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Dimanche 23 mai 2023 : 7ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 23 mai 2023 : 7ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1, 12 – 14

Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel,
12 retournèrent à Jérusalem
depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche,
– la distance de marche ne dépasse pas
ce qui est permis le jour du sabbat.
13 À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute
où ils se tenaient habituellement ;
c’était Pierre, Jean, Jacques et André,
Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu,
Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
14 Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière,
avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus,
et avec ses frères.

Jésus vient tout juste de quitter ses disciples : la première phrase de notre texte d’aujourd’hui résume en quelques mots ce qui fut certainement une étape cruciale de la vie des premiers Chrétiens. Nous l’appelons l’Ascension et nous en avons fait une fête ; mais, à l’origine, n’est-ce pas plutôt un jour de deuil, un jour de grand départ ?
Après l’horreur de la Passion et de la mort de Jésus, après l’éblouissement de la Résurrection, les voilà orphelins, cette fois, et pour toujours. Mais, du coup, les voici plus proches de nous et leur attitude pourrait guider la nôtre. Nous allons donc nous intéresser de très près à leurs faits et gestes.
Jésus leur avait laissé des consignes : ne pas quitter Jérusalem, et attendre là le don de l’Esprit-Saint. Voici le récit qu’en donne le livre des actes des Apôtres : « Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche : Jean (Baptiste) a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. » (Ac 1, 4-5).
Et, le jour même de son départ, sur le Mont des Oliviers, il a répété : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Je retiens, au passage, cette expression « la puissance de l’Esprit », elle devrait nous rassurer en toutes circonstances. Et Luc raconte ce qui s’est passé ensuite : « A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards. »
Evidemment, ils ont respecté la consigne de leur Maître. Nous ne nous étonnons donc pas de les retrouver aussitôt après à Jérusalem ; Luc note que le mont des Oliviers est tout proche de Jérusalem : la distance n’excède pas ce qu’on appelle un « chemin de shabbat », c’est-à-dire la distance maximum que l’on peut parcourir sans violer la prescription de repos du shabbat ; c’était un peu moins d’un kilomètre ; pour être plus précis, le « chemin de shabbat » était de deux mille coudées ; et une coudée, comme son nom l’indique, c’est la longueur de l’avant-bras, soit à peu près cinquante centimètres.
Mais pourquoi Luc donne-t-il cette précision ? Faut-il en déduire que c’était un jour de sabbat ? Ou bien, en insistant sur la proximité du Mont des Oliviers, Luc veut-il suggérer que tout se passe à Jérusalem ? C’est là que s’accomplit le dessein de Dieu : là le Fils a été glorifié, là a été renouée l’Alliance entre Dieu et l’humanité, là sera donné l’Esprit.
C’est dans la ville sainte, donc, que commence la vie de l’Eglise naissante ; et Luc énumère ceux qui composent le groupe : les Onze, quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et quelques frères, c’est-à-dire des disciples probablement. Là encore, les précisions ne sont certainement pas là pour l’anecdote ; nous connaissions déjà les noms des apôtres par l’évangile de Luc ; s’il nous en redonne la liste, ce n’est donc pas pour nous instruire ! Luc veut marquer la continuité dans la communauté des apôtres : ce sont les mêmes qui ont accompagné Jésus tout au long de sa vie terrestre, qui maintenant s’engagent dans la mission. Et ils ne pourront être les témoins de la Résurrection que parce qu’ils ont été témoins de la vie, de la Passion et de la mort de Jésus.
Nous retrouvons donc là le groupe que Jésus avait choisi avec ses diversités étonnantes : Pierre, Jacques, Jean et André étaient pêcheurs au bord du lac de Tibériade ; Simon était zélote : à l’époque de la vie terrestre de Jésus, cela ne représentait pas encore un engagement politique, mais c’était quand même déjà un signe de fanatisme religieux ; on se demande comment il pouvait voisiner avec Matthieu le publicain : c’est-à-dire percepteur à la solde de l’occupant, et, pour cette raison interdit de culte ! Non seulement, Jésus a réussi à les faire cohabiter autour de lui, mais, désormais, ils vont porter ensemble la responsabilité de continuer la mission de leur Maître.1
C’est sur cette communauté d’hommes tels qu’ils sont que repose désormais l’annonce de la Bonne Nouvelle. Je note deux choses :
Premièrement, leur groupe n’est pas refermé sur lui-même, il est déjà ouvert à d’autres, hommes et femmes. Deuxièmement, ils commencent cette vie de l’Eglise dans la prière, « d’un seul coeur et fidèlement », nous dit Luc. Et voilà peut-être bien le premier miracle des apôtres ! Cette prière d’un seul cœur  au moment où leur Maître les quitte, où ils se retrouvent apparemment livrés à eux-mêmes et à leurs diversités qui auraient bien pu devenir des divergences.
Mais ils ne sont livrés à eux-mêmes qu’apparemment ! Jésus est désormais invisible, il n’est pas pour autant absent. Matthieu, dans son évangile, a retenu l’une des dernières phrases de Jésus : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
Les apôtres ne prient donc pas pour obtenir que Jésus se fasse proche : sa présence leur est acquise ; ils prient pour se replonger dans sa présence. Ce récit des Actes devient alors pour nous une formidable leçon d’espoir : Jésus est avec nous tous les jours, sa présence nous est acquise, à nous aussi, et la puissance de l’Esprit Saint nous accompagne. Voilà de quoi nous donner toutes les audaces !
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Note
1 – La tradition Chrétienne a assimilé Barthélémy avec Nathanaël (cité par saint Jean) qui était un spécialiste de la Loi. Si c’était le cas, c’était encore une diversité supplémentaire à l’intérieur du groupe des Douze.

PSAUME – 26 ( 27 ), 1, 4, 7-8

1 Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

4 J’ai demandé une chose au SEIGNEUR,
la seule que je cherche :
habiter la maison du SEIGNEUR
tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.

7 Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon cœur  m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face ».

Ce psaume est fait tout particulièrement pour ceux qui traversent des temps difficiles ! On sait bien que les croyants ne sont pas plus épargnés que les autres par les épreuves de la vie : la foi n’est pas une baguette magique. Parfois même, les croyants souffrent à cause de leur foi ; c’est le cas dans toutes les guerres de religion ou les persécutions. Cela peut venir aussi de l’hostilité des athées et des difficultés à défendre les valeurs Chrétiennes dans un monde qui ne les partage pas. Nous en aurons l’exemple dans la lettre de saint Pierre qui est notre deuxième lecture de ce dimanche.
Mais, dans les épreuves, les croyants ont une attitude particulière, car ils savent qu’ils ne sont pas seuls, abandonnés à leur triste sort, comme on dit. Ils savent qu’ils ont un interlocuteur : « C’est vers Dieu que pleurent mes yeux », disait Job (Jb 16, 20). Et ils vont chercher la force là où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu. « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? »
Nous ne saurons pas à quelles épreuves précises fait allusion ce psaume ; entre parenthèses, il est beaucoup plus long que les quelques versets que nous avons lus ici, mais cela ne nous donne aucune indication historique. Nous sentons ici ou là une allusion à des attaques extérieures : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? » Depuis la grande aventure de l’Exode, le peuple d’Israël a été à plusieurs reprises menacé dans sa vie même ; le premier verset « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut » est probablement aussi une allusion à l’Exode, sous la conduite de Moïse : car, dans le désert du Sinaï, la colonne de nuée éclairait sa route et disait la présence de Dieu : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut… »
Le salut, à cette époque-là, c’était d’échapper au Pharaon ; à chaque époque de nos histoires collectives et individuelles, le salut prend des formes diverses ; et Israël en a connu de toutes sortes que l’ensemble du psaume évoque par allusions ; par exemple, dire « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie », c’est faire remonter à la mémoire la longue période de guerres ; et on sait bien que le meilleur rempart ce ne sont pas des fortifications, avec des créneaux et des mâchicoulis, c’est la force que Dieu nous donne. « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas », disait Isaïe au roi Achaz (Is 7, 9). La foi est la seule force qui nous permette de tout affronter ; « De qui aurais-je crainte ? » : cela veut bien dire que Dieu nous garde de toute peur. Et que nous n’avons pas peur de lui non plus.
Dans toutes les épreuves et les souffrances, le croyant sait qu’il peut crier vers Dieu : c’est même recommandé, si j’en crois la Bible ! Il ne faut pas écouter la phrase d’Alfred de Vigny qui a bercé l’enfance de certains d’entre nous : je vous la rappelle, mais c’est pour l’oublier aussi vite : « Gémir, pleurer, prier est également lâche ; accomplis chaque jour ta longue et lourde tâche, puis après, comme et moi, souffre et meurs sans parler. » C’est dans « La mort du loup ». La phrase est belle, mais elle n’est pas biblique ! Ce que la Bible nous apprend, et en particulier dans le livre de Job (si on lit soigneusement la partie centrale du livre), c’est que « Non, gémir, pleurer, prier, ce n’est pas lâche ! » C’est humain tout simplement. Mais c’est vers Dieu qu’il faut gémir, pleurer, prier.
« Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle », dit notre psaume : il y a une chose dont le peuple élu est sûr, c’est que Dieu entend nos cris d’appel ! Cela a été la grande révélation du Buisson ardent : « Le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi » a dit Dieu à Moïse (Exode 3) ; depuis ce jour et pour toujours, Israël sait que Dieu entend le cri des malheureux. Et même s’il est silencieux, nous savons qu’il n’est pas sourd.
En dehors des épreuves extérieures, ce psaume évoque peut-être également l’épreuve spirituelle du peuple qui peine à garder la foi : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche : c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie » : comme le lévite, admis dans l’intimité du temple de Jérusalem, Israël demande la grâce de demeurer dans l’intimité de Dieu.
« Pitié, réponds-moi », c’est un cri de mendiant ; c’est aussi, peut-être, une demande de pardon ; car l’expression qui suit, « Cherchez ma face », est un appel à la conversion ; il faut se détourner des idoles et se tourner vers Dieu. Dès son installation dans la Terre Promise, le peuple a été affronté à un nouveau danger : celui de l’infidélité, c’est-à-dire l’idolâtrie ; alors, là encore, il faut tenir ferme, se rappeler les mises en garde de Moïse. « Mon coeur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ».
Mais là, il ne faut pas se tromper, il y a un contresens à ne pas faire ; quand Dieu dit « Cherchez ma face », ce n’est pas qu’il ait soif de nos hommages. Ce conseil nous est donné pour notre bonheur : nous sommes parfois tentés de penser que Dieu pourrait nous demander quelque chose dans son intérêt à lui. Mais Dieu nous aime. Tous les commandements qu’Il nous donne sont pour notre bonheur. Saint Augustin disait : « Tout ce que l’homme fait pour Dieu profite à l’homme et non à Dieu. »
Pour Dieu, le centre du monde, c’est l’humanité ; il n’a pas d’autre but que notre bonheur ; et nous, nous ne trouvons notre bonheur que quand nous mettons Dieu au centre de notre vie. Saint Augustin disait encore « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».
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Compléments

1 – Il est intéressant de faire le rapprochement entre ce psaume 26/27 et le cantique de Zacharie (le père de Jean-Baptiste ; Lc 1, 67-79) que beaucoup d’entre nous disent chaque matin dans la Liturgie des Heures :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
qui visite et rachète son peuple.
Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David,
son serviteur,
Comme il l’avait dit par la bouche des saints,
par ses prophètes,
depuis les temps anciens ;
Salut qui nous arrache à l’ennemi,
à la main de tous nos oppresseurs,
Amour qu’il montre envers nos pères,
mémoire de son alliance sainte,
Serment juré à notre père Abraham, de nous rendre sans crainte,
Afin que, délivrés de la main de nos ennemis,
nous le servions dans la justice et la sainteté,
En sa présence tout au long de nos jours ».

2 – Il suffit d’entendre la première phrase « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut », pour savoir que ce psaume est écrit dans une période difficile ; c’est la nuit qu’on a besoin de croire à la lumière.
Ce qui peut surprendre, c’est que quand le soleil disparaît, quelquefois pour des jours et des jours, derrière la pluie et les nuages, nous ne doutons jamais un seul instant qu’il continue d’exister… nous sommes absolument certains que les beaux jours reviendront, que nous sentirons de nouveau sa chaleur et son rayonnement… C’est même en plein hiver, sous la pluie, que les magasins proposent les vêtements d’été ; tout le monde sait que le soleil est toujours là, même s’il est provisoirement caché !
Mais quand la présence de Dieu est moins évidente, il nous est plus difficile de croire qu’Il ne cesse pas pour autant d’ être présent et agissant. C’est à ces moments-là que nous avons bien besoin de notre foi ; ce psaume est très certainement fait pour entretenir la foi dans un moment difficile. Affirmer « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte », c’est avouer que la crainte me guette et qu’il faut s’accrocher à la certitude.

3 – On ne s’étonne pas que ce psaume soit proposé par le Rituel des Funérailles ; et d’ailleurs, le refrain que nous chantons le plus habituellement pour ce psaume, c’est « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur, Alleluia » : c’est-à-dire le premier verset auquel on a ajouté « Alleluia » ; on ne pouvait pas mieux faire ; car le sens du mot « Alleluia », c’est justement « Le Seigneur est mon salut, il m’a relevé ». Le sens littéral, c’est « Louez Dieu », mais cela veut dire « Louez Dieu qui vous sauve. » Voici le sens de l’Alleluia dans la tradition juive : « Dieu nous a amenés de la servitude à la rédemption, de la tristesse à la joie, des ténèbres à la brillante lumière, du deuil au jour de fête, de la servitude à la liberté, c’est pourquoi chantons devant lui l’Alleluia ».

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 4, 13-16

Bien-aimés,
13 dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ,
réjouissez-vous,
afin d’être dans la joie et l’allégresse
quand sa gloire se révélera.
14 Si l’on vous insulte pour le nom du Christ,
heureux êtes-vous,
parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu,
repose sur vous.
15 Que personne d’entre vous, en effet,
n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur,
ou comme agitateur.
16 Mais si c’est comme chrétien,
qu’il n’ait pas de honte,
et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

Si Pierre emploie le mot « Chrétien », c’est parce qu’il écrit cette lettre longtemps déjà après la Résurrection du Christ.
Au tout début de l’Eglise, nous le savons par les Actes des Apôtres, les premiers disciples du Christ ne portaient pas encore ce nom ; ils étaient appelés « Nazôréens », à cause de Nazareth, bien sûr ; à vrai dire, de la part des Juifs qui refusaient de reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie attendu par Israël, ce titre de Nazôréens était plutôt péjoratif. Un peu plus tard, au moment où Barnabé et Saül de Tarse (le futur saint Paul) accomplissaient leur mission à Antioche de Syrie, ce sont probablement des païens non convertis à l’Eglise chrétienne qui donnèrent aux disciples de Jésus le nom de Chrétiens, qui veut dire « du Christ, appartenant au Christ » (Ac 11, 26).
Ce nouveau titre de Chrétien n’était pas non plus honorifique ! Les païens non convertis voyaient d’un mauvais œil  le changement de vie radical qui s’opérait dans la communauté des baptisés. Voici ce que nous pouvons lire un peu plus tôt dans la lettre de Pierre : « Les païens trouvent étrange que vous ne couriez plus avec eux vers la même débauche effrénée et ils vous outragent. » (1 P 4, 4) ; « Ils vous calomnient comme malfaiteurs. » (1 P 2, 12).
Nous comprenons mieux, du coup, de quelles souffrances Pierre parle ici : « Si l’on fait souffrir l’un de vous… si c’est comme Chrétien, qu’il n’ait pas de honte »… « vous communiez aux souffrances du Christ ». Il entend par là la souffrance de l’incompréhension, de l’isolement, de la calomnie dont Jésus a été victime parce qu’il se démarquait de la classe dominante. Parce qu’il continuait à annoncer son message sans se laisser arrêter par quiconque… C’est cette fidélité qui lui a coûté la vie… A leur tour, les premiers Chrétiens sont affrontés à la même hostilité ; alors il s’emploie à leur donner le courage de tenir bon en attendant des jours meilleurs, le jour où la gloire du Christ se révélera, comme il dit ; c’est-à-dire le jour où la vérité éclatera, le jour où Jésus viendra inaugurer son règne parmi les hommes.
Pierre va même plus loin : non seulement, il ne faut pas avoir honte, mais au contraire, le titre de Chrétiens est à ses yeux, la plus haute dignité : « Réjouissez-vous », leur dit-il et rendez gloire à Dieu, à cause de ce nom de Chrétien. Il est vrai que si le mot « Chrétien » signifie « appartenant au Christ », alors, oui, c’est bien notre plus beau titre de fierté ! Bien au-delà de la fierté que nous tirons de notre naissance, de nos titres, de notre culture, de nos diplômes, de notre palmarès sportif, de notre beauté, de notre argent, de nos décorations…
Cette formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » ressemble de très près à l’une des béatitudes annoncées par Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 11). Jésus, en disant cela, faisait son propre portrait. Désormais, Pierre applique ce portrait à ceux qui, à leur tour, portent le nom du Christ. Il emploie même le mot « communier » : « vous communiez aux souffrances du Christ » : ce qui veut dire : « réjouissez-vous, vous êtes intimement unis au Christ dans ces souffrances que vous subissez pour rester fidèles à son nom et à sa mission. Et parce que vous êtes unis à ses souffrances, vous serez également unis à sa gloire, le jour où la vérité éclatera. »
Il faut certainement rester très fermes sur un point : la souffrance n’est pas un but en soi ; le but, c’est le jour où sa gloire se révélera. Si la souffrance était un but en soi, Jésus n’aurait pas consacré sa vie publique à soulager, guérir, pardonner, relever, redonner courage, accueillir les exclus de toute sorte, et même ressusciter Lazare ou le fils d’une veuve… Si la souffrance était un but en soi, les prophètes n’auraient pas non plus annoncé maintes et maintes fois le jour de Dieu comme celui de toutes les guérisons et de toutes les libérations. Le but, ce n’est pas la souffrance, c’est d’être uni au Christ et à Dieu dans l’Esprit d’amour, quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses de notre vie.
Et Pierre indique un chemin pour aborder la circonstance très particulière qu’est la persécution pour le nom du Christ : ce chemin, c’est sa formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » qui sonne comme une Béatitude.
Une Béatitude, c’est à la fois une félicitation, une annonce et un encouragement ;
La félicitation, c’est quelque chose comme : « Bravo… si on vous traite ainsi, c’est que vous ressemblez au Christ. Et donc, que vous êtes dignes de porter le nom de Chrétiens ».
L’annonce, c’est : « Un jour viendra où le Christ sera reconnu par tous, et vous avec. Ce jour-là, on reconnaîtra que vous ne vous êtes pas trompés », et que le Christ non plus ne vous a pas trompés.
L’encouragement, c’est la suite logique de ce qui précède ; c’est : « Courage, tenez bon, vous avez choisi la bonne voie » ; et, d’ailleurs, on sait qu’André Chouraqui traduisait « Bienheureux » par « En marche ».
Pierre parle ici en connaissance de cause : s’il a commencé par renier son maître, c’est parce qu’il craignait d’être associé à ses souffrances ; mais après la Pentecôte, plus rien n’a pu l’arrêter dans sa tâche de prédicateur ; aux autorités qui lui interdisaient de parler de Jésus, il répondait simplement : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Actes 4, 20). Et quand les menaces se sont concrétisées, le livre des Actes raconte qu’après avoir été battus de verges, « les apôtres quittèrent le Sanhédrin, tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom » (Actes 5,41).
Mais cela, Pierre n’a pu le faire qu’après la Pentecôte : il faut être rempli de l’Esprit de Jésus pour avoir le courage d’affronter la persécution en son nom et pour connaître cette joie mystérieuse d’être en communion avec lui, jusque dans la souffrance, cette joie que nul ne pourra nous ravir !
Pas étonnant que l’Eglise nous fasse entendre ce texte de Pierre en ce temps de redécouverte du rôle de l’Esprit Saint dans la vie de nos communautés.

EVANGILE – selon Saint Jean 17, 1b-11a

En ce temps-là,
1 Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, l’heure est venue.
Glorifie ton Fils
afin que le Fils te glorifie.
2 Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle
à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or, la vie éternelle,
c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé,
Jésus Christ.
4 Moi, je t’ai glorifié sur la terre
en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire.
5 Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père,
de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
6 J’ai manifesté ton nom
aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés,
et ils ont gardé ta parole.
7 Maintenant, ils ont reconnu
que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues,
ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Moi, je prie pour eux ;
ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés,
car ils sont à toi.
10 Tout ce qui est à moi est à toi,
et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »

Je reprends les derniers mots de Jésus : « Je viens vers toi ». Tant que nous sommes sur cette terre, nous ne pouvons pas être témoins du grand dialogue d’amour de Jésus avec son Père. Mais avec ce récit de saint Jean, nous entrons dans la prière de Jésus au moment même où il va rejoindre son Père : « Je viens vers toi. ». Car c’est l’Heure du grand passage : « Père, l’heure est venue », dit Jésus. Cette heure dont il a parlé à plusieurs reprises, au cours de sa vie terrestre. Cette Heure qu’il semblait désirer et redouter à la fois.
C’est l’heure, décisive, centrale de toute l’histoire humaine, l’heure que toute la création attend comme celle d’une naissance : parce qu’elle est l’heure de l’accomplissement du dessein de Dieu. Désormais, à partir de cette heure, plus rien, jamais, ne sera comme avant. En cette heure décisive, le mystère du Père va enfin être révélé au monde : c’est pourquoi Jésus emploie avec insistance les mots « gloire » et « glorifier ». La gloire d’une personne, au sens biblique, ce n’est pas sa célébrité ou sa reconnaissance par les autres, c’est sa valeur réelle. La gloire de Dieu, c’est donc Dieu lui-même, qui se manifeste aux hommes dans tout l’éclat de sa sainteté. On peut remplacer le verbe « glorifier » par « manifester ».
En cette heure décisive, Dieu va être glorifié, manifesté en son Fils, et les croyants vont « connaître » enfin le Père, entrer dans son intimité. Cette intimité qui unit le Fils au Père, le Fils la communique aux hommes ; désormais ceux qui accueilleront cette révélation, ceux qui croiront en Jésus, accèderont à cette connaissance, cette intimité du Père. Alors ils entreront dans la vraie vie : « La vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Voilà, de la bouche de Jésus lui-même, une définition de la vie éternelle : Jésus parle au présent et il décrit la vie éternelle comme un état, l’état de ceux qui connaissent Dieu et le Christ. Nous vivons déjà de cette vie depuis notre Baptême.
Parlant de ses disciples, Jésus dit : « ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. » En cette heure-là, une partie (une partie seulement) de l’humanité a accueilli cette révélation et est entrée dans cette communion d’amour proposée par le Père et a accepté de prendre le chemin ouvert par le Fils. Curieusement, c’est seulement pour ces quelques-uns que Jésus prie : « Je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés… » Car Dieu attend la collaboration des hommes pour son œuvre  de salut, et c’est le mystère des choix de Dieu qui se répète : comme le Père avait choisi Abraham pour lui révéler son grand projet, il a choisi certains membres de la lignée d’Abraham pour parachever la révélation de son mystère : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi… » Pour ce petit peuple choisi, l’heure est venue de poursuivre l’oeuvre de révélation : « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. » Jésus nous passe le flambeau en quelque sorte : il nous a tout donné, à nous de donner aux autres maintenant.
Il faut laisser résonner en nous l’insistance de Jésus sur le mot « donner » : Le Père a donné autorité au Fils… le Fils donnera la vie éternelle aux hommes… le Père a donné les hommes au Fils… Le Père a donné ses paroles au Fils… et le Fils a donné ces paroles à ses frères… L’insistance de Jésus sur le mot « donner » rejoint toute la méditation biblique : notre relation avec Dieu ne se déroule pas sur le registre du calcul. Il nous suffit de nous laisser aimer et combler de sa grâce en permanence. Le mot « grâce » signifie un don gratuit. Cette logique du don, de la gratuité, c’est celle du Fils, celui qui vit éternellement dans un dialogue d’amour sans ombre avec son Père ; dans le prologue de son évangile, Jean dit que le Fils est éternellement « tourné vers le Père ». Et parce qu’il n’y a pas d’ombre entre eux, il reflète la gloire du Père « Qui l’a vu a vu le Père ». Entre eux tout est amour, dialogue, partage : « Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi ».
Le fameux texte du Prologue de l’évangile de Jean s’éclaire très nettement à la lecture de la prière de Jésus, il en est comme la transposition : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise… A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu… Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père… De sa plénitude, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce. » (Jn 1, 1.. 16).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 65

Dimanche 14 mai 2023 : 6ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 14 mai 2023 : 6ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 8, 5-8.14-17

En ces jours-là,
5 Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie,
et là il proclamait le Christ.
6 Les foules, d’un même cœur,
s’attachaient à ce que disait Philippe,
car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait,
ou même les voyaient.
7 Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs,
qui sortaient en poussant de grands cris.
Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris.
8 Et il y eut dans cette ville une grande joie.

14 Les Apôtres, restés à Jérusalem,
apprirent que la Samarie
avait accueilli la parole de Dieu.
Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean.
15 À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains
afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ;
16 en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux :
ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.
17 Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains,
et ils reçurent l’Esprit Saint.

APRES LA PENTECOTE, PREMIERS AFFRONTEMENTS ENTRE JUIFS A PROPOS DE JESUS-CHRIST
Je reprends la première phrase : « Philippe, l’un des Sept » ; il s’agit de ces Sept hommes qui ont été désignés pour organiser ce qu’on appelait le service des tables à Jérusalem. Concrètement, il s’agissait du problème d’assurer un partage équitable dans la distribution de ce qui ressemblait à une banque alimentaire en faveur des veuves.
Dimanche dernier, nous avons vu qu’un problème était né parmi les tout premiers chrétiens : je m’en explique. Dans un premier temps, après la Résurrection de Jésus, tous ceux qui ont suivi les apôtres et ont demandé le baptême étaient des Juifs, soit de naissance, soit convertis au judaïsme (ceux qu’on appelait les prosélytes). Mais il y avait entre eux déjà de grandes diversités.
Parmi ces Juifs, certains étaient originaires du pays même d’Israël et en particulier de Jérusalem et ils parlaient hébreu à la synagogue et araméen dans la rue. On les appelait « Hébreux ». Les autres étaient originaires de ce qu’on appelle la Diaspora, c’est-à-dire tout le reste de l’empire romain ; ils parlaient grec et on les appelait « Hellénistes ».
Pour la célébration du shabbat, le samedi matin, tous les Juifs, qu’ils soient devenus chrétiens ou non, se rendaient dans des synagogues où l’on parlait leur langue : les Hébreux d’un côté, les Hellénistes de l’autre. Mais pour la célébration chrétienne, ceux des Juifs qui étaient devenus chrétiens se regroupaient dans des maisons particulières, Hellénistes et Hébreux confondus.
C’est dans le cadre de ces célébrations chrétiennes qu’une première querelle a éclaté entre ces deux groupes de chrétiens, à propos des secours apportés aux veuves. Et, pour le résoudre, on a nommé sept hommes chargés du service des tables (on dirait peut-être aujourd’hui les questions matérielles). C’était notre texte de dimanche dernier.
Parmi ces sept hommes, Etienne et Philippe. Tous les deux sont donc des Juifs, devenus chrétiens depuis peu, Hellénistes, ardents, fervents et probablement reconnus comme des meneurs. Ils essaient de convertir à Jésus-Christ les Juifs qui fréquentent les synagogues où on parle grec ; c’est là que naît une deuxième querelle ; mais ce n’est plus une dispute entre chrétiens d’origines différentes ; c’est une querelle beaucoup plus grave, entre Juifs hellénistes (c’est-à-dire des Juifs de la Diaspora) : querelle qui oppose ceux qui croient en Jésus de Nazareth, Messie méconnu, crucifié, ressuscité… et ceux qui continuent à penser que Jésus n’était qu’un imposteur.
Et c’est là que commence la première persécution : les Juifs qui refusent de croire en Jésus-Christ attaquent leurs frères juifs devenus chrétiens. Etienne le paiera de sa vie. Il est dénoncé par des Juifs hellénistes aux autorités de Jérusalem. Il est arrêté, exécuté.
LES FRUITS INATTENDUS DE LA PREMIERE PERSECUTION
Ce martyre d’Etienne n’apaise pas la fureur de ses opposants ; au contraire, ils vont s’en prendre aux autres chrétiens du groupe d’Etienne ; cette toute première persécution ne vise pas les apôtres directs de Jésus, Pierre, Jean, Jacques et les autres qui font partie du groupe des Hébreux ; elle vise seulement les Hellénistes. Si bien que les apôtres de Jésus ne sont pas inquiétés et restent à Jérusalem, continuant à pratiquer leur religion juive tout en prêchant au nom de Jésus. En revanche, par prudence, le groupe des Hellénistes se disperse : ceux qui sont le plus en danger s’éloignent ; bien sûr, partout où ils iront, ils parleront du Messie, Jésus de Nazareth.
Et donc, grâce à la persécution, en quelque sorte, la Bonne Nouvelle déborde Jérusalem et atteint les autres villes de Judée et la Samarie. Plus tard, on se rappellera la dernière phrase de Jésus, le jour de l’Ascension : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). C’est exactement ce qui est en train de se passer : c’est paradoxalement cette épreuve, la persécution et la dispersion de la communauté qui permet à l’évangélisation de gagner du terrain.
C’est donc ainsi que Philippe est descendu en Samarie, mais au lieu de s’y cacher, il se met à prêcher ; où l’on voit d’ailleurs qu’il déborde très rapidement la mission qui lui avait été confiée : primitivement, Philippe a été choisi pour être l’un des Sept chargés du service des tables des veuves à Jérusalem ; pour que les apôtres, eux, les douze, puissent continuer d’assurer la prière et le service de la Parole. Et nous le retrouvons prédicateur en Samarie ; comme quoi, il faut savoir s’adapter : une mission peut prendre des visages très différents : ce sont les besoins de la communauté qui commandent.
En même temps, il reste en lien, visiblement, avec ceux qui lui ont confié sa mission puisque la communauté de Jérusalem lui envoie Pierre et Jean qui viendront en quelque sorte authentifier le travail accompli par Philippe ; il me semble qu’on a là un bon exemple d’un équilibre à maintenir : se sentir libres d’innover dans nos missions respectives et, en même temps, garder le lien avec l’institution… ne pas devenir des sortes d’électrons libres…
Ceci se passe en Samarie ; or, on sait à quel point les gens de Jérusalem méprisaient les Samaritains : ils les considéraient comme des hérétiques ; parce que, depuis des siècles, entre Judéens et Samaritains on entretenait soigneusement la brouille et le mépris de l’autre. Philippe, lui, ne s’embarrasse pas des vieilles querelles : lui, l’homme de la Diaspora, il est sans doute plus loin de ces disputes théologiques ; en tout cas, grâce à lui, l’évangile vient de déborder les frontières de la synagogue ; en retour, Luc insiste sur la joie des Samaritains d’accueillir la Bonne Nouvelle ; cela évidemment fait penser à nombre de passages d’évangile où ce sont les plus humbles, les exclus, qui ont le plus facilement accueilli le message de Jésus.
———————-
Complément
Donc Philippe se met à prêcher à son tour : Luc dit « il proclamait le Christ » ; formule ramassée qui signifie : il annonçait que Jésus de Nazareth est ressuscité, il est bien le Messie qu’on attendait. D’après tout le Nouveau Testament, Actes des Apôtres et Epîtres, on voit bien que le témoignage de la résurrection du Christ est le centre de toute prédication apostolique ; ce qui veut dire qu’une prédication n’est chrétienne que si elle est centrée sur la résurrection.

PSAUME – 65 (66)

1 Acclamez Dieu, toute la terre ;
2 fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
3 Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4 Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
5 Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6 Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
7 Il règne à jamais par sa puissance.

16 Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ;
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
20 Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

LA LONGUE AVENTURE DES CROYANTS
Nous n’avons lu ici qu’un choix très court parmi les vingt versets que compte ce psaume 65/66. Mais toute la longue aventure des croyants est évoquée ici, ramassée en trois étapes : première étape suggérée : au verset 6, nous avons entendu le rappel de l’Exode : la sortie d’Egypte avec Moïse : « Il changea la mer en terre ferme » puis l’entrée en terre promise sous la conduite de Josué, par le miracle de l’assèchement du Jourdain : « Ils passèrent le fleuve à pied sec. » Lorsqu’on lit attentivement les psaumes, on est surpris de l’abondance des échos de l’Exode qui est le socle de l’expérience croyante d’Israël et donc de son espérance.
Deuxième étape, l’époque où le psalmiste compose son chant : il invite ses contemporains à la prière, à la louange et au partage de l’expérience croyante : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme. »
Troisième étape, l’avenir : c’est la terre tout entière qui est invitée à entrer dans la louange de Dieu : « Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ».
Ce n’est pas la première fois que nous voyons la prière d’Israël s’élargir à la dimension de la terre entière, ce qui veut dire, bien sûr, l’humanité entière. Le peuple élu a peu à peu compris qu’il était en mission pour le monde et que cette mission ne serait achevée que quand tous les peuples seraient unis pour entrer dans la joie de Dieu. Rappelons-nous, en particulier, les prophéties d’Isaïe sur le rassemblement de tous les peuples à Jérusalem, par exemple « Ma maison s’appellera « Maison de prière pour tous les peuples » » (Is 56,7).
Et d’ailleurs, on entend ici comme une sorte d’anticipation de ce jour, comme si tous les peuples faisaient déjà partie du cortège des pèlerins qui montent à Jérusalem : « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom ». Ce n’est encore qu’une anticipation, malheureusement, mais appeler le futur de tous ses vœux , c’est le hâter, car ce futur ne se réalisera que si nous le désirons ardemment : alors nous prendrons les moyens de le réaliser.
Au passage, nous avons remarqué l’insistance sur le mot « redoutables » appliqué deux fois à Dieu dans ces quelques versets ! « Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! » Si on entend par là que nous devrions redouter Dieu, évidemment, c’est inacceptable et complètement incompatible avec la révélation biblique du « Dieu de tendresse et de fidélité » comme dit le livre de l’Exode.
Notons d’abord qu’en français, il nous arrive d’employer ce mot avec une nuance d’admiration : quand nous disons d’un sportif, par exemple, qu’il est « redoutable » ou bien d’un politicien « il est un débatteur redoutable », ce n’est pas la crainte qui parle, c’est l’émerveillement devant des capacités hors du commun.
JUSQU’AU JOUR BENI OU L’HUMANITE TOUT ENTIERE RECONNAITRA SON SEIGNEUR
En fait, dans le langage biblique, le mot « redoutable » faisait partie des compliments que l’on adressait au roi le jour de son sacre, pour lui promettre un règne glorieux, capable d’apporter la sécurité à ses sujets. Le roi n’est « redoutable » que pour ses ennemis. Appliquer ce mot à Dieu, c’est tout simplement une manière de lui dire « en définitive, notre seul roi, c’est toi ».
Ce psaume plonge donc à la fois dans le passé, le présent, le futur… Dans le passé, Dieu a libéré son peuple de la servitude en Egypte, comme ils disent ; aujourd’hui, il libère à chaque instant ceux qui le laissent agir ; dans l’avenir c’est toute l’humanité qui sera libérée définitivement par Dieu des chaînes de toutes sortes qui la tiennent actuellement ligotée dans ses haines, ses peurs, ses guerres. Ce psaume nous introduit donc à ce que représente pour le peuple juif la dimension historique de l’expérience croyante.
Et, comme toujours, c’est du peuple tout entier qu’il s’agit : dans l’univers biblique, la dimension collective prime sur l’expérience individuelle ; dès son plus jeune âge, l’enfant juif participe à la mémoire de son peuple : les prières quotidiennes, le shabbat, les fêtes religieuses, les pèlerinages évoquent toute une mémoire collective dans laquelle il entre par une sorte d’imprégnation lente. L’enfant entend d’innombrables fois les adultes chanter la gloire de Dieu, raconter ses « hauts faits », comme on dit… un jour, à son tour, tout naturellement, il reprendra le flambeau ; il entend la conviction avec laquelle ses aînés affirment « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour » ; devant lui, on répète inlassablement les exploits de Dieu qui a délivré les anciens de l’esclavage en Egypte : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ».
La journée des adultes, de la prière du matin à celle du soir, en passant par les repas et tous les actes de la vie quotidienne, est imprégnée de cette mémoire du Dieu qui libère de toute servitude. En entrant dans sa famille, elle-même très fortement intégrée à son peuple, l’enfant juif entre tout naturellement dans la « mémoire » de ce peuple.
Tout ceci, évidemment, suppose une véritable vie de famille, comme aussi un sens très fort de l’appartenance à un peuple. Voilà peut-être une des clés de nos problèmes de transmission de la foi : c’est cette mémoire collective, justement, qui manque à beaucoup de nos jeunes chrétiens ; car la mémoire d’un peuple n’est pas l’affaire de cours d’instruction religieuse, si excellents soient-ils ; elle est affaire de vie collective, de rites répétés, d’imprégnation lente et nous voyons bien là les dangers de l’individualisme. Nous savons du même coup ce qui nous reste à faire si nous voulons transmettre la foi à nos jeunes : premièrement, imprégner toute notre existence familiale quotidienne de cette mémoire croyante et deuxièmement, revivifier nos liens communautaires.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 3,15-18

Bien-aimés,
15 honorez dans vos cœurs
la sainteté du Seigneur, le Christ.
Soyez prêts à tout moment à présenter une défense
devant quiconque vous demande de rendre raison
de l’espérance qui est en vous ;
16 mais faites-le avec douceur et respect.
Ayez une conscience droite,
afin que vos adversaires soient pris de honte
sur le point même où ils disent du mal de vous
pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ.
17 Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien,
si c’était la volonté de Dieu,
plutôt qu’en faisant le mal.
18 Car le Christ, lui aussi,
a souffert pour les péchés,
une seule fois,
lui, le juste, pour les injustes,
afin de vous introduire devant Dieu ;
il a été mis à mort dans la chair ;
mais vivifié dans l’Esprit.

OSER TEMOIGNER
A lire entre les lignes de ce texte, on peut imaginer que les interlocuteurs de Pierre connaissaient beaucoup de vexations et de moqueries de la part des païens. Ils ne rencontraient pas une persécution déclarée, mais une hostilité latente ; il leur fallait s’expliquer chaque fois qu’ils refusaient certaines pratiques païennes, comme les sacrifices aux divinités par exemple.
Pierre leur dit ici : « Frères, c’est votre tour maintenant, de vous conduire comme le Christ s’est conduit ». Lui aussi a connu les accusations, les calomnies, les menaces, mais il n’a pas dévié ; à votre tour, vous devez être capables de résister à vos adversaires.
D’où leur viendra cette audace ? Oh, c’est bien simple : les Chrétiens n’ont qu’une source, qu’un argument, qu’un discours : le Christ est mort et ressuscité. Pierre ne dit pas autre chose : « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ… Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit. »
La chair, en langage biblique, cela veut dire « la faiblesse humaine », le fait d’être mortel ; ses ennemis ne pouvaient l’atteindre que là ; ils ne peuvent rien contre l’esprit d’amour qui est le principe même de la vie : parce qu’il était rempli de l’Esprit de Dieu, la mort ne pouvait le retenir en son pouvoir, comme dit Paul ; au contraire, l’Esprit lui a fait traverser la mort biologique et a fait surgir en lui la vie, parce que l’Esprit qui s’est manifesté sur lui au jour du baptême est l’Esprit de vie.
C’est ce même Esprit qui est entré en nous lors de notre Baptême : désormais, nous le savons, nous le croyons, parce que nous l’avons vu réalisé en Jésus-Christ, le mal, la haine sont vaincus, la vie est plus forte que la mort ; c’est cela l’espérance des chrétiens ; celle dont Pierre dit que nous devons pouvoir en rendre compte à tout moment ; le Christ avait bien dit à ses Apôtres : « Confiance, j’ai vaincu le monde ». Le témoignage que le monde attend de nous, c’est : le mal n’est pas une fatalité. Le monde attend de nous que nous ne baissions jamais les bras devant le mal, la haine, la violence.
Quand Pierre affirme « Le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois », l’expression « une seule fois » est un cri de victoire : le monde du mal et du péché est définitivement vaincu dans l’obéissance du Fils.
Pierre lie fortement les deux étapes du témoignage du chrétien : ce qui se passe dans le secret du cœur , dans la prière ; et le courage de parler ; l’un ne va pas sans l’autre. « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. » Voilà la première étape, ce qui se passe en nous, dans le secret de la prière. Et c’est dans la prière que nous puiserons l’audace nécessaire.
PUISER DANS LA PRIÈRE L’AUDACE NÉCESSAIRE
La deuxième étape, c’est d’oser dire notre espérance, être prêts à dire « ce qui nous fait courir », dirait-on aujourd’hui. « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ». Si je comprends bien, Pierre nous conseille de ne pas parler en premier ; pour lui, nous devons nous contenter de répondre aux questions de notre entourage. Il dit bien : « Soyez prêts à présenter une défense devant quiconque vous demande…».
Cela fait penser à une phrase dont je ne connais pas l’auteur, mais qui est très suggestive : « Ne parle que si on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge. »
Les interrogations ne germeront que si notre vie tout entière est un témoignage d’espérance : alors ceux qui nous voient vivre se demanderont immanquablement d’où nous vient notre espérance indestructible. Nous ne pouvons témoigner de Jésus-Christ que si nous avons d’abord vécu l’espérance. Ce qui veut dire que notre témoignage se fait d’abord en actes et non en paroles. Etre rendus capables de mener notre vie d’une manière renouvelée est certainement le témoignage le plus urgent.
C’est peut-être dans ce sens-là qu’on peut comprendre la phrase de Jésus : « Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5,16). Vous connaissez aussi la phrase de Paul VI qui est une variation sur le même thème : « Nos contemporains ont besoin de témoins et non de maîtres… et ils n’écoutent les maîtres que s’ils sont des témoins ».
Ce témoignage n’est pas fanfaronnade : « Faites-le avec douceur et respect », comme dit Pierre. Cette douceur et ce respect qui ne doivent pas nous quitter peuvent nous faire comprendre la phrase suivante : « Ayez une conscience droite afin que vos adversaires soient pris de honte ».
« Faire honte » : curieuse expression, comment la comprendre ? On ne peut évidemment pas penser que des chrétiens, vivant le commandement d’amour du Christ, n’aient d’autre but que de faire honte aux autres au sens où nous l’entendons habituellement ; ce dont il s’agit, c’est de donner un tel témoignage de foi, d’espérance et d’amour mutuel, que d’autres soient amenés à remettre en question leurs calomnies. Peut-être alors s’ouvriront-ils à la conversion.
Finalement, le programme que Pierre trace à ses disciples, c’est le programme même du Christ, c’est-à-dire le programme du Serviteur que décrivait le prophète Isaïe : le prophète disait : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton » (Is 42,2), Pierre en écho conseille « agissez avec douceur et respect » ; mais en même temps, quoi qu’il arrive, ce Serviteur décrit par Isaïe ne se laisse pas décourager : à son tour Pierre insiste : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. »

EVANGILE – selon Saint Jean 14,15-21

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15 « Si vous m’aimez,
vous garderez mes commandements.
16 Moi, je prierai le Père,
et il vous donnera un autre Défenseur
qui sera pour toujours avec vous :
17 l’Esprit de vérité,
lui que le monde ne peut recevoir,
car il ne le voit pas et ne le connaît pas ;
vous, vous le connaissez,
car il demeure auprès de vous,
et il sera en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins,
je reviens vers vous.
19 D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus,
mais vous, vous me verrez vivant,
et vous vivrez aussi.
20 En ce jour-là, vous reconnaîtrez
que je suis en mon Père,
que vous êtes en moi,
et moi en vous.
21 Celui qui reçoit mes commandements et les garde,
c’est celui-là qui m’aime ;
et celui qui m’aime
sera aimé de mon Père ;
moi aussi, je l’aimerai,
et je me manifesterai à lui. »

RIEN NE POURRA NOUS SEPARER DE L’AMOUR DU CHRIST
Nous sommes au soir du Jeudi-Saint après le lavement des pieds. Jésus s’entretient longuement avec ses disciples pour la dernière fois. Il parle de son Père et de la relation qui l’unit, lui, le fils, à son Père ; il parle de ce lien qui les unit désormais, eux les apôtres, à son Père et à lui. Un lien que rien ni personne ne pourra détruire : « Je suis en mon Père, vous êtes en moi et moi en vous…. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père. » Toutes ces phrases, ils auront bien besoin de s’en souvenir, de s’y accrocher, si j’ose dire, dans les heures qui viennent !
Et puis, au moment où il s’apprête à les quitter, il leur annonce la venue de l’Esprit. En bons Juifs qu’ils étaient, les apôtres connaissaient la prophétie d’Ezéchiel : « Je vous donnerai un cœur  nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre chair le coeur de pierre, je vous donnerai un cœur  de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. » (Ez 36,26). Et cette autre prophétie du même Ezéchiel : « Je ne leur cacherai plus mon visage parce que j’aurai répandu mon esprit sur la maison d’Israël – oracle du SEIGNEUR Dieu. » (Ez 39,29). Avec Joël, la promesse du don de l’Esprit s’était faite universelle, et non plus réservée aux prophètes, aux rois, ni même au peuple élu : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair. » (Jl 3,1).
Alors dire à ses apôtres « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous », c’est leur annoncer que le grand jour de l’Alliance définitive est arrivé.
Même ce simple mot « demeure » (dans la phrase « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous ») évoquait pour les apôtres toute la longue attente de leur peuple : l’aspiration de tous les croyants de l’Ancien Testament, c’était la présence de Dieu au milieu de son peuple ; il y avait eu la Tente de la Rencontre pendant l’Exode… et puis, il y avait eu le Temple de Jérusalem, mais on attendait l’Alliance Nouvelle où Dieu demeurerait, non pas dans des bâtiments, mais dans le cœur  de son peuple, où il serait intimement présent à chaque cœur  croyant ; et Dieu l’avait promis : par la bouche d’Ezéchiel par exemple : « Ma demeure sera chez eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Ez 37,27), ou encore Zacharie : « Chante et réjouis-toi, fille de Sion ; voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi » (Za 2,14).
Les apôtres étaient pétris de cette espérance : ils savaient que l’Alliance définitive promise par l’Ancien Testament était destinée à l’humanité tout entière ; et tout au long de sa vie publique, Jésus avait bien dit sa soif que le monde entier soit sauvé.
L’ESPRIT CONTINUE SON ŒUVRE DANS LE MONDE ET ACHEVE TOUTE SANCTIFICATION
Mais alors pourquoi dit-il que le monde est incapable de recevoir l’Esprit de vérité ? Et il dit cela précisément en ce moment décisif du salut ! Est-ce une restriction ? Certainement pas ! Jésus ne peut pas se contredire. Il n’y a pas là un jugement de valeur, mais un constat ; Jésus précise : « Le monde ne peut pas le recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas » ; et il continue « vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il sera en vous ». Ce qui est un envoi en mission. Manière de leur dire : « Le monde ne connaît pas l’Esprit de vérité… A vous de le lui faire connaître ; à vous de faire découvrir au monde la présence active de l’Esprit en toute chair. »
Le mot « monde » n’est certainement pas péjoratif… Jésus n’est jamais péjoratif ; (être péjoratif ou défaitiste n’est pas chrétien) ; le salut du monde est le grand désir de Dieu : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17). En fait il faudrait remplacer le mot « monde » par « esprit du monde » opposé à « esprit d’amour ».
Jésus veut fortifier ses disciples : les aider à croire que la contagion de l’amour gagnera peu à peu ; et qu’il leur est possible de transformer l’esprit du monde en esprit d’amour. En quelque sorte, la mission qu’il leur donne, c’est une évangélisation par contamination, de proche en proche ; mission impossible ? Non ; puisque Jésus leur dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ». Phrase ambiguë : de qui l’Esprit de Dieu doit-il nous défendre ? L’horrible méprise serait de croire qu’il puisse avoir à nous défendre devant Dieu ; comme si Dieu pouvait vouloir nous condamner.
En grec, ce mot désigne celui qui est appelé auprès d’un accusé pour l’assister ; c’est le conseiller, l’avocat, le défenseur. André Chouraqui traduit le « réconfort ». De quel procès parle-t-on ? De celui que le monde fait aux disciples du Christ, et à travers eux, au Père lui-même et au Christ, c’est-à-dire en fin de compte à la vérité. D’où l’insistance de Jésus sur ce mot de vérité chaque fois qu’il prévient ses disciples des persécutions qui les attendent : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15,26-27).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEL AN, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 32

Dimanche 7 mai 2023 : 5ème dimanche de Pâques : lectures et commentaire

Dimanche 7 mai 2023 : 5ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 6,1-7

1 En ces jours-là,
comme le nombre des disciples augmentait,
les frères de langue grecque
récriminèrent contre ceux de langue hébraïque,
parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées
dans le service quotidien.
2     Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples
et leur dirent :
« Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu
pour servir aux tables.
3     Cherchez plutôt, frères,
sept d’entre vous,
des hommes qui soient estimés de tous,
remplis d’Esprit Saint et de sagesse,
et nous les établirons dans cette charge.
4     En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière
et au service de la Parole. »
5     Ces propos plurent à tout le monde,
et l’on choisit :
Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint,
Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas
et Nicolas, un converti
au judaïsme, originaire d’Antioche.
6     On les présenta aux Apôtres,
et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains.
7     La parole de Dieu était féconde,
le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem,
et une grande foule de prêtres juifs
parvenaient à l’obéissance de la foi.

CRISE DE CROISSANCE DE LA PREMIERE COMMUNAUTE
« En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque ». Si je comprends bien, le problème de la nouvelle communauté chrétienne vient paradoxalement de son succès : « Le nombre des disciples augmentait » et il augmentait si bien que l’unité devenait difficile ; tous les groupes en expansion sont affrontés à cette question : comment rester unis quand on devient nombreux ?… Nombreux donc différents.
Au fond, si on y réfléchit, cette difficulté était déjà en germe le matin de la Pentecôte. Vous connaissez le récit de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres : « A Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. » Dès ce matin-là, il y eut des conversions, trois mille, paraît-il, et d’autres dans les mois et les années qui suivirent ; ces nouveaux convertis sont tous des Juifs, (la question de l’admission de non-Juifs ne s’est posée que plus tard) mais, très probablement, un certain nombre d’entre eux sont justement des Juifs venus d’un peu partout à Jérusalem en pèlerinage ; ils sont ce qu’on appelle les Juifs de la Diaspora (c’est-à-dire dispersés dans tout l’Empire Romain) ; leur langue maternelle n’est pas l’hébreu ni l’araméen, mais le grec, car, à l’époque, c’était la langue commune dans tout le bassin méditerranéen.

Si bien que la jeune communauté toute neuve va être affrontée à ce que j’appellerais « le défi des langues ». Nous savons d’expérience que cette barrière de la langue est beaucoup plus qu’une difficulté de traduction : langue maternelle différente veut dire aussi culture, coutumes, compréhension de l’existence, manières différentes d’envisager et de résoudre les problèmes. En tête d’un Nouveau Testament en grec, j’ai trouvé cette formule : « Une langue est un filet jeté sur la réalité des choses. Une autre langue est un autre filet. Il est rare que les mailles coïncident ».
Pour revenir à la jeune communauté de Jérusalem, il y a donc un problème de cohabitation entre les frères  de langue grecque et  ceux de langue hébraïque ; très concrètement, la goutte d’eau qui va faire déborder le vase c’est l’inégalité flagrante dans les secours portés quotidiennement aux veuves ; on n’est pas étonné que la communauté ait eu à cœur  de prendre en charge les veuves, c’était une règle du monde juif ; mais il faut croire que ceux qui en étaient chargés (logiquement recrutés dans le groupe majoritaire donc hébreu) avaient tendance à favoriser les veuves de leur groupe.
SAVOIR INNOVER DANS LA FIDELITE A L’OBJECTIF
Ce genre de querelles ne peut que s’envenimer de jour en jour, jusqu’au moment où le bruit revient aux oreilles des apôtres. Leur réaction tient en trois points :
Premier point : ils convoquent toute l’assemblée des disciples : et c’est en assemblée plénière que la décision sera prise ; il y a donc là, semble-t-il, un fonctionnement traditionnel de l’Eglise… on peut se demander pourquoi cette habitude s’est perdue ?
Deuxième point : ils rappellent l’objectif : il s’agit de rester fidèles à trois exigences de la vie apostolique : la prière, le service de la parole et le service des frères.
Troisième point : ils n’hésitent pas à proposer une organisation nouvelle ; innover n’est pas un manque de fidélité ; au contraire : la fidélité exige de savoir s’adapter à des conditions nouvelles ; être fidèle, ce n’est pas rester figé sur le passé  (ici, par exemple, ce serait confier la totalité des tâches aux Douze puisque ce sont eux que Jésus a choisis…) ; être fidèle c’est garder les yeux fixés sur l’objectif.
L’objectif, comme dit Saint Jean, c’est « Qu’ils soient UN pour que le monde croie » ; c’est certainement pour cela que les apôtres n’ont pas envisagé de couper la communauté en deux, les frères de langue grecque d’un côté, ceux de langue hébraïque de l’autre ; l’acceptation des diversités est un défi pour toute communauté qui grandit ; (et je connais telle ou telle équipe qui préfère ne pas s’agrandir pour ne pas risquer les désaccords …). Mais quand les différends surgissent, la séparation n’est certainement pas la meilleure solution. C’est l’Esprit-Saint qui a suscité ces conversions nombreuses et diverses ; c’est lui aussi qui inspire aux Apôtres l’idée de s’organiser autrement pour en assumer les conséquences.
Les Douze décident donc de nommer des hommes capables d’assumer ce service des tables puisque c’est cela qui pose problème. « Cherchez, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole ». On notera que les sept hommes désignés portent des noms grecs ; ils font peut-être partie du groupe des chrétiens de langue grecque puisque c’est dans ce groupe qu’il y avait des récriminations.
Voilà donc une nouvelle institution qui est née ; ces nouveaux serviteurs de la communauté n’ont pas encore de titre ; je remarque que le mot « diacre » n’est pas employé dans le texte ; n’assimilons donc pas trop vite nos diacres d’aujourd’hui à ces hommes chargés du service des tables à  Jérusalem. Retenons seulement que l’Esprit saura nous inspirer à chaque époque les innovations qui seront indispensables pour assurer fidèlement les diverses missions et priorités de l’Eglise.

PSAUME – 32 ( 33 )

1 Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
2 Rendez grâce au SEIGNEUR sur la cithare,
Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.

4 Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR,
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
5 Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

18 Dieu veille sur ceux qui le craignent
qui mettent leur espoir en son amour,
19 pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

LE SEIGNEUR VEILLE SUR CEUX QUI METTENT LEUR ESPOIR EN SON AMOUR
J’ai envie de commencer par là où nous avons terminé la lecture de ce psaume, parce qu’il me semble que nous avons là une clé de l’ensemble. Je vous rappelle l’avant-dernier verset (le verset 18 pour ceux qui ont le psautier entre les mains) : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». Nous découvrons ici une belle définition de ce que l’on appelle « la crainte de Dieu ». Craindre le Seigneur, c’est tout simplement mettre notre espoir en son amour. Le croyant au sens biblique, c’est quelqu’un qui est plein d’espoir ; et s’il est plein d’espoir, quoi qu’il puisse arriver, c’est parce qu’il sait que « la terre est remplie de l’amour de Dieu » comme dit un autre verset que nous venons d’entendre.
En hébreu, la formule est plus belle encore : ce n’est pas « Dieu veille » sur ceux qui le craignent, mais « L’oeil du SEIGNEUR est sur ceux qui le craignent ». Savoir que le regard plein d’amour du Seigneur est en permanence penché sur nous est la source de notre espérance. Encore faut-il préciser que, dans le texte hébreu, toujours, ce nom de SEIGNEUR est celui qu’il a révélé à Moïse dans l’épisode du buisson ardent : ce fameux mot de quatre lettres YHVH que, par respect, les Juifs ne prononcent jamais, et qui signifie quelque chose comme « Je suis, je serai avec vous, depuis toujours et pour toujours, à chaque instant de votre histoire. » Ce simple nom rappelle toujours à Israël la sollicitude avec laquelle Dieu a entouré son peuple tout au long de l’Exode. La traduction « Dieu veille » dit bien cette vigilance.
C’est ce qui nous permet de comprendre le verset suivant : « pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine ». Ce sont également des allusions à la sortie d’Egypte : en permettant à son peuple de traverser la mer à pied sec, à la suite de Moïse, le Seigneur l’a fait échapper à la mort certaine programmée par Pharaon ; puis, en lui envoyant du ciel la manne chaque jour, pendant toute la traversée du désert, le Seigneur a réellement gardé son peuple en vie aux jours de famine.
Alors la louange jaillit spontanément du cœur  de ceux qui ont fait cette expérience de la sollicitude de Dieu : « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! » Cette expression « hommes justes » peut nous surprendre ; elle est très habituelle pourtant dans la Bible. On sait que est considéré comme « juste » dans la Bible celui qui entre dans le projet de Dieu, celui qui est accordé à Dieu, au sens où un instrument de musique est bien accordé.
C’est ce que l’on dit d’Abraham, par exemple : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste » (Gn 15,6). Il eut foi, c’est-à-dire il fit confiance à Dieu et à son projet. Si bien qu’on pourrait traduire « hommes justes » (en hébreu les « hassidim ») par « les hommes de l’Alliance », ou « les hommes du dessein bienveillant de Dieu » c’est-à-dire ceux qui ont entendu la révélation de la bienveillance de Dieu et y répondent en adhérant à l’Alliance.
CRIEZ DE JOIE POUR LE SEIGNEUR, HOMMES JUSTES !
Donc, ne prenons pas pour de la prétention ces titres « hommes justes »… « hommes droits »  : il ne s’agit pas de qualités morales ; le « hassid » (pluriel hassidim) est un homme comme les autres, pécheur comme les autres, mais il est celui qui vit dans l’Alliance du Seigneur, qui vit dans la confiance envers le Dieu fidèle ; parce qu’il a découvert le « Dieu de tendresse et de fidélité », très logiquement, il vit dans la louange : « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes. » Et le psaume continue : « Chantez-lui le cantique nouveau. »
Cet appel à la louange qui résonne ici était le chant d’entrée d’une liturgie d’action de grâce. Au passage, nous relevons une indication sur la mise en oeuvre des psaumes et sur l’un au moins des instruments de musique utilisés au Temple de Jérusalem. Ce psaume était probablement prévu pour être accompagné à la harpe à dix cordes.
Je reprends : « Chantez-lui le cantique nouveau ». Le mot « nouveau » dans la Bible ne veut pas dire du « jamais vu » ou « jamais entendu » ; le chant est « nouveau » au sens où les mots d’amour, même les plus habituels sont toujours nouveaux. Quand les amoureux disent « je t’aime », ils ne craignent pas de répéter les mêmes mots et pourtant, la merveille, c’est que ce chant-là est toujours nouveau.
Je continue : « Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR ; il est fidèle en tout ce qu’il fait ». Contrairement aux apparences, il n’y a pas là deux affirmations distinctes, l’une concernant la parole de Dieu, l’autre portant sur ses actes, ce qu’il fait ; car la Parole de Dieu est acte ; « Il dit et cela fut » répète le récit de la création au chapitre 1 de la Genèse. Ou encore, rappelez-vous Isaïe au chapitre 55 : « Ma parole qui sort de ma bouche ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. » (Is 55,11).
Et ce n’est pas un hasard si ce psaume comporte exactement vingt-deux versets, (qui correspondent aux vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu) : c’est en hommage à la Parole de Dieu, comme pour dire, elle est le tout de notre vie, de A à Z. Et ce n’est pas un compliment en l’air, si j’ose dire : c’est l’expérience d’Israël qui parle : depuis la première parole de Dieu à son peuple, celui-ci a expérimenté à la fois la parole qui est promesse de libération et dans le même temps l’oeuvre libératrice de Dieu : à chaque époque de l’histoire de son peuple, la parole de Dieu l’appelle à la liberté, et c’est la force de Dieu qui agit le bras de l’homme pour conquérir sa liberté ; liberté par rapport à toute idolâtrie, liberté par rapport à tout esclavage de toute sorte.
« Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour ». C’est la vocation de la création tout entière qui est dite là : Dieu est amour et la terre entière a vocation à être le lieu de l’amour, du droit et de la justice. Rappelez-vous le prophète Michée : «
Homme, on t’a fait connaître, ô ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. »  (Mi 6,8).

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 2, 4-9

Bien-aimés,
4 approchez-vous du Seigneur Jésus :
il est la pierre vivante
rejetée par les hommes,
mais choisie et précieuse devant Dieu.
5     Vous aussi, comme pierres vivantes,
entrez dans la construction de la demeure spirituelle,
pour devenir le sacerdoce saint
et présenter des sacrifices spirituels,
agréables à Dieu, par Jésus Christ.
6     En effet, il y a ceci dans l’Écriture :
Je vais poser en Sion une pierre angulaire,
une pierre choisie, précieuse ;
celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte.
7     Ainsi donc, honneur à vous les croyants,
mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle,
une pierre d’achoppement,
8 un rocher sur lequel on trébuche.
Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole,
et c’est bien ce qui devait leur arriver.
9     Mais vous, vous êtes une descendance choisie,
un sacerdoce royal,
une nation sainte,
un peuple destiné au salut,
pour que vous annonciez les merveilles
de celui qui vous a appelés des ténèbres
à son admirable lumière.

L’HISTOIRE HUMAINE, UN GIGANTESQUE CHANTIER DE CONSTRUCTION
C’est le même verbe en hébreu qui signifie « construire une maison » et aussi « fonder sa famille », ou « fonder une société ». Et donc, dès l’Ancien Testament, les prophètes employaient volontiers le vocabulaire du bâtiment pour parler de la société humaine. Isaïe, par exemple, avait inventé une parabole sur ce thème et il comparait le royaume de Jérusalem à un chantier mal dirigé. Sur ce chantier, il y avait un bloc de pierre admirable qui aurait dû devenir la pierre angulaire du monument. Mais les architectes méprisaient ce bloc de pierre, et préféraient utiliser des pierres de mauvaise qualité. C’était une manière pour Isaïe d’accuser les autorités d’abandonner les vraies valeurs et de fonder la société sur de fausses valeurs.
Plus tard, avec le temps, on avait pris l’habitude d’appliquer ce terme de pierre angulaire au Messie : lui saurait reprendre et restaurer le chantier de Dieu. Pierre, à son tour, développe cette comparaison pour parler du Christ. Jésus, le Messie, est bien la pierre la plus précieuse que Dieu a mise au centre de l’édifice ; et à tous les hommes, il est proposé de devenir des pierres du monument ; ceux qui acceptent de faire corps avec lui sont intégrés à la construction, ils deviennent eux-mêmes des éléments  porteurs.
Mais, bien sûr, c’est un choix à faire et les hommes peuvent tout aussi bien faire le choix inverse, c’est-à-dire refuser le projet et même le saboter. Tout se passe alors pour eux comme si la pierre maîtresse n’était pas au cœur  de l’édifice ; elle est restée par terre, bloc admirable, mais encombrant sur le chantier : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. »
Notre Baptême a été l’heure du choix, si j’ose dire ; désormais, nous sommes intégrés à la construction de ce que Pierre appelle la demeure spirituelle (verset 5) : par opposition au Temple de pierre de Jérusalem où l’on célébrait des sacrifices d’animaux. On sait bien que depuis le début de l’histoire, l’humanité cherche à rejoindre Dieu en lui rendant le culte qu’elle croit digne de lui ; au fur et à mesure de son  expérience historique, le peuple élu a découvert le vrai visage de Dieu et a appris à vivre dans son Alliance. Et peu à peu, à la lumière de l’enseignement des prophètes on a découvert que le vrai temple de Dieu est l’humanité et que le seul culte digne de lui est l’amour et le service des frères et non plus des sacrifices d’animaux.
BAPTISES, NOUS SOMMES LES PIERRES VIVANTES DE LA CONSTRUCTION
Mais voilà qui nous engage terriblement : le Temple de Jérusalem était le signe de la présence de Dieu dans son peuple… désormais le signe visible aux yeux du monde de la présence de Dieu, c’est nous, l’Eglise du Christ. La phrase de Pierre résonne donc à nos oreilles comme une vocation : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle. »
Encore une précision : il s’agit bien d’un choix, qui met en oeuvre notre liberté, il ne s’agit pas de prédestination. Pierre distingue entre ceux qui donnent leur foi au Christ et ceux qui refusent de croire. « Donner sa foi », « refuser de croire » sont  deux actes libres. Pierre ajoute : « Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver » ; cette dernière phrase dit seulement la conséquence de leur choix libre mais pas une prédestination par décision arbitraire de Dieu : le Dieu libérateur ne peut que respecter notre liberté.
Lors de la Présentation de Jésus au temple, Syméon l’avait annoncé à Joseph et Marie : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël » (Luc 2,34). Syméon ne dit pas là une nécessité exigée par Dieu, mais les conséquences de la venue de Jésus. Effectivement, sa présence a été pour certains l’occasion de leur conversion complète, tandis que d’autres se sont endurcis.
Pierre conclut : « Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal ». Au jour de notre baptême, nous avons été greffés sur le Christ : le rituel du Baptême dit : « Vous êtes devenus membres du Christ, prêtre, prophète et roi ». Cela ne veut pas dire que chacun de nous est désormais prêtre, prophète et roi. Le Christ est le seul prêtre, prophète et roi, et nous, nous sommes greffés sur lui, nous sommes membres de son Corps. Par le Baptême, nous avons été agrégés à ce peuple saint, « naturalisés » si vous préférez. Nous avons acquis ce jour-là une nouvelle nationalité, celle du peuple de Dieu ; notre hymne national, désormais, c’est l’Alleluia ! Pierre termine en nous disant notre vocation : « Annoncer les merveilles de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ».

EVANGILE – selon Saint Jean 14, 1-12

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
1     « Que votre cœur ne soit pas bouleversé :
vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2     Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures ;
sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ?
3     Quand je serai parti vous préparer une place,
je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.
4     Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
5     Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
6    Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
personne ne va vers le Père sans passer par moi.
7     Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
8     Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
9     Jésus lui répond :
« Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe !
Celui qui m’a vu a vu le Père.
Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ?
10     Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père
et que le Père est en moi !
Les paroles que je vous dis,
je ne les dis pas de moi-même ;
le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres.
11     Croyez-moi :
je suis dans le Père, et le Père est en moi ;
si vous ne me croyez pas,
croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
12     Amen, amen, je vous le dis :
celui qui croit en moi
fera les œuvres que je fais.
Il en fera même de plus grandes,
parce que je pars vers le Père »

MOI, JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE
Si Jésus commence par dire « Ne soyez donc pas bouleversés »… c’est que les disciples ne cachaient pas leur angoisse et on les comprend ; ils se savaient cernés par l’hostilité générale, ils savaient que le compte à rebours était commencé.
Cette angoisse se doublait, pour certains d’entre eux au moins, d’une horrible déception : « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël (sous-entendu des Romains) » diront les disciples d’Emmaüs quelques jours plus tard (Lc 24,21) ; les apôtres partageaient cette espérance politique ; or leur chef va être condamné, exécuté… finies les illusions.
Et donc, Jésus s’emploie à déplacer leur espérance : il ne va pas combler l’attente que ses miracles ont fait naître ; il ne va pas prendre la tête du soulèvement national contre l’occupant ; au contraire il n’a cessé de prêcher la non-violence. Mais la libération qu’il apporte se situe sur un autre plan. S’il ne comble pas l’attente terrestre de son peuple, il est pourtant celui qu’on attendait.
Il commence par faire appel à leur foi, à cette attitude fondamentale du peuple juif que nous lisons dans tous les psaumes par exemple. L’espérance ne peut s’appuyer que sur la foi et Jésus revient plusieurs fois sur le mot « croire »  « Ne soyez donc pas bouleversés (puisque) vous croyez en Dieu… »
Seulement, une chose est de croire en Dieu, et cela c’est acquis, une autre est de croire en Jésus, au moment précisément où il semble avoir définitivement perdu la partie. Pour accorder à Jésus la même foi qu’à Dieu, il faut, pour ses contemporains, faire un saut formidable. Et donc il faut qu’il leur fasse percevoir l’unité profonde entre le Père et lui ; et c’est la deuxième ligne de force de ce texte :
« Je suis dans le Père et le Père est en moi » (et, cette phrase-là, il la dit deux fois)… « Celui qui m’a vu a vu le Père »… Cette dernière phrase résonne tout particulièrement lorsqu’on sait ce qui est arrivé quelques heures plus tard : cela veut dire que la révélation du Père culmine sur la croix ; et que fait Jésus mourant sur la croix ? Il continue à aimer les hommes, tous les hommes, puisqu’il pardonne même à ses bourreaux.
Il faudrait avoir le temps de s’attarder sur chaque phrase de ce dernier entretien de Jésus avec ses disciples, sur chacun des mots lourds de toute l’expérience biblique : « connaître », « voir », « demeurer », « Aller vers »… la Parole qui est en même temps oeuvre… l’expression « Je suis » qui pour des oreilles juives ne peut pas ne pas évoquer Dieu lui-même. Oser dire « Je suis la vérité et la vie » c’est s’identifier à Dieu lui-même. Et en même temps ces deux personnes sont bien distinctes, puisque Jésus dit « Je suis le chemin » (sous-entendu vers le Père).
MOI, JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE
« Personne ne va vers le Père sans passer par moi » : autre manière de dire « Je suis le chemin » ou « Je suis la porte » comme dans le discours du Bon Pasteur ; ce n’est certainement pas une mise en garde ou une sorte d’obligation qui est dite là : il me semble que c’est beaucoup plus profond que cela : il s’agit du mystère de notre solidarité en Jésus-Christ ; c’est vraiment un mystère, nous avons bien du mal à nous en faire une idée… et pourtant c’est l’essentiel du projet de Dieu ; le « Christ total », comme dit saint Augustin, c’est l’humanité tout entière.
Cette solidarité en Jésus-Christ est dite à toutes les pages du Nouveau Testament ; Paul, par exemple, la dit quand il parle du Nouvel Adam et aussi quand il dit que le Christ est la tête du Corps dont nous sommes les membres. « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8,22) : l’enfantement dont il parle, c’est celui du Corps du Christ justement. Jésus lui-même a très souvent employé l’expression « Fils de l’Homme » pour annoncer la victoire définitive de l’humanité tout entière rassemblée comme un seul homme.
Si je prends au sérieux cette phrase « Personne ne va vers le Père sans passer par moi » et que j’y entends la solidarité de toute l’humanité en Jésus-Christ, alors il faut dire aussi la réciproque : « Le Christ ne va pas vers le Père sans nous ». C’est le sens des phrases du début : « Là où je suis, vous y serez vous aussi » … « Quand je serai  allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi ». Paul le dit encore autrement : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »  (Rm 8,39).
Jésus termine par une promesse solennelle : « Celui qui croit en moi fera les mêmes œuvres  que je fais » ; après tout ce qu’il vient de dire sur lui, le mot « œuvres  » ne veut sûrement pas dire seulement miracles ; dans tout l’Ancien Testament, le mot « œuvre  » en parlant de Dieu est toujours un  rappel de la grande œuvre  de Dieu pour libérer son peuple. Ce qui veut dire que désormais les disciples sont associés à l’oeuvre entreprise par Dieu pour libérer l’humanité de tout esclavage physique ou moral. Cette promesse du Christ devrait nous convaincre tous les jours que cette libération est possible.

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 22

Dimanche 30 avril 2023 : 4ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 30 avril 2023 : 4ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2,14a.36-41

Le jour de la Pentecôte,
14 Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
éleva la voix et fit cette déclaration :
36 « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude :
Dieu l’a fait Seigneur et Christ,
ce Jésus que vous aviez crucifié. »
37 Les auditeurs furent touchés au cœur ;
ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres :
« Frères, que devons-nous faire ? »
38 Pierre leur répondit :
« Convertissez-vous,
et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ
pour le pardon de ses péchés ;
vous recevrez alors le don du Saint-Esprit.
39 Car la promesse est pour vous,
pour vos enfants
et pour tous ceux qui sont loin,
aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. »
40 Par bien d’autres paroles encore,
Pierre les adjurait et les exhortait en disant :
« Détournez-vous de cette génération tortueuse,
et vous serez sauvés. »
41 Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre
furent baptisés.
Ce jour-là, environ trois mille personnes
se joignirent à eux.

LA PENTECOTE, FETE DE L’ACCOMPLISSEMENT DU PROJET DE DIEU
Nous continuons la lecture du discours de Pierre à Jérusalem au matin de la Pentecôte ; parce qu’il est désormais rempli de l’Esprit-Saint, il lit « à livre ouvert », si j’ose dire, dans le projet de Dieu : tout lui paraît clair ; il se souvient du prophète Joël qui avait annoncé « Je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3,1) et pour lui, c’est l’évidence, nous sommes au matin de l’accomplissement de cette promesse : c’est par Jésus, rejeté, supprimé par les hommes, mais ressuscité, exalté par Dieu que l’Esprit est répandu sur toute chair.
Ces gens qui sont en face de lui, ce sont des pèlerins juifs venus de tous les coins de l’Empire Romain : ils sont partis de chez eux, parfois de très loin, du fin fond de la Mésopotamie, ou de la Turquie, ou d’Egypte et de Lybie, par obéissance à la Loi de Moïse ; et ils ne sont pas venus faire du tourisme ; ils sont venus en pèlerinage pour célébrer la fête de la Pentecôte, la fête du don de la Loi ; pendant tout le trajet, et encore une fois arrivés au Temple de Jérusalem, ils ont chanté les psaumes et prié Dieu de faire venir son Messie.
La tâche de Pierre, ce matin-là, c’est donc de leur ouvrir les yeux : oui, le Messie dont vous n’avez pas cessé de parler ces jours-ci, c’est bien lui, qui a été exécuté ici même à Jérusalem, il y a quelques semaines. « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »
Pour  des auditeurs juifs, ces titres de  « Seigneur » et « Christ » décernés à Jésus sont très osés : le mot « Christ » est la traduction en grec du mot hébreu « Messie » ; quant au mot « Seigneur », il était appliqué tantôt à Dieu tantôt au Messie ; dans le psaume 109/110, par exemple, vous connaissez la phrase « Le SEIGNEUR a dit à mon Seigneur »… qui voulait dire « Le SEIGNEUR Dieu a dit à mon Seigneur, le roi (sous-entendu le Messie) ». Pierre ne l’emploie certainement pas encore au sens de « Jésus est Dieu », c’était par trop impensable pour des Juifs, lui compris.
LE MESSIE EST PARMI NOUS
Mais il veut bien dire par là, ce qui est déjà considérable, que l’homme de Nazareth est le Messie attendu : c’est donc faire reposer sur Jésus toute l’espérance d’Israël ; or si, de très bonne foi, des quantités de contemporains de Jésus ont pu vouloir la mort de Jésus, c’est que son caractère de Messie n’était pas du tout évident.
Les auditeurs de Pierre furent « touchés au cœur  », nous dit Luc ; là on aborde le mystère de la conversion : ils étaient venus à Jérusalem en pèlerinage, donc le cœur  ouvert, certainement. Et Pierre a su toucher leurs cœurs .
Ils posent la même question très humble qu’on posait à Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain  : « Que devons-nous faire ? » (verset 37) ; et la réponse est la même également, tout aussi simple : « Convertissez-vous » (verset 38)… et un peu plus tard, Pierre reprend une formule analogue : « Détournez-vous de cette génération tortueuse » ; se convertir, dans le langage biblique, c’est précisément se retourner, faire demi-tour ; l’image qui est derrière ces expressions, c’est celle de deux routes (on disait deux voies) : on peut se tromper de chemin ; « génération tortueuse » veut dire « qui n’est plus sur la route droite ». Dans cette expression  « génération tortueuse », il ne faut certainement pas lire du mépris : Pierre fait une simple constatation. La génération contemporaine du Christ et des apôtres a été affrontée à un véritable défi : reconnaître en Jésus le Messie qu’on attendait malgré toutes les apparences contraires ; et elle a commis une erreur de jugement, elle s’est trompée de chemin. Et cette constatation de Pierre est un appel pour ses auditeurs, un appel à se convertir, à faire demi-tour.
Concrètement, se convertir, c’est demander le Baptême « au nom du Christ » ; et nous avons là  une petite catéchèse du Baptême tel que les apôtres en parlaient dès le début de l’Eglise. « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés. Vous recevrez alors le don du Saint-Esprit ».
EN ATTENDANT LE JOUR OU L’HUMANITE TOUT ENTIERE ACCUEILLERA L’ESPRIT
Car, dit-il, « la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Ici, il rapproche, pour des auditeurs juifs, donc familiers des Ecritures, deux textes de l’Ancien Testament ; d’abord l’annonce du prophète Joël citée plus haut (« Je répandrai mon Esprit sur toute chair ») ; et puis une phrase d’Isaïe qui était bien connue  : « La paix à celui qui est loin (sous-entendu les païens), et à celui qui est proche (le peuple élu) » (Isaïe 57,19). Le peuple d’Israël se sentait proche de Dieu, grâce à sa vie dans l’Alliance : il était le peuple choisi, le fils, comme disait le prophète Osée. Les autres peuples lui paraissaient étrangers à Dieu, éloignés de Dieu. Et quand Isaïe dit que « la paix est aussi pour ceux qui sont loin », il rappelle ce que le peuple élu a retenu de la promesse faite à Abraham : à savoir que l’humanité tout entière est concernée par ce qu’on pourrait appeler « le plan de paix de Dieu ».
Ce jour-là ils furent trois mille à se faire baptiser, trois mille Juifs qui devinrent Chrétiens ; ils faisaient partie de ceux que Pierre appelait les « proches ». Mais peu à peu, au long du livre des Actes, puis de l’histoire de l’Eglise, ceux qui étaient loin vont rejoindre les appelés de Dieu. C’est à eux que Paul dira dans la lettre aux Ephésiens :
« Maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité. » (Ep 2,13-14).

PSAUME – 22 (23)

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

LE PEUPLE ELU, TRESOR DE DIEU
Nous avons déjà rencontré ce psaume 22/23 il y a quelques semaines pour le quatrième dimanche de Carême, et j’avais insisté sur trois points :
Premier point : comme toujours dans les psaumes c’est d’Israël tout entier qu’il est question, même si la personne qui parle dit « JE » .
Deuxième point : pour dire son expérience croyante, Israël utilise deux comparaisons, celle du lévite qui trouve son bonheur à habiter dans la Maison de Dieu et celle du pèlerin qui participe au repas sacré qui suit les sacrifices d’action de grâce. Mais il faut lire entre les lignes : à travers ces deux comparaisons, il faut entendre l’expérience du peuple élu, vivant dans l’émerveillement et la reconnaissance l’Alliance proposée par Dieu.
Troisième point : Les premiers Chrétiens ont trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur propre expérience de baptisés ; et ce psaume 22/23 est devenu dans la primitive Eglise le chant attitré des célébrations de Baptême.
Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter tout simplement sur le premier verset : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ». Dans le même esprit, le prophète Michée exprimait cette prière : « (Seigneur), avec ta houlette, sois le pasteur de ton peuple, le troupeau qui t’appartient » (Michée 7,14)… Je remarque au passage que c’est le peuple qui est le patrimoine de Dieu ; dans le psaume 15/16, nous avions rencontré l’expression  inverse : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage. » (Ps 15/16,5-6).1 C’est bien la réciprocité de l’Alliance qui est dite là.
Dans un pays d’éleveurs, un troupeau c’est la richesse d’une famille et le livre des Proverbes donne des conseils pour l’entretien de ce patrimoine : « Juge bien de la mine de tes moutons et prends soin de tes troupeaux, car la richesse n’est pas éternelle ni les trésors2 assurés d’âge en âge ! » (Pr 27,23). Ce qui veut dire que quand on compare Dieu à un berger et donc Israël à son troupeau, on ose penser que le peuple élu est un trésor pour son Dieu. Ce qui est une belle audace !
L’emploi d’un tel vocabulaire est donc une invitation à la confiance : Dieu est représenté comme un bon pasteur : c’est-à-dire celui qui  rassemble, qui guide, qui nourrit, qui soigne, qui protège et qui défend… en un mot, c’est celui qui veille sur tous les besoins de son troupeau. Tout cela, on le dit de Dieu : je vous en cite quelques exemples :
le berger qui  rassemble,  je le trouve encore chez le prophète Michée : « Moi, je veux te rassembler tout entier, Jacob, je veux réunir le reste d’Israël ! Je les mettrai ensemble… comme un troupeau au milieu de son pâturage… » (Mi 2,12) ; et encore : « Ce jour-là – oracle du SEIGNEUR – je rassemblerai les brebis boiteuses, je réunirai les égarées » (Mi 4,6). Et Sophonie reprend le même thème : « Je sauverai la brebis boiteuse, je rassemblerai celles qui sont égarées ». (So 3,19). Ce qui veut dire, au passage, que chaque fois que nous faisons œuvre de division, nous travaillons contre Dieu !
DIEU, COMME UN BERGER ATTENTIONNE
le berger-guide et défenseur de son troupeau, nous le retrouvons souvent dans les psaumes : en particulier dans le psaume 94/95 qui est la prière du matin de chaque jour dans la liturgie des Heures : « Nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main ». (Ps 94/95,7). De même dans le psaume 77/78 : « Tel un berger, il conduit son peuple, il pousse au désert son troupeau, il les guide et les défend, il les rassure. » (Ps 77/78,52 ) ; et le psaume 79/80 commence par cet appel : « Berger d’Israël écoute, toi qui conduis Joseph, ton troupeau… révèle ta vaillance et viens nous sauver »  (Ps 79/80,2).
Evidemment, c’est dans les périodes difficiles, quand le troupeau (traduisez Israël) se sent mal dirigé, délaissé, malmené ou pire maltraité, que les prophètes recourent le plus souvent à cette image du vrai bon berger, pour redonner espoir ; on ne s’étonne donc pas de retrouver ce thème chez le deuxième Isaïe, celui qui a écrit le livre intitulé « Livre de la Consolation d’Israël ».
Par exemple : « Comme un berger, il fait paître son troupeau, son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur , il mène les brebis qui allaitent. » (Is 40,11) ; et encore : « Au long des routes ils pourront paître ; sur les hauteurs dénudées seront leurs pâturages. Ils n’auront ni faim ni soif, le vent brûlant et le soleil ne les frapperont plus. Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,9-10).
J’ai gardé pour la fin ce magnifique texte d’Ezéchiel que vous connaissez : « Car ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées…Je les ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans les vallées, dans les endroits les meilleurs. Je les ferai paître dans un bon pâturage, et leurs prairies seront sur les hauteurs d’Israël. Là, mes brebis se reposeront dans de belles prairies, elles brouteront dans de gras pâturages, sur les monts d’Israël. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du SEIGNEUR Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. » (Ez 34,11s).
A notre tour, nous  chantons ce psaume 22/23 parce que Jésus s’est présenté lui-même comme le berger des brebis perdues ; il nous invite à mettre notre confiance dans la tendresse du Dieu-pasteur ; mais, plus largement, en un moment où tant d’hommes traversent des « jours de nuages et de sombres nuées », nous sommes invités également à contempler l’image du bon Pasteur, pour nous comporter en imitateurs du Père et en continuateurs du Fils.
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Notes
1 – Voir le commentaire de ce psaume au Troisième Dimanche de Pâques – A.
2 – En hébreu, le mot employé signifie « diadème ».
Complément
Le rassemblement du troupeau de Dieu réparti dans le monde entier annoncé par les prophètes voit un début de réalisation au matin de la Pentecôte : Pierre s’adresse à une foule de tous horizons.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 2, 20b-25

Bien-aimés,
20 si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien,
c’est une grâce aux yeux de Dieu.
21 C’est bien à cela que vous avez été appelés,
car c’est pour vous que le Christ,
lui aussi, a souffert ;
il vous a laissé un modèle
afin que vous suiviez ses traces.
22 Lui n’a pas commis de péché ;
dans sa bouche,
on n’a pas trouvé de mensonge.
23 Insulté, il ne rendait pas l’insulte,
dans la souffrance, il ne menaçait pas,
mais il s’abandonnait
à Celui qui juge avec justice.
24 Lui-même a porté nos péchés,
dans son corps, sur le bois,
afin que, morts à nos péchés,
nous vivions pour la justice.
Par ses blessures, nous sommes guéris.
25 Car vous étiez errants
comme des brebis ;
mais à présent vous êtes retournés
vers votre berger, le gardien de vos âmes.

SUR LES TRACES DU CHRIST
Dans ce passage, Pierre s’adresse à une catégorie sociale toute particulière : ce sont des esclaves  (on sait que l’esclavage existait encore à son époque) ; or, en droit romain, l’esclave était à la merci de son maître, il était un objet entre ses mains. Il arrivait donc que des esclaves subissent des mauvais traitements sans autre raison que le bon plaisir de leurs maîtres ; et être un esclave chrétien chez un maître non chrétien exposait certainement à des brimades supplémentaires.
Pierre leur dit en substance : imitez le Christ : lui aussi était esclave à sa manière, puisqu’il a mis sa vie tout entière au service de tous les hommes. Or, comment s’est-il comporté ? « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. »
Je reprends le raisonnement de Pierre au début : « Si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. » Ce qui est une grâce, ce n’est pas de souffrir, c’est d’être capable de se conduire comme le Christ lorsqu’on est dans la souffrance. On ne redira jamais assez qu’il n’y a pas de vocation du Chrétien à la souffrance ; mais, dans la souffrance, un appel à tenir bon à l’exemple du Christ. Suivre les traces du Christ, suivre son exemple, ce n’est pas souffrir pour souffrir, c’est tenir bon dans la souffrance comme lui : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »
Pierre en profite pour rappeler le Credo des chrétiens : « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. »
Voilà bien ce qui est au cœur  de notre catéchisme et en même temps la chose la plus difficile du monde à comprendre ! Nous affirmons « Dieu nous sauve… Christ est mort pour nos péchés », mais comment aller plus loin ? Comment expliquer ? De quoi nous sauve-t-il ? Comment nous sauve-t-il ?
Pour commencer, il me semble que nous entendons ici une définition du salut : être sauvés, c’est devenir « capables de vivre pour la justice ». Nous sommes guéris de nos blessures, comme dit Pierre. Nos blessures à nous, ce sont nos incapacités d’aimer et de donner, de pardonner, de partager ; c’est une humanité déboussolée : au lieu d’être centrée sur Dieu, l’humanité a perdu sa boussole, elle est désorientée ; Pierre dit « Vous étiez errants comme des brebis ». « Mourir à nos péchés », pour reprendre l’expression de Pierre, c’est être capables de vivre autrement, de vivre pour la justice, c’est-à-dire dans la fidélité au projet de Dieu.
DEVENIR CAPABLES DE PARDONNER COMME LUI
Reste à savoir comment la croix du Christ a pu opérer ce salut : d’après Pierre, « c’est par ses blessures que nous sommes guéris ». Or les blessures du Christ, n’oublions pas que ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes qui les lui ont infligées. Le Christ est mort parce qu’il a eu le courage de porter témoignage à son Père, de se comporter en homme de prière et de paix, de s’opposer à toute forme de mépris ou d’exclusion. Mais le Père dont il parlait ne répondait pas à l’image que s’en faisaient la majorité de ses contemporains ; Jésus, lui, malgré les menaces, n’a pas changé de ligne de conduite : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité », disait-il (Jn 18,37). Alors on l’a supprimé. Mais, même sur la croix, il a continué à rendre témoignage à son Père en révélant jusqu’où va le pardon de Dieu. Ses derniers mots sont encore des mots d’amour : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Alors, cette croix qui était le lieu de l’horreur absolue, de la haine humaine déchaînée est devenue, grâce au Christ, le lieu de l’amour absolu dans ce pardon du Christ à ses bourreaux.
Et, désormais, il nous suffit de contempler la croix, de croire à cet amour de Dieu pour l’humanité, révélé dans la croix du Christ, pour être transformés, convertis, réorientés ; comme le disait Zacharie « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10). Alors nous sommes guéris, sauvés, c’est-à-dire rendus capables à nouveau d’aimer et de pardonner comme lui. Si nous voulons bien nous laisser attendrir par cette attitude d’amour absolu de Jésus et de son Père, nos cœurs  de pierre deviennent cœurs  de chair. Et nous devenons capables de vivre comme lui. Et d’autres, alors, pourront se laisser transformer à leur tour. C’est comme une contagion qui doit se répandre.
Car l’œuvre  de transformation de l’humanité tout entière n’est pas terminée ! Il faut donc encore des témoins de l’amour et du pardon de Dieu : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups », disait Jésus. Quand Pierre dit : « Le Christ vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces », il nous rappelle que, à notre tour, nous devons prendre sa suite pour, avec lui, continuer l’œuvre  du salut de l’humanité.

EVANGILE – selon Saint Jean 10, 1-10

En ce temps-là, Jésus déclara :
1 « Amen, amen, je vous le dis :
celui qui entre dans l’enclos des brebis
sans passer par la porte,
mais qui escalade par un autre endroit,
celui-là est un voleur et un bandit.
2 Celui qui entre par la porte,
c’est le pasteur, le berger des brebis.
3 Le portier lui ouvre,
et les brebis écoutent sa voix.
Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom,
et il les fait sortir.
4 Quand il a poussé dehors toutes les siennes,
il marche à leur tête,
et les brebis le suivent,
car elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger
mais elles s’enfuiront loin de lui,
car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens,
mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait.
7 C’est pourquoi Jésus reprit la parole :
« Amen, amen, je vous le dis :
Moi, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi
sont des voleurs et des bandits ;
mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Moi, je suis la porte.
Si quelqu’un entre en passant par moi,
il sera sauvé ;
il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage.
10 Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr.
Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie,
la vie en abondance. »

PRENEZ GARDE AUX MAUVAIS BERGERS
La cohérence des textes de ce dimanche est particulièrement frappante ! Le psaume, puis la deuxième lecture et maintenant l’évangile nous transportent dans une bergerie. Le psaume comparait la relation de Dieu avec Israël à la sollicitude d’un berger pour son troupeau ; il disait « le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, saint Pierre comparait les hommes qui n’ont pas la foi en Jésus-Christ à des brebis perdues : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » Et, ici, dans l’évangile de Jean, Jésus développe son long discours sur le bon pasteur.
Une bergerie, ce n’est pas un spectacle habituel pour une bonne partie d’entre nous, il faut bien le dire. Il faut donc que nous fassions l’effort d’imaginer le paysage du Proche-Orient, le troupeau regroupé pour la nuit dans un enclos bien gardé ; au matin le berger vient libérer les brebis et les emmène sur les pâturages.
Si nous avons un effort d’imagination à faire, en revanche ce genre de réflexion était très familier aux auditeurs de Jésus : parce que, tout d’abord, il y avait de nombreux troupeaux en Israël, et ensuite parce que les prophètes de l’Ancien Testament avaient pris l’habitude de ce genre de comparaisons. Nous en avons relu certains passages à propos du psaume. Je ne retiens qu’une phrase du prophète Isaïe qui insiste sur la sollicitude de Dieu envers son peuple : « Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,10). Enfin, du futur Messie on disait volontiers qu’il serait un berger pour Israël.
En même temps, les prophètes ne cessaient de mettre en garde contre les mauvais bergers qui représentent un véritable danger pour les brebis. C’est évidemment une affaire de vie ou de mort pour le troupeau. Jésus, à son tour, s’inscrit bien ici dans le même registre : il dit à la fois la sollicitude du berger pour ses brebis et le danger que représentent pour elles les faux bergers.
Ces thèmes familiers, il les reprend dans l’évangile de ce dimanche, sous la forme de deux petites comparaisons successives : celle du berger, puis celle de la porte. Il prend la peine de les introduire l’une et l’autre par la formule solennelle : « Amen, amen, je vous le dis ». Or cette expression introduit toujours du nouveau ; mais, justement, le thème du berger était bien connu, alors où est la nouveauté ? D’autre part, Jean précise que ces deux paraboles sont adressées aux Pharisiens : Jésus leur a raconté la première, mais, nous dit Jean, « ils ne comprirent pas ce que Jésus voulait leur dire. » Alors Jésus enchaîna sur la deuxième.
JE SUIS VENU POUR QUE LES BREBIS AIENT LA VIE EN ABONDANCE
Pourquoi les Pharisiens n’ont-ils pas compris la première ? Ils n’ont pas compris, ou pas voulu comprendre ? Peut-être tout simplement parce que, de toute évidence, Jésus laisse deviner qu’il est lui-même ce bon berger capable de faire le bonheur de son peuple ; et eux se voient ravaler du coup au rang de mauvais bergers. Ils ont donc parfaitement compris ce que Jésus veut dire, mais ils ne peuvent l’accepter. Ce serait admettre que ce Galiléen est le Messie, l’Envoyé de Dieu, or il ne ressemble en rien à l’idée qu’on s’en faisait. C’est peut-être la raison pour laquelle Jésus a pris soin de dire « Amen, amen, je vous le dis » ; chaque fois qu’il introduit un discours par cette entrée en matière, il faut être particulièrement attentif ; c’est l’équivalent de certaines phrases que l’on rencontre souvent chez les prophètes de l’Ancien Testament : quand l’Esprit de Dieu leur souffle des paroles dures à comprendre ou à accepter, ils prennent toujours bien soin de commencer et parfois de terminer leur prédication par des formules telles que « oracle du SEIGNEUR » ou « Ainsi parle le SEIGNEUR ». Même ainsi mis en garde, les Pharisiens n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce que Jésus voulait leur dire.
Mais il persiste ; Jean nous dit  « C’est pourquoi Jésus reprit la parole » ; on devine la patience de Jésus qui lui inspire cette nouvelle tentative pour convaincre son auditoire : « Je suis la porte des brebis… Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ». C’est une autre manière de dire qu’il est le Messie, le sauveur : par lui, le troupeau accède à la vraie vie. « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. » C’est presque une confidence : Jésus nous dit pourquoi il est venu.
Pour terminer je retiendrais volontiers une leçon de cet évangile : Jésus nous dit que les brebis suivent le berger parce qu’elles connaissent sa voix : derrière cette image pastorale, on peut lire une réalité de la vie de foi ; nos contemporains ne suivront pas le Christ, ne seront pas ses disciples si nous ne faisons pas résonner la voix du Christ, si nous ne faisons pas connaître la Parole de Dieu.  J’y entends une fois de plus un appel à faire entendre par tous les moyens « le son de sa voix ».
—————–
Complément
A plusieurs reprises dans l’évangile de Jean, Jésus révèle sa mission dans des termes qui sont tout à fait clairs ; tantôt, il insiste sur le fait qu’il est l’envoyé du Père : un jour, à Jérusalem, par exemple, il a dit « Je suis venu au nom de mon Père » (Jn 5,43) ; tantôt il dit le contenu de sa mission : à Pilate, il affirme : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) ; ailleurs il parle de sauver le monde : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. » (Jn 12,47). Ou encore : « Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. » (Jn 12,46).

ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT LUC, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 15

Dimanche 23 avril 2023 : 3ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 23 avril 2023 : 3ème dimanche de Pâqes

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2,14.22b-33

Le jour de la Pentecôte,
14 Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
éleva la voix et leur fit cette déclaration :
« Vous, Juifs,
et vous tous qui résidez à Jérusalem,
sachez bien ceci,
prêtez l’oreille à mes paroles.
22 Il s’agit de Jésus le Nazaréen,
homme que Dieu a accrédité auprès de vous
en accomplissant par lui des miracles, des prodiges
et des signes au milieu de vous,
comme vous le savez vous-mêmes.
23 Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu,
vous l’avez supprimé
en le clouant sur le bois par la main des impies.
24 Mais Dieu l’a ressuscité
en le délivrant des douleurs de la mort,
car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.
25 En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume :
Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite,
je suis inébranlable.
26 C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ;
ma chair elle-même reposera dans l’espérance :
27 tu ne peux m’abandonner au séjour des morts
ni laisser ton fidèle voir la corruption.
28 Tu m’as appris des chemins de vie,
tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
29 Frères, il est permis de vous dire avec assurance,
au sujet du patriarche David,
qu’il est mort, qu’il a été enseveli,
et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous.
30 Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré
de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui.
31 Il a vu d’avance la résurrection du Christ,
dont il a parlé ainsi :
Il n’a pas été abandonné à la mort,
et sa chair n’a pas vu la corruption.
32 Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ;
nous tous, nous en sommes témoins.
33 Élevé par la droite de Dieu,
il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis,
et il l’a répandu sur nous,
ainsi que vous le voyez et l’entendez.

LE DISCOURS DE PIERRE AU MATIN DE LA PENTECOTE
Le même Pierre, qui avait succombé à la peur pendant le procès de Jésus, au point de le renier publiquement, le même qui, après la mort du Christ, se calfeutrait avec les autres disciples dans une salle verrouillée, c’est bien le même que nous retrouvons aujourd’hui, un peu plus d’un mois après, (cinquante jours exactement) et cette fois, il improvise un grand discours devant des milliers de gens ! Il est debout ; si Luc note l’attitude de Pierre, c’est parce qu’elle est symbolique : d’une certaine manière Pierre est en train de se réveiller, de revivre, de se relever…
Première remarque avant d’aller plus loin : jusque là Pierre n’a donc pas été un modèle d’audace et c’est à lui que Jésus confie désormais la mission la plus audacieuse : continuer l’œuvre  d’évangélisation, une mission qui a coûté la vie au Fils de Dieu lui-même ! Celui qui avait renié son maître il n’y a pas si longtemps se réjouira bientôt d’être persécuté pour avoir trop parlé. C’est certainement l’un des plus grands miracles des Actes des Apôtres ! Quand je dis miracle, je veux dire que cette force toute neuve, cette audace, Pierre ne la puise pas en lui-même, elle est don de Dieu.
Je reviens à cette matinée de Pentecôte, l’année de la mort de Jésus ; Jérusalem grouille de monde. Comme chaque année, des pèlerins sont venus de partout pour cette fête de Pentecôte ; ce sont des Juifs, et s’ils sont venus en pèlerinage à Jérusalem, c’est parce que, tout comme Pierre et les autres apôtres de Jésus, ils partagent l’espérance d’Israël ; tout au long du trajet, et ils viennent parfois de très loin, ils ont chanté les psaumes en suppliant Dieu de hâter la venue de son Messie.
Précisément, Pierre s’appuie sur cette espérance pour annoncer : ce Messie que vous attendez, il est venu, nous avons eu le privilège de le connaître. Dieu a accompli sa promesse : le nouveau monde est déjà commencé. A première vue, les auditeurs de Pierre sont les hommes du monde les mieux préparés à entendre ce message : puisque toute leur vie de prière mais aussi leur vie quotidienne est baignée dans la mémoire des œuvres  de Dieu pour son peuple et dans l’attente du Messie, celui qui accomplira la libération définitive d’Israël et de l’humanité tout entière.
DIEU A ACCOMPLI SA PROMESSE : LE NOUVEAU MONDE EST DEJA COMMENCE
Et donc, Pierre insiste dans son discours sur cet aspect de continuité de l’œuvre  de Dieu qui est pour lui une évidence ; et je crois que c’est très important que nous retrouvions ce sens de la continuité de l’œuvre  de Dieu, si nous voulons approcher la Bible. Pour mettre en évidence cette continuité, Pierre invoque le témoignage du psaume 15/16 ; mais je n’en parle pas ici parce que c’est précisément celui que la liturgie nous propose pour ce troisième dimanche de Pâques, nous aurons donc l’occasion d’en reparler.
En même temps, les auditeurs de Pierre sont aussi les moins préparés à accepter les paroles de Pierre : précisément parce que, s’ils attendent le Messie depuis toujours, ils ont eu le temps de se faire des idées sur lui, des idées d’hommes… Or Dieu ne peut que surprendre nos idées d’hommes…
L’un des aspects les plus inacceptables du mystère de Jésus, pour ses contemporains, c’est sa mort sur la croix. Le Vendredi Saint, Jésus, abandonné de tous, semblait bien maudit de Dieu lui-même. Il ne pouvait donc pas être le Messie… du moins selon les idées des hommes. Et pourtant, les apôtres l’ont compris le soir de Pâques, il était bien le Messie envoyé par Dieu ; s’ils l’ont compris, c’est parce qu’ils ont été témoins de la Résurrection de Jésus : alors seulement ils ont pu s’ouvrir aux pensées de Dieu et comprendre la mission de Jésus.
Pierre sait bien tout cela et c’est pour cette raison qu’il insiste sur l’accomplissement du projet de Dieu en Jésus : « Il s’agit de Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous… Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu… Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité… Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis… ».
Pierre termine en faisant appel à l’expérience de ses auditeurs ; il leur dit : « C’est ce que vous voyez et entendez » (verset 33) et, là, il parle du spectacle que donnent les apôtres désormais. Il sait qu’on ne peut devenir témoin à son tour que lorsqu’on a l’expérience de l’œuvre  de Dieu. Pour les auditeurs de Pierre, qui n’ont pas été directement témoins de la résurrection, la seule expérience possible, c’est celle de voir et entendre les douze apôtres transformés par l’Esprit-Saint. Pour nos contemporains, c’est la même chose : cela veut dire l’urgence pour nos communautés chrétiennes de se laisser transformer par l’Esprit.

PSAUME – 15 (16)

1 Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
2 J’ai dit au SEIGNEUR : « Tu es mon Dieu !
5 SEIGNEUR, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille :
même la nuit mon cœur  m’avertit.
8 Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

9 Mon cœur  exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
10 tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

11 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
à ta droite, éternité de délices !

LE PRIVILEGE DES CONSACRES
« Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , Tu es mon héritage, En Toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, Toi, mon seul partage. » Vous avez reconnu là un negro spiritual célèbre… c’est le psaume 15/16.
Dans les versets qui nous sont proposés aujourd’hui, certaines phrases semblent traduire un bonheur parfait ; tout a l’air si simple ! « J’ai dit au SEIGNEUR : Tu es mon Dieu !… J’ai fait de toi mon refuge… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi… »
D’autres versets sont l’écho d’un danger et Israël supplie : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
Je reprends ces deux points l’un après l’autre : premièrement le bonheur d’Israël : « Mon cœur  exulte, mon âme est en fête… SEIGNEUR, mon partage et ma coupe… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » Ici le peuple d’Israël est comparé à un « lévite », un prêtre, qui « demeure » sans cesse dans le temple de Dieu, qui vit dans l’intimité de Dieu : la vie des lévites, consacrés au Seigneur offrait une image très parlante de la vie du peuple tout entier.
Par exemple, l’expression « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » (verset 5) est une allusion à leur statut particulier : au moment du partage de la terre d’Israël entre les tribus des descendants de Jacob, (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n’avaient pas reçu de part : leur part c’était la Maison de Dieu (c’est-à-dire le service du Temple), le service de Dieu… Leur vie tout entière était consacrée au culte ; ils n’avaient pas de territoire ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier du culte » de l’époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice. Du coup on comprend cet autre verset de ce psaume que nous n’entendons pas ce dimanche : « La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ». Enfin, ils gardaient le Temple jour et nuit et c’est ce à quoi fait allusion la formule du verset 7 : « Même la nuit mon coeur m’avertit ».
On voit bien comment ce statut très particulier, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une image du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations.
LE COMBAT DE LA FIDELITE
Mais on entend également dans ce psaume une tout autre tonalité : on entend les échos d’un danger et la supplication : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
Car, en réalité, les choses sont moins roses qu’il n’y paraît. On ne sait pas dater la composition de ce psaume : les circonstances auxquelles il fait allusion pourraient convenir à plusieurs époques ; mais, en tout cas, l’appel au secours du début, « Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge » et les affirmations répétées de confiance laissent supposer une période dans laquelle, justement, la confiance était difficile. Cet appel au secours est tout autant une profession de foi : il traduit un combat terrible, le combat de la fidélité à la vraie foi, c’est-à-dire le combat contre l’idolâtrie, le combat de la fidélité au Dieu unique.
Par exemple, un autre verset de ce psaume dit : « Toutes les idoles du pays, ces dieux que j’aimais, ne cessent d’étendre leurs ravages, et l’on se rue à leur suite. » Cela prouve bien que Israël a parfois succombé à l’idolâtrie mais il prend l’engagement de ne plus y retomber : l’affirmation « J’ai fait de toi, mon Dieu, mon seul refuge » traduit cette résolution. Du coup on comprend mieux combien l’image du lévite est parlante : c’est une manière de dire « en choisissant de rester fidèle au vrai Dieu, le peuple d’Israël a fait le vrai choix qui le fait entrer dans l’intimité de Dieu ».
LA CONFIANCE A TOUT PRIX
La confiance d’Israël lui inspire des phrases étonnantes : par exemple l’expression « Eternité de délices » ou bien encore « Tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; on peut se demander : quand le psaume est écrit, est-il déjà confusément une première amorce de la foi en la Résurrection ? En réalité, cette affirmation est une supplication, ou plutôt une plaidoirie ; vous savez que la foi en la Résurrection individuelle n’est apparue que très tard en Israël ; c’est du peuple qu’il est question ici : sa survie est en péril par sa faute (l’idolâtrie, justement) mais il sait que Dieu ne l’abandonnera pas et c’est pourquoi il affirme « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; c’est bien du peuple qu’il s’agit.
Par la suite, vers le deuxième siècle avant Jésus-Christ, quand on a commencé à croire à la résurrection de chacun d’entre nous, la phrase « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » a été relue dans ce sens.
Plus tard, les Chrétiens ont également relu ce psaume à leur manière, nous l’avons entendu dans la première lecture de ce dimanche : Pierre, le matin de la Pentecôte, a cité ce psaume aux pèlerins juifs venus nombreux à Jérusalem pour la fête. Pour leur montrer que Jésus était bien le Messie, Pierre leur a dit : quand David composait ce psaume, et disait « tu ne peux m’abandonner à la mort » sans le savoir il annonçait la Résurrection du Messie ; or Jésus est ressuscité, c’est donc bien de lui que David parlait, sans savoir le nommer, évidemment.
Nous avons là un exemple de la première prédication chrétienne adressée à des Juifs : c’est-à-dire comment les premiers apôtres relisaient la tradition juive en y découvrant tout-à-coup une nouvelle dimension, l’annonce de Jésus-Christ.
Au long des siècles, donc, ce psaume a porté la prière d’Israël dans l’attente du Messie et il s’est enrichi peu à peu de sens nouveaux… Ce sera le rôle de la première génération chrétienne de découvrir et de montrer que les Ecritures trouvent leur sens plénier en Jésus-Christ.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 1,17-21

Bien-aimés,
17 si vous invoquez comme Père
celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre,
vivez donc dans la crainte de Dieu,
pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers.
18 Vous le savez :
ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or,
que vous avez été rachetés
de la conduite superficielle héritée de vos pères ;
19 mais c’est par un sang précieux,
celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ.
20 Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance
et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous.
21 C’est bien par lui que vous croyez en Dieu,
qui l’a ressuscité d’entre les morts
et qui lui a donné la gloire ;
ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

DES NON-JUIFS DANS LES SYNAGOGUES
Nous avons lu dans la première lecture (tirée des Actes des Apôtres) le discours de Pierre le matin de Pentecôte : un modèle de ce qu’était la première prédication chrétienne lorsqu’elle s’adressait à des Juifs ; voici maintenant avec la lettre de Pierre une prédication adressée à des anciens païens, des non-Juifs devenus chrétiens ; évidemment le discours n’est pas tout-à-fait le même ; c’est le B.A. BA de la communication d’adapter son langage à son auditoire !
J’ai dit qu’il s’agissait de non-Juifs ; on ne sait pas exactement à qui cette lettre est adressée : dans les premières lignes, Pierre dit seulement qu’il écrit aux « élus qui vivent en étrangers » dans les cinq provinces de notre Turquie actuelle, (le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie). Ce qui incite à penser qu’ils n’étaient pas d’origine juive, c’est la phrase « vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères » : Pierre, Juif lui-même, ne dirait pas une telle phrase à des Juifs… il sait trop bien quelle espérance traverse les Ecritures et à quel point toute la vie de son peuple est tendue vers Dieu ; impossible de parler d’une « conduite superficielle » !
Mais s’il s’agit de non-Juifs, comme on le croit, la première chose qui saute aux yeux dans ce simple passage, c’est le nombre impressionnant d’allusions à la Bible : par exemple des expressions comme « le sang de l’Agneau sans défaut et sans tache », « le Père qui juge impartialement », la « crainte de Dieu » ; si Pierre les emploie sans les expliquer, c’est que son auditoire les connaît. Est-ce possible si ce sont des non-Juifs ?
DE LA SYNAGOGUE A L’EGLISE
Voilà l’hypothèse la plus probable : autour des synagogues gravitaient de nombreux sympathisants et parmi eux un nombre important de ceux que l’on appelait les « craignant Dieu » : ils étaient si proches du Judaïsme qu’ils pratiquaient le shabbat et donc entendaient toutes les lectures de la synagogue le samedi matin ; par conséquent, ils connaissaient très bien les Ecritures juives ; mais ils n’avaient jamais été jusqu’à demander la circoncision. On croit savoir que les premiers Chrétiens se sont recrutés majoritairement parmi eux.
Je reviens sur deux formules de la lettre de Pierre qui peuvent nous heurter si nous ne les replaçons pas dans leur contexte biblique :
L’expression « crainte de Dieu », d’abord ; elle a un sens tout particulier dans la Bible précisément parce que Dieu s’est révélé à son peuple comme un « Père » ; rappelez-vous la phrase du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour celui qui le craint » ; la crainte de Dieu, ce n’est donc pas la peur, c’est une attitude filiale faite de tendresse, de respect, de vénération, et d’une confiance totale. Pierre le dit bien : « Vous invoquez Dieu comme votre Père… vivez donc dans la crainte de Dieu » ; c’est logique : vous l’invoquez comme votre Père, alors, conduisez-vous en fils. Je reprends encore une fois cette phrase, mais en entier cette fois : « Si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu ». D’après l’insistance de Pierre sur « celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre » on devine que certains de ces nouveaux Chrétiens, qui venaient du paganisme, étaient complexés par rapport aux Chrétiens d’origine juive ; Pierre veut donc les rassurer ; il leur dit en substance « Vous êtes fils tout comme les autres, conduisez-vous en fils, tout simplement ».
Deuxième formule qui risque de nous heurter : « Vous avez été rachetés … par le sang précieux du Christ » ; j’ai volontairement tronqué la phrase, car c’est sous cette forme raccourcie qu’elle nous choque ; nous sommes tentés d’y voir un affreux marchandage, sans bien pouvoir dire, d’ailleurs, entre qui et qui.
LE SALUT DE DIEU EST GRATUIT
Si je prends, au contraire, la phrase de Pierre en entier : « Ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ », je découvre deux choses :
Premièrement, il ne s’agit pas de marchandage, notre libération est « gratuite », je devrais dire « gracieuse », c’est-à-dire donnée ; Pierre prend bien peine de dire : « Ce n’est pas l’or et l’argent »2, manière de dire « c’est gratuit ». La lettre aux Colossiens dit bien : « Dieu a jugé bon que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié. » (Col 1,19).
Deuxièmement, Pierre ne met pas l’accent là où nous le mettons, nous. Le sang d’un agneau sans défaut et sans tache, c’est celui qu’on versait chaque année pour la Pâque et qui signait la libération d’Israël de tous les esclavages ; ce sang versé annonçait l’œuvre  permanente de Dieu pour libérer son peuple. C’est donc, pour un lecteur averti de l’Ancien Testament, un rappel de fête, la fête de la liberté en quelque sorte, d’une liberté en marche vers la Terre Promise. Or, dit Pierre, la libération définitive est accomplie en Jésus-Christ, désormais vous êtes entrés dans une vie nouvelle (c’est encore mieux que la Terre Promise). Cette libération consiste précisément en ceci que vous invoquez Dieu comme Père.
On comprend mieux alors la phrase « Vous avez été rachetés (c’est-à-dire libérés) de la conduite superficielle héritée de vos pères ». « Superficielle » ici veut dire « qui ne mène à rien, par opposition à la vie éternelle » ; désormais, parce que le Fils a vécu sa vie d’homme dans la confiance jusqu’au bout, c’est toute l’humanité qui a retrouvé le chemin de l’attitude filiale, qui a retrouvé le chemin de l’arbre de vie, pour reprendre l’image de la Genèse.
Paul dirait : « Vous êtes passés de l’attitude de peur, de méfiance de l’esclave à l’attitude de crainte filiale, l’attitude des fils ».3
————–
Notes
1 – « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » : c’est une allusion à la révélation de Dieu au prophète Samuel : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7). Phrase reprise par Jésus dans ses controverses avec les Pharisiens auxquels il reprochait de « juger selon les apparences » (Jn 7,24 ; 8,15 ; cf le quatrième dimanche de Carême – A).
2 – « Ce n’est pas l’or et l’argent » : le thème de la gratuité des dons de Dieu n’est pas nouveau non plus. Le prophète Isaïe l’avait annoncé avec force : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » (Is 55,1 ; cf commentaire du dix-huitième dimanche du Temps Ordinaire – A).
3 – D’après Ga 4,6 et Rm 8,15.

EVANGILE – selon saint Luc 24, 13-35

Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine),
13 deux disciples faisaient route
vers un village appelé Emmaüs,
à deux heures de marche de Jérusalem,
14 et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
15 Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient,
Jésus lui-même s’approcha,
et il marchait avec eux.
16 Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17 Jésus leur dit :
« De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
18 L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit :
« Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem
qui ignore les événements de ces jours-ci. »
19 Il leur dit :
« Quels événements ? »
Ils lui répondirent :
« Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth,
cet homme qui était un prophète
puissant par ses actes et ses paroles
devant Dieu et devant tout le peuple :
20 comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré,
ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.
Mais avec tout cela,
voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
22 À vrai dire, des femmes de notre groupe
nous ont remplis de stupeur.
Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
23 elles n’ont pas trouvé son corps ;
elles sont venues nous dire
qu’elles avaient même eu une vision :
des anges, qui disaient qu’il est vivant.
24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau,
et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ;
mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
25 Il leur dit alors :
« Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire
tout ce que les prophètes ont dit !
26 Ne fallait-il pas que le Christ
souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
27 Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes,
il leur interpréta, dans toute l’Écriture,
ce qui le concernait.
28 Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient,
Jésus fit semblant d’aller plus loin.
29 Mais ils s’efforcèrent de le retenir :
« Reste avec nous,
car le soir approche et déjà le jour baisse. »
Il entra donc pour rester avec eux.
30 Quand il fut à table avec eux,
ayant pris le pain,
il prononça la bénédiction
et, l’ayant rompu,
il le leur donna.
31 Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent,
mais il disparut à leurs regards.
32 Ils se dirent l’un à l’autre :
« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous,
tandis qu’il nous parlait sur la route
et nous ouvrait les Écritures ? »
33 À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem.
Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons,
qui leur dirent :
34 « Le Seigneur est réellement ressuscité :
il est apparu à Simon-Pierre. »
35 À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.

POURQUOI FALLAIT-IL ?
Vous avez remarqué certainement le parallèle (on dit « l’inclusion ») entre les deux formules « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (verset 16) et « alors leurs yeux s’ouvrirent » (verset 31) ; ce qui veut dire que les deux disciples d’Emmaüs sont passés du plus profond découragement à l’enthousiasme simplement parce que leurs yeux se sont ouverts. Et pourquoi leurs yeux se sont-ils ouverts ? Parce que Jésus leur a expliqué les Ecritures. « Partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait ». J’en déduis que Jésus-Christ est au centre du projet de Dieu qui se révèle dans l’Ecriture.
Il ne faudrait pas réduire pour autant l’Ancien Testament à un faire-valoir du Nouveau. Lire les prophètes comme s’ils n’annonçaient que la venue historique de Jésus-Christ, c’est trahir l’Ancien Testament et lui enlever toute son épaisseur historique. L’Ancien Testament est le témoignage de la longue patience de Dieu pour se révéler à son peuple et le faire vivre dans son Alliance. Les paroles des prophètes, par exemple, sont d’abord valables pour l’époque où elles ont été prononcées.
Il ne faut pas oublier non plus que la lecture qui consiste à considérer Jésus-Christ comme le centre de l’histoire humaine et donc aussi le centre de l’Ecriture est une lecture « chrétienne », les Juifs en ont une autre… Nous sommes d’accord entre Juifs et Chrétiens pour invoquer le Dieu Père de tous les hommes et lire dans l’Ancien Testament la longue attente du Messie. Mais n’oublions pas que la reconnaissance de Jésus comme Messie n’est pas une évidence ! Elle le devient pour ceux dont les yeux « s’ouvrent » d’une certaine manière. Et alors leur cœur  devient « tout brûlant » comme celui des disciples d’Emmaüs.
On aimerait connaître évidemment la liste des textes que Jésus a parcourus avec les deux disciples d’Emmaüs ! A la fin de ce parcours biblique avec eux, Jésus conclut : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Je m’arrête sur cette formule qui représente une vraie difficulté pour nous : car elle se prête à deux lectures possibles :
Première lecture possible : « Il fallait que le Christ souffrît pour mériter d’entrer dans sa gloire ». Comme si il y avait là une exigence de la part du Père. Mais cette lecture est une « tentation » qui trahit les Ecritures ; elle présente la relation de Jésus à son Père en termes de « mérite », ce qui n’est nullement conforme à la révélation de l’Ancien Testament et que Jésus a développée : que Dieu n’est que Amour et Don et Pardon. Avec Lui, il n’est pas question de balance, de mérite, d’arithmétique, de calcul. Il est vrai que le Nouveau Testament parle souvent de l’accomplissement des Ecritures, mais ce n’est pas dans ce sens-là, nous y reviendrons tout à l’heure.
LE PLUS GRAND AMOUR EST CELUI QUI VA JUSQU’AU BOUT
Alors il y a une deuxième manière de lire cette phrase « Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire » : la gloire de Dieu, c’est sa présence qui se manifeste à nous ; or Dieu est Amour. On pourrait donc transformer la phrase en « Il fallait que le Christ souffrît pour que l’amour de Dieu soit manifesté, révélé ».
Or, je crois que Jésus a donné lui-même d’avance l’explication de sa mort lorsqu’il a dit à ses disciples : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». C’est-à-dire, il fallait que l’amour aille jusque-là, jusqu’à affronter la haine, l’abandon, la mort pour que vous découvriez que l’amour de Dieu est « le plus grand amour ».
Pour que nous découvrions jusqu’où va l’amour de Dieu, qui est tellement au-dessus de nos amours humaines, tellement impensable, au vrai sens du terme, il fallait qu’il nous soit révélé… et pour qu’il nous soit révélé, il fallait qu’il aille jusque-là.
« Il fallait » ne veut donc pas dire une exigence de Dieu mais une nécessité pour nous. Dire que les événements de la vie de Jésus « accomplissent les Ecritures »1, c’est dire que sa vie tout entière est révélation en actes de cet amour du Père, quelles que soient les circonstances, y compris la persécution, la haine, la condamnation, la mort.
La Résurrection de Jésus vient authentifier cette révélation que l’amour est plus fort que la mort.
————-
Note
1 – Ce thème de l’accomplissement des Ecritures est très fréquent dans le Nouveau Testament, à commencer par cette phrase de Paul : « Lorsqu’est venue la plénitude des temps » (Ga 4,4 ; cf commentaire pour la Fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, le 1er janvier)

ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, APPARITIOND DEJESUS AUX APÔTRES, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 117

Dimanche 16 avril 2023 : 2ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 16 avril 2023 : 2ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2,42-47

42 Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres
et à la communion fraternelle,
à la fraction du pain
et aux prières.
43 La crainte de Dieu était dans tous les cœurs
à la vue des nombreux prodiges et signes
accomplis par les Apôtres.
44 Tous les croyants vivaient ensemble,
et ils avaient tout en commun ;
45 ils vendaient leurs biens et leurs possessions,
et ils en partageaient le produit entre tous
en fonction des besoins de chacun.
46 Chaque jour, d’un même cœur,
ils fréquentaient assidûment le Temple,
ils rompaient le pain dans les maisons,
ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;
47 ils louaient Dieu
et avaient la faveur du peuple tout entier.
Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait
ceux qui allaient être sauvés.

LE PORTRAIT-TYPE DES COMMUNAUTES CHRETIENNES
Voilà un flash de la toute première communauté chrétienne comme Saint Luc aime en donner dans les Actes des Apôtres. A plusieurs reprises (j’en compte quatre) il dresse en une ou plusieurs lignes un portrait de ce type ; on dirait des photos de famille, en quelque sorte, des instantanés pris sur le vif.
Additionnés, ils dessinent un portrait qui nous paraît presque idyllique de la vie des premiers chrétiens : assidus à l’enseignement des apôtres et à la prière, vivant dans la louange du Seigneur et mettant tout en commun, semant sur leur passage de multiples guérisons et recrutant sans cesse de nouveaux membres…
Ce qui n’empêche pas Luc de raconter par ailleurs quelques difficultés bien concrètes de ces mêmes communautés… Ananie et Saphire par exemple, qui ont eu du mal à pratiquer jusqu’au bout le partage des biens, et, plus grave encore, les difficultés de coexistence entre Chrétiens d’origine juive et Chrétiens d’origine païenne…
On peut se demander quel message Luc veut nous faire passer en dressant ainsi ces portraits si beaux, presque irréels ? Cela fait penser aux photos de famille des jours de fête qui habillent les murs de nos maisons, les albums de photos ou les pêle-mêle que nous aimons regarder. Evidemment, on a sélectionné les meilleures photos ; en les regardant, nous prenons conscience de la beauté de nos familles et de la joie de certains jours privilégiés.
Pour saint Luc, c’est certainement cela, mais c’est aussi beaucoup plus que cela : c’est la preuve que les temps messianiques sont arrivés. Les apôtres sont devenus capables de vivre en frères, grâce au don de l’Esprit ; voilà, nous dit-il, ce que l’Esprit nous rend capables de faire : lui qui « continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (selon la superbe formule de la quatrième Prière Eucharistique). Voilà la marque de l’Esprit répandu sur le monde par le Messie : c’est bien ce qu’avaient promis les prophètes. La fraternité, la paix, la justice, l’abolition du mal sont les valeurs du Royaume de Dieu que devait instaurer le Messie ; or les premiers chrétiens en ont donné l’exemple à plusieurs reprises !
C’est donc la preuve que Jésus est bien le Messie attendu, la preuve qu’il a répandu l’Esprit de Dieu sur le monde. Alors on comprend la phrase : « La crainte de Dieu était dans tous les cœurs » : c’est l’émerveillement devant l’œuvre de Dieu. Luc nous dit : voyez mes frères, les premiers signes du Royaume sont bien là ; voilà ce que l’Esprit Saint nous permet de vivre dans nos familles, nos paroisses et nos communautés lorsque nous nous laissons guider par lui dans la lumière de Pâques. Depuis la Résurrection du Christ, l’humanité nouvelle est née, celle qui grandit lentement autour et à l’image du Fils de Dieu. Saint Paul dirait : regardez, nous sommes vraiment ressuscités ! C’est-à-dire « nous vivons vraiment d’une vie nouvelle, le vieil homme (l’ancien comportement) est mort ».
LA VIE FRATERNELLE, CONDITION DE L’EXPANSION DE L’EVANGILE
Luc, le païen converti, s’émerveille de l’expansion irrésistible de l’évangile : « Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. » Je remarque, au passage, que c’est le Seigneur qui faisait entrer de nouveaux membres dans la communauté ! A nous, que nous est-il demandé ? Peut-être, tout simplement, d’être de vraies communautés chrétiennes, dignes de ce nom. Car c’est par sa vie bien concrète que la communauté porte témoignage de la Résurrection du Christ : une vie faite de partage de la Parole et du pain, de prière, de partage de tous les biens de chacun, le tout dans la joie ! C’est le monde à l’envers !
En particulier, le dépouillement personnel et le partage de tous les biens, voilà bien la chose irréalisable pour des hommes ordinaires… à moins qu’ils ne soient habités par l’Esprit de Dieu, celui que le Christ lui-même leur a insufflé. Jésus avait bien dit : « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». C’est cela qui prouvera au monde entier que Jésus est vivant ; voilà qui juge une fois pour toutes nos querelles et nos médisances, nos intolérances et nos divisions, nos refus de partager.
Il ne nous est pas interdit, bien sûr, de puiser dans ces beaux portraits des critères de vérification de la qualité de nos propres communautés (familles, équipes, communautés chrétiennes). C’est un peu comme si nous Luc nous disait : A bon entendeur salut !
Car, finalement, c’est bien un programme de vie chrétienne que nous venons d’entendre ; si je compte bien, il y a quatre points : écouter l’enseignement des Apôtres, vivre en communion fraternelle, y compris le partage de tous les biens, rompre le pain et participer aux prières.
Pour finir, il me semble que la très grande Bonne Nouvelle de ce texte, c’est que ce nouveau comportement inspiré par l’Esprit Saint est possible ! Tout comme les photos des jours de fête nous rappellent les possibilités d’amour de nos familles !
Mais cela peut aussi nous inspirer quelques questions : je m’arrête à l’une des expressions de Luc : « Ils rompaient le pain dans les maisons ». Nous dirions aujourd’hui l’Eucharistie. Cela veut dire au moins trois choses : d’abord, la messe du dimanche (pour ceux qui ont la chance d’en avoir une à leur portée), est beaucoup plus qu’une obligation, c’est une nécessité vitale ! Parce que la pratique eucharistique est indispensable à chacun d’entre nous pour sa vie de foi ; ensuite, plus grave encore, c’est la communauté qui est privée de l’un de ses membres chaque fois que l’un d’entre nous ne participe pas à l’eucharistie.
Enfin, troisième chose, une communauté est gravement pénalisée quand elle est privée de ce ressourcement régulier : cela pose évidemment tout le problème de tant de communautés chrétiennes privées de prêtre parfois depuis longtemps, pendant que certaines paroisses de ville offrent un large échantillonnage d’heures de messes pour satisfaire toutes les exigences. Nous ne pouvons qu’admirer le dynamisme de la foi de ceux d’entre nous qui savent faire vivre leurs communautés malgré l’absence de prêtre.

PSAUME – 117 (118)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR :
Éternel est son amour !

On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le SEIGNEUR m’a défendu.
Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du SEIGNEUR,
la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

DANS L’ATTENTE DU MESSIE
Nous avons déjà chanté ce psaume 117/118 pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et même, chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l’Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, Chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l’Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort. C’est donc à ce double niveau de l’attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l’entendre.
C’est un psaume de louange : il commence d’ailleurs par le mot « Alleluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l’ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins « Yah », qui en est la première syllabe… et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l’amour de Dieu, l’oeuvre de Dieu pour son peuple… Une vraie litanie !
Ce psaume de louange est prévu pour accompagner un sacrifice d’action de grâce au cours de la fête des Tentes, cette fête très importante et très joyeuse qui dure huit jours en automne : on a des traces de la joie de cette fête dans le texte même du psaume ; par exemple : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, jour de fête et jour de joie ».
LA FETE DES TENTES A JERUSALEM
Je vous rappelle les rites les plus importants de cette fête : tout d’abord, on habite pendant huit jours sous des tentes en souvenir des tentes de l’Exode après la sortie d’Egypte, pour retrouver le goût de l’Alliance. Ensuite, il y a de nombreuses célébrations au temple de Jérusalem et l’on fait des processions autour de l’autel en agitant des rameaux et en chantant « Hosanna » qui signifie « Donne, SEIGNEUR, donne le salut » ; et parce que l’attente du Messie est très marquée dans l’esprit de cette fête, on répète « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient », comme une sorte de prière pour hâter sa venue. (Nous faisons quelque chose d’analogue quand nous célébrons – déjà ! – une fête du Christ-Roi.) Un autre rite marquant était une grande illumination spectaculaire du Temple, le dernier soir. Tous ces rites, nous pouvons en entendre l’écho dans ce psaume, à condition de le lire en entier.
Voici quelques autres versets que nous n’entendons pas dans la liturgie de ce deuxième dimanche de Pâques : « Rameaux en main, formez vos cortèges jusqu’auprès de l’autel. »… « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient »… « Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine » (allusion à l’illumination du dernier soir).
Tout ceci, ce sont les mots de la louange ; voici les motifs maintenant : pour parler de l’histoire d’Israël, le psaume raconte l’histoire d’un roi qui vient d’affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l’avoir soutenu. Il dit par exemple : « on m’a poussé, bousculé pour m’abattre, mais le SEIGNEUR m’a défendu »… et encore « toutes les nations m’ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » et encore : « non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres  du Seigneur ». C’est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l’assaillaient ; mais, en réalité, nous savons ce qu’il faut lire entre les lignes : c’est l’histoire du peuple d’Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l’anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l’a relevé et il le célèbre dans cette grande fête des tentes : il chante « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres  du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des œuvres  du Seigneur, c’est la vocation propre d’Israël ; et c’est dans la conscience même de cette vocation qu’il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l’histoire.
Et maintenant, quelques mots sur le sens de ce psaume pour les Chrétiens : tout d’abord, vous avez remarqué la parenté entre la fête juive des Tentes et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.
LA PIERRE REJETÉE PAR LES BÂTISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE
Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l’ont présenté comme le roi véritable : pour n’en citer qu’un, par exemple, Matthieu a construit l’épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n’est pas celui que disent les historiens (c’est-à-dire Hérode) mais l’enfant de Bethléem… ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente bien Jésus comme le vrai roi des Juifs…
En méditant le mystère de ce Messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. » (Jésus avait cité cette phrase dans la parabole des vignerons homicides). Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse* ; lui, rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l’Israël nouveau.
Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l’expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.
Enfin, on sait que ce psaume était chanté à Jérusalem à l’occasion d’un sacrifice d’action de grâce ; Jésus, lui, vient d’accomplir « le » sacrifice d’action de grâce par excellence ! Il prend la tête de l’Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c’est même ce qui caractérise Jésus. Toute son attitude envers son Père n’est qu’action de grâce et c’est cela justement qui inaugure entre Dieu et l’humanité l’Alliance nouvelle : celle où l’humanité n’est que réponse d’amour à l’amour du Père.
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Note *Sur la pierre angulaire, voir le commentaire du psaume 117/118 pour le dimanche de Pâques.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 1, 3-9

3 Béni soit Dieu, le Père
de notre Seigneur Jésus Christ :
dans sa grande miséricorde,
il nous a fait renaître pour une vivante espérance
grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts,
4 pour un héritage qui ne connaîtra
ni corruption, ni souillure, ni flétrissure.
Cet héritage vous est réservé dans les cieux,
5 à vous que la puissance de Dieu garde par la foi,
pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps.
6 Aussi vous exultez de joie,
même s’il faut que vous soyez affligés,
pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;
7 elles vérifieront la valeur de votre foi
qui a bien plus de prix que l’or
– cet or voué à disparaître
et pourtant vérifié par le feu –,
afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur
quand se révélera Jésus Christ.
8 Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ;
en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi,
vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire,
9 car vous allez obtenir le salut des âmes
qui est l’aboutissement de votre foi.

LA FOI ET LA JOIE DES BAPTISES
Il y a un tel souffle de liberté dans ce passage que certains se demandent si Pierre n’a pas repris une hymne qu’on chantait pendant les baptêmes… On n’en a pas la preuve, mais c’est en tout cas une hypothèse intéressante qui peut nous aider à mieux comprendre ce texte.
On y reconnaît facilement trois strophes : je commence par les distinguer tout simplement en vous donnant un résumé de chacune d’elles : Première strophe, le début de notre texte (les versets 3, 4, 5) : « Béni soit Dieu… Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts. » Comme dit un chant bien connu : « Dieu fait de nous en Jésus-Christ des hommes libres… »
Deuxième strophe, les versets suivants (6 et 7) ; (je la résume) : l’espérance nous fait tressaillir de joie déjà, mais nous sommes encore dans le temps de l’épreuve de notre foi ;
Troisième strophe, les derniers versets (8 et 9) : heureux ceux qui croient sans avoir vu ; notre foi nous procure déjà une joie inexprimable qui nous transfigure.
Vous avez remarqué déjà le mot « foi » qui figure cinq fois dans ces quelques lignes. Ce qui n’est pas étonnant, si on est dans une célébration de baptême ; et aussi une joie formidable, il dit « inexprimable », malgré les épreuves présentes (« même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves », verset 6) : cela s’adresse visiblement à des communautés chrétiennes qui vivent en monde hostile ; il faut croire que c’était le cas des lecteurs de Pierre.
Je reprends les trois strophes une à une : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ » : la tournure est juive, la formule est chrétienne ; commencer par une grande bénédiction de Dieu, c’est typique de la prière juive ; et c’est certainement quelqu’un qui a beaucoup chanté les psaumes qui peut écrire un texte pareil ! Mais le contenu est chrétien : dans les psaumes, Dieu est chanté comme le Dieu des Pères, Abraham, Isaac, Jacob… désormais la Révélation a franchi un pas décisif : Dieu est connu maintenant comme Père de Jésus Christ et c’est par Jésus Christ qu’il accomplit son dessein sur l’humanité.
« Dieu nous a fait renaître grâce à la Résurrection de Jésus Christ » : comme Jésus lui-même dans son dialogue avec Nicodème, Pierre parle du baptême comme d’une nouvelle naissance et cette nouvelle naissance a sa source dans la résurrection du Christ ; aujourd’hui, nous, après deux mille ans de Christianisme, sommes tellement habitués à la formule « Jésus Christ est ressuscité » que nous ne ressentons peut-être plus aucun choc à la dire ; mais les premiers Chrétiens vivaient cela comme une véritable révolution : désormais, pour eux, la face du monde était changée ; comme dit Paul, « le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17).
« DIEU NOUS A FAIT RENAÎTRE GRÂCE À LA RÉSURRECTION DE JÉSUS CHRIST »
On retrouve aussi très fortement chez Pierre un autre thème habituel de Paul : la tension entre le présent et l’avenir : tout est déjà accompli dans la résurrection du Christ et donc il parle au passé : « Dieu nous a fait renaître »… tout est joué, si l’on peut dire ; mais tout reste encore à venir : nous sommes tendus vers le « salut (qui est) prêt à se révéler dans les derniers temps » comme dit Pierre.
Ce mot « salut », on pourrait le traduire par « vie »… « qui ne connaît ni corruption, ni souillure, ni flétrissure » ; on pourrait le traduire aussi par « libération » de tout ce qui est justement « corruption, souillure, flétrissure ». Un salut, une libération déjà accomplie en Jésus Christ mais dans laquelle toute l’humanité n’est pas encore entrée, et c’est cela qui reste à venir.
C’est ce « déjà accompli » qui nous fait dès maintenant « tressaillir de joie » comme dit Pierre ; les jours où nous sommes moroses sont peut-être bien ceux où nous perdons de vue cette grande nouvelle de Pâques : la grande nouvelle qui est que l’amour et la vie sont plus forts que toutes les haines et que la mort ; mais il est vrai que, dans certaines situations, cette certitude a tendance à s’estomper et notre foi est alors mise à l’épreuve ! Et la deuxième strophe le dit bien : « Vous êtes attristés pour un peu de temps encore par toutes sortes d’épreuves », dit Pierre. La suite de la lettre laisse entrevoir les difficultés dont il s’agit, probablement l’hostilité rencontrée par ces jeunes Chrétiens qui font figure de marginaux en monde païen.
La dernière strophe reprend ce thème de la foi dans le temps de l’attente ; Pierre, lui, a eu le privilège de connaître, de côtoyer longuement Jésus Christ, mais il s’adresse à des Chrétiens qui n’ont pas connu Jésus et il développe pour eux la béatitude que Jésus avait dite à Thomas « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » et il les encourage : « Vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire ».
Quand il emploie l’expression « une joie remplie de gloire » Pierre sait de quoi il parle, lui qui a eu le privilège d’assister à la transfiguration de Jésus : et sur le visage des Chrétiens, il retrouve un reflet de la lumière qui irradiait Jésus lui-même.
Cette insistance de Pierre sur la joie des chrétiens, une joie à la fois inexprimable et plus forte que toutes les épreuves passagères, résonne comme un appel ! Peut-être nos contemporains attendent-ils tout simplement de voir sur nos visages la joie de notre Baptême, un reflet de Jésus transfiguré ?
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Complément
Traditionnellement, ce dimanche s’appelait « in albis », ce qui veut dire « en vêtements blancs ». Car les nouveaux baptisés de la Nuit de Pâques avaient porté leur robe de Baptême pendant toute la semaine pascale. Et ce dimanche figurait pour eux comme une fête des baptisés.

EVANGILE – selon saint Jean 20,19-31

C’était après la mort de Jésus.
19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés,
ils seront maintenus. »
24 Or, l’un des Douze, Thomas,
appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
« Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara :
« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté,
non, je ne croirai pas ! »
26 Huit jours plus tard,
les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient,
alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d’eux.
Il dit :
« La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas :
« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d’être incrédule,
sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
« Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit :
« Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d’autres signes
que Jésus a faits en présence des disciples
et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là ont été écrits
pour que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE
« C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine », c’est-à-dire le dimanche : ce n’est pas seulement une précision matérielle que Saint Jean nous donne : c’est plutôt comme un clin d’oeil ; quand Jean écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés… cinquante ans que les Chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la Résurrection de Jésus. Le clin d’oeil, c’est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Le rassemblement des Chrétiens chaque dimanche en mémoire de la résurrection du Christ est né là. Ce rassemblement du dimanche était une caractéristique des Chrétiens dans le monde juif.
Car, pour les Juifs, depuis des siècles, le dimanche était un jour de travail comme les autres, le premier jour de la semaine ; c’est le septième jour, le samedi (le shabbat) qui était jour de fête, de repos, de rassemblement, de prière.
Or, c’est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s’est montré vivant à ses apôtres après sa Résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les Chrétiens, ce jour-là a pris un sens particulier. Ce premier jour de la semaine leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les Chrétiens comme le début de la nouvelle Création.
« Alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. ». Jean souligne le contraste : les disciples sont enfermés, ils ont peur et, humainement, on les comprend ! Si on a tué le Maître, on peut bien tuer les disciples. Cela ne souligne que mieux la liberté du Christ. Tout est verrouillé, cela n’a pas l’air d’être un problème pour lui ! Il ne connaît pas les verrous, mais surtout, il n’a pas l’air de connaître la peur !
Et, précisément, sa première parole, c’est « la Paix soit avec vous »… C’était le salut juif habituel… mais quand même c’est une étrange salutation après tout ce qu’on vient de vivre ! La crainte, l’angoisse des derniers mois avant l’arrestation de Jésus, l’horreur de sa Passion et de sa mort, la nuit du Jeudi, la journée du vendredi, et ce silence du samedi, une fois Jésus mis au tombeau … Est-ce qu’on peut être dans la Paix… comme si rien n’était arrivé ?
Et en même temps, c’est fou, mais c’est bien vrai quand même : Il est bel et bien vivant… et, pour le prouver, il montre ses plaies qui sont les marques de la crucifixion. Au passage, je remarque que les marques sont bien là dans ses mains, ses pieds, son côté : la Résurrection ne gomme donc pas la mort.
Alors, même si cela paraît fou, Saint Jean nous dit « les disciples furent remplis de joie ! » C’est inouï ce qui leur arrive ! Et, à ce moment-là, Saint Jean continue : « Jésus leur dit de nouveau : La Paix soit avec vous ». Alors, ils peuvent réellement être dans la Paix… non pas comme si rien n’était arrivé… mais malgré ce qui est arrivé : parce que cette Paix du Ressuscité est très au-delà de ce qui peut arriver !
UNE MISSION DE RECONCILIATION
« Ayant ainsi parlé, Jésus répandit sur eux son souffle, et il leur dit : Recevez l’Esprit-Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » On est frappés du lien entre le don de l’Esprit et la mission de réconciliation : dans la Bible, l’Esprit est toujours donné pour une mission ; et il n’y a pas d’autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.
C’est un ordre, un commandement que Jésus donne : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » Allez annoncer que les péchés sont remis, c’est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n’y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père sollicite votre collaboration pour cela. « Comme le Père m’a envoyé… » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c’est comme s’il nous disait : « Le Père m’a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ; annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon… à votre tour, je vous envoie pour la même mission. » Le seul péché, celui qui est la racine de tous les autres, c’est de ne pas croire à l’amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l’amour de Dieu.
Reste la phrase « Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c’est ignorer l’amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l’amour de Dieu et en vivent… Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez rempli votre mission… « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX COLOSSIENS, LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 117, RESURRECTION

Dimanche 9 avril 2023 : dimanche de Pâques : lecture et commentaires

Dimanche 9 avril 2023 : Dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 10,34a.37-43

En ces jours-là,
quand Pierre arriva à Césarée
chez un centurion de l’armée romaine,
34 il prit la parole et dit :
37 « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs
depuis les commencements en Galilée,
après le baptême proclamé par Jean :
38 Jésus de Nazareth,
Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance.
Là où il passait, il faisait le bien
et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
car Dieu était avec lui.
39 Et nous, nous sommes témoins
de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,
40 Dieu l’a ressuscité le troisième jour.
41 Il lui a donné de se manifester,
non pas à tout le peuple,
mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance,
à nous qui avons mangé et bu avec lui
après sa résurrection d’entre les morts.
42 Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner
que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts.
43 C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage :
quiconque croit en lui
reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

PIERRE, LE JUIF, CHEZ LE PAIEN CORNEILLE
Pierre est à Césarée sur Mer (il y avait là effectivement une garnison romaine), et il est entré dans la maison de Corneille, un officier romain. Comment en est-il arrivé là ? Et que vient-il y faire ? En fait, si Pierre est là, c’est parce qu’il a été quelque peu bousculé par l’Esprit Saint. Il faut relire le récit de la vision de Joppé dans ce même chapitre des Actes. D’autre part, peu de temps auparavant, Pierre vient d’accomplir deux miracles : il a guéri un homme, Enée, à Lydda, et ensuite, il a ressuscité une femme, Tabitha, à Joppé (on dirait aujourd’hui Jaffa ; Ac 9,32-43). Ces deux miracles lui ont prouvé que le Seigneur ressuscité était avec lui et agissait à travers lui. Car Jésus avait bien annoncé que, comme lui, et en son nom, les apôtres chasseraient les démons, guériraient les malades, et ressusciteraient les morts.
Ce sont ces deux miracles qui ont donné à Pierre la force de franchir l’étape suivante, qui est décisive : il s’agit cette fois d’un miracle sur lui-même, si l’on peut dire ! Car, pour la première fois, contrairement à toute son éducation, à toutes ses certitudes, Pierre, le Juif, franchit le seuil d’un païen, Corneille, le centurion romain ; il est vrai que Corneille est un païen très ami des Juifs, on dit qu’il est un « craignant Dieu » ; c’est-à-dire un converti à la religion juive mais qui n’est pas allé jusqu’à en adopter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Or la circoncision est la marque de l’Alliance ; donc un « craignant Dieu » reste un incirconcis, un païen. Et c’est chez ce païen, Corneille, que Pierre est entré et il y annonce la grande nouvelle : Jésus de Nazareth est ressuscité ! (Et, ce même jour, Corneille sera baptisé ainsi que toute sa famille.) Traduisez : l’Evangile est en train de déborder les frontières d’Israël !
On dit souvent que Paul est l’apôtre des païens, mais il faut rendre justice à Pierre : si l’on en croit les Actes des Apôtres, c’est lui qui a commencé, et à Césarée, justement, chez le centurion romain Corneille. Et ce que nous venons d’entendre, c’est donc le discours que Pierre a prononcé chez Corneille, en ce jour mémorable. Et sa dernière phrase est une véritable révolution : « Quiconque croit en lui (Jésus) reçoit par son nom le pardon de ses péchés. » Pierre vient de le comprendre : « Quiconque », cela veut dire « pas seulement les Juifs ». Même des païens peuvent entrer dans l’Alliance. Le salut a d’abord été annoncé à Israël, mais désormais il suffit de croire en Jésus-Christ pour recevoir le pardon de ses péchés, c’est-à-dire pour entrer dans l’Alliance avec Dieu. Et donc tout homme, même non-Juif (c’est le sens du mot « païen » ici), peut être baptisé au nom de Jésus. Visiblement, ce fut la grande découverte des premiers Chrétiens, Paul et Pierre y insistent tous les deux : il suffit de croire en Jésus pour être sauvé !
IL SUFFIT DE CROIRE EN JESUS POUR ETRE SAUVE
L’ensemble du discours de Pierre chez Corneille est révélateur de l’état d’esprit des Apôtres dans les années qui ont suivi la Résurrection de Jésus. Ils avaient été les témoins privilégiés des paroles et des gestes de Jésus, et ils avaient peu à peu compris qu’il était le Messie que tout le peuple attendait. Et puis, il y avait eu le Vendredi-Saint : Dieu avait laissé mourir Jésus de Nazareth ; certainement, Dieu n’aurait pas laissé mourir son Messie, son Envoyé ; leur déception avait été immense ; Jésus de Nazareth ne pouvait pas être le Messie.
Et puis ce fut le coup de tonnerre de la Résurrection : non, Dieu n’avait pas abandonné son Envoyé, il l’avait ressuscité. Et les Apôtres avaient eu de nombreuses rencontres avec Jésus vivant ; et maintenant, depuis l’Ascension et la Pentecôte, ils consacraient toutes leurs forces à l’annoncer à tous ; c’est très exactement ce que Pierre dit à Corneille : « Nous, (les Apôtres), nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour… Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »
Il restera pour les Apôtres une tâche immense : si la résurrection de Jésus était la preuve qu’il était bien l’Envoyé de Dieu, elle n’expliquait pas pourquoi il avait fallu passer par cette mort infâmante et cet abandon de tous. La plupart des gens attendaient un Messie qui serait un roi puissant, glorieux, chassant les Romains ; Jésus ne l’était pas. Quelques-uns imaginaient que le Messie serait un prêtre, il ne l’était pas non plus, il ne descendait pas de Lévi ; et l’on pourrait faire la liste de toutes les attentes déçues.
Alors les Apôtres ont entrepris un formidable travail de réflexion : ils ont relu toutes leurs Ecritures, la Loi, les Prophètes et les Psaumes, pour essayer de comprendre. Il a fallu tout ce travail de relecture, après la Pentecôte, à la lumière de l’Esprit Saint, pour arriver à dire, comme le fait Pierre ici : « C’est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage… Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts ».
Un autre aspect tout à fait remarquable de ce discours de Pierre, c’est son insistance pour dire que c’est Dieu qui agit ! Jésus de Nazareth était un homme apparemment semblable à tous les autres, mortel comme tous les autres… eh bien, Dieu agissait en lui et à travers lui : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance, Dieu était avec lui, Dieu l’a ressuscité, Dieu lui a donné de se manifester à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, Dieu l’a établi Juge des vivants et des morts… »
Et la phrase qui résume tout cela : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit-Saint et de puissance. » Désormais, Pierre vient de le comprendre, tout homme, Juif ou païen, peut grâce à Jésus-Christ être lui aussi consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force !

PSAUME – 117 (118),1.2,16-17.22-23

1 Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon !
Eternel est son amour !
2 Oui, que le dise Israël :
Eternel est son amour !

16 Le bras du SEIGNEUR se lève,
le bras du SEIGNEUR est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du SEIGNEUR.

22 La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle.
23 C’est là l’œuvre  du SEIGNEUR,
la merveille devant nos yeux.

JE VIVRAI, POUR ANNONCER LES ACTIONS DU SEIGNEUR
Si l’on ne veut pas faire d’anachronisme, il faut admettre que ce psaume n’a pas été écrit d’abord pour Jésus-Christ ! Comme tous les psaumes, il a été composé, des siècles avant le Christ, pour être chanté au Temple de Jérusalem. Comme tous les psaumes aussi, il redit toute l’histoire d’Israël, cette longue histoire d’Alliance : c’est cela qu’on appelle « l’œuvre  du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux … ». C’est l’expérience qui fait dire au peuple élu : oui, vraiment, l’amour de Dieu est éternel ! Dieu a accompagné son peuple tout au long de son histoire, et toujours il l’a sauvé de ses épreuves.
On a là un écho du chant de victoire que le peuple libéré d’Egypte a entonné après le passage de la Mer Rouge : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR, il est pour moi le salut » (Ex 15,1). Les mots « œuvre  » ou « merveille » sont toujours dans la Bible une allusion à la libération d’Egypte. Et quand je dis « allusion », le mot est trop faible, c’est un « faire mémoire » au sens fort de ressourcement dans la mémoire commune du peuple.
« Le bras du SEIGNEUR se lève, Le bras du SEIGNEUR est fort », c’est aussi un faire mémoire de la libération d’Egypte. Et cette oeuvre de libération de Dieu n’est pas seulement celle d’un jour, elle est permanente, on l’a sans cesse expérimentée. C’est vraiment d’expérience qu’Israël peut le dire : « Eternel est son amour ».
Et c’est cet amour éternel de Dieu qui fonde l’espérance : car, chaque fois qu’on chante les libérations du passé, c’est aussi et surtout pour y puiser la force d’attendre celles de l’avenir ; Dieu enverra son Messie et enfin on connaîtra le bonheur promis ; enfin le peuple élu et avec lui l’humanité tout entière connaîtront la paix et la justice. On en est loin encore quand ce psaume est composé… et aujourd’hui encore !
Mais notre lointain ancêtre qui écrit ce psaume sait que Dieu est capable de transformer toutes les situations, y compris les situations de mort en situations de vie : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR ». C’est l’action de grâce du peuple qui a frôlé la mort et rend grâce pour sa libération. A l’heure où ce psaume est écrit, cela ne signifie pas une croyance en la résurrection ; nous savons bien que la foi en la résurrection n’est apparue que très tardivement en Israël ; cette affirmation « Non, je ne mourrai pas, je vivrai » est une réelle profession de foi, mais d’un autre ordre : c’est la certitude que Dieu n’abandonnera jamais son peuple : même dans les pires situations, quand l’avenir du peuple est compromis, on sait de façon absolument certaine que Dieu le fera survivre. Car la vocation de ce peuple, c’est précisément de vivre pour « annoncer les actions du SEIGNEUR ».
LA PIERRE QU’ONT REJETEE LES BATISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE
Pour donner une idée de ces retournements que Dieu est capable d’opérer, on emprunte le langage des architectes : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Quand ce psaume est composé, ce n’est pas la première fois qu’on emploie l’image de la pierre angulaire pour parler de l’œuvre  de Dieu : Isaïe l’avait déjà fait (au chapitre 28).
Dans une période où la société de Jérusalem se dégradait, où régnaient partout le mensonge, l’injustice, la corruption, le mépris des commandements de Dieu, le prophète rappelait qu’on récolte ce qu’on a semé : une telle société court inévitablement à sa perte. Isaïe avait dit alors quelque chose comme ‘Vous vous appuyez sur du vent. Vous savez bien pourtant que le droit et la justice sont les seules valeurs sûres… Vous êtes comme des bâtisseurs qui choisiraient les plus mauvaises pierres pour faire les fondations ! Et qui rejetteraient systématiquement les bonnes pierres bien solides’ (traduisez les vraies valeurs).
Mais un prophète ne reste jamais sur du négatif ! Car Dieu n’abandonne jamais son peuple… La construction est mal engagée ? Les architectes auxquels il l’avait confiée ont mal travaillé ? Qu’à cela ne tienne… Dieu va reprendre lui-même la direction des opérations. Il va rétablir le droit et la justice à Jérusalem. Il le fera comme un architecte, il va en quelque sorte rebâtir sa ville ! Mais sur des bases saines, cette fois.
Voici ce passage d’Isaïe : « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Moi, dans Sion, je pose une pierre, une pierre à toute épreuve, choisie pour être une pierre d’angle, une véritable pierre de fondement. Celui qui croit ne s’inquiétera pas. Je prendrai le droit comme cordeau, et la justice comme fil à plomb. » (Is 28,16).
Notre psaume reprend cette image de la pierre angulaire et il la précise pour annoncer le retournement spectaculaire que Dieu va opérer. C’est sur toutes ces valeurs méprisées par les mauvais gouvernants que Dieu va bâtir une société nouvelle ; mieux, c’est de tous les petits, les humbles, les méprisés, qu’il va faire naître le peuple nouveau ! « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».
Jésus lui-même a cité à son propre sujet cette parole prophétique « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » dans la parabole des vignerons homicides (qui tuent le fils du propriétaire) ; on trouve cette parabole dans les trois évangiles synoptiques : ce qui prouve l’importance de ce thème dans la première génération chrétienne (Mt 21,33-46 ; Mc 12,1-12 ; Lc 20,9-19).
C’est donc tout naturellement que ce psaume est devenu l’exultation pascale par excellence. Le Christ est cette pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs : il est devenu la pierre d’angle, la pierre de fondation de l’humanité nouvelle. Désormais, l’humanité libérée de la mort peut chanter avec lui : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »

DEUXIEME LECTURE –

lettre de saint Paul apôtre aux Col 3,1-4 et aux Corinthiens 5,6b-8

 

La liturgie nous propose deux lectures au choix, mais il est très intéressant de les lire et de les méditer toutes les deux ensemble !
Lecture de quelques versets de saint Paul dans la lettre aux Colossiens et dans la 1ère lettre aux Corinthiens
 

Colossiens 3,1-4
1 Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ,
recherchez les réalités d’en haut :
c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu.
2 Pensez aux réalités d’en haut,
non à celles de la terre.
3 En effet, vous êtes passés par la mort,
et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
4 Quand paraîtra le Christ, votre vie,
alors vous aussi,
vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
————————————————-
1 Corinthiens 5,6b-8
Frères,
6 Ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit
pour que fermente toute la pâte ?
7 Purifiez-vous donc des vieux ferments
et vous serez une pâte nouvelle,
vous qui êtes le pain de la Pâque,
celui qui n’a pas fermenté.
Car notre agneau pascal a été immolé :
c’est le Christ.
8 Ainsi, célébrons la Fête,
non pas avec de vieux ferments,
non pas avec ceux de la perversité et du vice,
mais avec du pain non fermenté,
celui de la droiture et de la vérité.

RESSUSCITES AVEC LE CHRIST
Tout d’abord, il faut nous habituer au vocabulaire de saint Paul ; par exemple, nous pouvons être un peu surpris d’entendre : « Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ… vous êtes passés par la mort ». A vrai dire, si nous sommes là, vous et moi, aujourd’hui, c’est que nous sommes bien vivants… c’est-à-dire pas encore morts… et encore moins ressuscités ! Il faut croire que les mots n’ont pas le même sens pour Paul que pour nous ! Car, pour lui, depuis ce fameux matin de Pâques, plus rien n’est comme avant.
Autre problème de vocabulaire : « Pensez aux réalités d’en-haut, non à celles de la terre. » Il ne s’agit pas, en fait, de choses (qu’elles soient d’en-haut ou d’en-bas), il s’agit de conduites, de manières de vivre… Ce que Paul appelle les « réalités d’en-haut », il le dit dans les versets suivants, c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel… Ce qu’il appelle les réalités terrestres, c’est la débauche, l’impureté, la passion, la cupidité, la convoitise… Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ mais il nous reste à égrener cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.
Si on continuait la lecture, on trouverait cette expression : « Vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau » (Col 3,10) ; et un peu plus loin « puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » (Col 3,12). Il me semble que c’est le meilleur commentaire du passage que nous lisons aujourd’hui. « Vous avez revêtu », c’est déjà fait… « revêtez », c’est encore à faire.
Nous retrouvons cette tension dans tout le reste de la prédication de Paul et en particulier dans cette même lettre aux Colossiens : « Vous étiez jadis étrangers à Dieu, et même ses ennemis, par vos pensées et vos actes mauvais. Mais maintenant, Dieu vous a réconciliés avec lui, dans le corps du Christ… Cela se réalise si vous restez solidement fondés dans la foi, sans vous détourner de l’espérance que vous avez reçue en écoutant l’Évangile… que personne ne vous égare par des arguments trop habiles. Menez donc votre vie dans le Christ Jésus, le Seigneur, tel que vous l’avez reçu. Soyez enracinés, édifiés en lui, restez fermes dans la foi, comme on vous l’a enseigné… Prenez garde à ceux qui veulent faire de vous leur proie par une philosophie vide et trompeuse, fondée sur la tradition des hommes, sur les forces qui régissent le monde, et non pas sur le Christ… Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » (Col 1,21… 2,12).
PURIFIEZ-VOUS DES VIEUX FERMENTS
Il ne s’agit donc pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire ; sachant que cet « autrement » est désormais possible, car c’est l’Esprit-Saint qui nous en rend capables. Le même Paul dira à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Col 3,17). C’est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s’agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Il n’est pas question de dénigrer les réalités terrestres ! Dieu nous les a confiées, au contraire, à nous de les transfigurer.
C’est dans cet esprit que Paul nous invite à être une pâte nouvelle : « Purifiez-vous donc des vieux ferments et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. » Ici, il fait allusion au rite des Azymes ; chaque année, au moment où l’on s’apprête à partager l’agneau pascal, on prend bien soin de nettoyer les maisons de toute trace du levain de la récolte de l’année dernière ; le repas de la nuit pascale (le seder) est accompagné de galettes de pain non levé (le pain azyme) et dans la semaine qui suit on continue à manger du pain sans levain en attendant d’avoir pu laisser fermenter le levain nouveau.
Les deux rites de l’agneau pascal et des Azymes étaient liés dans la célébration de la Pâque ; et Paul les lie dans son raisonnement : « Purifiez-vous des vieux ferments… notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ. » Paul fait donc référence à toute la symbolique de la fête pascale juive et il l’applique à la Pâque des chrétiens ; il n’a pas une seconde l’impression de changer le sens de la fête juive en parlant de la Pâque du Christ : au contraire, il voit dans la Résurrection du Christ le parfait achèvement du combat de libération que rappelait chaque année la Pâque juive.
Pour Paul, c’est une évidence : en Jésus l’ancienne fête des Azymes n’a pas perdu sa signification ; au contraire, elle trouve son sens plénier : la Pâque des Chrétiens est bien la fête de la libération, mais, désormais, la libération est définitive. Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a triomphé des pires chaînes, celles de la mort et de la haine. Et cette libération est contagieuse ; comme dit Paul, « un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ». L’Esprit qui poursuit son œuvre  dans le monde fera irrésistiblement « lever » comme une pâte l’humanité entière.

EVANGILE – selon saint Jean 20,1-9

1 Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
3 Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
4 Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
5 En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges posés à plat,
7 ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
8 C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
9 Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Ecriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

LE TOMBEAU VIDE
Jean note qu’il faisait encore sombre : la lumière de la Résurrection a troué la nuit ; on pense évidemment au Prologue du même évangile de Jean : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée (littéralement ‘saisie’) » au double sens du mot « saisir », qui signifie à la fois « comprendre » et « arrêter » ; les ténèbres n’ont pas compris la lumière, parce que, comme dit Jésus également chez Saint Jean « le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité » (Jn 14,17) ; ou encore : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière » (Jn 3,19) ; mais, malgré tout, les ténèbres ne pourront pas l’arrêter, au sens de l’empêcher de briller ; c’est toujours Saint Jean qui nous rapporte la phrase qui dit la victoire du Christ : « Moi, je suis vainqueur du monde ! » (Jn 16,33).
Donc, « alors que ce sont encore les ténèbres », Marie de Magdala voit que la pierre a été enlevée du tombeau ; elle court trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, (on suppose qu’il s’agit de Jean lui-même) et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Evidemment, les deux disciples se précipitent ; vous avez remarqué la déférence de Jean à l’égard de Pierre ; Jean court plus vite, il est plus jeune, probablement, mais il laisse Pierre entrer le premier dans le tombeau.
« Pierre entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Leur découverte se résume à cela : le tombeau vide et les linges restés sur place ; mais quand Jean entre à son tour, le texte dit : « C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Pour Saint Jean, ces linges sont des pièces à conviction : ils prouvent la Résurrection ; au moment même de l’exécution du Christ, et encore bien longtemps après, les adversaires des Chrétiens ont répandu le bruit que les disciples de Jésus avaient tout simplement subtilisé son corps. Saint Jean répond : ‘Si on avait pris le corps, on aurait pris les linges aussi ! Et s’il était encore mort, s’il s’agissait d’un cadavre, on n’aurait évidemment pas enlevé les linges qui le recouvraient.’
Ces linges sont la preuve que Jésus est désormais libéré de la mort : ces deux linges qui l’enserraient symbolisaient la passivité de la mort. Devant ces deux linges abandonnés, désormais inutiles, Jean vit et il crut ; il a tout de suite compris. Quand Lazare avait été ramené à la vie par Jésus, quelques jours auparavant, il était sorti lié ; son corps était encore prisonnier des chaînes du monde : il n’était pas un corps ressuscité ; Jésus, lui, sort délié : pleinement libéré ; son corps ressuscité ne connaît plus d’entrave.
La dernière phrase est un peu étonnante : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. »
CROIRE POUR ENTRER DANS L’INTELLIGENCE DES ECRITURES
Jean a déjà noté à plusieurs reprises dans son évangile qu’il a fallu attendre la Résurrection pour que les disciples comprennent le mystère du Christ, ses paroles et son comportement. Au moment de la Purification du Temple, lorsque Jésus avait fait un véritable scandale en chassant les vendeurs d’animaux et les changeurs, l’évangile de Jean dit : « Quand il (Jésus) se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite. » (Jn 2,22). Même chose lors de son entrée triomphale à Jérusalem, Jean note : « Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment ; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui : c’était bien ce qu’on lui avait fait. » (Jn 12,16).
Mais soyons francs : vous ne trouverez nulle part dans toute l’Ecriture une phrase pour dire que le Messie ressuscitera. Au bord du tombeau vide, Pierre et Jean ne viennent donc pas d’avoir une illumination comme si une phrase précise, mais oubliée, de l’Ecriture revenait tout d’un coup à leur mémoire ; mais, d’un trait, c’est l’ensemble du plan de Dieu qui leur est apparu ; comme dit Saint Luc à propos des disciples d’Emmaüs, leurs esprits se sont ouverts à « l’intelligence des Ecritures ».
« Il vit et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts… » C’est parce que Jean a cru que l’Ecriture s’est éclairée pour lui : jusqu’ici combien de choses de l’Ecriture lui étaient demeurées obscures ; mais parce que, tout d’un coup, il donne sa foi, sans hésiter, alors tout devient clair : il relit l’Ecriture autrement et elle lui devient lumineuse. L’expression « il fallait » dit cette évidence. Comme disait Saint Anselme, il ne faut pas comprendre pour croire, il faut croire pour comprendre.
A notre tour, nous n’aurons jamais d’autre preuve de la Résurrection du Christ que ce tombeau vide… Dans les jours qui suivent, il y a eu les apparitions du Ressuscité. Mais aucune de ces preuves n’est vraiment contraignante… Notre foi devra toujours se donner sans autre preuve que le témoignage des communautés chrétiennes qui l’ont maintenue jusqu’à nous. Mais si nous n’avons pas de preuves, nous pouvons vérifier les effets de la Résurrection : la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l’Esprit, comme dit Paul, est la plus belle preuve que Jésus est bien vivant !
——————
Compléments
– Jusqu’à cette expérience du tombeau vide, les disciples ne s’attendaient pas à la Résurrection de Jésus. Ils l’avaient vu mort, tout était donc fini… et, pourtant, ils ont quand même trouvé la force de courir jusqu’au tombeau… A nous désormais de trouver la force de lire dans nos vies et dans la vie du monde tous les signes de la Résurrection. L’Esprit nous a été donné pour cela. Désormais, chaque « premier jour de la semaine », nous courons, avec nos frères, à la rencontre mystérieuse du Ressuscité.
– C’est Marie-Madeleine qui a assisté la première à l’aube de l’humanité nouvelle ! Marie de Magdala, celle qui avait été délivrée de sept démons… elle est l’image de l’humanité tout entière qui découvre son Sauveur. Mais, visiblement, elle n’a pas compris tout de suite ce qui se passait : là aussi, elle est bien l’image de l’humanité !
Et, bien qu’elle n’ait pas tout compris, elle est quand même partie annoncer la nouvelle aux apôtres et c’est parce qu’elle a osé le faire, que Pierre et Jean ont couru vers le tombeau et que leurs yeux se sont ouverts. A notre tour, n’attendons pas d’avoir tout compris pour oser inviter le monde à la rencontre du Christ ressuscité.

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Dimanche 29 mai 2022 : 7ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 29 mai 2022 : 7ème dimanche de Pâques

holy-trinity

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 7,55-60

En ces jours-là,
Étienne était en face de ses accusateurs.
55   Rempli de l’Esprit Saint,
il fixait le ciel du regard :
il vit la gloire de Dieu,
et Jésus debout à la droite de Dieu.
56   Il déclara :
« Voici que je contemple les cieux ouverts
et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. »
57    Alors ils poussèrent de grands cris
et se bouchèrent les oreilles.
Tous ensemble, ils se précipitèrent sur lui,
58    l’entraînèrent hors de la ville
et se mirent à le lapider.
Les témoins avaient déposé leurs vêtements
aux pieds d’un jeune homme appelé Saul.
59  Étienne, pendant qu’on le lapidait, priait ainsi :
« Seigneur Jésus, reçois mon esprit. »
60    Puis, se mettant à genoux, il s’écria d’une voix forte :
« Seigneur, ne leur compte pas ce péché. »
Et, après cette parole, il s’endormit dans la mort.

ETIENNE, FACE A SES ACCUSATEURS
Etienne a été dénoncé exactement comme Jésus et pour les mêmes raisons ; rien d’étonnant ! Ce qui avait été scandaleux pour les ennemis de Jésus l’est tout autant pour ceux d’Etienne. Il sera donc condamné lui aussi. En attendant, il est traîné devant le Sanhédrin où le grand-prêtre l’interroge ; et Etienne répond par tout un discours sur le thème : vous croyez au projet de Dieu qui a choisi notre peuple pour préparer la venue du Messie dans le monde. Vous croyez à Abraham, vous croyez à Moïse… Pourquoi vous dérobez-vous au moment où nous entrons avec Jésus dans la dernière étape ?
Il faut imaginer l’énormité de ces déclarations d’Etienne : il prétend voir le Fils de l’homme (et pour lui, il ne fait pas de doute que c’est Jésus) debout à la droite de Dieu. Or, pour des Juifs, les mots « Fils de l’homme », « debout », « à la droite de Dieu » sont des mots très forts : la preuve, d’ailleurs, c’est qu’ils signent l’arrêt de mort de celui qui ose dire des choses pareilles. Comme, quelque temps plus tôt, des affirmations du même genre ont provoqué la condamnation de Jésus. Dans l’évangile de Luc, il avait dit à ses juges : « Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu » (Lc 22,69). Et il avait provoqué la fureur du tribunal.
Et, pour tout arranger, Etienne accuse ses juges de « résister à l’Esprit Saint » (Ac 7,52). Ce qui évidemment n’est pas pour leur faire plaisir ! Nous avons eu déjà de nombreuses occasions de voir que les autorités juives d’Israël au temps de Jésus (et tout aussi bien au temps d’Etienne, ce sont les mêmes) étaient des gens très bien, soucieux de bien faire. Ils ne sont en aucun cas, conscients de « résister à l’Esprit Saint », comme dit Etienne !
Depuis des siècles, on savait que le projet de Dieu était de répandre son Esprit sur toute l’humanité. Moïse, déjà, en rêvait : non seulement il ne voulait pas garder le monopole de l’intimité avec Dieu, mais au contraire, il avait eu cette phrase qui était restée célèbre : « Ah ! Si le SEIGNEUR pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le SEIGNEUR pouvait mettre son esprit sur eux ! » (Nb 11,29). Et les prophètes avaient confirmé que c’était bien le projet de Dieu : tous les Juifs avaient en tête la prophétie de Joël par exemple : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair » (Jl 3,1), ou encore celle d’Ezéchiel : « Je mettrai en vous mon esprit » (Ez 36,27).
Au chapitre précédent du livre des Actes des Apôtres, au moment du choix des diacres, dont Etienne fait partie, Luc nous a dit qu’Etienne, justement, était « un homme rempli de foi et d’Esprit Saint » (Ac 6,5). Ici, Luc le répète : il dit : « Rempli de l’Esprit Saint, Etienne fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu. Il déclara : ‘Voici que je contemple les cieux ouverts’ »… fixer ses regards, voir, contempler, ce sont trois mots du vocabulaire du regard. Luc nous dit indirectement que c’est la présence de l’Esprit en lui qui ouvre les yeux d’Etienne ; et alors il peut voir ce que les autres ne voient pas. Et que voit-il que les autres, ses accusateurs, ne voient pas ?
« VOICI QUE JE CONTEMPLE LES CIEUX OUVERTS »
Il voit « les cieux ouverts » : cela revient à dire que le salut est arrivé ; il n’y a plus de frontière, de séparation entre le ciel et la terre : l’Alliance entre Dieu et l’humanité est rétablie, le fossé entre Dieu et l’humanité est comblé. On se souvient de la phrase d’Isaïe : « Ah, si tu déchirais les cieux ! » (Is 63,19).
Jésus est debout : le Ressuscité n’est plus couché dans la mort. Le mot « debout » était très symbolique dans les premiers temps de l’Eglise : à tel point que la position « debout » est devenue la position privilégiée de la liturgie ; celui qui prie, « l’orant » est toujours représenté debout. Pour la même raison, certains évêques des premiers siècles invitaient les fidèles à rester debout pendant toute la durée de la messe du dimanche : parce que c’est le jour où nous faisons mémoire de la résurrection de Jésus.1
Jésus est « à la droite de Dieu » : on disait des rois qu’ils siégeaient à la droite de Dieu ; appliquer cette expression à Jésus, c’est donc une manière de dire qu’il est le Messie. Les juges qui entendent cette phrase dans la bouche d’Etienne ne s’y trompent pas. Dire qu’il est le « Fils de l’homme » est tout aussi grave. L’expression « Fils de l’homme » était l’un des titres du Messie. En quelques mots, Etienne vient donc de dire que Jésus, cet homme méprisé, éliminé, rejeté par les autorités religieuses est dans la gloire de Dieu. Ce qui revient à les accuser d’avoir commis non seulement une erreur judiciaire, mais pire encore, un sacrilège !
Cette vision qu’a eue Etienne de la gloire du Christ va lui donner la force d’affronter le même destin que son maître : Luc accumule les détails de ressemblance entre les derniers moments d’Etienne et ceux de Jésus. Etienne est traîné hors de la ville tout comme le Calvaire était en dehors de Jérusalem ; pendant qu’on le lapide, il prie : et spontanément il redit le même psaume que Jésus : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Ps 30/31) ; et enfin, il meurt en pardonnant à ses bourreaux. Jésus avait dit « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », Etienne, au moment de mourir, dit à son tour « Seigneur, ne leur compte pas ce péché » (et c’est bien le même auteur, Luc, qui le note).
Et Luc, dont on dit souvent qu’il est l’évangéliste de la miséricorde, nous montre la fécondité de ce pardon : l’un des bénéficiaires du pardon d’Etienne est Saül de Tarse, l’un des pires opposants au Christianisme naissant. Il se convertira bientôt pour devenir témoin et martyr à son tour.
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Note
1 – « L’usage de ne pas plier les genoux pendant le jour du Seigneur est un symbole de la résurrection par laquelle nous avons été libérés, grâce au Christ, des péchés et de la mort qui a été mise à mort par lui. » (Saint Irénée, Traité sur la Pâque, deuxième siècle). « C’est debout que nous faisons la prière le premier jour de la semaine, mais nous n’en savons pas tous la raison. Ce n’est pas seulement parce que, ressuscités avec le Christ et devant « chercher les choses d’en haut » (Col 3,1), nous rappelons à notre souvenir, en nous tenant debout quand nous prions en ce jour consacré à la Résurrection, la grâce qui nous a été donnée, mais parce que ce jour-là paraît être en quelque sorte l’image du siècle à venir… » (Saint Basile, Traité du saint Esprit, quatrième siècle).

PSAUME – 96 (97), 1-2b,6-7c,9

1 Le SEIGNEUR est roi ! Exulte la terre !
Joie pour les îles sans nombre !
2 Justice et droit sont l’appui de son trône.

6 Les cieux ont proclamé sa justice,
et tous les peuples ont vu sa gloire.
7 A genoux devant lui, tous les dieux !

9 Tu es, SEIGNEUR, le Très-Haut
sur toute la terre :
tu domines de haut tous les dieux.

LE SEIGNEUR EST ROI !
Bien sûr, aujourd’hui, à la lumière de la résurrection du Christ, quand nous disons « le SEIGNEUR est roi », nous le pensons de Jésus-Christ. Mais ce psaume a d’abord été composé pour célébrer le Dieu d’Israël ; je vous propose donc de le méditer tel qu’il a été composé.
« Le SEIGNEUR est roi ! » Dès les premiers mots de ce psaume, nous savons qu’il a été composé pour honorer Dieu comme le seul roi, le roi devant lequel tous les roitelets de la terre doivent courber la tête ! Dieu est le seul Dieu, le seul Seigneur, le seul roi… Si les psaumes et les prophètes y insistent tant, on devine que cela n’allait pas de soi ! La lutte contre l’idolâtrie a été le grand combat de la foi d’Israël. Nous avons entendu ici : « A genoux devant lui, tous les dieux ! »  et encore : « Tu domines de haut tous les dieux ».
Entendons-nous bien : ces phrases ne sont pas une reconnaissance qu’il y aurait d’autres dieux même inférieurs !… Au moment où ce psaume est écrit, la Bible en a fini avec toute trace de polythéisme : « Ecoute, Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN », c’est le premier article du credo juif. Des phrases comme « à genoux devant lui, tous les dieux » ou « tu domines de haut tous les dieux » sont parfaitement claires dans la mentalité biblique : un seul être au monde mérite qu’on se mette à genoux devant lui, c’est Dieu, le Dieu d’Israël, le seul Dieu. Toutes les génuflexions qu’on peut faire devant d’autres que Dieu ne sont que de l’idolâtrie.
C’est bien d’ailleurs pour cela que Jésus a été condamné et exécuté : il a osé se prétendre Dieu lui-même ; c’est donc un blasphémateur et tout blasphémateur doit être retranché du peuple élu ; élu précisément pour annoncer au monde le Dieu unique.
Il faut dire que tous les peuples alentour sont polythéistes. Même la réforme religieuse du pharaon Akhénaton, vers 1350 av. J. C. n’a pas instauré un monothéisme strict : jamais Akhénaton n’a envisagé un seul dieu régissant l’univers entier. Le peuple élu a donc été en permanence tout au long de l’histoire biblique, au contact de peuples polythéistes, idolâtres. Et sa foi a chancelé plus d’une fois… à ce moment-là les prophètes comparaient Israël à une épouse infidèle ; ils la traitaient d’adultère, de prostituée… mais aussi et en même temps, chaque fois, ils assuraient le peuple élu du pardon de Dieu.
Une autre trace dans la Bible de cette lutte contre l’idolâtrie, ce sont toutes les ressources dont les écrivains disposent pour affirmer que Dieu est Unique. Pour moi, l’exemple le plus frappant est le premier chapitre de toute la Bible, le premier récit de la Création dans le premier chapitre de la Genèse. Ce texte a été écrit par les prêtres pendant l’Exil à Babylone, donc au sixième siècle av. J.C. A cette époque-là, à Babylone, on croit que le ciel est peuplé de dieux, rivaux entre eux, d’ailleurs, et ceux qui ont décidé de fabriquer l’homme ont bien l’intention d’en faire leur esclave : le bonheur de l’homme est le dernier de leurs soucis. Ils imaginent que la création a été faite à partir des restes du cadavre d’une divinité monstrueuse et l’homme lui-même est un mélange : il est mortel, mais il renferme une parcelle divine qui provient du cadavre d’une divinité mauvaise.
EXULTE, LA TERRE !
Les prêtres d’Israël vont donc se démarquer très fort de ces représentations qui sont aux antipodes du projet de Dieu. Pour commencer, on va répéter que la Création n’est que bonne : pas de mélange monstrueux à partir du cadavre d’un dieu mauvais vaincu ; c’est pourquoi, génialement, on a inséré ce refrain « et Dieu vit que cela était bon ». Ensuite, pour bien affirmer qu’il n’y a qu’un dieu, sans équivoque possible, pour qu’on ne soit pas tenté d’honorer le soleil comme un dieu, ou la lune comme une déesse, on ne va même pas les nommer : le texte dit :
« Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit » (Gn 1,16). Ils sont réduits à leur fonction utilitaire : deux ampoules en somme. Les voilà remis à leur place, si l’on peut dire ! Et enfin et surtout, Dieu crée l’homme à son image et à sa ressemblance et il en fait le roi de la création : l’homme à l’image de Dieu, il fallait bien une révélation pour qu’on puisse oser y croire !
Je reviens à notre psaume : je note encore une chose très intéressante, c’est la juxtaposition des deux parties de la première ligne : « Le SEIGNEUR est roi ! Exulte la terre ! » Ce qui veut dire que la royauté de Dieu s’étend à toute la terre et cela pour le bonheur et l’exultation de toute la terre ! Une fois de plus, nous rencontrons cette note d’universalisme si importante dans la découverte biblique. Les versets que nous avons entendus tout à l’heure en sont très marqués ; par exemple : « Joie pour les îles sans nombre !… Tous les peuples ont vu sa gloire. » Dans d’autres versets c’est la notion de l’élection d’Israël qui est une fois de plus elle aussi réaffirmée : « Pour Sion qui entend, grande joie ! Les villes de Juda exultent devant tes jugements, SEIGNEUR ! » Ces deux aspects élection d’Israël, et salut de l’humanité tout entière sont toujours liés dans les textes bibliques tardifs, c’est-à-dire à partir du moment où on a cru vraiment au Dieu unique. S’il est le Dieu unique, il est également celui de l’humanité tout entière, ce qu’on appelle ici les îles sans nombre.
Autre dimension très présente, elle aussi, la joie : elle éclate dans ce psaume, mais j’ose dire que l’ensemble de la Bible est un livre joyeux, parce qu’elle annonce de mille manières que le projet de Dieu est le bonheur de l’humanité. Et c’est précisément parce que le projet de Dieu sur l’humanité est un projet de joie et d’exultation que des croyants comme Etienne dont nous parlait la première lecture ont pu mourir en disant en toute confiance « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ».
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Complément
Dans d’autres versets de ce psaume, une autre façon de marquer la grandeur unique de Dieu consiste à décrire de grands bouleversements cosmiques lorsqu’il apparaît : feu, éclairs, nuage, ténèbre, tremblements de terre ; (exemple versets 4-5 : « Quand ses éclairs illuminèrent le monde, la terre le vit et s’affola ; les montagnes fondaient comme cire devant le SEIGNEUR… »). Lorsqu’on rencontre une description de ce genre, c’est toujours pour une oreille juive un rappel de la grande rencontre de Moïse avec Dieu sur le mont Sinaï.

DEUXIEME LECTURE – Apocalypse de Saint Jean 22,12-14.16-17.20

Moi, Jean,
j’ai entendu une voix qui me disait :
12 « Voici que je viens sans tarder,
et j’apporte avec moi le salaire
que je vais donner à chacun selon ce qu’il a fait.
13 Moi, je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier,
le commencement et la fin.
14 Heureux ceux qui lavent leurs vêtements :
ils auront droit d’accès à l’arbre de la vie,
et, par les portes, ils entreront dans la ville.
16 Moi, Jésus, j’ai envoyé mon ange
vous apporter ce témoignage au sujet des Eglises.
Moi, je suis le rejeton, le descendant de David,
l’étoile resplendissante du matin. »
17 L’Esprit et l’Epouse disent : « Viens ! »
Celui qui entend, qu’il dise : « Viens ! »
Celui qui a soif, qu’il vienne.
Celui qui le désire,
qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement.
20 Et celui qui donne ce témoignage déclare :
« Oui, je viens sans tarder. »
– Amen ! Viens, Seigneur Jésus !

L’APOTHEOSE DE L’HISTOIRE HUMAINE
Ce texte solennel est le final de l’Apocalypse : ce mot de « final » nous vient spontanément et au fond, il peut nous aider à entrer dans ce passage à première vue énigmatique. Dans une œuvre  symphonique, le final c’est l’apothéose, mais tout était déjà contenu dans le début de l’œuvre , ce qu’on appelle l’ouverture. Ici, c’est particulièrement vrai. Les mêmes mots, les mêmes formules se répondent dans le premier et le dernier chapitres de l’Apocalypse : si bien qu’on peut vraiment parler d’une inclusion sur l’ensemble du livre ; (nous avons déjà rencontré plusieurs fois ce procédé littéraire « d’inclusion » utilisé pour mettre en valeur ce qui est la bonne nouvelle contenue dans un texte). Plusieurs versets sont donc pratiquement identiques dans le premier et dans le dernier chapitres ; par exemple : « Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil  le verra » du premier chapitre (Ap 1,7) est repris en écho : « Oui, je viens sans tarder » (22,20) ; et aussi dans l’un des derniers mots du livre, ce fameux « Viens, Seigneur Jésus » que nous redisons à chaque messe, dans l’acclamation après la consécration.
Nous retrouvons également ici dans les dernières lignes de l’Apocalypse les expressions « Je suis le Premier et le Dernier » (1,17)… « Je suis l’alpha et l’oméga » (1,8)… tout comme nous les avions lues dans le premier chapitre. Cela bien sûr nous aide à décrypter ce livre un peu étrange comme un chant de victoire ! Le final de l’Apocalypse, c’est effectivement l’apothéose, le projet de Dieu enfin accompli : « l’étoile resplendissante du matin » se lève. Tous les assoiffés peuvent s’approcher et boire l’eau de la vie. Toute soif est comblée, la mort même a disparu : puisqu’il s’agit de l’eau de la vie… et d’ailleurs le texte dit également que l’on peut s’approcher des fruits de l’arbre de vie.
Les temps messianiques sont donc bien là ; Saint Jean affirme très clairement que Jésus est le Messie : « Moi, Jésus, je suis le rejeton, le descendant de David, l’étoile resplendissante du matin ». Ou encore, dire solennellement qu’il VIENT, c’est aussi affirmer qu’il est le Messie : rappelons-nous la fameuse phrase « Béni soit celui qui VIENT au nom du SEIGNEUR » qui était l’une des acclamations de la fête des Tentes (voir le psaume 117/118,26).
Celui qui vient au nom du Seigneur, c’est le Messie. Et si l’on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que notre passage de ce dimanche contient deux fois la phrase : « Voici que je viens sans tarder » : au début et à la fin de notre texte ; autre inclusion, qui n’est pas due au hasard, évidemment : cela veut dire que c’est bien le message central de ce passage.
VIENS, SEIGNEUR JESUS
Plus magnifiquement encore que ce qu’on attendait, ce Messie est Dieu : ce que personne n’aurait jamais osé imaginer ! Pourtant, nous rencontrons plusieurs fois ici le fameux « Je suis » qui est le nom même de Dieu dans l’Ancien Testament (Ex 3,14). C’est aussi le sens de la triple expression « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » : le chiffre trois, on s’en souvient, évoque Dieu.
Et d’ailleurs, chez le prophète Isaïe, la formule « le premier et le dernier » s’appliquait à Dieu et à lui seul : « Je suis le premier et je suis le dernier, hors moi, pas de Dieu » (Is 44,6) ; ou encore « Moi, Je suis ; je suis le Premier, et je suis le Dernier » (Is 48,12). L’expression « l’alpha et l’oméga » est évidemment synonyme : on le sait, alpha et oméga sont la première et la dernière lettres de l’alphabet grec (n’oublions pas que le livre de l’Apocalypse a été écrit en grec).1
Dans toutes ces expressions, il y a donc une notion de plénitude, d’accomplissement : un accomplissement qui vient sans tarder, à la demande insistante de l’Esprit et de l’Epouse : « L’Esprit et l’Epouse disent : Viens ! » L’Epouse, ici, bien sûr, c’est le peuple chrétien, l’Eglise. On entend résonner ici la phrase de Saint Paul : « L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables… » (Rm 8,26). Le peuple chrétien est le peuple de l’attente. Une attente impatiente, une attente ardente, une attente active de la réalisation plénière du Royaume de Dieu. En principe, c’est notre première caractéristique.
On pense également à cette phrase de Pierre dans sa deuxième lettre : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, Car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3,9). On ne s’étonne pas de retrouver sous la plume de Pierre, de Paul, et de Jean, tous les trois Juifs d’origine, tous les trois disciples du Christ, les mêmes méditations sur le grand projet de Dieu révélé à Israël et accompli en Jésus-Christ.
Dernière remarque : l’Apocalypse est également le final de toute la Bible ! Et on peut découvrir des correspondances entre les déclarations de l’Apocalypse et le livre de la Genèse : le premier chapitre de la Genèse disait la Création, le projet de Dieu, Adam, (c’est-à-dire l’humanité) vivant en harmonie et roi de la création… le final de l’Apocalypse nous montre ce projet de Dieu réalisé en la personne du Christ, le Nouvel Adam. Quand, au dernier jour, le projet de Dieu se réalisera enfin pour tous les fils d’Adam, alors l’humanité tout entière pourra redire le dernier mot du récit de la Création, dans la Genèse : « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon ! » (Gn 1,31). En définitive, d’un bout à l’autre de l’Apocalypse, Jean nous a fait méditer sur ce grand projet de Dieu : déjà réalisé pleinement en Jésus-Christ et en cours de réalisation pour nous. Comme dit Paul « La Création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » (Rm 8,22).
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Note
1 – Les auteurs bibliques sont familiers de ce genre de « jeux de lettres » : il suffit de penser aux psaumes alphabétiques, ces psaumes dont chaque ligne ou chaque verset commence par une lettre de l’alphabet dans l’ordre (nous en avons déjà rencontré plusieurs fois). Cela veut dire que Dieu est tout pour nous, que la vie dans l’Alliance est toute notre vie, tout notre bonheur, de A à Z.
Complément
Le verset 12 présente une difficulté : « Voici que je viens sans tarder, et j’apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu’il a fait. » Ce mot de « salaire » est ambigu et risque de nous ramener à une fausse image de Dieu, l’idée d’un Dieu comptable et punisseur ; alors qu’il s’agit là tout simplement d’un mot d’encouragement.

EVANGILE – selon Saint Jean 17,20-26

En ce temps-là,
les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
20  « Père saint,
je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là,
mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi.
21   Que tous soient un,
comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi.
Qu’ils soient un en nous, eux aussi,
pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
22   Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée,
pour qu’ils soient un comme nous sommes UN :
23   moi en eux, et toi en moi.
Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un,
afin que le monde sache que tu m’as envoyé,
et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24    Père,
ceux que tu m’as donnés,
je veux que là où je suis,
ils soient eux aussi avec moi,
et qu’ils contemplent ma gloire,
celle que tu m’as donnée
parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde.
25    Père juste,
le monde ne t’a pas connu,
mais moi je t’ai connu,
et ceux-ci ont reconnu
que tu m’as envoyé.
26     Je leur ai fait connaître ton nom,
et je le ferai connaître,
pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux,
et que moi aussi, je sois en eux. »

POUR QUE LE MONDE CROIE
Nous sommes à la fin du dernier entretien de Jésus avec ses apôtres quelques heures avant sa mort. L’entretien prend maintenant la forme d’une prière : il prie devant eux ; cela veut dire qu’il les fait entrer dans son intimité ; il leur fait partager ses désirs les plus profonds. Or de qui parle-t-il le plus dans sa prière ? Il parle du monde ; ce qu’il veut de toutes ses forces, c’est que le monde croie : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » Un peu plus tard, il répète : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé. » Et pourquoi est-il si important que le monde reconnaisse en Jésus l’envoyé du Père ?* Parce qu’alors seulement le monde saura combien Dieu l’aime. L’envoi de son Fils est la plus belle preuve d’amour que Dieu peut donner au monde : « Que le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » C’est bien le même Saint Jean qui rapporte la phrase de Jésus à Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » (Jn 3,16).
A relire ces lignes, on est frappés de l’insistance de Jésus sur les mots amour et unité ; une fois de plus, il faut reconnaître que l’histoire de Dieu avec les hommes est une grande aventure, une histoire d’amour. Dieu est Amour, il aime les hommes, et il envoie son Fils pour le leur dire de vive voix ! C’est bien ce que Jésus dira quelques heures plus tard à Pilate, au cours de son interrogatoire : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » (Jn 18,37)
Au moment de s’en aller, de passer de ce monde à son Père, comme dit Jean, Jésus transmet le témoin à ses disciples, et à travers eux à tous les disciples de tous les temps : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. » Désormais, c’est à eux que le témoignage est confié ; Jésus l’a dit quelques instants auparavant : « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » (Jn 17,18). Il le leur redira le soir de Pâques : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » (Jn 20,21). Comme tous ceux qui, avant eux, tout au long de l’histoire biblique, ont été choisis par Dieu, ceux-ci sont choisis pour une mission ; et cette mission est toujours la même pour tous les prophètes de tous les temps : annoncer que Dieu aime les hommes. A la suite de Jésus-Christ, tout Chrétien peut dire ou devrait pouvoir dire : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » Cette vérité qui est l’amour sans limites de Dieu pour l’humanité, ou, si vous préférez, ce fameux « dessein bienveillant » dont parle la lettre aux Ephésiens.
LE DRAME DE LA MECONNAISSANCE
Mais, voilà, il y a quand même une chose étrange dans tout cela : on peut se demander en quoi ce message est-il si dérangeant que Jésus l’ait payé de sa vie, comme de nombreux prophètes avant lui et ses apôtres ensuite. Jésus aborde précisément cette question dans les dernières phrases de notre texte de ce dimanche ; il dit : « Père juste, le monde ne t’a pas connu. » Pour lui, l’explication est là, c’est le drame de la méconnaissance. C’est cette méconnaissance de l’amour de Dieu qui est la racine du malheur de l’humanité, méditait déjà le livre de la Genèse. Et le prophète Isaïe notait : « Le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne la crèche de son maître. Israël ne le connaît pas, mon peuple ne comprend pas »** (Is 1,3). C’est bien ce que Saint Jean dit dans le prologue de son évangile : « Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1,10-11).
Comme Jésus, les disciples vivront ce déchirement, ce drame du refus par ceux à qui ils annonceront pourtant la meilleure nouvelle qui soit. Le monde est l’objet de l’amour de Dieu et de ses prophètes mais aussi et en même temps le lieu du refus de cet amour. Jésus a exprimé ce drame à plusieurs reprises : d’une part, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » (3,16…17 ; 12,47). D’autre part, « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contre moi…Mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (15,18 ; 16,33).
C’est sur ce cri de victoire qu’il nous faut rester : nous savons que le chant d’amour de Dieu pour l’humanité finira bien par être entendu. A l’instant même où Jésus fait cette grande prière, où il se confie ainsi à son Père devant ses disciples, il sait bien qu’il est déjà exaucé ; lui qui a dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours… » (Jn 11,41-42). C’est seulement pour hâter le jour qu’il insiste tant sur la consigne d’unité qu’il donne à ses envoyés : « Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé ».
Jusqu’au jour où l’ange fera sonner sa trompette pour annoncer « Le royaume du monde est maintenant à notre Seigneur et à son Christ et il régnera pour les siècles des siècles. » (Ap 11,15).
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Note
1 – C’est pour cela que Jean attache de l’importance au sens du nom de la piscine de Siloé : cela signifie « L’Envoyé », justement. Et Jean le fait remarquer au moment où il guérit l’aveugle de naissance et reproche leur aveuglement spirituel à ceux qui refusent de croire en lui. (Jn 9).
2 – En écho à cette prédication d’Isaïe, une légende chrétienne datée approximativement du septième siècle de notre ère (l’Evangile du Pseudo-Matthieu) raconte qu’à l’arrivée de l’enfant-Jésus dans leur étable, l’âne et le bœuf se sont agenouillés pour l’adorer. Ce serait l’origine de la présence de ces deux animaux dans nos crèches, comme une invitation à adorer à notre tour.

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, APOCALYPSE DE SAINT JEAN, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 66

Dimanche 22 mai 2022 : 6èmedimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 22 mai 2022 : 6ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 15,1-2.22-29

En ces jours-là,
1 des gens, venus de Judée à Antioche,
enseignaient les frères en disant :
« Si vous n’acceptez pas la circoncision
selon la coutume qui vient de Moïse,
vous ne pouvez pas être sauvés. »
2 Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion
engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là.
Alors on décida que Paul et Barnabé,
avec quelques autres frères,
monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens
pour discuter de cette question.
22 Les Apôtres et les Anciens
décidèrent avec toute l’Église
de choisir parmi eux
des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé.
C’étaient des hommes
qui avaient de l’autorité parmi les frères :
Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas.
23 Voici ce qu’ils écrivirent de leur main :
« Les Apôtres et les Anciens, vos frères,
aux frères issus des nations,
qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie,
salut !
24 Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris,
sont allés, sans aucun mandat de notre part,
tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi,
25 nous avons pris la décision, à l’unanimité,
de choisir des hommes que nous envoyons chez vous,
avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul,
26 eux qui ont fait don de leur vie
pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ.
27 Nous vous envoyons donc Jude et Silas,
qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit :
28 L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé
de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations
que celles-ci, qui s’imposent :
29 vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles,
du sang,
des viandes non saignées
et des unions illégitimes.
Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela.
Bon courage ! »

LE « CONCILE » DE JERUSALEM
Ce que j’appelle le « Concile de Jérusalem » est une réunion au sommet qui a été organisée pour résoudre une crise grave qui a empoisonné longtemps la vie des premières communautés chrétiennes.
Je m’explique : dès le début, à Antioche de Syrie, il y a eu des chrétiens d’origine juive et des chrétiens d’origine païenne ; mais peu à peu, entre eux, la cohabitation est devenue de plus en plus difficile : leurs modes de vie sont trop différents. Non seulement, les chrétiens d’origine juive sont circoncis et considèrent comme des païens ceux qui ne le sont pas ; mais plus grave encore, tout les oppose dans la vie quotidienne, à cause de toutes les pratiques juives auxquelles les chrétiens d’origine païenne n’ont aucune envie de s’astreindre : de nombreuses règles de purification, d’ablutions et surtout des règles très strictes concernant la nourriture.
Et voilà qu’un jour des Chrétiens d’origine juive sont venus tout exprès de Jérusalem pour envenimer la querelle en expliquant qu’on ne doit admettre au baptême chrétien que des Juifs ; concrètement, les païens sont priés de se faire Juifs d’abord, (circoncision comprise) avant de devenir Chrétiens.
Derrière cette querelle, il y a au moins trois enjeux : premièrement, faut-il viser l’uniformité ? Pour vivre l’unité, la communion, faut-il avoir les mêmes idées, les mêmes rites, les mêmes pratiques ?
Le deuxième enjeu est une question de fidélité : tous ces chrétiens, de toutes origines, souhaitent rester fidèles à Jésus-Christ, c’est évident !… Mais, concrètement, en quoi consiste la fidélité à Jésus-Christ ? Jésus-Christ lui-même était juif et circoncis : cela veut-il dire que pour devenir Chrétien il faut d’abord devenir Juif comme lui ?
Autre question de fidélité : Dieu a confié à Israël la mission d’être son témoin au milieu de l’humanité. Faut-il  donc faire partie d’Israël pour entrer dans la communauté chrétienne ? C’est ce que j’appelle la « logique de l’élection ». Conclusion : il faudrait être juif d’abord avant de devenir chrétien. Concrètement, cela veut dire qu’on accepterait de baptiser des païens, mais à condition qu’ils adhèrent d’abord à la religion juive et qu’ils se fassent circoncire.
Enfin, il y a un troisième enjeu, plus grave encore : le salut est-il donné par Dieu sans conditions, oui ou non ? Dire « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés », cela voudrait dire que Dieu lui-même ne peut pas sauver des non-Juifs… cela voudrait dire que c’est nous qui décidons à la place de Dieu qui peut ou ne peut pas être sauvé… Mais pourtant Jésus lui-même a bien dit « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ».

CELUI QUI CROIRA ET SERA BAPTISE SERA SAUVE
C’est cet argument qui emporte tout. Cela veut dire que la logique de l’élection est dépassée. On est entrés dans une nouvelle étape de l’histoire humaine : le prophète Joël avait bien dit « Quiconque invoquera le nom du SEIGNEUR sera sauvé » (Jl 3,5). « Quiconque », c’est-à-dire tout homme et pas seulement les juifs.
Concrètement, les Apôtres prennent une double décision : les Chrétiens d’origine juive ne doivent pas imposer la circoncision et les pratiques juives aux Chrétiens d’origine païenne ; mais de l’autre côté, les Chrétiens d’origine païenne, par respect pour leurs frères d’origine juive, s’abstiendront de ce qui pourrait troubler la vie commune, en particulier pour les repas.
Cela veut dire aussi que être fidèle à Jésus-Christ ne veut pas dire forcément reproduire un modèle figé. Pour le dire autrement, fidélité n’est pas répétition : quand on étudie l’histoire de l’Eglise, on est émerveillé justement de la faculté d’adaptation qu’elle a su déployer pour rester fidèle à son Seigneur à travers les fluctuations de l’histoire !
Il est très intéressant de remarquer qu’on n’impose à la communauté chrétienne que les règles qui permettent de maintenir la communion fraternelle. C’est certainement la meilleure manière d’être vraiment fidèle à Jésus-Christ : lui qui a dit « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35).
————————–
Compléments
Ces questions autour de la circoncision et des pratiques de la loi juive peuvent paraître d’un autre âge : sommes-nous vraiment concernés ?
Oui, car la question de fond autour de la grâce est toujours d’actualité ; nous avons toujours besoin de nous réentendre dire que la grâce est gratuite : c’est le sens même de ce mot ! Cela veut dire que Dieu ne fait jamais de comptes avec nous !

PSAUME – 66 (67) 2-3,5, 7-8

2 Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
3 et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

5 Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.

7 La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
8 Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

LES VŒUX DE BONHEUR DE DIEU
Avant de lire le psaume de ce dimanche, il faut en imaginer le cadre. Nous assistons à une grande célébration au Temple de Jérusalem : à la fin de la cérémonie, les prêtres bénissent l’assemblée de manière très solennelle. Et les fidèles répondent : « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! »
C’est pour cela que ce psaume se présente comme une alternance entre les phrases des prêtres et les réponses de l’Assemblée qui ressemblent à des refrains. Les phrases des prêtres elles-mêmes s’adressent tantôt à l’assemblée, tantôt à Dieu : cela nous désoriente toujours un peu, mais c’est très habituel dans la Bible.
La première phrase de bénédiction des prêtres (« Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que son visage s’illumine pour nous ») reprend exactement un texte très célèbre du livre des Nombres : « Le SEIGNEUR parla à Moïse. Il dit : « Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras : Voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël : “Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde ! Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !” Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. » (Nb 6,24-26). C’est la première lecture du 1er janvier de chaque année. Pour un 1er janvier, jour des vœux, c’est le texte idéal ! On ne peut pas formuler de plus beaux vœux  de bonheur.
Et au fond, une bénédiction, c’est cela, des vœux  de bonheur ! (C’est d’ailleurs ce choix d’une formule de bénédiction pour la lecture du 1er janvier qui nous permet de comprendre le sens du mot « bénédiction »).
J’ai dit « vœux  de bonheur » ; et effectivement, les bénédictions sont toujours des formules au subjonctif : « que Dieu vous bénisse, que Dieu vous garde … » ; cela me rappelle toujours une petite histoire : une jeune femme que je connais était malade, à l’hôpital ; le dimanche, quand un prêtre ami est venu lui apporter la communion, il a accompli le rite comme il est prévu et, donc, à la fin il lui a dit : « que Dieu vous bénisse » et elle, sans réfléchir et sans se contenir (mais, à l’hôpital, on a des excuses !) a répondu en riant : « mais qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse d’autre ! » Bienheureuse spontanéité : notre petite dame a fait ce jour-là une grande découverte : c’est vrai : Dieu ne sait que nous bénir, que nous aimer, que nous combler à chaque instant. Et quand le prêtre (que ce soit au temple de Jérusalem ou à l’hôpital, ou dans nos églises), quand le prêtre dit « que Dieu vous bénisse », cela ne veut évidemment pas dire que Dieu pourrait ne pas nous bénir ! Le souhait est de notre côté si j’ose dire : c’est-à-dire ce qui est souhaité c’est que nous entrions dans cette bénédiction de Dieu qui, elle, est sans cesse offerte.

LE NOM DE DIEU A ETE PRONONCE SUR NOUS
Ou bien, quand le prêtre dit « Le Seigneur soit avec vous », c’est la même chose : le Seigneur EST toujours avec nous… mais ce subjonctif « SOIT » dit notre liberté : c’est nous qui ne sommes pas toujours avec lui. De la même manière, quand le prêtre dit « Que Dieu vous pardonne », nous savons bien que Dieu nous pardonne sans cesse : à nous d’accueillir le pardon, d’entrer dans la réconciliation qu’il nous propose.
Du côté de Dieu, si l’on peut dire, les vœux  de bonheur à notre égard sont permanents. Vous connaissez la phrase de Jérémie : « Moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet, oracle du SEIGNEUR, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29,11). Puisque Dieu est Amour, toutes les pensées qu’il a sur nous ne sont que des vœux  de bonheur.
Autre piste pour comprendre ce qu’est une bénédiction au sens biblique : je reviens au texte du livre des Nombres que je lisais tout à l’heure et qui ressemble si fort à notre psaume d’aujourd’hui : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde… » ; la première phrase du même texte disait : « Le SEIGNEUR parla à Moïse. Il dit : « Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras : ‘Voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël’ » et la dernière phrase : « Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. »
Quand les prêtres bénissent Israël de la part de Dieu, la Bible dit : « ils prononcent le NOM de Dieu sur les fils d’Israël » et même pour être plus fidèle encore, au texte biblique, il faudrait dire « ils METTENT le NOM de Dieu sur les fils d’Israël ».
Cette expression « Mettre le NOM de Dieu sur les fils d’Israël » est aussi pour nous une définition du mot « bénédiction ». On sait bien que, dans la Bible, le nom, c’est la personne. Donc, être « mis sous le nom de Dieu », c’est être placé sous sa présence, sous sa protection, entrer dans sa présence, sa lumière, son amour. Encore une fois, tout cela nous est offert à chaque instant. Mais encore faut-il que nous y consentions. C’est pour cela que toute formule de bénédiction prévoit toujours la réponse des fidèles. Quand le prêtre nous bénit à la fin de la Messe, par exemple, nous répondons « Amen » : c’est notre accord, notre consentement.
Dans ce psaume d’aujourd’hui, la réponse des fidèles, c’est le refrain « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! » Je vois là une superbe leçon d’universalisme ! Aussitôt qu’il entre dans la bénédiction de Dieu, le peuple élu répercute en quelque sorte sur toute l’humanité la bénédiction qu’il accueille pour lui-même. Et le dernier verset est une synthèse de ces deux aspects : « Que Dieu nous bénisse (sous-entendu, nous son peuple choisi) ET que la terre tout entière l’adore ».
C’est dire que le peuple d’Israël n’oublie pas sa vocation, sa mission au service de l’humanité tout entière. Il sait que de sa fidélité à la bénédiction reçue gratuitement, par choix de Dieu, dépend la découverte de l’amour et de la bénédiction de Dieu par l’humanité tout entière.

DEUXIEME LECTURE – Apocalypse de Saint Jean 21, 10-14. 22-23

Moi, Jean, j’ai vu un ange.
10 En esprit, il m’emporta
sur une grande et haute montagne ;
il me montra la Ville sainte, Jérusalem,
qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu :
11 elle avait en elle la gloire de Dieu ;
son éclat était celui d’une pierre très précieuse,
comme le jaspe cristallin.
12 Elle avait une grande et haute muraille,
avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ;
des noms y étaient inscrits :
ceux des douze tribus des fils d’Israël.
13 Il y avait trois portes à l’orient,
trois au nord,
trois au midi,
et trois à l’occident.
14 La muraille de la ville reposait sur douze fondations
portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau.
22 Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire,
car son sanctuaire,
c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers,
et l’Agneau.
23 La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer,
car la gloire de Dieu l’illumine :
son luminaire, c’est l’Agneau.

LA JERUSALEM QUI DESCENDRA DU CIEL
Dimanche dernier, dans le texte qui nous était proposé, Jean disait qu’il avait vu de loin la Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel ; il ne la décrivait pas ; il disait seulement : « La Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari ».
Cette fois, au contraire, Jean la décrit longuement : il est fasciné par la lumière qui s’en dégage. Une lumière telle qu’elle éclipse le rayonnement de la lune et même du soleil. La ville est tellement resplendissante qu’elle ressemble à un bijou très brillant, une pierre précieuse qui chatoie à la lumière.
La raison de cette luminosité tout à fait extraordinaire, Jean nous la donne tout de suite : par deux fois il répète : « elle avait en elle la gloire de Dieu », « la gloire de Dieu l’illumine ». Et ces deux affirmations sont l’une au début, l’autre à la fin de la description : ce qui veut dire que c’est l’élément le plus important. Nous avons déjà rencontré souvent ce procédé littéraire qu’on appelle une « inclusion » et qui vise à mettre l’accent sur les phrases « incluses » justement entre la première et la dernière : ici donc, ce qui frappe Jean, c’est la gloire de Dieu illuminant la cité sainte qui descend d’auprès de Lui.
Jean est très bien placé pour sa contemplation car un ange l’a transporté sur une grande et haute montagne ; il tient Saint Jean par la main et il lui montre la ville de loin. Dans sa main gauche, l’ange tient une baguette d’or : tout à l’heure, elle lui servira à mesurer les dimensions de la ville. Mais commençons par la regarder. Elle est carrée : comme le chiffre quatre, le carré est symbolique de ce qui est humain : il s’agit bien d’une ville construite de main d’homme. Et c’est cette ville, bien humaine, qui est illuminée de la gloire de Dieu, du rayonnement de la présence de Dieu. Nous avons vu l’autre jour que, dans l’Apocalypse, le chiffre trois évoque Dieu ; on n’est donc pas surpris que la description de la ville utilise abondamment un multiple de trois et quatre : douze ! Manière superbe de dire que l’action de Dieu se déploie dans cette œuvre  humaine.
A l’époque de Saint Jean on ne concevait pas de ville sans rempart : celle-ci en a : et ce n’est peut-être pas un hasard si la muraille de la ville est grande et haute comme la montagne : classiquement, dans la Bible, la montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu.
Dans les remparts, douze portes sont creusées, douze portes qui ne se ferment jamais, si on en croit la suite du texte : car toute l’humanité doit pouvoir y entrer ; personne ne doit se heurter à porte close ! Douze portes distribuées équitablement sur les quatre côtés du carré : trois portes à l’Est, trois au Nord, trois au Sud, trois à l’Ouest.
Les douze portes sont gardées par douze anges : et sur chacune des portes un nom est inscrit : celui d’une des douze tribus d’Israël. Le peuple d’Israël a bien été choisi par Dieu pour être la porte par laquelle toute l’humanité entrera dans la Jérusalem définitive.
La muraille repose sur des fondations : sur ces fondations les noms des douze apôtres de l’Agneau : comme en architecture, il y a continuité entre les fondations et les murs, il y a ici continuité entre les douze tribus d’Israël et les douze apôtres. Manière de dire que l’Eglise fondée par Jésus-Christ accomplit bien le dessein de Dieu qui se déploie tout au long de l’histoire biblique.

LA NOUVELLE CREATION
Quand il pénètre dans la ville magnifique, Jean est tout surpris : le premier monument qu’il y cherche, c’est le Temple : car la présence du Temple dans la ville sainte était le rappel vivant que Dieu ne quittait pas son peuple. Or ici Saint Jean nous dit « dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire… » mais il n’est pas déçu : au contraire ; cela veut dire que désormais il n’y a plus besoin de signe ou de rappel de la présence de Dieu, car Dieu lui-même est présent, visible au milieu de son peuple ; je reprends le texte :
« Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu Souverain de l’univers, et l’Agneau. » Et Jean continue : « La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau. »
Quand on sait l’importance attachée par le livre de la Genèse, à la création de la lumière dès le premier jour : « Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut », l’affirmation de l’Apocalypse prend toute sa force : l’ancienne Création a disparu : plus de soleil, plus de lune… Nous sommes dans la nouvelle Création. Désormais la présence de Dieu rayonne sur le monde par le Christ.
Et pourtant Jérusalem a bien gardé son nom : c’est donc bien de la ville construite de main d’homme qu’il s’agit. Manière de dire que nos efforts pour collaborer au projet de Dieu sont utiles. Ils feront partie de la nouvelle Création ; notre œuvre  humaine ne sera pas détruite mais transformée par Dieu.
Les premiers destinataires de l’Apocalypse, en butte au mépris et pour certains à la persécution romaine à la fin du premier siècle de notre ère, avaient bien besoin d’entendre ces paroles de victoire. Vingt siècles plus tard, en France tout au moins, nous ne craignons plus les mêmes persécutions, mais nous avons bien besoin de raviver notre espérance : et, en particulier, il nous est bon de nous entendre dire que la Jérusalem céleste commence avec nos humbles efforts d’aujourd’hui.

EVANGILE – selon Saint Jean 14,23-29

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
23 « Si quelqu’un m’aime,
il gardera ma parole ;
mon Père l’aimera,
nous viendrons vers lui
et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas
ne garde pas mes paroles.
Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
elle est du Père, qui m’a envoyé.
25 Je vous parle ainsi,
tant que je demeure avec vous ;
26 mais le Défenseur,
l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout,
et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix,
je vous donne ma paix ;
ce n’est pas à la manière du monde
que je vous la donne.
Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
28 Vous avez entendu ce que je vous ai dit :
Je m’en vais,
et je reviens vers vous.
Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie
puisque je pars vers le Père,
car le Père est plus grand que moi.
29 Je vous ai dit ces choses maintenant,
avant qu’elles n’arrivent ;
ainsi, lorsqu’elles arriveront,
vous croirez. »

LA PAQUE DE JESUS
Nous sommes dans les toutes dernières heures de la vie de Jésus, juste avant la Passion : l’heure est grave… on devine l’angoisse des derniers moments ; on la lit à travers les lignes, puisque, à plusieurs reprises, Jésus dit à ses disciples des paroles d’apaisement : « Que votre cœur  ne soit pas bouleversé ni effrayé » ; au début de ce chapitre, déjà, il avait dit « que votre coeur ne soit pas bouleversé » (v.1). Ce long discours de Jésus a été interrompu par plusieurs questions des apôtres : des questions qui disaient leur angoisse, leur incompréhension.
Mais, curieusement, lui, au contraire, reste très serein : ici, comme tout au long de la Passion, Jean nous décrit Jésus comme souverainement libre ; c’est lui qui rassure ses disciples et non l’inverse ! Il annonce lui-même ce qui va se passer : « Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez ». Non seulement il sait ce qui va se passer mais il l’accepte ; il ne fait rien pour se dérober. Il leur annonce son départ mais il le présente comme la condition et le début d’une nouvelle présence : « Je m’en vais et je reviens vers vous ».
Ce « départ » sera interprété plus tard, après la Résurrection, comme la Pâque de Jésus ; le même Jean dit au chapitre 13 : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de PASSER de ce monde au son Père »… Jean utilise volontairement ce mot (passer), car on sait que Pâque veut dire « passage » : par là, Jean veut faire le rapprochement entre la Passion de Jésus et la libération d’Egypte qu’on revivait à chaque fête juive de la Pâque. Et donc, puisqu’il s’agit de libération, ce départ ne devrait pas plonger les apôtres dans la tristesse : « Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père ». Phrase stupéfiante pour les disciples : eux ils voient leur maître, celui qu’ils suivent depuis plusieurs mois, devenu un homme traqué par les autorités religieuses : c’est-à-dire les responsables, ceux à qui on fait confiance pour ce qui concerne les choses de Dieu, ce qui est bien le tout de la vie quand on est juif.
Ce sont ces autorités qui, au nom de Dieu justement, sont les pires opposants à Jésus. Et ils ont de bonnes raisons, il faut le dire : depuis des siècles, la grande découverte du peuple élu, et par révélation de Dieu lui-même, c’est que Dieu est unique ! « Ecoute Israël ! Le SEIGNEUR ton Dieu est le Dieu UN ». Et tous les prophètes ont lutté pour maintenir cette foi contre vents et marées. Et ce Dieu unique, il est à la fois le Dieu proche de l’homme ET le Dieu Tout-Autre, le Saint. Jésus, lui, prêche bien un Dieu proche de l’homme, et spécialement des plus petits… Mais il se prétend Dieu lui-même : aux yeux des Juifs, c’est un blasphème caractérisé, c’est faire offense au Dieu unique, au Dieu Tout-Autre. Dans notre texte de ce dimanche, Jésus insiste sur le lien qui l’unit à son Père : nommé cinq fois dans ces lignes ! Et il va jusqu’à parler au pluriel : « Si quelqu’un m’aime… NOUS viendrons vers lui, et, chez lui, NOUS NOUS ferons une demeure ».

QUI M’A VU A VU LE PERE
Et ce n’est pas la première fois qu’il a ce genre de propos : un peu avant, à Philippe qui lui demandait « Montre-nous le Père » il a tranquillement répondu : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9). Ici, il dit encore : « La parole que vous entendez n’est pas de moi, elle est du Père qui m’a envoyé ». Autrement dit, il est l’Envoyé du Père, il est la parole du Père. Et, désormais, c’est l’Esprit Saint qui fera comprendre cette parole et qui la gardera dans la mémoire des disciples. La clé de ce texte est peut-être dans le mot « parole » : le mot revient ici plusieurs fois et si on se rapporte à ce qui précède, il n’y a pas de doute possible ; cette parole qu’il faut absolument garder, c’est le « commandement d’amour » : « aimez-vous les uns les autres », ce qui revient à dire « mettez-vous au service les uns des autres » ; et pour bien se faire comprendre, Jésus a lui-même donné un exemple très concret en lavant les pieds de ses disciples.
Etre fidèle à sa parole, c’est donc tout simplement se mettre au service des autres. Et, finalement, le texte d’aujourd’hui : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole » peut donc se traduire : Si quelqu’un m’aime, il se mettra au service de ses frères… Celui qui ne m’aime pas ne se mettra pas au service des autres… Inversement, donc, si je comprends bien, celui qui ne se met pas au service des autres n’est pas fidèle à la parole du Christ !
Et, du coup, nous comprenons mieux le rôle de l’Esprit Saint : c’est lui qui nous enseigne à aimer, il nous fait souvenir du commandement d’amour. Mais pourquoi Jésus l’appelle-t-il le Défenseur ? Nous savons bien que nous n’avons pas besoin de défenseur contre Dieu !
L’Esprit Saint est notre « Défenseur », parce que, réellement, il nous protège, mais contre nous-mêmes… Car notre plus grand malheur est d’oublier que l’essentiel consiste à nous aimer les uns les autres, à nous mettre au service les uns des autres.
Très concrètement, nous avons vu le Défenseur à l’œuvre dans la première communauté au moment de ce que l’on appelé le premier concile de Jérusalem (qui était l’objet de notre première lecture) : vous vous souvenez des difficultés de cohabitation entre les Chrétiens d’origine juive et les Chrétiens d’origine païenne. Evidemment l’Esprit d’amour a soufflé aux disciples du Christ la volonté de maintenir à tout prix l’unité.

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, APOCALYPSE DE SAINT JEAN, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 144

Dimanche 15 mai 2022 : 5ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 15 mai : 5ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 14, 21b-27

En ces jours-là, Paul et Barnabé,
21 retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ;
22 ils affermissaient le courage des disciples ;
ils les exhortaient à persévérer dans la foi,
en disant :
« Il nous faut passer par bien des épreuves
pour entrer dans le royaume de Dieu. »
23 Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Eglises
et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur
ces hommes qui avaient mis leur foi en lui.
24 Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie.
25 Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé,
ils descendirent vers Attalia,
26 et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie,
d’où ils étaient partis ;
c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu
pour l’œuvre  qu’ils avaient accomplie.
27 Une fois arrivés, ayant réuni l’Eglise,
ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux,
et comment il avait ouvert aux nations païennes la porte de la foi.

Ceci se passe au cours du premier voyage missionnaire de Saint Paul, sur le trajet du retour. Je vous rappelle le début de cette première mission : d’Antioche de Syrie, Paul et Barnabé étaient partis par bateau vers la côte sud de ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie en passant par Chypre. Puis ils avaient fait étape à Antioche de Pisidie, Iconium (Konya aujourd’hui), Lystres et Derbé. Partout, nous l’avons vu dimanche dernier, les choses se passent de la même façon : Paul et Barnabé s’adressent d’abord aux Juifs, et reçoivent un accueil plutôt « contrasté » : à la fois enthousiasme de la part de certains qui se convertissent, et refus violent de la part d’autres qui se situeront résolument en opposition et qui finiront par les chasser. Et c’est à Antioche de Pisidie qu’ils ont décidé d’adresser la parole non seulement aux Juifs mais également à ceux que l’on appelait des « craignant Dieu », c’est-à-dire des pratiquants de la religion juive mais non encore intégrés par la circoncision, donc encore en rigueur de termes, des païens. C’est pour cette raison que Paul dit que « Dieu a ouvert aux nations païennes la porte de la foi ».
Aujourd’hui, nous les retrouvons sur le chemin du retour : ils refont le même périple en sens inverse et revisitent les communautés qu’ils ont récemment fondées : elles aussi certainement sont affrontées déjà à des persécutions puisque Luc précise : « Paul et Barnabé les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu ». Jésus, déjà, avait employé à son propre sujet des expressions analogues : par exemple « il faut que le Fils de l’Homme souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération » (Luc 17, 25)… ou encore en s’adressant aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Luc 24, 26). Ce « il faut » ne dit pas, bien sûr, une exigence qui viendrait de Dieu : Dieu ne nous impose pas des épreuves ou des souffrances préalables ; cette formule « il faut » dit une nécessité malheureusement due à la dureté de cœur des hommes, c’est-à-dire concrètement l’inévitable opposition à laquelle se heurtent les véritables prophètes tant que le monde n’est pas converti à l’amour, à la justice, au partage.
Paul et Barnabé se préoccupent donc d’affermir la foi et le courage des nouveaux convertis ; ils doivent également veiller à la bonne organisation des communautés ; et là on peut remarquer deux choses : tout d’abord, ils désignent des responsables, ceux qu’ils appellent les « Anciens » ; c’est le mot grec « presbuteros » (d’où vient notre mot français « prêtre »).
Deuxième remarque : Luc dit bien « Ils désignèrent des Anciens… puis après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en Lui ». Il s’agit ici précisément de ces Anciens qu’ils viennent de désigner à la tête des communautés. Luc insiste ici sur la place de la prière et du jeûne : l’équilibre est bien gardé ; on veille à l’organisation mais on ne se fie pas qu’à elle : prière, et jeûne sont aussi importants ! Tout à fait dans la même veine, un Evêque d’Amérique Latine, au congrès Eucharistique de Lourdes, en 1981, disait : « Un évangélisateur qui ne prie plus, bientôt n’évangélisera plus » ; petite phrase peut-être pas superflue pour nous qui sommes si préoccupés d’organisation… ?
Luc nous dit encore que tout ceci se passe dans la confiance : « ils confièrent ces hommes au Seigneur » ; ils leur ont donné des responsabilités : maintenant, à eux de « jouer », le Seigneur les accompagne. Les apôtres en sont bien convaincus ; ils l’expérimentent déjà pour eux-mêmes : la mission qu’ils assument n’est pas leur œuvre  à eux tout seuls ; il suffit de reprendre le texte : « Ils prirent le bateau jusqu’à Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils venaient maintenant d’accomplir ». Ils ont été remis à la grâce de Dieu, et à leur tour ils viennent de remettre à la grâce de Dieu les responsables qu’ils ont désignés pour les jeunes communautés.
Luc continue : « A leur arrivée, ils racontaient aux membres de la communauté d’Antioche de Syrie tout ce que Dieu avait fait avec eux. » Le rapprochement est intéressant : Luc parle ET de « l’œuvre  que les Apôtres viennent d’accomplir » ET de « ce que Dieu avait fait avec eux » ; on ne peut pas dire plus clairement que la mission que Dieu confie aux croyants est une œuvre  commune : œuvre  de Dieu confiée à l’homme, œuvre  de l’homme soutenu, accompagné, sans cesse inspiré par Dieu. Si nous nous souvenions en permanence que l’évangélisation est d’abord l’œuvre  de Dieu, peut-être serions-nous plus sereins ?

 

PSAUME – 144 (145), 8-13

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
9 la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
sa tendresse pour toutes ses œuvres .

10 Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
11 Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

12 Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
13 ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Le psaume 144 (145) que la liturgie a sélectionné pour ce cinquième dimanche de Pâques comporte en réalité vingt-et-un versets alors que nous venons d’en entendre seulement six… Bien sûr, c’est un peu frustrant de ne l’entendre que partiellement, mais on peut aussi se demander pourquoi ces six versets-là précisément et alors, cela devient très intéressant.
Vingt-et-un versets, autant que de lettres dans l’alphabet hébreu* ; nous savons déjà que ce n’est pas un hasard : qui plus est, ce psaume est vraiment alphabétique en ce sens qu’il s’agit de ce qu’on appelle un acrostiche ; chaque verset commence réellement par une des lettres de l’alphabet hébreu, dans l’ordre alphabétique… nous avons acquis le réflexe : en face d’un psaume alphabétique, nous savons d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de aleph à tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu.
Mais pourquoi ce psaume 144 (145) aujourd’hui ? Et pourquoi non pas la totalité du psaume, mais ces six versets précisément ?
Première remarque : ce psaume figure dans la prière juive de chaque matin : pour le Juif croyant, le matin (l’aube du jour neuf) évoque irrésistiblement l’aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la création renouvelée… On voit immédiatement la résonance qu’il prend alors pour nous, Chrétiens, en ce temps pascal… notre foi, c’est précisément que le Jour du Règne définitif de Dieu est déjà inauguré sous nos yeux par la Résurrection du Christ.
Si nous allons un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (c’est-à-dire l’enseignement des rabbins des premiers siècles après J.C.), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ». Or pour nous Chrétiens, encore une fois, le monde à venir dont parle la foi juive, c’est justement la création renouvelée par Jésus-Christ.
Si l’on regarde d’un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus pour aujourd’hui, il me semble premièrement qu’on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis… et, deuxièmement, qu’il entre en résonance parfaite avec les accents du temps pascal et, en particulier, les autres lectures de ce dimanche…
Premier verset entendu aujourd’hui : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique : puisque c’est le nom que Dieu a donné de lui-même à Moïse (Ex 34, 6).
Deuxième verset : « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres » ; la tendresse et la pitié du Seigneur dont le peuple élu a eu le premier la Révélation, elles sont POUR TOUS ! Et cela, c’est une énorme découverte pour l’humanité… une découverte que nous devons au peuple élu… C’est un thème que nous avons rencontré déjà à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament : Dieu aime toute l’humanité et son projet d’amour, son « dessein bienveillant », comme dit Paul, concerne toute l’humanité.
Aujourd’hui, nous entendons une résonance particulière avec le livre des Actes des Apôtres que nous lisons pendant tout le temps pascal : en particulier, le récit du livre des Actes proposé en première lecture dans la même messe de ce cinquième dimanche de Pâques insiste justement sur le fait que l’annonce de l’amour de Dieu n’est pas réservée aux Juifs, mais est proposée à toutes les nations païennes comme dit Saint Luc… soit dit en passant, c’est pour cela que nous sommes nous aussi croyants, plus de deux mille ans plus tard, même si nous ne sommes pas d’origine juive.
Une autre particularité de ce psaume, et surtout des versets lus aujourd’hui : il insiste sur la royauté de Dieu : « Tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits, ils annonceront aux hommes tes exploits, la gloire et l’éclat de ton règne : ton règne, un règne éternel, ton empire pour les âges des âges »… quatre fois le mot « règne », (sans parler du mot « empire »)… deux fois le mot « exploit ».
Nous savons bien que le mot « exploit » dans la Bible est toujours une référence à la libération d’Egypte : Dieu a libéré son peuple… je ne devrais pas dire « Dieu A LIBERE « comme si c’était du passé… la foi juive dit « Dieu libère aujourd’hui son peuple, et ce depuis la première libération »…).
Et, bien sûr, la libération ultime, c’est la victoire sur la mort. Ce psaume est donc tout particulièrement indiqué pour le temps pascal ; le Ressuscité du matin de Pâques expérimente dans sa chair la royauté de Dieu.
Si vous avez le courage de vous rapporter au texte complet de ce psaume, vous verrez qu’il y a une parenté très grande entre ce texte et celui du Notre Père : par exemple, le Notre Père s’adresse à Dieu à la fois comme à un Père : « Notre Père… donne-nous… pardonne-nous… délivre-nous du mal… »… un père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume… ET comme à un roi (que ton Règne vienne) … Soit dit en passant, ce rapprochement n’a rien d’étonnant quand on sait que toutes les phrases rassemblées par Jésus dans le Notre Père faisaient déjà partie, de son temps, des prières habituelles des Juifs !
Je reviens à notre psaume : très certainement, quand le peuple d’Israël composait ce psaume, cette insistance sur la royauté de Dieu, ou sur son empire, était une manière de dire : plus jamais nous ne ferons confiance à des idoles : notre seul roi, notre seul maître, c’est Dieu, le Dieu d’amour… « le Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour »…
Quand les fidèles du Christ disent ce psaume à leur tour, ils savent de quoi ils parlent, si j’ose dire : en Jésus-Christ, le roi serviteur, le roi humble de la Passion ET triomphant de la mort par la Résurrection, ils ont découvert la présence du roi de l’univers : « Qui m’a vu a vu le Père » disait Jésus à ses apôtres.
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* Selon que l’on compte pour une ou deux lettres le signe Sin/Shin (le même signe se prononce tantôt Sin, tantôt Shin), on comptabilisera 21 ou 22 lettres dans l’alphabet hébreu. Les grammairiens nomment les deux signes Sin et Shin, et comptent donc 22 lettres dans l’alphabet, le psalmiste, lui, n’a utilisé que la lettre Shin et donc 21 versets.

 

DEUXIEME LECTURE – Apocalypse de Saint Jean 21, 1-5a

Moi, Jean,
1 j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle,
car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés
et, de mer, il n’y en a plus.
2 Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle,
je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu,
prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari.
3 Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône.
Elle disait :
« Voici la demeure de Dieu avec les hommes ;
il demeurera avec eux,
et ils seront ses peuples,
et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu.
4 Il essuiera toute larme de leurs yeux,
et la mort ne sera plus,
et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur :
ce qui était en premier s’en est allé. »
5 Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara :
« Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

« Voici que je fais toutes choses nouvelles » : ciel nouveau, terre nouvelle, Jérusalem nouvelle ; voilà notre avenir, nous dit Saint Jean, notre « à-venir » en deux mots, ce qui vient. Finies les larmes, la mort, finis les pleurs, les cris, la tristesse… c’est du passé : premier ciel, première terre ont disparu. Autrement dit, le passé est passé, FINI. Evidemment Jean anticipe ; il nous a bien prévenus : son livre est un livre de visions, il révèle l’avenir pour donner le courage d’affronter le présent.
Premier ciel, première terre, cela nous renvoie au récit biblique de la Création ; donc pour aborder ce passage de l’Apocalypse, il faut ouvrir le livre de la Genèse. Le premier chapitre présentait la Création, ce que l’Apocalypse appelle « la première création » comme tout entière bonne : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » (Gn 1,31). Et pourtant, nous faisons chaque jour l’expérience des pleurs, des cris, de la tristesse, de la mort, comme dit encore l’Apocalypse. Et c’est la suite du livre de la Genèse, le récit du fruit défendu, qui nous dit ce qui pervertit la bonté de la Création ; il nous dit que la racine de toutes nos souffrances est dans la faille qui s’est creusée entre Dieu et l’humanité : ce soupçon originel qui ruine sans merci l’Alliance proposée… soupçon qui pousse l’humanité à prendre des chemins qui ne lui réservent que des échecs.
Tout au long de l’histoire biblique, le peuple élu s’est entendu rappeler par les prophètes dans la voie de l’Alliance : la seule voie du vrai bonheur, c’est que Dieu habite vraiment parmi nous… que nous soyons son peuple, qu’il soit notre Dieu, que l’Alliance soit restaurée sans faille, comme un dialogue d’amour, comme des fiançailles… c’est la soif d’Israël tout au long de son histoire. Et des textes prophétiques innombrables annoncent très exactement ce que l’auteur de l’Apocalypse voit désormais réalisé ; le prophète Isaïe, par exemple : « Oui, je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle… on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit… Exultez sans fin, réjouissez-vous de ce que je vais créer… Car je crée une Jérusalem de joie, un peuple d’allégresse. Je retrouverai mon allégresse en Jérusalem, ma joie en mon peuple. On n’y entendra plus de cris ni de pleurs… On n’y verra plus de nouveau-né emporté en quelques jours, ni d’homme qui ne parvienne pas au bout de sa vieillesse. » (Is 65,17-20).
Symboliquement, ce renouvellement de toutes choses est représenté par la disparition de la mer : Israël n’est pas un peuple de marins, c’est clair ! Rappelons-nous aussi que la Création de l’univers est réfléchie dans la Bible à partir de la création du peuple élu ; or cette naissance du peuple extirpé à l’esclavage en Egypte, a été une victoire sur la mer : Dieu a fait apparaître la terre ferme pour le passage de son peuple ; le peuple sauvé a traversé à pied sec, et les forces du mal, les forces de l’esclavage, de l’oppression ont été englouties… Plus tard, cette fois dans le Nouveau Testament, au cours de sa vie terrestre, le Fils de Dieu fait homme a manifesté sa victoire sur le mal, sur les forces de l’abîme en marchant sur la mer…
Désormais la victoire est totale, suggère l’Apocalypse : la mer a disparu ! Et avec elle, toute forme de mal : toute forme de souffrance, de larmes, de cris, de mort. Ce que l’humanité attend, sans toujours le savoir, ce que l’univers tout entier attend, c’est l’accomplissement de ce grand projet que Dieu forme depuis la création du monde : instaurer avec l’humanité une Alliance sans ombre, un dialogue d’amour. Le thème des noces de Dieu avec l’humanité nous paraît toujours audacieux, mais il est très présent dans la Bible dès l’Ancien Testament, chez les prophètes Osée ou Isaïe, par exemple, et dans le Cantique des Cantiques. Il est présent aussi dans le Nouveau Testament, à commencer par le récit des noces de Cana, pour ne citer que lui. Et dans notre texte de l’Apocalypse, on réentend cette promesse sous deux formes : d’abord, dans l’image de la Jérusalem nouvelle, « toute prête, comme une fiancée parée pour son époux » ; et ensuite dans l’expression « Dieu avec eux » : le mot « avec » ici est très fort, il dit l’Alliance de l’amour, l’Alliance d’un couple. « Et j’ai entendu la voix puissante qui venait du Trône divin ; elle disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront son peuple, Dieu lui-même sera avec eux. » Tous ceux qui, parmi nous, portent le merveilleux prénom d’Emmanuel (qui signifie littéralement « Dieu avec nous ») sont des rappels vivants des promesses de Dieu…
Et voici que la Jérusalem nouvelle « descend d’auprès de Dieu ». Le centre de la nouvelle Création porte le nom de la ville sainte qui, depuis tant de siècles, symbolise l’attente du peuple élu : le nom même de Jérusalem signifie « Ville de la justice et de la paix »… Et, en même temps, cette nouvelle cité « descend d’auprès de Dieu », et elle est dite « nouvelle » : ce qui veut dire qu’elle n’est pas seulement œuvre  humaine. Cela signifie que le Royaume de Dieu que nous attendons et auquel nous essayons de travailler est à la fois en continuité ET en rupture avec cette terre : voilà de quoi galvaniser notre énergie ! Nous sommes invités tout simplement à collaborer avec Dieu. Notre œuvre  sur cette terre contribue au renouvellement de la Création, car l’intervention de Dieu transfigurera nos efforts.
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Complément
On entend résonner ici les paroles de Paul : « Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu… elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. » (Rm 8,19-22).

 

EVANGILE – selon Saint Jean 13, 31…35

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples
31 quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara :
« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié,
et Dieu est glorifié en lui.
32 Si Dieu est glorifié en lui,
Dieu aussi le glorifiera ;
et il le glorifiera bientôt.
33 Petits enfants,
c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous.
34 Je vous donne un commandement nouveau :
c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés,
vous aussi aimez-vous les uns les autres.
35 À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples :
si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

Les premières phrases de ce texte sont comme une sorte de variations sur le mot « gloire » : « quand Judas fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire » : tout ceci nous paraît un peu compliqué, mais en fait, c’est une manière bien juive de parler : elle dit la réciprocité des relations entre le Père et le Fils, ou mieux leur union fondamentale : « Qui m’a vu a vu le Père », c’est aussi une phrase que Saint Jean a retenue (14, 8) ; ou encore « Moi et le Père, nous sommes un. » (10, 30) ; ici, dire que « le Fils de l’homme est glorifié, ou que Dieu est glorifié en lui », c’est dire que le Fils est le reflet du Père ; au passage, nous notons une fois de plus l’effort qu’il nous faut faire pour comprendre le vocabulaire de Jésus et de ses contemporains.
Je reviens au texte : d’après Jésus, c’est donc au moment précis où Judas part dans la nuit de la trahison, que lui, Jésus accomplit sa vocation d’être le reflet du Père. Mais Jean ne l’a pas compris tout de suite. Remettons-nous dans l’état d’esprit des apôtres au moment de la sortie de Judas et dans les heures qui vont suivre : ils ont d’abord assisté impuissants à la Passion et à la mort du Christ ; ils ont vécu cette succession d’événements comme un moment d’horreur ; mais après coup, Jean a compris que c’était en réalité l’heure de la gloire de Jésus : car c’est là que le Fils révélait jusqu’où va l’amour du Père.
Et parce que le Fils trahi, abandonné de tous, persécuté par tous, persiste, lui seul contre tous, à n’être qu’amour, bienveillance, pardon, il révèle au monde jusqu’où va l’amour du Père, c’est-à-dire jusqu’à l’infini, sans limites : et alors, et c’est la deuxième partie de notre texte, ceux qui contemplent ce mystère de l’amour fou de Dieu deviennent capables d’aimer comme lui à leur tour. Car Jésus lie bien les deux choses : il dit « maintenant, je vais révéler au monde jusqu’où va l’amour du Père » et « maintenant je vous donne un commandement nouveau, c’est d’aimer de la même manière ». (Sous-entendu, maintenant vous en serez capables parce que vous puiserez en moi mon propre amour) ;
Je m’attarde un peu là-dessus : en fait, la nouveauté, ce n’est pas le commandement d’aimer, Jésus ne l’invente pas : le commandement d’amour existe bel et bien dans l’enseignement des rabbins de son temps. Ce qui est nouveau, c’est d’aimer comme lui, mais non pas seulement à sa manière, c’est-à-dire au point d’être prêt à donner sa vie, en refusant toute puissance, toute domination, toute violence ; ce qui est nouveau, c’est encore plus que cela, c’est d’aimer vraiment comme lui, c’est-à-dire en étant complètement guidé par son Esprit ; et alors nous comprenons désormais tout autrement la fameuse phrase « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Bien plus qu’un commandement, c’est un constat : si nous sommes réellement ses disciples, c’est son propre Esprit qui dicte nos comportements. Pour le dire autrement, Dieu sait si l’amour au jour le jour est difficile ; c’est presque un miracle ! Eh bien, si nous y parvenons dans nos communautés chrétiennes, le monde sera bien obligé d’admettre cette évidence que l’Esprit du Christ agit en nous !
Nous sommes donc invités d’abord à un acte de foi ! Croire que son Esprit d’amour nous habite, que ses ressources d’amour nous habitent : que nous avons désormais des capacités d’amour insoupçonnées, parce que ce sont les siennes… et alors il nous devient possible d’aimer « comme » lui parce que c’est son Esprit qui agit en nous.
Tout cela n’est-il pas un peu trop beau ? Nous savons par expérience que cela ne va pas de soi d’aimer notre entourage : il y a des gens avec qui cela va tout seul, comme on dit ; il y en a d’autres avec qui c’est bien difficile… sans parler de ceux pour lesquels nous éprouvons une véritable allergie… ou pire encore, ceux qui ont agi envers nous d’une manière impardonnable. Jésus n’ignore certainement pas tout cela quand il donne ce commandement à ses disciples ; mais il ne faut pas confondre amour et sensibilité : Jésus vient de montrer en actes de quel amour nous devons nous aimer ; rappelons-nous le contexte : cela se passe pendant son dernier repas avec ses disciples. Jésus a commencé par leur laver les pieds, à leur grand étonnement : lui, le Seigneur et le Maître, s’est fait leur serviteur. Et il a terminé en disant : « C’est un exemple que je vous ai donné ; ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi ». C’est donc cela aimer « comme » il nous a aimés… et, après tout, si on y réfléchit, il est possible de se mettre au service les uns des autres, même de ceux pour lesquels nous n’éprouvons pas d’attirance. Or notre fidélité à ce commandement est vitale, nous dit-il, puisque c’est à cela que nos communautés seront jugées : d’après lui, le plus important, ce n’est pas la qualité de nos discours, de notre théologie, ou de nos connaissances, pas non plus la beauté de nos cérémonies ; c’est la qualité de l’amour que nous nous offrons les uns aux autres… (Pourtant il est rare qu’on ait l’idée de juger l’histoire de l’Eglise sur ce critère).
En attendant, nous ne devons jamais oublier ce cri de victoire de Jésus le dernier soir : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié (c’est-à-dire révélé comme Dieu), et Dieu est glorifié en lui. » En Jésus, l’humanité est introduite dans la gloire de Dieu, dans la présence de Dieu, dans la vie de Dieu, par l’événement de la passion-Mort-Résurrection. Et parce qu’ils sont désormais introduits dans la gloire de Dieu, les disciples de Jésus-Christ peuvent vivre leur vie sous le signe de l’amour… puisque Dieu est amour et que désormais sa présence rayonne à travers eux. Peut-être suffit-il d’y croire pour le laisser agir en nous.