L’ennéagramme peut-il être utilisé par les chrétiens pour mieux se connaître et se comprendre ?
Le succès de l’ennéagramme parmi les formations chrétiennes interroge. Cette méthode, qui distingue neuf types de personnalité, vient de faire l’objet d’un livre, signé par Anne Lécu, qui alerte sur ses dangers. La religieuse dialogue ici avec Odile Cavaro, formatrice en ennéagramme, qui en souligne les bienfaits et aussi les limites.
L’ennéagramme est un outil issu du développement personnel, qui catégorise les personnalités de chacun selon neuf profils. La formatrice Odile Cavaro, qui l’utilise, et soeur Anne Lécu, qui a écrit un livre à son sujet, débattent de l’utilité ou des risques de cet outil
Ennéagramme signifie en grec « figure à neuf points ». Cette méthode, née il y a un siècle, a pour ambition de définir neuf manières d’être, neuf types de personnalités. Selon ses promoteurs, cet « outil » améliore la connaissance de soi et aide à mieux entrer en relation avec les autres. Dans le milieu chrétien, il est largement diffusé dans des centres spirituels.
La parution récente du livre de sœur Anne Lécu (1), qui est un réquisitoire contre ce « dispositif », suscite bien des réactions et interroge sur la pertinence, pour des chrétiens, d’utiliser l’ennéagramme. La religieuse, sensibilisée à la question des abus, veut être un « caillou dans la chaussure » de ceux qui plébiscitent l’ennéagramme sans s’interroger sur sa nature, ses fondements et ses dérives potentielles.
Plutôt que d’entrer dans un débat purement théorique, nous avons voulu organiser une rencontre entre Anne Lécu et Odile Cavaro, une praticienne qui organise, entre autres, des stages d’ennéagramme. Avec, pour nous, le souci d’éclairer les chrétiens qui ont entendu parler de cette méthode et qui aimeraient en savoir davantage.
Ce dialogue soulève d’autres questions, qui dépassent le cadre de cet entretien. Peut-on et doit-on utiliser, en milieu chrétien, des outils provenant du développement personnel ? Quel discernement opérer ? Ces outils peuvent-ils être importés et évangélisés afin que le croyant puisse en tirer profit ? N’alimentent-ils pas une confusion entre le domaine psychologique et le domaine spirituel, dont on ne cesse de mesurer les terribles conséquences dans les affaires d’abus qui secouent l’Église ? La vigilance est plus que jamais nécessaire.
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Qu’est-ce que l’ennéagramme ?
Odile Cavaro : C’est un outil parmi d’autres – j’insiste vraiment sur ce point – qui permet d’éclairer nos motivations profondes. On distingue neuf grandes familles ou portes d’entrée que je peux résumer à gros traits. Celui ou celle qui emprunte la porte n° 1 a pour moteur le désir d’améliorer les choses et pense qu’on peut toujours faire mieux. Quelqu’un de la famille n° 2 a un besoin viscéral d’apporter son aide. La porte n° 3 regroupe ceux qui veulent faire plaisir ; ils déploient toute leur énergie et leur efficacité pour atteindre ce but. La n° 4 concerne les personnes sensibles à la beauté, à la profondeur de ce qui est gratuit, unique. La n° 5 rassemble ceux qui ont besoin de comprendre les choses à fond ; ils valorisent la connaissance et la précision. La porte n° 6 est celle d’une personne qui place au-dessus de tout la loyauté, l’intégrité et la fiabilité : « On doit pouvoir compter sur moi ». La n° 7 s’adresse à ceux qui voient plutôt le verre à moitié plein, qui ont une capacité à rebondir ; ils sont très actifs tant qu’ils éprouvent du plaisir. Les membres de la famille n° 8 ont besoin de protéger les autres ; ils sont des combattants pour la justice. La porte n° 9 concerne ceux qui auront à cœur de créer un climat de paix et d’harmonie, où chacun trouve sa place.
Quel en est le fonctionnement ?
C. : Chacun des neuf types entretient des liens de familiarité avec d’autres profils, révélant ainsi nos qualités mais aussi nos faiblesses. Par exemple, si une personne se reconnaît dans le n° 6 (la fiabilité et la loyauté), elle entretient des liens avec le n° 9 (le désir d’harmonie) et le n° 3 (faire plaisir)… L’ennéagramme est une école d’humilité, car il révèle nos talents et nos limites. Il est aussi une école de bienveillance car, au lieu de juger les autres parce qu’ils ne fonctionnent pas comme moi, j’apprends à mieux les comprendre, et donc à mieux les accueillir tels qu’ils sont.
Qu’en pensez-vous, Anne Lécu ?
Anne Lécu : Le problème de fond avec l’ennéagramme, c’est qu’il n’a aucune base scientifique ni psychologique sérieuse. Il ne trouve pas son origine dans une prétendue sagesse ancestrale, ni de l’Égypte ancienne, ni du monde soufi, ni même des Pères de l’Église, comme l’affirment certains. Il a été inventé, au début du XXe siècle, par un gourou russe du nom de Gurdjieff, qui expliquait à ses disciples que l’humain fonctionne comme une machine. Son objectif était d’apprendre à analyser son propre fonctionnement pour s’en affranchir, et de comprendre le comportement des autres afin de les manipuler – c’est écrit noir sur blanc ! Il enseigne que l’ennéagramme explique tout ce qui existe dans le monde. Plus tard, ses vulgarisateurs sud-américains ont plaqué sur chaque numéro des catégories psychopathologiques, empruntées au manuel de psychiatrie nord-américain. Ils soutiennent que nous nous sommes constitués à partir d’une blessure d’enfance et que notre comportement est dicté par une surréaction à celle-ci…
En quoi est-ce problématique à vos yeux ?
L. : L’ennéagramme a une visée totalisante qui prétend cartographier l’âme humaine. Il nous oblige à chausser des lunettes qui poussent à regarder le monde à travers ces neuf « cages ». C’est un système fermé sur lui-même qui risque de figer les gens dans un comportement dont ils n’arrivent plus à se défaire. Sans parler de ceux qui, pour avoir un ascendant ou une emprise sur leur entourage, étiquettent les autres en fonction de leur prétendu ennéatype.
C. : Sur ce dernier point, je mets toujours en garde les stagiaires sur la tentation de typer les autres, c’est dangereusement réducteur. De la même façon, je m’abstiens de donner des indications sur le type auquel pourrait appartenir une personne. C’est à elle de mener sa propre réflexion à partir des éléments que je fournis et les questions auxquelles je réponds – sans aucune obligation d’aboutir à un chiffre précis.
Et par rapport aux origines de l’ennéagramme ?
C. : L’ennéagramme n’est évidemment pas une science. Il s’est construit à partir d’une observation fine de l’homme et de ses comportements. Quant à Gurdjieff, il est une personnalité problématique mais il est trop facile de réduire l’ennéagramme à sa seule figure. Son apport reste minime. L’outil a bien évolué depuis sa création il y a cent ans et il est toujours en développement. On ne l’enseigne plus aujourd’hui comme il y a quarante ans.
Et sur la dimension psychopathologique ?
C. : Je suis d’accord avec Anne Lécu. Je suis moi-même très réservée sur une interprétation de l’ennéagramme à partir de traumatismes de l’enfance. L’apport récent des neurosciences nous apprend que la formation d’une personnalité est très complexe…
Pensez-vous que l’ennéagramme a quelque chose à apporter à un chrétien ?
L. : Absolument pas (rires)! Je dois vous avouer mon effarement quand je lis des publications traitant de l’ennéatype du pape François, de celui des personnages de la Bible, voire de la Trinité ! L’ennéagramme n’est pas neutre sur le plan spirituel. Il appartient aux gnoses (hérésies condamnées par l’Église au IIe siècle qui fondent le salut sur la connaissance des choses divines, réservée à quelques initiés, NDLR), comme le rappelait un document du Vatican sur la pensée new age, publié en 2003 (2). Beaucoup de catholiques ignorent ses origines ésotériques…
C. : Il est important de remettre les choses à leur place : l’ennéagramme n’est pas un outil chrétien, ni un outil spirituel. Il nous fournit une meilleure connaissance de nous-mêmes et une meilleure compréhension de nos relations. Que je fasse des liens avec ma foi, cela m’appartient à titre personnel. Il est totalement compatible avec la foi chrétienne dans la mesure où il m’apprend à être plus tolérant, plus charitable envers mon prochain, en étant moins dans le jugement et davantage dans la bienveillance.
L. : Je reçois des témoignages qui ne vont pas dans ce sens. Je pense à cette communauté dont les membres ont été formés à l’ennéagramme. Une religieuse témoigne de la manière dont cela a porté atteinte de façon systémique à la fraternité. Chacune s’autorise à donner des conseils « avisés » aux autres, ce qui crée un climat de suspicion et de jugement permanent…
C. : D’où l’importance de tenir le cadre déontologique : ne pas typer les autres. Ce n’est pas parce qu’il y a des dérives et des abus que l’outil est mauvais en soi. Je peux utiliser un marteau pour planter un clou ou pour frapper la tête de mon voisin… Une religieuse me confiait récemment combien cet outil lui avait permis de réduire ses attentes et son niveau d’exigence vis-à-vis d’elle-même et de ses sœurs, et donc de développer des relations plus apaisées.
Que diriez-vous à quelqu’un qui veut s’inscrire à un stage pour se faire sa propre opinion ?
C. : Il serait dommage de se priver d’un tel outil. Le Christ nous le dit lui-même : « Aime ton prochain comme toi-même. »C’est le projet d’une vie entière ! Avant de vous inscrire à un stage, renseignez-vous d’abord sur l’intervenant, sa formation et sa façon d’aborder l’ennéagramme. Consultez Internet, appelez-le directement, contactez des personnes qui ont suivi sa formation. Dans ce domaine, comme dans d’autres, rien ne vaut le bouche-à-oreille.
L. : Je pense simplement qu’il vaut mieux ne pas faire de stage ennéagramme. Faire un stage met insidieusement en tête une sorte de filtre qui entraîne à regarder le monde à travers neuf cases. Multiplier les stages d’approfondissement est encore plus préoccupant car on s’enferme dans cette logique.
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Anne Lécu est une religieuse dominicaine et médecin, elle vient de publier le livre L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher. / EMELINE SAUSER POUR LA CROIX
Anne Lécu, vigie sur les abus dans l’Église
Anne Lécu est religieuse dominicaine, médecin généraliste à la prison des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne). Elle est membre de la cellule « Emprise et dérives sectaires dans l’Église catholique » de la Conférence des évêques de France. Constatant la diffusion de l’ennéagramme en milieu chrétien, elle s’est intéressée à ce « dispositif » dans le cadre d’un diplôme universitaire sur l’emprise. La Miviludes, l’organisme gouvernemental de lutte contre les dérives sectaires, alerté par l’inflation de ces formations en entreprise, a encouragé la religieuse à en approfondir l’étude. Anne Lécu vient de publier le résultat de ses recherches dans son livre L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher (Éditions du Cerf).
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Odile Cavaro utilise l’ennéagramme parmi d’autres outils lors de ses formations en relations humaines. / EMELINE SAUSER POUR LA CROIX
Odile Cavaro, formatrice en relations humaines
Formatrice en relations humaines, Odile Cavaro propose l’ennéagramme et d’autres outils (communication, écoute active, gestion des émotions et des conflits) à des associations confessionnelles ou non. Pour la partie chrétienne, cette déléguée diocésaine au diaconat en Charente-Maritime (avec son mari diacre et médecin de campagne) intervient notamment auprès du Secours catholique, des Associations familiales catholiques, de la Congrégation des filles du cœur de Marie, du centre spirituel ignatien Sainte-Ursule en Indre-et-Loire… Formée à l’Institut français de l’ennéagramme, elle estime avoir initié environ 700 personnes à cet outil.
(1) L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher, Éditions du Cerf
(2) Jésus-Christ le porteur d’eau vive, par le Conseil pontifical de la culture et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Disponible sur vatican.va
La Résurrection de Lazare (1850), Eugène Delacroix (1798-1863), Bâle (Suisse), Kunstmuseum.
Le vestibule du sanctuaire de la Semaine sainte
C’est par cette belle expression que Paul VI, ouvrant la Semaine sainte 1978, commentait l’Évangile de la résurrection de Lazare.
Nous connaissons ce récit bouleversant où l’humanité du Christ transparaît à chaque verset. « Seigneur, celui que tu aimes est malade », lui annoncent Marthe et Marie (Jn 11, 3). Or Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare nous rapporte Jean (v. 5). Pourtant, Jésus ne se hâte pas, il s’en retourne en Judée puis dit à ses disciples : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil » (v. 11). Arrivé à Béthanie, Marthe puis Marie, sans lui en faire le reproche, lui disent toutes deux : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (v. 21.32). Jésus se mit à pleurer et repris par l’émotion, arriva au tombeau (v. 35.38). C’est alors que la résurrection advient : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller » (v. 43-44).
Le récit est donc celui de l’amitié du Christ pour Lazare et ses sœurs, de son émotion, de ses larmes. Mais c’est aussi, et surtout, le signe, le trop grand signe même puisqu’il conduit les grands prêtres à décider de sa mort, qu’il est bien le Messie. En ressuscitant son ami, en annonçant à Marthe :« Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (v. 25-26), Jésus précipite sa mise à mort. La résurrection de Lazare conduit à la mort du Christ. Abîme de l’amour. « Voilà la véritable nouveauté, qui surgit et franchit toutes les barrières ! Le Christ abat le mur de la mort, en Lui habite toute la plénitude de Dieu, qui est la vie, la vie éternelle. C’est pourquoi la mort n’a pas eu de pouvoir sur lui : et la résurrection de Lazare est le signe de sa domination totale sur la mort physique, qui devant Dieu est comme un sommeil », affirme Benoît XVI (Angélus, 10 avril 2011).
Le peintre-poète
Eugène Delacroix est sans doute l’un des plus grands artistes du xixe siècle. Capable de traiter tous les sujets dans les techniques les plus diverses, il excelle dans les grands formats historiques ou religieux, émerveille dans ses dessins rapides et vibrants. Charles Baudelaire l’avait élevé au rang des plus grands : « Quel est donc ce je ne sais quoi de mystérieux que Delacroix, pour la gloire de notre siècle, a mieux traduit qu’aucun autre ? C’est l’invisible, c’est l’impalpable, c’est le rêve, c’est les nerfs, c’est l’âme ; et il a fait cela, — observez-le bien, monsieur, — sans autres moyens que le contour et la couleur ; il l’a fait mieux que pas un ; il l’a fait avec la perfection d’un peintre consommé, avec la rigueur d’un littérateur subtil, avec l’éloquence d’un musicien passionné » (L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix).
La sensibilité romantique du poète trouvait dans le pinceau du peintre un étonnant écho. Baudelaire connaissait-il la Résurrection de Lazare de celui qu’il qualifiait de « peintre-poète » ? Il l’aurait assurément aimé.
C’est en 1850 que Delacroix l’exécute. Nous en connaissons un dessin préparatoire, conservé au musée du Louvre, qui prouve que le peintre s’est attaché à simplifier sa composition, à la débarrasser de tout élément superflu, abandonnant la foule nombreuse qui accompagnait le Christ dans cette première composition, pour se limiter à huit personnages. La scène se déroule dans un tombeau : le Christ est descendu, sans doute par la longue volée de marches qui crée une trouée lumineuse, à la droite de l’œuvre, pour s’approcher du tombeau de son ami Lazare. Il est accompagné de Marthe et de Marie, et d’un de ses disciples : ils forment au centre de l’œuvre le cercle de l’amitié et de la fraternité. Trois personnages masculins les accompagnent : le premier, de dos, au premier plan, soulève la lourde dalle du tombeau. Le second, qui l’a sans doute aidé, recueille le corps de Lazare : il le contemple avec étonnement et émerveillement, admirant la résurrection qui s’opère dans ses bras. Le troisième, derrière le Christ, approche sa tunique de son visage, sans doute pour se protéger de l’odeur nauséabonde.
Lazare s’éveille. La position de son corps, bras écartés, poings presque fermés, jambes pliées, et l’expression de son visage, yeux ouverts, attestent qu’il sort du sommeil de la mort. La composition est ordonnée par les jeux de répons chromatiques qui dessinent une diagonale : le blanc du linceul dans lequel Lazare avait été enseveli, celui de la tunique du Christ et les rouges, si fréquents chez Delacroix, de la tunique de l’homme qui tient Lazare et du manteau du Christ.
L’œil parcourt la toile en suivant le récit : c’est le dialogue entre le Christ et Lazare qui est le cœur de l’œuvre. En réduisant le nombre de personnages, en rythmant sa toile, tel un compositeur, par les gestes et les couleurs, Delacroix nous permet de pénétrer au plus profond de ce vestibule du sanctuaire de la Semaine sainte. Il faut descendre au tombeau pour ressusciter. S’abaisser pour être élevé. Quelle merveilleuse leçon spirituelle que la résurrection de Lazare !
Puissions-nous, en contemplant cette œuvre magistrale de Delacroix, écouter le Christ nous redire « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »
Baptistère de la cathédrale Saint-Sauveur, baptême dans l’Antiquité chrétienne et signification du baptême
Cette présentation du baptistère a un double objectif :
1 Présenter l’histoire du baptistère
2 Expliquer le déroulement et le sens de ce qui s’y passe
Vue générale du baptistère
Le baptistère est sans doute le mieux conservé en son état de Provence. Il date du V° siècle et suit un modèle très répandu.
A l’origine, les chrétiens étaient baptisés (par immersion) la nuit de Pâques, et rarement en d’autres occasion (la nuit de Noël en étant une). Ils l’étaient à l’âge adulte; et seul l’évêque pouvait baptiser. Il était donc essentiel d’avoir dans la cathédrale un espace dédié à cette cérémonie qui soit assez vaste.
A Aix, le baptistère reprend le plan de celui de Marseille, construit peu de temps avant, dans des proportions six fois moindres (le baptistère de Marseille étant le plus grand de la chrétienté). Les colonnes employées pour la construction proviennent d’une basilique civile du I° siècle. Comme la première cathédrale, le baptistère est construit à l’emplacement d’un Forum et utilise des éléments de remplois.
La décoration d’origine ne nous est pas connue, sinon par un fragment de mosaïque situé dans la niche sud-ouest.
Fragment de mosaïque. Ce petit fragment donne une idée de la décoration d’origine du sol. Il est situé dans la niche sud-ouest.
Le baptistère est très régulièrement restauré, et chaque chantier respecte son plan d’origine. Les principales restaurations sont:
Au XII° siècle, les murs sont rebâtis et couverts de fresques.
Fragments de fresques. Ces fresques ont été réalisées au XIIè siècle, lors de la construction des murs du baptistère. Une des scènes représente la vêture de sainte Claire.
Au XIV° siècle, une nouvelle cuve baptismale remplace l’ancienne au centre de l’édifice. Elle est aujourd’hui contre le mur sud.
Cuve baptismale antique
En 1577, la coupole est réédifiée dans le style Renaissance maniériste alors en vogue.
Vue de la coupole. Le plan de la coupole s’inspire de la chapelle d’Estienne de Saint-Jean, situé dans le coeur de la cathédrale.
Vue de la coupole reconstruite en 1579
Enfin, en 1996, après de nombreuses fouilles, le baptistère est rendu dans un état proche de l’origine.
Au XIX° siècle, les sept niches du baptistère sont ornées de sept tableaux d’artistes aixois représentant les sept sacrements.
Le baptême. Le tableau est situé au-dessus de la cuve baptismale du XIVè siècle. Oeuvre d’un disciple de Granet, Jean-Baptiste Martin (1847).
L’Eucharistie. Oeuvre de Joseph Richaud (1848)
La confirmation. Oeuvre de Joseph Gibert (1848)
Le sacrement de pénitence. Oeuvre de Léontine Tacussel (1848). Il a été placé dans la nef romane, puisque la niche qu’il occupait a fait l’objet de découverte archéologiques
Le sacrement du mariage. Oeuvre d’Alphonse Angelin (1846)
Le sacrement de l’ordre. Oeuvre de François Latil (1848) qui représente ce sacrement par l’institution de saint Pierre comme chef de l’Eglise.
Le baptistère fut construit dans les dernières années du Vè siècle, au moment où la basilique romaine qui se trouvait à l’emplacement de l’actuelle nef gothique devenait la seconde cathédrale d’Aix, sous l’épiscopat de Basilius, évêque entre 470 et 510 Ce Basilius dont l’épitaphe en latin se trouve dans la galerie occidentale du cloître , y est nommé « docteur » et fut certainement un évêque éminent.
Epitaphe en latin de l’évêque Basilius qui se trouve dans la partie occidentale du cloître
La construction du baptistère est liée au transfert du siège épiscopal (attesté en 408) de la 1ère église qui se trouvait sur le site de Notre-Dame de la Seds, sur le site actuel où se trouvait une basilique romaine du 1er siècle. Elle était flanquée au sud d’un grand portique qui dominait le forum.
Le baptistère fut édifié dans l’angle nord-ouest du forum au pied du podium.
La construction était rendue nécessaire par ce transfert puisque seul l’évêque, en tant que successeur des apôtres baptisait. Toute cathédrale était donc flanquée d’un baptistère, généralement à l’extérieur de l’édifice : un détail important : le baptême marque l’entrée dans l’Eglise du néophyte, le fait devenir membre à part entière de l’Eglise « corps du Christ ».
Le plan du baptistère suit celui du 1er baptistère construit en Occident (dès 312-313) : celui de la cathédrale de Rome, à l’origine dédiée au Christ Sauveur, ensuite à saint l’Evangéliste et à saint Jean Baptiste.
Le plan du sol est carré, en élévation c’est un cube, de 14 m de côté (celui de Marseille faisait 25 m, à peu près contemporain, daté entre 381 et 428 aujourd’hui disparu).
Au centre un stylobate carré sur lequel sont placés formant un cercle les 8 colonnes de portique de la basilique : 6 de cipolin (marbre vert, importé de l’île grecque d’Eubée, on voit les mêmes, plus grandes àSainte-Sophie de Constantinople), 2 de granit (importé d’Egypte : on trouve les mêmes sur le Forum de Trajan à Rome) : elles entourent la piscine octogonale revêtue de marbre (diamètre 1,4 m) et supportent un tambour octogonal surélevé, muni d’ouverture pour éclairer l’édifice.
Tambour probablement couvert par une charpente et non ue coupole, il en allait de même pour le déambulatoire…
Les chapiteaux corinthiens de marbre blanc (de Carrare) sont aussi des emplois, sauf ceux de granit qui sont des copies du VIè s.
Les archéologues ont découvert que ce plan fut modifié en cours de chantier par la construction dans les angles de niches semi-circulaires, voûtées en cul-de-four, donnant à l’édifice une forme octogonale : seules celles du sud y sont conservées.
Niches précédées d’un emmarchement de 25 cm, ornées de mosaïques représentant des feuilles d’acanthe : encore conservées angle sud-ouest.
Le déambulatoire dut recevoir la couverture voûtée à ce moment.
Reconstructions, restaurations
Au Xiè siècle, vers 1065-1075, le bâtiment fut entièrement reconstruit – au moment où l’évêque d’Ai affirme des prétentions métropolitaines – mais à l’identique : ceci explique que l’édifice actuel est très semblable à celui de l’Antiquité. Lors des travaux, le baptistère aurait été le 1er bâtiment à avoir été refait.
Suivit la reconstruction de la nef Sainte-Marie, dont 5 arcades dans les murs nord et sud, édifiées sur des assises antiques ; enfin la construction de la nef Saint-Maximin (romane II). Ou reconstruction…. Car les historiens évoquent l’hypothèse d’une église double, dès l’époque carolingienne… La basilique romaine étant sans doute une basilique à trois nefs, la nef gothique actuelle étant à l’emplacement de la nef centrale d’origine.
C’est à ce moment que les piliers du baptistère reçurent une coupole octogonale surmontée d’une lanterne.
Coupole : vue extérieure
Toit de la coupole
Nef Sainte Marie
Nef Saint-Maximin
Au XIIIè siècle : dans la niche S.-O. fresque du Christ Pantocrator, avec François d’Assise
Au XIVè siècle : la piscine baptismale est comblée et remplace par des fonds baptismaux, car, sauf exception, on ne baptise plus d’adultes, mais seulement des bébés
Au XVè siècle : ouverture des deux niches au nord
Au XVIè siècle, entre 1577 et 1583, une nouvelle coupole ortogonale est montée sur un double tambour : le tambour est ajouré de huit acouli, ainsi que les voûtains de la coupole. Une lanterne ajourée de huit oculi surmonte le tout. Travaux de Pierre Laurens et Arnoux Bonnaux
La structure de l’édifice ne subira plus ensuite aucune modification majeure
Au cours du XIXè siècle le sol du baptistère est revêtu d’un pavement de marbre blanc et noir qui dissimule les épitaphes, les tombes creusées ; entre 1846 et 1848, 7 tableaux représentant les 7 sacrements sont installés dans les niches où ils sont toujours. Celui représentant la Pénitence est dans la nef romane.
Au XXè siècle entre 1976 et 1884 :
Le baptistère a fait l’objet de fouilles minutieuses ;
La piscine antique est laissée ouverte, avec ses parois de brique, des restes de béton, et les adductions d’eau sont visibles ;
La colonnale de la coupole et le sol originel, les tableaux ont été restaurés
Déroulement et sens du baptême
Un baptême à la fin du XVIIIè siècle. Gravure d’époque. On y remarque la cuve médiévale installée au milieu du bâtiment au-dessus de la cuve antique.
Le baptistère dans une cathédrale est un élément essentiel : c’est là que tout commence pour le nouveau chrétien : 1er sacrement d’initiation, le baptême ouvre les portes de l’Eglise et le fait devenir à pat entière membre de l’Eglise, membre du Corps du Christ (cf. Jean 15).
Après généralement une longue préparation, le catéchumène était solennellement accueilli dans l’église cathédrale par l’évêque et tout le peuple rassemblé dans la Nuit de Pâques pour célébrer la Résurrection du Christ. Le baptême n’était donné en effet normalement que cette nuit-là et sous la présidence de l’évêque.
Le catéchumène se déshabille entièrement : « que personne ne descende dans la piscine avec un objet étranger sur lui ».
Un prêtre lui fait alors sur tout le corps une 1ère onction avec l’huile de l’exorcisme, puis un diacre descend avec l’accord du catéchumène dans la piscine baptismale après l’avoir interrogé 3 fois :
« Crois-tu en Dieu, le Père Tout-Puissant ? »
« Crois-tu en Jésus-Christ, le Fils de Dieu ? »
« Crois-tu au Saint-Esprit, en la Sainte Eglise, et pour le Résurrection de la Chair ? »
Le néophyte reçoit la 2ème onction, d’huile sainte, se rhabille et rentre dans l’église
L’Evêque lui impose la main et lui fait une 3ème onction d’huile sainte sur la tête. Puis après une prière, il lui donne le baiser de paix qui déclenche le baiser de paix dans l’assemblée.
Ensuite les diacres présentent le pain et le vin à l’évêque, c’est l’offertoire, le début de l’Eucharistie, la 1ère du néophyte.
Catéchèse II : Du baptême (extrait) Cyrille de Jérusalem
Avec lecture de l’Epitre aux Romains de : « Ignorez-vous que tous, tant que nous sommes, baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés dans sa mort ? » – jusqu’à : « Vous n’êtes plus en effet sous la loi, mais sous la grâce » (Rm 6, 3-14)
Sitôt entrés, vous avez ôté votre tunique ; c’était l’image de votre dépouillement du vieil homme et de ses actions. Vous vous êtes alors trouvés nus, imitant encore par là la nudité du Christ sur la croix ; c’est par cette nudité qu’il a dépouillé les principautés et les puissances et qu’il a ouvertement triomphé d’elles du haut de ce bois. Puisque les puissances adverses s’étaient installées dans vos membres, il ne vous est plus permis de porter cette vieille tunique, homme corrompu par les convoitises trompeuses. Que l’âme qui l’a une fois dépouillée ne s’en revête jamais plus, mais qu’elle dise avec l’épouse du Christ dans le Cantique des cantiques : J’ai ôté ma tunique, comment la remettrai-je ?
[…]
Ainsi dépouillés vous avez été frottés d’huile consacrée, depuis le haut des cheveux jusqu’au bas du corps, et vous êtes entrés en communion avec l’olivier franc qui est Jésus-Christ. Détachés du sauvageon vous avez été entés sur l’olivier franc et vous avez eu part à la sève du Christ : elle chasse toutes les traces de la puissance adverse. De même, en effet, que le souffle des saints et l’invocation du nom de Dieu, à la manière d’une flamme violente brûlent et mettent en fuite les démons, de même cette huile consacrée reçoit par l’invocation de Dieu et par la prière, le pouvoir, non seulement de cautériser les traces de péché mais encore de faire fuir toutes les puissances invisibles du malin.
On vous a menés ensuite à la sainte piscine du divin baptême comme on a jadis porté le Christ, de la croix au sépulcre voisin. Et on a demandé à chacun de vous s’il croyait au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Vous avez fait alors la confession salutaire, puis vous vous êtes plongés trois fois dans l’eau et vous en êtes ressortis : c’était un symbole des trois jours que le Christ a passés dans le tombeau.
De même en effet que notre Sauveur est resté trois jours et trois nuits dans le sein de la terre, de même vous aussi, en sortant pour la première fois, vous avez représenté le premier jour que le Christ a passé en terre et en vous replongeant dans l’eau, la nuit qui l’a suivi. De même que celui qui est dans la nuit ne voit plus, tandis que celui qui est dans le jour vit en pleine lumière, de même pendant votre immersion, comme dans la nuit, vous ne voyiez rien, mais à votre sortie de l’eau, vous vous trouviez comme en plein jour.
LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS
01 Que dire alors ? Allons-nous demeurer dans le péché pour que la grâce se multiplie ?
02 Pas du tout. Puisque nous sommes morts au péché, comment pourrions-nous vivre encore dans le péché ?
03 Ne le savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême.
04 Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts.
05 Car, si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne.
06 Nous le savons : l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui pour que le corps du péché soit réduit à rien, et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché.
07 Car celui qui est mort est affranchi du péché.
08 Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX COLOSSIENS
12 Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts.
13 Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes.
14 Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix.
La liturgie orthodoxe exprime avec précision la symbolique de l’eau du baptême : « Sous les eaux on meurt, on descend aux enfers, et l’on ressuscite avec le Christ, on accède en Lui à la vie trinitaire »
C’est cela qu’il essentiel de comprendre ici, au dessus de la piscine baptismale antique :
Que la piscine est comme une tombe dans laquelle on descend,
Que la triple immersion symbolise les trois jours où le Christ est resté au tombeau,
Et qu’en sortant de l’eau la troisième fois, le néophyte « se trouve comme en plein jour », ressuscité avec le Christ, vivant d’une vie nouvelle. Le baptême est vu comme une nouvelle naissance.
Inversement, le baptistère est éclairé le jour par trois rangées de fenêtres symbolisant la trinité qui, du ciel, donne la vie et la lumière. Du moins à partir du XVIè siècle, mais peut-être aussi dès le XIè.
Précisons que le catéchumène entrait dans la piscine par l’ouest, en sortait par l’est.
Aujourd’hui on a perdu ce sens on se contentant de verser quelques gouttes d’eau très symboliques sur le front, au lieu du plongeon dans l’eau ! Puisqu’en effet « baptizen » veut dire « plonger », en l’occurrence « plonger dans la mort ».
Fresque du plongeur, peinte sur une tombe à Paestrum
La symbolique du nombre huit
Vue des huit chapiteaux. Le chiffre huit est symbolique dans la religion chrétienne. Il représente la vie nouvelle que le Christ apporte dans le baptême
Le chiffre huit, dans la Bible, est le chiffre de la nouvelle Création : la première Création a été faite par Dieu en sept jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l’humanité vivra selon la Loi de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour puisque c’est la même chose !
——————— Note 1 – En hébreu, le mot traduit ici par « enseigner » est de la même racine que le mot « Loi » 2 – Voici d’autres éléments de la symbolique du chiffre huit : – il y avait quatre couples humains (8 personnes) dans l’Arche de Noé – la Résurrection du Christ s’est produite le dimanche qui était à la fois le premier et le huitième jour de la semaine C’est pour cette raison que les baptistères des premiers siècles étaient souvent octogonaux ; encore aujourd’hui nous rencontrons de nombreux clochers octogonaux.
Complément – Voici les huit mots du vocabulaire de la Loi ; ils sont considérés comme synonymes : commandements, Loi, Promesse, Parole, Jugements, Décrets, Préceptes, Témoignages. Ils disent les facettes de l’amour de Dieu qui se donne dans sa Loi « commandements » : ordonner, commander « Loi » : vient d’une racine qui ne veut pas dire « prescrire », mais « enseigner » : elle enseigne la voie pour aller à Dieu. C’est une pédagogie, un accompagnement que Dieu nous propose, c’est un cadeau. « Parole » : la Parole de Dieu est toujours créatrice, parole d’amour : « Il dit et cela fut » (Genèse 1). Nous savons bien que « je t’aime » est une parole créatrice ! « Promesse » : La Parole de Dieu est toujours promesse, fidélité « Juger » : traiter avec justice « Décrets » : du verbe « graver » : les paroles gravées dans la pierre (Tables de la Loi) « Préceptes » : ce que tu nous as confié « Témoignages » : de la fidélité de Dieu.
Clément d’Alexandrie (Stromates, fin IIè s.) : « Le Christ place celui qu’il fait renaître sous le nombre huit »
Le premier jour de la semaine dans notre calendrier n’est pas le lundi, mais le dimanche ! En effet Dieu a créé le monde en 7 jours, que le septième est le jour du repos, le shabbat, notre samedi. Le dimanche est bien le 1er jour de la semaine biblique, et chrétienne, qu’il ne faut pas confondre avec le 1er jour ouvré du monde du travail.
Il faut se rappeler que ce n’est qu’assez lentement que les chrétiens ont adopté le 1er jour de la semaine, le dimanche, de préférence au shabbat, pour se réunir et célébrer la Résurrection du Christ (cf. le début des Prières eucharistiques I, II & III, au propre des dimanches : « Nous qui sommes rassemblés devant Toi en ce premier jour de la semaine… »
La Prière de « Confiance en Dieu » de Saint Claude la Colombière :
« Mon Dieu, je suis si persuadé que tu veilles sur ceux qui espèrent en toi, et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de toi toutes choses, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur toi de toutes mes inquiétudes : « Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul, dans la confiance » (Ps. 4, 9). Les hommes peuvent me dépouiller et des biens et de l’honneur, les maladies peuvent m’ôter les forces et les moyens de te servir, je puis même perdre ta grâce par le péché; mais jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie, et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher : « Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors ». Certains peuvent attendre leur bonheur de leurs richesses ou de leurs talents, d’autres s’appuyer sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières. Pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même ; cette confiance ne trompa jamais personne. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de toi, ô mon Dieu, que je l’espère. Amen.»
« Jésus, Vous êtes le seul et véritable Ami »
« Jésus, Vous êtes le seul et véritable Ami. Vous prenez part à tous mes maux, Vous Vous en chargez, Vous savez le secret de me les tourner en bien, Vous m’écoutez avec bonté, lorsque je Vous raconte mes afflictions, et Vous ne manquez jamais de les adoucir. Je Vous trouve toujours et en tout lieu ; Vous ne Vous éloignez jamais ; et si je suis obligé de changer de demeure, je ne laisse pas de Vous trouver où je vais. Vous ne Vous ennuyez jamais de m’entendre ; Vous ne Vous lassez jamais de me faire du bien. Je suis assuré d’être aimé, si je Vous aime. Vous n’avez que faire de mes biens, et Vous ne Vous appauvrissez point en me communiquant les Vôtres. Quelque misérable que je sois, un plus noble, un plus bel esprit, un plus saint même ne m’enlèvera point Votre amitié ; et la mort qui nous arrache à tous les autres amis, me doit réunir avec Vous. Toutes les disgrâces de l’âge ou de la fortune ne peuvent Vous détacher de moi ; au contraire, je ne jouis jamais de Vous plus pleinement, Vous ne serez jamais plus proche que lorsque tout me sera le plus contraire. Vous souffrez mes défauts avec une patience admirable ; mes infidélités mêmes, mes ingratitudes ne Vous blessent point tellement que Vous ne soyez toujours prêt à revenir, si je veux. »
Saint Claude La Colombière
Jésuite, confesseur de sainte Marguerite-Marie (+ 1682)
Né près de Lyon dans une famille bourgeoise, Claude entre à 17 ans dans la Compagnie de Jésus, les Jésuites. Dès sa profession solennelle en 1674, il est affecté au petit collège de Paray-le-Monial où il devient le confesseur du couvent de la Visitation. Il a 34 ans. La supérieure des Visitandines avait alors fort à faire avec une timide religieuse, Marguerite-Marie, qui croyait avoir reçu les confidences du Cœur de Jésus. Elle la confie au père de la Colombière. Le prêtre et la moniale se comprennent tout de suite: « Je t’enverrai mon fidèle serviteur et parfait ami », avait dit Jésus à Marguerite-Marie. C’est ainsi que le jeune jésuite devient l’instrument par lequel le Christ va diffuser dans l’Église le culte de son Cœur transpercé, révélé à sainte Marguerite-Marie. Nommé en 1675 prédicateur de la duchesse d’York, il passe deux ans en Angleterre d’où il est banni à cause de calomnies. Accablé par la tuberculose, il retourne à Paray-le-Monial. Marguerite-Marie l’a prévenu: « Notre-Seigneur m’a dit qu’il voulait le sacrifice de votre vie en ce pays. » C’est là qu’il meurt à 41 ans. Ses écrits expriment une belle harmonie entre la spiritualité de saint Ignace de Loyola et celle de saint François de Sales.
Comment les commentateurs musulmans du Coran voient-ils Marie ?
Analyse
À l’occasion d’un colloque organisé samedi 11 février à l’Institut catholique de Paris (ICP), des chercheurs ont réfléchi à la figure de Marie chez les penseurs contemporains, entre christianisme et islam. Chez les commentateurs musulmans du Coran, Marie est décrite comme un personnage hors du commun, au point de la couper de sa réalité historique, analyse le sociologue Omero Marongiu-Perria.
Quel visage de Marie se dessine dans les écrits des commentateurs musulmans du Coran des XXe et XXIe siècles ?
C’est la question que développe le sociologue Omero Marongiu-Perria lors du colloque « Marie chez les penseurs et écrivains contemporains », organisé à l’Institut catholique de Paris (ICP), samedi 11 février, par l’Institut de science et de théologie des religions (ISTR) et le mouvement Ensemble avec Marie.
Si Marie est centrale dans le christianisme, elle apparaît aussi dans le Coran à 34 reprises. Elle y est dotée d’attributs importants : « O Marie ! lui dit l’ange, Dieu t’a choisie, en vérité ; il t’a purifiée ; il t’a préférée à toutes les femmes de l’univers » (Sourate 3,42). Sa figure n’a pas manqué de faire l’objet de réflexions parmi les commentateurs du livre saint de l’islam, jusqu’à aujourd’hui.
En analysant cinq ouvrages de commentateurs musulmans, Omero Marongiu-Perria voit apparaître une Marie « universelle » mais « désincarnée », au point d’être coupée « de sa réalité historique » et de sa lignée biblique.
Chez Maurice Gloton (1926-2017), traducteur du Coran et auteur de Jésus fils de Marie dans le Qur’an et selon l’enseignement d’Ibn Arabi, Jésus a ainsi une place particulière : il est à la fois humain et « verbe de Dieu projeté en Marie », développe Omero Marongio-Perria. La mère de Jésus revêt donc elle aussi un statut à part : « Dieu la bénit, la purifie et la choisit parmi l’ensemble des femmes du monde. » Ainsi, chrétiens et musulmans se rejoignent sur la virginité de Marie, symbole de pureté. « Le Coran rappelle la conception pure du Christ sans l’intervention d’une paternité, en confirmant la pureté originelle de Marie », rappelle Omero Marongio-Perria.
« Réceptacle du verbe de Dieu »
Une idée proche est développée dans le livre de Charles-André Gilis, Marie en Islam, où Marie, « réceptacle du verbe de Dieu », serait par excellence « la figure universelle qui reflète le divin dans le monde. »
Marie dans l’islam
Cependant, pour mettre en valeur sa dimension hors du commun, les commentateurs musulmans vont laisser de côté la réalité historique du personnage, observe Omero Marongiu-Perria. « Les données historiques ne sont pas exploitées sur le plan théologique », remarque-t-il. À l’inverse, les auteurs mettent l’accent sur des détails surnaturels, comme pour prouver le caractère exceptionnel de Marie.
Un épisode est particulièrement éloquent : dans le Coran, Zacharie, époux d’Élisabeth, rend visite quotidiennement à Marie qui grandit dans le Temple. Lors de ses passages, il remarque que de la nourriture a été systématiquement déposée auprès d’elle. Quand il lui demande d’où cela vient, celle-ci lui répond que Dieu subvient aux besoins de ses serviteurs. « Les commentateurs y ont vu un miracle et insistent sur le fait que la nourriture est descendue du Ciel », analyse Omero Marongio-Perria. Pourtant, pour lui, cet épisode dit surtout, symboliquement, « la relation que Marie entretient avec Dieu dans son intimité. »
Descendante d’une lignée de femmes
Dans ces écrits, le chercheur remarque aussi que la mère de Jésus est détachée de toute une lignée de personnages de femmes bibliques qui pourtant, comme elles, ont eu un enfant dans un contexte particulier. Ainsi de Sarah, également présente dans le Coran, qui pensait être stérile, et a eu un enfant après la visite de l’ange.
« Les commentateurs ont du mal à concilier le fait que des personnages qui entretiennent un lien privilégié avec Dieu vivent aussi une banale histoire humaine », analyse le chercheur. Face à ce constat, Omero Marongiu-Perria propose d’investir l’historicité des figures du Coran comme fil conducteur pour lire le texte. Et d’interroger : « Pourquoi toujours chercher le miracle et le surnaturel dans la relation à Dieu ? »
La Bible compte un grand nombre de chiffres, mais tous ne sont pas à prendre « au premier degré ». Au-delà du sens quantitatif que nous sommes habitués à leur prêter, les chiffres bibliques revêtent souvent un sens symbolique, et parfois un sens gématrique. La connaissance de ces subtilités mathématiques est précieuse pour éclairer et comprendre la Parole de Dieu.
Pour nous, hommes modernes, les chiffres sont utilisés dans un but bien précis : désigner une quantité. En revanche, en Orient, à l’époque antique, ils revêtaient, en plus du sens quantitatif, un sens symbolique et un sens gématrique. Dans la Bible, les chiffres endossent donc ces trois réalités distinctes. C’est pourquoi Jérôme Martineau, bibliste canadien, ancien directeur de la revue Notre-Dame du Cap, désormais directeur d’une communauté de l’Arche au Québec, invite tout lecteur de la Bible qui rencontre un nombre à se demander : ce nombre indique-t-il une quantité ou renferme-t-il un message ? Pour nous aider à y voir plus clair, il revient sur la symbolique des chiffres, dans un article paru sur le site Interbible.org.
Le sens symbolique
LE CHIFFRE 1
Symbolise Dieu, l’unique. Il exprime l’exclusivité, la primauté, l’excellence. Ainsi Jésus dit : « Le Père et moi, nous sommes UN » (Jn 10, 30). De même, saint Paul déclare : « Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu » (Eph 4, 5). Le chiffre 1 symbolise l’environnement divin.
LE CHIFFRE 2
Représente l’homme, en qui il existe une dualité, une division intérieure, conséquence du péché originel. Ce sens permet de résoudre certaines énigmes contenues dans l’Évangile. Par exemple, à Jéricho, selon Saint Marc (10, 46), un seul aveugle, nommé Bartimée, est guéri, alors que dans la même scène, racontée selon saint Matthieu (20, 30), il y avait deux aveugles ! Qui dit la vérité ? Tous les deux : Marc nous livre la version historique des faits, tandis que Matthieu recourt au chiffre symbolique.
LE CHIFFRE 3
Exprime une totalité, en rapport avec les trois dimensions du temps : passé, présent, futur. Dans la Bible, dire trois équivaut à dire « la totalité » ou « toujours ». Ainsi, les trois fils de Noé représentent la totalité de ses descendants. Les trois reniements de Pierre symbolisent toutes les fois où Pierre a été infidèle à son Maître. Les trois tentations que Jésus subit de la part du diable, représentent l’ensemble des tentations auxquelles il dut faire face au cours de son existence terrestre. Et quand l’Ancien Testament appelle Dieu le trois fois saint, c’est pour signifier qu’il possède la plénitude de la sainteté.
LE CHIFFRE 4
Symbolise le cosmos, le monde, en lien avec les quatre points cardinaux. Aussi, quand Ezéchiel demande à l’Esprit de venir des quatre vents pour souffler sur les ossements desséchés, cela ne signifie pas qu’il n’existe que quatre vents, mais qu’il est fait appel à tous les vents du monde entier. De même, lorsque l’auteur de l’Apocalypse parle du trône de Dieu, entouré de quatre vivants, il veut dire que la Terre toute entière est son trône.
LE CHIFFRE 5
Signifie « quelques-uns », une quantité indéterminée. Ainsi, Jésus, lors de la multiplication des pains, prend cinq pains ; sur le marché, cinq moineaux se vendent deux sous ; Élizabeth, la mère de Jean-Baptiste, après avoir conçu, se tient cachée dans sa maison durant cinq mois. Plusieurs fois, dans ses paraboles, Jésus emploie le chiffre 5 en lui donnant ce sens indéterminé : les cinq vierges sages et les cinq vierges imprévoyantes, les cinq talents, les cinq paires de bœufs achetés par des invités au banquet…
LE CHIFFRE 7
Représente la perfection. Jésus dira à Pierre qu’il doit pardonner à son frère jusqu’à 70 fois. Le 7 apparaît souvent en relation avec les choses de Dieu. L’auteur de l’Apocalypse est celui qui y recourt le plus fréquemment (54 fois), pour décrire symboliquement des réalités divines : les sept Églises d’Asie, les sept esprits autour du trône de Dieu, les sept trompettes, les sept candélabres, les sept cornes et les sept yeux de l’agneau, les sept tonnerres, les sept plaies, les sept coupes déversées.
Le 7 peut aussi désigner la perfection dans le mal, comme c’est le cas lorsque Jésus enseigne que, si un esprit immonde sort d’un homme, il peut revenir avec sept autres esprits plus mauvais, ou quand l’Évangile nous apprend que le Seigneur a délivré Marie-Madeleine de sept démons. La Tradition chrétienne est restée fidèle à ce symbolisme, en fixant à 7 le nombre de sacrements et des dons du Saint Esprit.
LE NOMBRE 12
Exprime l’élection. Ainsi parle-t-on des 12 tribus d’Israël, alors que l’Ancien Testament en signale plus de 12 ! Mais cela signifie que ces tribus sont élues. Les 12 apôtres de Jésus, qu’il nomme Les Douze, sont les élus du Seigneur. L’Apocalypse parle des 12 étoiles qui couronnent la Femme, des 12 portes de la Jérusalem céleste, des 12 anges et des 12 fruits de l’arbre de Vie.
LE NOMBRE 40
Représente le remplacement d’une période par une autre, ou bien la durée d’une génération. Ainsi le Déluge se prolonge pendant 40 jours et 40 nuits, le temps du passage à une humanité nouvelle. Les Israélites séjournent 40 ans dans le désert, le temps nécessaire pour que la génération infidèle soit remplacée par une autre. Moïse reste 40 jours sur le mont Sinaï, Elie marche 40 jours. Jésus jeûne 40 jours pour marquer son passage de la vie privée à la vie publique.
Le sens gématrique
En plus du sens quantitatif et symbolique, le troisième sens qu’un nombre peut avoir dans la Bible est le sens gématrique. Particularité des langues hébraïque et grecque, la gématrie est une forme d’exégèse qui associe un chiffre à une lettre. Ainsi, un mot peut désigner également un nombre lorsqu’on additionne les « lettres-chiffres ».
Le jeu biblique de gématrie le plus célèbre, selon Jérôme Martineau, est celui que l’on trouve dans l’Apocalypse, concernant le chiffre 666, désignant la Bête. L’auteur affirme qu’il s’agit là d’un « chiffre d’homme ». Est donc née l’hypothèse que celui qui se cacherait derrière ce chiffre serait l’empereur Néron. En effet, la valeur numérique de son nom, si on lui adjoint son titre de « César », est 666 : QSAR NERON = 100 + 60 + 200 + 50 + 200 + 6 + 50 = 666.
Autre exemple, dans la Genèse : l’invasion de la Palestine par quatre armées puissantes, qui firent prisonnier, Lot, neveu d’Abraham. Quand ce dernier en fut informé, il rassembla 318 hommes, se mit à la poursuite des ravisseurs et parvint à libérer Lot. Comment imaginer qu’Abraham, ne disposant que de 318 hommes, ait pu vaincre les quatre puissantes armées de Mésopotamie ? Ce nombre, 318, explique le bibliste, a une signification spéciale. Nous savons qu’Abraham avait un serviteur nommé Eliézer, qu’il avait désigné comme héritier de tous ses biens. Si nous prenons les nombres qui correspondent aux lettres hébraïques de ce nom, on obtient : e=1 + l=30 + i=10 + e=70 + z=7 + r=200 = 318. Ce qui voudrait dire qu’Abraham partit combattre avec tous ses héritiers, et que ces héritiers triompheront toujours de leurs ennemis.
Source Aletia
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La symbolique des chiffres dans la Bible
Quelle est la place accordée aux chiffres dans la Bible ?
Les chiffres jouent un rôle important dans la Bible. Leur utilisation est à replacer dans le contexte plus large de l’ancien Orient, qui aimait la symbolique des nombres. En Mésopotamie, où les mathématiques étaient relativement développées, rappellent les auteurs du Vocabulaire de théologie biblique (Éd. du Cerf), on attribuait aux dieux certains nombres sacrés. Selon les spéculations pythagoriciennes, 1 et 2 étaient masculins, 3 et 4 féminins, 7 virginal, etc.
Influencée par les civilisations dans lesquelles elle a été composée, la Bible elle-même confère à certains chiffres des emplois symboliques et conventionnels. Pour autant, à aucun, elle n’accorde un caractère sacré. « Dans les littératures ésotériques, on se sert des chiffres pour en faire une lecture magique, prévient le P. François Brossier, exégète, professeur honoraire de l’Institut catholique de Paris. Dans la Bible, ils ont d’abord pour fonction de donner du sens. Il faut absolument se demander quelles ont été les intentions des auteurs lorsqu’ils les ont employés. »
Connaît-on la portée symbolique de tous les chiffres ?
Il s’agit avant tout de ne pas procéder à des extrapolations hâtives. Le sens premier des chiffres dans la Bible est tout simplement de mesurer des quantités. « Quand nous lisons que quatre hommes amenèrent le paralytique étendu sur une civière, il est évident que le chiffre 4 traduit une réalité : la civière avec quatre poignées était le moyen le plus simple pour le transporter », indique par exemple le bibliste canadien Jérôme Martineau, rédacteur en chef de la revue Notre-Dame du Cap, dans un article paru sur le site Interbible.org.
Cela dit, le sens symbolique de certains chiffres dans la Bible s’est également peu à peu imposé. Ainsi Jésus choisit douze apôtres parce que le peuple d’Israël à l’origine était composé de douze tribus, chiffre lui-même symbolique : il indique par ce chiffre le nouveau peuple de Dieu.
Cette signification symbolique est renforcée par l’utilisation des multiples. Lorsque Jésus indique à Pierre qu’il doit pardonner « non pas jusqu’à 7 fois, mais 77 fois » (Mt 18, 21-22), il indique par là la perfection de l’amour évangélique qui n’a pas de borne. De même, le nombre des disciples attendant la Pentecôte est de 120 (Actes 1,15), soit 10 fois 12, symbole de ce nouveau peuple de Dieu qui commence à naître. L’Apocalypse annonce qu’au jour de la manifestation du Seigneur, 144 000 personnes seront marquées du sceau du Dieu vivant, 12 000 de chaque tribu d’Israël, soit la multitude (Ap 7).
Les auteurs du Nouveau Testament ont tout naturellement puisé dans la symbolique de l’Ancien Testament, bien connue de leurs lecteurs, pour mettre en lumière le mystère du Christ. Lorsque Jésus désigne 72 disciples pour évangéliser les villes et localités (cf. Lc 10,1), l’évangéliste fait allusion dans la Genèse (Gn 10) à la somme totale des peuples et nations répartis sur la terre. Manière de signifier que Jésus leur confie le soin de faire parvenir l’Évangile à toutes les nations du monde.
Dans l’évangile selon saint Marc figurent deux récits de multiplication des pains. À la fin du premier (Mc 6, 30-44), il reste douze corbeilles pleines, le nombre des douze tribus. Cette multiplication est faite pour Israël, elle est l’accomplissement des promesses faites par Dieu à son peuple au désert. Il envoie un Messie pour rassasier son peuple, et pour qu’il se rassemble autour de son Seigneur. Dans le deuxième récit (Mc 8, 1-10), il reste sept corbeilles, ce nombre évoquant la complétude selon Dieu (voir infographie) : Jésus est ému par ces foules qui le suivent, quatre mille hommes, c’est-à-dire des quatre points de l’horizon, les nations rassemblées, bien au-delà du peuple d’Israël. Ainsi ces deux multiplications des pains que nous rapporte saint Marc ont été voulues pour montrer qu’il vient rassembler les tribus d’Israël mais aussi pour toutes les nations.
Pour d’autres chiffres, en revanche, la clé d’interprétation nous échappe aujourd’hui. Ainsi des âges fabuleux attribués aux patriarches d’Israël, tel Mathusalem qui serait mort à 969 ans, Noé à 950 ans ou Lamech à 777 ans… évocation, peut-être, de la bonté de la Création, qui s’altère (les chiffres diminuent) jusqu’au déluge. Intrigue tout autant le nombre de 153 poissons de la pêche miraculeuse (Jean 21,11), qui a donné lieu à de multiples hypothèses, certaines extravagantes pour un esprit moderne.
Quelle valeur le judaïsme accorde-t-il aux chiffres ?
Chaque lettre de l’alphabet hébreu revêt une valeur numérique : de 1 pour « aleph », la première lettre, à 400 pour « tav », la dernière lettre. Ce qui signifie que l’on peut attribuer une valeur numérique à chaque mot en additionnant la somme de ses lettres. Procédé courant dans la lecture biblique : « Ce type de combinaisons permet de créer du lien et du sens entre des versets qui n’avaient a priori qu’un très lointain rapport entre eux », explique Hervé Landau, directeur de la collection « Lectures du judaïsme » aux Presses Universitaires de France. « Les valeurs numériques deviennent alors des révélateurs de sens seconds, cachés, appels à interprétation supplémentaire, à des regards neufs et innovants. »
Il existe des méthodes de construction et d’interprétation variées, livrées pour partie par les textes, pour partie par tradition orale, qui entrent toutes dans ce que l’on appelle la guématrie. Un exemple biblique classique se situe dans le livre de la Genèse où le nombre 318 (Gn 14, 14) renverrait à la personne d’Eliezer, serviteur désigné héritier d’Abraham (Gn 15,2) dont la valeur numérique est de 318… L’école juive de la Kabbale utilise massivement ce procédé.
Un certain nombre de chiffres du Nouveau Testament s’expliquent sans doute par ce procédé. Le jeu biblique de guématrie le plus célèbre, selon le bibliste Jérôme Martineau, est celui que l’on trouve dans l’Apocalypse concernant le chiffre 666, qui est censé désigner la Bête. L’auteur affirme qu’il s’agit là d’un « chiffre d’homme ». Or, si l’on transcrit le nom de l’empereur Néron, on obtient justement la valeur de 666…
On a aussi proposé de voir dans les 3 fois 14 générations qui composent la généalogie de Jésus, dans l’Évangile selon saint Matthieu qui s’adressait particulièrement à des communautés judéo-chrétiennes, une guématrie du nom de David (DVD = 4 + 6 + 4). Comme on espérait que le Messie serait un descendant de David, l’évangéliste désigne ainsi Jésus comme « triple David », véritable descendant du roi prophète. Mais c’est également un multiple du chiffre 7, le chiffre de Dieu.
L’Épiphanie d’après la Légende dorée de Jacques de Vorogine
L’Épiphanie se célèbre en souvenir d’un quadruple miracle. C’est en effet ce jour-là que les mages ont adoré le Christ, que saint Jean a baptisé le Christ, que le Christ a changé l’eau en vin, et qu’il a rassasié cinq mille hommes avec cinq pains. Et cette fête porte quatre noms : 1o elle s’appelle Épiphanie, en souvenir de l’étoile que les mages aperçurent au-dessus d’eux ; 2o elle s’appelle Théophanie, parce que, le jour du baptême du Christ, la Trinité divine apparut tout entière, le Père dans la voix, le Fils dans la chair, le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ; 3o elle s’appelle Béthanie (de Beth, maison), parce qu’aux noces de Cana Jésus montra sa divinité dans une maison ; 4o enfin elle s’appelle Phagiphanie, en souvenir du jour où le Christ a nourri cinq mille hommes avec cinq pains. Mais nous devons ajouter que l’on doute que ce quatrième miracle se soit accompli ce jour-là : car saint Jean nous dit que « le temps de la Pâque approchait ».
Au reste, le premier de ces quatre miracles est celui que l’Église célèbre tout particulièrement ; de telle sorte que nous n’aurons à nous occuper ici que de lui. Donc, treize jours après la naissance du Christ, trois mages vinrent à Jérusalem. Leurs noms étaient, en grec, Appellius, Amérius, et Damascus ; en hébreu, Galgalat, Malgalath et Sarathin ; en latin, Gaspard, Balthasar, et Melchior. Ces trois mages étaient des sages, et en même temps des rois ; car le mot mage, qui signifie imposteur et sorcier, a aussi le sens de « homme très savant ».
On peut se demander pourquoi ces mages vinrent à Jérusalem, puisque ce n’était point là que le Christ était né. Remi en donne quatre raisons : 1o les mages ignoraient le lieu exact de la naissance du Christ, et sont venus à Jérusalem parce qu’ils supposaient qu’un enfant aussi merveilleux ne pouvait être né que dans la capitale du royaume ; 2o ils sont venus à Jérusalem pour consulter les savants et les scribes de la ville sur le lieu de naissance du Sauveur ; 3o ils sont venus à Jérusalem pour ôter aux Juifs l’excuse de pouvoir dire qu’ils ignoraient le temps de la naissance du Messie ; 4o enfin ils sont venus à Jérusalem pour condamner, par le spectacle de leur zèle, l’indifférence et la mollesse des Juifs.
Saint Jean Chrysostome nous donne une autre explication de la venue des mages à Jérusalem. C’étaient, suivant lui, des astrologues qui, de père en fils, passaient trois jours par mois sur une haute montagne, dans l’attente de l’étoile qu’avait prédite Balaam. Or, dans la nuit de la naissance du Christ, une étoile leur apparut qui avait la forme d’un merveilleux enfant, avec une croix de feu sur la tête ; et elle leur dit : « Allez vite dans la terre de Juda, vous y trouverez un enfant nouveau-né qui est le roi que vous attendez ! »
On peut se demander ensuite comment douze jours ont pu leur suffire pour faire un si long trajet, depuis les confins de l’Orient jusqu’à Jérusalem, que l’on dit située au centre du monde. Suivant Remi, c’est l’Enfant divin lui-même qui les a conduits. Ou encore, suivant d’autres, la rapidité de leur course tient à ce qu’ils étaient montés sur des dromadaires, animaux très rapides, qui font plus de chemin en un jour que les chevaux en trois.
Arrivés à Jérusalem, ils ne demandèrent pas si le roi des Juifs était né, car ils le savaient déjà par l’étoile. Ils demandèrent où était né le roi des Juifs. Ce qu’entendant, Hérode se troubla fort, et la ville entière avec lui. Hérode en fut troublé pour trois raisons : 1o il craignait que les Juifs ne prissent pour maître ce roi nouveau-né ; 2o il craignait d’être mis en accusation par les Romains, s’il permettait à un homme non proclamé roi par Auguste de revêtir le titre de roi ; 3o comme le dit saint Grégoire, un roi terrestre ne pouvait manquer de se sentir troublé, se voyant en présence du roi des Cieux. Et quant au trouble des Juifs, il s’expliquait également par trois raisons, d’après Chrysostome : 1o par l’impossibilité où sont les impies de se réjouir de l’avènement du juste ; 2o par l’adulation de ces Juifs pour Hérode, dont ils voyaient le trouble ; 3o par l’incertitude où ils étaient de leur sort devant la perspective d’une révolution.
Hérode, ayant convoqué tous les prêtres et scribes, leur demanda où était né le Christ. Et quand il apprit que c’était à Bethléem, il le dit aux mages, en leur demandant de venir lui rendre compte de ce qu’ils auraient vu ; lui-même, prétendait-il, irait alors adorer l’enfant nouveau-né : mais en réalité il ne songeait qu’à le faire périr.
Autre particularité : l’étoile cessa de guider les mages dès qu’ils furent entrés à Jérusalem, sans doute pour forcer les mages à s’enquérir du lieu de la nativité du Christ, et ainsi à fournir devant tous le témoignage du miracle. Quant à la nature même de cette étoile, les uns disent que c’était l’Esprit-Saint qui avait pris cette forme pour guider les mages, d’autres que c’était un ange ; d’autres enfin, dont nous partageons l’avis, supposent que cette étoile était un astre nouvellement créé, qui, ayant rempli sa mission, sera rentré dans le sein de la matière universelle. D’après Fulgence, cette étoile différait de toutes les autres en trois choses : 1o elle n’était pas localisée dans le firmament, mais pendait dans les airs, près de la terre ; 2o elle était si brillante qu’on la voyait même en plein jour, éclipsant la lumière du soleil ; 3o elle marchait en avant des mages, comme une personne vivante, au lieu de suivre le mouvement circulaire des autres étoiles.
Entrés dans la crèche, et y ayant trouvé l’enfant avec sa mère, les mages se mirent à genoux, et offrirent, en présent, de l’or, de l’encens, et de la myrrhe. Le choix de ces présents et leur don s’expliquent par plusieurs motifs : 1o c’était l’usage, chez les anciens, de ne jamais approcher d’un dieu ou d’un roi sans lui offrir des présents ; et les mages, qui venaient des confins de la Perse et de la Chaldée, à l’endroit où coule le fleuve Saba (d’après l’Histoire scholastique), apportaient les présents qu’avaient coutume d’offrir les Perses et les Chaldéens ; 2o d’après saint Bernard, l’or était destiné à alléger la pauvreté de la Vierge, l’encens à effacer la mauvaise odeur de l’étable, la myrrhe à consolider les membres de l’enfant en expulsant les vers de ses intestins ; 3o ces trois présents signifiaient la royauté du Christ, sa divinité, et son humanité : car l’or sert pour le tribut royal, l’encens pour le sacrifice divin, la myrrhe pour la sépulture des morts ; 4o enfin ces trois présents signifient ce que nous devons offrir au Christ : car l’or est le symbole de l’amour, l’encens celui de la prière, et la myrrhe symbolise la mortification de la chair.
Ayant adoré l’enfant Jésus, les mages, qu’un songe avait avertis de ne point retourner auprès d’Hérode, s’en revinrent dans leurs pays par un autre chemin. Leurs corps furent retrouvés par Hélène, mère de Constantin, qui les transporta à Constantinople. Plus tard, saint Eustorge les transporta à Milan, dont il était évêque, et les déposa dans l’église qui appartient aujourd’hui à notre Ordre des Frères prêcheurs. Mais lorsque l’empereur Henri s’empara de Milan, il fit transporter les corps des mages, par le Rhin, à Cologne, où le peuple les entoure d’une grande dévotion.
Jacques de Voragine naquit en 1228 environ, à Varazza près de Gênes en Italie. Issu d’une famille modeste, il entra très jeune chez les Dominicains et grâce à ses talents de prédicateur fut nommé provincial de l’ordre avant de devenir archevêque de Gênes nommé par le pape Nicolas IV.
Il est auteur de la Légende dorée, célèbre ouvrage racontant la vie d’un grand nombre de saints et saintes, martyrs chrétiens, ayant subi les persécutions des Romains. Il commence en 1250 la rédaction de la Légende dorée décrivant l’origine de la Sainte Croix, dont le premier manuscrit paraît en 1260. Il se consacrera à cette tâche jusqu’à sa mort en 1298.
Dès sa parution, cet ouvrage connut une grande vogue ; c’est à travers cette œuvre que s’est forgée une partie de l’iconographie chrétienne.
Comment un petit roi de rien du tout fut comblé de grâces au-delà de ses espérances
Il était une fois un roi qui ne ressemblait pas à un roi. On aurait dit un marchand de tapis. C’était un homme petit, chauve, moustachu, aussi rond qu’une barrique. Ce soir-là, il ressemblait encore moins à un roi. Il suait, soufflait, haletait. Ses vêtements de prince n’étaient plus que guenilles. Depuis des jours, Cyrus marchait, tirant son cheval par la bride, épuisé. Lorsqu’il parvint au sommet de la colline de Bethléem, il se mit à pleurer. Il avait beau être roi de Perse, il arrivait trop tard.
Oui, trop tard. Son expédition était un échec. Le roi de Perse s’assit sur un rocher qui surplombait la vallée. Le ciel était pur. Des milliers d’étoiles formaient comme une immense guirlande. Elles dessinaient une flèche de lumière. Dans les collines sombres du village endormi de Bethléem, elle semblait désigner une grotte. Une grotte à peine visible, creusée à flanc de rocher.
Cyrus sécha ses larmes : il était arrivé au but, enfin. Mais il était trop tard. Il arrivait toujours trop tard. Depuis qu’il avait succédé à son père, le grand Cyrus, sa femme, ses enfants, ses ministres, son peuple… tout le monde lui reprochait ses retards à répétition. Mais était-ce sa faute à lui s’il était lent et rêveur ?
À vrai dire, personne, dans son entourage, n’avait compris qu’il décide soudain, quelques semaines plus tôt, de rejoindre la caravane de ses cousins d’Orient, les Rois mages. Ces princes étaient des savants, des originaux. Ils se passionnaient pour l’astronomie et scrutaient le ciel. Or, après des années de travail, ils en étaient arrivés à cette conclusion : dans un minuscule coin du monde, la Palestine, un nouveau prince venait de voir le jour. Pas un prince de pacotille comme Hérode, non ! Un vrai, un bon, un grand roi, dont le règne changerait la face de la terre ! Ils avaient vu son étoile se lever. Cela valait bien le coup d’aller voir ! L’astre leur montrerait le chemin.
Vite, les trois Mages avaient monté une expédition vers le pays des Juifs. Ils voulaient trouver ce mystérieux prince, ce Roi des rois, pour lui rendre hommage. Le roi de Perse, lui, s’ennuyait ferme dans sa cour et tournait en rond dans son palais carré. Mais le petit Cyrus était curieux. Il admirait la sagesse de ses cousins et désirait depuis toujours leur ressembler. Avoir appris la naissance d’un nouveau prince, dont personne ne savait rien, l’intriguait. Il ne voulait pas manquer quelque chose d’important. Avant de sauter sur son cheval, il avait tiré de sa cassette secrète trois perles fines d’une immense valeur. Cela ferait un très beau cadeau pour le roi nouveau-né.
Seulement voilà, le roi de Perse avait raté le rendez-vous avec les trois Mages. Ils l’avaient attendu, pourtant ! Mais ils étaient finalement partis sans lui. Le roi de Perse avait bien tenté de rattraper leur caravane, mais que peut faire un cheval, aussi têtu qu’un âne, face à des dromadaires dociles aux immenses foulées ? Et puis, bien des contretemps étaient survenus en chemin, des incidents, des accidents – bref, beaucoup de pépins. Le petit roi n’avait pu combler son retard. Il était seul désormais. Mais il avait suivi l’étoile.
Les Rois mages avaient dû arriver à Bethléem bien avant lui, et ils étaient déjà repartis sans doute. Le roi de Perse eut la tentation de faire demi-tour. Puis il se ravisa : après tant de kilomètres parcourus, tant de peine, n’était-il pas dommage de ne pas aller saluer ce nouveau seigneur, même dans cet état pitoyable ? Son cheval s’était écroulé de fatigue. Le petit roi décida d’y aller à pied. Toujours en suivant l’étoile, il descendit dans la vallée, puis gravit la pente opposée. Dans la roche s’ouvrait une grotte. Celle-ci n’était qu’une étable pour les bêtes.
Ne s’était-il pas égaré ? Était-ce là, vraiment, une demeure de prince ? Une étable au lieu d’un palais, c’était insensé ! Cyrus poussa lentement la porte disjointe. Elle grinça. Ce qu’il découvrit le stupéfia : entourée d’un âne et d’un bœuf, une femme très belle allaitait un nouveau-né enveloppé de langes. Un homme barbu et costaud retournait la paille sans les quitter des yeux. Une odeur d’encens flottait dans l’air. Il n’y avait ni trône, ni sceptre, ni couronne, ni baldaquin, ni gardes du corps, seulement un coffret de myrrhe et quelques écus d’or posés sur un tabouret de vache et qui scintillaient à la lumière des torches. Pourtant, Cyrus sut qu’il était arrivé à destination.
Il se couvrit le visage, se prosterna devant l’Enfant et prononça ces mots, en bégayant :
« Seigneur, je vous salue. Je suis Cyrus le petit roi de Perse. Je… je suis… je suis venu de très loin pour vous présenter mes respects et vous rendre hommage. Hélas, il ne me reste plus que les respects. Les perles de la mer Persique, grosses comme des œufs de pigeon, je… je… je ne les ai plus.
– Vous êtes un vrai panier percé ! dit la femme en souriant.
– Vous voulez dire un panier persan ! », répondit le roi de Perse.
Le mari éclata de rire. Puis il demanda : « Ces perles, que sont-elles devenues ? »
Cyrus se remit à bégayer :
« C’est-à-dire… je… En traversant les monts de Judée, j’ai aperçu un homme qui gisait, inanimé, dans le fossé. Il avait été agressé, détroussé. Je l’ai couché sur mon cheval et nous avons marché vers l’auberge la plus proche. Et n’ayant pas d’autres moyens de payer l’aubergiste, je lui ai donné une des trois perles pour qu’il le loge et qu’il le fasse soigner jusqu’à ce qu’il soit rétabli.
– Et les deux autres perles, cher ami ? », questionna l’homme qui s’appelait Joseph.
Cyrus sentait bien qu’il posait ces questions par curiosité et non par intérêt. Cet homme ne réclamait rien : son trésor, il l’avait sous les yeux.
« Le lendemain, reprit le roi de Perse, je pressais ma monture pour rejoindre la caravane des Mages lorsque, en sortant d’un village, je découvris… une femme, agenouillée dans le sable. Très fardée, la robe déchirée. Une quinzaine d’hommes l’entouraient. Ils l’insultaient : “Adultère ! Pécheresse !” Chacun avait en main des cailloux aux arêtes coupantes. Ils allaient la tuer, lui jeter les pierres à la tête. Alors, n’y tenant plus, je lançai la deuxième perle aux pieds de l’accusée. “Voici le prix de sa liberté, ô docteurs de la Loi.” J’aidai la femme à se relever et l’emmenai loin, hors du cercle de la haine.
– Il te restait donc une perle, remarqua Joseph, d’une voix grave et douce. L’aurais-tu perdue ?
– Même pas, répondit Cyrus, je l’ai donnée… Comment vous expliquer ? En réalité, j’aurais pu être chez vous hier vers midi. Mais en approchant de Bethléem, je passai par un village. Il était en flammes. Des soldats du roi Hérode terrorisaient les habitants : les mères hurlaient de douleur, les hommes étaient ligotés, impuissants devant l’horrible massacre. Car les soldats passaient tous les petits enfants au fil de l’épée. J’allais prendre la fuite lorsque j’aperçus, près d’une maisonnette embrasée, un garde brandissant un bébé par une jambe. Agenouillée à ses pieds, la mère le suppliait : “Tue-moi plutôt que mon enfant, pitié pour lui !” Mais l’odieux milicien ricanait.
Alors, monseigneur, me le pardonnerez-vous ? Je n’avais pas d’arme et la bravoure n’est pas mon fort. Aussi, je tirai de ma bourse la dernière perle. Et j’achetai l’enfant au mercenaire pour le rendre à sa mère. Voilà pourquoi je suis ici, en pleine nuit, et les mains vides. La honte m’étouffe, mais vous, vous paraissez si bon… »
Le silence régna dans l’étable lorsque Cyrus se tut. Même l’âne et le bœuf retenaient leur souffle. Joseph prit la parole : « Petit roi de Perse, tu es pardonné ».
Cyrus était coi. Il déglutit bruyamment. Joseph lui dit : « Moi, je te l’affirme : il est plus facile à ton cheval de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux ».
Puis, montrant le bébé, il reprit : « Tu arrives pauvre devant le Roi des pauvres, avec la seule richesse de ton cœur généreux. Sois béni. Va en paix ».
Alors, Marie murmura : « Approche, Cyrus ».
À genoux dans la paille, le roi de Perse s’avança jusqu’à toucher l’Enfant. Spontanément, il ouvrit ses mains vides en signe d’offrande et d’impuissance. L’Enfant se détacha alors de sa mère et se tourna vers lui, l’étranger. Il avait tout entendu, Il avait tout compris. Il glissa ses deux menottes blanches dans les paumes brunes, avec un sourire qui illuminera le monde jusqu’à la fin des temps. Joseph s’essuya les yeux. L’âne caressa l’encolure du bœuf.
« C’est son premier sourire, il est pour toi », murmura Marie, tandis que, sur ses joues, coulaient trois larmes de joie. Comme elles brillaient, ces larmes… Oh, elles brillaient comme trois perles précieuses de la mer de Perse !
Désespérance, crise spirituelle, rupture des vœux : les tentations du « démon de midi »
Le « démon de midi » n’est pas seulement ce que l’on croit… Les Pères du Désert nommaient ainsi une tentation qui menace tous les croyants, spécialement les personnes consacrées : l’acédie. Cette tristesse spirituelle, mère de la désespérance, était autrefois le huitième péché capital. C’est le mal de notre époque. Voici pourquoi.
Appelons-le Bernard. Le Père Bernard. Sept ans après les événements, il en frémit encore. « Le diable : Le diable au corps ! » Ce quinquagénaire athlétique, au physique d’acteur américain – Redford un peu enveloppé –, évoque le « démon de midi » avec un mélange d’incompréhension et d’effroi. Il faudra un douloureux combat, deux ans de « retirance », la sollicitude ferme et paternelle de son évêque, pour que le Père Bernard puisse retrouver la paix du cœur. Et son ministère.
Diable au corps ? Le « démon de midi » n’est pas seulement cette vague de chaleur, à l’aura sulfureuse, qui vient arracher, dans la torpeur du milieu de la vie (1), les hommes à leur promesse de fidélité. « Réduire le « démon de midi » à la luxure, c’est occulter sa nature profonde », proteste le Dr Fernand Sanchez, de la Communauté des Béatitudes, l’un des pionniers de l’accompagnement psycho-spirituel.
C’est Évagre le Pontique, au IVe siècle, qui surnomme ainsi l’« acédie » : ce « démon » de la morosité, de la déception, de l’insatisfaction, est le subtil ennemi du moine, l’« Alien » qui tente de le pénétrer et de le ronger de l’intérieur.
Seize siècles plus tard, dans son roman Le Démon de midi, l’écrivain Paul Bourget expliquera : « Pour nos anciens, le dœmonium meridianum était un véritable démon, la tentation du milieu du jour, particulière aux cloîtres. Ils avaient observé que la sixième heure, notre midi, est redoutable au religieux. La fatigue du corps, épuisé par la veille et le jeûne, gagne l’âme qu’un trouble envahit. L’æcedia monte, ce dégoût, cette tristesse des choses de Dieu qui donne au cénobite la nostalgie du siècle quitté, le désir d’une autre existence, une révolte intime et profonde ».
L’envie d’aller voir ailleurs
Ce blues de l’âme n’épargne aucun croyant, mais il frappe les consacrés avec prédilection. « Je ne désirais plus qu’une chose : quitter mon monastère, aller voir ailleurs, confie Sœur S., 45 ans, religieuse depuis dix-huit ans. J’avais l’impression d’avoir gâché le meilleur de ma jeunesse, d’avoir sacrifié un mari et des enfants. Tout me paraissait lourd, sans saveur. Le poison du doute était entré en moi. Je ne cessais de me répéter : À quoi bon, dans le fond, à quoi bon ? »
C’est la « bof » tentation. Jean Sulivan l’a surnommée « aquabonite » : non pas une liqueur monastique à consommer avec tempérance, mais une crise spirituelle qui bouleverse sans modération. Qohélet le gémissant pourrait en être le patron : « Vanité des vanités, tout est vanité, soupire-t-il dans le livre de l’Ecclésiaste. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, alors je réfléchis à toutes les œuvres de mes mains et à toute la peine que j’avais prise, eh bien, tout est vanité et poursuite de vent »
Le huitième péché capital
Grosse fatigue ? Lent étouffement. Le « démon de midi » est une chute de tension des forces de l’âme. Une tristesse intérieure s’insinue, qui engendre vide et ennui, abattement et dégoût. Non, rien de rien, l’acédiaque n’attend plus rien de rien.
« C’est comme une mort qui enserre de tous côtés », précise Alphonse Goettmann, prêtre de l’Église orthodoxe qui anime le Centre Béthanie, avec son épouse Rachel, ils sont les auteurs de Ces passions qui nous tuent (Presses de la Renaissance). « La vie physique et spirituelle est remise en cause. Plus on a axé sa vie en Dieu, plus on prend les moyens de la maintenir dans cet axe, plus on est tenté par l’acédie. »
L’âme en a marre. « L’acédie mêle d’une manière particulière sentiment de frustration et agressivité », souligne le cardinal Christoph Schönborn, dominicain, archevêque de Vienne. Dans son livre Aimer l’Église (Cerf), il met en garde les catholiques déçus par une Église qui ne remplit pas ses promesses humaines contre ce démon et son fiel amer.
« L’acédie a horreur de ce qui est là et joue en rêve avec ce qui manque, écrit-il. Elle est une sorte d’impasse de la vie de l’âme. Cette attitude proche du désespoir nous menace tout particulièrement, nous les ecclésiastiques ; elle met en danger notre vie spirituelle et nous prive de l’élan de l’espérance. » remarque à son tour le prêtre philosophe Pascal Ide, de la Communauté de l’Emmanuel. Flaubert et Bernanos en parlent longuement. C’est la maladie du diabolique « Monsieur Ouine ». Un village sombre : « Cela commence par l’ennui ». Et Monsieur Ouine dit au prêtre : « L’ennui de l’homme vient à bout de tout, Monsieur l’abbé, il amollira la terre ». Tel est aussi l’aveu du Journal d’un curé de campagne, dès la première page : « Ma paroisse est dévorée par l’ennui. Voilà le mot. »
La botte secrète de Satan
Attention, danger ! Cet ennui profond est la « tristesse de ce monde » (2 Co 7, 10), dont saint Paul affirme qu’elle conduit à la mort : elle mène au doute de la miséricorde.
C’est pourquoi l’acédie était autrefois considérée comme le huitième péché capital. Pour Thomas d’Aquin, elle est la racine de la désespérance.
Désespérance ? Dans une tour de La Défense, aux portes de Paris, un homme trapu, à la carrure de Lino Ventura, voix râpeuse de fumeur de brunes, pointe du doigt une silhouette invisible sur l’immense paroi de verre du building voisin : « Judas ! Son péché n’est pas d’avoir trahi ce qui est d’une banalité redoutable : qui n’a pas vendu Jésus dans son histoire ? –, mais de ne pas avoir espéré qu’il était pardonnable. Voilà le fond de l’acédie : Je n’ai pas le droit à la miséricorde. C’est le péché contre l’esprit, le père de tous les péchés : celui qui donne la mort ».
Philippe Vaur, psychothérapeute depuis vingt-cinq ans, observe les ravages de la crise du milieu de vie chez les cadres d’entreprise, et propose une démarche de prévention au sein du cabinet « Discerner ». Quel est le rapport entre l’acédie et la dépression du cadre supérieur ? « Il y a souvent à l’origine de la crise un nœud de l’adolescence qui n’a pas été dénoué et qui se rejoue à la maturité de façon amplifiée. S’ajoutent souvent un manque profond d’estime de soi, et ce sentiment récurrent : « Je n’ai pas droit à la miséricorde ». »
Ce « psy » philosophe va plus loin : « L’acédie touche l’humain même s’il n’adhère à aucune croyance. Combien de personnes se balancent par la fenêtre en songeant : « C’est foutu, personne ne peut me comprendre », ou « Je ne suis pas digne d’être aimé » ? De même, l’une des grandes causes des divorces aujourd’hui, c’est moins les fautes accumulées par les conjoints, que de ne pas croire qu’ils puissent se pardonner et être pardonnés. L’acédie, c’est la botte secrète de Satan pour les personnes qui ont un sens à leur vie, et qui ont résisté à l’attrait des autres concupiscences – le désir du pouvoir, notamment ! »
Trop beau pour être vrai !
Gustave Thibon l’appelait « désespérance de l’esprit ». Le Tentateur distille ce poison grâce à une arme raffinée : la pseudo-humilité. L’homme « ne veut pas croire que Dieu s’occupe de lui, le connaisse, l’aime, le regarde, soit à côté de lui », note le cardinal Ratzinger dans sa pénétrante analyse de notre société (Regarder le Christ, Fayard, 1992). Une vocation si belle, un bonheur si grand ? C’est trop beau pour être vrai !
Autre source de l’acédie : la volonté de se débarrasser de Dieu. « La fuite de Dieu, première conséquence du péché des origines, est devenue une volonté d’auto-création de l’homme par lui-même », insiste le Père Pascal Ide.
Xavier Emmanuelli, ancien secrétaire d’État à l’Action humanitaire, dénonce ce pacte prométhéen : « Tout se passe comme si, il y a environ deux siècles, nous avions rompu le contrat implicite avec Dieu, et nous avions accepté le pacte du Diable. Satan nous a proposé la puissance, la connaissance du bien et du mal, et le bonheur éternel, à condition que nous renoncions à Dieu. Nous avons renoncé à Dieu, et le Diable nous a exaucés. Mais nous arrivons au terme du pacte, et nous sommes en train de comprendre que c’était un contrat de dupes. Nous possédons tout, mais nous n’avons pas Dieu. Nous avons la puissance, mais nous avons perdu le sens. Notre société qui suinte d’angoisse va disparaître »(3).
Réussir l’épreuve de la durée
Comment se manifeste ce « démon » ? « Sous forme de paresse spirituelle, mais aussi et en même temps au travers d’un activisme trépidant, répond le cardinal Schönborn. La pression incite les moines à fuir leur cellule. Mais le démon de midi est aussi présent dans nos vies sous des formes facilement reconnaissables : dans la peur de se retrouver seul face à soi-même, la peur de soi, la peur du silence. Verbositas et curiositas, le goût du verbiage et la curiosité, sont des « filles » de l’acédie.
En voici d’autres : l’agitation intérieure, la quête perpétuelle de la nouveauté comme succédané de l’amour de Dieu et de la joie de servir ; l’inconstance, le manque de fermeté dans ses résolutions, à quoi s’ajoutent l’indifférence face aux choses de la foi et à la présence du Seigneur, la pusillanimité, la rancœur, si présentes parmi nous aujourd’hui dans l’Église, et jusqu’à la méchanceté délibérée. »
L’acédie rend la vie intérieure aride et sans saveur. Surtout la prière. La messe rebute, l’oraison dégoûte. Ce qui faisait la joie du consacré devient son supplice. On bâille, on soupire, on se tortille dans sa stalle ; les offices n’en finissent plus. « La première étape de la vie religieuse se vit ordinairement tout en élan, confirme le Père Amédée, 88 ans, cistercien à l’abbaye de Bricquebec (Manche) depuis 1945 (4) : noviciat, études, profession monastique, peut-être ordination sacerdotale… Bref, c’est une sorte de course avec des obstacles successifs à franchir. Mais après ? Cette première étape étant accomplie, quelle promotion peut-on espérer dans un monastère ? Aucune, sinon celle de réussir l’épreuve de la durée et de la patience dans la monotonie d’un quotidien qu’il faut emplir d’amour. Comment s’étonner alors que des moines puissent ressentir la tentation de l’“à quoi bon” et se dire : “J’ai gâché ma vie dans une quête inutile” ?»
L’acédie n’est pas un virus poussiéreux réservé aux antiques congrégations. Les communautés nouvelles, qui fêtent leur vingtième ou vingt-cinquième anniversaire en entrant dans ce IIIe millénaire, sont des proies mûres pour ce démon. L’enthousiasme des origines s’est apaisé, parfois enfui. Ces jeunes congrégations entament leur course de fond et doivent passer au creuset aride de la persévérance.
« Plus la conversion est forte, plus la personne s’est investie dans cette vie avec intensité et générosité, plus il peut être difficile de retomber dans la monotonie du sacrifice et la fidélité au quotidien », dit le Dr Fernand Sanchez. « Vingt ans de vie religieuse, ça use, ça use », murmure le démon de midi au cœur du consacré.
L’habit ne fait pas le moine, mais l’habitude peut le défaire.
Désillusion et découragement
Le Père Plé évoque, avec finesse, les désillusions de ceux et celles qui ont « misé leur vie sur la foi » : « Autour de la quarantaine, il leur faut souvent constater que l’amour de Dieu ne leur remplit pas le cœur, au moins de la manière qu’ils avaient pu naïvement espérer aux premiers jours de leurs engagements. Ils connaissent les épreuves d’un jeûne affectif qu’ils n’avaient pas prévu ; leurs généreux efforts pour vivre – selon l’Évangile – se heurtent à des défauts de caractère qu’ils n’espèrent plus corriger ; l’aide de la grâce de Dieu leur paraît inefficace ; Dieu, qu’il leur faut pourtant continuer à « représenter » parmi les hommes, leur semble lointain, déroutant, inaccessible.
Leur zèle apostolique est mis en question par les difficultés et les échecs qui les découragent. Ils souffrent des insuffisances de leur formation, qui ne les a pas préparés à faire face aux problèmes de leur vie. Ils s’impatientent ou désespèrent devant la lourdeur de l’Église comme institution et devant les défauts des hommes qui la gouvernent. Pour tous ces « consacrés à Dieu » comme pour les autres membres de l’Église, trop d’appuis bougent, sur quoi ils avaient bâti leur foi et leur vie ; leur crise quadragénaire se trouve aggravée par la crise de l’Église »(5).
La bourrasque fut particulièrement violente dans les années 1960-1970. Cette crise de l’Église ressemble à la tempête de l’hiver 1999 : venues de loin, souffles puissants, la crise des mœurs, la crise des institutions, la crise de la foi se conjuguèrent comme des courants furieux, pour ne former qu’un seul galop de vent. La dépression se précipita sur sa proie avec une rage brutale. Elle traversa congrégations et presbytères. De nombreux prêtres, religieux et religieuses, furent ébranlés. La plupart avaient entre 40 et 50 ans. Fragilisés par leur propre crise du milieu de vie, ils ne discernèrent pas le démon de l’acédie qui s’y cachait.
Celui-ci susurra des doutes sur l’authenticité de l’appel, empoisonna ce qui restait de certitudes. La crise-tempête fit voler en éclat les vœux les plus résolus, bouscula les vocations les plus solides en apparence. Des milliers de consacrés quittèrent l’Église. Beaucoup se marièrent. L’embrasement d’une sexualité réveillée à la quarantaine, exaltée par l’ivresse libertaire, acheva souvent un vœu de chasteté battu en brèche par l’ouragan d’affranchissement.
Une voix au fond de soi : « Tu t’es trompé… »
« La crise est favorisée par une baisse de la garde spirituelle, soutient le Dr Fernand Sanchez : moins de zèle dans la prière, un don de soi dilué au fil des années Le doute apparaît sur les choix fondamentaux. On entend une voix au fond de soi : Tu t’es trompé, mais il n’est pas trop tard pour rattraper le temps perdu et vivre comme tout le monde pour que ta vie ne soit pas gâchée. On est alors au cœur d’un grand combat spirituel. »
Le « démon de midi » est un « esprit de destruction », d’autodestruction.
Il frappe l’homme à la racine même de sa mission, ébranle sa vocation, mine son appel : « Une force ennemie l’attire hors de sa ligne, dans la voie où il doit périr, écrit Paul Bourget. Cet étrange vertige va du spirituel au temporel ».
Crise du milieu de vocation ? Philippe Vaur pompe une bouffée de cigarette et lâche, mystérieux, dans un nuage de Gitane : « L’acédie, c’est le cul-de-sac d’une vocation, qu’on soit clerc, professionnel, époux, père. Faute d’en discerner l’origine avec un tiers pour s’en sortir – un père “spi”, un “psy”… –, la personne risque de se rendre dépendante d’un nouvel activisme ».
« Cette crise peut remettre en question non seulement la vocation mais Dieu lui-même, ajoute, dans son cabinet parisien, le Dr Allen D. Caso, 65 ans, psychanalyste psychothérapeute américain. Cela dépend parfois des facteurs de maturité psychique et spirituelle du sujet, de ses blessures antérieures, de la structure de sa personnalité. »
Cet homme cultivé, au français policé, – il vit à Paris – et à l’accent charmant, fut baptisé à l’âge de 18 ans après une conversion subite lors d’un voyage à Rome. Il revendique dans sa profession « une écoute de croyant », refuse d’exclure la dimension spirituelle de l’accompagnement psychologique, et tente d’exercer un délicat discernement entre ces différents ordres et leur interpénétration.
« Le risque est de trop “psychologiser” cette crise spirituelle, assure-t-il. Combien de psys sont passés complètement à côté, et ont cru bien faire en prescrivant des antidépresseurs et des neuroleptiques sans se soucier de ce que cachaient ces manifestations névrotiques et même psychotiques ? Croyant à une simple décompensation, combien de ces psychologues ont conseillé à des prêtres et des religieuses : « Arrêtez de prier », « Surtout n’allez plus à la messe », « L’oraison est en train de vous détruire », « Quittez votre congrégation, et réalisez votre désir profond » ? Alors qu’il fallait leur dire le contraire ! Combien de prêtres ont de ce fait quitté le sacerdoce, qui était cependant leur vocation ? A mon avis, 90 % le regrettent secrètement aujourd’hui. Car il ont fui une insatisfaction au lieu de l’affronter. Elle est demeurée au plus profond d’eux-mêmes »
Le Dr Caso reprend, après un soupir : « Heureusement, la majorité des prêtres et des consacrés ne remettent pas aujourd’hui leur vocation en cause, même s’ils ressentent une insatisfaction de façon parfois très douloureuse. Celle-ci est un appel à aller plus loin. La fuite risque de court-circuiter un processus de maturation ».
Grâce à une longue expérience de l’accompagnement, le Dr Fernand Sanchez diagnostique : « Selon les blessures prédominantes de la personne, la crise touchera plus ou moins l’un des trois préceptes évangéliques : la pauvreté, la chasteté ou l’obéissance. Elle peut déclencher des recherches de compensation, de possession, de convoitise ; la vérification de la capacité de séduction ; l’autoritarisme et la domination »
Le démon à toute heure
Le démon ne jaillit pas de sa boîte comme un coucou quand sonne le premier coup de midi. L’acédie frappe à toute heure. Il y a le démon de la fin de matinée : « Nous observons souvent une première crise trois ou quatre ans après l’ordination sacerdotale », témoigne un directeur de séminaire. Et le démon du crépuscule : « C’est la tentation des prêtres de 60-70 ans, assure le Père Amédée. Ils se sont dévoués aux autres toute leur vie. À l’âge où les laïcs prennent leur retraite, eux sont écrasés de travail, peu entourés, rarement gratifiés. Certains finissent par se dire : « À quoi bon ? » Quand on leur répond : « Mais si, continuez, regardez tout le bien que vous faites ! », ils vous répondent : « Bof, je ne vois pas grand-chose », ou bien : « Qu’est-ce, comparé à tout ce qu’il reste à faire ? Une goutte d’eau dans l’océan À quoi bon ? » »
Assez dit ? Sans jouer sur les mots, l’acédie, on n’en parle pas assez. « Or, c’est un passage fréquent de la vie spirituelle, quoique très méconnu, remarque le Dr Caso. Nous avons perdu la mémoire de deux mille ans de mysticisme et bien plus, si on intègre la mystique juive. Les novices et les séminaristes doivent être préparés par la lecture des Pères du Désert et d’autres grands mystiques chrétiens, et choisir un homme d’expérience et de prière comme père spirituel. »
« La règle d’or de la sagesse monastique, depuis plus de quinze siècles, prescrit l’ouverture du cœur à un maître pertinent, inspiré par Dieu », prévient le Père Amédée. « Les Pères du désert avaient leur“abba”, et les Sœurs leur “ama”. L’arme indispensable dans ce combat, c’est un accompagnateur, confirme le Dr Fernand Sanchez (6). Il va aider à comprendre qu’il y a, derrière cette frénésie vitale, cette tentation d’aller voir ailleurs, un désir de plénitude, sain, qui correspond à une vocation profonde. Mais ce désir est mal orienté et passe à côté du but. C’est une ruse du démon que de faire voir la rive d’en face comme meilleure et plus heureuse. »
Certains accompagnateurs préconisent des traitements de choc, comme les Trente Jours de saint Ignace, ou l’Anamnèse animée par le Chemin Neuf. « Quand la personne est trop bouleversée et risque des expériences aux conséquences irréversibles, une phase de rupture avec la vie communautaire, en milieu sécurisé et étroitement accompagné, peut être souhaitable », estime le Dr Fernand Sanchez.
Le Père Amédée, inspiré par ces vents d’ouest qui viennent ébranler sa Trappe de granit du Cotentin, conseille fermement : « Dans la tempête, pas de coup de barre intempestif ! Surtout, pas de décision radicale, elle risquerait d’être fatale. Accroche-toi en attendant que ça se passe ; et surtout, prie, prie comme tu veux, mais prie ! Qui prie, vit ! », assure ce sage facétieux qui s’accroche obstinément au rosaire dans ses heures de désert…
« Dans certains cas, il faut simplement laisser agir le Seigneur, et persévérer, recommande le Dr Caso. Dieu nous décape pour prendre la place de notre moi. Faire face au sentiment de vide, d’absence et d’absurde peut permettre de déboucher sur une rencontre du Dieu vivant. »
Le remède ? Rester sous le joug
Persévérer ? Contre ce démon de la désespérance, les vieux maîtres suggèrent le remède de l’hypomonè : littéralement, rester sous le joug. C’est goûteux comme l’huile de foie de morue, mais on n’a rien inventé de plus efficace.
L’ermite saint Antoine se fâcha un jour contre le Seigneur alors qu’il n’en finissait pas de batailler contre le Tentateur dans la tourmente d’une nuit obscure : « Eh bien, Seigneur, où étais-tu durant ces interminables tentations ? » Silence du Ciel. Antoine reprend : « Pourquoi ne t’es-tu pas manifesté plus tôt pour faire cesser mes tourments ? » Réponse de Dieu : « J’étais là, Antoine. Mais j’attendais, pour te voir combattre »(7).
« En ces heures cruciales, il nous faut patienter, accepter, consentir jusqu’à l’abandon sans condition, et persévérer », assure le Père Amédée. Et du parvis de sa Trappe de toujours, le vieux cistercien lance, joyeux : « Heureux qui passe par ce feu, car après il “fait” Dieu ! »
« La tristesse de ce monde »
Le cardinal Ratzinger, dans Regarder le Christ (Fayard), réfléchit sur cette expression de saint Paul.
« Maintenant que l’on a pleinement savouré les promesses de la liberté illimitée, nous commençons à comprendre à nouveau l’expression Tristesse de ce monde. Les plaisirs interdits perdirent leur attrait dès l’instant où ils ne furent plus interdits. Même poussés à l’extrême et indéfiniment renouvelés, ils semblent fades, parce qu’ils sont tous finis et qu’il y a en nous une faim d’infini.
Aussi voyons-nous aujourd’hui précisément dans les visages des jeunes gens une étrange amertume. [Surtout,] la racine la plus profonde de cette tristesse, c’est l’absence d’une grande espérance et l’inaccessibilité du grand Amour : tout ce qu’on peut espérer est connu, et tous les amours sont l’objet d’une déception due à la finitude d’un monde où les formidables succédanés ne sont que le piètre masque d’un désespoir abyssal. »
(1) Nous renvoyons nos lecteurs au dossier sur la crise du milieu de vie (CMV) paru dans les n° 1177 et 1178, dont cet article est une sorte de prolongement. Une crise peut en cacher une autre : si on ne peut réduire l’acédie à la CMV, la crise spirituelle s’intègre parfois dans cette vaste crise existentielle déclenchée par le sentiment plus ou moins conscient de notre finitude.
(2) Ces passions qui nous tuent – Diagnostic et remèdes, par Alphonse et Rachel Goettmann, Presses de la Renaissance, 247 p., 99 F. Un excellent ouvrage de vulgarisation sur les huit péchés capitaux (dont l’acédie).
(3) Cf. FC n° 1052. Cité par le Père Pascal Ide dans un article publié dans Sources Vives n° 80 sur « Pourquoi désespérer ? ».
(4) Le Père Amédée est le co-auteur, avec le Dr Dominique Megglé, de l’ouvrage Le Moine et le psychiatre. Un ouvrage roboratif, avec un chapitre sur l’« aquabonite ».
(5) « Les déserts de la foi », dans L’Homme de 40 ans, Janus 14. Cité par Lucien Millet dans La Crise du milieu de la vie, Masson, 1993.
(6) Lire le dossier sur l’accompagnement spirituel dans FC n° 1196.
(7) Vie d’Antoine, par Athanase d’Alexandrie, Cerf. Cité par Mgr Schönborn dans Aimer l’Église (Cerf).
Pour cette session sur la question des relations interreligieuses nous avons invité Monseigneur Aveline qui est Archevêque de Marseille, président du conseil pour les relations interreligieuses à la Conférence des Evêques de France, fondateur de l’Institut des Sciences et Théologie des Religions, artisan fidèle du dialogue interreligieux, enseignant et théologien reconnu En effet si le dialogue interreligieux indique un véritable engagement pour le bien commun il ne peut se vivre sans avoir au préalable une formation légitime et éclairé. Pour cela notre centre, notre diocèse, notre évêque, Monseigneur Turini a souhaité vous offrir le meilleur nous allons accueillir Monseigneur Aveline
Merci beaucoup de votre accueil, du temps que vous consacré ce soir et demain à des questions qui ne sont pas faciles mais qui sont je le pense un levier important et qui sont une grande chance pour notre Eglise afin de mieux comprendre quelle est sa mission dans le monde d’aujourd’hui parce que les questions qui surgissent lorsqu’on prend au sérieux la pluralité des religions constituent un levier formidable pour penser la foi et qui du coup s’avèrent être une chose qui dépasse simplement la simple question des relations interreligieuses. C’est certain, c’est un vecteur de travail, c’est une logique très importante
Si vous avez loupé les épisodes précédents je disais que je veux vous remercier de consacrer du temps à ce travail ce soir et demain et puis je considére que c’était un travail très important bien au delà d’ailleurs des questions interreligieuses et relations interreligieuses parce que c’est un levier théologique important pour penser la foi aujourd’hui et penser la mission de l’Eglise aujourd’hui.
Voilà ces choses étant dites on a travaillé avec le Père Grégory Woimbé . Moi je voudrais aussi remercier Monseigneur Turini ; c’est un ami depuis longtemps ; merci beaucoup. Ce n’est pas la première fois que je viens à Perpignan ni dans ce département donc merci beaucoup de l’invitation et pour l’accueil. Je voudrais remercier aussi le Père Grégory, on s’était déjà vu à Toulouse et voilà c’est avec lui qu’on a essayé de bâtir l’itinéraire qu’on va vous proposer pendant ces deux jours. Je voudrais remercier Hélène et son mari, merci et toute l’équipe du centre Ramon Lulle. Merci beaucoup d’avoir organisé tout cela Je voudrais saluer tout particulièrement le Père Joseph Marty ; je me souviens de l’inauguration d’ici : je me souviens du Centre Ramon Bull et voilà merci beaucoup pour l’initiative, la ténacité et la persévérance pour tout cela et puis je vous salue tous. Je ne sais pas si le Père Christian Burillo est là mais il arrivera demain mais à travers lui je salue la Cerdagne avec laquelle j’ai quelques attaches estivales
Ce soir donc je vais vous proposer une petite introduction générale et puis demain une journée de réflexion plus approfondie. En gros on va faire ça ce soir à grandes enjambées et demain en petites foulées puis la question bien sûr qui va nous occuper c’est celle des relations entre les différentes traditions religieuses
DIALOGUE INTERRELIGIEUX : ITINERAIRE DE MONSEIGNEUR AVELINE
Et pour commencer je voudrais juste vous dire comment moi-même je me suis mis à ces questions ; c’est important de vous le dire car je n’y suis pas venu par un projet personnel : ça ne m’intéressait pas et je n’avais aucune compétence en la matière mais j’étais professeur de dogmatique au séminaire interdiocésain de Marseille ; ce séminaire à un moment les évêques de la région ont décidé de le fermer pour regrouper tous les séminaristes en Avignon ce qui fut fait et j’étais donc resté à Marseille
Et à ce moment là l’archevêque de Marseille était le cardinal Coffy. Il m’avait dit :
« Bon on va fermer le séminaire mais quand même il y a beaucoup de gens ici qui ne sont pas séminaristes, beaucoup de laïcs qui viennent suivre des formations, beaucoup de laïcs que ça intéresse et donc il faudrait qu’à Marseille qu’il y ait quand même un centre de formation théologique est ce que tu peux faire un petit rapport pour voir ce qui serait possible ? »
Alors moi je fais un petit rapport Il y avait déjà de la formation théologique dans la région à la Baume-les-Aix chez les jésuites en lien avec la faculté théologique de Lyon et puis après il y a en a eu un à Sophia Antipolis du côté de Nice alors j’avais dit à Monseigneur qu’au final ça avait du bon sens : « Si vous voulez faire ça et vous me demandez un rapport c’est oui, mais si vous voulez faire quelque chose dans la région à Marseille vous pourriez le faire sur les questions que posent la foi chrétienne, la pluralité religieuse parce que personne ne jugera déplacer de faire ça à Marseille qui compte dans ces huit cent mille habitants 1 million avec la périphérie et là dessus il y a environ 95 0000 personnes de confession musulmane, un sur quatre, il y a 80 mille personnes de confession juive , il y a à peu près vingt mille personnes de confession bouddhiste (il y a plusieurs grandes pagodes) et puis il y a à l’intérieur de la communauté chrétienne 80 000 l’arméniens, des maronites et des chaldéens. C’est donc est un laboratoire donc vous pourrez faire ça, personne ne trouvera à redire ».
Parce que vous savez (Joseph Marty le sait) quand on créé des centres de formation théologiques ailleurs que dans les villes où il ya des cathos et il faut montrer patte blanche parfois ; ici ça va mais chez nous il nous a fallu joué un peu des coudes , alors il fallait trouver l’astuce alors voilà « vous devriez faire ça puis c’est tout » Alors il me dit, (vous savez Coffy, avant on avait Etchegaray, lui il parlait beaucoup en général comme nous, mais lui ne parlait pas beaucoup –(il était de Haute Savoie ce n’est pas de sa faute) alors la première fois ça faisait drôle d’aller chez lui et puis il ne parlait pas, alors quand on disait un truc il ne parlait toujours pas ; au début c’était un peu difficile et il a fallu s’y faire et en plus il avait la pipe lui ; alors quand on allait lui poser des questions il bourrait la pipe et ça lui permettait de réfléchir et après répondait ; et moi il m’avait déjà fait cela plusieurs fois. Mais j’ai appris à avoir une confiance inouïe dans ce type là ; c’est lui qui m’avait dit au moment où le séminaire a fermé mais quand même il y a beaucoup de gens un peu comme ici qui sont passés sans être séminaristes, qui viennent suivre des formations et beaucoup de laïcs que ça intéresse et donc il faudrait que Marseille ait quand même un centre de formation théologique est ce que tu peux faire un petit rapport pour voir ce qui serait possible alors moi je fais un petit rapport mais quand même je n’avais qu’une envie c’est d’aller en paroisse et surtout ne plus habiter dans cette grande maison du séminaire alors je me dis bon puisque les séminaristes s’en vont et que moi je reste mais je voudrais aller en paroisse
« Ah oui oui je sais je sais on va voir on va voir » mais les mois passent et on ne voyait toujours rien venir et on arrive vers juin il m’invite à manger ; là peut-être je vais y arriver ; on mange et moi à l’époque ça m’impressionnait ; on mange, on arrive au fromage, on avait parler de plein d’autres choses mais pas ce qui m’intéressait moi ; alors je me risque à dire « non mais quand même alors vous avez réfléchi moi je peux aller en paroisse l’année prochaine ? » « Non moi je crois qu’il faut que tu restes dans cette maison » ; alors à bout d’arguments je lui dis :
« Vous savez moi je connais, cette maison je l’ai connu pleine et là je vais ouvrir les volets le matin il y aura personne, je suis au bout d’un couloir personne où il n’a a personne , il est froid et je vais être là dans cet appartement tout seul comme ça » et lui n’avait toujours pas changé d’idée. Alors à la fin en sortant la dernière carte je lui dis que « Vous savez pour moi je suis célibataire c’est pas un truc facile alors vous prenez des risques en me laissant tout seul là dedans » après je me suis dit : « Aveline qu’est-ce que tu as dis là » ; et là il a compris et alors sortant la pipe il me di : « Oui je sais c’est difficile d’ailleurs moi j’aurais du mal mais toi il faut que tu le fasses » et ça m’a fait un choc mais après ça c’était bon je n’avais plus besoin d’aller chercher des arguments
Et maintenant aujourd’hui comme évêque je me dis ça c’est un type qui m’a dit la vérité : il ne m’a pas dit « non mais tu verras ça va bien se faire », non il ne m’a dit ça il m’a dit « moi j’aurais du mal mais toi il faut que tu le fasses » et je l’ai fais et c’est comme ça qu’on a gardé ces locaux et c’est comme ça que un an plus tard quand j’ai remis le rapport et qu’il m’a dit « c’est une bonne idée ce rapport tu vas le faire toi » et moi je lui dit « enfin ça m’intéresse pas et je n’ai pas de compétences » , « non tu vas le faire toi ». Mais comme j’avais appris à lui faire confiance et parce que j’étais resté au séminaire, qu’on n’avait pas vendu cette maison on avait des locaux pour faire autre chose et plein d’autres et on a créé l’Institut. Il est venu à l’ouverture et puis dans le couloir il m’a dit : « Je vais te donner un conseil, ne faits jamais de publicité pour ton Institut, la seule publicité c’est la qualité de ton travail » ; je me suis dit quand j’ai vu après la publicité qu’on a fait pour le centre de l’Institut de Toulouse c’est que finalement eh bien il avait raison et pour vous dire encore un peu plus et puis je m’arrêterai là dessus pour Mgr Coffy. Il est mort le 15 juillet 1995. C’est lui qui m’avait demandé de faire un doctorat je ne voulais pas mais comme il me l’a demandé de la même façon que je reste je dis oui et puis il est mort ; quelques mois après sa cousine qui l’avait accompagné toutes ces dernières années vient de voir avec un truc dans un papier journal et me dit : « Voilà Père Aveline c’est la crosse de Robert je sais que c’est à vous qu’il faut qu’on la donne » ; c’était en 1995 et j’ai mis cette crosse dans un placard et je n’ai pas ouvert par l’armoire
Et dix huit ans plus tard quand j’ai été nommé évêque du coup je suis retourner dans d’armoire et j’ai pris la crosse et j’ai aujourd’hui la crosse de Robert Coffy mais c’est une histoire : je vous la raconte parce que c’est des choses de la vie mais qui pour moi ont beaucoup compté et c’est comme ça que je me suis retrouvé à travailler les questions qui nous rassemblent ce soir et comme je ne savais rien je me suis entouré de gens compétents Roger, Michel pour l’islam, Gérard Branche pour le judaïsme, Dennis Gira pour le bouddhisme Claire Ly, ensuite Christian Salenson, Paul Bony pour la Bible et on s’est entouré d’une équipe de gens compétents et c’est ainsi qu’on a travaillé ; très vite on a créé une revue Chemin de Dialogue car je me suis dit que pour un d’Institut comme ça il fallait lui donner un outil de publication donc c’est ce qu’on a fait et voilà ! Mais je tiens à vous dire ça parce que c’est pas l’expérience personnelle ni le goût qu’on aurait pour telle ou telle chose qui sont en ces matières les plus importants le plus important c’est de prendre au sérieux le défi de la société dans laquelle on est et du coup dans notre ville au milieu de cette société, c’ est d’essayer de penser, de travailler et alors il ne faut pas que penser : il nous il a fallu aussi créer tout en réseau de relations qui existaient avec les communautés religieuses présentes à Marseille.
Donc voilà c’est comme ça que ça c’est passé alors évidemment après très vite je me suis aperçu de l’importance de cette réflexion, de ce travail ; je m’en suis aperçu d’autant plus que l’actualité donnait à la question de la réflexion sur le phénomène religieux une importance de plus en plus grande et très vite d’ailleurs on a été sollicité par des catégories socio-professionnelles différentes qui étaient aux prises avec la question de la gestion du religieux dans l’espace public : des soignants, des enseignants, des élus, c’est à dire que ma petite question du début sur la foi chrétienne et les religions s’avérait avoir une portée plus importante et il fallait travailler sur ce que c’est qu’une religion, il fallait en plus une réflexion théologique, convoquer sur le chantier des corps de métiers différents : la sociologie, l’ethnologie, l’anthropologie et commencer à établir des conversations avec des compétences différentes et aider à travailler ensemble mais ça on l’a découvert ; ensuite je suis aperçu qu’on n’était pas les premiers sur ce travail là mais on l’a découvert en le faisant avec une équipe et puis après mon doctorat auquel Mgr Coffy m’avait incité et cela m’a quand même plusieurs années d’études sans lâcher l’Institut parce que c’était difficile (on en reparlera demain)
Mais après ce doctorat donc que j’ai soutenu en 2000 très vite j’ai été sollicité d’une part par l’archevêque de Rabat qui venait juste d’être nommé et qui m’a demandé de venir travailler à la formation des prêtres du diocèse de Rabat et pour moi ça a été découverte et du coup je me suis aperçu que ces questions avaient aussi des ramifications dans les questions méditerranéennes en général, la formation des prêtres du diocèse de Rabat, puis le cardinal Poupard m’avait demandé de travailler à la formation des directeurs des centres culturels catholiques du pourtour de la Méditerranée. Cela a été pour moi aussi une expérience extraordinaire d’aller un peu partout : à Rabat il y avait une bibliothèque, à Alger il y avait le Centre des Glycines, à Alexandrie il y avait un petit truc que les jésuites appellent le garage qui était un truc pour les jeunes de la rue, en Libye, je suis allé aussi en Jordanie et en Syrie, au Liban bien sûr.
Mais chaque fois ça m’a aidé à prendre conscience que la Méditerranée est déjà un laboratoire extrêmement important et aujourd’hui bien des années plus tard j’essaie de travailler de toutes mes forces à établir suffisamment de petites structures de coopération entre les différentes rives du pourtour méditerranéen pour que nous avancions et j’ai suggéré au Pape il y a un an et demi que de même que l’Amazonie avait eu son synode il serait pas complètement incongru que la Méditerranée bénéficie du sien parce qu’après tout cette région cumule un certain nombre de défis qui sont ceux de l’humanité aujourd’hui : défi migratoire, défi écologique, défi de la disparité économique, défi de la pluralité religieuse et culturelle enfin bref de nombreux défis (vous êtes bien placés ici aussi pour le savoir) et j’ai donc été très impliqué dans la naissance de ce qu’on appelle le processus de Bari qui a commencé il y a deux ans et demi à Paris, vous savez une réunion des évêques du pourtour méditerranéen, et qui s’est poursuivi il y a trois semaines à Florence avec une réunion aussi d’une soixantaine d’évêques du pourtour méditerranéen auxquels s’étaient joints une soixantaine de maires des villes du pourtour méditerranéen ; ces dix dernières années donc on a eu deux grosses réunions ; j’ai dit mais enfin bon (c’est un peu simple boutade) mais on avait commencé en février 2020 à Bari et là on était en février 2022 à Florence il vaut mieux ne pas en faire une 3e parce que si on va a Bari on va déclenché une pandémie et si on va à Florence on va déclenché une guerre, on va pas faire une troisième non !
Mais c’est cette rencontre nous a montré aussi que à la fois sur les rives de la Méditerranée comme on dit c’est trop étroit pour séparer et trop large pour confondre et de nos rives on peut distinguer maintenant cinq ensembles l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, les Balkans l’Europe du sud à laquelle maintenant on prend davantage conscience de la rive slave car après tout la Mer Noire et même la mer d’Azov c’est la Méditerranée ; une goutte du Niepr finit un jour à Gibraltar et donc on s’aperçoit aussi quand on travaille ensemble comme on l’a fait à Bari ou a Florence on s’aperçoit à quel point à quel point on est proche par la Méditerranée bien sûr mais quelle distance quelle distance dans les contextes sociologique et ecclésiologique ; il y a des défis qui nous sont communs et puis à des situations qui sont extrêmement différentes .
Cela j’ai eu à m’en rendre compte au fur et mesure des mes responsabilités et puis pour terminer sur ce qui ce qui comme on disait autrefois d’où je parle j’ai eu à travailler au Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (j’y suis encore aujourd’hui) et c’est exactement un lieu d’observation de ce qui se passe dans le monde du point de vue des relations interreligieuses et maintenant vous êtes aussi bien placé puisque Norbert Turini est membre du conseil d’honneur de la Conférence des évêques de France sur ces questions et on voit toutes les difficultés de ce travail (on y ne reviendra ce soir ou dès demain) mais on va voir toutes les difficultés de ce travail aujourd’hui en particulier chez nous en France avec la grande difficulté de la représentation de l’Islam et toutes les questions que cela entraîne (et on n’en n’est pas sorti) (mais on va laisser ça pour l’instant).
La question que je voudrais aborder ce soir c’est en reprenant cet itinéraire dont je viens de donner quelques éléments : qu’est-ce que j’ai mieux compris moi–même de la mission de l’Eglise à la faveur de mon travail pastoral et théologique au service des questions des relations interreligieuses ? voilà c’est sous cet angle là que je prends cet enseignement pour ceux parmi vous qui sont étudiants et à qui on a demandé de travailler sur ces questions et je le fais parce que en vous expliquant par quelles étapes moi même je suis passé dans la compréhension de la mission de l’Eglise à la faveur des questions que posait la foi chrétienne, la prise au sérieux de la question religieuse je voudrais essayer d’ouvrir un certain nombre de pistes. Alors en tout pour qu’on ne s’y perdre pas trop en tout je voudrais dégager 4 étapes, 4 pistes de travail donc quatre étapes pour vous dire par où je suis moi même passé.
1 -LA MISSION DE L’EGLISE :
AU SERVICE DE LA RELATION DE DIEU AVEC LE MONDE
D’abord la première c’est une compréhension de la mission de l’Eglise comme étant au service de la relation de Dieu avec le monde : voilà vous voyez bien ce que j’essaye de dire. Et au bout quand on réfléchit sur les relations interreligieuses et des tas de problèmes qui se posent bien sûr mais la question théologique fondamentale elle abouti au fond sur la question « qu’est ce que la mission de l’Eglise ? ».
Je fais l’hypothèse que la prise au sérieux de ces questions peut nous aider à mieux comprendre ce qu’est la mission de l’Eglise et ça ça la déplace beaucoup aujourd’hui d’où l’importance de ce travail. Et pour me faire excuser encore une petite remarque d’introduction mais qui permet de mieux comprendre l’expression dialogue interreligieux car aujourd’hui c’est une expression qui a au moins deux grand sens : premièrement ça signifie ce que les pouvoirs publics voudraient que les religions fassent pour concourir à la paix sociale : le dialogue est un vecteur de paix sociale et c’est très important (et vous en avez certainement beaucoup l’expérience) mais l’expression dialogue interreligieux signifie aussi quelque chose qui est profondément théologique, qui décrit une attitude, l’attitude que l’Eglise entend adopter à l’égard des fidèles d’autres traditions religieuses que la sienne : voyez se sont deux choses très différentes ; c’est la même expression mais un c’est un vecteur de paix sociale et on peut s’y engager et c’est normal que les traditions religieuses s’y engagent et deuxièmement c’est une attitude de foi basée sur la foi et qui décrit l’attitude qu’on voudrait adopter et qu’on on veut adopter à l’égard des fidèles d’autres traditions religieuses : la première acception relève d’une théorie socio-politique du religieux, la deuxième s’appuie sur une réflexion théologique et pastorale alors c’est cette deuxième acception que je voudrais creuser ce soir
La première est importante aussi mais c’est sur la deuxième que je voudrais m’arrêter ce soir (c’est clair ? et si c’est pas clair dites-le moi car j’ai 400 heures de train dans les pattes j’ai pas forcément les idées claires). Alors je vous disais que si on est bien situé du point de vue théologique on voit que les questions arrivent et ça nous aide à mieux comprendre la mission d’Eglise et là je me dis moi il y a eu quatre étapes.
La première étape c’est que la mission d’Eglise au fond c’est de servir la relation d’amour de Dieu envers le monde, ça paraît banal de dire ça mais prenez juste un Jean chapitre 3 verset 16 : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son propre fils » : pour moi dans mon itinéraire la prise de conscience de ça c’est quelque chose de capital c’est à dire ce n’est pas Dieu a tant aimé l’Eglise c’est Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils non pas pour que le monde soit jugé par lui mais parce que le monde soit sauvé. Ça veut dire au centre il n’y a pas l’Eglise, ça veut dire si tu veux comprendre la mission commence par accepter un décentrement ; voyez travailler à la mission c’est pas travailler à la survie de l’Eglise c’est travailler à ce qu’elle s’ajuste au service de la relation de Dieu avec le monde : il a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils ce qui veut dire que il y à un décentrement ; si je le dis encore autrement ça veut dire que le centre de gravité de l’Eglise n’est pas en elle-même d’ailleurs dans son histoire et à chaque fois qu’elle a trop cru que le centre de gravité, son centre de gravité était en elle-même c’est-à-dire qu’elle se regarde et qu’elle essaye de se survivre ça finit pas très bien . Et si l’on veut aller plus loin c’est dire que le centre de gravité de l’Eglise n’est même pas dans une relation privilégiée qu’elle aurait elle avec Dieu comme si cette relation privilégiée lui permettrait de s’installer en douanière de l’au delà en permettant selon le certificat qu’on présente d’être assuré d’y aller ou pas ; ces attitudes qui ont eut lieu ou qui ont pu avoir lieu cours de l’histoire ne font pas justement ce décentrement et le centre de gravité n’est même ni dans une relation privilégiée qu’elle aurait elle-même avec Dieu, son centre de gravité c’est d’être au service d’une relation entre Dieu et le monde : c’est un peu ce que Jésus dit lui-même quand dans des paraboles il l’explique : c’est là que la parabole du levain c’est à dire que à la fin une fois que vous avez mis le levain dans la pâte et que la pâte a cuit à la fin vous pouvez pas retrouvé le levain ou alors ça n’a pas bien cuit et c’est pareil pour le sel si vous salez l’aliment et une fois que c’est fait vous n’allez pas chercher là le sel c’est la saveur mais c’est plus le grain de sel et si je puis dire c’est pareil pour la lampe après c’est lumière.
Voilà et bien c’est ça c’est à dire le centre de gravité de l’Eglise est le service d’une relation et cette relation c’est une relation d’amour de Dieu envers le monde : ça dit son regard, ça dit sa place. En latin un service se dit un ministère et on comprend mieux d’ailleurs pourquoi l’Eglise s’organise en ministères au pluriel et pourquoi d’ailleurs dans la phase où nous sommes elle a tout intérêt à augmenter cette dimension ministérielle pas uniquement des ministères ordonnés : elle est un service et c’est ce que le mot ministère traduit elle est un service, un ministère et puisque ce centre de gravité n’est pas en elle-même ni même dans la relation avec Dieu, l’Eglise donc n’est pas préoccupée de sa survie ni même de sa réussite en tant que l’Eglise, ce qu’elle sert c’est le Royaume et si on comprend ça on comprend aussi pourquoi l’Eglise n’est souvent pas tout à fait à l’aise dans ce que l’on appelle socialement le dialogue interreligieux où on fait venir toutes les religions ; ça m’est arrivé je ne sais combien de fois où on fait venir le grand mufti, le grand le grand imam, le grand vénérable, et le grand évêque, mais voyez dans son fond l’Eglise elle n’est pas une religion qui chercherait à se développer comme religion elle est un ministère de quelque chose qui la décentre d’elle-même.
Il m’est arriver de n’être tout à fait à l’aise quand autour de la table il n’y avait que des représentants de la religion puisque elle l’Eglise elle confesse que Dieu n’est pas plus proche de l’homme religieux que de l’homme séculier, que la relation d’amour elle est de Dieu pour le monde et pas pour ceux qui dans le monde ont une religion, elle est pour le monde C’est pour ça que quand on lui faire du dialogue interreligieux comme si il n’y avait que le religieux pour être acteurs de la paix sociale oui et non, oui parce que bien sûr elle est heureuse d’y coopérer mais non parce que parce que c’est pas tout à fait sa place non plus ; de plus quand elle y est invité c’est bien mais elle se rend très vite compte que c’est bien mais bon ce n’est pas son rôle et elle n’est pas dupe des rencontres où elle a un fauteuil mais que mais que au fond elle est prisonnière de ceux qui lui on donné le fauteuil c’est à dire que si tu veux garder une distance critique et prophétique au nom du message sur lequel tu prétends être fondé, il n’est pas sûr que le fauteuil que l’on te donne pour participer à la discussion dans un aréopage, donc finalement il n’est pas tout à fait sûr qu’ils aient toutes les composantes y soient et même ni même que ta place soit bien là : alors petit à petit trop contente d’avoir réussi à obtenir un fauteuil elle en deviendra moins éveillé pour exercer des paroles critiques et prophétiques à l’égard de ceux qui lui on donné le fauteuil ; il peut arriver que monsieur le Président de la région et des politiques qui nous ont invités ne soient pas d’accord et que nous ne soyons pas d’accord mais seulement s’il nous a donné le fauteuil : c’est comme si je parle trop longtemps ce soir une religion dans un fauteuil ça fini par s’assoupir donc il faut il faut rester éveillé, il faut garder ce potentiel critique et prophétique c’est une des choses très importante ça et d’ailleurs c’est souvent c’est souvent sur ce terrain-là que dans les relations interreligieuses il faut exercer certaine proximité parce que souvent les messages des religion contiennent cette dimension critique et prophétique et souvent c’est par là aussi qu’on peut se trouver à portée de voix en particulier pour la lutte contre l’injustice, pour l’accueil des plus des plus fragiles, pour toutes sortes de choses qui concernent la dignité de la personne humaine et l’unité de la famille même. Et donc voilà c’est pour cela que vous voyez en partant de cette de cette définition de la mission qui est un service et une relation d’amour de Dieu avec le monde on touche des questions importantes et profondes du point de vue du dialogue interreligieux .
En travaillant ces questions je m’étais dit aussi bon ben c’est sûr que quand on commence (et puis on en parlera demain) on comprend comment l’Eglise est une religion certes vu de l’extérieur sociologiquement mais vu de l’intérieur elle ne se définit pas elle même comme une religion : il a fallu attendre le quatrième siècle, il a fallu attendre Lactance pour qu’on ose employé ce mot qui était plus autre chose ou le mot qui désignait les coutumes païennes ; mais nous on n’était pas une religion, on était les adeptes de la Voie et donc la religion c’était pas bon et après on a perdu ce sens et aujourd’hui aussi on voit bien ce que je disais tout à l’heure : Dieu n’est pas plus proche de l’homme religieux que de l’homme séculier, on voit bien aussi qu’un certain nombre de nos contemporains et on l’a on en voit beaucoup qui sont pas forcément contre la relation avec Dieu mais qui ne trouvent plus dans le discours et la pratique des religions ce qui exprime cette relation et du coup beaucoup vont chercher ailleurs dans l’art, dans la culture dont la production littéraire des voix qui expriment le désir de Dieu qui est en eux et que les religions semblent avoir un peu trahi. Combien d’ailleurs (on va passer tout autant sur les questions interreligieuses) mais enfin pour une bonne partie des gens que nous rencontrons la religion il y a longtemps qu’ils ont pris leurs distances et même une bonne partie de nos contemporains ça veut pas qu’ils ont éteint le désir de Dieu, ça veut pas dire qu’ une dimension de profondeur n’existe plus mais cette dimension par prudence prend un peu de distance ça aussi il faut qu’on la voit briller dans l’ Eglise : Dieu a tant aimé le monde y compris tout ceux qui dans ce monde cherchent à assouvir en eux le désir de Dieu s’en sont aller puiser aux sources des traditions religieuses parce que parce que le message semble avoir été frelaté et donc il faut aussi prendre acte de ces difficultés là et bien comprendre aussi que les religions et peut-être surtout les monothéismes (on y reviendra demain) pourquoi les monothéismes parce que ils ont la prétention de reposer sur une révélation de l’absolu de Dieu et les religions monothéistes plus que d’autres parce qu’elles ont la prétention de reposer sur l’ absolu de Dieu et sont souvent amenés à confondre l’absolu de Dieu avec absolu de l’institution religieuse. Aucune religion est indemne de cette tentation d’ absoluité mais nous éprouvons plus encore aujourd’hui qu’il y a quelques années combien cette tentation d’absoluité est la matrice d’un grand nombre d’abus en tous genres lorsqu’on confond l’absolu de Dieu avec l’absolu de l’institution religieuse et c’est aussi pour ça que le dialogue interreligieux c’est bien mais voilà avec quelques critiques quand même, quelques réflexions critiques sur ce qu’est la religion (on y reviendra demain matin) puisque c’est une vision juste panoramique ce soir ce soir
C’est un apéro c’est pour mettre l’eau à la bouche de plusieurs choses et après on ira prendre qui les petits gâteaux qui les olives ou ce que vous voulez !
Il me semble aussi que par rapport à cette tentation d’absoluité et nous faisons une confusion de l’absolu de Dieu avec l’absolu de la tradition de la de l’institution religieuse il me semble et ça peut être intéressant qu’on peut repérer trois antidotes et ce qui est intéressant enfin pour moi c’est que ces antidotes sont communs à nos traditions religieuses différentes en tout cas au monothéisme on pourrait le faire aussi pour d’autres.
Le premier antidote – c’est ce que j’appellerai la posture du prophète. Le prophète c’est celui qui dit attention attention avec votre absolu et votre prétention absolue et attention Dieu n’en a rien à faire de vos liturgies, de vos libations, de vos sacrifices ce qui compte c’est la justice, c’est donc le souci de la veuve et de l’orphelin. Lisez Amos, Osée et tous les prophètes et donc le prophète est celui qui est un antidote contre la tentation d’absolu et au nom de l’impératif de la justice faites attention qu’à force de faire des liturgies extraordinaires vous soyez tenté de vous absolutiser et d’oublier l’impératif de justice ; et là les prophètes juifs sont une matrice pour ça mais vous pouvez en trouver d’autres par exemple les textes très beau chez saint Jean Chrysostome et d’autres aussi
La deuxième posture c’est la posture du mystique. Le mystique dit oui au truc d’absoluité c’est très bien tout ça très bien nous vous avez raison vous avez raison mais attention attention ne construisez pas des murs parce que l’élan vers Dieu peut monter plus haut que vos murs et l’union à Dieu n’a rien à faire de vos barrières dogmatiques : c’est la posture du mystique. Et le prophète et le mystique c’est pas une critique de l’extérieur de la religion c’est une critique qui s’élève de l’intérieur de la religion : le prophète à cause de ces deux impératif de justice, le mystique à cause de horizon de l’union de Dieu à toute personne humaine et quand d’ailleurs dans l’histoire de l’Eglise on a commencé à reconnaître que ces mystiques avaient une valeur que nous mettrions entre guillemets de sainteté et si vous voulez puisqu’ il faut pas non plus mettre tous les mots à la place des autres mais tout de même on commence à comprendre que le désir de Dieu peut trouver un élan au delà du mur que les dogmatiques par lesquelles ce qui est dogmatique nous sépare du prophète : posture du prophète, posture du mystique.
La troisième posture c’est la posture du théologien : le théologien dit c’est très c’est bien vos affaires c’est très bien mais attention il faut toujours convoquer la raison sur le terrain de la foi et si vous présentez la foi de telle façon qu’elle congédie la raison au prétexte que la prière là je ne sais quoi n’a pas besoin de la raison car après tout l’union à Dieu se fait sans la critique rationnelle alors là vous allez obtenir une religion qui en congédiant la raison a fait le lit de la violence ainsi que le reprendra beaucoup Benoît XVI.
Et donc ces trois postures sont des antidotes à la tentation d’absoluité et davantage c’est que l’ on peut les retrouver dans toutes les religions et le prophète et mystique pensez à Al-Hallaj que Matignon travailla avec autant de minutie et le théologien pensez au Kalâm . Ainsi donc voila c’était ma première étape à partir simplement de Jean 3, 16 et qui ouvre déjà un certain nombre de pistes de travail et qui nous aide à mieux comprendre ce qu’est la mission de l’Eglise.
2 –LA MISSION DE L’EGLISE : COOPERER AVEC L’ESPRIT-SAINT
Il y a une deuxième chose qui est venu elle aussi progressivement c’et si tu veux comprendre ce qu’est la mission décrite à partir de cette expérience là et bien on peut dire la mission d’Eglise est de coopérer avec l’Esprit Saint. Ça paraît banal de dire ça mais c’est un point qu’on n’a pas inventé bien sûr mais qui à la faveur des questions qui nous occupent ce soir s’éclairent un peu plus et permet de mieux comprendre la mission qui est la coopération avec l’Esprit Saint. Ça veut dire comme le disait saint-Irénée il faut regarder les deux mains du Père (c’est cette belle expression de saint Irénée) le Père travaille avec les deux mains celle du Fils et celle de l’Esprit et Irénée qui était un des grands docteurs de l’unité comme on le célèbre ces temps ci à la fois l’unité entre les deux Testaments, l’unité dans l’Eglise, des communauté dans le Christ ; avec Irénée encore on peut un peu mieux comprendre quelle est la place de l’Eglise, on a besoin de l’Eglise parce qu’elle est le peuple des témoins du Christ mais dans sa mission elle coopère avec l’autre main du Père qu’est l’Esprit Saint et l’Esprit Saint n’a pas attendu l’Eglise pour commencer le travail et donc ce qu’il nous faut c’est une théologie trinitaire de la mission qui va nous conduire à l’expérience de la relation inter religieuse et c’est le pourquoi de la nécessité d’une théologie trinitaire de la mission.
Je voudrais donner deux étapes donc qui pour moi étaient importants mais qui relève aussi du magistère récent :
La première est avec Paul VI dans l’Encyclique de Paul VI Ecclesiam suam publié le 6 août 1964 qui est un texte fondamental pour nos questions Dans cette Encyclique Paul VI et il est le premier vous savez dans le magistère de l’Eglise à employer le mot « koloko youm » qu’on traduit par dialogue pour désigner le geste par lequel Dieu se révèle (j’attire votre attention). Là le mot dialogue a une teneur théologique forte, il ne signifie pas un espèce de bavardages entre nous : la première fois qu’il est utilisé dans un texte magistériel par Paul VI le 6 août 1964 c’est pour désigner le geste révélationnel de Dieu dans toute sa teneur théologique et le dialogue ça dit pas ce que je fais là ou ce qu’on peut faire en discutant. Dialogue ça dit ce que je confesse car c’est une confession de foi, c’est pas une évidence mais je confesse moi chrétien d’ailleurs avec mon frère juif, je confesse que Dieu pour se révéler qui avait trente six mille façons de pouvoir le faire a choisi un mode dialogale c’est ça que la Bible raconte cela, elle raconte comment pour se révéler Dieu a choisi d’engager avec l’humanité un dialogue, un dialogue d’ailleurs dit Paul VI-« koloko youm säntis » c’est à dire un dialogue de salut . Et donc c’est ça que dit le mot dialogue c’est d’abord un geste de Dieu, un geste que je confesse être celui de Dieu donc chaque fois qu’on dit dialogue théologiquement parlant nous engageons une confession de foi qui concerne notre théologie de la révélation : le dialogue c’est le geste relationnel de Dieu et la Bible raconte cela sous la forme d’une histoire d’alliance au fond le mot alliance est le mot biblique d’où procède la notion théologique de dialogue c’est un geste de Dieu vous trouverez ça pour paragraphe 65 et 72 de l’Encyclique Ecclesiam suam et Paul VI va encore plus loin et encore plus loin c’est ce colloque ou « koloko youm » qui est avec toute l’humanité (ça on a déjà vu tout à l’heure) et il va encore un peu plus loin c’est que il dit en gros c’est parce que nous confessons que Dieu pour se révéler a choisi un mode dialogale avec Abraham, Moïse etc etc et les quatre alliances d’Irénée dialogue qui peut être comme l’Alliance accepté puis après refusé et puis après reproposer, ect., etc. …. C’est une histoire et Paul VI dit ça parce que nous confessions que Dieu pour se révéler a choisi un mode dialogale que nous comprenons que pour nous c’est l’Eglise dans sa mission qui doit s’ajuster au geste de Dieu et nous devons nous aussi adopter un mode dialogale. Voyez le raisonnement de Paul VI c’est parce que je confesse que c’est un geste révélationnel de Dieu que j’en déduis que ça doit être le geste missionnaire de l’Eglise de même que Dieu choisi le « koloko youm » pour se révéler que l’Eglise doit choisir le dialogue comme vecteur de sa mission
Voilà c’est ça que Paul VI a fait et c’est fondamental et pour le dire en une phrase voici ce qui fonde une théologie dialogale de la mission sur une théologie dialogale de la révélation; c’est ça qu’il a fait dans Ecclesiam suam .Voyez à quel point ça ouvre aussi beaucoup beaucoup beaucoup de perspectives : c’est déjà faire en sorte de dire que la révélation ne serait pas qu’un paquet de vérités qui descendrait un beau jour du ciel et heureusement j’étais pas trop loin donc j’ai eu accès et ceux qui étaient trop loin tant pis pour eux. La révélation est un une histoire, l’histoire d’un dialogue et nous savons tous d’expérience que Dieu ne se résigne pas à nos ruptures d’alliance ou à nos refus de dialogue et l’Apocalypse le dit à sa façon « Je me tiens la porte et je frappe, si tu m’ouvres ton cœur je ferais chez toi ma demeure ».
Cette histoire dont nous savons d’expérience que ce n’est même pas une théorie c’est une expérience spirituelle que nous vivons chacun et nous savons bien que la patience, la délicatesse et la persévérance de Dieu peuvent avoir raison de toutes nos fermetures, c’est toujours quelque chose à reproposer toujours toujours. Donc c’est une expérience spirituelle d’ailleurs il faudrait le dire et le redire tu ne comprends ces questions, à mes yeux, que si elles rejoignent ta propre expérience spirituelle. C’est pas des théories, c’est une conjugaison entre ce qui nous est donné de vivre spirituellement avec les défis de ton Eglise et de ta société que tu n’as pas choisi mais dans lesquels tu vis et l’histoire d’une tradition dont tu es l’héritier. La parole de Dieu et la tradition de l’Eglise c’est ce triangle là d’une une vie spirituelle, d’un défi social, ecclésial et tout ça et d’un héritage la parole de Dieu et la tradition qui sont les racines de la réflexion que l’on essaie d’avoir.
Donc la première étape c’était Paul VI. J’ai dis qu’il y en avait deux pour penser cette théologie de la mission pour penser justement cette dimension trinitaire cette théologie trinitaire de la mission tout vous comprenez aussi que c’est quand notre mission n’est plus un moment de théologie trinitaire que nous risquons de manquer de théologie dialogale de la mission , c’est quand notre théologie risque de ne pas être assez dialoguée. Dans l’histoire récente de la théologie occidentale cette nécessité d’approfondir la théologie trinitaire est de plus en plus importante. J’ai dit que Paul VI l’avait posé là les bases par le biais d’une réflexion sur la révélation. Il faudrait ajouter deuxièmement l’apport ici capital de Jean Paul II pour une théologie trinitaires et en particulier pour le développement d’une théologie de l’Esprit Saint
On doit à Jean-Paul II cette intuition qu’il exprime en plusieurs endroits que « toute prière aux dieux est une prière authentique et inspirée par l’Esprit Saint » (Jean Paul II au Rassemblement d’Assise, 22 décembre 1986) : c’est vite dit mais réfléchissez : « tout prière aux dieux est une prière authentique et inspirée par l’Esprit Saint »
Vous voyez prier des musulmans. Je pense à Charles de Foucault au Maroc qui est loin encore de tout ça mais la vue de cette prière ravive en lui quelque chose : ça va pas être immédiat, mais ça va avoir son effet. Souvenez vous quand Jean Paul II arrive quelque part le premier geste c’était d’embrasser la terre comme pour signifier que cette terre avait déjà été travaillé par l’Esprit Saint avant même que les pas des premiers missionnaires en aient foulé le sol. Souvenez-vous de cette séquence extraordinaire (quand on relit ça avec un peu de distance !) qui entre 1985 et 1986 a représenté sur la conduite de Jean Paul II un engagement fondamental de l’Eglise dans ce qui avait été posé aussi à Vatican II et qu’il a estimé qu’il fallait selon son expression « faire maintenant une leçon de choses », c’est son expression (je reprends la séquence parce qu’elle est très significative ). Le 19 août 1985 au retour d’un voyage apostolique en Afrique il s’arrête au Maroc et le jour la rencontre à Casablanca au stade de Casablanca les jeunes musulmans ( vous connaissez le discours et il ne faut pas se lasser de le relire) : je suis catholique vous êtes musulman voilà ce que moi je crois, voilà ce que je comprends que vous croyez, voilà me semble-t-il ce qui nous est commun, voilà me semble-t-il ce qui nous distingue mais probablement on doit pouvoir faire des choses ensemble et la première serait de prier
Regardez la séquence du 25 janvier 1986 : il annonce son intention dans le cadre de l’année de l’ONU pour la paix de convoquer à Assise à l’automne une journée de pèlerinage des jeunes, de prières pour la paix à laquelle participeront et seront invités à participer les responsables des églises les responsables des religions
25 janvier 1986 : c’est pas un hasard, c’est la conversion de saint Paul et la semaine de prière pour l’unité ; c’est aussi cette date (souvenez vous) qu’avait choisi Jean XXIII pour annoncer la convocation du Concile Vatican II le 25 janvier 1959.
Le 13 avril 1986 il se rend et c’est la première fois qu’un pape le fait à la grande synagogue de Rome. Je reviendrai là dessus parce que cette question judéo chrétienne est déterminante
18 mai 1986 mai il publie la lettre Encyclique Dominum et Vificantem: Surl’Esprit Saint dans la vie de l’Eglise et du monde et au numéro 53 vous avez cette phrase que j’ai cité tout à l’heure « toute prière authentique est inspirée par l’Esprit Saint »
Le 19 août, 25 janvier, 13 avril, 18 mai, Et puis le 27 octobre c’est la journée de prière des jeunes au pèlerinage pour la paix à Assise avec tout ce que ce dont vous souvenez et puis le 22 décembre 1986 c’est vous savez c’est la rencontre toujours du pape avec les cardinaux et la curie plus ça va plus on voit que c’est des rencontres que quand ils y vont ils sont un peu ennuyés
Parfait bon voilà ce que dit Jean-Paul II : « On a passé une bonne année et joyeux Noël mais enfin je voudrais vous dire ça quand même » parce que Jean Paul II savait très bien que dans la Curie les rencontres d’Assise n’avaient pas forcément été du goût de tout le monde. Et donc Jean-Paul II dit « Joyeux Noël et passez de bonnes années et moi ce que je retiens c’est la journée d’Assise et je vais vous dire pourquoi j’ai convoqué Assise ».
Et là je dis surtout aux étudiants si vous voulez avancer travaillez ce discours du 22 décembre 1986 ; il y reprend d’ailleurs la fameuse formule que je viens de vous dire sur l’Esprit Saint et là vous avez la théologie d’Assise par Jean Paul II lui-même et c’est extrêmement intéressant. Donc voyez on lui doit à lui aussi cet appel de fond à revigorer une pneumatologie de l’Esprit-Saint et entendez bien c’est pas une pneumatologie qui serait un dérivatif facile aux obstacles de la concrétude de la christologie. Voyez c’est évidemment nous avec le Christ qui est incarné et du coup c’est pas très universel puisque c’est un peuple, une culture, une date et tout ça heureusement on a l’Esprit-Saint alors celui-là il passe partout et ça c’est pas comment dire un équilibrage universaliste par une pneumatologie qui nous évite les ornières de la concrétude de la christologie car c’est bien l’Esprit de Jésus Christ ou comme dit saint Paul de Jésus Christ crucifié. Mais il y a justement besoin d’une théologie trinitaire et de relancer la pneumatologie, on est pas encore là, on n’a pas encore fait tout ce travail me semble-t-il : la piste est lancée mais on devrait peut-être d’ailleurs recueillir là les richesses de la réflexion trinitaire des chrétiens d’Orient qui a toujours été plus grande et plus forte que celle des chrétiens d’Occident. Ça serait ça serait une piste de travail aussi et puis on aurait chez saint Augustin, chez saint Thomas aussi dans bien des auteurs on aurait des possibilités magnifiques mais il faut aller les chercher. Mais une théologie trinitaire est nécessaire pour bien comprendre que la mission de l’Eglise c’est de coopérer avec l’Esprit Saint.
Pour dire de manière plus simple je voudrais qu’on comprenne c’est qu’en gros vous comprendrez dans le contexte mais ne sortez pas cette phrase de son contexte : l’Esprit-Saint peut tout sauf remplacer le disciple du Christ : il faut un Ananie pour Saul en Actes 9, il faut un Pierre pour Corneille en Actes 10 : il faut un témoin du Christ c’est à dire c’est comme si nous ( je là décris des choses qui ne se décrivent pas pour qu’on comprenne) comme si vous voulez dans ma foi je suis sûr que l’Esprit-Saint travaille déjà de l’intérieur mon interlocuteur qui ne croit pas mais qu’il lui faut à lui en dépit du travail que l’Esprit-Saint fait en lui, il lui faut la rencontre de quelqu’un qui croit non pas pour qu’il soit sauvé car c’est pas moi qui juge des conditions pour lesquels il le sera et il se peut très bien que jamais il ne rencontre un témoin du Christ, je ne peux rien en déduire quant à son salut mais parce que c’est la mission du chrétien que de dire à celui qu’il rencontre ce qui te travaille je vais te dire ce que c’est l’Esprit de Jésus et de Jésus Christ crucifié et comme disait Bernadette : « Je ne suis pas chargée de le faire croire je suis chargée de le dire ».
Voilà pourquoi il faut une Eglise de témoins mais l’essentiel du travail c’est l’Esprit Saint qui le fait d’une part à l’intérieur de la conscience de mon interlocuteur, d’autre part en moi car si je suis témoin du Christ c’est bien qu’il m’a travaillé aussi. Repenser l’Esprit Saint comme premier agent de la mission comme celui qui de l’intérieur de mon interlocuteur ajuste la serrure de son cœur à la clé du message. C’’est (vous en avez l’expérience) c’est l’Esprit Saint qui ajuste de l’intérieur la serrure à la clé et moi j’arrive je n’ai plus qu’à mettre la clé et c’est cela qui peut-être m’a fait comprendre pourquoi on représente toujours saint Pierre avec des clés. Mais pour cet homme vous comprenez bien qu’il faut bien quelqu’un qui ait la clé mais l’essentiel a été fait autrement de l’intérieur et ça peut permettre aussi de comprendre que la conversion de l’autre pour peu qu’elle arrive ne peut pas arriver si elle va pas de pair avec ma propre conversion : c’est le travail de l’Esprit Saint dans le monde. Le mot conversion est d’ailleurs suffisamment riche dans le christianisme pour qu’on ne réduise pas à l’opération qui consiste à changer de religion. Il y a là quelque chose d’extrêmement réducteur , d’ailleurs au moment des Cendres on nous a dit « convertissez-vous ! » et ça veut pas dire change de religion mais la conversion de l’autre et la mienne vont de pair : que comprendra de l’Evangile celui à qui je l’annonce s’il ne percevait pas que j’étais moi même toujours dans un travail de conversion par rapport à ce même Evangile ? Que comprendra-t’il s’il ne percevait que moi aussi je découvre des choses dans la relation avec lui qui est un rendez vous que le Seigneur nous a donné à la faveur du travail de l’Esprit
Voyez les deux mains du Père le témoin du Fils et le travail de l’Esprit. Il faut apprendre à coopérer avec l’Esprit Saint : voilà aussi qui libère de certaines angoisses qui peuvent se faire jour dans notre Eglise aujourd’hui où on est là à se demander, à regarder avec inquiétude les courbes de croissance ou de décroissance ou alors pire encore à lorgner de façon angoissée et envieuse certaines courbes de croissance des frères évangéliques. Mais le premier responsable c’est l’Esprit Saint et moi j’apprends à coopérer avec lui. Coopérer qu’est ce que ça veut dire ? ça veut dire chercher les traces du mystère pascal dans les expériences humaines avec lesquels je fais mon chemin de vie, c’est ce qu’on fait dans le travail pastoral à longueur de temps, cherchez les traces mystère pascal, lisez le paragraphe 25 de Gaudium et Spes : nous devons tenir que l’Esprit-Saint fera tout d’une façon que je connais la possibilité d’être associés au mystère pascal, ça veut dire aussi chercher les traces du désir de Dieu dans l’histoire religieuse et culturelle de l’humanité ; c’est ça apprendre à coopérer avec l’Esprit Saint et cette coopération n’est jamais à sens unique vous voyez bien c’est à dire qu’en même temps elle rejaillit sur ma propre sur ma vie, mon propre chemin de foi.
Un jésuite avait réfléchi à sa connaissance du monde Michel de Certeau dans un article paru dans la revue Christus en 1963. L’article s’appelait la conversion du missionnaire et Jean Michel de Certeau racontait et c’est toujours long les articles de Michel de Certeau.
Le missionnaire s’en va avec sa Bible dans son sac à dos tout heureux parce qu’enfin il va pouvoir annoncer l’Evangile aux peuplades qui ne la connaissent pas. Il arrive il arrive il arrive il arrive, il pose le sac et il va s’apercevoir que la Bible ils n’y comprennent rien parce qu’ils parlent pas sa langue. Alors il faut d’abord qu’il apprenne la langue et alors là ça va le retenir pour un certain temps et puis pas seulement la langue ; et puis il s’aperçoit aussi qui s’est pas uniquement apprendre dix mots, c’est comprendre des comportements de ces gens-là et qu’ils en vivent déjà. Pensez à Charles de Foucauld et le temps qu’il a passé dans ce dictionnaire touareg-français et français-touareg ; pensez à Albert Peyriguère qui est un disciple de Foucauld qui lui avait fait en arrivant au Maroc à El-Kbab un dictionnaire psychologique de la langue berbère parce que des dictionnaires ce n’étaient pas que des mots : Il faut comprendre l’état d’esprit dictionnaire psychologique de la langue berbère
Alors Michel de Certeau il regarde , il fait tout ça il fait tout ça et que tout ça il l’apprend et puis du temps qu’il apprend, et les regarde vivre et puis en regardant vivre sa vie mais il va comprendre des choses et là il comprend qu’ ils ont pas eu besoins qu’il leur explique tout ça car ils vivent déjà des choses que lui voulait leur dire au nom de l’Evangile. Et puis Michel de Certeau en continuant il s’aperçoit même qu’en les voyant vivre il comprend lui même des choses de l’Evangile que jusque là il n’avait pas compris. Et Michel de Certeau écrivait « comme si certaines fleurs encore closes de son jardin chrétien avait eu besoin pour pouvoir éclore du soleil qui lui viendrait d’une autre culture que ne ponctuait pourtant aucun signe chrétien » : c’est ça la coopération avec l’Esprit Saint elle n’est pas à sens unique, elle est à double sens alors j’avance j’ai dit un la mission comme service de la relation d’amour de dieu envers le monde
*« Fleurs closes depuis longtemps présentes dans son jardin chrétien, certains mots de l’Évangile – ceux qui disent la « fécondité » de la vie divine ou la mystérieuse connivence du Très-Haut avec les pauvres – s’ouvrent en ce matin d’une fraternité nouvelle et lui montrent un secret jusqu’ici inaperçu » (Texte original)
En deuxième partie j’ai évoqué la mission comme coopération avec l’Esprit Saint je voudrais maintenant dire et pour changer les choses ce que moi petit à petit j’ai découvert à force de travail et d’être aux prises avec ces questions d’avoir à expliquer les choses.
3 – LA MISSION DE L’EGLISE EST A COMPRENDRE SUR L’HORIZON DE LA PROMESSE
Maintenant en troisième partie je voudrais aborder la question : la mission est à comprendre sur l’horizon de la promesse
La mission est à comprendre sur l’horizon de la promesse. Pour moi ça a été une découverte progressive et pas du premier coup c’est parce j’ai été amené à y travailler et pourtant maintenant je pense mais ça c’est capital je vous dis comment j’y suis arrivé d’abord j’ai remarqué que c’était le chemin qu’avaient suivi nos Pères au Concile Vatican II c’est à dire qu’ils ne s’étaient pas mis dans la tête qu’ils allaient travailler sur les religions, ni même sur les relations de l’Eglise avec les religions. Nostra Aetate c’est le fruit de d’un certain nombre de choses mais c’était pas un objectif du Concile. On peut même remonter plus loin quand Jean XXIII a convoqué toutes les commissions préparatoires il s’était aperçu qu’aucune des commissions et des assemblées d’évêques pour contribuer à la préparation du Concile n’avait inscrite aucune contribution à l’agenda du travail de l’assemblée conciliaire la nécessité d’écrire un texte sur la relation entre l’Eglise et le peuple juif et ça Jean XXIII ne l’accepté pas pour deux raisons
La première c’est toujours pareil c’est l’expérience personnelle. Jean XIII avait été à Sofia pendant la guerre puis à Istanbul et il avait lui même joué un rôle dans le sauvetage d’un certain nombre de familles juives. Retenez ce je vous ai dit tout à l’heure : l’expérience est une expérience spirituelle. Et la deuxième raison c’est que il avait rencontré le lundi 19 juin 1960 Jules Isaac ; (pour les plus anciens cet historien c’était les manuels Malet et Isaac et Isaac qui était un historien important à cette période.
C’était un historien justement critique et prophétique pour reprendre l’expression tout à l’heure c’est à dire qu’il avait osé travailler après la fin du premier conflit mondial sur une analyse des discours des gouvernements français et allemand et du coup remettant en cause la théorie française comme quoi nous n’avions fait que nous défendre et que nous étions les victimes d’une agression à croire que l’Allemagne était l’agresseur mais que nous n’avions vraiment rien à nous reprocher et Isaac avait voulu travailler avec des historiens allemands, une petit groupe l’historien français et allemands, à retravailler sur une lecture critique des discours de chacun des deux pays ; évidemment cette initiative ça lui a valu qu’il a perdu tout place à l’Université mais il a continué. Et il s’était mis depuis quelques temps avant le deuxième conflit mondial sur un autre sujet qui étaient des racines chrétiennes de l’antisémitisme : quel l’antijudaïsme chrétien ? Quel est son lien avec l’anti sémitisme païen ?. Voilà comment il avait commencé ça .
Puis pendant la guerre alors qu’il était absent du domicile familial sa femme et ses enfants avaient été raflés comme on dit à Paris au Val d’Hiv puis de là transférés dans un camp de concentration dont ils ne revinrent pas ; mais à Drancy c’était bon signe et sa femme avait eu le temps de lui écrire des billets pour lui dire « voilà tout va bien, ne t’inquiète pas »et elle a terminé en disant « Tu sais le livre que tu as commencé sur Jésus Israël surtout fini le ! » . Et quand il a reçu ça ce projet qui était pour lui un livre parmi d’autres c’est devenu une cause à laquelle il a voué toute la suite de sa vie : il a fondé les amitiés judéo chrétienne, il a rencontré Pie XII en 1947 et ensuite Jean XXIII le 19 juin 1960 et il avait remis à Jean XXIII le fruit de son travail, le fruit de son travail avait déjà eu un certain nombre de conséquences et Jean XXIII connaissait en particulier le livre qui avait été publié en 1946 et qui se terminait par une vingtaine de propositions concrètes pour travailler contre les racines de d’antisémitisme, les racines chrétiennes de l’antisémitismes
Et l’année suivante en 1947 un pasteur protestant qui s’appelait Pierre Wisser avait pris l’initiative de convoquer en Suisse dans un petit village qui s’appelle Seelisberg , il avait pris l’initiative de convoquer là une réunion entre le 30 juillet et le 5 août 1947 de théologiens protestants juifs et catholiques pour travailler ensemble, pour essayer d’extirper de la pastorale et de la catéchèse chrétienne tout ce qui pourrait conduire à l’antisémitisme et ce groupe auquel évidemment participait Jules Isaac et quelques théologiens (un protestant et quelques théologiens catholiques), parmi les catholiques avaient été invités Jacques Maritain mais qui n’avait pas pu venir et qui avait confié ce qu’il avait préparé à un de ses amis qui lui était tout proche qui était à Fribourg c’était Charles Journet et donc Journet il y a aussi participé. Puis ils sont arrivés à un certain nombre de choses dans plusieurs commissions et l’une des commissions portait sur la rédaction de 10 points très simples qu’on appelle les dix points de Seelisberg pour qu’ils soient très faciles à retenir pour tenter d’extirper de la catéchèse, de la prédication chrétienne tout ce qui peut conduire à l’antijudaïsme ; mais c’est surtout le point 5 par exemple pour rappeler que Jésus était juif, rappeler que tous les apôtres étaient juifs etc etc et après vous évitiez de parler du peuple juif comme du peuple maudit ou comme un peuple déicide. C’était des trucs très simples au point que si vous le lisez une première fois et vous vous dites c’est magnifique que en 1947 deux ans après la fin du deuxième conflit mondial on soit parvenu chrétiens juifs et catholiques a posé ces choses, puis vous lisez une deuxième fois vous réfléchissez bien vite quand même c’est incroyable qu’il ait fallu le drame de la Shoah pour réaliser le fait aussi simple que Jésus était juif et ses apôtres aussi et caetera. Et je vous ne vous cache pas que si vous le lisez une troisième fois aujourd’hui vous vous dites combien aujourd’hui aussi il serait urgent de redonner à lire à un certain nombre de chrétiens les dix points de Seeliberg. Ç’ as fait beaucoup réfléchir !
Et une fois j’avais donné une conférence comme ça en Corse et qui explique Jules Isaac, Seelisberg, que Jésus est juif et ses apôtres aussi et à la fin au cours d’une séance de question une dame un peu âgée qui lève la main et dit « merci j’ai compris hein c’est vrai c’est vrai que Jésus ‘était juif et je pense que les apôtres aussi ils étaient juifs mais mais enfin mon Père pas la Madone quand même ! » . Alors c’est d’abord un travail mais aujourd’hui ce n’est pas de trop d’y revenir surtout quand on entend certains discours en vue des élections.
Alors voilà Seelesber, Isaac et donc Jean XXIII décide d’autorité d’inscrire à l’agenda de l’assemblée conciliaire la préparation d’un texte sur les relations entre foi chrétienne et foi juive ; et il confie ce travail au cardinal Augustin Béa qui est un jésuite allemand exégète (vous savez déjà son rôle dans le Concile) (bon on y viendra demain pour regarder un peu tout ça comment Nostra Aetate a été construit etc etc ).
Mais ce que je voudrais observer avec vous c’est la première raison de ces premiers points de friction sur l’horizon de la promesse : c’est que nos Pères du Concile n’en sont venus à parler d autres traditions religieuses que parce qu’ils ont commencé à travailler sur les relations judéo-chrétiennes c’est ce qui va devenir le paragraphe 4 de Nostra Aetate la seule chose prévu et c’est parce que lorsque le cardinal Béa a sorti un premier projet parce que quand il a sorti ce projet les évêques du Proche Orient ont dit niet : il n’est pas question que le Concile dise quelque chose sur le judaïsme surtout si c’est positif parce qu’alors vous aurez beau dire que c’est un machin pastoral et spirituel ça sera comme une reconnaissance de l’Etat d’Israël et qui sait qui va payer les pots cassés c’est nous les chrétiens d’Orient donc niet ! Il a fallu remettre le truc dans le tiroir et que Paul VI après Jean XXIII décide de le ressortir ; et c’est à cause de ça que les évêques d’Extrême-Orient et du Japon en particulier ont dit : non mais nous vous savez nous au Japon le judaïsme c’est loin mais s’il y avait une petite phrase sur le bouddhisme et sur l’hindouisme aussi ce serait bien et c’est comme ça que tout a commencé à ajoutez à ce texte sur le judaïsme quelques considérations sur qu’est-ce que c’est une religion et puis sur le bouddhisme et les autres ont dit et l’islam alors ! Du coup on a constitué une petite commission avec les Pères Blancs de Tunisie avec les dominicains d’Egypte pour arriver ainsi à un paragraphe sur l’islam et c’est comme ça que qu’on est arrivé à Nostra Aetate . Et voyez bien que sur la constitution de Nostra Aetate ont plané trois gros problèmes, trois gros orages qui n’ont pas terminés aujourd’hui de constituer un ciel menaçant d’abord les nuages politiques : qui dira aujourd’hui que dans les relations interreligieuses voire dans l’actualité récente œcuménique des questions politiques n’interfèrent pas ?
L’’autre nuage c’est le nuage méthodologique. On avait un texte qui était devenu un ovni : on était parti sur le judaïsme en disant c’est en scrutant son propre mystère que l’Eglise s’interroge sur les liens avec le peuple juif et puis après on a le bouddhisme et l’hindouisme ce n’est pas la même chose donc méthodologiquement fallait-il faire deux textes ou non et n’en garder qu’un et comme le temps passait, on était à 1962 puis on arrivait à 1965 ans fallait-il en garder un ou en faire deux. On a dit il fallait mieux garder un seul texte. Et il vaut mieux faire un seul texte et ce texte est devenu une déclaration. C’était le quatrième statut de ce texte et pour faire droit à ce problème technologique et bien on a fait un seul texte mais dans l’organigramme de la Curie on a fait deux trucs et dans le Conseil qui va devenir Conseil pour les relations interreligieuses mais qui ne travaille pas sur le judaïsme on a mis le judaïsme dans le Conseil qui est devenu pour l’Unité des chrétiens et c’est pareil à la Conférence des Evêques de France avec Norbert nous travaillons sur les relations interreligieuses est donc pas sur le judaïsme mais j’ai demandé depuis deux ans que nos responsables du Service national des relations avec le judaïsme participent à notre conseil
C’est quand bien même on voit bien où est le problème méthodologique concrètement on est confronté à des choses que nous faisons souvent à 3 et Norbert avait préparé ça pour la visite ad limina parce que c’est la vérité de notre chose mais vous voyez le nuage politique, le nuage méthodologique et le nuage théologique sur lequel on viendra plus tôt demain
Mais il n’a pas manqué de voix pour dire et s’élever pour dire que à force de parler de la liberté religieuse (et pour Humanae Vitae c’est une autre différence dont qu’il faudrait faire l’histoire) et puis il a des religions et de façon positive ne va-t-on pas être en contradiction avec l’héritage de la mission qui dit quand même que Jean 4 « le salut vient des juifs » qui dit quand même « hors de l’Eglise pas de salut » ? nous y reviendront demain) et l’on sait que les questions sur la liturgie, sur le latin qui des fois reviennent de Motu proprio en Motu proprio : on part derrière ce nuage théologique qui est celui de la fidélité ou non à l’interprétation d’une tradition (on y viendra aussi) mais voyez bien comment ces choses sont aujourd’hui nous sommes encore sous la menace de ses trois nuages menaçant
Mais ce qui est clair ce que le chemin de nos Pères conciliaires nous dit c’est que si l’on veut travailler sur les relations interreligieuses il faut commencer par la question de la relation entre juifs et chrétiens, c’est capital et dit autrement ça concerne la question de la relation entre identité et altérité : il faudrait ici évoqué une chose c’est que le virus du marcionisme qui n’est pas mort. Marcion, un évêque de Sinope, était celui (il y en avait d’autres) mais c’est le plus connu avait pensé que maintenant c’est bon on était chrétien on avait plus besoin de la Bible juive, que dans nos Bibles pas la peine qu’on garde l’Ancien Testament et que même dans le Nouveau Testament certaines choses sont tellement juives que c’est pas la peine de se trimbaler avec ces vieux trucs. Et donc Marcion c’est ça et il a été condamné en 144, en 144 c’est pas d’hier mais le virus a marché, a survécu à la condamnation de Marcion un peu comme le bacille de la peste dans le livre de Camus où une brave dame a le virus dans les plis d’un drap d’une armoire ! Et à plusieurs époques de l’histoire de l’Eglise il s’est réveillé et toujours dans son histoire elle a eu une relation pas simple avec le judaïsme parfois tentée comme dans certains textes de Chrysostome ou même un peu d’Augustin parfois, tentée de les considérer avec un certain mépris : s’il existe encore c’est bien parce que ça montre à quel point le triomphe de l’Eglise est total, que ce peuple n’étant plus qu’un peuple errant vous avez des choses comme ça et en même temps ils sont là et le salut vient des juifs et l’Epître aux Romains chapitre 9-11 . Il y a une espèce d’ambivalence dans l’histoire de l’Eglise entre la tentation triomphante et la nécessité du respect ça donne des fois des choses très belles la protection au moment où la société elle-même protège moins mais ça donne des fois des choses très douloureuses
Le virus du marcionisme n’est pas mort et parmi les époques de l’histoire où il s’est réveillé il y en a une qui est importante (on y viendra demain matin) c’est le début du 20e siècle lorsque en Allemagne ce virus est réapparu sous la plume de trois auteurs Adolf von Harnack, grand théologien protestant, un autre qui s’appelle Paul de la Garde, un orientaliste bien connu et un troisième Arthur Bonus (c’est comme ça c’est son nom), un pasteur protestant. Et le protestantisme allemand a repris cette idée qu’après tout le christianisme devait être arien et donc être débarrassé de toutes ces choses juives qui l’encombrent et que finalement on devait arriver (c’était le nom du mouvement) à un christianisme allemand débarrassé du judaïsme et là vous voyez avec quelle facilité le national-socialisme a pu prendre appui sur le christianisme allemand au point qu’un pasteur protestant Bernard Remond allemand décrit l’église protestante comme je cite « une Eglise a croix gammée » ; mais il a fallu la révolte d’un certain nombre et de la résistance d’un certain nombre de penseurs comme Muller, Dietrich Bonhoeffer et un suisse Karl Barth ; il a fallu le synode de Barmen en 1934 pour que l’on oppose au christianisme allemand les chrétiens confessant qui eux ne se résolvaient pas à cette façon de concevoir les choses.
Le courant marcionisme continue et aujourd’hui non plus il n’est pas tout à fait mort dans la relation du dialogue judéo-chrétien et parce que c’est le chemin de nos Pères dans la relations judéo chrétienne parce que le virus du marcionisme n’est pas mort et qu’au fond il faut accepter que nos Bibles soient des reliures.. Au fond pour le dire en une phrase, d’une phrase, il nous est demandé d’accepter que nous ne puissions pas comme chrétien décliner notre identité sans faire référence à une altérité qui lui est constitutive : nos Bibles sont des reliures, on ne peut pas décliné notre identité de chrétiens sans faire référence à une altérité juive qui lui est constitutive et chaque fois qu’on oublie trop ça finit mal, Et ça veut dire aussi que l’identité ne se boucle pas sur elle-même, chaque fois que l’identité oublie cette part d’altérité elle devient comme le dit Amin Maalaouf « une identité meurtrière » et aujourd’hui ce danger n’est pas mort et vous comprenez que du coup c’est parce que notre foi c’est quand même incroyable est d’abord une religion seconde, nous ne sommes que la greffe sur l’olivier du judaïsme et l’accepter c’est encore un autre décentrement et c’est à partir de ce décentrement qu’on peut s’interroger sur la place des autres traditions religieuses avec lesquels on n’entretient pas le même rapport qu’avec le judaïsme mais qui sont aussi une autre activité sur la place de ces altérité dans le dessein divin de salut.
C’’est pourquoi la mission doit être regardée sur l’horizon de la promesse parce que la promesse celle faite à Abraham au tout début de l’histoire du salut : «En toi seront bénies toutes les familles de la terre et un jour viendra où toutes les nations convergeront vers Jérusalem ». Mais regardez bien ça c’est une promesse mais le peuple juif n’a pas de commandement missionnaire : sa mission à lui c’est de croire en la promesse et de vivre concrètement de telle façon que sa vie exprime cette foi en la promesse : voyez la minutie des 613 préceptes (quand on dit nous on n’est débarrassé de ça !) mais c’est une façon d’exprimer une foi en la promesse et donc le peuple juif par lequel vient la promesse le salut vient les juifs n’a pas de commandement missionnaire il n’a jamais marqué « allez de toutes les nations faites des juifs » et la foi chrétienne greffée sur l’olivier de la foi juive comporte en plus de la promesse le commandement de la mission « allez de toutes les nations faîtes des disciples » et donc il ne faut pas oublier que le commandement de la mission est à comprendre sur l’horizon de la promesse.
Pour moi dans ma recherche à ce moment là c’était très important d’abord ça m’a invité à dire aux étudiants si vous voulez travailler sur l’islam, sur le bouddhisme etc… faites le mais passer par la case de la réflexion théologique sur la relation judéo chrétienne sans quoi vous accumulerez des connaissances certes mais vous ne serez pas parti de l’intérieur de la foi chrétienne, de son originalité, de ce lien avec l’altérité
Ca m’a aussi donné à lire (je le dis on y reviendra sans doute demain) un livre qui m’a beaucoup beaucoup inspiré qui est le livre de Joseph Ratzinger paris paru en 1967 en allemand et traduit en français en 1971 sous le titre Le nouveau peuple de Dieu et les deux derniers chapitres en particulier où Ratzinger a redéfini la notion comme accompagner la marche de Dieu vers les peuples du monde à cause de la promesse à cause la promesse : le salut vient de la promesse et non de la mission. Ça nous donne à voir et on aurait tort de se focaliser sur la mission qui tend à attraper les angoisses en oubliant que plus large que la mission il y à la promesse. Voyez tout ce que je vous dis depuis le début procède d’un mouvement de décentrement : la relation de Dieu avec le monde et puis après la coopération avec l’Esprit Saint et puis maintenant le lien entre la mission est la promesse (on y revient demain).
4 – LA MISSION DE L’EGLISE COMME REALISATION DE LA VOCATION DE L’EGLISE A LA CATHOLICITE
Je voudrais finir avec un quatrième point je serai plus bref la dessus. J’ai dis donc 1 voilà ce qui m’a ce que j’ai compris petit à petit la mission commune au service de la relation d’amour de Dieu avec le monde, 2 la mission en coopération avec l’Esprit Saint. Et tout ce que ça veut dire que déjà en3 la mission sur l’horizon de la promesse et 4 mais ça c’est beaucoup plus récent pour moi c’est de la mission comme réalisation de la vocation de l’Eglise à la catholicité, la mission comme réalisation progressive de la vocation de l’Eglise à la catholicité.
Pour expliquer un peu ça il faut bien sûr sortir très vite de l’idée que catholique égale une étiquette qui nous permet de dire moi je suis catholique ça veut dire moi je ne suis pas protestant ou je ne suis pas orthodoxe, ce n’est pas ça. Catholique c’est une vocation c’est comme quand on dit l’Eglise dans le Credo , elle est une, elle est sainte il y a encore du chemin, elle est apostolique il y a de la marge de progression enfin ça va elle est catholique mais c’est elle sera la fin si vous voulez
Mais c’est ça c’est ça l’idée c’est que la catholicité est une dynamique elle est plutôt même une vocation elle est ce à quoi toute l’Eglise est appelée c’est-à-dire les catholiques qui n’ont pas le monopole de la catholicité puisque c’est une vocation et il faut bien en prendre conscience et là aussi ça part de notre expérience personnelle, spirituelle. Il faut pour comprendre ça comprendre aussi que la vocation elle-même est quelque chose de dynamique et non pas de statique et qui peut dire moi je sais ma vocation moi je suis mère de famille, moi je suis évêque, moi je suis dominicain mais c’est pas ça ta vocation ? non c’est pas ta vocation c’est un choix de vie, un état de vie, un choix que tu as posé à un certain moment et encore c’est un choix c’est un choix c’est une foi mais comme dit le Seigneur « c’est pas moi c’est pas vous qui m’avez choisi c’est moi qui vous ai choisis » alors toi qui te met à choisir mais toi tu as choisi d’accepter d’avoir été choisi c’est ça, « c’est pas vous qui m’avez choisi c’est moi qui vous ai choisis ». Donc oui à un moment fort tu choisi d’accepter d’avoir été choisi pour appeler et est donc ça ta vocation c’est lié à ses choix alors il faut là aussi prendre conscience du devoir pour moi d’une chose c’est que dans la vie la majeure partie des choses je les ai pas choisis : j’ai pas choisi de naître, j’ai pas choisi de naître à cette période de l’histoire du monde dans tel pays, et puis et puis des trucs qui me constituent que la majeure partie des choses je les ai pas choisis mais dans tout ces choses qu’ont n’a pas choisi que parfois on appelle un destin j’ai choisi d’accepter d’entendre un appel et à cause de cet appel j’ai fait quelques petits choix : dans la vie on ne fait pas beaucoup finalement de choix et quelquefois ont fait de grands choix et après on essaye à partir d’une série de petits choix d’être le plus en plus en cohérence possible avec quelques grands choix qu’on a posés au milieu de la majeure partie des choses qu’on n’a pas choisi. C’est ça l’histoire d’une vie et donc une vocation c’est un travail de tissage entre les fils du destin et les fils d’un appel. On peut dire que la vocation est sans cesse en nous un travail d’enfantement et celui qui dirait moi c’est bon j’ai ma vocation alors celui qui dit ça c’est qu’il n’a pas fini le travail ou qui l’a pas compris cette dynamique qui peut pas savoir que ta vocation tu l’as comprendra à la fin quand tu reliras ta vie dans le regard de Dieu, c’est là que tu comprendras que la Bible donne ça donne à voir, à comprendre ça en Apocalypse au chapitre 12 verset 17 « au vainqueur je donnerai la manne cachée et sur le caillou blanc de l’autre rive est écrit le nom que ne connaît que celui qui le reçoit » : au fond une vocation et nos vies personnelles sont de cette expérience sont toujours entre eux Isaïe 49,16 et Apocalypse 2,17, Isaïe 49,16 « ne craint pas j’écris ton nom sur la peau de mes mains »
Et Apocalypse de 2, 17*« Au vainqueur je donnerai la manne cachée et le nom que ne connaît que celui qui le reçoit ». Entre les deux il y a un savant tissage de la liberté de la grâce mettant sur le métier les fils d’un destin et les fils d’un appel que peu à peu tu comprends et vis ta vocation mais que tu ne comprendras qu’à la fin ; la théologie de la vocation a cette dimension eschatologique qui est capital et rien n’est jamais fini :
Je travaille beaucoup Foucault en ce moment à cause de KTO : c’est un exemple en or pour ça en or mais ça rejoint toutes nos vies eh bien si tu comprends ainsi la dynamique de la vocation on peut transposer ça à la dynamique de la vocation de catholicité pour l’Eglise.
Elle aussi va correspondre peu à peu à cette vocation de catholicité mais cette vocation est au départ voyez c’est « ne crains pas ton nom est écrit» et c’est la promesse cette vocation comme le dit Henri de Lubac : Henri de Lubac m’a beaucoup éclairer là dessus au chapitre 7 de son livre programme Catholicisme paru en 1938 ; il écrit et c’est ce qu’on lui doit c’est une impulsion fondamentale : il écrit catholicisme mais l’Eglise est déjà catholique à la sortie du cénacle ils n’étaient pas nombreux mais ils étaient déjà catholiques quand elle était réduite à une poignée de personnes, de familles dispersées dans les ports et les bourgades de Méditerranée orientale, elle était déjà catholique ce qui veut dire que la catholicité de l’Eglise n’est pas proportionnelle à l’étendue de sa surface sociale.
C’est ça c’est que la catholicité c’est pas l’étendue de la surface sociale : la catholicité c’est la conscience d’avoir reçu en charge non pas à cause de nos mérites mais à cause de la grâce d’avoir reçu en charge de coopérer au salut du genre humain tout entier. Voilà ce qu’est la conscience de catholicité et de Lubac le développe : la catholicité non pas une surface sociale comme si on disait une surface sociale c’est ce qui entraînerait une théologie coloniale de la mission. Non la catholicité se mesure à la conscience d’avoir reçu en chargement non pas à cause de ses mérites mais à cause de la grâce de coopérer au salut du genre humain tout entier et ça c’est vrai dès le cénacle quand ils sont même pas une quinzaine et la catholicité est déjà là mais la vocation de catholicité est loin d’être finie et la mission de l’Eglise correspond à la réalisation progressive de cette vocation de catholicité.
Je vous donne une dernière chose car après il est trop tard : c’est que si vous voulez mieux comprendre : comparez le concept ecclésiologique de catholicité au concept christologique de récapitulation avec le mystère pascal la mort et la résurrection du Christ tout est accompli mais tout n’est pas récapituler et comme dit saint Paul c’est que « à la fin que tout sera récapitulé sous un seul chef le Christ les choses du ciel et celles de la terre » et bien là la récapitulation christologique correspond la vocation ecclésiologique de catholicité et ça pour moi c’est une découverte relativement récente.
C’est la dernière chose que j’ai voulu vous partager avec vous un peu cet itinéraire et ouvrir quelques perspectives de recherche dont nous essaierons demain de tirer quelques unes mais on aura le cas l’occasion de partagé. J’aimerais vous dire merci d’avoir partagé cet apéritif mais pas de résistance elle va demain
CONCLUSION
Merci merci à vous Monseigneur ! Pour quelqu’un qui est arrivé épuisé à la gare de Perpignan je vous ai trouvé bien en forme ce soir et en tout cas ce que vous nous avez donné c’est plus d’un apéritif. Alors moi j’ai l’impression qu’il contenait déjà une partie du plat de résistance et du dessert mais je n’ai jamais pris autant de notes mais c’est que vous nous avez offert une récapitulation et un panorama.
Et en vous écoutant je voyais ce tableau se construire à la lumière de votre expérience personnelle mais c’est aussi l’expérience que l’Eglise a faite finalement que vous avez embrassé. Et je me réjouissais quand même pour l’auditoire parce que je me disais ils ont tout de même de la chance d’aborder une question si difficile et aussi souvent peu accessible à travers tous les débats médiatiques et à travers tous les évènements que l’on peut vivre à travers ce flou et de confusion aussi qui s’empare des esprits par ces parasitages permanents et je me réjouissais pour l’auditoire de pouvoir aborder des questions si difficiles avec autant de profondeur.
Et moi le mot qui me vient en vous ayant écouté c’est vraiment le mot de sagesse et vous avez donné ça beaucoup d’éléments de connaissances mais vraiment sous un angle sapientiel avec le recul et l’expérience qui a été la vôtre mais qui est aussi celle de l’Eglise parce que vous nous avez fait entrer aussi dans l’histoire de l’Eglise à travers toutes les références théologiques et magistérielles et tous les événements que vous avez vous avez mentionné donc vraiment merci parce que je crois que ça donne le ton de la journée de demain.
Et j’ai un peu honte parce que je commence le matin et ils vont être déçus parce que là on va retomber un peu mais bon c’est ça la vie ! Je pense que je me fais un peu le porte parole de tout le monde et je me réjouis vraiment que vous soyez entrer dans cette question aussi fondamentale avec un avec un tel élan finalement, avec beaucoup de spiritualité parce que surtout à la fin je pensais justement à Charles de Foucault, à cette formule que je cite très souvent aux étudiants quand Foucault dit dans une correspondance « le chrétien c’est celui qui fait du salut de tous la grande affaire de sa vie » et là je trouve que au fond il y a quelque chose de très foucaldien dans l’intuition de la fin et assez audacieux aussi. Et je trouve aussi que vous vous avez eu uni la dimension de l’enseignement et de la réflexion de l’événement mais aussi de la spiritualité. Vous nous amenez finalement à un seuil de contemplation de ces questions et n’est pas simplement de conclusion mais aussi une leçon d’humilité face à des questions qui nous dépassent d’une certaine façon et donc merci