CHANTAL DELSOL (1947-....), CHRISTIANISME, CRISES DANS L'EGLISE CATHOLIQUE, EGLISE CATHOLIQUE, LA FIN DE LA CHRETIENTE, LIVRE, LIVRES - RECENSION, RELIGION, SOCIOLOGIE

La fin de la chrétienté par Chantal Delsol

Chantal Delsol : La Fin de la Chrétienté ; Les Éditions du Cerf, Paris, 2021 ; 171 pages

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1Le sujet de la fin de la Chrétienté en tant que civilisation n’est pas nouveau, et nous en avons déjà parlé dans ces colonnes. Cette disparition est une évidence sociologique dont les manifestations sont omniprésentes, en dépit des marques historiques de la Chrétienté qui jalonnent encore nos paysages. Mais, si le constat est partagé, il est intéressant de se pencher, avec Chantal Delsol, sur les causes et sur les conséquences concrètes de cet effacement survenu après seize siècles de régulation de l’Occident par la religion chrétienne. Et si Chantal Delsol s’adresse au premier chef, au fil de cet ouvrage, aux catholiques français, son analyse claire et concise revêt un grand intérêt pour qui veut comprendre et mettre des mots sur le phénomène d’inversion morale qui s’est brusquement accéléré au tournant du XXIe siècle. Non pour en tirer une forme de nostalgie – encore que la rupture décrite par Chantal Delsol ne laisse pas insensible, mais bien pour cerner quels sont les équilibres moraux et spirituels qui régentent désormais notre société : à l’heure où la cultivation des « forces morales » est érigée en priorité pour affronter le retour du tragique de l’Histoire, une telle réflexion n’est en effet pas inutile.

2Que voyons-nous donc se dessiner sous la plume de Chantal Delsol ?

3D’abord, l’histoire d’une grande inversion normative, désormais consommée, dans l’ordre moral : celle d’un retour au modèle du paganisme, après une longue période de prééminence du monothéisme chrétien. Faisant irruption il y a vingt siècles, le christianisme a provoqué une première inversion normative au cours du IVe siècle, en apportant une modernité basée sur de nouvelles croyances. Ce jaillissement du monothéisme a enfanté en Occident de nouvelles mœurs, l’Église remplaçant au passage l’État dans son rôle de source de normes morales. Une civilisation en est née, la Chrétienté. Seize siècles plus tard, c’est le mouvement inverse qui s’est désormais opéré selon Chantal Delsol, sous l’effet de deux facteurs : d’une part, la fin des croyances dans les vérités portées par le monothéisme chrétien (l’homme moderne « n’y croit plus », tout simplement) et, d’autre part, la crise de conscience profonde qui frappe un Occident à un point tel que les principes chrétiens sont remis en cause par les chrétiens eux-mêmes. Ce mouvement d’inversion étant arrivé à son terme, nous sommes de retour à une situation où l’État a repris sa place comme source de norme morale.

4Ensuite, le remplacement de la religion chrétienne par la morale et par les mythes. Chantal Delsol s’attache ici à réfuter les discours alarmistes selon lesquels l’éviction de la chrétienté et la réduction des chrétiens au statut de minorité ouvriraient la voie au nihilisme et au chaos. Au contraire, la nature ayant horreur du vide, c’est la morale en elle-même qui a remplacé la religion. Chantal Delsol va même plus loin : nous sommes, selon elle, passés à un âge de « religion morale ». Dans ce nouveau paradigme, la nouvelle source de la morale n’est plus l’Évangile, mais un corpus de mythes dont les manifestations principales sont l’humanitarisme et l’écologisme. Le gardien de la morale n’est plus l’Église, mais l’État. Les clercs ne sont plus les évêques, mais les législateurs et les animateurs de plateaux de télévision. Et, ultime manifestation de l’effacement de la croyance en une vérité unique, les spiritualités venues d’Asie font un retour en force en Occident.

5Enfin, la difficulté historique de toute forme de référence morale – a fortiori si elle est pluriséculaire – d’accepter sa relégation au statut d’opinion minoritaire. Sur ce sujet, Chantal Delsol décrit bien les mécanismes d’autodéfense qui traversent une partie des fragments de la Chrétienté, reconnaissant que « réduits à la situation de témoins muets, les chrétiens sont aujourd’hui voués à devenir les soldats d’une guerre perdue ». Le message du professeur de philosophie pour les catholiques est ici clair : plutôt que de s’enferrer dans les mécanismes défensifs d’une majorité déchue, il faut apprendre à cultiver les vertus des minorités (équanimité, patience et persévérance).

6Chrétien ou non, le lecteur de La Fin de la Chrétienté en tirera un excellent éclairage sur les ressorts moraux de la société française post-moderne. Non pas une société nihiliste comme la parenthèse des années 1960-1970 a pu le laisser croire, mais une société dont les croyances ont fondamentalement changé, érigeant en crime ce qui hier était permis ou toléré, et en bienfait ce qui hier était ostracisé. Une société qui n’est pas plus tolérante qu’avant (la morale moderne est à bien des égards très intolérante), mais une société désormais traversée par de nombreux paradoxes, où l’individualisme côtoie l’humanitarisme et où le transhumanisme côtoie l’écologisme. Une société où il n’y a pas moins de règles qu’avant, mais où les règles sont différentes. Pour un chef, en particulier s’il est militaire, le comprendre, c’est documenter l’exercice de son autorité.

Notes

[1]

Recension de l’ouvrage suivant dans la Revue Défense Nationale : Guillaume Cuchet : Comment notre monde a cessé d’être chrétien – Anatomie d’un effondrement ; Seuil, 2018 ; 276 pages.

Thibault Lavernhe

Dans Revue Défense Nationale 2022/6 (N° 851), pages 153 à 154

COMMENT L'EGLISE SUR MONTE LES CRISES, CRISES DANS L'EGLISE CATHOLIQUE, EGLISE CATHOLIQUE, HISTOIRE DE L'EGLISE, SAINTETE, SAINTS

Comment l’Eglise surmonte les crises

Cinq saints qui ont réparé l’Eglise du Christ

Cinq personnages qui ont redressé l’Eglise

Analyse 

L’Église a connu de nombreuses crises au fil des siècles. Voici cinq moments marquants de son histoire et les cinq personnalités qui ont alors joué un rôle de réformateur.

Source ; Journal La Croix (juin 2019)

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Xe siècle, la crise morale de l’Église

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Au Xe siècle, l’État carolingien s’est effondré et la féodalisation est à l’œuvre. L’Église n’échappe pas au phénomène : que ce soit les grands féodaux sur les évêchés ou les petits seigneurs sur les paroisses, les laïcs se sont approprié l’Église.

Une véritable crise morale du clergé s’ensuit : le célibat recule, les prêtres ayant charge de famille transmettent le patrimoine de l’Église à leurs enfants, vendent leurs charges, voire les sacrements… À Rome même, l’empereur a mis la main sur une papauté en proie à des factions antagonistes.

 Grégoire VII, l’artisan de la réforme grégorienne

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L’artisan du sursaut sera Hildebrand. Venu d’une grande famille toscane, il est formé à Sainte-Marie de l’Aventin, une abbaye romaine liée à celle de Cluny qui, indépendante de tout pouvoir civil, a donné le signal de la réforme.

En 1046, il suit Grégoire VI en Allemagne où il rencontre Bruno de Toul, lui aussi influencé par Cluny, qui deviendra pape en 1049. Conseillé par Hildebrand, Léon IX va réformer l’Église, rénovant son gouvernement (c’est l’apparition de la Curie) et affirmant l’indépendance de la papauté sur l’empire.

Victor II, Étienne IX, Nicolas II et Alexandre II continueront son œuvre (notamment en imposant l’élection du pape par les cardinaux) avant que Hildebrand ne soit lui-même élu en 1073 sous le nom de Grégoire VII. Il réimposera le célibat des clercs, interdira la simonie et toute ingérence du pouvoir civil dans les nominations ecclésiastiques, s’opposant avec succès à l’empereur Henri IV.

Après lui, Victor III et Urbain II parachèveront cette réforme « grégorienne », qui a participé au grand renouveau médiéval du XIIe siècle et sera symboliquement couronnée par le concile de Latran IV en 1215.

  

XIIe et XIIIe siècles, opulence et hérésies

À la fin du XIIe siècle, l’Église présente un visage bien peu évangélique : les évêques vivent dans l’opulence ; les monastères, y compris les abbayes de la réforme cistercienne qui pourtant, deux siècles plus tôt, voulaient revenir à la Règle de saint Benoît dans sa rigueur originale, sont de riches propriétaires…

Face à cela, des groupes de chrétiens préconisent le retour à l’autorité de l’Écriture et rejettent la hiérarchie ecclésiale. Certains deviennent hérétiques, à l’instar du Lyonnais Pierre Valdès, fondateur du mouvement vaudois.

Le mouvement cathare, implanté dans le sud de la France, attire les élites locales qui tranchent avec le bas niveau intellectuel et moral du clergé de cette région, encore peu touchée par la réforme grégorienne.

François d’Assise, le « réparateur »

C’est justement la lutte contre les Cathares qui va décider le prêtre Dominique de Guzman (1170-1221) à fonder une communauté de moines prêcheurs.

Et c’est la lutte contre l’enrichissement de l’Église qui amène le laïc François d’Assise (1182-1226) à inaugurer une nouvelle forme canonique, avec des religieux qui, ne possédant ni revenus ni propriétés, seront les premiers à recevoir le qualificatif de « mendiants » puisqu’ils font appel à la charité.

La prédication des franciscains est simple et populaire, plus spirituelle qu’intellectuelle, ce qui n’empêche pas de grands esprits de l’époque d’entrer chez les frères mineurs.

Ceux-ci sont déjà 5 000 au moment de la mort du Poverello et vont indéniablement contribuer à « réparer Ma maison qui s’écroule » – selon l’appel de Dieu entendu par le jeune François dans la chapelle de San Damiano – en soignant les pauvres et en parcourant les routes d’Europe pour évangéliser les nouveaux centres urbains.

XIVe siècle, le Grand Schisme d’Occident

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En 1378 éclate le Grand Schisme d’Occident. Après la mort de Grégoire XI, qui avait ramené à Rome la papauté d’Avignon (où elle était installée depuis 1309), s’ouvre le 7 avril le conclave destiné à élire son successeur.

Bartolomeo Prignano est élu et prend le nom d’Urbain VI. Mais des cardinaux, notamment français, contestent son élection, et un nouveau conclave se réunit le 20 septembre. Le Français Robert de Genève est élu et prend le nom de Clément VII. Il installe son siège pontifical à Avignon.

De son côté, Urbain VI nomme 25 cardinaux pour remplacer ceux qui lui ont fait défection en prenant le parti de Clément VII. La chrétienté est désormais divisée en « urbanistes » et en « clémentins ». La mort de l’un et l’autre pape donne lieu à de nouvelles élections de chaque côté. Les deux papes s’excommunient mutuellement et lancent des bulles de croisade l’un contre l’autre.

Catherine de Sienne, soucieuse de l’unité de l’Église

Catherine de Sienne, tertiaire dominicaine, a 31 ans lorsque le schisme éclate. Analphabète, elle n’en dicte pas moins de longues missives aux grands de son temps et devient la conseillère spirituelle d’une foule de personnes, puissants et artistes, gens du peuple et ecclésiastiques.

Déjà, elle avait exhorté avec énergie Grégoire XI, lorsqu’il résidait à Avignon, à rentrer à Rome. Soucieuse de l’unité de l’Église, elle soutient Urbain VI et se dépense sans compter pour rassembler l’Église autour de lui. Elle meurt en 1380 à l’âge de 33 ans, trente-quatre ans avant le concile de Constance qui mettra fin au Grand Schisme d’Occident. Elle sera proclamée docteur de l’Église en 1970.

 XVIe siècle, la Réforme protestante

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Le 31 octobre 1517, un moine allemand, Martin Luther, affiche sur la porte d’une église de Saxe 95 thèses dans lesquelles il dénonce les scandales de l’Église de son temps. En 1520, il entre résolument en dissidence contre Rome et formule une doctrine de la grâce divine en rupture avec la pratique catholique. C’est la Réforme protestante.

La Contre-Réforme, ou Réforme catholique, serait-elle une simple réaction au protestantisme naissant ? Non, répondent la plupart des historiens, estimant qu’elle s’inscrit dans une vaste aspiration au renouveau religieux qui traverse l’Occident chrétien depuis le XVesiècle. Les humanistes, notamment, réclament depuis longtemps une réforme du catholicisme : les églises se vident, les mœurs du clergé sont pour le moins critiquables

Thérèse d’Avila, la Contre-Réforme mystique

Après l’échec du 5e concile du Latran, clos en 1517, le concile de Trente (1545-1563) marque un tournant dans l’histoire de l’Église. Il lui permet de clarifier ses positions sur le dogme et la discipline, maintenant les sept sacrements, le culte des saints, le purgatoire ou l’Inquisition.

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C’est en Espagne et en Italie que la Contre-Réforme va prendre son essor avant d’atteindre la France. Chez les Espagnols, elle est impulsée par un puissant courant mystique associé à la prise de conscience que la foi catholique est au cœur de leur identité. Thérèse d’Avila (1515-1582) va contribuer à l’enraciner dans ce renouveau mystique. En 1562, elle lance une ambitieuse réforme du Carmel, prônant l’ascétisme et la pauvreté pour une vie authentique de prière et de contemplation. On appelle bientôt ces moniales les carmélites « déchaussées ». En 1970, Thérèse d’Avila devient la première femme docteur de l’Église.

 XVIIIe siècle, l’anticléricalisme des Lumières

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Le passage du XVIIIe au XIXe siècle se caractérise par un assaut général contre la monarchie et contre l’Église. Pendant les quelques ­décennies qui vont précéder et suivre la Révolution française, tout est remis en cause au nom de la raison et de la liberté : la Révélation de Dieu, les dogmes et les lois de l’Église, les institutions de la chrétienté… En tête dans ce combat contre l’Église, qui incarne alors toutes les oppressions : les philosophes des Lumières. Ils refusent de lier morale et religion, ont foi en l’avenir et sont convaincus que tous les problèmes sociaux et politiques se résoudront par la science, les techniques et la démocratie.

Le cardinal Newman, penseur invisible de Vatican II

C’est à cette époque que le théologien britannique John Henry Newman (1801-1890), après être passé de l’anglicanisme au catholicisme en 1845, va contribuer au renouvellement de la théologie et de l’enseignement spirituel. Pour le cardinal Newman, la foi est un acte raisonnable ; elle repose sur des témoignages (et non sur des preuves) et nécessite une pratique (l’acte de foi) ; elle peut être définie comme une disposition conduisant à chercher Dieu. Le Salut apparaît ainsi comme un consentement de l’homme à ce que Dieu réalise en lui (et non comme une œuvre divine extérieure) et la conscience comme le moyen de connaître la Vérité (et pas seulement de discerner entre le bien et le mal).

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Quant à l’Église, Newman la considère comme le Corps du Christ, à la fois peuple de Dieu et sacrement. Des intuitions qui seront reprises, près d’un siècle plus tard, dans la constitution pastorale Gaudium et spes. Au point que l’on parle souvent du bienheureux Newman comme du « penseur invisible de Vatican II ».

 

Ces saints qui ont « réparé l’Eglise »

22 avril 1073

Grégoire VII et la réforme grégorienne

Le cardinal Hildebrand, âgé d’environ 50 ans, devient pape le 22 avril 1073 et prend le nom de Grégoire VII.

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Ce fils d’un paysan toscan de Soana avait très tôt choisi la vie monastique et était entré dans la prestigieuse abbaye de Cluny, en Bourgogne. Il n’avait pas tardé à être appelé à Rome pour gérer les finances de l’Église et s’était acquis une excellente réputation auprès des Romains en servant les papes précédents, Grégoire VI, Léon IX et Alexandre II.

Il est donc proclamé pape et porté sur le trône de saint Pierre par la foule romaine, contrairement au décret qu’il avait lui-même inspiré en 1059, réservant l’élection des papes au collège des cardinaux.

Le nouveau pape modifie profondément l’Église catholique pour la rendre plus morale et surtout plus indépendante des seigneurs et des souverains. Ses mesures restent connues sous le nom de réforme grégorienne. Certaines, toutefois, ont déjà été ébauchées par ses prédécesseurs, sous l’inspiration de Hildebrand lui-même. 

Scandales et réforme

Les papes, au début du Moyen Âge, étaient élus par le peuple de Rome en tant qu’évêques de la Ville éternelle. Ces élections se déroulaient sous la pression des grandes familles qui se partageaient le territoire de la ville.

Mais dans les dernières décennies de l’ère carolingienne et jusqu’à l’orée de l’An Mil se succèdent des papes qui n’ont rien des qualités spirituelles qu’on leur prête. Brigands, jouisseurs, voleurs, guerriers, ils se comportent en chefs de gang, accumulant richesses sur richesses dans leur résidence officielle du Latran.

Qui plus est, à partir du milieu du Xe siècle, les empereurs germaniques, titulaires du Saint Empire, interviennent dans les élections pontificales en concurrence avec le peuple romain, ce qui ajoute aux désordres et aux luttes de clans.

À considérer ce scandale permanent, on pourrait penser que c’en est fini de l’Église catholique et de la papauté ! Mais le salut va venir du clergé régulier, celui qui vit selon une règle monastique.

Les prémices de la réforme grégorienne

Les prémices de la réforme apparaissent avec Léon IX au terme d’une nouvelle période de turbulences marquée par la démission en quelques mois du pape débauché Benoît XI et de son parrain et successeur Grégoire XII.

Le nouveau pape est imposé à Rome en 1049 par son cousin Henri III, le plus énergique de tous les empereurs germaniques. Pendant les cinq années de son pontificat, Léon IX ne va avoir de cesse de parcourir l’Occident et de réunir évêques et abbés en synodes pour les convaincre de l’urgence de réformer l’institution ecclésiastique.

Son successeur Victor II, qui est aussi son parent, va poursuivre ses efforts avec le concours efficace du moine Hildebrand, de même que les papes suivants, dont le pontificat demeure très bref : Étienne IX, Nicolas II et Alexandre II. Ce dernier, élu en 1061, est issu de l’ordre de Cluny, tout comme Hildebrand et plusieurs de ses prédécesseurs. À sa mort, c’est assez naturellement Hildebrand qui est porté sur le trône de saint Pierre.

Le jour de son élection, Grégoire VII exprime son trouble : « Une douleur profonde et une tristesse universelle m’étreignent. C’est à peine si je vois quelques évêques dont l’élévation à l’épiscopat et la vie soient conformes aux lois de l’Église. Parmi les princes, je n’en vois pas qui préfèrent l’honneur de Dieu au leur, et la justice au lucre » 

Les principales pierres d’achoppement de la réforme ecclésiale sont au nombre de deux :

– la simonie

La simonie désigne le trafic contre argent des biens d’Église. Le mot simonie vient de Simon le Magicien, un personnage légendaire qui aurait offert à l’apôtre Saint Pierre de lui acheter le don de faire des miracles,

– le mariage et le concubinage des prêtres

Dès l’an 303, au concile d’Elvire, près de Grenade, l’Église a recommandé la chasteté et le célibat à ses membres, par souci d’élévation morale mais cette recommandation a été peu appliquée par la suite. Le Saint-Siège a dû tolérer le mariage et le concubinage des prêtres, en particulier des séculiers.

Si le pape veut désormais imposer avec rigueur le célibat au clergé, ce n’est pas seulement pour des raisons « morales » mais aussi politiques et économiques. Les prêtres mariés étaient en effet tentés de s’enrichir et de constituer une rente au profit de leurs descendants, privant l’Église des moyens matériels indispensables à l’accomplissement de sa mission.

Pour réussir dans son entreprise, le pape qui, au début du Moyen Âge, était simplement considéré comme l’évêque de Rome, veut imposer sa prééminence sur les autres évêques. Cette prééminence est acceptée par les Occidentaux avec plus ou moins de bonne grâce mais rejetée par les Orientaux de culture grecque.

C’est ainsi que s’élargit le fossé entre l’Église de Rome, qui prétend au qualificatif de catholique, c’est-à-dire universelle, et l’Église de Constantinople, qui se qualifie d’orthodoxe (en grec : conforme à la vraie Foi).

L’action de Grégoire VII

L’évêque Yves de Chartres et les moines de Cluny sont les principaux inspirateurs de la réforme grégorienne qui vise à instaurer l’autorité du pape sur la chrétienté et à ne plus cantonner le Saint-Siège dans les fonctions symboliques qui étaient jusque-là les siennes.

Grégoire VII commence par proscrire le nicolaisme, c’est-à-dire le mariage et le concubinage des prêtres, puis condamne fermement la simonie. Il s’attelle ensuite à la formation des curés qui, trop souvent incultes, se souciaient assez peu d’évangéliser leurs ouailles.

Enfin, par un document de travail de vingt-sept propositions dévoilé en 1075 (Dictatus papae ou « Dits du pape »), il réserve au collège des cardinaux l’élection des papes. Il condamne les investitures laïques, c’est-à-dire le droit qu’avaient les souverains de nommer les évêques.

Les intitulés de ces propositions sonnent comme des déclarations de guerre aux souverains et seigneurs féodaux. Exemples :
« Comment le Souverain Pontife est seul à pouvoir être appelé Universel. »
« Comment il a seul le pouvoir de déposer ou de rétablir les évêques. »
« Comment seul le Pape a le droit de porter les insignes impériaux. »
« Comment son nom seul doit être invoqué dans l’Église. »
« Comment le Pape a le pouvoir de déposer l’Empereur. »
« Comment aucune décision du Pape ne peut être révoquée tandis qu’il possède le pouvoir de déposer toutes les autres. »
« Comment l’Église romaine ne s’est jamais trompée, et ne se trompera jamais. »
« Comment le Pape peut dispenser de leurs obligations d’obéissance les sujets des princes injustes. » 

C’est une révolution dans un monde où, selon la tradition antique, on est encore porté à penser que l’empereur est le représentant de Dieu sur la Terre et que le clergé a vocation à le servir. Grégoire VII, inspiré par l’esprit de Cluny, souhaite au contraire imposer la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir séculier, celui de l’empereur et des souverains. Il veut pour le moins une Église autonome, préfiguration de la laïcité moderne.

Le pape va s’opposer avec violence, sur la question des investitures, à l’empereur d’Allemagne Henri IV. Celui-ci, fort habilement, lui demandera pardon à Canossa pour mieux l’abattre mais la papauté imposera finalement l’essentiel de ses vues par le Concordat de Worms, en 1122.

 Renouveau du monde chrétien

L’Église sort considérablement rajeunie de la réforme grégorienne. Elle entraîne l’Occident médiéval dans une expansion sans précédent, illustrée par la construction d’églises et de cathédrales, l’éclosion des Universités et une relative paix civile. Les croisades seront une conséquence plus contestable du renouveau de la foi en Occident.

Raoul Glaber, un clerc bourguignon du XIe siècle, mort en 1047, reste connu pour ses chroniques de l’époque de l’An Mil. Il témoigne du renouveau qui saisit l’église d’Occident à la veille de l’élection de Grégoire VII.

Son texte ci-après annonce l’art roman :
« Comme approchait la troisième année qui suivit l’an mil, on vit dans presque toute la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les bâtiments des églises ; une émulation poussait chaque communauté chrétienne à en avoir une plus somptueuse que celles des autres. C’était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, eut revêtu de toutes parts une blanche robe d’églises » (Histoires).

À la suite de la réforme grégorienne, les XIe et XIIe siècles vont entraîner la naissance de l’art roman (ou romain, c’est-à-dire d’inspiration latine). Différentes provinces périphériques de France en conservent de précieux témoignages. Ainsi l’église de la Madeleine, à Vézelay, en Bourgogne, Notre-Dame-la-Grande, à Poitiers, ou encore l’église Saint-Front, à Périgueux.

 

 Qui est Saint François d’Assise ?

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Né à Assise en Italie, en 1181, d’où l’appellation « François d’Assise ». François est issu d’une famille riche. Il vit comme tous les jeunes de son âge et de son époque diverses expériences : les fêtes, les escapades et même la guerre durant laquelle il est fait prisonnier et souffre de maladie. Durant sa convalescence, il ressent une insatisfaction profonde face à la vie. Il cherche, il regarde autour de lui mais il reste sans réponse…

Un jour en écoutant un passage de l’Évangile, il lui vient une réponse à ce qu’il cherche : passer sa vie à aimer toute la création. Il transforme alors sa vie, il se fait pauvre, se soucie d’annoncer les messages de joie, d’espoir et d’amour contenus dans la Bible, et de porter la paix aux gens et à toute la Création. Il s’habille d’un vêtement gris et se ceint la taille d’un cordon. Il porte ainsi le vêtement du pauvre de son époque.

Toute sa vie, il fait la promotion de la solidarité aux pauvres, aux démunis, aux marginalisés. Il dénonce les injustices et s’oppose à toute appropriation. C’est dans la prière qu’il trouve toute sa force pour aimer et pour aider les autres. Un jour, il réalise que toute la Création forme une grande famille, une sorte de fraternité universelle. Il invite tous les humains à l’amour mutuel et au respect de notre mère la Terre, notre sœur  la Lune, notre frère le Soleil…

Au terme de sa vie, il rédige ce qu’on appelle le « Cantique du frère Soleil » qui est l’aboutissement de ses enseignements sur le respect et l’amour que tous les humains doivent porter envers toutes les créatures de Dieu. Il rejoint ainsi les préoccupations de ceux et celles qui se soucient de la défense de la nature, des animaux et de l’environnement. C’est d’ailleurs pourquoi, en 1979, il est proclamé « patron des écologistes ».

Après sa mort, l’Église le reconnaît comme « saint », c’est-à-dire comme un homme dont les vertus peuvent être un exemple pour tous : aimable, pacifique, pieux, humble, fraternel, juste. Depuis le 13ème siècle, des milliers d’hommes et de femmes (la famille franciscaine) suivent ses traces en se laissant inspirer par son style de vie. C’est donc dire que même huit siècles plus tard, François d’Assise a encore quelque chose à dire à nos sociétés à travers des hommes, des femmes, à travers nous, à travers toi..

 

CATHERINE DE SIENNE, LA SAINTE QUI A « LE PLUS AIMÉ L’ÉGLISE »

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L’engagement au service de l’Église et du monde est, pour tout chrétien, une nécessité découlant de sa vocation baptismale. La Toscane sainte Catherine de Sienne (1347-1380), venue voir le pape à Avignon, le manifeste totalement, jusqu’à en recevoir la sainteté.

 La sainteté d’une enfant modeste. Catherine Benincasa est née à Sienne (Toscane, en Italie centrale) le 25 mars 1347, qui était à la fois dimanche des Rameaux et jour de l’Annonciation. Elle en gardera un lien mystique avec le Christ et une dévotion spéciale pour Marie, sa « douce mère ». Elle vient au monde avec une jumelle qui ne lui survivra que quelques jours ; elles sont les 23e et 24e enfants de la famille qui en comptera au final 25. Le père est teinturier, la mère tient la maison que l’on peut encore voir dans le quartier Fontebranda, dans le nord de Sienne. Et déjà se pose la question sur celle qui deviendra sainte Catherine de Sienne : comment cette jeune femme, laïque, illettrée, d’un milieu modeste, en arrivera à être l’interlocuteur des grands du monde de son temps (papes, cardinaux, rois, reines, etc.) ? La réponse tient dans sa sainteté. Catherine a bénéficié très tôt de grâces mystiques, et sa vie est une réponse continue à réaliser la volonté de Dieu, à un point tel que sa volonté et celle de Dieu sont identiques. Pour en arriver là – c’est son enseignement spirituel – pas d’autres voies que de tuer sa volonté propre et son amour propre qui sont un poison et les racines de tous les maux du monde. 

Une relation intime avec le Christ.
 Son expérience spirituelle commence par une vision qu’elle aperçoit dans le ciel, au-dessus de l’église des Dominicains à Sienne : le Christ lui apparaît revêtu des ornements pontificaux, avec les apôtres Pierre, Jean et Paul. Catherine est toute jeune, elle a six ans, mais cette vision la marquera à jamais. Dans l’une de ses apparitions, Jésus ôta le cœur de la poitrine de Catherine et mit le sien à sa place. Dans une autre, elle reçut les stigmates. Il paraît qu’à plusieurs reprises au moment de la Communion, l’hostie s’échappait des mains du prêtre pour s’envoler vers Catherine. Sa vie entière fut un miracle. D’une part, sa relation avec le Christ sera une intimité de tous les instants, telle qu’on la décrit dans cette parole du Christ : « Pense à moi, je penserai à toi. »D’autre part, le Christ aux vêtements pontificaux sera l’origine d’un qualificatif pour parler du Pape : le Souverain Pontife sera appelé « le doux Christ sur la terre ». Ainsi, grâce à son engagement pour l’Église, elle sera qualifiée de « sainte qui a sans doute le plus aimé l’Église »

L’épouse du Christ. En réponse à cette vision, Catherine fait vœu de virginité et elle se soumet à une ascèse faite de pénitence, de prière et de solitude dans une pièce retirée de la maison paternelle. Mais sa famille, souhaitant la marier, lui impose les tâches ménagères comme dérivatif à ces mortifications. Les relations entre Catherine et ses parents sont particulièrement mauvaises. C’est à ce moment qu’elle fait l’expérience spirituelle de la « cellule intérieure » du cœur, lieu inviolable où, quelles que soient les circonstances extérieures, le Christ est toujours présent. Catherine a toujours manifesté une grande admiration pour les Frères Prêcheurs, fondés par saint Dominique en 1216. Elle demande son admission chez les Mantellate (sorte de tiers-ordre dominicain), une confrérie de femmes, veuves et âgées pour la plupart, qui l’accueillent alors qu’elle a juste 16 ans ! Ses parents ont, en effet, enfin compris et accepté la vocation de leur fille. Revêtue de l’habit blanc et du manteau noir, elle veut vivre les exigences dont ils sont les symboles : pureté et pénitence. Les grâces mystiques abondent jusqu’aux noces mystiques avec son époux, le Christ, en 1368. Jésus lui apparaît et lui remet un anneau, symbole de leur union spirituelle. 

Ambassadrice de la paixCatherine va honorer les deux dimensions de la vie dominicaine : contemplation et action. Son activité apostolique commence avec le secours aux indigents, les visites aux malades et les soins aux pestiférés. Puis, elle fait montre d’un authentique charisme de réconciliation entre les personnes, les familles, les clans et les cités divisés ; mais aussi pour la réconciliation des pécheurs avec Dieu. Sa mission devient bientôt publique : elle se verra confier des ambassades plus ou moins officielles pour négocier la paix. On peut dire que son champ d’investigation s’élargit de Sienne pour atteindre Florence et Avignon, où siège le Pape. Accompagnée de disciples formant une bella brigata, une famille qui la reconnaît comme leur Mamma, elle sillonne l’Italie et le Sud de la France.   

Fidèle au Pape.
 L’Église vit alors une période délicate. En raison de l’instabilité de Rome au début du XIVe siècle, le pape français Clément V, élu en 1305, décida de s’installer à Avignon, cité commerciale que la papauté possède depuis 1274. Sept papes se succèdent pendant 70 ans ; la construction du Palais des Papes témoigne de leur installation durable. Cependant, les rumeurs de scandales s’accumulent et les Romains protestent contre cet exil à Avignon, qui n’a pas de légitimité à rester la capitale de la chrétienté. Partant au printemps 1376 rencontrer le pape Grégoire XI à Avignon, Catherine lui fait part de son désir de le voir revenir à Rome, d’où il devrait procéder à la réforme de l’Église en commençant par la tête, c’est-à-dire par les cardinaux, évêques, prélats… et lancer une croisade vers les lieux saints afin de fédérer les différentes factions ennemies en Italie vers un but commun. Malgré l’opposition des cardinaux qui préfèrent Avignon, Grégoire XI part pour Rome dès septembre. Arrivé à Rome en janvier 1377, il meurt l’année suivante. Son successeur, Urbain VI, voit une partie des cardinaux qui l’ont élu se détourner de lui et élire à Avignon un autre pape, Clément VII, en septembre. C’est le début d’un grand schisme qui durera 40 ans, pendant lequel la chrétienté aura deux voire trois papes simultanément ! Catherine prend fait et cause pour Urbain VI, pape légitimement élu.   

Docteur de l’Église. Son activité apostolique d’une rare densité ne l’a pas empêchée
d’être auteur et reconnue Docteur de l’Église par le pape Paul VI le 3 octobre 1970. Elle devient ainsi la seconde femme à obtenir cette distinction dans l’Église (après Thérèse d’Avila et avant Thérèse de Lisieux). Pourtant, elle n’a pas eu de formation scolaire ou académique, elle savait à peine lire et a appris à écrire sur le tard. Mais elle n’a eu de cesse de chercher, de questionner, de s’entourer de théologiens confirmés, afin de rendre compte de son expérience spirituelle. Son œuvre se présente sous trois formes. D’une part, la correspondance. Nous avons 378 lettres qu’elle a adressées aux personnes les plus diverses : papes, cardinaux, évêques, rois, reines, religieux, gens de toute condition. Toutes ses lettres commencent par la formule : « Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie. Moi, Catherine, servante … ». Cela indique qu’elle agit pour le Christ et que ses avis sont à recevoir comme l’expression de la volonté divine. D’autre part, Catherine est à l’origine de 26 oraisons, dont certaines en état d’extase. Ce sont ses disciples qui les ont recueillies alors qu’elle priait, visiblement à haute voix. Enfin, il y a le Dialogue, l’œuvre la plus étonnante, qui relate des conversations entre Dieu le Père et Catherine de Sienne ; une synthèse de sa spiritualité qu’elle dicte entre 1377 et 1378.   

Fin de vie. Catherine de Sienne finit sa vie à Rome, portant sur ses frêles épaules la barque de l’Église. Elle meurt le 29 avril 1380. Son procès en canonisation commence dès 1411, mais est suspendu du fait du Grand Schisme d’Occident. C’est le pape Pie II qui déclare Catherine de Sienne sainte le 29 juin 1461, jour de la fête des apôtres Pierre et Paul. En 1628, le pape Urbain VIII déplace sa fête au 30 avril. Par ailleurs, il reconnaît à Catherine de Sienne la véracité des stigmates. Le 18 juin 1939, Pie XII déclare Catherine de Sienne sainte patronne principale d’Italie, au même niveau que saint François d’Assise.   

Co-patronne de l’Europe. Le pape saint Jean-Paul II fait de sainte Catherine de Sienne la co-patronne de l’Europe, avec sainte Brigitte de Suède et sainte Thérèse-Bénédicte de la
Croix, le 1er octobre 1999. À cette occasion, il rappelle l’attitude de sainte Catherine de Sienne en insistant sur plusieurs points, dont son activité apostolique : « Ses lettres se répandirent à travers l’Italie et l’Europe elle-même. En effet, la jeune Siennoise entra avec un regard sûr et des paroles de feu dans le vif des problèmes ecclésiaux de son époque. » Ensuite, il parle de son engagement en faveur de la paix et de la réconciliation : « Désignant le Christ crucifié et la douce Marie aux adversaires, elle montrait que, pour une société qui s’inspirait des valeurs chrétiennes, il ne pouvait jamais y avoir de motif de querelle tellement grave que l’on puisse préférer le recours à la raison des armes plutôt qu’aux armes de la raison. » Et surtout, le Pape évoque son souci de l’évangélisation : « Catherine savait bien que l’on ne pouvait aboutir efficacement… si les esprits n’avaient pas été formés auparavant par la vigueur même de l’Évangile » ; sans oublier son amour indéfectible pour l’Église : « C’était là (dans la recherche passionnée de la communion) l’idéal suprême qui avait inspiré toute sa vie, dépensée sans réserve au service de l’Église. C’est elle-même qui en témoignera devant ses fils spirituels sur son lit de mort : « Tenez pour certain, mes très chers, que j’ai donné ma vie pour la sainte Église ». »

 

 Sainte Thérèse d’Avila (1515 – 1582)

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 Teresa de Cepeda y Alumada (1515 – 1582), fille d’un gentilhomme d’Avila, entre à 20 ans au Carmel de sa ville.
La règle y est alors pratiquée de façon mitigée. Longtemps, elle s’en satisfait. Mais en 1555, en contemplant le Christ en croix et en lisant les Confessions de Saint Augustin, elle décide de vivre pleinement sa vocation carmélite.
A partir de 1557, elle approfondit son chemin mystique qui lui fait contempler l’humanité du Christ. Aidée par ses directeurs spirituels, elle devient familière de l’oraison. La nécessité d’un retour du Carmel à sa règle primitive s’impose alors à elle. Aussi, Thérèse décide de fonder, à Avila même, un nouveau monastère de stricte observance. Le désir de dépouillement des religieuses y est symbolisé par la suppression des chaussures.
En 1567, elle persuade un jeune Carme, le futur Saint Jean de la Croix, lui aussi déçu par son ordre, d’engager une même réforme. Les couvents de Carmes et Carmélites Déchaux (sans chaussures) se multiplient. Malgré des oppositions, la réforme rencontre un grand succès. Cette intense activité de fondations va de pair avec la vie spirituelle la plus intériorisée. On en trouve l’expression dans ses œuvres écrites, conçues comme une pédagogie de la prière et de la vie chrétienne, et figurant parmi des chefs d’œuvres de la langue castillane. Les plus connues sont Le Livre de ma vie (autobiographie), Le chemin de la perfection, et surtout Le Château intérieur. Elle est la première femme à recevoir le titre de Docteur de l’Église en 1970.
Source : Dictionnaire Théo, p. 117

Le Mont-Carmel, près de Haïffa (Israël), a donné son nom à la famille religieuse des Carmes et des Carmélites. Au XII° siècle, saint Berthold et d’autres pèlerins venus en Terre sainte, s’installent en ermites dans des grottes du Mont-Carmel, comme l’avait fait le prophète Elie.
En 1209, la règle primitive prescrit la pauvreté la plus grande, la solitude et le régime végétarien. La conquête musulmane chasse ces ermites de Terre sainte vers l’Europe au XIII° siècle. En pleine Réforme catholique, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix entreprennent de faire revenir l’ordre à la pauvreté et à une stricte vie contemplative.

Solitude Contemplation Feu :
3 maîtres-mots de la spiritualité carmélitaine.

La prière à l’école de Thérèse d’Avila est celle d’un pauvre devant la richesse de Dieu. « L’oraison ne consiste pas à beaucoup prier mais à beaucoup aimer. » (Jean de la Croix). Tout se passe dans une expérience d’union intime avec le Christ qui conduit au Père. Pour qu’elle soit possible, il faut accepter de partir comme Elie au Carmel, de passer par le désert, d’entrer dans le silence : là le priant se rend disponible à « Dieu seul »… et peut se laisser envahir par lui.

Thérèse fut béatifiée en 1614 par Paul V, et canonisée par Grégoire XV le 12 mars 1622

Elle a fait partie des saints patrons des JMJ de Madrid en 2011.

 

Saint Dominique, fondateur de l’ordre des Dominicains

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Aucun saint marquant, aucune grande initiative religieuse n’avait surgi depuis la mort de S. Bernard (1153). Saint Dominique de Guzman naît dans la Vieille-Castille en 1170, dans une famille de la noblesse espagnole. Il a deux frères : Antoine, probablement mort durant la bataille tragique d’Alarcos contre les Maures en 1195, et Mamès, un homme contemplatif et saint qui se fit religieux et suivit Dominique.

Sa mère, Jeanne, avant sa naissance, a une vision étrange; il lui semble voir l’enfant qu’elle va mettre bientôt au monde sous la forme d’un petit chien tenant un flambeau dans sa gueule et prêt à répandre le feu sur la terre.

L’enfance de Dominique est marquée par plusieurs autres présages merveilleux.

Jeune étudiant, il vivait déjà comme un saint. Il avait chaque jour ses heures fixées pour la prière, et souvent il était ravi en Dieu. Il jeûnait presque toujours, ne buvait jamais de vin, dormait fort peu et n’avait d’autre lit que le plancher de sa chambre.

Un jour, ayant tout donné, il dit à une femme qui lui demandait de l’argent pour racheter son frère captif: « Je n’ai ni or ni argent; mais prenez-moi et offrez-moi aux Maures en échange de votre frère. » La proposition héroïque ne fut pas acceptée, mais Dominique en eut le mérite. Dans une maladie très grave, causée par son travail et ses austérités, il fut guéri soudain par l’apparition de saint Jacques le Majeur, Apôtre (+44).

En 1203, Dominique, ayant dû venir en France avec son évêque Diègue (Diego d’Osma), découvre dans la région toulousaine, l’hérésie des « bons hommes« , les Albigeois, qualifiés de « cathares » au XIXe siècle. Dominique logeait à Carcassonne et, discutant toute la nuit des vertus de la vraie foi avec son aubergiste, cathare, il le convertit. L’hérésie cathare se composait d’un mélange de vieilles hérésies, comme la négation de l’Eucharistie et du baptême catholique, sur un fond de manichéisme asiatique importé en Europe par les marchands, les pèlerins et les missionnaires revenus des Croisades. Sa présence dans le sud de la France est attestée à partir de 1140. Selon son enseignement, l’univers est en proie à la lutte de deux principes également forts et également premiers : le bien et le mal. (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 312.) Ce n’est pas Dieu qui a créé l’univers, c’est Satan. Toute réalité terrestre est marquée du signe du mal…

Le manichéisme qui avait été détruit par les arguments de S. Augustin à la fin de l’Antiquité, se présentait déjà au IVe siècle comme « une religion de la Lumière, une Eglise de la Justice, des Elus, des Justes, des Véridiques. […] Mani (216-277) que les Latins et les Grecs ont appelé Manichée. […] Son enseignement était tout simplement la gnose de Marcion (que S. Polycarpe, le disciple de l’apôtre Jean, reconnut comme le « Fils aîné de Satan »), et de Basilide.

Le catharisme n’est pas original. Il insiste simplement avec une accentuation particulière sur un double principe du monde, l’existence d’un dieu bon et d’un dieu mauvais en conflit éternel et sur la réincarnation des âmes. (Etienne COUVERT, La Gnose universelle, De la Gnose à l’Oecuménisme, tome 3, Editions de Chiré, Chiré-en-Montreuil 1993, p. 14-15.) La Création tout entière est un mélange inextricable de bien et de mal. L’homme est divin, lumineux par l’âme, mais le corps, opaque, est porté vers le mal. Avec Mani, tout est simple… il faut aider le Bien contre le Mal, c’est-à-dire écarter de soi tout ce qui est matériel et diabolique. Au IVe siècle, le manichéisme apparut comme une sorte d’anarchisme spirituel propre à désagréger tous les principes les plus solides de l’éthique et de la vie. « Sinistre, intolérante, pour laquelle chaque péché était mortel et qui condamnait la joie » (Emile GEBHART), l’hérésie manichéenne, dans son expansion, rencontra partout de terribles obstacles, récusée comme hérésie et persécutée. L’Inde, après quelques mois d’essais de pénétration s’en débarrassa. Elle fut également chassée de Chine. En Turquie, les Kirghiz, ces stricts musulmans éliminèrent le dualisme manichéen. (DANIEL-ROPS, Histoire de l’Eglise du Christ, tome II Les Apôtres et les Martyrs, Librairie Arthème Fayard, Paris 1965, p. 402-403.) « Les lucifériens, c’est-à-dire les adorateurs du diable, étaient manifestement une variété de cathares qui croyaient à l’existence des deux principes moteurs de l’univers. » (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 422.)

Aux yeux des cathares, Jésus est un ange dont la vie terrestre n’a été qu’une illusion, le Christ n’a pas eu à ressusciter. La Vierge Marie était un pur esprit aux apparences humaines. La procréation, elle-même est criminelle : mettre un enfant au monde, c’est précipiter une nouvelle âme dans le royaume du Mal… Toutefois, certains « parfaits » admettent les relations charnelles; condamnant seulement l’institution du contrat et du sacrement de mariage, ils en viennent à prôner la liberté sexuelle. Ils faisaient eux-mêmes profession de chasteté perpétuelle, fuyaient avec horreur les moindres occasions d’impureté ; et cependant ils admettaient dans leur société les concubines des Croyants et les faisaient participer à leurs rites les plus sacrés, même lorsqu’elles n’avaient aucune intention de s’amender. Les « Croyants » eux-mêmes n’avaient aucun scrupule de conserver leurs maîtresses, tout en acceptant la direction des « Parfaits ». On a dit que leurs doctrines rigoristes n’étaient qu’un masque sous lequel se dissimulaient les pires excès. Quiconque voulait être sauvé, devant se soumettre à la loi de la chasteté rigoureuse, le mari quittait la femme, la femme le mari, les parents abandonnaient les enfants, fuyaient un foyer domestique qui ne leur inspirait que de l’horreur ; car l’hérésie leur enseignait « que personne ne saurait se sauver en restant avec son père et sa mère. Il est inutile d’insister longuement sur les conséquences antisociales de la négation de la famille. Elle ne tend à rien moins qu’à supprimer l’élément essentiel de toute société (la famille), en faisant de l’ensemble de l’humanité une vaste congrégation religieuse sans recrutement et sans lendemain… Les autres engagements que prenaient les hérétiques en entrant dans la secte, allaient à l’encontre des principes sociaux sur lesquels reposent les constitutions de tous les états. Ils promettaient, au jour de leur initiation, de ne prêter aucun serment et niaient les sanctions sociales. La pure doctrine cathare déniait absolument à la société le droit de punir. C’était l’un des liens les plus solides que les Manichéens détruisaient ainsi, et en le faisant, ils avaient l’apparence d’anarchistes. Récusant l’Eglise, la famille, la propriété et le serment d’homme à homme, les cathares nient les fondements de l’ordre social. « Observant des rites initiatiques, obéissant à une hiérarchie secrète, ils présentent toutes les apparences d’une secte. Une secte qui contrevient ouvertement à la morale commune de l’époque ». (Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 50-54). Henry Charles Lea, dans son Histoire de l’Inquisition, quoique protestant et ennemi de la religion catholique, a vu que le nihilisme des Albigeois marquait un retour à la barbarie, tandis que la doctrine chrétienne représentait la civilisation et le progrès. La victoire des Albigeois, c’était le déchaînement du fanatisme le plus terrible puisqu’il faisait gloire à l’homme de se suicider et un devoir à la famille de se dissoudre ; en les combattant, l’Eglise catholique défendit, avec la vérité dont elle est dépositaire, la cause de la vie, du progrès, de la civilisation.

Dominique de Guzman, profondément touché du triste état auquel l’hérésie avait réduit les provinces du Midi, décida de discuter en public et résolut de travailler dans ce pays au triomphe de la foi en proposant d’organiser des débats publics, des disputationes. Diego et Dominique arrivèrent tous les deux dans la région de Montpellier au printemps 1206, où Dominique rencontra les légats cisterciens chargés de lutter contre l’hérésie. Devant leur découragement, l’évêque Diègue leur proposa de renvoyer équipages et bagages pour aller à pied prêcher humblement la foi catholique, priant, étudiant et discutant. Le prêche et la parole étaient les principales armes de cette bataille, mais il fallait y associer l’action et l’exemple. Sans escorte et sans argent, ils allaient à pied, mendiant leur pain de maison en maison.

Les dominicains qui se fondent alors, Dominique choisit de marcher pieds nus sur les chemins, sans argent, en bure, rivalisant d’austérité, pour aller discuter avec les représentants des « Bons Hommes« , les « Purs » ou les « Parfaits » comme les Cathares se désignaient eux-mêmes, dans les salles de châteaux, sur les places publiques ou dans les églises.

Dominique et ses frères ont fait choix, pour leur communauté, de la règle de S. Augustin, qui donne comme but à la communauté d' »habiter ensemble dans l’unanimité, ne faisant qu’un coeur et qu’une âme en Dieu ».

A Montréal en 1206, suite à la réunion où lors d’une ordalie (« jugement de Dieu »), le libellus rédigé par Dominique lui est arraché des mains par les hérétiques qui le plongent dans le feu trois fois et ressort intact : il y eut 150 conversions (une toile de Pedro Berruguete illustre cet épisode parfaitement attesté dans les chroniques); à Pamiers en 1207, le président du débat se convertit avec ses compagnons vaudois.

Dominique avait, dès le début, donné à sa fondation ses buts précis : la vie évangélique et la prédication.

La réponse de Dominique à la crise des débuts du XIIIe siècle part d’abord d’une intuition simple, pour prêcher l’Évangile, il faut vivre selon l’Évangile. La communauté dominicaine sera donc au coeur des villes, les frères iront à l’Université et vivront de mendicité pour annoncer efficacement l’Évangile. Dominique veut aussi des frères pleinement insérés au coeur de l’Église puisque la crise médiévale est aussi une tentative de se passer de sa médiation pour accéder à l’Évangile.

 Mais les cathares multiplient les attentats contre l’Eglise, ils pillent les églises et les monastères, persécutent les catholiques, massacrent les prêtres et les moines. Saint Dominique manque de se faire tuer : il voit les hommes embusqués, et chante le Veni Creator hymne au Saint-Esprit. Les cathares sont sidérés. Plus tard, ils lui demandent :

« Qu’aurais-tu fait, si nous t’avions pris ? – Je vous aurais demandé de prolonger mon martyre en me coupant un à un tous les membres… – Pourquoi ? – Pour que je sois plus semblable à Jésus-Christ mourant sur la Croix afin de sauver vos âmes. »

La nuit, on entend Dominique répéter « Seigneur, ayez pitié de votre peuple ! Seigneur, que vont devenir les pécheurs ?« 

En 1207, ce chemin conduira Dominique jusqu’à la région de Fanjeaux, entre Carcassonne et Castelnaudary, où il s’établira dans l’œil du cyclone, arrachant à l’influence des prédicateurs pauvres et évangéliques les jeunes filles cathares de la noblesse locale qu’il installe à Prouille, en fondant ainsi une première communauté féminine de dames revenues dans l’Eglise, qui veulent mener une vie dévouée à la prière et à la pénitence dans la chasteté. Cette première communauté féminine deviendra en 1211 l’Abbaye Sainte-Marie de Prouille. Une communauté de frères se développe à côté du monastère: des fidèles s’offrent à leur tour pour la mission. C’est le moment où, au XIIIe siècle, l’Occident connaît un puissant mouvement spirituel, appelé évangélisme, qui prône une fidélité totale à l’Evangile, une pauvreté radicale et l’annonce par la parole et l’exemple de la Bonne Nouvelle.

En janvier 1208, la mission de Dominique est menacée à la suite de l’assassinat du légat du pape, Pierre de Castelnau, derrière lequel se dresse l’ombre menaçante de Raymond VI, comte de Toulouse, fief de l’hérésie. Les limites sont franchies. Le Languedoc est envahi par l’armée de Simon de Montfort: c’est la croisade des Albigeois, justifiée, non seulement par les doctrines subversives des Albigeois, et par les outrages de toutes sortes que depuis cent ans ils avaient accumulés contre les catholiques, mais aussi par ce meurtre qui frappait l’Eglise catholique tout entière dans la personne d’un légat du Saint-Siège. Les moines rentrent dans leurs abbayes, Arnaud regagne Cîteaux, maître Raoul est mort, et Diego est reparti en Espagne. Dominique reste seul dans la région. Il lui reste la communauté rassemblée dans le monastère de Prouille, aux environs de Fanjeaux. Il y resta jusqu’en 1214.

Au printemps 1215, Dominique s’installe avec quelques frères à Toulouse.

Sentant son insuffisance pour évangéliser seul de si vastes contrées, narre le Bienheureux Alain de la Roche, c’est à cette époque que la Sainte Vierge lui apparut et lui enseigna définitivement, en lui ordonnant de la répandre, la dévotion du Rosaire (chapelets d’oraison) qui fut bientôt le plus terrible fléau de l’hérésie.

La récitation répétée de prières litaniques apparaît au IVe siècle; les ermites et les ascètes les matérialisent par de petits cailloux qu’ils portent dans un sac. En Occident, les petits cailloux sont bientôt remplacés par des graines séchées, passées dans un fil et réunies en couronne. Les laïcs récitent 150Pater en analogie avec les 150 psaumes de la prière monastique. Vers 1050, les dévots ajoutent les premiers mots de la salutation angélique aux Pater, et récitent 150 Ave après les 150 Pater. L’ensemble des grains est appelé couronne de roses ou rosaire.

En 1213-1214, alors que S. Dominique prêchait en Espagne avec son frère Fra Bernardo, il fut enlevé par des pirates. La nuit de l’Annonciation de Marie (25 mars) une tempête détruisit le navire sur lequel ils étaient quand la Madone dit à Dominique que le seul salut à la mort pour l’équipage était de dire oui à sa Confrérie du Rosaire, donc les pirates avec les Dominicains à bord pour être les premiers membres. Depuis, le Rosaire est devenu la prière la plus populaire pour combattre les hérésies et, au fil des décennies, l’une des prières catholiques les plus traditionnelles.

On reconnait traditionnellement quinze mystères divisés en trois catégories : les mystères joyeux, les mystères douloureux, et les mystères glorieux. Chaque catégorie comprend cinq mystères, correspondant aux cinq dizaines du chapelet. Ceci permet de réciter une fois en entier le chapelet pour chaque catégorie de mystère, et trois fois le chapelet pour faire tous les mystères joyeux, douloureux et glorieux- soit un rosaire entier, composé de 15 dizaines, ou 150 prières (150 étant le nombre des psaumes).

Désormais, lui, le grand marcheur qui sillonnait les routes du Lauragais va devenir le globe-trotter de l’Europe. Il avait déjà fait deux fois le trajet de l’Espagne au Danemark en passant par Rome, mais cette fois-ci il se dirigera à deux reprises vers Rome, fin 1215 et fin 1216. Il en reviendra avec une bulle d’approbation du pape Honorius III, datée du 22 décembre 1216. Désormais son ordre devient universel et il décide d’abandonner Toulouse, ses pas le conduiront vers Paris, Madrid, Salamanque, Bologne…

Personne ne peut le retenir, le plus déçu dans l’affaire sera son protecteur l’évêque Foulques : « ce fut contre la volonté du comte de Montfort, de l’archevêque de Narbonne, de l’évêque de Toulouse, de l’évêque de Toulouse, et le mien propre », dit-il pour justifier cet arrachement, « je sais ce que je fais ! »

Parmi les miracles quotidiens que Dieu opérait en sa faveur, on rapporte que, dans ses voyages, la pluie tombait souvent autour de lui sans l’atteindre; qu’un jour, son sac et ses livres, étant tombés dans une rivière, furent repêchés plusieurs jours après, sans qu’on y vît aucune trace d’eau.

A l’occasion de l’ouverture le 11 novembre 1215 à Rome du IVe concile dans la basilique Saint-Jean-de-Latran en présence de quelques quatre cents évêques, Dominique fit le voyage de Rome pour obtenir l’approbation de l’Ordre des Frères-Prêcheurs. C’est là, alors qu’ils ne se connaissaient pas et ne se seraient pas rencontrés dans le tohu-bohu de ces quelques mille cinq cents personnes, qu’ils se reconnurent, s’embrassèrent comme deux frères et lièrent une amitié profonde qui dura jusqu’à la mort. S. Dominique rencontra François d’Assise, qu’il avait vu en songe. Dans cette vision, S. Dominique vit Jésus irrité contre le monde qui a perdu la foi et vit dans le péché. Pour l’apaiser la Vierge lui présente deux hommes dont la sainteté, lui dit-elle, est à même de racheter la mauvaise conduite des autres qui, par eux, retrouveront la voie de la vérité. Il se reconnaît dans l’un de ces hommes. Il se demande qui pourrait bien être l’autre qui a l’air d’un mendiant, vêtu d’une simple tunique de bure. Le lendemain, dans une église dont la tradition n’a pas conservé le nom, S. Dominique reconnaît, habillé comme il l’avait vu dans son extase, ce deuxième homme que la Vierge recommandait si chaleureusement au Christ. S. Dominique se serait précipité vers S. François et l’aurait serré dans ses bras en lui disant : « Vous êtes mon compagnon, vous marcherez avec moi, tenons-nous ensemble et nul ne pourra prévaloir contre nous. »

Dominique opérait une multitude de miracles, ressuscitait les morts, et se disait: « le plus grand pécheur de l’univers ».

La fondation de Prouille (1207) avait précédé de huit ans la création de la première communauté masculine à Toulouse (1215). A l’été 1217, Dominique envoie des frères à Paris pour étudier et établir un couvent placé sous le patronage de S. Jacques qui vaudra aux Dominicains français le surnom de Jacobins. D’autres partent pour l’Espagne ou pour l’Italie.

C’est lors du chapitre général de Bologne de 1220 que Dominique impose à ses frères prêcheurs le renoncement aux possessions et aux revenus, au profit d’un abandon à la providence divine. La même année 1220, des prêcheurs sont envoyés en Suède, en Angleterre, en Hongrie, au Danemark, en Pologne et peut-être aussi en Grèce.

Mais l’été 1221, Dominique, épuisé, tombe malade à Bologne et assure aux frères qu’il leur sera plus utile mort que vivant. Il meurt le 6 août 1221. Dès 1223, une enquête officielle sur sa sainteté et ses miracles recueille de nombreux témoignages à Bologne et dans la région toulousaine. Au terme du procès, Dominique est canonisé à Rieti le 3 juillet 1234. L’ordre s’étend sur l’Europe entière. Les provinces périphériques sont des bases d’action missionnaire pour les pays païens, musulmans, ou séparés de Rome. Dès le XIIIe siècle, des laïcs s’assemblent autour des couvents dominicains et franciscains.

En 1303, l’Ordre compte près de 10000 religieux. Il en compte 6000 aujourd’hui. Contemplation, étude et prédication sont les raisons de son succès. L’acharnement des dominicains à étudier pour comprendre, réfuter et témoigner explique aussi le succès des prêcheurs. C’est dans le public étudiant que les premiers frères ont cherché des vocations et ce fut en collaborant avec l’université de Paris qui naquit en leur temps, que les Dominicains ouvrirent de nouveaux chemins à l’intelligence de la foi. La scolastique s’offrait comme une méthode d’investigation du réel d’une extraordinaire fécondité.

Sa fête liturgique est fixée au 5 puis au 4 août. Elle est transférée au 8 août après Vatican II.

Au XIIIe siècle, on attendra de l’Ordre de S. Dominique une parole qui mène à Dieu mais qui fera droit à la raison comme l’enseignera S. Thomas d’Aquin (1225-1274) qui naîtra quatre ans après la disparition du fondateur et occupera une place particulière, à la fois comme un maître et un frère.

Dans l’histoire de l’ordre, on trouve aussi des artistes comme Jean de Fiesole (1387-1455), dit Fra Angelico (le Frère Angélique), qui, même devenu prieur de sa communauté, continue d’exercer son ministère par la peinture; des grands prédicateurs comme Vincent Ferrier (1350-1419); des visionnaires comme Bartolomé de Las Casas (1484-1566), défenseur et protecteur des Indiens; ou des mystiques comme Rose de Lima (1586-1617), Patronne du Pérou, de l’Amérique du Sud et des Philippines.

En 1790, un décret révolutionnaire supprime les Dominicains. Ils ne renaissent en France qu’en 1850 grâce à la volonté d’Henri Lacordaire (1802-1861).

Plus tard, Marie-Joseph Lagrange, qui fondera à Jérusalem, l’Ecole pratique d’études bibliques (Ecole Biblique), et dont la cause en béatification est en cours à Rome, sera le « saint Thomas de la question biblique« .

Aujourd’hui, l’actuelle province de Toulouse est l’héritière des anciennes provinces médiévales de Provence et de Toulouse. Elle a en héritage trois lieux historiques et spirituels importants pour l’Ordre : Fanjeaux (lieu de prédication de Dominique, fondation des moniales); Toulouse (fondation de la première communauté); et la Sainte-Baume, sanctuaire de sainte Marie-Madeleine où l’Ordre est présent depuis sept siècles.

L’Ordre de S. Dominique qui se maintient en France dans ses deux provinces, est en expansion aux Etats-Unis, en Afrique et en Asie.

  

LE CARDINAL NEWMAN : PRÉCURSEUR DE VATICAN II

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Immense figure intellectuelle et universitaire, auteur de renom, le Cardinal Newman était un homme d’une grande humilité, toujours animé d’une grande bonté et du souci de venir en aide aux malades et aux plus démunis. Un « grand maître dans l’Église », dira de lui Benoît XVI, alors Cardinal Ratzinger.

Né en 1801 à Londres dans un milieu aisé, John Henry Newman est un enfant brillant, qui montre très tôt de grandes capacités et un goût prononcé pour l’écriture. Sa famille appartient à l’Église anglicane, certainement plus par tradition et respect de l’ordre établi que par une piété profonde. C’est véritablement à 15 ans que John Henry connaît une première rencontre personnelle avec le Seigneur. Cette conversion n’est pas un bouleversement émotionnel ponctuel, mais un élan spirituel progressif et apaisé qui le marque durablement.

Étudiant précoce, John Henry Newman est admis à l’Université d’Oxford en 1817. Grand lecteur et curieux de tout, il étudie avec passion l’Histoire, les langues, la poésie et les mathématiques. Commence alors une longue quête spirituelle. Devenu membre du corps professoral – fellow – d’Oriel College, il décide de s’engager dans le célibat et est ordonné prêtre anglican en 1825. Vicaire à l’église St Clement’s d’Oxford, il découvre l’action pastorale tout en poursuivant ses activités universitaires. Il est ensuite nommé curé de St Mary, l’église universitaire d’Oxford où il se fait connaître par ses sermons. Dès cette époque, il entreprend une lecture systématique des Pères de l’Église.

En 1833, une grave maladie qui le frappe pendant un voyage en Sicile est l’occasion d’une nouvelle expérience spirituelle : au milieu de ses crises de fi èvre, il a l’intuition d’une oeuvre qu’il doit accomplir. Sur le chemin du retour, il compose sa célèbre prière Lead, Kindly Light (Guide-moi, douce Lumière).

Le Mouvement d’Oxford

Peu de temps après son retour en Angleterre, il lance avec John Keble le « Mouvement d’Oxford », propageant ses idées sous forme de quatre-vingt dix tracts publiés entre 1833 et 1841. Le groupe cherche à lutter contre tout libéralisme théologique et à revenir à la foi des origines, en particulier grâce à une redécouverte des Pères de l’Église. Le Mouvement défend l’indépendance de l’Église anglicane vis-àvis du pouvoir politique et veut faire sortir l’anglicanisme de sa torpeur spirituelle qui l’éloigne des couches populaires. À une période où la vie sacramentelle anglicane est devenue particulièrement pauvre et très formaliste – il n’y a pratiquement plus d’autels dans les églises et la prédication tient lieu de tout culte – John Henry Newman doit ainsi se battre contre ses paroissiens pour rétablir une communion eucharistique.

En 1841, Newman soulève de grandes polémiques au Royaume-Uni en publiant un tract sur les « Trente-Neuf Articles », les principes doctrinaux établis en 1563 de l’Église d’Angleterre en réaction contre l’Église de Rome et dont il démontre qu’ils ne sont contradictoires ni avec la tradition catholique antique, ni avec les décisions du concile de Trente. Dans un contexte de méfiance profonde envers le catholicisme, ce dernier tract est immédiatement censuré par l’Université.

Prêtre catholique

Newman se retire progressivement à Littlemore et mène une vie quasi monastique. À travers ses lectures, il perçoit de plus en plus clairement le caractère schismatique de l’Église anglicane et que l’Église de Rome est le véritable successeur de l’Église des premiers siècles. Ce cheminement le conduit à démissionner de ses fonctions. Après un dernier sermon émouvant à Littlemore − « Quand des amis se quittent » −, Newman est reçu dans l’Église catholique par le Père Dominique Barberi le 9 octobre 1845, à l’issue d’un examen de conscience complet. Il se rend à Rome pour se préparer au sacerdoce et décide d’entrer dans la congrégation de l’Oratoire, fondée en 1575 par saint Philippe Néri et composée de communautés de prêtres séculiers qui ne prononcent pas de voeux mais vivent selon une règle dans l’exercice de divers ministères. John Henry Newman est ordonné prêtre catholique en mai 1847 et fonde l’année suivante le premier Oratoire en Angleterre, à Birmingham.

Il exerce alors son ministère intellectuel au service de l’Église : par de nombreuses conférences, il défend la foi catholique et donne sa vision de l’enseignement universitaire. On lui confie la création de l’Université catholique d’Irlande, puis la direction d’une nouvelle traduction de la Bible en anglais, projet qui ne se réalise pas, faute de soutien des évêques. Des dissensions naissent entre les communautés oratoriennes de Londres et de Birmingham. Face aux difficultés, Newman se confie à Dieu.

Il continue d’écrire inlassablement. En 1859, un article qu’il publie sur le rôle des laïcs dans la transmission de la tradition est dénoncé à Rome, où il fait l’objet d’une suspicion pendant une dizaine d’années. Pour répondre à une accusation de duplicité et de mensonge formulée par un pasteur anglican, Newman rédige en six semaines l’Apologia pro vita sua, ouvrage qui retrace l’évolution de sa pensée religieuse et qui connaît un succès immédiat. Il publie en 1875 sa Lettre au duc de Norfolk en réponse aux accusations de manque de loyauté des catholiques vis-à-vis de l’État : dans cet ouvrage magistral, il expose sa conception de la conscience et des rapports dans l’Église entre conscience individuelle et autorité.

Un cardinal précurseur

Après l’heure des épreuves, vient pour John Henry Newman le temps de la reconnaissance et de la consécration : en 1879 le pape Léon XIII le crée cardinal. Ses forces déclinant peu à peu, le Cardinal Newman meurt le 11 août 1890. Il laisse derrière lui une quarantaine d’ouvrages théologiques, de nombreuses prières et sermons et des dizaines de milliers de lettres. Depuis lors, son rayonnement ne cesse de croître.

Jean Guitton le qualifiera de « penseur invisible de Vatican II ». Une partie de sa pensée a été en effet reprise par les Pères du Concile, en particulier sur la primauté de la conscience, le rôle des laïcs et le sens de la Tradition et de ses développements.

Le Cardinal Newman a été béatifié le 19 septembre 2010 par le Pape Benoît XVI à Birmingham.

L’Eglise du coeur :

Le coeur de chaque chrétien devrait représenter en miniature l’Église catholique, puisqu’un unique Esprit fait l’Église tout entière et de chacun de ses membres son Temple. Comme il rend une l’Église qui, laissée à elle-même, se séparerait en parties multiples, ainsi unifi e-t-il l’âme, malgré ses diverses affections et facultés, et ses tendances contradictoires…
Et soyons bien assurés que ces deux opérations de notre divin Consolateur dépendent l’une de l’autre, et que tant que les chrétiens ne rechercheront pas l’unité et la paix en leur propre coeur, jamais l’Église elle-même ne sera dans l’unité et la paix dans ce monde qui les entoure… ».

 

Sources diverses