Jeanne
Bruno Dumont
Avec Lise Leplat-Prudhomme, Fabrice Luchini, Annick Lavieville plus
Sortie le 11 septembre 2019.
Durée : 2h 18 mn
SYNOPSIS ET DÉTAILS
Année 1429. La Guerre de Cent Ans fait rage. Jeanne, investie d’une mission guerrière et spirituelle, délivre la ville d’Orléans et remet le Dauphin sur le trône de France. Elle part ensuite livrer bataille à Paris où elle subit sa première défaite.
Emprisonnée à Compiègne par les Bourguignons, elle est livrée aux Anglais.
S’ouvre alors son procès à Rouen, mené par Pierre Cauchon qui cherche à lui ôter toute crédibilité.
Fidèle à sa mission et refusant de reconnaître les accusations de sorcellerie diligentées contre elle, Jeanne est condamnée au bûcher pour hérésie.
Les aventures de Jeanne
Jeanne est la suite de Jeannette et les deux films forment une adaptation d’une pièce de Charles Péguy. Si Jeannette était un film “chantant”, telle une comédie musicale, Jeanne est cette fois un film d’action, psychologique, dialogué, parce que porté aux débats des Batailles et au suspens d’un Procès. « Charles Péguy est un auteur que j’ai découvert assez récemment et j’ai été très impressionné par son écriture, notamment, son chant, sa musicalité. Lorsque j’ai commencé à avoir l’idée de réaliser un film musical, je cherchais un texte réellement propice, aussi je me suis rapproché naturellement de lui et de sa pièce de théâtre Jeanne d’Arc comme d’un livret », confie le réalisateur Bruno Dumont.
Adapter Péguy
Le film précédent de Bruno Dumont, Jeannette, racontait l’enfance de Jeanne d’Arc et était l’adaptation de la première partie de la pièce de Charles Péguy, qui s’appelle Domrémy. Jeanne en est la suite et adapte les deux autres parties : les Batailles et Rouen. « La difficulté littéraire que l’on peut attribuer parfois à Péguy ne me faisait plus peur parce que l’adaptation cinématographique et musicale apportée me permettait alors d’y remédier et d’établir un équilibre inédit : si ce que dit Péguy est parfois fort profond, obscur, c’est ici contrebalancé par la cinématographie des actions, les chansons et la musique qui donnent au tout un accès simple, facile, comme léger et non diminué de ses forces », relate le cinéaste.
Jeanne d’Arc, je m’en fiche !
« Pour le dire franchement, moi, Jeanne d’Arc, je m’en fichais un peu », assène Bruno Dumont, “Charles Péguy me l’aura, disons « révélée ». Lorsque Péguy écrit sa Jeanne, il est pleinement athée… Il a 24 ans et il est socialiste, universaliste, anticlérical, idéaliste : ça se sent très bien dans son texte qui, à l’oeuvre de pourfendre l’Église chrétienne, attaque davantage toute “église”, c’est à dire tout dogmatisme… Par ailleurs, Jeanne est une héroïne historique et nationale de la Guerre de Cent Ans, elle transporte naturellement et universellement avec elle un pays et un peuple tout entier. L’histoire de Jeanne d’Arc est ainsi un théâtre qui porterait bien l’humanité toute entière au travers d’un récit national, historique et incarné. »
Le choix de Christophe
Selon Bruno Dumont, Jeanne rend compte d’une expérience du temps présent, où l’objectif est de faire entrer le spectateur, l’élever, l’aspirer vers quelque chose qui, certes, nous dépasse, mais infuse. Cependant il faut trouver la bonne balance avec lui, s’adapter à la modernité dans laquelle il vit, chercher une connexion. « Lorsque je fais le choix de Christophe, par exemple, pour composer la partition et interpréter une chanson, ou lorsque je choisis la jeune Lise Leplat-Prudhomme, qui a dix ans, pour incarner une Jeanne adolescente à la fin de sa vie, cela participe des liens que je tisse avec notre présent : rechercher des analogies et des correspondances. Idem pour le procès, où les rôles ont été distribués à des universitaires, théologiens, professeurs de philosophie ou de lettres, tous très à l’aise avec cette matière finalement et déjà connectés à elle. Je voulais que l’on ajoute à cette “orchestration” cinématographique générale, la ligne claire de mélodies, de rythmes et d’harmonies musicales qui fasse fleurir davantage sa compréhension et sa portée. »
Démythifier Jeanne d’Arc
Bruno Dumont souhaitait démythifier le plus possible la légende de Jeanne d’Arc. « Je suis un grand admirateur de L’Evangile selon saint Matthieu de Pasolini, qui replace le sacré exactement là où il faut : au cinéma. Je pense que l’expérience artistique est la source de l’expérience spirituelle et que pour atteindre cela, Dieu est un très bon personnage, une bonne histoire. Le Christ est très propice, très favorable au cinéma de ce point de vue ! C’est aussi pour cela qu’il ne faut pas tant se séparer des bondieuseries, ce serait bien dommage : il faut au contraire remettre Dieu dans son théâtre… au cinéma ! Le cinéma peut satisfaire nos vénérations profondes et la superstition cinématographique n’est que poétique, c’est à dire comme étant enfin remise à sa place. Comme tout art, le cinéma nous émancipe et nous affranchit de l’aliénation religieuse. »
Incarner Jeanne
On aurait imaginé que Jeanne Voisin, qui jouait Jeanne à 15 ans à la fin du premier volet, reprenne le rôle. Or, Bruno Dumont l’a confié à Lise Leplat-Prudhomme, qui dans ce même film incarnait Jeanne enfant. « Aucune actrice incarnant Jeanne d’Arc dans l’histoire du cinéma n’a eu l’âge exact de Jeanne, ses 19 ans à sa mort. Renée Falconnetti avait 35 ans, Ingrid Bergman 39 ans… Pour preuve, au besoin, que ce n’est pas l’exactitude historique qui est recherchée… Lise a 10 ans. Un concours de circonstances a heureusement fait que l’actrice qui jouait Jeanne adolescente dans Jeannette ne puisse reprendre le rôle qui, en effet, lui était dévolu… Mais l’idée de prendre Lise s’est imposée comme une révélation. Quand on a vu aux essais ce qu’elle rendait en armure, on a compris qu’elle avait mystérieusement quelque chose d’extraordinaire, une expression très unique de l’enfance et de l’innocence. »
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Revue de presse
28 CRITIQUES PRESSE
par Stéphane du Mesnildot
Plus que jamais le cinéma de Dumont s’affirme comme cette langue étrangère inouïe à l’intérieur du cinéma français.
par Adrien Valgalier
Vibrant et poignant, « Jeanne » est le film le plus bouleversant de Bruno Dumont.
par Sophie Avon
C’est aussi singulier que puissant.
La critique complète est disponible sur le site Sud Ouest
par Caroline Vié
Le public pousse un soupir de surprise charmée au moment de l’apparition de Christophe, un moment de grâce visuelle et musicale dans la cathédrale d’Amiens.
par Benoit Basirico
Après une Jeannette dansante et insouciante, ce second volet paraît plus austère et plus théâtral, mais il s’avère plus sensible et majestueux.
La critique complète est disponible sur le site Bande à part
Culturebox – France Télévisions
par Lorenzo Ciavarini Azzi
L’opiniâtreté à toute épreuve de « Jeanne » se lit dans son regard perçant, merveilleusement saisi par le cinéaste. Epoustouflante Lise Leplat Prudhomme.
La critique complète est disponible sur le site Culturebox – France Télévisions
par Nathalie Chifflet
Touché par la grâce, le film s’accorde à la voix nocturne cristalline, sophistiquée, soufflée et énigmatique, de Christophe. Son chant est un miracle, ainsi soit Jeanne.
La critique complète est disponible sur le site Dernières Nouvelles d’Alsace
par La Rédaction
Chaque plan du réalisateur est d’une époustouflante beauté.
par Céline Rouden
Et puis il y a Jeanne et sa toute jeune interprète Lise Leplat Prudhomme, 12 ans, déjà à l’affiche de Jeanette. (…) Elle y est étonnante d’assurance et de maturité. Et son regard sombre, filmé en gros plan, nous restera longtemps en mémoire.
La critique complète est disponible sur le site La Croix
par Jean Serroy
Bruno Dumont, lui aussi fidèle à lui-même et à sa petite interprète, offre sa vision de Jeanne d’Arc dans des images naïves et naturelles, où la transcendance se sent dans son incarnation terrestre et où quelque chose court dans la banalité même des êtres et des choses : la grâce.
par Marie-Noëlle Tranchant
Avec toujours beaucoup de liberté, Bruno Dumont poursuit son adaptation de Charles Péguy. Sous une gangue rugueuse, son film s’apparente à un joyau très pur.
La critique complète est disponible sur le site Le Figaro
par Jacques Mandelbaum
Tout ici fait signe vers un ailleurs qui le transcende, le film lui-même semble s’être fait enluminure.
La critique complète est disponible sur le site Le Monde
par Xavier Leherpeur
Les idées fusent, comme ce ballet équestre qui devient une chorégraphie. Pourtant mille fois vus et entendus, ces procès trouvent ici un nouvel écho, à la fois historique et mystique.
La critique complète est disponible sur le site Le Nouvel Observateur
par Marion Philippe
Deux ans après Jeannette, Bruno Dumont adapte de nouveau le drame de Péguy dans un film déroutant et touchant, porté par la jeune Lise Leplat-Prudhomme. Un formalisme poétique en adéquation parfaite avec le mysticisme de son héroïne.
La critique complète est disponible sur le site Les Fiches du Cinéma
par Sophie Joubert
Depuis la Vie de Jésus, la frontalité du cinéma de Bruno Dumont divise, qu’il filme le duo de flics empotés de la série P’tit Quinquin ou la revanche des pauvres bouffant littéralement les riches dans Ma loute. Cette Jeanne rebelle et inflexible, qui refuse jusqu’au bout de se soumettre à la loi des hommes et de l’Église, n’échappera pas à la règle. Tant mieux.
La critique complète est disponible sur le site L’Humanité
par Guillaume Tion
Malgré une certaine torpeur, Jeanne réussit à nous faire percevoir le personnage le plus commenté et documenté de l’histoire française d’une manière inédite, et qui trouve des échos tout aussi inédits dans notre monde contemporain saturé de super-héroïsme.
La critique complète est disponible sur le site Libération
par Michel Oriot
Dans le rôle-titre, on découvre un extraordinaire petit bout de femme de dix ans à peine, qui sublime la geste de la Pucelle par sa pureté, sa foi et sa grâce.
par Eithne O’Neill
Si le dispositif orthodoxe de légendes à l’écran date les événements du 8 mai 1429 à sa mort le 30 mai 1431, « Jeanne » en est la transposition libre et incantatoire.
par Thomas Baurez
Les juges en habits de gala pérorent, complotent, s’interrogent. Il y en a un, dont on ne voit pas les traits cachés sous une capuche, mais dont la voix fluette et gracile trahit l’identité : c’est Christophe, le chanteur ici acteur, dont on entend à plusieurs reprises des chansons originales d’une puissance folle. Sublime !
La critique complète est disponible sur le site Première
par La rédaction
Porté par une bouleversante comédienne de dix ans et les mélodies de Christophe, le texte y résonne avec une poésie inédite.
par Samuel Douhaire
Après un premier volet déroutant sur la bergère de Domrémy, la suite étonne et détonne. Avec de grandes scènes burlesques et les chansons de Christophe.
La critique complète est disponible sur le site Télérama
par Serge Kaganski
« Jeanne » est un film d’une beauté qui a plus à voir avec Goya qu’avec l’omniprésente esthétique publicitaire de notre époque.
par Lola Sciamma
Une expérience toujours aussi barrée et radicale.
par Christophe Caron
Les mélodies de Christophe (sublimes) introduisent des instants de grâce avant que l’émotion ne se dissipe, perdue dans les méandres d’une transcendance qui renâcle parfois à livrer ses clés. Bruno Dumont produit un cinéma qui élève et qui malmène.
La critique complète est disponible sur le site La Voix du Nord
par Stéphanie Belpêche
Un objet singulier.
par La Rédaction
Sur le socle d’une pièce de Charles Péguy, le cinéma de Bruno Dumont fréquente une autre planète de récit. Il travaille directement sur l’os, ne cherche aucun relief à ses dialogues. La jeune Lise Leplat Prudhomme, qui incarne Jeanne, y accomplit en tout cas une étonnante performance.
La critique complète est disponible sur le site Le Parisien
par Murielle Joudet
Après Jeannette, Dumont continue son récit de la vie de Jeanne d’Arc, avec une suite plus austère, mais toujours intense.
par Thomas Grignon
Ce schématisme est d’autant plus regrettable que Dumont se montre toujours capable, au détour d’une scène, de faire du champ-contrechamp un espace d’expérimentation fondé sur un art des contrastes inattendus.
La critique complète est disponible sur le site Critikat.com
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La sublime “Jeanne” de Bruno Dumont
Le cinéaste fasciné par la figure de Jeanne d’Arc sublime le texte de Charles Péguy dans une mise en scène épurée. Son film, porté par la musique du chanteur Christophe, a reçu la mention spéciale du jury Un certain regard lors du dernier festival de Cannes.
Disons le franchement, la perspective d’aller voir le deuxième volet de l’adaptation du Jeanne d’Arc de Charles Péguy par Bruno Dumont nous laissait circonspect. La première partie consacrée à l’enfance de la bergère de Domrémy, présentée il y a deux ans à la Quinzaine des réalisateurs, et traitée à la manière d’un opéra-rock, confinait à la farce. Elle actait une nouvelle manière tragico-absurde adoptée par son auteur depuis Ma Loute, son précédent long-métrage et les aventures de P’tit Quinquin, série réalisée pour Arte.
Rien de tout ça dans le Jeanne, présenté samedi sur la Croisette dans la section Un certain regard. Le cinéaste nordiste, à l’univers si singulier, revient à une forme d’épure qui était la marque de ses débuts et laisse ici toute sa place au magnifique texte de Charles Péguy. Mais Bruno Dumont, éternel scrutateur de la part sombre de notre humanité, y apporte sa touche personnelle pour apporter au récit « quelque chose de plus universel et de plus contemporain », ainsi qu’il l’a expliqué avant la projection du film.
La caméra s’élève au diapason de l’âme de Jeanne
En grand formaliste fasciné par le sacré, Bruno Dumont sublime le texte de l’écrivain par une mise en scène quasi-élégiaque. Les dunes du littoral nordiste battues par le vent servent d’écrin théâtral aux comédiens du cru, tous non professionnels – à l’exception de Fabrice Luchini faisant une brève apparition dans le rôle de Charles VII.
Un splendide ballet de chevaux, filmé du ciel illustre métaphoriquement la bataille livrée aux Anglais. La caméra, au diapason de l’âme pure de la pucelle d’Orléans, s’élève sans cesse vers les nuages et les voûtes de la cathédrale d’Amiens (on ne peut s’empêcher de penser à celles de Notre-Dame), où se tient le procès de Jeanne. Résonne alors la voix pure et cristalline du chanteur Christophe et les mots de Péguy, procurant aux spectateurs un pur moment de grâce.
Et puis il y a Jeanne et sa toute jeune interprète Lise Leplat Prudhomme, 12 ans, déjà à l’affiche de Jeanette. Le choix était audacieux pour incarner la jeune femme de 19 ans promise au bûcher. Elle y incarne « la jeunesse, la beauté et l’innocence » selon les mots de Bruno Dumont, face aux contingences du pouvoir politique et spirituel qui la jugent. Elle y est étonnante d’assurance et de maturité. Et son regard sombre, filmé en gros plan, nous restera longtemps en mémoire.
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La “Jeanne” intemporelle de Bruno Dumont
Deux ans après, « Jeannette », l’enfance de Jeanne d’Arc, tirée de « Domrémy », la première partie de Jeanne d’Arc, la pièce de Péguy, Bruno Dumont adapte les deux autres parties, « Les Batailles » et « Rouen » et livre avec ce « Jeanne » un film enthousiasmant, passionnant et singulier.
Dès le début, on sait que le pari est gagné. En tous les cas, que cette nouvelle adaptation de la vie de Jeanne d’Arc au cinéma, malgré les ombres tutélaires de Dreyer ou Bresson qui dominent la filmographie, ne pourra être à côté de la plaque. On le sait, dès le premier regard de Lise Leplat-Prudhomme vers la caméra. Regard noir d’une intensité, d’une profondeur et d’une force inouïes, qui semble protéger un secret, celui d’une intériorité qui restera à jamais inviolée. Choisir une gamine de dix ans pour jouer le rôle de Jeanne à la fin de sa vie est un pari payant, car au fond, qu’est-ce qui peut le plus faire penser à la fronde de Jeanne face à ses juges que le regard qui ne baisse pas les yeux d’une pré-adolescente, encore dans l’innocence de l’enfance, mais déjà projetée vers la femme qu’elle sera en plénitude ?
Disons-le d’emblée, cette Jeanne doit infiniment à la présence inflexible de ce jeune corps féminin, faisant face aux assauts de vieillards cacochymes essayant de la faire craquer par leurs questions théologiques, ainsi qu’à ce regard qui, quand il ne transperce pas ses contradicteurs, regarde fixement, sans se lasser, vers le Ciel, dans un dialogue dont on ne saura rien, mais dont la caméra nous transmet la lumière, en écho au psaume 33 (« Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage »).
Une Jeanne intemporelle
Le film assume pleinement ce décalage d’âge avec celui de la Pucelle, comme il assume les décalages historiques. Non pas que le texte de Péguy, scrupuleusement respecté, ne soit pas totalement vrai, mais l’image et le son viennent nous proposer de sortir Jeanne de son XVe siècle pour nous permettre de la voir tel qu’elle est dans notre mémoire nationale, à savoir intemporelle. Trois exemples l’illustrent bien.
Tout d’abord, la scène du procès tournée non à Rouen, mais dans la cathédrale d’Amiens où l’on voit de manière anachronique les juges en grande tenue se prosterner devant le maître-autel baroque. N’y voyons pas une erreur du réalisateur, mais bien une manière de nous dire, filmant ces inclinaisons engoncées devant les ors somptueux, qu’il ne s’agit pas tant de dévotion à Dieu qu’au pouvoir auquel renvoie un art baroque contemporain de la monarchie absolue. De même pour le bunker de Normandie servant de cadre à la prison de Jeanne, il nous parle de l’intemporalité des prisons dans lesquelles les vies humaines sont empêchées de se déployer et convoque en filigrane les atrocités du XXe siècle. Quant à l’anachronisme, le plus étonnant, la musique de Christophe qui chante une chanson face à la caméra, elle vient renforcer le sentiment que Jeanne est notre contemporaine. À noter que la composition est splendide, très inspirée spirituellement, en résonance avec la prose polyphonique de Péguy et accompagne Jeanne comme un chœur de tragédie grecque.
Dans la lignée de Péguy
Que dit ce film sur Jeanne, dans la lignée du texte de Péguy ? Que Jeanne lutte contre une Église qui se constitue à cet instant comme un système de pouvoir, vendu au temporel (anglais en l’espèce), utilisant toutes les forces de l’université pour écraser une faible jeune fille. L’alternance de saisissants gros plans (qui font penser à Dreyer avec une force comique en plus) vers les acteurs (dont beaucoup sont des professeurs d’université, rompus aux joutes oratoires) et de plans d’ensemble en contre-plongée, réduisant les protagonistes du procès à des pions otages d’un système dévorant, cette alternance met en lueur les passions de l’âme (Dumont ne condamne pas les juges dont on perçoit les failles dans les regards) et la mécanique implacable d’un outil de pouvoir qui a perdu le sens de sa mission.
La modernité de cette Jeanne est dans cette idée péguyste qui a inspiré la réalisation de Dumont, que l’histoire est cyclique. Toujours et toujours, les structures de pouvoir finissent par vénérer le pouvoir jusqu’à l’idolâtrie. À cet égard, la prétention des juges de Jeanne à « l’aider » à se sauver jusqu’à nier, au nom de son salut, son droit au secret et la liberté de sa conscience, est une tentation de mainmise sur les esprits qui a longtemps habité l’Église et à laquelle aucune institution ne saurait échapper.
La religion prise au sérieux
La Jeanne de Péguy fut écrite par un écrivain socialiste n’ayant pas encore vraiment réalisé son rapprochement avec le christianisme. Dumont la prend au sérieux, comme il prend au sérieux tant la religion dans ses folies humaines que la foi dans sa transcendance lumineuse. Rien de tel qu’un réalisateur athée pour filmer la foi et ce n’est pas un hasard si le dernier plan du film fait écho à la manière dont Pasolini filma la mort de Jésus sur la croix dans son Évangile selon saint Matthieu. Cette distance est peut-être celle de l’incroyant face à la foi, mais plus encore celle du cinéaste ouvert à ce qui réside au plus profond de l’âme et qui sait que l’on ne s’approche du sacré qu’avec une infinie délicatesse.
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