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Désespérance, crise spirituelle

Désespérance, crise spirituelle, rupture des vœux : les tentations du « démon de midi »

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Le « démon de midi » n’est pas seulement ce que l’on croit… Les Pères du Désert nommaient ainsi une tentation qui menace tous les croyants, spécialement les personnes consacrées : l’acédie. Cette tristesse spirituelle, mère de la désespérance, était autrefois le huitième péché capital. C’est le mal de notre époque. Voici pourquoi.

Appelons-le Bernard. Le Père Bernard. Sept ans après les événements, il en frémit encore. « Le diable : Le diable au corps ! » Ce quinquagénaire athlétique, au physique d’acteur américain – Redford un peu enveloppé –, évoque le « démon de midi » avec un mélange d’incompréhension et d’effroi. Il faudra un douloureux combat, deux ans de « retirance », la sollicitude ferme et paternelle de son évêque, pour que le Père Bernard puisse retrouver la paix du cœur. Et son ministère.

Diable au corps ? Le « démon de midi » n’est pas seulement cette vague de chaleur, à l’aura sulfureuse, qui vient arracher, dans la torpeur du milieu de la vie (1), les hommes à leur promesse de fidélité. « Réduire le « démon de midi » à la luxure, c’est occulter sa nature profonde », proteste le Dr Fernand Sanchez, de la Communauté des Béatitudes, l’un des pionniers de l’accompagnement psycho-spirituel.

C’est Évagre le Pontique, au IVe siècle, qui surnomme ainsi l’« acédie » : ce « démon » de la morosité, de la déception, de l’insatisfaction, est le subtil ennemi du moine, l’« Alien » qui tente de le pénétrer et de le ronger de l’intérieur.

Seize siècles plus tard, dans son roman Le Démon de midi, l’écrivain Paul Bourget expliquera : « Pour nos anciens, le dœmonium meridianum était un véritable démon, la tentation du milieu du jour, particulière aux cloîtres. Ils avaient observé que la sixième heure, notre midi, est redoutable au religieux. La fatigue du corps, épuisé par la veille et le jeûne, gagne l’âme qu’un trouble envahit. L’æcedia monte, ce dégoût, cette tristesse des choses de Dieu qui donne au cénobite la nostalgie du siècle quitté, le désir d’une autre existence, une révolte intime et profonde ».

  

L’envie d’aller voir ailleurs

Ce blues de l’âme n’épargne aucun croyant, mais il frappe les consacrés avec prédilection. « Je ne désirais plus qu’une chose : quitter mon monastère, aller voir ailleurs, confie Sœur S., 45 ans, religieuse depuis dix-huit ans. J’avais l’impression d’avoir gâché le meilleur de ma jeunesse, d’avoir sacrifié un mari et des enfants. Tout me paraissait lourd, sans saveur. Le poison du doute était entré en moi. Je ne cessais de me répéter : À quoi bon, dans le fond, à quoi bon ? »

C’est la « bof » tentation. Jean Sulivan l’a surnommée « aquabonite » : non pas une liqueur monastique à consommer avec tempérance, mais une crise spirituelle qui bouleverse sans modération. Qohélet le gémissant pourrait en être le patron : « Vanité des vanités, tout est vanité, soupire-t-il dans le livre de l’Ecclésiaste. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, alors je réfléchis à toutes les œuvres de mes mains et à toute la peine que j’avais prise, eh bien, tout est vanité et poursuite de vent »

 

 Le huitième péché capital

Grosse fatigue ? Lent étouffement. Le « démon de midi » est une chute de tension des forces de l’âme. Une tristesse intérieure s’insinue, qui engendre vide et ennui, abattement et dégoût. Non, rien de rien, l’acédiaque n’attend plus rien de rien.

 « C’est comme une mort qui enserre de tous côtés », précise Alphonse Goettmann, prêtre de l’Église orthodoxe qui anime le Centre Béthanie, avec son épouse Rachel, ils sont les auteurs de Ces passions qui nous tuent (Presses de la Renaissance). « La vie physique et spirituelle est remise en cause. Plus on a axé sa vie en Dieu, plus on prend les moyens de la maintenir dans cet axe, plus on est tenté par l’acédie. »

L’âme en a marre. « L’acédie mêle d’une manière particulière sentiment de frustration et agressivité », souligne le cardinal Christoph Schönborn, dominicain, archevêque de Vienne. Dans son livre Aimer l’Église (Cerf), il met en garde les catholiques déçus par une Église qui ne remplit pas ses promesses humaines contre ce démon et son fiel amer.

« L’acédie a horreur de ce qui est là et joue en rêve avec ce qui manque, écrit-il. Elle est une sorte d’impasse de la vie de l’âme. Cette attitude proche du désespoir nous menace tout particulièrement, nous les ecclésiastiques ; elle met en danger notre vie spirituelle et nous prive de l’élan de l’espérance. » remarque à son tour le prêtre philosophe Pascal Ide, de la Communauté de l’Emmanuel. Flaubert et Bernanos en parlent longuement. C’est la maladie du diabolique « Monsieur Ouine ». Un village sombre : « Cela commence par l’ennui ». Et Monsieur Ouine dit au prêtre : « L’ennui de l’homme vient à bout de tout, Monsieur l’abbé, il amollira la terre ». Tel est aussi l’aveu du Journal d’un curé de campagne, dès la première page : « Ma paroisse est dévorée par l’ennui. Voilà le mot. »

  

La botte secrète de Satan

Attention, danger ! Cet ennui profond est la « tristesse de ce monde » (2 Co 7, 10), dont saint Paul affirme qu’elle conduit à la mort : elle mène au doute de la miséricorde.

C’est pourquoi l’acédie était autrefois considérée comme le huitième péché capital. Pour Thomas d’Aquin, elle est la racine de la désespérance.

Désespérance ? Dans une tour de La Défense, aux portes de Paris, un homme trapu, à la carrure de Lino Ventura, voix râpeuse de fumeur de brunes, pointe du doigt une silhouette invisible sur l’immense paroi de verre du building voisin : « Judas ! Son péché n’est pas d’avoir trahi ce qui est d’une banalité redoutable : qui n’a pas vendu Jésus dans son histoire ? –, mais de ne pas avoir espéré qu’il était pardonnable. Voilà le fond de l’acédie : Je n’ai pas le droit à la miséricorde. C’est le péché contre l’esprit, le père de tous les péchés : celui qui donne la mort ».

Philippe Vaur, psychothérapeute depuis vingt-cinq ans, observe les ravages de la crise du milieu de vie chez les cadres d’entreprise, et propose une démarche de prévention au sein du cabinet « Discerner ». Quel est le rapport entre l’acédie et la dépression du cadre supérieur ? « Il y a souvent à l’origine de la crise un nœud de l’adolescence qui n’a pas été dénoué et qui se rejoue à la maturité de façon amplifiée. S’ajoutent souvent un manque profond d’estime de soi, et ce sentiment récurrent : « Je n’ai pas droit à la miséricorde ». »

Ce « psy » philosophe va plus loin : « L’acédie touche l’humain même s’il n’adhère à aucune croyance. Combien de personnes se balancent par la fenêtre en songeant : « C’est foutu, personne ne peut me comprendre », ou « Je ne suis pas digne d’être aimé » ? De même, l’une des grandes causes des divorces aujourd’hui, c’est moins les fautes accumulées par les conjoints, que de ne pas croire qu’ils puissent se pardonner et être pardonnés. L’acédie, c’est la botte secrète de Satan pour les personnes qui ont un sens à leur vie, et qui ont résisté à l’attrait des autres concupiscences – le désir du pouvoir, notamment ! »

  

Trop beau pour être vrai !

Gustave Thibon l’appelait « désespérance de l’esprit ». Le Tentateur distille ce poison grâce à une arme raffinée : la pseudo-humilité. L’homme « ne veut pas croire que Dieu s’occupe de lui, le connaisse, l’aime, le regarde, soit à côté de lui », note le cardinal Ratzinger dans sa pénétrante analyse de notre société (Regarder le Christ, Fayard, 1992). Une vocation si belle, un bonheur si grand ? C’est trop beau pour être vrai !

Autre source de l’acédie : la volonté de se débarrasser de Dieu. « La fuite de Dieu, première conséquence du péché des origines, est devenue une volonté d’auto-création de l’homme par lui-même », insiste le Père Pascal Ide.

Xavier Emmanuelli, ancien secrétaire d’État à l’Action humanitaire, dénonce ce pacte prométhéen : « Tout se passe comme si, il y a environ deux siècles, nous avions rompu le contrat implicite avec Dieu, et nous avions accepté le pacte du Diable. Satan nous a proposé la puissance, la connaissance du bien et du mal, et le bonheur éternel, à condition que nous renoncions à Dieu. Nous avons renoncé à Dieu, et le Diable nous a exaucés. Mais nous arrivons au terme du pacte, et nous sommes en train de comprendre que c’était un contrat de dupes. Nous possédons tout, mais nous n’avons pas Dieu. Nous avons la puissance, mais nous avons perdu le sens. Notre société qui suinte d’angoisse va disparaître » (3).

Réussir l’épreuve de la durée

Comment se manifeste ce « démon » ? « Sous forme de paresse spirituelle, mais aussi et en même temps au travers d’un activisme trépidant, répond le cardinal Schönborn. La pression€ incite les moines à fuir leur cellule. Mais le démon de midi est aussi présent dans nos vies sous des formes facilement reconnaissables : dans la peur de se retrouver seul face à soi-même, la peur de soi, la peur du silence. Verbositas et curiositas, le goût du verbiage et la curiosité, sont des « filles » de l’acédie.

En voici d’autres : l’agitation intérieure, la quête perpétuelle de la nouveauté comme succédané de l’amour de Dieu et de la joie de servir ; l’inconstance, le manque de fermeté dans ses résolutions, à quoi s’ajoutent l’indifférence face aux choses de la foi et à la présence du Seigneur, la pusillanimité, la rancœur, si présentes parmi nous aujourd’hui dans l’Église, et jusqu’à la méchanceté délibérée. »

L’acédie rend la vie intérieure aride et sans saveur. Surtout la prière. La messe rebute, l’oraison dégoûte. Ce qui faisait la joie du consacré devient son supplice. On bâille, on soupire, on se tortille dans sa stalle ; les offices n’en finissent plus. « La première étape de la vie religieuse se vit ordinairement tout en élan, confirme le Père Amédée, 88 ans, cistercien à l’abbaye de Bricquebec (Manche) depuis 1945 (4) : noviciat, études, profession monastique, peut-être ordination sacerdotale… Bref, c’est une sorte de course avec des obstacles successifs à franchir. Mais après ? Cette première étape étant accomplie, quelle promotion peut-on espérer dans un monastère ? Aucune, sinon celle de réussir l’épreuve de la durée et de la patience dans la monotonie d’un quotidien qu’il faut emplir d’amour. Comment s’étonner alors que des moines puissent ressentir la tentation de l’“à quoi bon” et se dire : “J’ai gâché ma vie dans une quête inutile” ?»

L’acédie n’est pas un virus poussiéreux réservé aux antiques congrégations. Les communautés nouvelles, qui fêtent leur vingtième ou vingt-cinquième anniversaire en entrant dans ce IIIe millénaire, sont des proies mûres pour ce démon. L’enthousiasme des origines s’est apaisé, parfois enfui. Ces jeunes congrégations entament leur course de fond et doivent passer au creuset aride de la persévérance.

« Plus la conversion est forte, plus la personne s’est investie dans cette vie avec intensité et générosité, plus il peut être difficile de retomber dans la monotonie du sacrifice et la fidélité au quotidien », dit le Dr Fernand Sanchez. « Vingt ans de vie religieuse, ça use, ça use », murmure le démon de midi au cœur du consacré.

L’habit ne fait pas le moine, mais l’habitude peut le défaire.

  

Désillusion et découragement

Le Père Plé évoque, avec finesse, les désillusions de ceux et celles qui ont « misé leur vie sur la foi » : « Autour de la quarantaine, il leur faut souvent constater que l’amour de Dieu ne leur remplit pas le cœur, au moins de la manière qu’ils avaient pu naïvement espérer aux premiers jours de leurs engagements. Ils connaissent les épreuves d’un jeûne affectif qu’ils n’avaient pas prévu ; leurs généreux efforts pour vivre – selon l’Évangile – se heurtent à des défauts de caractère qu’ils n’espèrent plus corriger ; l’aide de la grâce de Dieu leur paraît inefficace ; Dieu, qu’il leur faut pourtant continuer à « représenter » parmi les hommes, leur semble lointain, déroutant, inaccessible.

Leur zèle apostolique est mis en question par les difficultés et les échecs qui les découragent. Ils souffrent des insuffisances de leur formation, qui ne les a pas préparés à faire face aux problèmes de leur vie. Ils s’impatientent ou désespèrent devant la lourdeur de l’Église comme institution et devant les défauts des hommes qui la gouvernent. Pour tous ces « consacrés à Dieu » comme pour les autres membres de l’Église, trop d’appuis bougent, sur quoi ils avaient bâti leur foi et leur vie ; leur crise quadragénaire se trouve aggravée par la crise de l’Église » (5).

La bourrasque fut particulièrement violente dans les années 1960-1970. Cette crise de l’Église ressemble à la tempête de l’hiver 1999 : venues de loin, souffles puissants, la crise des mœurs, la crise des institutions, la crise de la foi se conjuguèrent comme des courants furieux, pour ne former qu’un seul galop de vent. La dépression se précipita sur sa proie avec une rage brutale. Elle traversa congrégations et presbytères. De nombreux prêtres, religieux et religieuses, furent ébranlés. La plupart avaient entre 40 et 50 ans. Fragilisés par leur propre crise du milieu de vie, ils ne discernèrent pas le démon de l’acédie qui s’y cachait.

Celui-ci susurra des doutes sur l’authenticité de l’appel, empoisonna ce qui restait de certitudes. La crise-tempête fit voler en éclat les vœux les plus résolus, bouscula les vocations les plus solides en apparence. Des milliers de consacrés quittèrent l’Église. Beaucoup se marièrent. L’embrasement d’une sexualité réveillée à la quarantaine, exaltée par l’ivresse libertaire, acheva souvent un vœu de chasteté battu en brèche par l’ouragan d’affranchissement.

Une voix au fond de soi : « Tu t’es trompé… »

 

« La crise est favorisée par une baisse de la garde spirituelle, soutient le Dr Fernand Sanchez : moins de zèle dans la prière, un don de soi dilué au fil des années Le doute apparaît sur les choix fondamentaux. On entend une voix au fond de soi : Tu t’es trompé, mais il n’est pas trop tard pour rattraper le temps perdu et vivre comme tout le monde pour que ta vie ne soit pas gâchée. On est alors au cœur d’un grand combat spirituel. »

Le « démon de midi » est un « esprit de destruction », d’autodestruction.

Il frappe l’homme à la racine même de sa mission, ébranle sa vocation, mine son appel : « Une force ennemie l’attire hors de sa ligne, dans la voie où il doit périr, écrit Paul Bourget. Cet étrange vertige va du spirituel au temporel ».

Crise du milieu de vocation ? Philippe Vaur pompe une bouffée de cigarette et lâche, mystérieux, dans un nuage de Gitane : « L’acédie, c’est le cul-de-sac d’une vocation, qu’on soit clerc, professionnel, époux, père. Faute d’en discerner l’origine avec un tiers pour s’en sortir  un père “spi”, un “psy”… , la personne risque de se rendre dépendante d’un nouvel activisme ».

« Cette crise peut remettre en question non seulement la vocation mais Dieu lui-même, ajoute, dans son cabinet parisien, le Dr Allen D. Caso, 65 ans, psychanalyste psychothérapeute américain. Cela dépend parfois des facteurs de maturité psychique et spirituelle du sujet, de ses blessures antérieures, de la structure de sa personnalité. »

Cet homme cultivé, au français policé, – il vit à Paris – et à l’accent charmant, fut baptisé à l’âge de 18 ans après une conversion subite lors d’un voyage à Rome. Il revendique dans sa profession « une écoute de croyant », refuse d’exclure la dimension spirituelle de l’accompagnement psychologique, et tente d’exercer un délicat discernement entre ces différents ordres et leur interpénétration.

 « Le risque est de trop “psychologiser” cette crise spirituelle, assure-t-il. Combien de psys sont passés complètement à côté, et ont cru bien faire en prescrivant des antidépresseurs et des neuroleptiques sans se soucier de ce que cachaient ces manifestations névrotiques et même psychotiques ? Croyant à une simple décompensation, combien de ces psychologues ont conseillé à des prêtres et des religieuses : « Arrêtez de prier », « Surtout n’allez plus à la messe », « L’oraison est en train de vous détruire », « Quittez votre congrégation, et réalisez votre désir profond » ? Alors qu’il fallait leur dire le contraire ! Combien de prêtres ont de ce fait quitté le sacerdoce, qui était cependant leur vocation ? A mon avis, 90 % le regrettent secrètement aujourd’hui. Car il ont fui une insatisfaction au lieu de l’affronter. Elle est demeurée au plus profond d’eux-mêmes »

Le Dr Caso reprend, après un soupir : « Heureusement, la majorité des prêtres et des consacrés ne remettent pas aujourd’hui leur vocation en cause, même s’ils ressentent une insatisfaction de façon parfois très douloureuse. Celle-ci est un appel à aller plus loin. La fuite risque de court-circuiter un processus de maturation ».

Grâce à une longue expérience de l’accompagnement, le Dr Fernand Sanchez diagnostique : « Selon les blessures prédominantes de la personne, la crise touchera plus ou moins l’un des trois préceptes évangéliques : la pauvreté, la chasteté ou l’obéissance. Elle peut déclencher des recherches de compensation, de possession, de convoitise ; la vérification de la capacité de séduction ; l’autoritarisme et la domination »

 

 Le démon à toute heure

Le démon ne jaillit pas de sa boîte comme un coucou quand sonne le premier coup de midi. L’acédie frappe à toute heure. Il y a le démon de la fin de matinée : « Nous observons souvent une première crise trois ou quatre ans après l’ordination sacerdotale », témoigne un directeur de séminaire. Et le démon du crépuscule : « C’est la tentation des prêtres de 60-70 ans, assure le Père Amédée. Ils se sont dévoués aux autres toute leur vie. À l’âge où les laïcs prennent leur retraite, eux sont écrasés de travail, peu entourés, rarement gratifiés. Certains finissent par se dire : « À quoi bon ? » Quand on leur répond : « Mais si, continuez, regardez tout le bien que vous faites ! », ils vous répondent : « Bof, je ne vois pas grand-chose », ou bien : « Qu’est-ce, comparé à tout ce qu’il reste à faire ? Une goutte d’eau dans l’océan À quoi bon ? » »

Assez dit ? Sans jouer sur les mots, l’acédie, on n’en parle pas assez. « Or, c’est un passage fréquent de la vie spirituelle, quoique très méconnu, remarque le Dr Caso. Nous avons perdu la mémoire de deux mille ans de mysticisme et bien plus, si on intègre la mystique juive. Les novices et les séminaristes doivent être préparés par la lecture des Pères du Désert et d’autres grands mystiques chrétiens, et choisir un homme d’expérience et de prière comme père spirituel. »

« La règle d’or de la sagesse monastique, depuis plus de quinze siècles, prescrit l’ouverture du cœur à un maître pertinent, inspiré par Dieu », prévient le Père Amédée. « Les Pères du désert avaient leur“abba”, et les Sœurs leur “ama”. L’arme indispensable dans ce combat, c’est un accompagnateur, confirme le Dr Fernand Sanchez (6)Il va aider à comprendre qu’il y a, derrière cette frénésie vitale, cette tentation d’aller voir ailleurs, un désir de plénitude, sain, qui correspond à une vocation profonde. Mais ce désir est mal orienté et passe à côté du but. C’est une ruse du démon que de faire voir la rive d’en face comme meilleure et plus heureuse. »

Certains accompagnateurs préconisent des traitements de choc, comme les Trente Jours de saint Ignace, ou l’Anamnèse animée par le Chemin Neuf. « Quand la personne est trop bouleversée et risque des expériences aux conséquences irréversibles, une phase de rupture avec la vie communautaire, en milieu sécurisé et étroitement accompagné, peut être souhaitable », estime le Dr Fernand Sanchez.

Le Père Amédée, inspiré par ces vents d’ouest qui viennent ébranler sa Trappe de granit du Cotentin, conseille fermement : « Dans la tempête, pas de coup de barre intempestif ! Surtout, pas de décision radicale, elle risquerait d’être fatale. Accroche-toi en attendant que ça se passe ; et surtout, prie, prie comme tu veux, mais prie ! Qui prie, vit ! », assure ce sage facétieux qui s’accroche obstinément au rosaire dans ses heures de désert…

 « Dans certains cas, il faut simplement laisser agir le Seigneur, et persévérer, recommande le Dr Caso. Dieu nous décape pour prendre la place de notre moi. Faire face au sentiment de vide, d’absence et d’absurde peut permettre de déboucher sur une rencontre du Dieu vivant. »

  

Le remède ? Rester sous le joug

Persévérer ? Contre ce démon de la désespérance, les vieux maîtres suggèrent le remède de l’hypomonè : littéralement, rester sous le joug. C’est goûteux comme l’huile de foie de morue, mais on n’a rien inventé de plus efficace.

L’ermite saint Antoine se fâcha un jour contre le Seigneur alors qu’il n’en finissait pas de batailler contre le Tentateur dans la tourmente d’une nuit obscure : « Eh bien, Seigneur, où étais-tu durant ces interminables tentations ? » Silence du Ciel. Antoine reprend : « Pourquoi ne t’es-tu pas manifesté plus tôt pour faire cesser mes tourments ? » Réponse de Dieu : « J’étais là, Antoine. Mais j’attendais, pour te voir combattre » (7).

« En ces heures cruciales, il nous faut patienter, accepter, consentir jusqu’à l’abandon sans condition, et persévérer », assure le Père Amédée. Et du parvis de sa Trappe de toujours, le vieux cistercien lance, joyeux : « Heureux qui passe par ce feu, car après il “fait” Dieu ! »

  

« La tristesse de ce monde »

 Le cardinal Ratzinger, dans Regarder le Christ (Fayard), réfléchit sur cette expression de saint Paul.

« Maintenant que l’on a pleinement savouré les promesses de la liberté illimitée, nous commençons à comprendre à nouveau l’expression “Tristesse de ce monde”. Les plaisirs interdits perdirent leur attrait dès l’instant où ils ne furent plus interdits. Même poussés à l’extrême et indéfiniment renouvelés, ils semblent fades, parce qu’ils sont tous finis et qu’il y a en nous une faim d’infini.

Aussi voyons-nous aujourd’hui précisément dans les visages des jeunes gens une étrange amertume. [Surtout,] la racine la plus profonde de cette tristesse, c’est l’absence d’une grande espérance et l’inaccessibilité du grand Amour : tout ce qu’on peut espérer est connu, et tous les amours sont l’objet d’une déception due à la finitude d’un monde où les formidables succédanés ne sont que le piètre masque d’un désespoir abyssal. »

(1) Nous renvoyons nos lecteurs au dossier sur la crise du milieu de vie (CMV) paru dans les n° 1177 et 1178, dont cet article est une sorte de prolongement. Une crise peut en cacher une autre : si on ne peut réduire l’acédie à la CMV, la crise spirituelle s’intègre parfois dans cette vaste crise existentielle déclenchée par le sentiment plus ou moins conscient de notre finitude.

(2) Ces passions qui nous tuent – Diagnostic et remèdes, par Alphonse et Rachel Goettmann, Presses de la Renaissance, 247 p., 99 F. Un excellent ouvrage de vulgarisation sur les huit péchés capitaux (dont l’acédie).

(3) Cf. FC n° 1052. Cité par le Père Pascal Ide dans un article publié dans Sources Vives n° 80 sur « Pourquoi désespérer ? ».

(4) Le Père Amédée est le co-auteur, avec le Dr Dominique Megglé, de l’ouvrage Le Moine et le psychiatre. Un ouvrage roboratif, avec un chapitre sur l’« aquabonite ».

(5) « Les déserts de la foi », dans L’Homme de 40 ans, Janus 14. Cité par Lucien Millet dans La Crise du milieu de la vie, Masson, 1993.

(6) Lire le dossier sur l’accompagnement spirituel dans FC n° 1196.

(7) Vie d’Antoine, par Athanase d’Alexandrie, Cerf. Cité par Mgr Schönborn dans Aimer l’Église (Cerf).

https://www.famillechretienne.fr/foi-chretienne/vivre-en-chretien/desesperance-crise-spirituelle-rupture-des-voeux-les-tentations-du-demon-de-midi-36163

CATHOLIQUES, EGLISE CATHOLIQUE, FRANCE, GUERRES DE RELIGION (France ; 1562-1598), HENRI IV (roi de France ; 1553-1610), HISTOIRE DE FRANCE, HISTOIRE DE L'EGLISE, LE MASSACRE DE LA SAINT-BARTHELEMY VU PAR MARGUERITE DE VALOIS, MARGUERITE DE VALOIS (1553-1615), MASSACRE DE LA SAINT BARTHELEMY (24 août 1572), PROTESTANTISME, SAINT BARTHELEMY (24 août 1572)

Le massacre de la Saint-Barthélémy vu par Marguerite de Valois

Le Massacre de la Saint-Barthélémy selon Marguerite de Valois

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Le récit de Marguerite de Valois, témoin oculaire du massacre de la Saint-Barthélemy, est l’un des plus célèbres témoignages de cet événement, et le seul écrit, laissé par un membre de la famille royale française de l’époque. Son récit apparaît dans ses mémoires sous la forme de la Lettre V, décrivant la nuit précédant le massacre et les événements dont elle fut témoin pendant celui-ci.

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Marguerite de Valois (alias la reine Margot, 1553-1615) était la fille de Catherine de Médicis (1519-1589) et du roi Henri II de France (r. de 1547 à 1559). Elle était fiancée à Henri de Navarre (futur Henri IV de France, 1553-1610) dans un mariage arrangé destiné à encourager la réconciliation entre les catholiques et les protestants (huguenots) en France, engagés dans un conflit armé depuis 1562. Le mariage, arrangé par la catholique Catherine de Médicis et la mère d’Henri, la reine protestante de Navarre, Jeanne d’Albret (1528-1572), était envisagé comme une grande affaire célébrant la tolérance religieuse par l’union de la mariée catholique et du marié protestant.

 ON ESTIME QU’ENVIRON 5 000 PROTESTANTS FURENT ASSASSINÉS À PARIS DANS LES JOURS QUI SUIVIRENT LES PREMIÈRES TUERIES, ET QUE LEUR NOMBRE POURRAIT ATTEINDRE 25 000 À 30 000 AU TOTAL.

Le mariage fixé au 18 août 1572, attira de grandes foules de protestants dans la ville de Paris, majoritairement catholique, y compris les principaux dirigeants protestants. Parmi ceux-ci figuraient Henri de Navarre, l’époux, Henri Ier de Bourbon, prince de Condé (1552-1588), et Gaspard II de Coligny, amiral de France (1519-1572). Quelques jours après le mariage, le 22 août, un attentat fut perpétré contre Coligny, qui fut blessé, et les dirigeants protestants exigèrent une réponse appropriée du roi catholique Charles IX (r. de 1560 à 1574), du conseil municipal et de Catherine de Médicis. Ils reçurent l’assurance que l’assassin serait attrapé et puni alors que, dans le même temps, le roi, la reine mère et le conseil se mettaient d’accord sur un plan visant à assassiner tous les dirigeants protestants, car ils craignaient un soulèvement majeur pour venger Coligny.

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Le complot fut officialisé dans la nuit du 23 août 1572 (date parfois donnée comme le début du massacre) et mis à exécution le lendemain, en commençant par le meurtre de Coligny et des autres chefs, puis en s’étendant à tous les protestants. On estime qu’environ 5 000 protestants furent assassinés à Paris dans les jours qui suivirent les premières tueries, et que ce chiffre pourrait atteindre 25 000 à 30 000 au total car la nouvelle du massacre parisien s’était répandue et que d’autres villes avaient suivi le pas. Il existe un certain nombre de récits de témoins oculaires de l’événement dans différents quartiers de Paris, mais seul celui de Marguerite, un membre de la famille royale, détaille ce qui se passa dans le palais pendant le massacre. La réconciliation espérée ne se concrétiserait jamais, et les guerres de religion françaises se poursuivraient jusqu’en 1598.

Contexte

Les tensions entre protestants et catholiques s’étaient accrues depuis 1534, lorsque François Ier (r. de 1515 à 1547) revint sur sa politique de tolérance à l’égard des protestants à la suite de l’événement connu sous le nom d’affaire des Placards, lorsque des messages anticatholiques furent affichés dans tout Paris et dans d’autres villes. Le fils de François Ier, Henri II, poursuivit les persécutions de son père contre les protestants jusqu’à ce qu’il ne soit mortellement blessé lors d’un tournoi de joute et meure en 1559. Son fils François II (r. de 1559 à 1560), âgé de 15 ans, lui succéda. Bien qu’assez âgé pour gouverner seul, il était contrôlé par sa mère, Catherine de Médicis.

Catherine invita deux puissants nobles catholiques de la famille de Guise, François, duc de Guise (1519-1563), et son frère Charles, cardinal de Lorraine (1524-1574), à conseiller le roi, et ils l’isolèrent rapidement de ses anciens conseillers, qui comprenaient Louis de Bourbon, prince de Condé (1530-1569, père d’Henri Ier de Bourbon) et l’amiral Coligny. En réponse, ces hommes s’associèrent à ce qui fut connu sous le nom de Conjuration d’Amboise, un complot visant à enlever François II pour neutraliser l’influence des frères de Guise, en 1560. Le complot fut découvert, la plupart des conspirateurs furent emprisonnés ou exécutés (Condé fut emprisonné, Coligny fut épargné), et les Guise utilisèrent l’événement dans leur propagande anti-protestante.

François II mourut en 1560 et son frère Charles IX lui succéda. En 1562, François, duc de Guise, déclencha les guerres de religion françaises (1562-1598) en massacrant les membres d’une congrégation protestante lors du massacre de Vassy, et Louis de Bourbon (qui avait été libéré de prison) répondit en prenant la ville d’Orléans pour les protestants. Les trois premières guerres de religion françaises tuèrent Condé et François, duc de Guise, ainsi que des milliers d’autres personnes, et en 1572, le ressentiment couvait dans les deux camps.

Mariage et massacre

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Catherine de Médicis proposa le mariage arrangé à Jeanne d’Albret dans le but d’apaiser ces tensions en unissant une catholique et un protestant dans le mariage. Jeanne d’Albret mourut de causes naturelles en juin 1572, et la rumeur se répandit parmi les protestants qu’elle avait été empoisonnée par Catherine, ce qui ne fit qu’accroître les tensions. L’extravagance du mariage royal ne fit qu’aggraver la situation, car les récoltes avaient été mauvaises cette année-là et les impôts élevés, de sorte que les gens du peuple étaient déjà pleins de ressentiment, sans compter les désaccords religieux et les conspirations d’intrigues politiques et de meurtres.

 LES ROTURIERS, SUIVANT L’EXEMPLE DES SOLDATS ROYAUX, COMMENCÈRENT À MASSACRER TOUS LES PROTESTANTS OU SYMPATHISANTS PROTESTANTS DE LA VILLE.

Dans une atmosphère déjà si tendue, l’amiral Coligny fut blessé lors d’une tentative d’assassinat le 22 août. Craignant des représailles, le conseil municipal, Catherine et Charles IX se mirent d’accord sur le plan d’exécution de tous les autres chefs protestants la nuit du 23. Ce plan fut mis à exécution le lendemain matin avec l’assassinat de Coligny, puis des autres protestants notables. Les roturiers, suivant l’exemple des soldats royaux, commencèrent alors à massacrer tous les protestants ou sympathisants protestants de la ville. De nombreux catholiques, horrifiés par ce massacre, cachèrent des protestants dans leurs caves ou leurs greniers.

Un certain nombre de protestants – dont Henri de Navarre et Henri Ier de Bourbon – promirent de se convertir au catholicisme pour se sauver (puis ne tinrent pas leur promesse une fois en sécurité hors de la ville). D’autres encore réussirent à se déguiser en catholiques (en portant un livre de prières catholique ou par d’autres moyens similaires) ou se cachèrent du mieux qu’ils purent. Il était impossible de s’échapper de la ville, car Charles IX avait ordonné que les portes soient fermées et verrouillées la nuit précédente et que des chaînes soient tendues dans les rues pour empêcher tout mouvement à grande échelle.

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Le texte

Le récit suivant commence par la nuit du 23 et se poursuit le 24 et après. Les noms figurant dans la dernière phrase du premier paragraphe sont tous des chefs protestants tués lors du massacre. Le M. de Guise mentionné par Marguerite est Henri Ier, duc de Guise (1550-1588), fils de François, duc de Guise. La sœur de Marguerite, qu’elle appelle Lorraine, est Claude de France, duchesse de Lorraine (1547-1575), qui était revenue à Paris pour le mariage.

Le texte est tiré des Mémoires de Marguerite de Valois, pp. 39-43, Lettre V

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Le roy Charles, qui estoit tres-prudent, et qui avoit esté toujours très-obéissant à la Royne ma mere, et prince tres-catholique, voyant aussi de quoy il y alloit, prist soudain resolution de se joindre à la Royne sa mere, et se conformer à sa volonté, et guarentir sa personne des huguenots par les catholiques; non sans toutefois extreme regret de ne pouvoir sauver Teligny, La Noue, et monsieur de La Rochefoucault.

Et lors allant trouver la Royne sa mere, envoya querir monsieur de Guise et tous les autres princes et cappitaines catholiques, où fust pris resolution de faire, la nuict mesme, le massacre de la saint Barthelemy.

Et mettant soudain la main à l’œuvre, toutes les chaisnes tendues, le tocsin sonnant, chacun courut sus en son quartier, selon l’ordre donné, tant à l’admirai qu’à tous les huguenots. Monsieur de Guise donna au logis de l’admiral, à la chambre duquel Besme, gentilhomme allemand, estant monté, apres l’avoir dague le jetta par les fenestres à son maistre monsieur de Guise. Il est permis de douter qu’une pareille résolution ait été prise et exécutée d’une manière aussi instantanée.

Pour moy, l’on ne me disoit rien de tout cecy. Je voyois tout le monde en action; les huguenots desesperez de cette blesseure messieurs de Guise craingnans qu’on n’en voulust faire justice, se.suschetans tous à l’oreille.

Les huguenots me tenoient suspecte parce que j’estois catholique, et les catholiques parce que j’avois espousé le roy de Navarre, qui estoit huguenot.

De sorte que personne ne m’en disoit rien, jusques au soir qu’estant au coucher de la Royne ma mêre-, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyois fort triste, la Royne ma mere parlant à quelques-uns m’apperceut, et me dit que je m’en allasse coucher. Comme je lui faisois la révérence, ma sœur me prend par.le bras, et m’arreste en se prenant fort à pleurer, et me dict « Mon Dieu, ma sœur, n’y allez pas. » Ce qui m’effraya extremement. La Royne ma mere s’en apperceut, et appella ma sœur, et s’en courrouça fort à elle, luy detïendant de me rien dire. Ma sœur luy dit qu’il n’y avoit point d’apparence de m’envoyer :sacrifier comme, cela, et que sans doubte s’ils descouvroient quelque chose, ils se vengeroient sur moy. La Royne ma mere respond, que s’il plaisoit à Dieu, jen’aurois point de mal, mais quoy que ce fust, il falloit que j’allasse, de peur de leur faire soupçonner quelque chose qui empeschast l’effect.

Je voyois bien qu’ils se contestoient et n’entendois pas leurs paroles.

Elle me commanda encore rudement que je m’en allasse coucher. Ma soeur fondant en larmes me dit bon soir, sans m’oser dire aultre chose, et moyje m’en vois toute transie, esperdue, sans me pouvoir imaginer ce que j’avois à craindre.

Soudain que je fus en mon cabinet, je me mets à prier Dieu qu’il luy plust me prendre en sa protection, et.qu’il me gardast,.sans savoir de. quoy ni de qui. Sur cela le Roy mon mary qui s’estoit mis au lict, me mande que je m’en allasse coucher; ce que je feis, et trouvay son lict entourré de trente ou quarante huguenots que je ne cognoissois point encore, car il y. avoit fort peu de jours que j’estois mariée. Toute la nuict ils ne firent que parler de l’accident qui estoit advenu à monsieur l’admirai, se resolvants, des qu’il seroit jour, de demander justice au Roy de monsieur de Guise, et que si on ne la leur faisoit, qu’ils se la feroient eux-mesmes.

Moy j’avois tousjours dans le cœur les larmes de ma soeur, et ne pouvois dormir pour l’apprehension en quoy elle m’avoit mise sans sçavoir de quoy. La nuict se passa de cette façon sans fermer l’œil. Au poinct du jour, le Roy mon marydict qu’il vouloit aller jouer à la paulme attendant que le roy Charles seroit esveillé, se resolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentilshommes aussy.

Moy volant qu’il estoit jour, estimant que le danger que ma sœur m’avoit dict fust passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu’elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon aise. Une heure apres, comme j’estois plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la porte, criant « Navarre! Navarre! Ma nourrice pensant que ce fust le Roy mon mary, court vistement à la porte et lui ouvre. Ce fust un gentilhomme nommé monsieur de Lëran qui avoit un coup d’espée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encores poursuivy de quatre archers, qui entrèrent tous apres luy en ma chambre. Luy se voulant guarantir se jetta sur mon lict. Moy sentant cet homme qui me tenoit, je me jette à la ruelle, et luy apres moy, me tenant tousjours au travers du corps. Je ne cognoissois point cet homme, et ne sçavois s’il venoit là pour m’oSënser, ou si les archers en vouloient à luy ou à moy. Nous croyons tous deux, et estions aussi effrayez l’un que l’aultre. Enfin Dieu voulust que monsieur de Nancay cappitaine des gardes y vinst, qui me trouvant en cet estat-là, encores qu’il y eust de la compassion, ne se peust tenir de rire; et se courrouçant fort aux archers de cette indiscrétion il les Est sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je feis coucher et penser dans mon cabinet jusques à tant qu’il fust du tout guary. Et changeant de chemise, parce qu’il m’avoit toute couverte de sang, monsieur de Nancay me conta ‘ce qui se passoit, et m’asseura que le Roy mon mary estoit dans la chambre du Roy, et qu’il n’auroit point de mal. Me faisant jetter un manteau de nuict sur moy, il m’emmena dans la chambre de ma soeur madame de Lorraine’, où j’arrivay plus morte que vive, où entrant dans l’antichambre, de laquelle les portes estoient toutes ouvertes, un gentihomme nommé Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivoient, fust percé d’un coup de hallebarde à trois pas de moy. Je tombay de l’aultre costé presque esvanouie entre les bras de monsieur de Nançay, et pensois que ce coup nous eust percez tous deux. Et estant quelque peu remise, j’entray en la petite chambre où coucholt ma sœur. Comme j’estois ]à, monsieur de Miossans, premier gentil-homme du Roy mon mary et Armagnac, son premier vallet de chambre, m’y vindrent trouver pour me prier de leur sauver la vie. Je m’allay jetter à genoux devant le Roy et la Royne ma mere pour les leur demander; ce qu’enfin ils m’accordèrent.

Cinq ou six jours après, ceux qui avoient commencé cette partie, cognoissans qu’ils avaient failli à leur peincipal dessein n’en voulant point tant aux huguenots qu’aux princes du sang, portoient impatiemment que le Roy mon mary et le prince de Condé fussent demeurez. Et congnoissant qu’estant mon mary, que nul ne voudroit attenter contre luy, ils ourdissent une autre trame. Ils vont persuader à la Royne ma mere qu’il me falloit desmarier. En cette resolution estant allée un jour de feste son lever, que nous debvions faire noz Pasques, elle me prend à serment de luy dire vérité, et me demande si le Roy mon mary estoit homme, me disant que si cela n’estoit, elle auroit moyen de me desmarier. Je la suppliay de croyre que je ne me cognoissois pas en ce qu’elle me demandoit (aussi pouvois-je dire lors à la vérité comme cette Romaine, à qui son mary se courrouçant de ce qu’elle ne l’avoit adverty qu’il avoit l’haleine mauvaise, luy respondit qu’elle croyoit que tous les hommes l’eussent semblable, ne s’estant jamais approchée d’aultre homme que de luy); mais quoy que ce fust, puis qu’elle m’y avoit mise, j’y voulois demeurer; me doutant bien que ce qu’on vouloit m’en séparer estoit pour luy faire un mauvais tour.

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(Mémoires et lettres de Marguerite de Valois (Nouv. éd.) / publiée par M. Guessard)

Conclusion

Henri de Navarre et Henri Ier de Bourbon, prince de Condé, s’échappèrent tous deux de Paris, ils se dirigèrent vers le sud et dirigèrent ensuite les forces protestantes contre Henri Ier, duc de Guise, et Henri III de France (r. de 1574 à 1589, successeur de Charles IX). Le mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois échoua de manière spectaculaire dans sa tentative à atteindre la paix et la réconciliation espérées. Le massacre de la Saint-Barthélemy commença moins d’une semaine après le mariage, le massacre de Paris encouragea la même chose ailleurs, et la quatrième des guerres de religion françaises débuta avec une France divisée entre une population majoritairement catholique du nord et les protestants du sud.

Le mariage d’Henri et de Marguerite ne fut pas non plus heureux car elle ne put lui donner d’héritier, tous deux furent infidèles, et en 1585, Marguerite abandonna son mari et rejoignit Henri Ier, duc de Guise, et sa Ligue catholique contre lui. Elle l’avait déjà quitté pendant de courtes périodes avant cela, et sa mère, dégoûtée, l’avait déshéritée et ne lui adressa plus jamais la parole. Une annulation du mariage fut accordée à la demande des deux parties, en 1599.

Henri de Navarre, comprenant que Paris n’accepterait jamais un roi protestant, se convertit au catholicisme et succéda à Henri III après la mort de ce dernier pour devenir Henri IV de France qui mit fin aux guerres de religion françaises, officiellement du moins, par l’édit de Nantes en 1598. Il fut assassiné par un zélote catholique en 1610, et Marguerite mourut de maladie en 1615. Bien que les guerres de religion, qui avaient ravagé le pays depuis 1562, aient été terminées, les divisions causées par l’intolérance et la haine religieuses se poursuivirent, et il était manifestement naïf de penser qu’un mariage aurait pu réconcilier de quelque manière que ce soit les factions en guerre. Trois ans après la mort de Marguerite, les différences religieuses allaient alimenter la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui allait coûter 8 millions de vies supplémentaires en plus de celles déjà perdues.

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Le catholicisme a-t-il encore un avenir en France ?

Le Catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? 

Guillaume Cuchet

Paris, Le Seuil, 2021. 241 pages.

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Quatrième de couverture

Le catholicisme, hier encore religion de la très grande majorité des Français, n’est plus ce qu’il était. Un tiers des enfants seulement sont désormais baptisés en son sein (contre 94 % vers 1965) et le taux de pratique dominicale avoisine les 2 % (contre 25 % à la même date). Un tel changement, qui n’est pas achevé, a des conséquences majeures, aussi bien pour cette religion que pour le pays tout entier, façonné, dans la longue durée, par cette longue imprégnation catholique.
Dans le prolongement de Comment notre monde a cessé d’être chrétienLe catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? se penche sur certaines de ses manifestations contemporaines : la mutation anthropologique qu’entraîne le fait de mourir sans croire pour la génération des baby-boomers et ses descendants ; les transformations de la scène funéraire contemporaine et la diffusion de la crémation ; les recompositions de l’ascèse sous la forme du running ; les inquiétudes suscitées par l’islamisme ; la montée des  » sans-religion « , notamment chez les jeunes ; l’intérêt largement répandu pour la  » spiritualité « , qu’on oppose volontiers désormais à la  » religion  » ; le devenir minoritaire du catholicisme et les problèmes identitaires que lui pose le phénomène ; la manière dont, dans la longue durée, l’Église s’adapte plus ou moins à la modernité.
In fine, l’auteur pose la question de savoir si l’on n’a pas plus à perdre qu’à gagner à cette mutation.

Guillaume Cuchet est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Est Créteil. Il a notamment publié Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement (Seuil, 2018) et Une histoire du sentiment religieux au XIXe siècle (Le Cerf, 2020).

Guillaume Cuchet : « Le catholicisme aura l’avenir qu’on voudra bien lui donner »

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Rien n’est joué concernant l’avenir du catholicisme en France, telle est l’opinion de l’historien Guillaume Cuchet qui répond aux questions d’Aleteia sur la situation des catholiques dans la société d’aujourd’hui, alors qu’ils sont devenus une minorité. Si les chrétiens ont des combats à livrer, en particulier dans le domaine de la culture, leurs motivations doivent être évangéliques, et pas idéologiques.

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est et spécialiste de l’histoire des religions, Guillaume Cuchet défend la thèse selon laquelle la crise du catholicisme a des racines profondes, bien antérieures au concile Vatican II, même si celui-ci fut un déclencheur. Dans son nouveau livre, Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ?, il explore les effets de la déchristianisation sur la société. Pour lui, l’avenir du catholicisme passe par une prise de conscience, « la responsabilité de chacun », et par la culture. 

 

Aleteia : Votre livre précédent, Comment notre monde a cessé d’être chrétien ?, exposait les causes lointaines de la déchristianisation de notre société. Dans Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ?, voulez-vous montrer qu’il n’y a rien d’irréversible à cette évolution ?
Guillaume Cuchet : J’ai cherché à prolonger mes courbes pour rejoindre la situation que nous avons sous les yeux, avec toutes les incertitudes que comporte l’exercice, parce qu’à mesure que l’historien se rapproche du présent, il perd évidemment son principal outil de travail qui est le recul. Il y a une tendance lourde à la déchristianisation qui remonte au XVIIIe siècle, même si elle n’est pas linéaire et qu’elle est passée par des phases, tantôt ascendantes, tantôt descendantes. L’Église était plus en forme en 1860 qu’en 1810, par exemple. Il y a aussi des scénarios plus probables que d’autres. Mais, en dernière analyse, l’avenir du catholicisme est une question posée à notre liberté, individuellement et collectivement. Il aura l’avenir qu’on voudra bien lui donner. Donc je propose d’y réfléchir un peu froidement tant qu’il en est encore temps : on peut vouloir laisser filer les choses mais autant savoir ce qu’on fait.

Un grand nombre de nos contemporains opposent désormais la « religion » à la « spiritualité ».

À quel profil correspondent les Français qui n’ont pas de religion aujourd’hui, que vous appelez « nones » ? Sont-ils plus présents dans certains pays occidentaux que dans d’autres ?
Les « nones » sont ceux qui ne déclarent aucune religion (« no religion ») dans les enquêtes d’opinion américaines. Le terme est devenu une catégorie de la sociologie religieuse anglophone pour désigner les non-affiliés (à une Église) ou les désaffiliés. Une enquête de 2018 a montré qu’ils étaient 64% parmi les jeunes Français, contre 23% de catholiques. En Europe, le taux varie entre 17% en Pologne et plus de 90% en République tchèque. Ils ont des profils variés : athées, agnostiques, indifférents, croyants « libres », « alter-croyants », etc. Du point de vue de l’histoire religieuse, ce sont des créatures nouvelles, parfaitement problématiques, pleines de libertés nouvelles et de failles anciennes.

 

En quoi une attirance pour la spiritualité, teintée d’orientalisme, se substitue-t-elle chez les « nones » à la religion ?
Un grand nombre de nos contemporains opposent désormais la « religion », synonyme dans leur esprit de dogmes, d’institution, d’obligation, voire de fanatisme et de crime (à l’heure des attentats islamistes et des révélations sur les abus sexuels dans l’Église), à la « spiritualité », qui incarne le positif de la religion, la transcendance, l’ouverture, la réconciliation de l’âme et du corps, etc. Les besoins de sens, de consolation, de ritualisation, qui faisait le fond de l’ancienne demande religieuse, n’ont pas disparu : ils se sont transformés et transférés ailleurs, dans des pratiques où l’on peine parfois à la reconnaître. La culture « psy » en a récupéré une bonne part. L’omniprésence de la figure néo-bouddhiste de la méditation est aussi exemplaire. Ce nouveau quiétisme occidental remplace la religion dans l’esprit de beaucoup, même si je ne puis pas sûr (et j’essaie de m’en expliquer) qu’il puisse lui être entièrement substitué.

Les « nones » pourraient-ils revenir à la religion ?
Les « nones » vont-ils se réaffilier à quelque univers religieux « en dur » et, si oui, lequel ? Il y a dans la jeunesse contemporaine un croisement des courbes de ferveur entre l’islam et le catholicisme, par exemple, qui est assez spectaculaire. Vont-ils, au contraire, persister dans l’être et s’installer durablement dans ce rapport distancié et critique à l’égard des institutions religieuses ? Bien malin qui peut le dire et tout dépendra en partie des événements, car l’histoire spirituelle collective (on l’oublie parfois) est une véritable histoire, avec des dates, des événements, des tournants, des acteurs libres. 

 

Vous expliquez que les rapports à la mort, au tragique, au bien-être ont profondément changé. Cette quête spirituelle coupée de la religion dont vous parlez n’est-elle pas surtout le signe d’un malaise existentiel due à une rupture de transmission ? 
L’histoire religieuse est, pour une part, une dérivée de l’histoire des attitudes devant la mort, et donc aussi devant la vie. Les bouleversements survenus dans les conditions de la mortalité depuis la Seconde Guerre mondiale ont joué un rôle considérable. Je suis venu à l’histoire par Philippe Ariès et j’en ai gardé des marques de naissance ! La demande de spiritualité, de méditation, etc., ne renvoie pas seulement au stress de la vie moderne mais au vide religieux ambiant. Ce vide, même insensible, est un état violent pour l’esprit humain, d’où ce malaise diffus. Je ne suis pas sûr qu’on en ait fini avec la « phase dramatique de l’arrachement religieux » comme dit Marcel Gauchet et que nous serions voués désormais aux eaux calmes et définitives de l’indifférence métaphysique, tout au plus tempérées par un supplément d’âme psychothérapeutique. Je ne nous le souhaite pas en tout cas. La particularité des « nones » en France est qu’on en est souvent à la deuxième, voire troisième génération du décrochage. Ce ne sont plus des décrocheurs, mais des décrochés, qui vont devoir passer à autre chose. Cela peut favoriser l’indifférence mais aussi la redécouverte à nouveaux frais du christianisme.

Devenir minoritaire dans un pays où l’on a longtemps été majoritaire, voire ultra-majoritaire, est forcément une opération difficile.

Comment les catholiques vivent-ils, de leur côté, la situation actuelle ? 
Il faudrait le leur demander ! Devenir minoritaire dans un pays où l’on a longtemps été majoritaire, voire ultra-majoritaire, est forcément une opération difficile, a fortiori au lendemain d’une œuvre de modernisation comme le concile Vatican II (1962-1965), qui n’a pas produit tous les fruits escomptés. La génération Jean Paul II, qui est désormais à l’âge des responsabilités et qui est prise dans la tourmente de la crise des abus sexuels, est elle-même un peu perplexe, me semble-t-il, sur l’efficacité de l’entreprise de redressement à laquelle elle a identifié son destin. Elle n’a pas enrayé l’hémorragie et elle est souvent dépassée désormais sur sa droite par une jeune génération qui lui reproche son échec, comme elle a reproché le sien à la précédente. L’éloge du petit nombre, à l’instar des premiers disciples du Christ ou d’Israël, petite musique qu’on commence à entendre de plus en plus, me paraît relever, dans ses formes superficielles, d’une théologie de la misère. Le repli sur le petit reste est une tentation, même si je crois que le renforcement identitaire est inévitable : toutes les minorités qui durent ont une identité forte, comme jadis les protestants ou les juifs dans la société française. Sinon elles disparaissent. Le problème n’est donc pas d’avoir ou pas une « identité » — on en a forcément une et elle joue un rôle important dans la transmission de la foi —, mais de l’avoir ouverte et accueillante. Ce qui est certes plus facile à dire qu’à faire.

Benoît XVI soutenait que l’avenir appartient aux minorités créatrices, autrement dit que « l’Église n’a pas dit son dernier mot », pour reprendre une formule du père Matthieu Rougé, avant de devenir évêque de Nanterre. L’histoire atteste-t-elle ce propos ? Le reprenez-vous à votre compte ?
« L’histoire de l’Église n’est pas un reposoir de Fête-Dieu », disait Émile Poulat. Déjà, dans les hautes eaux religieuses du XVIIe siècle, les évêques passaient leur temps à se plaindre de leurs ouailles ! On sent cependant, à divers signaux faibles, qu’un nouveau paradigme évangélique se cherche dans la jeunesse chrétienne, qui ne soit pas simplement la refonte des anciennes formules (comme l’opposition sommaire du « catholicisme d’ouverture » au « catholicisme d’identité »). Les chrétiens peuvent avoir des combats à livrer, disait Benoît XVI. Tout le problème est qu’ils soient bien sûrs que leurs motivations sont évangéliques, et pas idéologiques ou purement passéistes. Cee qui n’est pas toujours évident à discerner parce que l’idéologie est parfois de l’évangile durci, par le temps ou les épreuves. Tout cela, en tout cas, est assez fascinant à observer pour l’historien du christianisme.

Selon vous, la voie de l’avenir catholique passe par la culture. S’agit-il de passer à un christianisme au rabais, purement « identitaire » ou d’autre chose de plus substantiel, comme de penser la culture comme une dimension sociale de l’évangélisation ? 
La culture, c’est un minimum. J’ai le sentiment que l’opposition, fréquente de nos jours, entre la « foi » et l’ « identité », est trop réductrice, que dans la pratique, les choses sont plus complexes et que la culture chrétienne, qui enveloppe, à des degrés divers, des actes de foi, d’espérance et de charité, est le moyen de cette complexité. Concrètement, il y a dans ce pays 2% de pratiquants mais encore 50% de Français qui se considèrent comme catholiques dans les enquêtes et les trois quarts qui pensent que la France est un « pays de culture chrétienne ». Simple constat historique, en un sens, mais dont on sent bien qu’il recèle une forme d’attachement persistant, comme on l’a bien vu, en 2019, lors de l’incendie de Notre-Dame. Il ne faudrait pas trop vite considérer que ce catholicisme est purement résiduel, « sociologique », sans portée spirituelle. Le moyen d’en juger ? On ne pourra pas faire que la France n’ait pas déjà eu une grande histoire chrétienne. Et ces chrétiens distanciés ou intermittents jouent un rôle plus important qu’il n’y paraît dans l’Église : ils l’empêchent de devenir une « secte » au sens sociologique du terme, c’est-à-dire un petit groupe de croyants hyper-motivés mais un peu hors sol. 

En même temps, et c’est la leçon, je crois, de nos cinquante dernières années, la culture chrétienne ne peut pas survivre sans les croyances, les pratiques, les comportements qui l’ont fondée et qui la maintiennent vivante. Elle peut sans doute le faire provisoirement, sur une génération, mais pas indéfiniment. À chacun donc de prendre ses responsabilités s’il y tient, parce que l’Église n’a plus les moyens de l’ancien service public de la transcendance qu’elle assurait jadis et qu’il s’agit bien, en définitive, de notre histoire, et pas de celle du clergé. Si on ne réagit pas, le christianisme peut disparaître de nos alentours, à l’instar de ces enterrements dont je parle dans le livre, où les petits-enfants dans la nef, en enterrant leurs grands-parents, enterrent aussi le christianisme dans leur famille, en demandant aux chrétiens qui restent de le faire à leur place. Je me fais difficilement à cette idée, mais il n’y a pas de fatalité et l’avenir dure longtemps.

.https://fr.aleteia.org/2021/09/18/guillaume-cuchet-le-catholicisme-aura-lavenir-quon-voudra-bien-lui-donner/

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Réveil catholique, le catholicisme et les emprunts aux évangéliques

Réveil catholique : emprunts évangéliques au sein du catholicisme

Valérie Aubourg

Genève, Labor et Fides, 2020.353 pages

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QUATRIÈME DE COUVERTURE

Réveil catholique

Parti reconquérir des terres françaises en voie de sécularisation, le catholicisme emprunte aux Eglises évangéliques ses pratiques performantes. En associant les mots « Réveil » et « catholique », Valérie Aubourg entend montrer la manière originale dont l’Église de Rome s’en empare : cette régénération s’inscrit dans un héritage religieux et des traditions culturelles particulières. Elle consiste certes à suivre une ligne évangélique, mais également à la réinsérer dans la matrice catholique.

C’est donc au cœur  de cette dialectique que se situe cette étude : entre « évangélicalisation » et « recatholicisation » du christianisme. L’ouvrage, qui s’articule autour d’une recherche ethnologique menée sur trois terrains – les dispositifs Miracles et Guérisons, la Prière des mères et le Renouveau missionnaire paroissial -, permet de dresser le portrait d’un visage inédit du christianisme.

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 « Réveil catholique », Valérie Aubourg au pays des charismatiques

 Dans son livre, Valérie Aubourg, anthropologue et ethnologue, montre comment le catholicisme français s’est approprié l’apport évangélique nord-américain.

Depuis les années 1970, le catholicisme s’est fortement recomposé. Si dans la plupart des pays occidentaux, il a perdu en nombre et en influence, il a aussi cherché la voie d’une régénération. C’est du côté évangélique qu’il l’a en partie trouvée, ce qui a donné naissance au Renouveau charismatique. Mais le catholicisme ne s’est pas contenté d’adopter des manières de faire venues du monde évangélique : il les a réinsérés dans sa propre matrice, en recatholisant les influences venues essentiellement d’Amérique du Nord. C’est ce que met en évidence cette étude de Valérie Aubourg.

 Dans une longue introduction, cette spécialiste d’anthropologie-ethnologie à l’Université catholique de Lyon souligne la « stupéfiante croissance » du « christianisme charismatique » outre-Atlantique à partir du milieu des années 1960, ce qui accrédite la thèse d’une «’charismatisation’ du christianisme » où l’insistance est mise sur la Bible, la conversion (ou reconversion), l’annonce de l’Évangile, l’expérience du baptême dans l’Esprit Saint et les manifestations qui en découlent.

 Une inspiration pentecôtiste

Le mouvement, inspiré par le pentecôtisme et porté notamment par des groupes de prière, va s’étendre à l’étranger, à commencer par les pays anglo-saxons. « En 1969, 13 pays accueillent des groupes de prière, 25 pays en 1970 et, en 1975, ce sont 93 pays qui sont concernés », indique la chercheuse. (29). « La diffusion du Renouveau charismatique catholique s’effectue de manière relativement spontanée, par le biais de laïcs, de prêtres ou de religieux qui découvrent ce mouvement lors d’une visite aux États-Unis et l’importent ensuite dans leur pays d’origine. Sa propagation se répand également par la médiation de charismatiques américains qui en font la promotion lors de leurs séjours à l’étranger », relève-t-elle.

 « Tout en s’appropriant des traits majeurs du pentecôtisme, les groupes et activités charismatiques s’intègrent dans la vie de l’Église catholique », non sans une certaine méfiance au départ. « Jugé incontrôlable, le mouvement charismatique est discrédité en raison de son inclinaison vers un christianisme émotionnel semblant dévaloriser l’engagement dans la société et par l’attitude perçue comme arrogante de ces nouveaux convertis se présentant comme l’avenir de l’Église ».

 

Un catholicisme « plastique »

Nous sommes au milieu des années 1970. Des personnalités de renom, comme le cardinal Suenens, vont alors jouer un rôle déterminant dans la reprise en main institutionnelle du Renouveau en encadrant ses pratiques et en lui donnant une assise doctrinale. En contrepartie, le mouvement charismatique donnera des gages de catholicité susceptibles de rassurer l’institution romaine : « recours à de figures emblématique (saints, mystiques, papes), réappropriation de l’histoire de la tradition ecclésiale, remise au goût du jour de pratiques tombées en désuétude (adoration du Saint-Sacrement, confessions individuelles, pèlerinage, culte marial, etc.) ». Mais avec le temps, le mouvement charismatique a perdu en vigueur. C’est aussi pourquoi depuis deux décennies des laïcs essaient de le redynamiser.

 Le propos central de l’ouvrage de Valérie Aubourg est de décrire ces efforts à travers l’étude de trois initiatives très différentes : une offre religieuse centrée sur la guérison qui a vu le jour à Lyon en 2006 (Miracles et Guérisons), les groupes de prière hebdomadaire qui réunissent des mères lyonnaises (La Prière des Mères) et le Renouveau missionnaire paroissial. Ces deux derniers terrains n’ont pas de lien établi avec le Renouveau. Mais, comme le montre l’auteur, ils manifestent que l’« évangélicalisation » du catholicisme déborde le seul milieu charismatique. Surtout ils témoignent de la plasticité du catholicisme, de sa capacité d’adaptation « aux formes mobiles d’appartenance » de nos contemporains. Une étude passionnante et très éclairante sur la « recomposition » des propositions catholiques en réponse aux évolutions contemporaines du croire.

 https://www.la-croix.com/Culture/Reveil-catholique-Valerie-Aubourg-pays-charismatique-2020-10-21-1201120633

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 Valérie Aubourg : l’étape post-charismatique du Renouveau

 Dans Réveil catholique, l’anthropologue-ethnologue Valérie Aubourg montre la manière originale dont l’Eglise catholique emprunte aux Eglises évangéliques ses pratiques performantes, pour se régénérer et ralentir la courbe des désaffiliations religieuses, tout en conservant son identité.

Professeure d’anthropologie-ethnologie et directrice de recherche à l’Université catholique de Lyon, Valérie Aubourg a conduit une enquête minutieuse qui montre comment le catholicisme se recompose dans le contexte du Renouveau charismatique, cet emprunt fait à l’univers pentecôtiste et plus largement évangélique. Son travail a abouti à la publication de Réveil catholique, dans lequel le Renouveau charismatique serait parvenu à une étape post-charismatique, où ces emprunts, réinsérés dans la matrice catholique, ne sont plus clairement explicites, ni explicités.

Comment l’ethnologue et anthropologue que vous êtes aborde-t-elle ces nouvelles formes de christianisme ?

Valérie Aubourg: sans jugement de valeur. L’ethnologue y voit un exemple de plusieurs dynamiques à l’œuvre: celles de la transnationalisation du religieux et d’influences croisées, que Levi Strauss appelle des «bricolages» religieux. J’y vois aussi des métamorphoses du catholicisme, qui subit certes depuis plusieurs décennies une crise, mais qui se montre néanmoins créatif et se transforme en faisant des propositions inédites. Certes, la taille et le modèle d’organisation du «paquebot» catholique ne lui permettent pas de changer de cap aussi rapidement que les «hors-bords» évangéliques. Elle fait néanmoins preuve d’inventivité, se modifie et s’adapte en prenant notamment exemple sur les navires protestants.

 «La taille et le modèle d’organisation du ‘paquebot’ catholique ne lui permettent pas de changer de cap aussi rapidement que les ‘hors-bords’ évangéliques.»

 Qu’entend-on par renouveau charismatique au sein de l’Eglise catholique ? 
Il s’agit d’un courant d’environ 19 millions de personnes né aux Etats-Unis. En janvier 1967, quatre enseignants laïcs de l’université de Duquesne à Pittsburgh (Pennsylvanie) font l’expérience du baptême dans le Saint-Esprit dans un groupe de pentecôtistes épiscopaliens. Cette expérience se propage rapidement dans les milieux étudiants catholiques et se traduit par le foisonnement d’une grande variété de groupes de prière, dont plusieurs donnent naissance à des communautés dites nouvelles: aux Etats-Unis, The Word of God (1969) ou en France, l’Emmanuel (1972), Le Chemin Neuf (1973), la Théophanie (1972), le Pain de vie (1976), le Puits de Jacob (1977), etc. Groupes de prières et communautés organisent régulièrement des rassemblements communs propices aux relations entre catholiques et pentecôtistes. 

 Quelles sont les grandes étapes que connaît ce courant de renouveau spirituel ?
Après les années d’éclosion (1972-1982), pendant lesquelles l’expérience pentecôtiste pénètre le catholicisme, on assiste à un repli identitaire (1982-1997) aboutissant dans un deuxième temps à une routinisation. La troisième période est celle du rapprochement avec les néo-pentecôtistes, dans le but de réanimer le Renouveau (depuis 1997). La quatrième phase, dite «post-charismatique» correspondant à l’introduction d’éléments caractéristiques du pentecôtisme dans le catholicisme, en dehors du Renouveau charismatique stricto-sensu. 

 «La quatrième phase, dite «post-charismatique» correspond à l’introduction d’éléments caractéristiques du pentecôtisme dans le catholicisme, en dehors du Renouveau charismatique stricto-sensu.»

 Selon vous, et c’est la thèse que vous défendez dans votre livre, nous sommes donc aujourd’hui à cette étape post-charismatique. Comment se caractérise-t-elle ?
Alors que le Renouveau charismatique se limite aux membres d’une organisation bien circonscrite, de nombreux éléments évangéliques et pentecôtistes se diffusent dans l’Eglise catholique au-delà de sa seule composante charismatique. Ils prennent la forme de groupes d’oraison, d’assemblées de guérison, de formations, de dispositifs individualisés, de supports musicaux, d’ouvrages, de techniques du corps, d’objets, etc. Comme le note Henri Couraye, «une certaine sensibilité charismatique au sens large a gagné l’Eglise sans que tous les fidèles en soient toujours conscients, par capillarité». 

 Retrouve-t-on dans cette étape l’expérience du baptême dans l’Esprit-Saint ?
Oui, car elle ne concerne pas uniquement les actuels membres de groupes ou communautés charismatiques mais aussi ceux qui étaient auparavant des charismatiques actifs et qui ont cessé leur participation dans le mouvement, tout en poursuivant leur activité dans un autre secteur de l’Eglise. Ils sont appelés les «anciens du Renouveau», selon Oreste Pesare, l’ancien responsable du service international du Renouveau charismatique catholiquequi souligne l’attitude de plus en plus fréquente de ces catholiques qui empruntent des éléments charismatiques sans pour autant se définir comme adeptes du Renouveau. Oreste Pesare emploie à leur sujet le terme d’expérience «post-charismatique», qu’il définit comme le fruit de la diffusion de la culture de Pentecôte dans l’Eglise catholique, par exemple celle du Brésil, où les catholiques travaillent en ce sens en proposant une sorte d’évangélisation à travers la musique, la radio et la télévision.

 Pourquoi ces emprunts au monde pentecôtiste et plus largement évangélique ? 
Le catholicisme emprunte aux Eglises évangéliques ses pratiques performantes pour redynamiser la pratique catholique et ralentir la courbe ascendante des désaffiliations religieuses. J’évoque dans mon livre Michael White, un curé de la paroisse de la Nativité à Timonium, l’archidiocèse de Baltimore aux Etats-Unis. A son arrivée dans la paroisse, en 1998, il constate que familles et jeunes l’ont désertée. Il sollicite alors l’aide de Tom Corcoran, un laïc père de six enfants. Découvrant que 75 % de ceux qui ont quitté les bancs des paroisses catholiques rejoignent des assemblées évangéliques et convaincus qu’ils ont beaucoup à apprendre de leurs méthodes, ils s’intéressent aux mégachurches protestantes prospères et en croissance et visitent celle de Saddleback puis d’autres comme la South Coast Community Church à Newport Beach, en Californie. En 2004, ils commencent à reproduire des éléments de ces Eglises et voient le nombre d’adeptes augmenter de manière notoire.  

Source d’inspiration du Renouveau charismatique, les mégachurches, comme celle de Saddleback aux Etats-Unis, fondée par le pasteur Rick Warren. | © blog.ephatta.com

 Comment caractériser ce mouvement ?  
Les entités charismatiques empruntent au pentecôtisme son insistance sur la Bible, la conversion ou la reconversion, l’annonce de l’Evangile, l’expérience du baptême dans l’Esprit-Saint et les manifestations charismatiques qui en découlent, telle la guérison, la glossolalie (ndlr le parler en langues) ou la prophétie. Ils apprécient aussi le répertoire musical évangélique de type pop rock et les innovations technologiques dont ces églises font preuve.

 Vous donnez l’exemple de l’église Sainte-Blandine à Lyon, dont les membres se sont réapproprié ces éléments à la manière catholique. C’est-à-dire ?
Les paroisses catholiques s’approprient le modèle des mégachurches sans faire du copié collé. Elles conservent certains éléments et en abandonnent d’autres. Elles empruntent ainsi à ces Eglises la taille spectaculaire (mega-church), l’innovation technique, la proposition d’une large gamme de services, une vie communautaire intense, une forte implication des laïcs, une spiritualité tournée vers la régénération individuelle, des lignes de forces qui définissent les megachurches américaines et que nous pouvons aujourd’hui observer dans la paroisse catholique Sainte-Blandine. Cela dit, des différences notoires distinguent les mégachurches évangéliques de leurs consœurs catholiques. A partir du cas lyonnais, quatre spécificités catholiques peuvent être soulignées: le rôle prépondérant de l’institution catholique, une inscription dans l’espace urbain et la vie religieuse locale,  une valorisation de la pratique sacramentelle et une expression contenue de la foi.

 «Tout en s’appropriant les traits majeurs du pentecôtisme, les charismatiques défendent la doctrine catholique, assistent assidument aux offices paroissiaux et respectent la hiérarchie ecclésiale.»

 Les charismatiques conservent donc leur identité catholique…
Oui, tout en s’appropriant les traits majeurs du pentecôtisme, ils défendent la doctrine catholique, assistent assidument aux offices paroissiaux et respectent la hiérarchie ecclésiale. Se tenant à distance des questions politiques et du progressisme de certains de leurs coreligionnaires catholiques, les charismatiques préfèrent renouer avec des pratiques traditionnelles: récitation du chapelet, pèlerinages mariaux, confession individuelle, prosternation, adoration du Saint-Sacrement, etc. Du point de vue de leur insertion ecclésiale, la majorité des communautés charismatiques bénéficient du statut d’associations de fidèles et sont placées sous l’autorité de l’évêque du diocèse dans lequel elles sont érigées. 

 Vous avez mené l’enquête sur trois terrains catholiques, dont celui de l’association internationale des ministères de guérison, à Oron (VD). Quel était son objectif ? 
Faire des propositions diverses dans le champ de la guérison et de la prière. Dans des chambres de guérisons, des soirées, des rassemblements de grande envergure, il s’agissait de proposer de prier pour les personnes qui le souhaitent, en demandant à Dieu qu’il les guérisse, y compris physiquement. Cette association est issue du pentecôtisme «troisième vague», qui fait porter l’accent sur la force d’un Saint-Esprit sensé se manifester avec davantage de puissance par «des signes, des prodiges, des guérisons, des miracles» et des délivrances d’entités démoniaques. Yves Payen, un catholique lyonnais est à l’origine du projet local. Il évolue dans le Renouveau charismatique depuis le tout début des années 1970. 

Comment ce «réveil catholique» est-il considéré par le Vatican ?
Au début (années 1967-75) avec méfiance, puis à partir de la Pentecôte 1975, Paul VI encourage le renouveau charismatique. Jean Paul II continue à lui accorder son soutien, mais en lui demandant de ne pas perdre de vue son identité catholique. Pour le pape François, c’est la dimension œcuménique qui l’intéresse en premier lieu avec une expérience du dialogue interconfessionnel différente de par son expérience à Buenos Aires.

 «Les prises de positions du pape François accréditent la thèse selon laquelle l’évangélicalisation du catholicisme ne se réduit pas aux 10% de catholiques réunis sous le label du ‘Renouveau charismatique’».

 Assiste-t-on selon vous à une révolution dans le catholicisme ? 
Les prises de positions du pape François accréditent la thèse selon laquelle «l’évangélicalisation» du catholicisme ne se réduit pas aux 10% de catholiques réunis sous le label du «Renouveau charismatique». Une vidéo en ligne montre le cardinal Bergoglio recevant le baptême dans l’Esprit-Saint en Argentine, lors d’un rassemblement réunissant des catholiques et des évangéliques. Devenu pape, il encourage l’ensemble des catholiques à vivre «la grâce du Baptême dans le Saint Esprit» employant à dessein ce vocable pour souligner ce qui unit les différentes confessions chrétiennes (catholiques et pentecôtistes notamment). Car, pour le pape, «il y a là un problème qui est un scandale: c’est le problème de la division des chrétiens». Aussi place-t-il son pontificat sous le signe du rapprochement catholiques-évangéliques. 

 Qu’est-ce que ces changements nous disent du catholicisme ? 
Ces injonctions en provenance du sommet de la hiérarchie catholique nous invitent à nous demander dans quelle mesure la culture ecclésiale n’est pas en train de se transformer. En se diffusant largement au sein du catholicisme, les éléments pentecôtistes ne sont-ils pas en train favoriser un mouvement de rupture profondément rénovateur ? Là est la question à laquelle je tente de répondre dans la conclusion de cet ouvrage…

 Le Renouveau charismatique au Saint-Siège
Depuis juin 2019, le Renouveau charismatique catholique est représenté par un nouveau et unique organe, Charis, pour Catholic Charismatic Renewal International Service. Voulu par le pape François, il marque une nouvelle étape pour le Renouveau charismatique catholique au sein de l’Eglise. Il remplace les deux organismes reconnus jusque-là par le Saint-Siège, le service International du Renouveau Charismatique Catholique (ICCRS) et la Fraternité catholique des communautés et communautés d’alliance charismatiques (CF), qui ont cessé d’exister depuis. Charis est un service établi par le Saint-Siège à travers le dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie avec personnalité juridique publique.
C’est un organe de communion et de formation pour les différentes réalités issues du Renouveau qui, dans le monde, compte actuellement plus de 120 millions de catholiques. Le statut de Charis souligne l’importance de répandre la grâce du baptême dans l’Esprit, l’œuvre pour l’unité des chrétiens, le service aux pauvres et la participation à la mission évangélisatrice de toute l’Eglise. Jean-Luc Moens est le premier modérateur de Charis. Nommé par le Dicastère, ce belge, marié et père de sept enfants est engagé dans le Renouveau charismatique depuis plus de 45 ans. L’assistant ecclésiastique de Charis, choisi personnellement par le pape François, est le Père Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale. CP

 https://www.cath.ch/newsf/valerie-aubourg-letape-post-charismatique-du-renouveau/