lecture d’Isaïe « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement… alors ta lumière jaillira comme l’aurore ». C’est quand nous donnons et partageons, que nous sommes le plus à l’image de Dieu, lui qui n’est que don. Alors, à notre petite mesure, nous reflétons sa lumière.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 2,1-5

1 Frères,
quand je suis venu chez vous,
je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu
avec le prestige du langage ou de la sagesse.
2 Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ
ce Messie crucifié.
3 Et c’est dans la faiblesse,
craintif et tout tremblant,
que je me suis présenté à vous.
4 Mon langage, ma proclamation de l’Evangile,
n’avaient rien d’un langage
de sagesse qui veut convaincre ;
mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient,
5 pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes,
mais sur la puissance de Dieu.

Saint Paul, comme souvent, procède par contrastes : première opposition, le mystère de Dieu est tout différent de la sagesse des hommes ; deuxième opposition, le langage de l’apôtre qui annonce le mystère est tout différent du beau langage humain, de l’éloquence. Je reprends ces deux oppositions : mystère de Dieu / sagesse humaine ; langage du prédicateur / éloquence, (ou art oratoire, si vous préférez).
Et, tout d’abord l’opposition mystère de Dieu ou sagesse humaine : Paul dit qu’il est venu « annoncer le mystère de Dieu » ; il faut entendre par là le « dessein bienveillant » de Dieu que la lettre aux Ephésiens développera plus tard : ce dessein bienveillant, c’est de faire de l’humanité une communion parfaite d’amour autour de Jésus-Christ : il est donc fondé sur les valeurs de l’amour, du service mutuel, du don, du pardon ; et on voit bien que Jésus le met en œuvre  déjà tout au long de sa vie terrestre. On est donc très loin d’un Dieu de puissance au sens militaire du terme que certains imaginent.
Ce mystère de Dieu s’accomplit par un « Messie crucifié » : c’est tout à fait contraire à notre logique humaine ; c’est même presque un paradoxe ; Paul l’affirme, Jésus de Nazareth est bien le Messie ; mais pas comme on l’attendait. On ne l’attendait pas crucifié ; et même, selon notre logique humaine, le fait qu’il soit crucifié tendait à prouver qu’il n’était pas le Messie : tout le monde avait en tête une célèbre phrase du Deutéronome : d’après laquelle un homme qui avait été condamné à mort au nom de la Loi, et exécuté, était maudit de Dieu. (Dt 21,22-23).
Et pourtant, ce dessein du Dieu tout-puissant, ce n’est « rien d’autre que Jésus-Christ » comme dit Paul… Quand il témoigne de sa foi, il n’a rien d’autre à dire que Jésus-Christ ; pour lui, Jésus-Christ est vraiment le centre de l’histoire humaine, le centre du projet de Dieu, le centre de sa foi. Il ne veut rien connaître d’autre : « Je n’ai rien voulu connaître d’autre » ; derrière cette phrase, on perçoit les difficultés de ne pas céder aux pressions de toute sorte, aux injures, à la persécution déjà.
Ce Messie crucifié nous fait connaître ce qu’est la véritable sagesse, la sagesse de Dieu : c’est-à-dire don et pardon, refus de la violence… C’est tout le message de l’évangile des Béatitudes.
Face à cette sagesse divine, la sagesse humaine est raison raisonnante, persuasion, force, puissance ; cette sagesse-là ne peut même pas entendre le message de l’évangile ; et, d’ailleurs, Paul a essuyé un échec à Athènes, le haut lieu de la philosophie.
Deuxième opposition dans ce texte : langage de prédicateur, ou art oratoire. Paul n’a aucune prétention du côté de l’éloquence : voilà déjà de quoi nous rassurer, si nous n’avons pas la parole trop facile ! Mais Paul va plus loin : pour lui, l’éloquence, l’art oratoire, la faculté de persuasion seraient une gêne parce que totalement incompatibles avec le message de l’évangile. Annoncer l’Evangile ce n’est pas faire étalage d’un savoir ni asséner des arguments. Il est intéressant, d’ailleurs, de remarquer que dans le mot « convaincre », il y a « vaincre ». Il n’est peut-être pas à sa place quand on prétend annoncer la religion de l’Amour. La foi, comme l’amour, n’est pas affaire de persuasion… Allez donc persuader quelqu’un de vous aimer… On sait bien que l’amour ne se raisonne pas, ne se démontre pas… Le mystère de Dieu non plus ; on peut seulement y pénétrer peu à peu.
Le mystère d’un Messie pauvre, d’un Messie-Serviteur, d’un Messie crucifié, ne peut pas s’annoncer par des moyens de puissance : ce serait le contraire du mystère annoncé ! C’est dans la pauvreté que l’évangile s’annonce : voilà qui devrait nous redonner du courage ! Le Messie pauvre ne peut être annoncé que par des moyens pauvres, le Messie serviteur ne peut être annoncé que par des serviteurs.
Il ne faut donc pas nous inquiéter de n’être pas de très bons orateurs, car notre pauvreté de langage est seule compatible avec le message de l’évangile ; mais Paul va même jusqu’à dire que notre pauvreté de prédicateurs est une condition incontournable de la prédication ! Elle seule peut laisser le champ libre à l’action de Dieu. Ce n’est pas lui, Paul, qui a convaincu les Corinthiens, c’est l’Esprit de Dieu qui a donné à la prédication de Paul la force de la vérité en leur faisant découvrir le Christ.
J’en déduis que ce n’est pas non plus la force de notre raisonnement qui convaincra nos contemporains : leur foi ne reposera pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de l’Esprit de Dieu. Nous ne pouvons que lui prêter notre voix. Evidemment cela exige de nous un terrible acte de foi : « C’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant que je suis arrivé chez vous. Mon langage, ma proclamation de l’évangile n’avaient rien à voir avec le langage d’une sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ».
Au moment où nous avons l’impression que le cercle des croyants rétrécit comme une peau de chagrin, au moment où nous rêverions de moyens de puissance médiatique, télématique, électronique de toute sorte, et alors que nos moyens financiers sont révisés à la baisse, il nous est bon de nous entendre dire que l’annonce de l’évangile s’accommode mieux des moyens de pauvreté… Mais pour accepter cette vérité-là, il faut admettre que l’Esprit-Saint est meilleur prédicateur que nous ! Et que, peut-être, le témoignage de notre pauvreté serait la meilleure des prédications ?

EVANGILE – selon Saint Matthieu 5, 13 -16

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
13 « Vous êtes le sel de la terre.
Mais si le sel devient fade,
avec quoi sera-t-il salé ?
Il ne vaut plus rien :
on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
14 Vous êtes la lumière du monde.
Une ville située sur une montagne
ne peut être cachée.
15 Et l’on n’allume pas une lampe
pour la mettre sous le boisseau ;
on la met sur le lampadaire,
et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille devant les hommes :
alors, voyant ce que vous faites de bien,
ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

Tant mieux si une lampe est jolie, mais franchement, ce n’est pas le plus important ! Ce qu’on lui demande d’abord, c’est d’éclairer ; et d’ailleurs, si elle n’éclaire pas bien, si on n’y voit rien, comme on dit, on ne verra pas non plus qu’elle est jolie ! Quant au sel, sa vocation est de disparaître en remplissant son office : mais s’il manque, le plat sera moins bon.
Je veux dire par là que sel et lumière n’existent pas pour eux-mêmes ; d’ailleurs, je remarque au passage, que Jésus leur dit « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » : ce qui compte, c’est la terre, c’est le monde ; le sel et la lumière ne comptent que par rapport à la terre et au monde ! En disant à ses disciples qu’ils sont le sel et la lumière, Jésus les met en situation missionnaire. Il leur dit : « Vous qui recevez mes paroles, vous devenez, par le fait même, sel et lumière pour ce monde : votre présence lui est indispensable ». Ce qui revient à dire que l’Eglise n’existe que POUR le monde. Voilà qui nous remet à notre place, comme on dit ! Déjà la Bible avait répété au peuple d’Israël qu’il était le peuple élu, certes, mais au service du monde ; cette leçon-là reste valable pour nous.
Je reviens au sel et à la lumière : on peut se demander quel point commun il y a entre ces deux éléments, auxquels Jésus compare ses disciples. Réponse : ce sont des révélateurs ; le sel met en valeur la saveur des aliments, la lumière fait connaître la beauté des êtres et du monde. Les aliments existent avant de recevoir le sel ; les êtres, le monde existent avant d’être éclairés. Cela nous en dit long sur la mission que Jésus confie à ses disciples, à nous. Personne n’a besoin de nous pour exister, mais apparemment, nous avons un rôle spécifique à jouer.
Sel de la terre, nous sommes là pour révéler aux hommes la saveur de leur vie. Les hommes ne nous attendent pas pour vivre des gestes d’amour et de partage parfois magnifiques. Evangéliser, c’est dire « le Royaume est au milieu de vous, dans tout geste, toute parole d’amour » ; c’est là qu’ils nous attendent si j’ose dire : pour leur révéler le Nom de Celui qui agit à travers eux : puisque « là où il y a de l’amour, là est Dieu ».
Lumière du monde, nous sommes là pour mettre en valeur la beauté de ce monde : c’est le regard d’amour qui révèle le vrai visage des personnes et des choses. L’Esprit Saint nous a été donné précisément pour que nous puissions entrer en résonance avec tout geste ou parole qui vient de lui.
Mais cela ne peut se faire que dans la discrétion et l’humilité. Trop de sel dénature le goût des aliments au lieu de le mettre en valeur. Une lumière trop forte écrase ce qu’elle veut éclairer. Pour être sel et lumière, il faut beaucoup aimer.
Il suffit d’aimer, mais il faut vraiment aimer. C’est ce que les textes de ce jour nous répètent selon des modes d’expression différents mais de façon très cohérente. L’évangélisation n’est pas une conquête. La Nouvelle Evangélisation n’est pas une reconquête. L’annonce de la Bonne Nouvelle ne se fait que dans une présence d’amour. Rappelons-nous la mise en garde de Paul aux Corinthiens : il leur rappelle que seuls les pauvres et les humbles peuvent prêcher le Royaume.
Cette présence d’amour peut être très exigeante si j’en crois la première lecture : le rapprochement entre le texte d’Isaïe et l’évangile est très suggestif. Etre la lumière du monde selon l’expression de l’évangile, c’est se mettre au service de nos frères ; et Isaïe est très concret : c’est partager le pain ou les vêtements, c’est faire tomber tous les obstacles qui empêchent les hommes d’être libres.
Et le psaume de ce dimanche ne dit pas autre chose : « l’homme de bien », c’est-à-dire « celui qui partage ses richesses de toute sorte à pleines mains » est une lumière pour les autres. Parce qu’à travers ses paroles et ses gestes d’amour, les autres découvriront la source de tout amour : comme dit Jésus, « En voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendront gloire au Père qui est aux cieux. » c’est-à-dire qu’ils découvriront que le projet de Dieu sur les hommes est un projet de paix et de justice.
A l’inverse, on peut se demander comment les hommes pourront croire au projet d’amour de Dieu tant que nous, qui sommes répertoriés comme ses ambassadeurs, nous ne multiplions pas les gestes de solidarité et de justice que notre société exige ; on peut penser d’ailleurs que le sel est sans cesse en danger de s’affadir : car il est tentant de laisser tomber dans l’oubli les paroles fortes du prophète Isaïe, celles que nous avons entendues dans la première lecture ; ce n’est peut-être pas un hasard, d’ailleurs, si l’Eglise nous les donne à entendre peu de temps avant l’ouverture du Carême, ce moment où nous nous demanderons de très bonne foi quel est le jeûne que Dieu préfère.
Dernière remarque : cet évangile d’aujourd’hui (sur le sel et la lumière) suit immédiatement dans l’évangile de Matthieu la proclamation des Béatitudes : il y a donc certainement un lien entre les deux. Et nous pouvons probablement éclairer ces deux passages l’un par l’autre. Peut-être le meilleur moyen d’être sel et lumière pour le monde est-il tout simplement de développer chacun la Béatitude à laquelle nous sommes appelés ? Etre sel de la terre, être lumière du monde, c’est vivre selon l’esprit des Béatitudes, c’est-à-dire exactement à l’opposé de l’esprit du monde ; c’est accepter de vivre selon des valeurs d’humilité, de douceur, de pureté, de justice. C’est être artisans de paix en toute circonstance, et, plus important que tout peut-être, accepter d’être pauvres et démunis, en n’ayant en tête qu’un seul objectif : « qu’en voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendent gloire à notre Père qui est aux cieux. »
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Compléments
– D’après l’un des textes du Concile sur l’Eglise (« Lumen Gentium »), la vraie lumière du monde, ce n’est pas nous, c’est Jésus-Christ.
– En disant à ses disciples qu’ils sont lumière, Jésus leur révèle ni plus ni moins que c’est Dieu lui même qui brille à travers eux, car, dans les écrits bibliques, comme dans le Concile, il est toujours bien précisé que toute lumière vient de Dieu.