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Jeudi 18 mai 2023 : Fête de l’Ascension : lectures et commentaires

Jeudi 18 mai 2023 : Fête de l’Ascension

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

Pour la fête de l’Ascension, la première lecture et le psaume sont communs aux trois années A, B et C. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1,1-11

Cher Théophile,
dans mon premier livre
j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné
depuis le moment où il commença,
jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel,
après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions
aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ;
il leur en a donné bien des preuves,
puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu
et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux,
il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem,
mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père.
Il déclara :
« Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche :
alors que Jean a baptisé avec l’eau,
vous, c’est dans l’Esprit Saint
que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »
Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient :
« Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
Jésus leur répondit :
« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments
que le Père a fixés de sa propre autorité.
Mais vous allez recevoir une force
quand le Saint-Esprit viendra sur vous ;
vous serez alors mes témoins
à Jérusalem,
dans toute la Judée et la Samarie,
et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient,
il s’éleva,
et une nuée vint le soustraire à leurs yeux.
Et comme ils fixaient encore le ciel
où Jésus s’en allait,
voici que, devant eux,
se tenaient deux hommes en vêtements blancs,
qui leur dirent :
« Galiléens,
pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous,
viendra de la même manière
que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

DE JERUSALEM JUSQU’AUX EXTREMITES DE LA TERRE
Nous sommes au tout début des Actes des Apôtres : les premiers versets font bien le lien avec l’évangile de Luc, lui aussi adressé à un certain Théophile ; car il ne fait de doute pour personne que les Actes des Apôtres et l’évangile de Luc sont du même auteur ; l’un commence où l’autre finit, c’est-à-dire par le récit de l’Ascension de Jésus, même si ces deux récits ne concordent pas exactement. Le premier livre, l’évangile, rapporte la mission et la prédication de Jésus, le second se consacre à la mission et à la prédication des Apôtres, d’où son nom « d’Actes des Apôtres ».
On peut pousser le parallèle un peu plus loin : l’évangile commence et finit à Jérusalem, le centre du monde juif et de la Première Alliance ; les Actes commencent à Jérusalem, car la Nouvelle Alliance prend  bien la suite de la Première, mais ils se terminent à Rome, carrefour de toutes les routes du monde connu à l’époque : la Nouvelle Alliance déborde désormais les frontières d’Israël. Pour Luc, il est clair que cette expansion est le fruit de l’Esprit-Saint ; il est l’Esprit même de Jésus, et il sera l’inspirateur des Apôtres, à partir de la Pentecôte, à tel point qu’on appelle souvent les Actes « l’évangile de l’Esprit ».
Et comme Jésus s’était préparé à sa mission par les quarante jours au désert après son Baptême, de même à son tour, il prépare son Eglise pendant quarante jours : « Pendant quarante jours, il leur est apparu, et leur a parlé du royaume de Dieu. » Au cours d’un dernier repas, il leur donne ses consignes : un ordre, une promesse, un envoi en mission.
L’ordre est presque surprenant : attendre et ne pas bouger ; « Il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. » Que les promesses du Père se réalisent à Jérusalem n’étonnait certainement pas les onze qui étaient tous Juifs : toute la prédication des prophètes donnait à Jérusalem une part prépondérante dans l’accomplissement du projet de Dieu : il suffit de se rappeler Isaïe : « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le SEIGNEUR, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60,1-3). Ou encore : « Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau, que la bouche du SEIGNEUR dictera. » (Is 62,1-2).
VOUS SEREZ MES TEMOINS
Luc précise le contenu de la promesse : « Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Cela aussi était familier aux apôtres ; ils avaient en tête la phrase du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair » (Jl 3,1) et aussi celle de Zacharie : « Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem ; elle les lavera de leur péché et de leur souillure… Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication… » (Za 13,1 ; 12,10) ; ou encore (chez Ezéchiel) : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés… Je mettrai en vous un esprit nouveau… Je mettrai en vous mon  esprit. » (Ez 36,25… 27).
La question des apôtres « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » n’est donc pas incongrue ; elle manifeste qu’ils ont bien compris que le fameux Jour de Dieu s’est levé. La réponse de Jésus ne devrait pas nous étonner non plus ; car Dieu sollicite la collaboration des hommes pour réaliser son projet ; le salut de Dieu est arrivé grâce à Jésus-Christ, il reste aux hommes la liberté d’y entrer ; pour cela encore faut-il qu’ils le sachent ; d’où la mission et la responsabilité des Apôtres ; l’Esprit leur est donné pour cela : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins. » Cela veut dire qu’entre le don de l’Esprit et l’avènement définitif du Royaume, il y a un délai qui est le temps du témoignage : un délai d’autant plus long qu’il s’agit d’aller porter la nouvelle à l’humanité tout entière. « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »  Le livre des Actes suit exactement ce plan.
Comme au matin de Pâques, « deux hommes avec un vêtement éblouissant » avaient arraché les femmes à leur contemplation en leur disant « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité », au jour de l’Ascension, deux hommes en vêtements blancs jouent le même rôle auprès des Apôtres : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Il reviendra, nous en sommes certains, c’est pourquoi nous disons à chaque Eucharistie : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur. »
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Complément
– La nuée est dans la Bible le signe visible de la présence de Dieu (par exemple lors du passage de la Mer Rouge (Ex 13,21), ou lors de la Transfiguration du Christ (Lc 9,34). La nuée dérobe Jésus au regard des hommes : c’est dire qu’il est entré dans le monde de Dieu. Il cesse avec nous un certain mode de présence charnelle, visible, pour en inaugurer une autre, spirituelle.
– Il nous faut accepter l’idée qu’il est impossible de reconstituer exactement ce qui s’est passé entre la Résurrection de Jésus, la nuit de Pâques et le jour où il a quitté définitivement ses apôtres pour retourner auprès du Père. Commençons par les récits de Luc : entre l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres du même Luc, les deux récits sont tout-à-fait semblables : le départ de Jésus se situe près de Jérusalem puisque l’évangile parle de Béthanie, et que les Actes parlent du Mont des Oliviers ; et dans les deux textes Luc précise que Jésus a donné comme recommandation à ses disciples de ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu l’Esprit Saint. La seule divergence entre les deux récits de Luc concerne le délai : dans l’évangile, il semble bien que le départ de Jésus ait eu lieu le soir même de Pâques ; après l’apparition aux disciples d’Emmaüs, ceux-ci sont retournés à Jérusalem pour tout raconter aux Onze apôtres ; et c’est pendant qu’ils parlaient tous ensemble que Jésus est apparu, a passé un moment avec eux, leur expliquant les Ecritures ; puis il les a emmenés à Béthanie et c’est là qu’il a disparu définitivement à leurs yeux.
Tandis que dans les Actes des Apôtres, Luc précise qu’il y a eu entre Pâques et l’Ascension un délai de quarante jours ; et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons pris l’habitude de  célébrer la fête de l’Ascension, juste quarante jours après Pâques.
Dans les autres évangiles, on ne trouve presque rien sur ce sujet : chez Matthieu, par exemple, il n’y a pas du tout de récit d’Ascension ; il raconte seulement une apparition de Jésus à deux  femmes  (Marie de Magdala et l’autre Marie) qui s’étaient rendues au tombeau et une apparition aux disciples en Galilée au cours de laquelle il leur dit cette phrase que nous connaissons bien : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples ; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,18-20).
Jean, lui, rapporte plus longuement plusieurs apparitions de Jésus ressuscité, l’une à Marie de Magdala, et trois autres à ses disciples, dont la dernière au bord du lac de Tibériade ; mais il ne raconte pas non plus l’Ascension. Quant à Marc, il raconte l’apparition de Jésus à Marie de Magdala, puis à deux disciples qui se rendaient à la campagne et enfin aux Onze apôtres. Les Onze, Jésus les envoie prêcher l’évangile au monde entier et Marc termine son évangile en disant : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. » (Mc 16,19).
Ces différences entre les Evangiles prouvent que les précisions qu’ils nous donnent ne visent pas la réalité historique ou géographique : Matthieu a ses raisons pour parler de la Galilée, comme Luc a les siennes pour insister sur Jérusalem.
Car c’est bien là que Jésus leur a dit d’attendre le don de l’Esprit : l’évangile de Luc se termine sur cette dernière consigne de Jésus : « Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » (Lc 24,49).

PSAUME – 46 (47),2-3,6-7,8-9

2 Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
3 Car le SEIGNEUR est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

6 Dieu s’élève parmi les ovations,
le SEIGNEUR, aux éclats du cor.
7 Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
Sonnez pour notre roi, sonnez !

8 Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
9 Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

DIEU, ROI D’ISRAEL
C’est le peuple d’Israël qui parle ici, ou plutôt qui chante, qui acclame Dieu comme son roi. Cela ne nous surprend pas. Mais, chose beaucoup plus étonnante, il dit que Dieu est le roi de toute la terre. Or, cela, on ne l’a pas toujours pensé en Israël. Avant l’Exil à Babylone, aucun des rois d’Israël n’a jamais imaginé que Dieu soit le Maître de l’Univers entier. Cela veut dire que ce psaume a été composé tard dans l’histoire du peuple élu.
Je reviens sur la première affirmation très forte de ce psaume : Dieu est le roi d’Israël. Pendant toute une période de l’histoire biblique, le peuple d’Israël a eu des rois, tout comme les peuples voisins, mais sa conception de la royauté était particulière, et cette spécificité a duré tout au long de l’histoire. En Israël, le roi ne pouvait jamais prétendre être le plus haut personnage du pays, il n’avait pas tout pouvoir, Dieu restait le maître. Pour le dire autrement, le véritable roi en Israël n’était autre que Dieu lui-même.
Le roi, par exemple, ne disposait pas des lois à sa guise ; il devait, comme tout le monde, se soumettre à la Loi de Dieu, c’est-à-dire les Lois données par Dieu à Moïse au Sinaï. D’après le livre du Deutéronome, il devait lire l’intégralité de la Loi tous les jours de sa vie. Même assis sur son trône, il n’était (en principe) qu’un exécutant des ordres de Dieu transmis par les prophètes. Dans les Livres des Rois, par exemple, on voit fréquemment l’un ou l’autre roi demander l’accord du prophète du moment avant de partir en campagne ou même, dans le cas de David, avant d’entreprendre la construction d’un Temple. Et l’on voit à de multiples reprises les prophètes intervenir librement dans la vie des rois et critiquer violemment parfois leurs agissements.
Cette affirmation de la souveraineté de Dieu fut même un frein à l’institution de la monarchie. On se souvient de la réaction très violente du prophète Samuel, au temps des Juges, lorsque les chefs des tribus d’Israël sont venus lui dire qu’ils voulaient avoir un roi « pour être comme les autres nations ». Souhaiter être « comme les autres nations » quand on a l’honneur d’être le peuple choisi par Dieu pour faire alliance, c’était un véritable blasphème à ses yeux. Il a fini par céder aux instances des chefs des tribus, mais non sans les prévenir qu’ils faisaient leur propre malheur.
Et lorsqu’il a consacré le premier roi, Saül, il a pris soin de préciser que celui-ci devenait le chef du patrimoine de Dieu. Le peuple restait le peuple de Dieu et non celui du roi et celui-ci n’était qu’un serviteur de Dieu. Et, tout au long de la monarchie, en Israël, les prophètes se sont chargés de rappeler aux rois cette vérité élémentaire. Au point que les livres des Rois, lorsqu’ils racontent les règnes successifs, n’ont qu’un critère d’évaluation : la fidélité de chacun des rois à la volonté de Dieu. Une formule revient tout le temps : « Tel roi fit ce qui ce qui est droit aux yeux du SEIGNEUR », ou au contraire « Tel roi fit ce qui ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR ».
DIEU, ROI DE TOUTE L’HUMANITÉ
C’est donc en l’honneur de Dieu lui-même que notre psaume déploie ici tout le vocabulaire adressé ailleurs aux rois de la terre. Le mot « redoutable » lui-même est un compliment, c’est un mot habituel du vocabulaire de cour. Le roi n’est pas « redoutable » pour ses sujets, évidemment, mais au contraire, le terme est rassurant : les ennemis sont prévenus, notre roi sera invincible.
A chaque ligne de ce psaume, c’est une évidence, il s’agit bien de Dieu, notre Dieu, celui du Sinaï, le SEIGNEUR. En même temps, il est acclamé comme Dieu et roi de tout l’univers. Pas question de le garder pour nous tout seuls : il est « le grand roi sur toute la terre » (v.3) et tous les peuples sont associés à la fête : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! » Cette dimension universelle est très présente dans ce psaume jusqu’à dire « Dieu règne sur les païens » (v.9).
Or, la découverte du monothéisme date seulement de l’Exil à Babylone : jusque-là, le peuple d’Israël n’était pas encore monothéiste : être monothéiste, c’est affirmer qu’il n’existe qu’un seul Dieu, le même pour tout le cosmos et l’humanité. Avant l’Exil, ce n’était pas le cas : on dit qu’Israël était monolâtre ; c’est-à-dire qu’il ne reconnaissait pour lui-même qu’un seul Dieu, celui de l’Alliance du Sinaï. Mais il considérait que les autres peuples avaient leurs propres dieux qui régnaient sur leurs pays et combattaient pour eux.
Ce psaume a donc été probablement composé après le retour de l’Exil et ce n’est pas dans la salle du trône que ces acclamations ont retenti, c’est dans le Temple de Jérusalem reconstruit. A l’occasion d’une célébration liturgique, nos frères juifs évoquent le grand projet de Dieu sur l’humanité et ils anticipent. Ils imaginent déjà le Jour où enfin Dieu sera reconnu pour ce qu’il est, le Père de toute bonté.
Nous, Chrétiens, reprenons ce psaume à notre tour. Et la phrase « Dieu s’élève parmi les ovations » nous paraît convenir tout particulièrement pour la célébration de l’Ascension de Jésus-Christ. Même si nous devons reconnaître, malheureusement, que la royauté du Christ est encore bien discrète : les évangélistes n’ont pas de cérémonie de couronnement à raconter. Raison de plus pour lui décerner déjà ce superbe hommage qui ne fait qu’anticiper le chant qu’entonneront au dernier jour les fils de Dieu enfin rassemblés : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Ephésiens 1,17-23

Frères,
17 que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ,
le Père dans sa gloire,
vous donne un esprit de sagesse
qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître.
18 Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre coeur,
pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel,
la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles,
19 et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants :
c’est l’énergie, la force, la vigueur
20     qu’il a mise en œuvre dans le Christ
quand il l’a ressuscité d’entre les morts
et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux.
21 Il l’a établi au-dessus de tout être céleste :
Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination,
au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer,
non seulement dans le monde présent
mais aussi dans le monde à venir.
22 Il a tout mis sous ses pieds
et, le plaçant plus haut que tout,
23  il a fait de lui la tête de l’Eglise qui est son corps,
et l’Eglise, c’est l’accomplissement total du Christ,
lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

SAINT PAUL EN CONTEMPLATION
La lettre aux Ephésiens se divise facilement en deux parties : une longue contemplation du dessein de Dieu (chapitres 1 à 3) et une exhortation aux baptisés pour conformer leur vie à ce mystère (chapitres 4 à 6) ; pour la fête de l’Ascension, la liturgie nous propose un extrait de la première partie pour l’année A, et de la deuxième partie pour l’année B.
La première partie débute par une longue formule de bénédiction à la manière juive que, dans notre liturgie chrétienne, on appellerait volontiers une Préface. C’est le fameux texte sur le « dessein bienveillant de Dieu » : « Béni soit Dieu… Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Traduction TOB). Les baptisés sont déjà participants de ce mystère du projet de Dieu qui, un jour, sera étendu à l’humanité tout entière. Et Paul s’émerveille du privilège qui est donc le leur : « En lui (le Christ), vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire. » (1,13-14).
Nous retrouvons tous ces termes dans le passage qui est notre lecture d’aujourd’hui, mais cette fois sous la forme d’une prière, qu’on appelle généralement « prière d’illumination ». Car il nous faut bien la lumière de Dieu pour pénétrer un tant soit peu dans ce mystère : « Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre coeur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles… » Et on sait bien que la compréhension dont il parle ici n’est pas affaire de raisonnement mais de cœur , une disponibilité profonde à se laisser instruire, illuminer. Et Paul, le Juif, sait bien que la sagesse de Dieu est inaccessible pour l’homme si Dieu lui-même ne se révèle pas à lui : « Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. » Et qu’y a-t-il au bout de cette connaissance vers laquelle nous cheminons ? Un « héritage sans prix » nous dit Paul.
LA GLOIRE SANS PRIX DE NOTRE HERITAGE
Le mot « héritage » (ici au verset 18, et déjà au verset 14) revient souvent dans la Bible : dans l’Ancien Testament, il s’agit de la terre promise par Dieu aux croyants. Le même mot est souvent repris par le Nouveau Testament, en particulier dans les lettres de Paul, pour désigner le Royaume et la vie éternelle. Par exemple : « L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ. » (Rm 8,16-17). « Dans la joie, vous rendrez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. » (Col 1,12). « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » (Ep 3,6). Jacques aussi développe ce thème : « Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ? » (Jc 2,5).
Et la lettre aux Hébreux, pour sa part, reprend souvent le mot : « A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. » (He 1,1-2) ; et un peu plus loin : « Ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis. » (He 9,15).
Car, et c’est le motif profond de l’émerveillement de Paul, les disciples du Seigneur sont déjà associés au triomphe de leur Maître ressuscité. Rien ne doit plus leur faire peur en ce monde ou dans l’autre puisque la mort est vaincue et que les portes sont ouvertes sur la vie éternelle. Bien souvent, on a l’impression que Paul lui-même est pris de vertige devant les perspectives inouïes qu’il ouvre devant ses lecteurs ; ici, par exemple, il s’émerveille devant « la puissance incomparable qu’il (le Père) déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre  dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Autrement dit, l’œuvre  que Dieu accomplit dans le cœur  des croyants est une véritable résurrection intérieure. On comprend que, dans le verset qui précède, Paul introduise cette prière d’illumination par cette déclaration : « Je ne cesse pas de rendre grâce, quand je fais mémoire de vous dans mes prières. » (Ep 1,16)

EVANGILE – selon Saint Matthieu 28,16-20

En ce temps-là,
16 Les onze disciples s’en allèrent en Galilée,
à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent,
mais certains eurent des doutes.
18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles :
« Tout pouvoir m’a été donné
au ciel et sur la terre.
19 Allez !
De toutes les nations faites des disciples,
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit,
20 apprenez-leur
à observer tout ce que je vous ai commandé.
Et moi, je suis avec vous
tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

TOUT POUVOIR M’A ETE DONNE AU CIEL ET SUR LA TERRE
Aussitôt après la Résurrection, voici le très bref discours d’adieu de Jésus. Cela se passe en Galilée qu’on appelait couramment le « carrefour des païens », la « Galilée des nations » ; car désormais la mission des Apôtres concerne « toutes les nations ». L’Evangile de Matthieu semble tourner court : mais, en fait, l’aventure commence ; tout se passe comme dans un film où le mot « FIN » s’inscrit sur une route qui ouvre vers l’infini. Car c’est bien vers l’infini que Jésus les envoie : l’immensité du monde et l’infini des siècles. « Allez… De toutes les nations faites des disciples… Jusqu’à la fin du monde. »
Curieusement, ils n’ont l’air qu’à moitié préparés à cette mission ! Si Jésus était un chef d’entreprise, il ne pourrait pas prendre le risque de confier la suite de son affaire à des collaborateurs comme ceux-là : des collaborateurs qui semblent bien ne pas avoir assimilé toute la formation qu’il leur a assurée pendant des mois. Ils font erreur sur l’objectif, sur les délais, sur la nature de l’entreprise. Ils vont même jusqu’à douter de la réalité qu’ils sont en train de vivre ; puisque Matthieu dit clairement « Certains eurent des doutes ». La mission qui leur est confiée et qui est pleine de risques est de promouvoir un message qui les surprend encore. Folie, diront les gens sages, Sagesse de Dieu répondrait Saint Paul. C’est que l’entreprise dont il s’agit n’est pas banale : elle dépasse tout ce que l’esprit humain peut imaginer ou concevoir. Il s’agit de la communication entre Dieu et les hommes. Celui qui est venu en allumer l’étincelle confie à ses disciples le soin d’en répandre le feu. « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. »
« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » : nous n’avons pas souvent l’occasion de nous arrêter sur cette formule extraordinaire de notre foi. Première formulation du mystère de la Trinité : l’expression « Au nom de », très habituelle dans la Bible, signifie qu’il s’agit bien d’un seul Dieu ; en même temps les trois Personnes sont nommées et bien distinctes : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Si l’on se souvient que le NOM, dans la Bible, c’est la personne, et que baptiser veut dire étymologiquement « plonger », cela veut dire que le Baptême nous plonge littéralement dans la Trinité. On comprend l’ordre express de Jésus à ses disciples « Allez », il y a urgence. Comment ne pas être pressés de voir toute l’humanité profiter de cette proposition ?
En même temps, il faut bien dire que cette formule si habituelle pour nous était pour la génération du Christ une véritable révolution ! A preuve, quand les apôtres, Pierre et Jean ont guéri le boiteux de la Belle Porte (Ac 3 et 4), les autorités leur ont aussitôt demandé « Par quelle puissance,  par le  nom de qui avez-vous fait cette guérison ? » : parce qu’il n’était pas permis d’invoquer un autre nom que celui de Dieu. Jésus parle bien de Dieu, mais sa phrase cite trois personnes, or Dieu était unique, les prophètes l’avaient assez dit. L’incompréhension des Juifs pour les fidèles du Christ est inscrite ici, la persécution était inévitable. Jésus le sait, qui les a prévenus le dernier soir : « On vous exclura des assemblées. Bien plus, l’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu, (c’est-à-dire croiront défendre l’honneur de Dieu)… Et Jésus ajoutait : « Ils feront cela parce qu’ils n’ont connu ni le Père ni moi. » (Jn 16,2-3).
JE SUIS AVEC VOUS TOUS LES JOURS JUSQU’A LA FIN DU MONDE
La mission confiée aux apôtres s’apparente bien à une folie ; mais ils ne sont pas seuls, et cela, il ne faut jamais l’oublier : dans la mesure où notre engagement n’est pas le nôtre, mais le sien, nous n’avons pas de raison de nous inquiéter des résultats : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! »… En d’autres termes, c’est nous qui allons, mais c’est lui qui a tout pouvoir…
Voici ce que l’on raconte de Jean XXIII : il paraît que peu de jours après son élection il reçoit la visite d’un ami qui lui dit « Très Saint Père, comme la charge doit être lourde ! » Jean XXIII répond « C’est vrai, le soir, quand je me couche, je pense Angelo, tu es le Pape et j’ai bien du mal à m’endormir ; mais, au bout de quelques minutes je me dis Angelo, que tu es bête, le responsable de l’Eglise, ce n’est pas toi, c’est le Saint-Esprit… Alors je me tourne de l’autre côté et je m’endors…! » Nous aussi, semble-t-il, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles : l’évangélisation doit être notre passion, mais pas notre angoisse ! Jésus a bien précisé « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. »
A elle toute seule, cette petite phrase est un résumé extraordinaire de la vie du Christ : ceci se passe sur une montagne, a dit Matthieu ; laquelle on ne sait pas, mais elle évoque, bien sûr, celle de la tentation et celle de la Transfiguration ; sur la montagne de la tentation, Jésus a refusé de recevoir d’un autre que son Père le pouvoir sur la Création : « Le diable l’emmène sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : ‘Tout cela je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi’. Alors Jésus lui dit : ‘Arrière, Satan ! car il est écrit :C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.’ » (Mt 4,8). Ce pouvoir que Jésus n’a pas revendiqué, n’a pas acheté, lui est donné par son Père.
Et, désormais, ce pouvoir est entre nos mains ! A nous d’y croire… « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez !… Et moi, ajoute Jésus, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Le Dieu de la Présence révélé à Moïse au buisson ardent, l’Emmanuel (ce qui signifie « Dieu avec nous ») promis par Isaïe ne font qu’un dans l’Esprit d’amour qui les unit. A nous désormais de révéler au monde cette présence aimante du Dieu-Trinité.
————–
Complément
– « Emmanuel » : un prénom qui en dit long… En disant à ses apôtres « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », le Christ s’applique à lui-même ce prénom. Comme s’il voulait donner raison à Matthieu qui avait dit au début de son Evangile : « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit Dieu avec nous »

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON MATTHIEU, LIVRE DE LA GENESE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 32

Dimanche 5 mars 2023 : 2ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 5 mars 2023 : 2ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de la Genèse 12, 1-4a

En ces jours-là,
1 le SEIGNEUR dit à Abram :
« Quitte ton pays,
ta parenté et la maison de ton père,
et va vers le pays que je te montrerai.
2 Je ferai de toi une grande nation,
je te bénirai,
je rendrai grand ton nom,
et tu deviendras une bénédiction.
3 Je bénirai ceux qui te béniront ;
celui qui te maudira, je le réprouverai.
En toi seront bénies
toutes les familles de la terre. »
4 Abram s’en alla, comme le SEIGNEUR le lui avait dit,
et Loth s’en alla avec lui.

ABRAM S’EN ALLA COMME LE SEIGNEUR LE LUI AVAIT DIT
Les quelques lignes que nous venons de lire sont le premier acte de toute l’aventure de notre foi, la foi des Juifs d’abord, bien sûr, puis dans l’ordre chronologique, des Chrétiens, et des Musulmans. Nous sommes au deuxième millénaire av.J. C. Abram* vivait en Chaldée, c’est-à dire en Irak, et plus précisément, à l’extrême Sud-Est de l’Irak, dans la ville de OUR, dans la vallée de l’Euphrate, près du golfe persique. Il y vivait avec sa femme, Saraï ; chez son père Térah, et avec ses frères, (Nahor et Haran), et son neveu Loth. Abram avait soixante-quinze ans, sa femme Saraï soixante-cinq ; ils n’avaient pas d’enfant, et donc, vu leur âge, ils n’en auraient plus jamais.
Un jour le vieux père, Térah, prit la route avec Abram, Saraï et son petit-fils Loth.  La caravane remonte la vallée de l’Euphrate du Sud-Est au Nord-Ouest avec l’intention de redescendre vers le pays de Canaan ; il y aurait une route plus courte, bien sûr, que ce grand triangle pour relier le golfe persique à la Méditerranée mais elle traverse un immense désert ; Térah et Abram préfèrent emprunter le « Croissant Fertile » qui porte bien son nom. Leur dernière étape au Nord-Ouest s’appelle Harran. C’est là que le vieux père, Térah, meurt.
C’est là, surtout, que pour la première fois, il y a donc presque 4000 ans, vers 1850 av.J.C., Dieu parla à Abram. « Quitte ton pays », dit notre traduction liturgique, mais elle omet les deux premiers mots, probablement pour éviter les excès d’interprétation dont on ne s’est pas toujours privés. En réalité, en hébreu, les deux premiers mots sont « Toi, Va ! » Grammaticalement, cela ne veut rien dire d’autre. C’est un appel personnel, une mise à part : il s’agit bien d’un récit de vocation. Et c’est à ce simple appel qu’Abram a répondu. On aime souvent traduire « Va pour toi », mais c’est déjà une surinterprétation croyante. J’y reviendrai. Il y a eu pire : « Va vers toi-même » est de la pure fantaisie, injuste par rapport au texte.
Je reviens à la traduction « Va pour toi » : il faut être conscient que l’on s’éloigne de la littéralité du texte pour entrer dans une interprétation, un commentaire spirituel. C’est Rachi, le grand commentateur juif du 11ème siècle (à Troyes en Champagne), qui traduit « Va pour toi, pour ton bien et pour ton bonheur ». Effectivement, c’est ce qu’Abram a expérimenté au long des jours.
Si Dieu appelle l’homme, c’est pour le bonheur de l’homme, pas pour autre chose ! Le dessein bienveillant de Dieu sur l’humanité est dans ces deux petits mots « Pour toi ». Déjà Dieu se révèle comme celui qui veut le bonheur de l’homme, de tous les hommes** ; s’il faut retenir une chose, c’est celle-là ! « Va pour toi » : un croyant c’est quelqu’un qui sait que, quoi qu’il arrive, Dieu l’emmène vers son accomplissement, vers son bonheur. Voilà donc la première parole de Dieu à Abram, celle qui a déclenché toute son aventure… et la nôtre !
« Toi, Va, quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai ». Et la suite n’est que promesses : « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction… En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Abram est arraché à son destin naturel, choisi, élu par Dieu, investi d’une vocation d’ampleur universelle.
Abram, pour l’heure, est un nomade, riche peut-être, mais inconnu, et il n’a pas d’enfant, et sa femme, Saraï, a largement passé l’âge d’en avoir. C’est lui, pourtant, que Dieu choisit pour en faire le père d’un grand peuple. Voilà ce que voulait dire le « pour toi » de tout à l’heure : Dieu lui promet tout ce qui, à cette époque-là, fait le bonheur d’un homme : une descendance nombreuse et la bénédiction de Dieu.
CE SONT LES CROYANTS QUI SONT FILS D’ABRAHAM
Mais ce bonheur promis à Abram n’est pas pour lui seul : dans la Bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres. Ici, il y a cette phrase « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Elle veut dire au moins deux choses : premièrement, ta réussite sera telle que tu seras pris comme exemple : quand on voudra se souhaiter du bonheur, on se dira « puisses-tu être heureux comme Abram ». Ensuite, ce « en toi » peut signifier « à travers toi » ; et alors cela veut dire « à travers toi, moi, Dieu, je bénirai toutes les familles de la terre ».
Le projet de bonheur de Dieu passe par Abram, mais il le dépasse, il le déborde ; il concerne toute l’humanité : « En toi, à travers toi, seront bénies toutes les familles de la terre ». Tout au long de l’histoire d’Israël, la Bible restera fidèle à cette découverte première : Abraham et ses descendants sont le peuple élu, choisi par Dieu, dans le mystère impénétrable de sa volonté, mais c’est au bénéfice de l’humanité tout entière, et cela depuis le premier jour, depuis la première annonce à Abram. Reste que les autres nations demeurent libres de ne pas entrer dans cette bénédiction ; c’est le sens de la phrase un peu curieuse à première vue : « Je bénirai ceux qui te béniront, celui qui te maudira, je le réprouverai. » C’est une manière de dire notre liberté : tous ceux qui le désirent pourront participer à la bénédiction promise à Abram, mais personne n’est obligé d’accepter !
Et voilà ! L’heure du grand départ a sonné ; le texte est remarquable par sa sobriété ; il dit simplement « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui ». On ne peut pas être plus laconique ! Ce départ, sur simple appel de Dieu, est la plus belle preuve de foi ; quatre mille ans plus tard, nous pouvons dire que notre propre foi a sa source dans celle d’Abraham ; et si nos vies tout entières sont illuminées par la foi, c’est grâce à lui ! Ce que Saint Paul exprime dans la lettre aux Galates quand il dit « Ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux, les fils d’Abraham… Ainsi, ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham, le croyant » (Ga 3,7…9). Et toute l’histoire humaine est ainsi devenue le lieu de l’accomplissement de ces promesses de Dieu à Abraham. Accomplissement lent, accomplissement progressif, mais accomplissement sûr et certain.
———————
Note
*Au début de cette grande aventure, celui que nous appelons Abraham ne s’appelait encore que « Abram » ; c’est plus tard, après des années de pèlerinage, si l’on peut dire, qu’Abram recevra de Dieu son nouveau nom, celui sous lequel nous le connaissons, « Abraham » qui veut dire « père des multitudes ». Et c’est vrai que nous sommes des multitudes, répandus sur toute la terre, à le reconnaître comme notre père dans la foi. Saraï, elle aussi, plus tard, recevra de Dieu un nouveau nom et s’appellera Sara.
** Ce « pour toi » ne doit pas être entendu comme exclusif, mais on ne l’a pas compris tout de suite. Ce n’est qu’après une longue découverte de l’Alliance de Dieu que les croyants ont pu accéder à la vérité tout entière : le projet de Dieu ne concerne pas seulement Abraham et ses descendants, il concerne l’humanité tout entière. C’est ce que l’on appelle l’universalité du projet de Dieu. Cette découverte date de l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant J.C.

Complément
Dans un autre moment crucial de la vie d’Abraham, au moment de l’offrande d’Isaac, Dieu emploiera la même expression « Toi, Va » pour lui rappeler tout le chemin déjà parcouru et lui donner la force d’affronter l’épreuve.
Et quand l’auteur de la lettre aux Hébreux veut dire ce qu’est la foi, il prend pour exemple ce départ d’Abraham qui ressemblait fort à un saut dans l’inconnu, justifié par sa seule confiance en Dieu : « Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait. Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre Promise, comme en terre étrangère… Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable. » (He 11,8…12).

PSAUME – 32 (33), 4-5. 18-19. 20.22

4 Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
5 Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

18 Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
19 pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

20 Nous attendons notre vie du SEIGNEUR :
il est pour nous un appui, un bouclier.
22 Que ton amour, SEIGNEUR, soit sur nous,
comme notre espoir est en toi.

UN CAREME A L’IMAGE D’ADAM OU A L’IMAGE D’ABRAHAM ?
Nous avons entendu trois fois le mot « amour » dans ces quelques versets ; et cette insistance répond fort bien à notre première lecture de ce dimanche : Abraham est le premier de toute l’histoire humaine à avoir découvert que Dieu est amour et qu’il forme pour l’humanité des projets de bonheur. Encore fallait-il croire à cette révélation extraordinaire. Et Abraham a cru, il a accepté de faire confiance, simplement, aux paroles d’avenir que Dieu lui annonçait. Un vieillard sans enfant, pourtant, aurait eu toutes les bonnes raisons de douter de cette promesse invraisemblable de Dieu. Rappelons-nous le texte de notre première lecture : Dieu lui dit « Quitte ton pays… je ferai de toi une grande nation. » Et le texte de la Genèse conclut : « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit. »
Bel exemple pour nous en début de Carême : il faudrait croire en toutes circonstances que Dieu fait des projets de bonheur sur nous. C’était bien le sens de la phrase qui a été prononcée sur nous le mercredi des Cendres : « Convertissez-vous et croyez à l’évangile (ou à la Bonne Nouvelle) » : ce qui signifie : « Se convertir, c’est croire une fois pour toutes que la Nouvelle est Bonne ; que Dieu est Amour ». Jérémie disait de la part de Dieu : « Moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du SEIGNEUR -, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29,11).
Et ainsi, nos deux premiers dimanches de Carême nous invitent à un choix : pour le premier dimanche de Carême, nous avons relu dans le livre de la Genèse l’histoire d’Adam, c’est-à-dire l’homme qui soupçonne Dieu ; devant une interdiction (celle de manger du fruit d’un arbre) interdiction qui est seulement une mise en garde, l’homme qui ne croit pas résolument à l’amour de Dieu imagine que Dieu pourrait avoir des mauvaises intentions sur l’homme, et peut-être même qu’il pourrait être jaloux ! Ce sont les insinuations du serpent, ce qui veut bien dire que c’est du poison.
Pour ce deuxième dimanche de Carême, au contraire, nous lisons l’histoire d’Abraham, le croyant. Un peu plus loin, le livre de la Genèse dit de lui : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » Et, pour nous aider à prendre le même chemin qu’Abraham, ce psaume vient nous suggérer les mots de la confiance : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort… La terre est remplie de son amour »… et vous avez remarqué au passage : l’expression « ceux qui le craignent » est expliquée à la ligne suivante : ce sont ceux qui  « mettent leur espoir en son amour »… on est loin de la peur, c’est même tout le contraire !
Tout au long de son histoire, le peuple élu a oscillé d’une attitude à l’autre : tantôt confiant, sûr de son Dieu, conscient que son bonheur était au bout de l’observance fidèle des commandements, parce que si Dieu a donné la Loi, c’est pour le bonheur de l’homme… « Oui, elle est droite la Parole du SEIGNEUR » ; tantôt au contraire, le peuple était en révolte, attiré par des idoles : à quoi bon être fidèle à ce Dieu et à ses commandements ? C’est bien exigeant et au nom de quoi faudrait-il obéir ? Qui nous dit que c’est le bonheur assuré ? On veut être libres et faire tout ce qu’on veut… n’obéir qu’à soi-même.
Celui qui a composé ce psaume connaît les oscillations de son peuple, il l’invite à se retremper dans la certitude de la foi, seule susceptible de construire du bonheur durable ; cette certitude de la foi, elle est assise sur une expérience de plusieurs siècles. On peut dire, parce qu’on en a eu de nombreuses preuves, que « Dieu est fidèle en tout ce qu’il fait » ; et, ici, l’expression « ce qu’il fait » est beaucoup plus forte qu’en français ; le « faire » de Dieu, c’est son oeuvre, son entreprise de libération de son peuple.
LA FOI D’ISRAEL EST AFFAIRE D’EXPERIENCE
Réellement, c’est d’expérience que le peuple élu peut dire : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour » car Dieu a veillé sur eux comme un père sur ses fils, comme le dit le Livre du Deutéronome, en parlant de la traversée du désert, après la libération d’Egypte. Le psalmiste continue : « Pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine » ; là encore, c’est l’expérience qui parle ; jamais on n’aurait survécu à la traversée de la Mer si le Seigneur ne s’en était mêlé ; on n’aurait pas non plus survécu à l’épreuve du désert… Quand on affirme « il les délivre de la mort » on ne parle évidemment pas de la mort biologique ; mais il faut savoir qu’à l’époque où ce psaume est composé, la mort individuelle n’est pas considérée comme un drame ; car ce qui compte, c’est la survie du peuple ; or on en est sûrs, Dieu fera survivre son peuple quoi qu’il arrive ; à tout moment, et particulièrement dans l’épreuve, Dieu accompagne son peuple et « le délivre de la mort » ; quant à l’expression « jours de famine », elle est certainement une allusion à la manne que Dieu a fait tomber à point nommé pendant l’Exode, quand la faim devenait menaçante…
Cette expérience de la sollicitude de Dieu, tout le peuple croyant peut en témoigner à toutes les époques ; et quand on chante « Dieu est fidèle en tout ce qu’il fait », on redit tout simplement le nom du « Dieu de tendresse et de fidélité » qui s’est révélé à Moïse (Ex 34,6).
La fin est une prière de confiance : « que ton amour soit sur nous… comme notre espoir est en toi » et on connaît bien le sens du subjonctif : ce n’est pas l’expression d’un doute ou d’une incertitude « Son amour est toujours sur nous ! » Mais c’est une invitation pour le croyant à s’offrir à cet amour. La dimension d’attente est très forte dans les derniers versets : « Nous attendons notre vie du SEIGNEUR : il est pour nous un appui, un bouclier. » Sous-entendu « et lui seul » : c’est-à-dire, résolument, nous ne mettrons notre confiance qu’en lui. C’est dans cette confiance que le croyant puise sa force : non, pas SA force mais celle que Dieu lui donne.

DEUXIEME LECTURE – Deuxième lettre de saint Paul à Timotée 1, 8b – 10

Fils bien-aimé,
8 avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances
liées à l’annonce de l’Évangile.
9 Car Dieu nous a sauvés,
il nous a appelés à une vocation sainte,
non pas à cause de nos propres actes,
mais à cause de son projet à lui et de sa grâce.
Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus
avant tous les siècles,
10 et maintenant elle est devenue visible,
car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté :
il a détruit la mort,
et il a fait resplendir la vie et l’immortalité
par l’annonce de l’Évangile.

DIEU NOUS A APPELÉS À UNE VOCATION SAINTE
Paul est en prison à Rome, il sait qu’il sera prochainement exécuté : il donne ici ses dernières recommandations à Timothée ; « Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Evangile ». « Prends ta part de souffrance » : cette souffrance, c’est la persécution ; elle est inévitable pour un véritable disciple du Christ. Jésus l’avait dit lui-même « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive… Celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. » (Mc 8,34-35).
Je reviens à la lettre de Paul : l’expression « l’annonce de l’Evangile » se retrouve à l’identique à la fin de ce passage qui se présente donc comme une inclusion ; et le passage central, encadré par ces deux expressions identiques détaille ce que c’est que cet Evangile ; quand Paul emploie le mot « évangile », il ne pense pas aux quatre livres que nous connaissons aujourd’hui et que nous appelons les quatre évangiles ; il emploie le mot « évangile » dans son sens étymologique de « bonne nouvelle ». Tout comme Jésus lui-même l’employait quand il commençait sa prédication en Galilée en disant « Convertissez-vous, croyez à l’évangile, à la bonne nouvelle. » Et il ne s’agit pas de n’importe quelle bonne nouvelle : ce mot « évangile » était employé pour annoncer la naissance de l’empereur ou sa venue dans une ville. Il est évidemment intéressant d’entendre ce mot ici : cela veut dire que la prédication chrétienne est l’annonce que le royaume de Dieu est enfin inauguré.
En ce qui concerne Paul, c’est donc dans la phrase centrale de notre texte que nous allons découvrir en quoi consiste pour lui l’évangile : il tient finalement en quelques mots : « Dieu nous a sauvés par Jésus-Christ ».
« Dieu nous a sauvés », c’est au passé, c’est acquis, mais en même temps, pour que les hommes entrent dans ce salut, il faut que l’évangile leur soit annoncé ; c’est donc vraiment d’une vocation sainte que nous sommes investis : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte » : … « vocation sainte » parce qu’elle est confiée par le Dieu saint, vocation sainte parce qu’il s’agit ni plus ni moins d’annoncer le projet de Dieu, vocation sainte parce que le projet de Dieu a besoin de notre collaboration : chacun doit y prendre sa part, comme dit Paul.
Mais l’expression « vocation sainte » signifie aussi autre chose : le projet de Dieu sur nous, sur l’humanité, est tellement grand qu’il mérite bien cette appellation ; car si j’en crois ce que Paul dit ailleurs du « dessein bienveillant de Dieu », la vocation de toute l’humanité est de ne faire plus qu’un en Jésus-Christ, d’être le Corps dont le Christ est la tête, et d’entrer dans la communion de la Trinité sainte. La vocation particulière des apôtres s’inscrit dans cette vocation universelle de l’humanité.
Je reviens sur la phrase « Dieu nous a sauvés » : dans la Bible, le mot « sauver » veut toujours dire « libérer » ; il a fallu toute la découverte progressive de cette réalité par le peuple de l’Alliance : Dieu veut l’homme libre et il intervient sans cesse pour nous libérer de toute forme d’esclavage ; des esclavages, l’humanité en subit de toute sorte : esclavages politiques comme la servitude en Egypte, ou l’Exil à Babylone, par exemple, et chaque fois, Israël a reconnu dans sa libération l’œuvre  de Dieu ; esclavages sociaux, et la Loi de Moïse comme les prophètes appellent sans cesse à la conversion des cœurs  pour que tout homme ait les moyens de subsister dignement et librement ; esclavages religieux, plus pernicieux encore ; la phrase célèbre « Liberté, combien de crimes a-t-on commis en ton nom ! » pourrait se dire encore plus scandaleusement « Religion, combien de crimes a-t-on commis en ton nom ! » … Et les prophètes n’ont cessé de répercuter cette volonté de Dieu de voir l’humanité enfin libérée de toutes ses chaînes.
MÊME LA MORT NE NOUS SÉPARERA PAS DE DIEU
Et Paul va jusqu’à dire que Jésus nous a libérés de la mort : « Notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Evangile. » Curieuse phrase au moment même où Paul se prépare à être exécuté ! Et Jésus lui-même est mort ; quant à nous, il faut bien l’admettre, nous devons tous mourir. On ne peut donc pas dire que Jésus a détruit la mort biologique… Alors de quelle victoire s’agit-il ?
Ce que Jésus nous donne, parce qu’il est rempli de l’Esprit Saint, c’est sa propre vie qu’il nous fait partager, spirituellement, et que rien ne peut détruire, même la mort biologique. Sa Résurrection est bien la preuve que la mort biologique ne peut l’anéantir ; et pour nous-mêmes, la mort biologique ne sera qu’un passage vers la lumière sans déclin. C’est ce que dit l’une des prières de la liturgie des funérailles : « La vie n’est pas détruite, elle est transformée ».
La bonne nouvelle, c’est que, si la mort biologique fait partie de notre constitution physique faite de poussière, comme dit le livre de la Genèse, elle ne réussit pas à nous séparer de Jésus-Christ (cf Rm 8,39). En nous, il y a une vie, faite de notre relation à Dieu et que rien, même la mort biologique, ne peut détruire ; c’est ce que Saint Jean appelle « la vie éternelle ».
Et cela est don gratuit de Dieu : vous avez entendu comme moi l’insistance de Paul là-dessus : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce ».
Cette grâce devient visible par la vie terrestre de Jésus-Christ, mais Paul insiste fortement sur le fait que ce projet, Dieu l’a conçu de toute éternité ; le Christ Jésus s’est manifesté à nos yeux par sa vie, sa mort et sa résurrection, mais Il est depuis toujours présent auprès du Père. « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible. »
Pour annoncer ce projet, Timothée, comme tout baptisé, n’a qu’une chose à faire, compter sur la puissance de Dieu : « Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Evangile ». Cette petite phrase devrait nous donner toutes les audaces : chaque fois que nous sommes en service commandé pour l’annonce de l’évangile, nous pouvons compter sur la force de Dieu.

EVANGILE – selon saint Matthieu 17, 1-9

En ce temps-là,
1 Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère,
et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne.
2 Il fut transfiguré devant eux ;
son visage devint brillant comme le soleil,
et ses vêtements, blancs comme la lumière.
3 Voici que leur apparurent Moïse et Élie,
qui s’entretenaient avec lui.
4 Pierre alors prit la parole et dit à Jésus :
« Seigneur, il est bon que nous soyons ici !
Si tu le veux,
je vais dresser ici trois tentes,
une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
5 Il parlait encore,
lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre,
et voici que, de la nuée, une voix disait :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
en qui je trouve ma joie :
écoutez-le ! »
6 Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre
et furent saisis d’une grande crainte.
7 Jésus s’approcha, les toucha et leur dit :
« Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
8 Levant les yeux,
ils ne virent plus personne,
sinon lui, Jésus, seul.
9 En descendant de la montagne,
Jésus leur donna cet ordre :
« Ne parlez de cette vision à personne,
avant que le Fils de l’homme
soit ressuscité d’entre les morts. »

MON FILS BIEN-AIMÉ, EN QUI JE TROUVE MA JOIE. ECOUTEZ-LE
« Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère » : nous sommes là une fois de plus devant le mystère des choix de Dieu : c’est à Pierre que Jésus a dit tout récemment, à Césarée : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ; et la Puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle » (Mt 16,18). Mais Pierre, investi de cette mission capitale, au vrai sens du terme, n’est pas seul pour autant avec Jésus, il est accompagné des deux frères, Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée.
« Et Jésus les emmena à l’écart sur une haute montagne » : sur une haute montagne, Moïse avait eu la Révélation du Dieu de l’Alliance et avait reçu les tables de la Loi ; cette loi qui devait éduquer progressivement le peuple de l’Alliance à vivre dans l’amour de Dieu et des frères. Sur la même montagne, Elie avait eu la Révélation du Dieu de tendresse dans la brise légère… Moïse et Elie, les deux colonnes de l’Ancien Testament …
Sur la haute montagne de la Transfiguration, Pierre, Jacques et Jean, les colonnes de l’Eglise, ont la Révélation du Dieu de tendresse incarné en Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie ». Et cette révélation leur est accordée pour affermir leur foi avant la tourmente de la Passion.
Pierre écrira plus tard : « Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » (2 P 1,16-18).
Cette expression « mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. Ecoutez-le » désigne Jésus comme le Messie : pour des oreilles juives, cette simple phrase est une triple allusion à l’Ancien Testament ; car elle évoque trois textes très différents, mais qui étaient dans toutes les mémoires ; d’autant plus que l’attente était vive au moment de la venue de Jésus et que les hypothèses allaient bon train : on en a la preuve dans les nombreuses questions qui sont posées à Jésus dans les évangiles.
« Fils », c’était le titre qui était donné habituellement au roi et l’on attendait le Messie sous les traits d’un roi descendant de David, et qui régnerait enfin sur le trône de Jérusalem, qui n’avait plus de roi depuis bien longtemps. « Mon bien-aimé, en qui je trouve ma joie », évoquait un tout autre contexte : il s’agit des « Chants du Serviteur » du livre d’Isaïe ; c’était dire que Jésus est le Messie, non plus à la manière d’un roi, mais d’un Serviteur, au sens d’Isaïe (Is 42,1). « Ecoutez-le », c’était encore autre chose, c’était dire que Jésus est le Messie-Prophète au sens où Moïse, dans le livre du Deutéronome, avait annoncé au peuple : « Au milieu de vous, parmi vos frères, le SEIGNEUR votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » (Dt 18,15).
LA RÉALISATION EST ENCORE PLUS BELLE QUE LA PROMESSE
« Dressons trois tentes » : cette phrase de Pierre suggère que l’épisode de la Transfiguration a peut-être eu lieu lors de la Fête des Tentes ou au moins dans l’ambiance de la fête des Tentes… cette fête était célébrée en mémoire de la traversée du désert pendant l’Exode, et de l’Alliance conclue avec Dieu dans la ferveur de ce que les prophètes appelleront plus tard les fiançailles du peuple avec le Dieu de tendresse et de fidélité ; pendant cette fête, on vivait sous des tentes pendant huit jours… Et on attendait, on implorait une nouvelle manifestation de Dieu qui se réaliserait par l’arrivée du Messie ; et pendant la durée de la fête, de nombreuses célébrations, de nombreux psaumes célébraient les promesses messianiques et imploraient Dieu de hâter sa venue.
Sur la montagne de la Transfiguration, les trois apôtres se trouvent tout d’un coup devant cette révélation du mystère de Jésus : rien d’étonnant qu’ils soient saisis de la crainte qui prend tout homme devant la manifestation du Dieu Saint ; on n’est pas surpris non plus que Jésus les relève et les rassure : déjà l’Ancien Testament a révélé au peuple de l’Alliance que le Dieu très Saint est le Dieu tout proche de l’homme et que la peur n’est pas de mise.
Mais cette révélation du mystère du Messie, sous tous ses aspects, n’est pas encore à la portée de tous ; Jésus leur donne l’ordre de ne rien raconter pour l’instant, « avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». En disant cette dernière phrase, Jésus confirme cette révélation que les trois disciples viennent d’avoir ; il est vraiment le Messie que le prophète Daniel voyait sous les traits d’un homme, venant sur les nuées du ciel : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7,13-14).
Au passage, n’oublions pas que le même Daniel présente le Fils de l’homme non pas comme un individu solitaire, mais comme un peuple, qu’il appelle « le peuple des saints du Très-Haut »
La réalisation est encore plus belle que la promesse : en Jésus, l’Homme-Dieu, c’est l’humanité tout entière qui recevra cette royauté éternelle et sera éternellement transfigurée. Mais Jésus a bien dit « Ne dites rien à personne avant la Résurrection… » C’est seulement après la Résurrection de Jésus que les apôtres seront capables d’en être les témoins.
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Compléments
Verset 1 : Le texte grec commence par l’expression « Six jours après » qui confirme le lien supposé avec la fête des Tentes. Cela voudrait dire : « Six jours après le Yom Kippour », le jour du Grand Pardon.
Verset 3 : Pourquoi Moïse et Elie ? Les deux mêmes qui ont eu la révélation du Père sur le Sinaï ont ici la révélation du Fils. La mosaïque de la basilique de la Transfiguration au Monastère Sainte Catherine dans le Sinaï confirme cette interprétation : dans cette mosaïque, Moïse est représenté déchaussé, ses sandales délacées à côté de lui : il s’est déchaussé comme devant le buisson ardent (Ex 3).

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON MATTHIEU, LIVRE DU PROPHETE SOPHONIE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 145

Dimanche 29 janvier 2023 : 4ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 29 janvier 2023 :

4ème dimanche du Temps Ordinaire :

schermata-2017-06-05-b

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Sophonie 2,3 ; 3,12-13

2,3 Cherchez le SEIGNEUR,
vous tous, les humbles du pays,
qui accomplissez sa loi.
Cherchez la justice,
cherchez l’humilité :
peut-être serez-vous à l’abri
au jour de la colère du SEIGNEUR.

3,12     Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ;
il prendra pour abri le nom du SEIGNEUR.
3,13     Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ;
ils ne diront plus de mensonge ;
dans leur bouche, plus de langage trompeur.
Mais ils pourront paître et se reposer,
nul ne viendra les effrayer

EN DIEU SEUL NOTRE ESPERANCE
Le livre de Sophonie est surprenant parce que très contrasté : on y trouve d’une part des menaces terribles contre Jérusalem, et, dans ces passages-là, le prophète a l’air très en colère, et, d’autre part, des encouragements, des promesses de lendemains heureux, toujours adressés à Jérusalem. Reste à savoir pour qui sont les menaces et pour qui les encouragements.
Il faut donc faire un petit détour par l’histoire : nous sommes au septième siècle avant Jésus-Christ, dans le royaume de Juda, c’est-à-dire le royaume du Sud ; le jeune roi Josias vient de monter sur le trône, à l’âge de huit ans, à la suite de l’assassinat de son père. Jérusalem vit donc des temps très troublés, c’est le moins qu’on puisse dire.
Vous vous souvenez qu’à cette époque-là, l’empire assyrien, dont la capitale est Ninive, est en pleine expansion ; sous la menace assyrienne les rois ont préféré capituler d’avance ; cela veut dire en clair que le royaume de Jérusalem est vassal de Ninive.
Or il y a toujours eu une querelle entre les rois et les prophètes sur ce point : le raisonnement des rois, c’est : quand on est un tout petit peuple, on ne peut pas éviter d’être dominé par de plus grands. Et après tout, c’est un moindre mal, plutôt que de disparaître complètement.
Les prophètes, eux, tiennent farouchement à la liberté politique du peuple élu. Car, à leurs yeux, demander alliance à un roi de la terre, c’est la preuve qu’on ne fait pas confiance au roi du ciel ! Dieu vous a libérés d’Egypte, ce n’est pas pour vous laisser mourir maintenant. Vous avez fait alliance avec Dieu, contentez-vous de cette alliance-là, n’en cherchez pas d’autre.
Deuxièmement, si vous faites alliance avec les païens, tôt ou tard, vous deviendrez païens vous aussi : il y aura inévitablement des périodes de persécution où la puissance dominante attaquera votre religion ; sans aller jusque-là, accepter la tutelle assyrienne, c’était déjà accepter de voir s’installer dans la capitale d’Israël les représentants d’une puissance étrangère ; c’était donner de mauvais exemples : mettre sous les yeux de tout le peuple les manières de vivre et de penser des peuples païens ; c’était introduire dans Jérusalem les coutumes, la mode, les lois et plus gravement encore les pratiques religieuses du vainqueur.
Par exemple, on a retrouvé des contrats commerciaux concernant des Juifs, rédigés en assyrien et selon le droit assyrien. Et, pire encore, il se trouve désormais à Jérusalem des prêtres qui pratiquent d’autres religions que celle du Dieu d’Israël. Or, et c’est là le grand danger, si Israël perd la foi au Dieu unique, il ne peut plus remplir sa mission de peuple élu.
Voilà donc les raisons de la colère de Sophonie et pourquoi une bonne partie de son livre est faite de menaces : « Je lèverai la main contre Juda et contre tous les habitants de Jérusalem. Je supprimerai de ce lieu le reste des adorateurs de Baal, le nom des desservants d’idoles, ainsi que les prêtres. Je supprimerai ceux qui se prosternent sur les terrasses devant l’armée des cieux…Je supprimerai ceux qui se détournent du SEIGNEUR, qui ne cherchent pas le SEIGNEUR et ne le consultent pas. » (So 1,4… 6). Ce sera le Jour de la Colère du SEIGNEUR* : vous avez reconnu le fameux texte du « Dies Irae » que nous entendons dans certains « Requiem » célèbres.
CHERCHEZ LE SEIGNEUR, VOUS TOUS, LES HUMBLES DU PAYS
Mais parallèlement à ces menaces, le livre de Sophonie délivre un message de réconfort, adressé à ceux qu’il appelle « les humbles du pays » (en hébreu les « anavim », littéralement les « courbés »). Ceux-là, visiblement, ne risquent rien de la colère du SEIGNEUR : « Cherchez le SEIGNEUR, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du SEIGNEUR ». Ce Jour de colère, c’est celui où Dieu renouvellera la Création tout entière. Jour magnifique pour tous ceux qui auront mis leur confiance en Dieu : le Mal, sous toutes ses formes, sera enfin détruit. Les « dos courbés » peuvent donc déjà se redresser, reprendre courage : Dieu lui-même est à leurs côtés.
Reste à savoir de quel bord nous sommes : devons-nous craindre ce fameux Jour de colère du SEIGNEUR ? Sommes-nous visés par les menaces ou par les encouragements ? Depuis, nous avons appris à lire ces textes : l’humanité n’est pas divisée en deux, les justes, les bons, les humbles, d’un côté… les coupables, les arrogants, les orgueilleux de l’autre. Chacun de nous est visé par ces deux langages, c’est en chacun de nous que Dieu a « du ménage à faire », si j’ose dire. Le jugement de Dieu, c’est un tri à l’intérieur de nous-mêmes.
Et nous sommes tous invités à nous convertir, à devenir ces « humbles du pays », dont parle Sophonie : il les appelle aussi « le Reste d’Israël » :  là, il reprend le mot et l’idée lancés au siècle précédent, par les prophètes Isaïe, Amos, Michée : l’idée, c’est : puisque, premièrement, Dieu a choisi Israël comme un instrument privilégié de son projet sur l’humanité et puisque, deuxièmement, Dieu est fidèle, on en déduit logiquement que, quoi qu’il arrive, Dieu sauvera au moins un reste du peuple.
Sophonie reprend ce thème à son tour : quand tout le mal aura été extirpé de Jérusalem, Dieu ne laissera subsister que le Petit Reste, ceux qui sont restés fidèles : « Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du SEIGNEUR. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. »
« Un peuple pauvre et petit qui prendra pour abri le nom du SEIGNEUR » : voilà une définition de ces « anavim », ces « humbles », ces courbés : ce sont ceux qui cherchent refuge dans le seul nom du SEIGNEUR (à l’inverse des rois dont je parlais tout à l’heure) ; dans le mot « humble » il y a la racine « humus », terre ; les humbles, ce sont ceux qui savent qu’ils ne sont que poussière, et ils attendent tout de Dieu.
Ce Reste d’Israël, fait d’hommes fidèles, humbles et pauvres, portera désormais le poids de la mission du peuple élu : révéler au monde le grand projet de Dieu. C’est toujours une poignée de croyants qui est envoyée au monde comme le ferment dans la pâte.
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Note
* N’oublions pas que, dans la Bible, la vengeance de Dieu est toujours uniquement contre le Mal, contre ce qui abîme ses enfants. Parce que Dieu ne prend jamais son parti de l’humiliation de ses enfants.

Complément
Quand il voit les coutumes assyriennes se répandre dans la ville sainte, le prophète Sophonie s’inquiète ; par exemple, quelques versets avant ceux d’aujourd’hui, il dit : « J’interviendrai contre les ministres, contre les princes et contre tous ceux qui s’habillent à la mode étrangère » (So 1,8) ; à première vue, peut-être, on ne voit pas où est le mal ; mais c’est raisonner selon nos habitudes modernes, dans lesquelles il y a une très grande diversité et liberté dans le domaine de l’habillement ; mais à l’époque, les codes vestimentaires étaient très importants ; adopter la mode des étrangers, c’était déjà accepter de leur ressembler et donc risquer de perdre son identité ; c’était le signe que, bientôt, l’on suivrait aussi leur façon de vivre, de penser, d’adorer.

PSAUME – 145 (146),7…10

Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés,
aux affamés il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.

Le SEIGNEUR protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
10 Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours.

LE SEIGNEUR FAIT JUSTICE AUX OPPRIMES
Trois versets de psaume en forme d’inventaire : celui des bénéficiaires des largesses de Dieu : opprimés, affamés, enchaînés, aveugles, accablés, étrangers, veuves et orphelins. Bref tous ceux que les hommes ignorent ou méprisent.
Et les enfants d’Israël savent de quoi ils parlent : toutes ces situations ils les ont connues. Quand le peuple d’Israël chante ce psaume, c’est sa propre histoire qu’il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; il a connu toutes ces situations : l’oppression en Egypte, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Et ce psaume, d’ailleurs, a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré. Le Temple avait été détruit en 587 av.J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av.J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. La Dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les Lévites et le reste des rapatriés célébrèrent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu » (Esd 6,16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : il a libéré son peuple, il a agi comme son plus proche parent, son vengeur, son racheteur, comme dit la Bible. Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ».
Israël a connu la faim, aussi, dans le désert, pendant l’Exode, et Dieu a envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide ; (« Dieu aime les justes »).
C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours. »
Vous avez remarqué l’insistance sur le nom « SEIGNEUR » (sept fois dans ces trois versets) : ici, il traduit le fameux NOM de Dieu, le NOM révélé à Moïse au Buisson ardent : les quatre lettres « YHVH » qui disent la  présence permanente, agissante, libératrice de Dieu à chaque instant de la vie de son peuple. »
LE SEIGNEUR EST TON DIEU POUR TOUJOURS
Je reprends la dernière ligne d’aujourd’hui : « Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours ». « Le SEIGNEUR est ton Dieu », c’est la formule typique de l’Alliance : « Vous serez MON peuple et je serai VOTRE Dieu. » Toujours, quand on rencontre l’expression « mon Dieu », on sait qu’il y a là un rappel de l’Alliance, de toute l’histoire, l’aventure de l’Alliance entre Dieu et son peuple choisi : Alliance à laquelle Dieu n’a jamais failli.
« Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours » ; une fois de plus, je remarque que la prière d’Israël est toujours tendue vers l’avenir ; elle n’évoque le passé que pour fortifier son attente, son espérance. Et d’ailleurs quand Dieu avait dit son nom à Moïse, il l’avait dit de deux manières : ce fameux nom, imprononçable en quatre lettres, YHVH que nous retrouvons partout dans la Bible, et en particulier dans ce psaume, que nous traduisons « le SEIGNEUR » ; mais aussi, et d’ailleurs il avait commencé par là, il avait donné une formule plus développée, « Ehiè asher ehiè » qui se traduit en français à la fois par un présent « je suis qui je suis » et par un futur « Je serai qui je serai ».1 Manière de dire sa présence permanente et pour toujours auprès de son peuple.
Ici, l’insistance sur le futur, « pour toujours » (verset 10) vise aussi à fortifier l’engagement du peuple : il est bien utile de se répéter ce psaume non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : car, en définitive, cet inventaire est aussi un programme de vie : si Dieu a agi ainsi envers Israël, celui-ci se sent tenu d’en faire autant pour les autres ; tous ces exclus ne connaîtront l’amour que Dieu leur porte qu’à travers le comportement de ceux qui en sont les premiers témoins.
Et d’ailleurs, pour s’assurer que le peuple se conforme peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d’Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. La Loi n’avait qu’un objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui. Parce que Dieu mène inlassablement son peuple, et à travers lui, l’humanité tout entière, sur un long chemin de libération.
Quant aux prophètes, c’est principalement sur l’attitude par rapport aux pauvres et aux affligés de toute sorte qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance. Si on fait l’inventaire des paroles des prophètes, on est obligé d’admettre que leurs rappels à l’ordre portent majoritairement sur deux points : une lutte acharnée contre l’idolâtrie, d’une part, et les appels à la justice et au souci des autres, d’autre part. Jusqu’à oser dire de la part de Dieu « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices, la connaissance de Dieu et non les holocaustes. » (Os 6,6) ; ou encore : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6,8).
Nous lisons dans le livre du Siracide que « les larmes de la veuve (manière de dire ‘tous ceux qui souffrent’ coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18)… Si nous sommes assez près de Dieu, logiquement, elles devraient couler aussi sur nos joues à nous !… C’est probablement cela, être à son image ?
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Note
1 – En hébreu, grammaticalement parlant, une formule telle que « Je suis QUI je suis » ou « Je serai QUI je serai » est tout simplement un superlatif.

DEUXIEME LECTURE – Saint Paul aux Corinthiens 1,26-31

26 Frères,
vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien :
parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes,
ni de gens puissants ou de haute naissance.
27 Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi,
pour couvrir de confusion les sages ;
ce qu’il y a de faible dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi,
pour couvrir de confusion ce qui est fort ;
28 ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde,
ce qui n’est pas,
voilà ce que Dieu a choisi,
pour réduire à rien ce qui est ;
29 ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu.
30 C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus,
lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu,
justice, sanctification, rédemption.
31 Ainsi, comme il est écrit :
« Celui qui veut être fier,
qu’il mette sa fierté dans le Seigneur ».

SAGESSE DE DIEU ET SAGESSE DES HOMMES
On croirait entendre la parabole du Pharisien et du publicain ; c’est vraiment le monde à l’envers : ceux qui, humainement, sont des « gens bien », comme on dit, des sages aux yeux du monde, ne recueillent aucune considération de la part de Paul. Cela ne veut pas dire que Paul méprise la sagesse ! Depuis le roi Salomon, c’est une vertu que l’on demande dans la prière. Et Isaïe en parle comme d’un don de l’Esprit de Dieu. Quand il annonce le Messie, il dit « Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR, esprit de sagesse et de discernement… » Seulement, les hommes de la Bible ont un langage bien particulier sur la sagesse ; ils disent deux choses : Premièrement, ne nous trompons pas de sagesse ; il faut inverser notre regard : la sagesse de Dieu est exactement l’inverse de celle des hommes. Deuxièmement, Dieu seul peut la donner.
D’abord, premier point, il y a sagesse et sagesse ; Paul emploie le même mot « sophia » pour les deux, mais il distingue bien : il y a la sagesse du monde et la sagesse de Dieu. Ce qui semble raisonnable aux yeux des hommes est bien loin du projet de Dieu et, inversement, ce qui est sage aux yeux de Dieu paraît déraisonnable aux hommes. Si on y réfléchit c’est normal car notre sagesse est une logique de raisonnement ; alors que la sagesse de Dieu est la logique de l’amour ; et on sait bien que l’amour échappe à tout raisonnement et que « le cœur  a ses raisons que la raison ne connaît pas ». La folie de l’amour de Dieu, comme dit Saint Paul, est complètement inaccessible à l’étroitesse de nos raisonnements. C’est bien pour cela que la vie et la mort du Christ sont si étonnantes pour nous, si scandaleuses même.
Une fois de plus, on retrouve Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins », dit Dieu (Is 55,8) ; et l’abîme qui sépare nos pensées de celles de Dieu est tel que Jésus pourra aller jusqu’à traiter Pierre de Satan quand il se laisse aller à des considérations trop humaines : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16,23).
La distance qui nous sépare de Dieu, c’est un thème très fort dans toute la Bible : Dieu est le Tout-Autre : avec lui, on dirait que tout notre système de valeurs est inversé : ce que nous appelons richesse, sagesse, force, n’est rien aux yeux de Dieu.
La Bible va encore plus loin : non seulement Dieu ne se conforme pas à notre hiérarchie des valeurs, mais on a bien l’impression qu’il fait juste l’inverse ! Bien souvent, dans l’histoire de l’Alliance, Dieu a porté son choix sur les plus petits : pensez à David ; parmi les huit fils de Jessé, Dieu avait choisi le plus jeune, le plus petit, celui qui était sans importance, tellement sans importance qu’on n’avait même pas pensé à le présenter au prophète Samuel.
Longtemps auparavant, déjà, Moïse précisait bien au peuple (Dt 7,7) : « Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. » et un peu plus loin : « Sache bien que ce n’est pas à cause de ta justice que le SEIGNEUR ton Dieu te donne de posséder ce bon pays, car tu es un peuple à la nuque raide. » (Dt 9,6). Traduisez : Les choix de Dieu sont libres et sans aucun mérite de la part de l’homme, il ne faudrait jamais l’oublier.
LA VRAIE SAGESSE EST DON DE DIEU
Deuxième point, la vraie Sagesse qui est celle de Dieu ne peut être que don de Dieu. Dieu est le Tout-Autre et nous ne l’atteignons pas, nous ne le comprenons pas par nous-mêmes. Tout ce que nous pouvons savoir de Lui, dire de Lui, c’est par révélation. Il nous fait connaître son mystère, comme dit Paul dans sa lettre aux Ephésiens.
Et justement, dans le début de cette même lettre aux Corinthiens, Paul leur avait dit : « Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu. Car le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous. Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Co 1,4-7).
Vous avez remarqué le mot « don »… Et du coup, évidemment, on voit bien que pour Paul, cette connaissance de Dieu qui nous a été donnée par grâce ne doit pas être une occasion de nous vanter : ce serait justement contraire à la sagesse ! Les dons de Dieu ne sont pas une cause d’orgueil personnel, mais d’action de grâce ! Si les vues de Dieu sont différentes des nôtres, lui seul peut nous les faire pénétrer.
Jérémie le disait déjà : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le fort ne se vante pas de sa force, que le riche ne se vante pas de sa richesse. Mais celui qui se vante, qu’il se vante plutôt de ceci : avoir de l’intelligence pour me connaître, moi, le SEIGNEUR qui exerce la fidélité, le droit et la justice. » (Jr 9,22-23).
Le texte d’aujourd’hui apparaît bien comme l’application à la communauté de Corinthe de ces choix surprenants de Dieu. Paul invite les Corinthiens à se regarder avec réalisme : humainement parlant, rien ne les désignait pour recevoir un appel de Dieu… Ils ne sont ni savants, ni puissants, ni nobles aux yeux du monde, mais un ramassis de tout-venants qui ne seraient rien si la puissance de Dieu n’en faisait pas son Eglise. Leur titre de noblesse, le seul important aux yeux de Dieu, c’est leur Baptême. Décidément, Dieu crée le monde nouveau de toutes pièces.
Corinthe, c’est l’illustration vivante de l’initiative inouïe de Dieu qui recrée le monde selon ses propres chemins, bousculant les données habituelles des sociétés humaines. Il n’est plus question de « se glorifier devant Dieu » (comme le faisait le Pharisien de la parabole), mais de rendre Gloire à Dieu pour tant d’amour pour les hommes.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 5,1-12a

En ce temps-là,
1   voyant les foules,
Jésus gravit la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
Il disait :
3 « Heureux les pauvres de cœur,
car le royaume des Cieux est à eux.
4 Heureux ceux qui pleurent,
car ils seront consolés.
5 Heureux les doux,
car ils recevront la terre en héritage.
6  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
car ils seront rassasiés.
7  Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8  Heureux les cœurs purs,
car ils verront Dieu.
9  Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
car le royaume des Cieux est à eux.
11  Heureux êtes-vous si l’on vous insulte,
si l’on vous persécute
et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
à cause de moi.
12  Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse,
car votre récompense est grande dans les cieux ! »

LES LARMES DU REPENTIR OU DE LA COMPASSION
Je commence par la phrase qui nous paraît la plus difficile : « Heureux ceux qui pleurent ». Souvenons-nous premièrement, que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Dans l’évangile de dimanche dernier, par exemple, Matthieu écrivait : « Jésus proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple. » Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur ! En revanche, les larmes dont il s’agit, ce sont peut-être celles du repentir. Notre Pape Benoît XVI donne en exemple celles de saint Pierre, après son reniement.
On peut penser également à d’autres larmes, celles de la compassion : Jésus fait peut-être allusion, ici, à une vision d’Ezéchiel : au dernier jour, Dieu enverra son messager, à travers Jérusalem, « marquer d’une croix au front ceux qui gémissent et qui se lamentent sur toutes les abominations qu’on y commet. » (Ez 9,4).
Deuxième remarque : ce discours de Jésus s’adresse à des Juifs : tout ce qu’il leur dit ici, ils le savent déjà, c’est la prédication habituelle des prophètes ; ils le comprennent donc sans difficulté. Pour nous, par conséquent, si nous voulons comprendre, il faut aller relire l’Ancien Testament.
La prédication majeure des prophètes, c’était ce que nous dit le prophète Sophonie dans la première lecture de ce dimanche : « Cherchez le SEIGNEUR, vous tous, les humbles du pays. » Et le psaume de dimanche dernier chantait : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche, c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie. » Ce sont ceux-là les « pauvres de cœur » dont parle la première Béatitude ; ceux qui peuvent chanter de tout leur cœur le psaume de ce dimanche : « Heureux qui a pour aide le Dieu de Jacob, et pour espoir le SEIGNEUR son Dieu » (Ps 145/146,5) ; ceux qui chantent comme nous à la messe « Kyrie eleison », SEIGNEUR prends pitié ; tout comme le publicain de la parabole : vous vous rappelez cette histoire du pharisien et du publicain qui s’étaient rendus au même moment au Temple pour prier. Le Pharisien, pourtant extrêmement vertueux, ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son coeur était plein de lui-même et sa prière consistait finalement à se contempler lui-même ; le publicain, au contraire, se savait pécheur, mais il se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, il était comblé.
Tous ceux qui ressemblent au publicain de la parabole sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne (Mt 7,7). Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces Béatitudes sont des bonnes nouvelles ; Matthieu disait « Il proclamait la bonne nouvelle du Royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Il se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples (Lc 10,3).
Je pense donc qu’une des manières de lire ces Béatitudes, serait de les envisager comme les multiples chemins du Royaume : c’est pour cela que chaque phrase commence par le mot « Heureux » : ce mot, très fréquent dans l’Ancien Testament, sonne toujours comme un compliment, le plus beau compliment dont nous puissions rêver, en fin de compte. André Chouraqui le traduisait « En marche » : sous-entendu, « tu es bien parti. Le Royaume peut s’approcher de toi. » On retrouve ici le thème des « deux voies » si familier à l’Ancien Testament.
Chacun de nous accueille le Royaume et contribue à sa construction avec ses petits moyens ; Jésus regarde la foule, il pose sur tous ces gens le regard de Dieu. Regardez, dit-il à ses disciples : il y a ici des pauvres… des doux… des affligés… des affamés et assoiffés de justice… des compatissants… des cœurs  purs… des artisans de paix… des persécutés. Toutes situations qui ne correspondent guère à l’idée que le monde se fait du bonheur. Mais ceux qui les vivent, dit Jésus, sont les mieux placés pour accueillir et construire le Royaume. L’horizon de l’existence humaine c’est la venue du Royaume de Dieu : tous nos chemins d’humilité y mènent. Paul nous propose exactement la même méditation dans la deuxième lecture de ce dimanche : « Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur. » (1 Co 1,31).
De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur , la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution… Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.
C’est cela l’imitation de Jésus-Christ » : il est le pauvre par excellence, le doux et humble de cœur  ; au fond, si on y regarde bien, cet évangile dessine un portrait, celui de Jésus lui-même : nous l’avons vu doux et miséricordieux, compatissant à la misère et pardonnant à ses bourreaux ; pleurant sur la souffrance des uns, sur la dureté de cœur  des autres ; affamé et assoiffé de justice et acceptant la persécution ; et surtout, en toutes circonstances, pauvre de cœur , c’est-à-dire attendant tout de son Père et lui rendant grâce de « révéler ces choses aux humbles et aux petits ».
—————————
Compléments
« Heureux les pauvres de cœur » : rappelons-nous, Moïse a rencontré Dieu dans le buisson ardent dans la phase la moins brillante de sa carrière, si j’ose dire : il était en fuite dans le désert du Sinaï pour sauver sa vie. Elie, le grand prophète Elie, n’a rencontré le Dieu de la brise légère, lui aussi, qu’au moment où il était menacé de mort, également dans le désert du Sinaï. Or Matthieu nous suggère peut-être ces rapprochements en parlant de la montagne des Béatitudes : ce qui est évidemment un bien grand mot pour qui connaît les modestes collines de Galilée.
Dans l’évangile de Matthieu les Béatitudes dessinent seulement la bonne voie ; chez Luc (6,24-26), on peut lire également l’autre voie, celle des malheureux qui se sont trompés de route.

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON MATTHIEU, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 26

Dimanche 22 janvier 2023 : 3ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 22 janvier 2023 :

3ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Isaïe 8,23b-9,3

8,23b Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte
le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ;
mais ensuite, il a couvert de gloire
la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain,
et la Galilée des nations.
9,1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres
a vu se lever une grande lumière ;
et sur les habitants du pays de l’ombre,
une lumière a resplendi.
9,2 Tu as prodigué la joie,
tu as fait grandir l’allégresse :
ils se réjouissent devant toi,
comme on se réjouit de la moisson,
comme on exulte au partage du butin.
9,3 Car le joug qui pesait sur lui,
la barre qui meurtrissait son épaule,
le bâton du tyran,
tu les as brisés comme au jour de Madiane.

ANGOISSE A JERUSALEM
A l’époque dont il est question, le royaume d’Israël est divisé en deux : vous vous souvenez que David puis Salomon ont été rois de tout le peuple d’Israël ; mais, dès la mort de Salomon, en 933 av. J.C., l’unité a été rompue, (on parle du schisme d’Israël) ; et il y a eu deux royaumes bien distincts et même parfois en guerre l’un contre l’autre : au Nord, il s’appelle Israël, c’est lui qui porte le nom du peuple élu ; sa capitale est Samarie ; au Sud, il s’appelle Juda, et sa capitale est Jérusalem. C’est lui qui est véritablement le royaume légitime : car c’est la descendance de David sur le trône de Jérusalem qui est porteuse des promesses de Dieu.
Isaïe prêche dans le royaume du Sud, mais, curieusement, tous les lieux qui sont cités ici appartiennent au royaume du Nord : « Le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali… il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain et la Galilée… » : Zabulon, Nephtali, la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, la Galilée, ce sont cinq noms de lieux qui sont au Nord ; Zabulon et Nephtali : ce sont deux des douze tribus d’Israël ; et leur territoire correspond à la Galilée, à l’Ouest du lac de Tibériade ; on est bien au Nord du pays d’Israël. La route de la mer, comme son nom l’indique, c’est la plaine côtière à l’Ouest de la Galilée ; enfin, ce qu’Isaïe appelle le pays au-delà du Jourdain, c’est la Transjordanie.
Ces précisions géographiques permettent d’émettre des hypothèses sur les événements historiques auxquels Isaïe fait allusion ; car ces trois régions, la Galilée, la Transjordanie et la plaine côtière, ont eu un sort particulier pendant une toute petite tranche d’histoire, entre 732 et 721 av. J.C. Vous savez qu’à cette époque-là, la puissance montante dans la région est l’empire assyrien dont la capitale est Ninive. Or ces trois régions-là ont été les premières annexées par le roi d’Assyrie, Tiglath-Pilézer III, en 732. Puis, en 721, c’est la totalité du royaume de Samarie qui a été annexée (y compris la ville de Samarie).
C’est donc très certainement à cette tranche d’histoire qu’Isaïe fait référence. C’est à ces trois régions précisément qu’Isaïe promet un renversement radical de situation : « Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée, carrefour des païens ».
Je n’oublie pas ce que je disais plus haut à savoir qu’Isaïe prêche à Jérusalem ; et on peut évidemment se demander en quoi ce genre de promesses au sujet du royaume du Nord peut intéresser le royaume du Sud.
On peut répondre que le royaume du Sud n’est pas indifférent à ce qui se passe au Nord, au moins pour deux raisons : d’abord, étant donné leur proximité géographique, les menaces qui pèsent sur l’un, pèseront tôt ou tard sur l’autre : quand l’empire assyrien prend possession du Nord, le Sud a tout à craindre. Et, d’ailleurs, ce royaume du Sud (Jérusalem) est déjà vassal de l’empire assyrien ; il n’est pas encore écrasé, mais il a perdu son autonomie. D’autre part, deuxième raison, le royaume du Sud interprète le schisme comme une déchirure dans une robe qui aurait dû rester sans couture : il espère toujours une réunification, sous sa houlette, bien sûr.
INTERDICTION DE DESESPERER
Or, justement, ces promesses de relèvement du royaume du Nord résonnent à ce niveau : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi », voilà deux phrases qui faisaient partie du rituel du sacre de chaque nouveau roi. Traditionnellement, l’avènement d’un nouveau roi est comparé à un lever de soleil, car on compte bien qu’il rétablira la grandeur de la dynastie. C’est donc d’une naissance royale qu’il est question. Et ce roi assurera à la fois la sécurité du royaume du Sud et la réunification des deux royaumes.
Et effectivement, un peu plus bas, Isaïe l’exprime en toutes lettres : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné… » Ces phrases, elles aussi, sont des formules habituelles des couronnements. Ici, il s’agit du petit dauphin Ezéchias qui a sept ans. Il est ce fameux Emmanuel promis huit ans plus tôt par le prophète Isaïe au roi Achaz. Vous vous souvenez de cette promesse : « Voici que la jeune femme* est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel » (Is 7,14). Ce petit Ezéchias, dès l’âge de sept ans, a été associé au règne de son père.
Avec lui, l’espoir peut renaître : « Il sera le prince de la paix » affirme Isaïe. Car, il en est certain, Dieu soutient son peuple dans sa volonté de liberté, il ne le laissera pas indéfiniment sous la tutelle des grandes puissances.
Pourquoi cette assurance qui défie toutes les évidences de la réalité ? Simplement parce que Dieu ne peut pas se renier lui-même, comme dira plus tard Saint Paul : Dieu veut libérer son peuple contre toutes les servitudes de toute sorte. Cela, c’est la certitude de la foi.
Cette certitude s’appuie sur la mémoire : Moïse y avait insisté souvent : « Garde-toi d’oublier ce que le SEI­GNEUR a fait pour toi » : parce que si nous perdons cette mémoire-là, nous sommes perdus ; rappelez-vous encore le même Isaïe disant au roi Achaz : « Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir » (Is 7,9) ; à chaque époque d’épreuve, de ténèbres, la certitude du prophète que Dieu ne manquera pas à ses promesses lui dicte une prophétie de victoire.
Une victoire qui sera “Comme au jour de la victoire sur Madiane” : une fameuse victoire de Gédéon sur les Madianites était restée célèbre : au temps des Juges, c’est-à-dire avant la monarchie, une tribu nomade, les Madianites, terrorisait la population avec ses chameaux car elle détruisait toutes les récoltes et opérait des razzias impitoyables. Et Dieu avait choisi Gédéon pour sauver son peuple. Or les Madianites étaient innombrables et la troupe de Gédéon ne comprenait que trois cents hommes. Eh bien, ces trois cents hommes, en pleine nuit, armés seulement de lumières et de trompettes avaient mis en déroute le camp des ennemis. Leur secret, évidemment, c’était leur foi en la présence de Dieu.
Le message d’Isaïe, c’est : « Ne crains pas. Dieu n’abandonnera jamais la dynastie de David ». On pourrait traduire pour aujourd’hui : ne crains pas, petit troupeau : c’est la nuit qu’il faut croire à la lumière. Quelles que soient les ténèbres qui recouvrent le monde et la vie des hommes, et aussi la vie de nos communautés, réveillons notre espérance : Dieu n’abandonne pas son projet d’amour sur l’humanité.
——————
Note
*Le texte hébreu dit bien « la jeune femme » et enceinte ; il s’agit de la reine. Mais la traduction grecque (la Septante) a traduit « vierge », parce qu’à l’époque de cette traduction (au deuxième siècle avant J.C. environ), la croyance était largement répandue que le Messie naîtrait d’une vierge.

Complément
Reste une question : quand nous lisons la Bible, ce n’est pas pour suivre un cours d’histoire ou de géographie. Alors pourquoi lire ce texte d’Isaïe ? Pour regonfler nos énergies : car ce que nous lisons ici chez Isaïe, c’est une véritable homélie sur l’espérance. Comme il rappelait à ses contemporains l’histoire de Gédéon, nous aussi, nous devons sans cesse nous rappeler que Dieu n’a jamais abandonné son peuple et ce n’est pas maintenant qu’il va commencer !

PSAUME – 26 (27)

1 Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte ?
Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?

4 J’ai demandé une chose au SEIGNEUR,
la seule que je cherche :
habiter la maison du SEIGNEUR
tous les jours de ma vie.

13 Mais j’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR
sur la terre des vivants.
14 Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ;
espère le SEIGNEUR.

« LE SEIGNEUR EST MA LUMIERE ET MON SALUT »
« Le Seigneur est MA lumière et MON salut » : ces expressions à la première personne du singulier ne nous trompent pas : il s’agit d’un singulier collectif : c’est le peuple d’Israël tout entier qui exprime ici sa confiance invincible en Dieu, en toutes circonstances. Périodes de lumière, périodes de ténèbres, circonstances gaies, circonstances tristes, ce peuple a tout connu ! Et au milieu de toutes ses aventures, il a gardé confiance, il a approfondi sa foi. Ce psaume en est un superbe témoignage.
Ici il exprime en images les diverses péripéties de son histoire : vous connaissez ce procédé qui est très fréquent dans les psaumes et qu’on appelle le revêtement ; le texte fait allusion à des situations individuelles très précises : un malade, un innocent injustement condamné, un enfant abandonné, ou un roi, ou un lévite… (et d’ailleurs, si nous lisions en entier ce psaume 26/27, nous verrions qu’elles y sont toutes) ; mais en fait, toutes ces situations apparemment individuelles ont été à telle ou telle époque la situation du peuple d’Israël tout entier ; il faut lire : « Israël est comme un malade guéri par Dieu, comme un innocent injustement condamné, comme un enfant abandonné, comme un roi assiégé » et c’est de Dieu seul qu’il attend sa réhabilitation, ou sa délivrance… En parcourant l’Ancien Testament, on retrouve sans peine toute les situations historiques précises auxquelles il est fait allusion.
Dans les versets retenus par le missel pour aujourd’hui, il y a deux images : la première, c’est celle d’un roi ; parfois on a pu comparer Israël à un roi assiégé par des ennemis ; son Dieu l’a toujours soutenu ; « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » (voici maintenant les versets 2-3 : « Si des méchants s’avancent contre moi pour me déchirer, ce sont eux, mes adversaires, qui perdent pied et succombent. Qu’une armée se déploie devant moi, mon cœur  est sans crainte ; que la bataille s’engage contre moi, je garde confiance »). Que ce soit l’attaque par surprise des Amalécites dans le désert du Sinaï, au temps de Moïse, ou bien la menace des rois de Samarie et de Damas contre le pauvre roi Achaz terrorisé vers 735, ou encore le siège de Jérusalem en 701 par le roi assyrien, Sennachérib, et j’en oublie, les occasions n’ont pas manqué.
Face à ces dangers, il y a deux attitudes possibles : la première, c’est celle du roi David, un homme comme les autres, pécheur comme les autres (son histoire avec Bethsabée était célèbre), mais un croyant assuré en toutes circonstances de la présence de Dieu à ses côtés. Il est resté un modèle pour son peuple. En revanche, nous avons rencontré pendant l’Avent dans un texte du prophète Isaïe le roi Achaz, qui n’avait pas la même foi sereine : je vous avais cité à ce propos une phrase très expressive du livre d’Isaïe pour dire que le roi cédait à la panique au moment du siège de Jérusalem : « Le cœur  du roi et le cœur  de son peuple se mirent à trembler comme les arbres de la forêt sont agités par le vent. » (Is 7,2). Et la mise en garde d’Isaïe avait été très ferme ; il avait dit au roi : « Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir » (on pourrait dire en français d’aujourd’hui « vous ne tiendrez pas le coup »). Soit dit en passant, Isaïe faisait un jeu de mots sur le mot « Amen » car c’est le même mot, en hébreu, qui signifie « croire, tenir dans la foi » et « tenir fermement » : cela peut nous aider à comprendre le sens du mot « foi » dans la Bible.
Je reviens aux deux attitudes contrastées de David et d’Achaz : le peuple d’Israël a, bien sûr, connu tour à tour ces deux types d’attitude, mais dans sa prière, il se ressource dans la foi de David.
J’AI DEMANDE UNE CHOSE AU SEIGNEUR, LA SEULE QUE JE CHERCHE
Ou encore, et c’est la deuxième image, Israël peut être comparé à un lévite, un serviteur du Temple, dont toute la vie se déroule dans l’enceinte du temple de Jérusalem : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche, habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie. » Quand on sait que les lévites étaient attachés au service du Temple de Jérusalem et montaient la garde jour et nuit dans le Temple, l’allusion est très claire ; derrière ce lévite, on voit bien se profiler le portrait du peuple tout entier. Comme la tribu des lévites est, parmi les douze tribus d’Israël, celle qui est consacrée au service de la maison du Seigneur, le peuple d’Israël tout entier, est, parmi l’ensemble des peuples de la terre, celui qui est consacré à Dieu, qui appartient à Dieu.
Enfin, la dernière strophe « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. » fait irrésistiblement penser à Job : « Je sais, moi, que mon rédempteur est vivant, que, le dernier, il se lèvera sur la poussière ; et quand bien même on m’arracherait la peau, de ma chair je verrai Dieu. ». Ni l’auteur du psaume 26/27 ni celui du livre de Job n’envisageaient encore la possibilité de la résurrection individuelle ; l’expression « terre des vivants » vise bien cette terre-ci. Ils n’en ont que plus de mérite, peut-être : en Israël l’espérance est tellement forte qu’on est sûrs que Dieu interviendra pour nous. Bien sûr, ces textes prennent encore plus de force à partir du moment où la foi en la Résurrection est née. « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. »
Quant à la dernière phrase (« Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ; espère le SEIGNEUR. »), elle est peut-être une allusion à la parole que Dieu avait adressée à Josué, au moment d’entreprendre la marche vers la terre promise, la terre des vivants : « Sois fort et courageux. Ne crains pas, ne t’effraie pas, car le SEIGNEUR ton Dieu sera avec toi partout où tu iras. » (Jos 1,9).
Cette dernière strophe reflète, une fois encore, la confiance indéracinable du peuple d’Israël : « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. » Cette confiance, on le sait, est fondée sur la mémoire de l’œuvre  de Dieu et c’est elle qui autorise l’espérance : « Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ; espère le SEIGNEUR. » L’espérance, c’est la foi conjuguée au futur. André Chouraqui l’appelait la « mémoire du futur ».
On ne s’étonne donc pas que ce psaume soit proposé pour les célébrations de funérailles : les jours de deuil sont ceux où nous avons bien besoin de nous ré-enraciner, de nous ressourcer dans la foi et l’espérance de nos pères.

DEUXIEME LECTURE –

première lettre de Saint Paul apôtre aux Corinthiens 1, 10 – 13. 17

10 Frères,
je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ :
ayez tous un même langage ;
qu’il n’y ait pas de division entre vous,
soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions.
11 Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères,
par les gens de chez Chloé,
qu’il y a entre vous des rivalités.
12 Je m’explique.
Chacun de vous prend parti en disant :
« Moi, j’appartiens à Paul »,
ou bien :
« Moi, j’appartiens à Apollos »,
ou bien :
« Moi, j’appartiens à Pierre »,
ou bien :
« Moi, j’appartiens au Christ ».
13 Le Christ est-il donc divisé ?
Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ?
Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?
17 Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser,
mais pour annoncer l’Évangile,
et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine,
ce qui rendrait vaine la croix du Christ.

DIVISIONS DANS LA COMMUNAUTE DE CORINTHE
De par sa situation, le port de Corinthe était un lieu de trafic intense avec tous les autres ports de la Méditerranée. Par le fait même, tous les courants de pensée du monde méditerranéen trouvaient des échos à Corinthe. Il n’est pas étonnant que des voyageurs originaires de différents pays aient témoigné de leur foi chrétienne chacun à leur manière. L’enthousiasme des néophytes les portait à comparer la qualité du message apporté par les différents prédicateurs. Et, apparemment, si on en juge par la suite de la lettre, les Corinthiens étaient très sensibles, trop sensibles, aux belles paroles.
Due ce fait, des clans se sont formés et les discussions, voire même les querelles vont bon train. Vous savez bien que c’est sur les sujets religieux que nous sommes les moins tolérants ! Paul cite quatre clans : d’abord des Chrétiens qui se réclament de lui ; puis il y a les disciples d’Apollos ; un troisième clan se réclame de Saint Pierre ; on ne sait pas si lui-même y est jamais allé, mais peut-être des membres de l’entourage de Pierre y sont-ils passés… Enfin un quatrième clan se dit le « parti du Christ », sans qu’on sache bien ce que cela recouvre.
Je reviens à Apollos, dont nous n’aurons plus jamais l’occasion de parler et qui, pourtant, a certainement joué un rôle important dans les débuts de l’Eglise. Nous le connaissons par les Actes des Apôtres (au chapitre 18) ; c’était un Juif, originaire d’Alexandrie (en Egypte), certainement un intellectuel : on disait de lui qu’il était « éloquent, versé dans les Ecritures ». Où a-t-il adhéré à la foi chrétienne ? D’après certains manuscrits, ce serait déjà en Egypte, son pays d’origine ; ce qui supposerait que le Christianisme aurait très tôt essaimé en Egypte. Les manuscrits les plus nombreux ne précisent pas ; en tout cas, il est clair qu’il est devenu Chrétien fervent, même si sa catéchèse est encore bien incomplète. Voici la phrase des Actes : « Il avait été instruit du Chemin du Seigneur ; dans la ferveur de l’Esprit, il parlait et enseignait avec précision ce qui concerne Jésus, mais, comme baptême, il ne connaissait que celui de Jean. » (Ac 18,25-26). Le voilà qui arrive à Ephèse et qui se présente à la synagogue (à cette époque, les Chrétiens n’avaient pas encore été chassés des synagogues) ; là, il fait ce que Paul a toujours fait, c’est-à-dire qu’il annonce que Jésus est le Messie qu’on attendait ; deux auditeurs de la synagogue d’Ephèse reconnaissent ses talents d’orateur mais jugent utile de compléter son bagage théologique. « Quand Priscille et Aquilas l’entendirent, ils le prirent à part et lui exposèrent avec plus de précision le Chemin de Dieu. »
Là-dessus, Apollos a décidé de se rendre à Corinthe : recommandé par les frères d’Ephèse, il y fut bien accueilli et il eut très vite un grand succès : « En effet, avec vigueur il réfutait publiquement les Juifs, en démontrant par les Écritures que le Christ, c’est Jésus. ». (Ac 18,28).
Visiblement donc, si j’en crois Saint Luc dans ce passage des Actes des Apôtres, Apollos est un Chrétien fervent et il parle bien : il enthousiasme les foules ; il est précieux aussi dans les débats qui opposent Juifs et Chrétiens. Il est certainement plus éloquent que Paul qui reconnaît lui-même ne pas avoir la même habileté : « Le Christ m’a envoyé annoncer l’Evangile sans avoir recours au langage de la sagesse humaine » ; ce qu’il appelle « langage de la sagesse humaine », c’est l’art oratoire, la force de l’argumentation : pour Paul l’évangélisation ne se fait pas à coup de discours et d’arguments.
ON NE PRECHE PAS L’EVANGILE PAR DE BEAUX DISCOURS
« Le Christ m’a envoyé pour annoncer l’Evangile, sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ. » C’est-à-dire pour prêcher l’évangile de l’amour, pas besoin d’éloquence et de beaux arguments qui cherchent à convaincre ; dans le mot « convaincre », si on y réfléchit bien, il y a le mot « vaincre » ; or, il est évident que la forme du discours doit être cohérente avec le contenu du message : on ne peut pas annoncer un Dieu de tendresse en employant la violence même seulement verbale ! Nous l’avons peut-être parfois oublié…
La suite de la lettre nous prouve qu’Apollos ne fait rien pour s’attirer des admirateurs ; il n’est resté que peu de temps à Corinthe puis il a rejoint Paul à Ephèse ; Paul lui-même le pousse à retourner à Corinthe mais Apollos refuse, probablement pour ne pas aggraver les tensions dans la communauté chrétienne.
En tout cas Paul, qui a quitté Corinthe, continue à en recevoir des nouvelles par les commerçants qui vont régulièrement de Corinthe à Ephèse. En particulier, des employés d’une certaine Chloé ont fait état de véritables querelles qui divisent la communauté ; alors Paul se décide à prendre la plume. Il ne leur fait pas la morale : à ses yeux, c’est beaucoup plus grave que cela.
Pour lui, c’est le sens même de notre Baptême qui est en jeu : et c’est la simplicité de l’argumentation de Paul qui peut nous étonner ; pour lui, c’est très simple : être baptisé, c’est être uni au Christ : il n’est donc plus possible d’être divisés entre nous ! Les Chrétiens, comme leur nom l’indique, ont tous été baptisés « au nom » du Christ : c’est-à-dire que le nom du Christ a été prononcé sur eux ; désormais ils lui appartiennent. Personne ne peut dire « j’ai été baptisé au nom d’untel ou untel, Paul ou Apollos ou Pierre » ; tous ont été baptisés « au nom » du Christ. Le Concile Vatican II le dit bien « Quand le prêtre baptise, c’est le Christ qui baptise ». Etre baptisé au nom du Christ, c’est être greffé sur lui… Dans une greffe c’est la réussite de la greffe qui compte, peu importe le jardinier.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 4,12-23

12 Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste,
il se retira en Galilée.
13 Il quitta Nazareth
et vint habiter à Capharnaüm,
ville située au bord de la mer de Galilée,
dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
14 C’était pour que soit accomplie
La parole prononcée par le prophète Isaïe :
15 Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
Galilée des nations !
16 Le peuple qui habitait dans les ténèbres
a vu une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient
dans le pays et l’ombre de la mort,
une lumière s’est levée.
17 A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer :
« Convertissez-vous,
car le Royaume des Cieux est tout proche. »
18 Comme il marchait le long de la mer de Galilée,
il vit deux frères,
Simon appelé Pierre,
et son frère André,
qui jetaient leurs filets dans la mer ;
car c’étaient des pêcheurs.
19 Jésus leur dit :
« Venez à ma suite,
et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
20 Aussitôt, laissant leurs filets,
ils le suivirent.
21 De là, il avança et il vit deux autres frères,
Jacques, fils de Zébédée
et son frère Jean,
qui étaient dans leur barque avec leur père,
en train de préparer leurs filets.
Il les appela.
22 Aussitôt, laissant la barque et leur père,
ils le suivirent.
23 Jésus parcourait toute la Galilée,
il enseignait dans leurs synagogues,
proclamait l’Evangile du Royaume,
guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.

L’ACCOMPLISSEMENT DU PROJET DE DIEU
Nous sommes au chapitre 4 de l’évangile de Matthieu ; vous vous souvenez des trois premiers chapitres : d’abord une longue généalogie qui resitue Jésus dans l’histoire de son peuple, et en particulier dans la descendance de David ; ensuite l’annonce faite à Joseph par l’ange du Seigneur « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » et Matthieu précisait : « Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit Dieu avec nous » : ce qui était une citation d’Isaïe, manière de nous dire « enfin les promesses sont accomplies, enfin le Messie tant attendu est là ».
Et tous les épisodes suivants redisent ce message d’accomplissement, chacun à leur manière : la visite des mages, la fuite en Egypte, le massacre des enfants de Bethléem, le retour d’Egypte et l’installation de Joseph, Marie et l’enfant Jésus en Galilée, à Nazareth… la prédication de Jean-Baptiste, le baptême de Jésus et enfin le récit des Tentations de Jésus ; tous ces récits fourmillent de citations explicites des Ecritures et d’une multitude d’allusions bibliques.
Et nous voilà tout préparés à entendre le texte d’aujourd’hui ; lui aussi est truffé d’allusions et dès le début, d’ailleurs, Matthieu cite le prophète Isaïe pour bien montrer les enjeux de l’installation de Jésus à Capharnaüm.
La ville de Capharnaüm est en Galilée, au bord du lac de Tibériade, tout le monde le sait ; pourquoi Saint Matthieu éprouve-t-il le besoin de préciser qu’elle est située dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ? Ces deux noms des anciennes tribus d’Israël ne faisaient pas partie du langage courant, c’étaient des noms du passé ! Et d’ailleurs, pourquoi lier les deux noms « Zabulon et Nephtali » ? Quand on lit au livre de Josué la description du territoire de ces tribus, on voit bien qu’au moment du partage du pays entre les tribus, le principe a justement été de bien délimiter le territoire de chaque tribu ; une même ville n’appartient pas à deux tribus à la fois ; cela prouve que les préoccupations de Saint Matthieu ne sont pas d’ordre géographique.
LE VRAI ROI DU MONDE EST VENU HABITER CHEZ NOUS
Il veut rappeler à ses auditeurs une fameuse promesse d’Isaïe : « Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations. » (Is 8,23)1. (Au moment de l’expansion assyrienne, au huitième siècle, ces deux tribus (Zabulon et Nephtali) dont les territoires étaient limitrophes, avaient ceci de commun qu’elles avaient été annexées en même temps.) Et le prophète continuait : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. » Cette formule était employée lors de la cérémonie du sacre d’un nouveau roi : son avènement, telle la promesse d’une ère nouvelle, était comparé à un lever de soleil.
En évoquant cette prophétie, Matthieu applique à l’arrivée de Jésus en Galilée ces phrases rituelles du sacre : manière de nous dire que le vrai roi du monde est venu habiter chez nous. Oui, enfin la lumière s’est levée sur Israël et sur l’humanité tout entière ; la Galilée, carrefour des nations, comme on disait, est la porte ouverte sur le monde : à partir d’elle, le salut de Dieu apporté par le Messie rayonnera sur toutes les nations.
En même temps, Matthieu annonce déjà en quelques mots le déroulement des événements qui vont suivre ; en racontant le départ de Jésus vers la Galilée, après l’arrestation de Jean-Baptiste, Matthieu nous montre bien deux choses : premièrement que toute la vie du Christ est sous le signe de la persécution… mais deuxièmement aussi la victoire finale sur le mal : Jésus fuit la persécution, c’est vrai, mais ce faisant, il porte plus loin la Bonne Nouvelle : du mal, Dieu fait surgir un bien… la fin de l’Evangile nous montrera que de la souffrance et de la mort, Dieu fait surgir la Vie.
LE SALUT DE DIEU EST EN MARCHE
Voici Jésus à Capharnaüm et Matthieu emploie une formule apparemment banale « A partir de ce moment » ; or si on regarde bien, il ne l’emploie qu’une seule autre fois, bien plus tard, au chapitre 16 : ce n’est pas un hasard ; les deux fois, il s’agit d’un grand tournant ; ici « A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » ; au chapitre 16, ce sera « A partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter ». (Mt 16,21).
Effectivement, dans l’épisode d’aujourd’hui, qui nous relate le début de la vie publique de Jésus, nous sommes à un grand tournant ; avec l’effacement de Jean-Baptiste et le début de la prédication de Jésus, l’humanité a franchi une étape décisive : du temps de la promesse nous sommes passés au temps de l’accomplissement.
Et désormais, le Royaume est là, parmi nous, non seulement en paroles mais en actes : car la finale du texte d’aujourd’hui est tout un programme : « Jésus parcourait toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Evangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple. » La prophétie d’Isaïe que nous avons lue en première lecture trouve ici sa pleine réalisation et Saint Matthieu le souligne puissamment. Jésus proclame : « Le royaume des Cieux est tout proche. »
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Note
1 C’est le texte de notre première lecture, ce dimanche.

CHRISTIANISME, EPIPHANIE, EPIPHANIE DU SEIGNEUR, EVANGILE SELON MATTHIEU, Fête de l'Epiphanie, JACQUES DE VOROGINE, L'EPIPHINANIE SELON LA LEGENDE DOREE, LEGENDE DOREE, NOUVEAU TESTAMENT

L’Epiphanie d’après la Légende dorée

L’Épiphanie d’après la Légende dorée de Jacques de Vorogine

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L’Épiphanie se célèbre en souvenir d’un quadruple miracle. C’est en effet ce jour-là que les mages ont adoré le Christ, que saint Jean a baptisé le Christ, que le Christ a changé l’eau en vin, et qu’il a rassasié cinq mille hommes avec cinq pains. Et cette fête porte quatre noms : 1o elle s’appelle Épiphanie, en souvenir de l’étoile que les mages aperçurent au-dessus d’eux ; 2o elle s’appelle Théophanie, parce que, le jour du baptême du Christ, la Trinité divine apparut tout entière, le Père dans la voix, le Fils dans la chair, le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ; 3o elle s’appelle Béthanie (de Beth, maison), parce qu’aux noces de Cana Jésus montra sa divinité dans une maison ; 4o enfin elle s’appelle Phagiphanie, en souvenir du jour où le Christ a nourri cinq mille hommes avec cinq pains. Mais nous devons ajouter que l’on doute que ce quatrième miracle se soit accompli ce jour-là : car saint Jean nous dit que « le temps de la Pâque approchait ».

Au reste, le premier de ces quatre miracles est celui que l’Église célèbre tout particulièrement ; de telle sorte que nous n’aurons à nous occuper ici que de lui. Donc, treize jours après la naissance du Christ, trois mages vinrent à Jérusalem. Leurs noms étaient, en grec, Appellius, Amérius, et Damascus ; en hébreu, Galgalat, Malgalath et Sarathin ; en latin, Gaspard, Balthasar, et Melchior. Ces trois mages étaient des sages, et en même temps des rois ; car le mot mage, qui signifie imposteur et sorcier, a aussi le sens de « homme très savant ».

On peut se demander pourquoi ces mages vinrent à Jérusalem, puisque ce n’était point là que le Christ était né. Remi en donne quatre raisons : 1o les mages ignoraient le lieu exact de la naissance du Christ, et sont venus à Jérusalem parce qu’ils supposaient qu’un enfant aussi merveilleux ne pouvait être né que dans la capitale du royaume ; 2o ils sont venus à Jérusalem pour consulter les savants et les scribes de la ville sur le lieu de naissance du Sauveur ; 3o ils sont venus à Jérusalem pour ôter aux Juifs l’excuse de pouvoir dire qu’ils ignoraient le temps de la naissance du Messie ; 4o enfin ils sont venus à Jérusalem pour condamner, par le spectacle de leur zèle, l’indifférence et la mollesse des Juifs.

Saint Jean Chrysostome nous donne une autre explication de la venue des mages à Jérusalem. C’étaient, suivant lui, des astrologues qui, de père en fils, passaient trois jours par mois sur une haute montagne, dans l’attente de l’étoile qu’avait prédite Balaam. Or, dans la nuit de la naissance du Christ, une étoile leur apparut qui avait la forme d’un merveilleux enfant, avec une croix de feu sur la tête ; et elle leur dit : « Allez vite dans la terre de Juda, vous y trouverez un enfant nouveau-né qui est le roi que vous attendez ! »

On peut se demander ensuite comment douze jours ont pu leur suffire pour faire un si long trajet, depuis les confins de l’Orient jusqu’à Jérusalem, que l’on dit située au centre du monde. Suivant Remi, c’est l’Enfant divin lui-même qui les a conduits. Ou encore, suivant d’autres, la rapidité de leur course tient à ce qu’ils étaient montés sur des dromadaires, animaux très rapides, qui font plus de chemin en un jour que les chevaux en trois.

Arrivés à Jérusalem, ils ne demandèrent pas si le roi des Juifs était né, car ils le savaient déjà par l’étoile. Ils demandèrent où était né le roi des Juifs. Ce qu’entendant, Hérode se troubla fort, et la ville entière avec lui. Hérode en fut troublé pour trois raisons : 1o il craignait que les Juifs ne prissent pour maître ce roi nouveau-né ; 2o il craignait d’être mis en accusation par les Romains, s’il permettait à un homme non proclamé roi par Auguste de revêtir le titre de roi ; 3o comme le dit saint Grégoire, un roi terrestre ne pouvait manquer de se sentir troublé, se voyant en présence du roi des Cieux. Et quant au trouble des Juifs, il s’expliquait également par trois raisons, d’après Chrysostome : 1o par l’impossibilité où sont les impies de se réjouir de l’avènement du juste ; 2o par l’adulation de ces Juifs pour Hérode, dont ils voyaient le trouble ; 3o par l’incertitude où ils étaient de leur sort devant la perspective d’une révolution.

Hérode, ayant convoqué tous les prêtres et scribes, leur demanda où était né le Christ. Et quand il apprit que c’était à Bethléem, il le dit aux mages, en leur demandant de venir lui rendre compte de ce qu’ils auraient vu ; lui-même, prétendait-il, irait alors adorer l’enfant nouveau-né : mais en réalité il ne songeait qu’à le faire périr.

Autre particularité : l’étoile cessa de guider les mages dès qu’ils furent entrés à Jérusalem, sans doute pour forcer les mages à s’enquérir du lieu de la nativité du Christ, et ainsi à fournir devant tous le témoignage du miracle. Quant à la nature même de cette étoile, les uns disent que c’était l’Esprit-Saint qui avait pris cette forme pour guider les mages, d’autres que c’était un ange ; d’autres enfin, dont nous partageons l’avis, supposent que cette étoile était un astre nouvellement créé, qui, ayant rempli sa mission, sera rentré dans le sein de la matière universelle. D’après Fulgence, cette étoile différait de toutes les autres en trois choses : 1o elle n’était pas localisée dans le firmament, mais pendait dans les airs, près de la terre ; 2o elle était si brillante qu’on la voyait même en plein jour, éclipsant la lumière du soleil ; 3o elle marchait en avant des mages, comme une personne vivante, au lieu de suivre le mouvement circulaire des autres étoiles.

Entrés dans la crèche, et y ayant trouvé l’enfant avec sa mère, les mages se mirent à genoux, et offrirent, en présent, de l’or, de l’encens, et de la myrrhe. Le choix de ces présents et leur don s’expliquent par plusieurs motifs : 1o c’était l’usage, chez les anciens, de ne jamais approcher d’un dieu ou d’un roi sans lui offrir des présents ; et les mages, qui venaient des confins de la Perse et de la Chaldée, à l’endroit où coule le fleuve Saba (d’après l’Histoire scholastique), apportaient les présents qu’avaient coutume d’offrir les Perses et les Chaldéens ; 2o d’après saint Bernard, l’or était destiné à alléger la pauvreté de la Vierge, l’encens à effacer la mauvaise odeur de l’étable, la myrrhe à consolider les membres de l’enfant en expulsant les vers de ses intestins ; 3o ces trois présents signifiaient la royauté du Christ, sa divinité, et son humanité : car l’or sert pour le tribut royal, l’encens pour le sacrifice divin, la myrrhe pour la sépulture des morts ; 4o enfin ces trois présents signifient ce que nous devons offrir au Christ : car l’or est le symbole de l’amour, l’encens celui de la prière, et la myrrhe symbolise la mortification de la chair.

Ayant adoré l’enfant Jésus, les mages, qu’un songe avait avertis de ne point retourner auprès d’Hérode, s’en revinrent dans leurs pays par un autre chemin. Leurs corps furent retrouvés par Hélène, mère de Constantin, qui les transporta à Constantinople. Plus tard, saint Eustorge les transporta à Milan, dont il était évêque, et les déposa dans l’église qui appartient aujourd’hui à notre Ordre des Frères prêcheurs. Mais lorsque l’empereur Henri s’empara de Milan, il fit transporter les corps des mages, par le Rhin, à Cologne, où le peuple les entoure d’une grande dévotion.

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Jacques de Vorogine, chroniqueur (1228-1298)

Jacques de Vorogine (1228-1298)

Jacques de Voragine naquit en 1228 environ, à Varazza près de Gênes en Italie. Issu d’une famille modeste, il entra très jeune chez les Dominicains et grâce à ses talents de prédicateur fut nommé provincial de l’ordre avant de devenir archevêque de Gênes nommé par le pape Nicolas IV.

Il est auteur de la Légende dorée, célèbre ouvrage racontant la vie d’un grand nombre de saints et saintes, martyrs chrétiens, ayant subi les persécutions des Romains. Il commence en 1250 la rédaction de la Légende dorée décrivant l’origine de la Sainte Croix, dont le premier manuscrit paraît en 1260. Il se consacrera à cette tâche jusqu’à sa mort en 1298.

Dès sa parution, cet ouvrage connut une grande vogue ; c’est à travers cette œuvre que s’est forgée une partie de l’iconographie chrétienne.

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Dimanche 8 janvier 2023 : Fête de l’Epiphanie : lectures et commentaires

Dimanche 8 janvier 2023 : Fête de l’Epiphanie

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Isaïe 60,1-6

1 Debout, Jérusalem, resplendis !
Elle est venue, ta lumière,
et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi.
2 Voici que les ténèbres couvrent la terre,
et la nuée obscure couvre les peuples.
Mais sur toi se lève le SEIGNEUR,
Sur toi sa gloire apparaît.
3 Les nations marcheront vers ta lumière,
et les rois, vers la clarté de ton aurore.
4 Lève les yeux alentour, et regarde :
tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ;
tes fils reviennent de loin,
et tes filles sont portées sur la hanche.
5 Alors tu verras, tu seras radieuse,
ton cœur  frémira et se dilatera.
Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi,
vers toi viendront les richesses des nations.
6 En grand nombre, des chameaux t’envahiront,
de jeunes chameaux de Madiane et d’Epha.
Tous les gens de Saba viendront,
apportant l’or et l’encens ;
ils annonceront les exploits du SEIGNEUR.

DANS DES JOURS SOMBRES UNE ANNONCE DE LUMIERE
Vous avez remarqué toutes les expressions de lumière, tout au long de ce passage : « Resplendis, elle est venue ta lumière… la gloire (le rayonnement) du SEIGNEUR s’est levée sur toi (comme le soleil se lève)… sur toi se lève le SEIGNEUR, sa gloire brille sur toi… ta lumière, la clarté de ton aurore… tu seras radieuse ».
On peut en déduire tout de suite que l’humeur générale était plutôt sombre ! Je ne dis pas que les prophètes cultivent le paradoxe ! Non ! Ils cultivent l’espérance.
Alors, pourquoi l’humeur générale était-elle sombre, pour commencer. Ensuite, quel argument le prophète avance-t-il pour inviter son peuple à l’espérance ?
Pour ce qui est de l’humeur, je vous rappelle le contexte : ce texte fait partie des derniers chapitres du livre d’Isaïe ; nous sommes dans les années 525-520 av.J.C., c’est-à-dire une quinzaine ou une vingtaine d’années après le retour de l’Exil à Babylone. Les déportés sont rentrés au pays, et on a cru que le bonheur allait s’installer. En réalité, ce fameux retour tant espéré n’a pas répondu à toutes les attentes.
D’abord, il y avait ceux qui étaient restés au pays et qui avaient vécu la période de guerre et d’occupation. Ensuite, il y avait ceux qui revenaient d’Exil et qui comptaient retrouver leur place et leurs biens. Or si l’Exil a duré cinquante ans, cela veut dire que ceux qui sont partis sont morts là-bas… et ceux qui revenaient étaient leurs enfants ou leurs petits-enfants … Cela ne devait pas simplifier les retrouvailles. D’autant plus que ceux qui rentraient ne pouvaient certainement pas prétendre récupérer l’héritage de leurs parents : les biens des absents, des exilés ont été occupés, c’est inévitable, puisque, encore une fois, l’Exil a duré cinquante ans !
Enfin, il y avait tous les étrangers qui s’étaient installés dans la ville de Jérusalem et dans tout le pays à la faveur de ce bouleversement et qui y avaient introduit d’autres coutumes, d’autres religions… Tout ce monde n’était pas fait pour vivre ensemble…
La pomme de discorde, ce fut la reconstruction du Temple : car, dès le retour de l’exil, autorisé en 538 par le roi Cyrus, les premiers rentrés au pays (nous les appellerons la communauté du retour) avaient rétabli l’ancien autel du Temple de Jérusalem, et avaient recommencé à célébrer le culte comme par le passé ; et en même temps, ils entreprirent la reconstruction du Temple lui-même.
Mais voilà que des gens qu’ils considéraient comme hérétiques ont voulu s’en mêler ; c’étaient ceux qui avaient habité Jérusalem pendant l’Exil : mélange de juifs restés au pays et de populations étrangères, donc païennes, installées là par l’occupant ; il y avait eu inévitablement des mélanges entre ces deux types de population, et même des mariages, et tout ce monde avait pris des habitudes jugées hérétiques par les Juifs qui rentraient de l’Exil.
Alors la communauté du retour s’est resserrée et a refusé cette aide dangereuse pour la foi : le Temple du Dieu unique ne peut pas être construit par des gens qui, ensuite, voudront y célébrer d’autres cultes ! Comme on peut s’en douter, ce refus a été très mal pris et désormais ceux qui avaient été éconduits firent obstruction par tous les moyens. Finis les travaux, finis aussi les rêves de rebâtir le Temple ! Les années ont passé et on s’est installés dans le découragement.
LE SURSAUT AU NOM DE LA VOCATION DU PEUPLE ELU
Mais la morosité, l’abattement ne sont pas dignes du peuple porteur des promesses de Dieu. Alors, Isaïe et un autre prophète, Aggée, décident de réveiller leurs compatriotes : sur le thème : fini de se lamenter, mettons-nous au travail pour reconstruire le Temple de Jérusalem. Et cela nous vaut le texte d’aujourd’hui.
Connaissant ce contexte difficile, ce langage presque triomphant nous surprend peut-être ; mais c’est un langage assez habituel chez les prophètes ; et nous savons bien que s’ils promettent tant la lumière, c’est parce qu’elle est encore loin d’être aveuglante… et que, moralement, on est dans la nuit. C’est pendant la nuit qu’on guette les signes du lever du jour ; et justement le rôle du prophète est de redonner courage, de rappeler la venue du jour. Un tel langage ne traduit donc pas l’euphorie du peuple, mais au contraire une grande morosité : c’est pour cela qu’il parle tant de lumière !
Pour relever le moral des troupes, nos deux prophètes n’ont qu’un argument, mais il est de taille : Jérusalem est la Ville Sainte, la ville choisie par Dieu, pour y faire demeurer le signe de sa Présence ; c’est parce que Dieu lui-même s’est engagé envers le roi Salomon en décidant « Ici sera Mon Nom », que le prophète Isaïe, des siècles plus tard, peut oser dire à ses compatriotes « Debout, Jérusalem ! Resplendis… »
Le message d’Isaïe aujourd’hui, c’est donc : « vous avez l’impression d’être dans le tunnel, mais au bout, il y a la lumière. Rappelez-vous la Promesse : le JOUR vient où tout le monde reconnaîtra en Jérusalem la Ville Sainte. » Conclusion : ne vous laissez pas abattre, mettez-vous au travail, consacrez toutes vos forces à reconstruire le Temple comme vous l’avez promis.
J’ajouterai trois remarques pour terminer : premièrement, une fois de plus, le prophète nous donne l’exemple : quand on est croyants, la lucidité ne parvient jamais à étouffer l’espérance.
Deuxièmement, la promesse ne vise pas un triomphe politique… Le triomphe qui est entrevu ici est celui de Dieu et de l’humanité qui sera un jour enfin réunie dans une harmonie parfaite dans la Cité Sainte ; reprenons les premiers versets : si Jérusalem resplendit, c’est de la lumière et de la gloire du SEIGNEUR : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi… sur toi se lève le SEIGNEUR, et sa gloire brille sur toi… »
Troisièmement, quand Isaïe parlait de Jérusalem, déjà à son époque, ce nom désignait plus le peuple que la ville elle-même ; et l’on savait déjà que le projet de Dieu déborde toute ville, si grande ou belle soit-elle, et tout peuple, il concerne toute l’humanité.

PSAUME – 71 (72)

1 Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
2 Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

7 En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
8 Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

12 Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
13 Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

REVE DES HOMMES ET PROJET DE DIEU
Imaginons que nous sommes en train d’assister au sacre d’un nouveau roi. Les prêtres expriment à son sujet des prières qui sont tous les souhaits, j’aurais envie de dire tous les rêves que le peuple formule au début de chaque nouveau règne : vœux  de grandeur politique pour le roi, mais surtout vœux  de paix, de justice pour tous. Les « lendemains qui chantent », en quelque sorte ! C’est un thème qui n’est pas d’aujourd’hui… On en rêve depuis toujours ! Richesse et prospérité pour tous… Justice et Paix… Et cela pour tous… d’un bout de la terre à l’autre… Or le peuple élu a cet immense avantage de savoir que ce rêve des hommes coïncide avec le projet de Dieu lui-même.
La dernière strophe de ce psaume, elle, change de ton (malheureusement, elle ne fait pas partie de la liturgie de cette fête) : il n’est plus question du roi terrestre, il n’est question que de Dieu : « Béni soit le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, lui seul fait des merveilles ! Béni soit à jamais son nom glorieux, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » C’est cette dernière strophe qui nous donne la clé de ce psaume : en fait, il a été composé et chanté après l’Exil à Babylone, (donc entre 500 et 100 av. J.C.) c’est-à-dire à une époque où il n’y avait déjà plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que ces vœux , ces prières ne concernent pas un roi en chair et en os… ils concernent le roi qu’on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu’il s’agit d’une promesse de Dieu, on peut être certain qu’elle se réalisera.
La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l’histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Car Dieu a un projet qui inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c’est le « JOUR de Dieu » pour les prophètes, le « Royaume des cieux » pour Saint Matthieu, le « dessein bienveillant » pour Saint Paul, mais c’est toujours du même projet qu’il s’agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d’amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l’humanité. Ce projet sera réalisé par le messie et c’est ce messie que les croyants appellent de tous leurs vœux  lorsqu’ils chantent les psaumes au Temple de Jérusalem.
Ce psaume 71, particulièrement, est vraiment la description du roi idéal, celui qu’Israël attend depuis des siècles : quand Jésus naît, il y a 1000 ans à peu près que le prophète Natan est allé trouver le roi David de la part de Dieu et lui a fait cette promesse dont parle notre psaume. Je vous redis les paroles du prophète Natan à David : « Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur qui naîtra de toi et je rendrai stable sa royauté… Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils… Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. » (2 S 7,12…16).1
De siècle en siècle, cette promesse a été répétée, répercutée, précisée. La certitude de la fidélité de Dieu à ses promesses en a fait découvrir peu à peu toute la richesse et les conséquences ; si ce roi méritait vraiment le titre de fils de Dieu, alors il serait à l’image de Dieu, un roi de justice et de paix. A chaque sacre d’un nouveau roi, la promesse était redite sur lui et on se reprenait à rêver…
L’ESPERANCE, C’EST L’ANCRE DE L’AME
Depuis David, on attendait, et le peuple juif attend toujours… et il faut bien reconnaître que le règne idéal n’a encore pas vu le jour sur notre terre. On finirait presque par croire que ce n’est qu’une utopie…
Mais les croyants savent qu’il ne s’agit pas d’une utopie : il s’agit d’une promesse de Dieu, donc d’une certitude. Et la Bible tout entière est traversée par cette certitude, cette espérance invincible : le projet de Dieu se réalisera, nous avançons lentement mais sûrement vers lui. C’est le miracle de la foi : devant cette promesse à chaque fois déçue, il y a deux attitudes possibles : le non-croyant dit « je vous l’avais bien dit, cela n’arrivera jamais » ; mais le croyant affirme résolument « patience, puisque Dieu l’a promis, il ne saurait se rejeter lui-même », comme dit Saint Paul (2 Tm 2,13).
Ce psaume dit bien quelques aspects de cette attente du roi idéal : par exemple « pouvoir » et « justice » seront enfin synonymes ; c’est déjà tout un programme : de nombreux pouvoirs humains tentent loyalement d’instaurer la justice et d’enrayer la misère mais n’y parviennent pas ; ailleurs, malheureusement, « pouvoir » rime parfois avec avantages de toute sorte et autres passe-droits ; parce que nous ne sommes que des hommes.
En Dieu seul le pouvoir n’est qu’amour : notre psaume le sait bien puisqu’il précise « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice ».
Et alors puisque notre roi disposera de la puissance même de Dieu, une puissance qui n’est qu’amour et justice, il n’y aura plus de malheureux dans son royaume. « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes !… Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. »
Ce roi-là, on voudrait bien qu’il règne sur toute la planète ! C’est de bon cœur  qu’on lui souhaite un royaume sans limite de temps ou d’espace ! « Qu’il règne jusqu’à la fin des lunes… » et « Qu’il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». Pour l’instant, quand on chante ce psaume, les extrémités du monde connu, ce sont l’Arabie et l’Egypte et c’est pourquoi on cite les rois de Saba et de Seba : Saba, c’est au Sud de l’Arabie, Seba, c’est au Sud de l’Egypte… Quant à Tarsis, c’est un pays mythique, qui veut dire « le bout du monde ».
Aujourd’hui, le peuple juif chante ce psaume dans l’attente du roi-Messie2 ; nous, Chrétiens, l’appliquons à Jésus-Christ et il nous semble que les mages venus d’Orient ont commencé à réaliser la promesse « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande… Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».
———————–
Notes
1 – Le règne de David (et donc la promesse du prophète Natan) se situe environ vers l’an 1000 avant Jésus-Christ. Par conséquent lorsque le chant « Il est né le divin enfant » nous fait dire « Depuis plus de 4000 ans nous le promettaient les prophètes », le compte n’est pas tout à fait exact ! Peut-être le nombre 4000 n’a-t-il été retenu que pour les nécessités de la mélodie.
2 – De nos jours, encore, dans certaines synagogues, nos frères juifs disent leur impatience de voir arriver le Messie en récitant la profession de foi de Maïmonide, médecin et rabbin à Tolède en Espagne, au douzième siècle : « Je crois d’une foi parfaite en la venue du Messie, et même s’il tarde à venir, en dépit de tout cela, je l’attendrai jusqu’au jour où il viendra. »

DEUXIEME LECTURE – Ephésiens 3, 2…6

Frères,
2 vous avez appris, je pense,
en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous :
3 par révélation, il m’a fait connaître le mystère.
Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance
des hommes des générations passées,
comme il a été révélé maintenant
à ses saints Apôtres et aux prophètes,
dans l’Esprit.
Ce mystère,
c’est que toutes les nations sont associées au même héritage,
au même corps,
au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus,
par l’annonce de l’Evangile.

DIEU M’A FAIT CONNAITRE LE MYSTERE
Ce passage est extrait de la lettre aux Ephésiens au chapitre 3 ; or c’est dans le premier chapitre de cette même lettre que Paul a employé sa fameuse expression « le dessein bienveillant de Dieu » ; ici, nous sommes tout à fait dans la même ligne ; je vous rappelle quelques mots du chapitre 1 : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » (Ep 1,9-10, traduction TOB).
Dans le texte d’aujourd’hui, nous retrouvons ce mot de « mystère ». Le « mystère », chez Saint Paul, ce n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité dans laquelle il nous fait pénétrer. Paul nous dit ici : « Par révélation, Dieu m’a fait connaître le mystère » : ce mystère, c’est-à-dire son dessein bienveillant, Dieu le révèle progressivement ; tout au long de l’histoire biblique, on découvre toute la longue, lente, patiente pédagogie que Dieu a déployée pour faire entrer son peuple élu dans son mystère ; nous avons cette expérience qu’on ne peut pas, d’un coup, tout apprendre à un enfant : on l’enseigne patiemment au jour le jour et selon les circonstances ; on ne fait pas d’avance à un enfant des leçons théoriques sur la vie, la mort, le mariage, la famille… pas plus que sur les saisons ou les fleurs… l’enfant découvre la famille en vivant les bons et les mauvais jours d’une famille bien réelle ; il découvre les fleurs une à une, il traverse avec nous les saisons… quand la famille célèbre un mariage ou une naissance, quand elle traverse un deuil, alors l’enfant vit avec nous ces événements et, peu à peu, nous l’accompagnons dans sa découverte de la vie.
Dieu a déployé la même pédagogie d’accompagnement avec son peuple et s’est révélé à lui progressivement ; pour Saint Paul, il est clair que cette révélation a franchi une étape décisive avec le Christ : l’histoire de l’humanité se divise nettement en deux périodes : avant le Christ et depuis le Christ. « Ce mystère, n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. » A ce titre, on peut se réjouir que nos calendriers occidentaux décomptent les années en deux périodes, les années avant J.C. et les années après J.C.
Ce mystère dont parle Paul, c’est que le Christ est le centre du monde et de l’histoire, que l’univers entier sera un jour réuni en lui, comme les membres le sont à la tête ; d’ailleurs, dans la phrase « réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ », le mot grec que nous traduisons « chef » veut dire tête.
Il s’agit bien de « l’univers entier » et ici Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus » ; on pourrait dire encore autrement : l’Héritage, c’est Jésus-Christ… la Promesse, c’est Jésus-Christ… le Corps, c’est Jésus-Christ… Le dessein bienveillant de Dieu, c’est que Jésus-Christ soit le centre du monde, que l’univers entier soit réuni en lui. Dans le Notre Père, quand nous disons « Que ta volonté soit faite », c’est de ce projet de Dieu que nous parlons et, peu à peu, à force de répéter cette phrase, nous nous imprégnons du désir de ce Jour où enfin ce projet sera totalement réalisé.
TOUTES LES NATIONS SONT ASSOCIEES AU MEME HERITAGE
Donc le projet de Dieu concerne l’humanité tout entière, et non pas seulement les Juifs : c’est ce qu’on appelle l’universalisme du plan de Dieu. Cette dimension universelle du plan de Dieu fut l’objet d’une découverte progressive par les hommes de la Bible, mais à la fin de l’histoire biblique, c’était une conviction bien établie dans le peuple d’Israël, puisqu’on fait remonter à Abraham la promesse de la bénédiction de toute l’humanité : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,3). Et le passage d’Isaïe que nous lisons en première lecture de cette fête de l’Epiphanie est exactement dans cette ligne. Bien sûr, si un prophète comme Isaïe a cru bon d’y insister, c’est qu’on avait tendance à l’oublier.
De la même manière, au temps du Christ, si Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus », c’est que celà n’allait pas de soi. Et là, nous avons un petit effort d’imagination à faire : nous ne sommes pas du tout dans la même situation que les  contemporains de Paul ; pour nous, au vingt-et-unième siècle, c’est une évidence : beaucoup d’entre nous ne sont pas juifs d’origine et trouvent normal d’avoir part au salut apporté par le Messie ; pour un peu, même, après deux mille ans de Christianisme, nous aurions peut-être tendance à oublier qu’Israël reste le peuple élu parce que, comme dit ailleurs Saint Paul, « Dieu ne peut pas se rejeter lui-même » (2 Tm 2,13). Aujourd’hui, nous aurions peut-être un peu tendance à croire que nous sommes les seuls témoins de Dieu dans le monde.
Mais au temps du Christ, c’était la situation inverse : c’est le peuple juif qui, le premier, a reçu la révélation du Messie et Jésus est né au sein du peuple juif : c’était la logique du plan de Dieu et de l’élection d’Israël ; puisque les Juifs étaient le peuple élu, ils étaient choisis par Dieu pour être les apôtres, les témoins et l’instrument du salut de toute l’humanité ; et on sait que les Juifs devenus chrétiens ont eu parfois du mal à tolérer l’admission d’anciens païens dans leurs communautés. Saint Paul vient leur dire « Attention… les païens, désormais, peuvent aussi être des apôtres et des témoins du salut ». Au fait, je remarque que Matthieu, dans l’évangile de la visite des mages, qui est lu également pour l’Epiphanie, nous dit exactement la même chose.
Les derniers mots de ce texte résonnent comme un appel : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus par l’annonce de l’évangile » : si je comprends bien, Dieu attend notre collaboration à son dessein bienveillant : les mages ont aperçu une étoile, pour laquelle ils se sont mis en route ; pour beaucoup de nos contemporains, il n’y aura pas d’étoile dans le ciel, mais il faudra des témoins de la Bonne Nouvelle.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 2, 1-12

1 Jésus était né à Bethléem en Judée,
au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d’Orient
arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu son étoile à l’orient
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
3 En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé,
et tout Jérusalem avec lui.
4 Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent :
5 « A Bethléem en Judée,
car voici ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es certes pas le dernier
parmi les chefs-lieux de Juda,
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger de mon peuple Israël. »
7 Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
8 Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant.
Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer
pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
9 Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient
les précédait,
jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit
où se trouvait l’enfant.
10 Quand ils virent l’étoile,
ils se réjouirent d’une très grande joie.
11 Ils entrèrent dans la maison,
ils virent l’enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à ses pieds,
ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leur coffrets,
et lui offrirent leurs présents :
de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

L’ATTENTE DU MESSIE AU TEMPS DE JESUS
On sait à quel point l’attente du Messie était vive au temps de Jésus. Tout le monde en parlait, tout le monde priait Dieu de hâter sa venue. La majorité des Juifs pensait que ce serait un roi : ce serait un descendant de David, il régnerait sur le trône de Jérusalem, il chasserait les Romains, et il établirait définitivement la paix, la justice et la fraternité en Israël ; et les plus optimistes allaient même jusqu’à dire que tout ce bonheur s’installerait dans le monde entier.
Dans ce sens, on citait plusieurs prophéties convergentes de l’Ancien Testament : d’abord celle de Balaam dans le Livre des Nombres. Je vous la rappelle : au moment où les tribus d’Israël s’approchaient de la terre promise sous la conduite de Moïse, et traversaient les plaines de Moab (aujourd’hui en Jordanie), le roi de Moab, Balaq, avait convoqué Balaam pour qu’il maudisse ces importuns ; mais, au lieu de maudire, Balaam, inspiré par Dieu avait prononcé des prophéties de bonheur et de gloire pour Israël ; et, en particulier, il avait osé dire : « Je le vois – mais pas pour maintenant – je l’aperçois – mais pas de près : un astre se lève, issu de Jacob, un sceptre se dresse, issu d’Israël… » (Nb 24,17). Le roi de Moab avait été furieux, bien sûr, car, sur l’instant, il y avait entendu l’annonce de sa future défaite face à Israël ; mais en Israël, dans les siècles suivants, on se répétait soigneusement cette belle promesse ; et peu à peu on en était venu à penser que le règne du Messie serait signalé par l’apparition d’une étoile. C’est pour cela que le roi Hérode, consulté par les mages au sujet d’une étoile, prend l’affaire très au sérieux.
Autre prophétie concernant le Messie, celle de Michée : « Et toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. » (Mi 5,1). Prophétie tout à fait dans la ligne de la promesse faite par Dieu à David : que sa dynastie ne s’éteindrait pas et qu’elle apporterait au pays le bonheur attendu.
Les mages n’en savent peut-être pas tant : ce sont des astrologues ; ils se sont mis en marche tout simplement parce qu’une nouvelle étoile s’est levée ; et, spontanément, en arrivant à Jérusalem, ils vont se renseigner auprès des autorités. Et c’est là, peut-être, la première surprise de ce récit de Matthieu : il y a d’un côté, les mages qui n’ont pas d’idées préconçues ; ils sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l’autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Ecritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem. Evidemment, ils ne rencontreront pas l’enfant de la crèche.
JESUS RENCONTRE DEJA L’HOSTILITE
Quant à Hérode, c’est une autre histoire. Mettons-nous à sa place : il est le roi des Juifs, reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul… Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l’ombre … Il a fait assassiner plusieurs membres de sa famille, y compris ses propres fils, il ne faut pas l’oublier. Car dès que quelqu’un devient un petit peu populaire… Hérode le fait tuer par jalousie. Et voilà qu’on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu’ici et il paraît qu’ils disent : « Nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu’elle annonce la naissance d’un enfant-roi… tout aussi exceptionnel… Le vrai roi des juifs vient sûrement de naître » ! … On imagine un peu la fureur, l’extrême angoisse d’Hérode !
Donc, quand Saint Matthieu nous dit : « Hérode fut bouleversé et tout Jérusalem avec lui », c’est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Evidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage, il faut savoir manœuvrer : il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel… Alors il se renseigne. D’abord sur le lieu : Matthieu nous dit qu’il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu’il leur a demandé où devait naître le Messie ; et c’est là qu’intervient la prophétie de Michée : le Messie naîtra à Bethléem.
Ensuite, Hérode se renseigne sur l’âge de l’enfant car il a déjà son idée derrière la tête pour s’en débarrasser ; il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l’étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse mais la suite nous la fait deviner : puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans.
Très probablement, dans le récit de la venue des mages, Matthieu nous donne déjà un résumé de toute la vie de Jésus : dès le début, à Bethléem, il a rencontré l’hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Jamais, ils ne l’ont reconnu comme le Messie, ils l’ont traité d’imposteur… Ils l’ont même supprimé, éliminé. Et pourtant, il était bien le Messie : tous ceux qui le cherchent peuvent, comme les mages, entrer dans le salut de Dieu.
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Compléments
– Au passage, on notera que c’est l’un des rares indices que nous ayons de la date de naissance exacte de Jésus ! On connaît avec certitude la date de la mort d’Hérode le Grand : 4 av JC (il a vécu de 73 à 4 av JC)… or il a fait tuer tous les enfants de moins de 2 ans : c’est-à-dire des enfants nés entre 6 et 4 (av JC) ; donc Jésus est probablement né entre 6 et 4 ! Probablement en 6 ou 5… C’est quand, au sixième siècle, un moine du nom de Denys le Petit a voulu – à juste titre – compter les années à partir de la naissance de Jésus, (et non plus à partir de la fondation de Rome) qu’il y a eu tout simplement une erreur de comptage.
– A propos de « l’Election d’Israël » : les mages païens ont vu l’étoile visible par tout un chacun. Mais ce sont les scribes d’Israël qui peuvent en révéler le sens… Encore faut-il qu’eux-mêmes se laissent guider par les Ecritures.

AVENT, DIMANCHE DE L'AVENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT JACQUES, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 145

Dimanche 11 décembre 2022 : 3ème dimanche de l’Avent : lectures et commentaires

Dimanche 11 décembre 2022 : 3ème dimanche de l’Avent

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 35, 1…10

1 Le désert et la terre de la soif,
qu’ils se réjouissent !
2 Le pays aride, qu’il exulte
et fleurisse comme la rose,
qu’il se couvre de fleurs des champs,
qu’il exulte et crie de joie !
La gloire du Liban lui est donnée,
la splendeur du Carmel et du Sarone.
On verra la gloire du SEIGNEUR,
la splendeur de notre Dieu.
3 Fortifiez les mains défaillantes,
affermissez les genoux qui fléchissent,
4  dites aux gens qui s’affolent :
« Soyez forts, ne craignez pas.
Voici votre Dieu :
c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu.
Il vient lui-même et va vous sauver. »
5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles,
et s’ouvriront les oreilles des sourds.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf,
et la bouche du muet criera de joie.
10 Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent,
ils entrent dans Sion avec des cris de fête,
couronnés de l’éternelle joie.
Allégresse et joie les rejoindront,
douleur et plainte s’enfuient.

LA VENGEANCE DE DIEU, C’EST NOTRE LIBERATION
Je commence tout de suite par le mot difficile de ce texte : au milieu de promesses magnifiques, Isaïe parle de la vengeance de Dieu. Voilà pour nous l’occasion de découvrir une fois pour toutes ce que veut dire ce mot dans la Bible ! Car Isaïe lui-même l’explique très clairement. Il prêche au sixième siècle, au moment de l’Exil à Babylone : à cette époque-là, visiblement, il y a des gens qui s’affolent, puisque le prophète dit : « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent. Dites aux gens qui s’affolent… » Et c’est pour les rassurer qu’il annonce la vengeance de Dieu : « Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. » Et il en donne aussitôt la définition : « Votre Dieu vient lui-même et va vous sauver. » Il continue : « Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. »
Cela veut dire qu’au moment où ce texte a été écrit, l’expression « vengeance de Dieu » est non un épouvantail mais une promesse de salut. C’est donc un sens extrêmement positif du mot « vengeance » ; dans ce texte, il est bien clair que Dieu ne se venge pas des hommes, il ne prend pas sa revanche contre les hommes, mais contre le mal qui atteint l’homme, qui abîme l’homme ; sa revanche c’est la suppression du mal, c’est comme dit Isaïe « les aveugles qui voient et les sourds qui entendent, les boiteux qui bondissent et les muets qui crient de joie, les captifs qui sont libérés ». Quelle que soit l’humiliation physique ou morale que nous ayons subie, il veut nous libérer, nous relever.
Mais il faut bien dire qu’on n’a pas toujours pensé comme cela ! Le texte d’Isaïe est assez tardif dans l’histoire biblique (sixième siècle av.J.C.) ; il a fallu tout un long chemin de révélation pour en arriver là. Au début de son histoire, le peuple de la Bible imaginait un Dieu à l’image de l’homme, un Dieu qui se venge comme les humains.
Puis, au fur et à mesure de la Révélation, grâce à la prédication des prophètes, on a commencé à découvrir Dieu tel qu’il est, et non pas tel qu’on l’imaginait ; alors le mot « vengeance » est resté dans le vocabulaire mais son sens a complètement changé ; nous avons déjà vu plusieurs fois dans la Bible ce phénomène de retournement complet du sens d’un mot : c’est le cas pour le sacrifice, par exemple, et aussi pour la crainte de Dieu.
Très concrètement, quand Isaïe écrit le texte de ce dimanche, le salut auquel aspirent ses contemporains, c’est le retour au pays de tous ceux qui sont exilés à Babylone ; ils ont vécu les atrocités du siège de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor ; et maintenant, l’Exil n’en finit pas ! Cinquante années, de quoi perdre courage. Ce n’est pas par hasard qu’Isaïe leur dit « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : Soyez forts, ne craignez pas ». Pendant ces cinquante années, on a rêvé de ce retour, sans oser y croire. Et voilà que le prophète dit « c’est pour bientôt » : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête ». (verset 10).
LE DESERT FLEURIRA
Pour rentrer au pays, le chemin le plus direct entre Babylone et Jérusalem traverse le désert d’Arabie ; mais cette traversée du désert, Isaïe la décrit comme une véritable marche triomphale… mieux, une procession grandiose : le désert se réjouira, le pays aride exultera et criera de joie, il « jubilera » dit même le texte hébreu… Le désert sera beau… et alors là on pense à ce qui est le plus beau au monde pour un habitant de la Terre Sainte à l’époque : ce qui est le plus beau au monde, ce sont les montagnes du Liban, les collines du Carmel, la plaine côtière de Sarône ! Alors on dit : le désert sera aussi beau et luxuriant que ces trois paysages réputés pour leur beauté ! Beau comme les montagnes du Liban, beau comme les collines du Carmel, beau comme la plaine côtière de Sarône… 1
Et tout cela sera l’œuvre  de Dieu : « Il vient lui-même et va vous sauver… » ; c’est cette œuvre de salut que le prophète appelle « la gloire de Dieu ». Il dit : « On verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu. » Et Isaïe continue : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête ». Au verset précédent, ceux que le SEIGNEUR a libérés, Isaïe les appelle les « rachetés ».
La Loi juive prévoyait une règle qu’on appelait le « rachat » : lorsqu’un débiteur était obligé de vendre sa maison ou son champ pour payer ses dettes, son plus proche parent (on l’appelait le « Go’el ») payait le créancier à sa place et le débiteur gardait donc sa propriété (Lv 25,25) ; si le débiteur avait été obligé de se vendre lui-même comme esclave à son créancier parce qu’il ne possédait plus rien, de la même manière son plus proche parent (le « Go’el ») intervenait auprès du créancier pour libérer le débiteur, on disait qu’il le « revendiquait ». Il y avait bien un aspect financier, mais il était secondaire : ce qui comptait avant tout, c’était la libération du débiteur.
Le génie d’Isaïe a été d’appliquer ces mots à Dieu lui-même pour nous faire comprendre deux choses : premièrement, Dieu est notre plus proche parent ; deuxièmement, il veut nous libérer de tout ce qui nous emprisonne. Cela devrait nous guérir à tout jamais d’un contresens trop fréquent sur le mot « rachat ». Car, nous le savons désormais,  le mot « rachetés », dans la Bible, veut dire « libérés » ; tout comme le mot « rédemption » signifie « libération ».
Et c’est pourquoi nous chantons si volontiers « Alleluia » qui veut dire « Dieu nous a amenés de la servitude à la libération ».
——–
Note
Le Liban est le pays voisin au Nord d’Israël, il est réputé pour ses forêts de cèdres. En Israël même, le Carmel, au Nord-Ouest, est la petite chaîne montagneuse la plus boisée du pays. Le Sarône est la plaine fertile qui borde la Méditerranée entre le Carmel et Jaffa.

PSAUME – 145 (146), 7-8. 9-10

7  Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8  Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.

9  Le SEIGNEUR protège l’étranger.
il soutient la veuve et l’orphelin.
10   D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera

UN PSAUME TOUT IMPREGNE DE LA JOIE DU RETOUR AU PAYS
Nous n’avons lu ici que quatre versets de ce psaume qui en comporte dix et nous n’avons donc pas entendu les Alleluia du premier et du dernier versets. Pour être ainsi encadré par le mot « Alleluia » qui signifie littéralement « Louez Dieu », ce psaume est tout entier un chant de louange et de reconnaissance. Il a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré.
Le Temple avait été détruit en 587 av. J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av. J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. Vous savez que cela n’a pas été sans mal, de graves dissensions étant apparues entre ceux qui rentraient au pays, pleins d’ardeur et ceux qui s’y étaient installés entre temps. Il a fallu l’énergie et l’obstination des prophètes Aggée et Zacharie pour que les travaux soient quand même menés à bien : ils ont duré de 520 à 515 sous le règne de Darius. La dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les Lévites et le reste des rapatriés célébrèrent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu ». (Esd 6,16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : déjà au moment de l’Exode et de la sortie d’Egypte, et maintenant, avec la sortie de Babylone, il a relevé son peuple, il l’a « vengé » au sens où l’entend Isaïe (voir la première lecture). Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ». Au cours de sa marche au désert, pendant l’Exode, Dieu lui avait envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et c’est ainsi que, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ce n’était pas l’idée que l’on se faisait spontanément du Créateur de l’univers et il a bien fallu toute la révélation biblique pour accepter cette représentation surprenante de Dieu : c’est l’honneur et la fierté du peuple d’Israël d’avoir révélé à l’humanité le Dieu d’amour et de miséricorde ; « miséricorde », cela veut dire « des entrailles qui vibrent à la souffrance ». Vous vous souvenez peut-être de cette phrase superbe que nous avions lue il y a quelques semaines dans le livre du Siracide « Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18 lu dans le commentaire de la première lecture du trentième dimanche ordinaire de l’année C). Notre psaume ne dit pas autre chose : « Le SEIGNEUR soutient la veuve et l’orphelin ».
UN EXEMPLE A IMITER
A son tour, le peuple était invité à imiter Dieu, à se conduire avec la même miséricorde vis-à-vis de tous les opprimés de toute sorte. Et vous savez bien que, pour éduquer le peuple à se conformer peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d’Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. Quant aux prophètes, c’est sur ces critères-là entre autres qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance.
A un autre niveau de lecture, au fur et à mesure qu’il vit dans l’Alliance avec Dieu, le peuple croyant découvre peu à peu que Dieu le transforme en profondeur : « Aux affamés, il donne le pain », le pain matériel, oui… mais il y a au cœur  de chacun d’entre nous une faim plus profonde ; à ces affamés-là, Dieu donne le pain de sa parole… « Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles » ; il y a des aveuglements d’un autre ordre et beaucoup plus graves en définitive ; à ceux-là aussi, Dieu ouvre les yeux. « Le SEIGNEUR délie les enchaînés », il y a d’autres chaînes que celles des prisons, les chaînes de la haine, de l’orgueil, de la jalousie… et le croyant peut témoigner que Dieu peu à peu, le délivre de son cœur  de pierre.
Alors on comprend que ce psaume soit encadré par des Alleluia ; je vous rappelle le sens que la tradition juive attache à ce simple mot « Alleluia » : « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la rédemption. C’est pourquoi, chantons devant lui l’Alleluia » 1.
Bien sûr, les Chrétiens relisent ce psaume en l’appliquant à Jésus-Christ : non seulement il a nourri ses contemporains en multipliant pour eux les pains ; mais désormais il offre à chaque génération de baptisés le pain de son eucharistie ; c’est lui aussi qui a affirmé « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. » (Jn 8,12). C’est en lui, enfin, que l’humanité peut accéder pleinement à la liberté et à la vie ; sa résurrection est la preuve que la mort biologique n’enchaîne pas les baptisés : « le SEIGNEUR délie les enchaînés. »
Dernière remarque sur ce psaume : la Bible affirme que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu ; il nous arrive de nous demander en quoi. Nous avons ici au moins une réponse et un encouragement : la réponse, c’est chaque fois que nous intervenons en faveur d’un malheureux, quel qu’il soit, aveugle, sourd ou muet, prisonnier, étranger, nous sommes l’image de Dieu.
L’encouragement c’est : chaque fois que vous avez fait quelque chose pour le plus petit d’entre les miens, vous avez hâté le jour du Règne de Dieu… Vous connaissez l’histoire de cette catéchumène découvrant le récit de la multiplication des pains par Jésus et demandant « pourquoi ne le fait-il pas aujourd’hui pour tous les affamés du monde ? » Après un petit silence, elle avait murmuré : « Il compte peut-être sur nous pour le faire ?… »
———-
Note
1 – Ce commentaire à propos de la Pâque juive se trouve dans le Talmud qui regroupe de nombreux commentaires des rabbins. Le Talmud comprend deux grandes parties : la Mishnah et la Gemara. Voici la référence du commentaire de l’Alleluia : Mishnah ; Pesahim V, 5.

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Jacques 5, 7-10

7 Frères,
en attendant la venue du Seigneur,
prenez patience.
Voyez le cultivateur :
il attend les fruits précieux de la terre avec patience,
jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive.
8 Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme
car la venue du Seigneur est proche.
9 Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres,
ainsi vous ne serez pas jugés.
Voyez : le Juge est à notre porte.
10 Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience
les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

DANS L’ATTENTE DE LA VENUE DU SEIGNEUR
Il y avait au moins trois Jacques dans l’entourage proche de Jésus : le premier, c’est Jacques, frère de Jean et fils de Zébédée (c’est celui qu’on retrouve avec Jean (et Pierre) à la Transfiguration et à Gethsémani) ; Jésus avait surnommé les deux frères « fils du tonnerre », ce qui nous laisse imaginer pour le moins un caractère volcanique ! Celui-ci, nous l’appelons Jacques le Majeur ; c’est lui que l’on prie à Saint Jacques de Compostelle… Le second, c’est Jacques, fils d’Alphée, lui aussi membre du groupe des Douze apôtres ; et enfin le troisième, c’est Jacques, cousin de Jésus, (on disait frère de Jésus) qui fut l’un des premiers responsables de la communauté de Jérusalem. Généralement c’est à ce dernier qu’on attribue la lettre qu’on appelle de Saint Jacques ; mais on n’est sûr de rien.
En tout cas, on retrouve dans cette lettre un thème qui était habituel pour les premières générations chrétiennes, celui de l’attente : l’horizon, pour lui, la perspective si vous préférez, c’est la venue du Seigneur. Déjà dans les lettres de Saint Paul, nous avons souvent remarqué qu’il avait sans cesse les yeux tournés vers le but à atteindre, l’accomplissement définitif du projet de Dieu.
Je remarque au passage que, paradoxalement, c’est au début de la prédication chrétienne qu’on était le plus désireux de voir la fin du monde… peut-être parce que la vue du Christ ressuscité en avait donné un avant-goût ?
Mais, dans cette attente, Jacques recommande la patience : il y insiste quatre fois dans ces quelques lignes ; et si je le comprends bien, patience rime avec espérance : « En attendant la venue du Seigneur, prenez patience » : l’espérance, c’est la certitude de la venue du Seigneur, une certitude telle qu’elle nous tient en éveil, tendus vers ce but comme on l’est dans une course selon une comparaison habituelle chez Paul.
Cette course est une course de fond, nous dit Jacques, il y faut du souffle : le verbe grec que Jacques emploie ici et qui a été traduit par « prenez patience » signifie justement « avoir le souffle long »… Il faut croire que le délai de ce qu’on appelait la parousie, l’avènement définitif du Royaume de Dieu, était vécu comme une épreuve d’endurance… Au tout début, après la Résurrection du Christ et son Ascension, on a cru que son retour glorieux était pour très bientôt ; et puis, les années passant, il a bien fallu s’installer dans la durée. C’est là que l’espérance est devenue une affaire de patience : on pourrait dire peut-être que l’espérance, c’est la foi à l’épreuve du temps… (quand l’attente est devenue une course de fond).
Une course de fond, cela demande du souffle, et le souffle, demandez aux coureurs, aux chanteurs, ou aux flûtistes, il y faut de l’entraînement. Pour leur entraînement, Jacques donne deux modèles à ses chrétiens : la sagesse du cultivateur, le courage du prophète. D’année en année, le cultivateur a appris le retour des saisons : il sait que « Dieu donne en son temps la pluie pour la terre » comme dit le livre du Deutéronome (Dt 11,14).
LE SOUFFLE DES PROPHETES
Quant aux prophètes, tous ont eu à affronter l’hostilité de ceux à qui ils annonçaient ce qui était pourtant la parole de salut. Ils ont tous dû apprendre la fermeté et la patience pour rester fidèles à leur mission. La communauté chrétienne de Saint Jacques a elle aussi une mission prophétique qui ressemble à une épreuve d’endurance ; il lui faut du souffle, il lui faut aussi un coeur solide ; Jacques répète : « tenez ferme », l’expression exacte, c’est « Affermissez votre coeur ».
Curieusement, dans le verset suivant, que nous n’avons pas entendu aujourd’hui, Jacques cite un modèle d’endurance de l’Ancien Testament ; et qui choisit-il ? Job ; c’est la seule et unique fois où le Nouveau Testament cite le personnage de Job, cela mérite donc d’être souligné. « Voyez : nous proclamons heureux ceux qui tiennent bon. Vous avez entendu dire comment Job a tenu bon, et vous avez vu ce qu’à la fin le Seigneur a fait pour lui, car le Seigneur est tendre et miséricordieux. » (Jc 5,11). Sous-entendu, si vous êtes aussi patients que lui, et fermes dans votre espérance, vous aussi vous rencontrerez le Seigneur comme Job l’a rencontré.
Concrètement, c’est dans leurs relations mutuelles que les Chrétiens ont à remplir une mission prophétique : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » avait dit Jésus (Jn 13,35). Jacques dit quelque chose d’analogue : « Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. » Ce qui, évidemment, nous renvoie à une autre phrase de Jésus : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » (Mt 7,1 ; Lc 6,37) sous-entendu Dieu seul est juge. Et d’ailleurs la traduction plus littérale dit « ne vous posez pas en juges » ce qui montre mieux que juger c’est usurper un droit qui ne nous appartient pas. Apparemment, ce rappel n’était pas superflu car, dans sa lettre, Jacques y revient plusieurs fois : « Ne médisez pas les uns des autres » ou bien encore « Qui es-tu, toi, pour juger ton prochain ? » (Jc 4,11-12).
Jacques emploie l’expression « Le Juge est à votre porte » : tout d’abord c’est une image, car effectivement, dans les temps anciens, les juges siégeaient aux portes des villes, ils n’étaient pas dans la ville. Ensuite, cela veut dire deux choses : premièrement, la venue du Seigneur sera l’heure du Jugement, sous-entendu « vivez dans cette perspective » ; et là nous retrouvons bien les thèmes prophétiques, en particulier, la prédication de Jean-Baptiste ; deuxièmement, le Juge, ce n’est pas vous. C’est le Seigneur, lui qui regarde le coeur et non les apparences, lui qui seul peut sonder les reins et les coeurs… le vrai moissonneur qui ne précipite pas la moisson de peur de déraciner le blé avec l’ivraie (Mt 13,29).
La leçon est valable pour nous : d’un côté, nous sommes si bien installés dans la durée que nous manquons peut-être du souffle qui fait les prophètes ; mais de l’autre, nous nous posons parfois en juges, ce qui n’est pas notre métier, ou notre vocation, si vous préférez, et nous risquons de confondre l’ivraie et le bon grain. Décidément, l’histoire de la paille et de la poutre est de tous les temps !

EVANGILE – selon Saint Matthieu 11, 2-11

En ce temps-là,
2 Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison,
des œuvres réalisées par le Christ.
Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda :
3 « Es-tu celui qui doit venir,
ou devons-nous en attendre un autre ? »
4 Jésus leur répondit :
« Allez annoncer à Jean
ce que vous entendez et voyez :
5 Les aveugles retrouvent la vue,
et les boiteux marchent,
les lépreux sont purifiés,
et les sourds entendent,
les morts ressuscitent,
et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.
6 Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
7 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient,
Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean :
« Qu’êtes-vous allés regarder au désert ?
un roseau agité par le vent ?
8 Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ?
un homme habillé de façon raffinée ?
Mais ceux qui portent de tels vêtements
vivent dans les palais des rois.
9  Alors, qu’êtes-vous allés voir ?
un prophète ?
Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.
10 C’est de lui qu’il est écrit :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour préparer le chemin devant toi.
11 Amen, je vous le dis :
Parmi ceux qui sont nés d’une femme,
personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ;
et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux
est plus grand que lui. »

LES ETRANGES MANIERES DU NAZAREEN
Dimanche dernier, l’évangile nous a présenté Jean-Baptiste baptisant dans le Jourdain tous ceux qui venaient à lui. Il disait : « Quelqu’un vient après moi ». Et il semble bien que lorsque Jésus lui a demandé le baptême, Jean-Baptiste a reconnu en lui le Messie que tout le monde attendait. Et puis les mois ont passé.
Jean-Baptiste a été mis en prison par Hérode. Les historiens de l’époque situent cet emprisonnement autour de l’année 28 et Saint Matthieu dans son évangile dit que c’est à partir de ce moment-là que Jésus a commencé véritablement sa prédication. Il a quitté la région du Jourdain et est parti vers le Nord en Galilée. C’est là qu’il a commencé sa vie publique. Matthieu nous rapporte toute une série de discours, y compris le fameux discours sur la montagne, les Béatitudes, et puis des actes : des quantités de guérisons d’abord, mais aussi des manières d’être un peu étranges ; par exemple, Jésus s’est entouré de disciples, pas tous très recommandables (il y avait un publicain) et plutôt disparates. Sur le plan religieux (comme sur le plan politique) ils n’étaient pas tous du même bord, c’est le moins qu’on puisse dire…
Et puis pour un prophète, il n’était pas très ascète ! Jean-Baptiste en était un, tout le monde admirait cela au moins. Jésus, lui, mangeait et buvait comme tout le monde mais plus grave encore, il s’affichait avec n’importe qui. Le plus décevant dans tout cela, c’est que Jésus lui-même ne revendiquait pas le titre de messie : il ne cherchait pas le pouvoir, d’aucune manière.
Dans sa prison, Jean-Baptiste entendait parler de tout ce qui se passait : il faut savoir que la détention dans les prisons antiques n’était pas nécessairement inhumaine. On a de nombreux exemples de relations des prisonniers avec l’extérieur et dans la prison. On peut donc très bien imaginer que les disciples le tenaient au courant des faits et gestes du Nazaréen. Si bien que Jean-Baptiste se posait des questions.
Et il a fini par se demander : est-ce que je me serais trompé de Messie ? Donc il envoie des disciples à Jésus avec une question : le Messie, c’est toi, oui ou non ? La question de Jean-Baptiste est réellement cruciale, pour Jean-Baptiste bien sûr puisqu’il la pose, mais aussi pour Jésus. Lui aussi a été obligé de se la poser très certainement et plusieurs fois dans sa vie, il a eu des choix à faire ; (l’épisode des Tentations, par exemple, le dit clairement).
Cette question au fond c’est : le Messie, on est tous sûrs qu’il va venir. On sait qu’il apportera à tous le salut : mais comment sera-t-il ? Il y avait deux sortes de textes dans l’Ecriture pour annoncer le Messie : les textes qui parlaient de ses œuvres , les textes qui parlaient de ses titres. Pour les titres, certains le présentaient comme un roi, d’autres comme un prophète, d’autres comme un prêtre. Jésus ne cite aucun des textes sur les titres du messie, il n’en revendique aucun, une fois encore.
UN MESSIE SELON LES VUES DE DIEU
En revanche, il cite bout à bout plusieurs textes qui parlaient des œuvres  du Messie : « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. »1
Jésus ne répond donc pas par oui ou par non à la question de Jean-Baptiste. Il cite les prophéties que Jean-Baptiste connaissait comme tout le monde et il lui dit en quelque sorte  : vérifie par toi-même si c’est bien cela que je suis en train de faire. Sous-entendu : oui, je suis bien le Messie, le vrai Fils de Dieu, tu ne t’es pas trompé. Seulement si tu es surpris, choqué par mes manières de faire, c’est qu’il te reste à découvrir le Vrai visage de Dieu… un Dieu avec les hommes au service de l’homme. Ce n’était pas comme cela qu’on l’imaginait.
Enfin, Jésus termine sa phrase par un mot d’admiration et d’encouragement pour le prisonnier « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » Car Jean-Baptiste nous donne un exemple en quelque sorte : au lieu d’entretenir son doute en ruminant les bribes d’informations qu’il a reçues, au lieu de se faire sa propre opinion sur Jésus, Jean-Baptiste a pris le chemin direct en envoyant à Jésus lui-même quelques-uns de ses disciples… Par cette démarche, Jean-Baptiste manifeste qu’il n’a pas perdu confiance. La foi, il l’a toujours, et il demande à Jésus lui-même de l’éclairer. Bienheureux homme qui reste debout même dans le doute !
Alors Jésus demande à ses auditeurs : en fait, pourquoi êtes-vous allés là-bas, pour faire du tourisme, pour rêver ? Non, dit-il, sans le savoir peut-être, vous êtes allés vers le plus grand des prophètes, celui qui dit la parole finale de l’Ancien Testament : celui que Dieu envoie comme messager pour ouvrir la voie au Messie2. C’est lui que la Bible avait plusieurs fois annoncé et qu’on appelle le précurseur, celui qui court devant pour ouvrir la route. Il est le plus grand des prophètes parce qu’il apporte le message décisif : ça y est, la promesse de Dieu se réalise. Mais Jésus ajoute : « cependant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste ! »
Parole étrange, mais qui dit bien qu’avec la venue de Jésus, l’histoire humaine vient de basculer : Jean-Baptiste n’est que le porteur d’un message et le contenu de ce message le dépasse infiniment. Ce qu’il ne sait pas et que le plus petit des disciples de Jésus va découvrir, c’est le contenu du message : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ».
————-
Notes
1 – Jésus fait référence à plusieurs paroles d’Isaïe : en particulier Is 35,5-6 qui fait partie de notre première lecture et Is 61,1 : « L’esprit du SEIGNEUR Dieu est sur moi parce que le SEIGNEUR m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé… »
2 – Le prophète Malachie annonçait de la part de Dieu : « Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi. » (Ml 3,1).

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE L'AVENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 71

Dimanche 4 décembre 2022 : 2ème dimanche de l’Avent : lectures et commentaires

Dimanche 4 décembre 2022 : 2ème dimanche de l’Avent

route-desert

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 11,1-10

En ce jour-là,
1  un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David,
un rejeton jaillira de ses racines.
2  Sur lui reposera l’esprit du SEIGNEUR :
esprit de sagesse et de discernement,
esprit de conseil et de force,
esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR
– qui lui inspirera la crainte du SEIGNEUR.
3  Il ne jugera pas sur l’apparence ;
il ne se prononcera pas sur des rumeurs.
4  Il jugera les petits avec justice ;
avec droiture, il se prononcera
en faveur des humbles du pays.
Du bâton de sa parole, il frappera le pays ;
du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant.
5  La justice est la ceinture de ses hanches ;
la fidélité est la ceinture de ses reins.
6  Le loup habitera avec l’agneau,
le léopard se couchera près du chevreau,
le veau et le lionceau seront nourris ensemble,
un petit garçon les conduira.
7  La vache et l’ourse auront même pâture,
leurs petits auront même gîte.
Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage.
8  Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ;
sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main.
9  Il n’y aura plus de mal ni de corruption
sur toute ma montagne sainte ;
car la connaissance du SEIGNEUR remplira le pays
comme les eaux recouvrent le fond de la mer.
10  Ce jour-là, la racine de Jessé
sera dressée comme un étendard pour les peuples,
les nations la chercheront,
et la gloire sera sa demeure.

L’ARBRE DE JESSE
Visiblement, on parlait déjà d’arbres généalogiques à l’époque du prophète Isaïe ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : quand Isaïe parle de la racine de Jessé, ou de la souche de Jessé, cela vise évidemment la dynastie du roi David.
Vous connaissez l’histoire : Jessé avait huit fils. Et, parmi les huit, Dieu a envoyé son prophète Samuel choisir un roi ; or, curieusement, sur les conseils de Dieu, Samuel n’a choisi ni le plus âgé, ni le plus grand, ni le plus fort… mais le plus jeune, celui qui était berger, dans les champs, avec les bêtes. Et c’est ce petit David qui est devenu le plus grand roi d’Israël. Et c’est là que Jessé est devenu célèbre : il est le père du roi David ; il est l’ancêtre d’une longue lignée ; cette lignée, on la représente souvent comme un arbre : un arbre promis à un grand avenir, un arbre qui ne devait jamais mourir.
Car un autre prophète, Natan, avait été jusqu’à dire à David : Dieu te promet que tes descendants régneront pour toujours et que le peuple connaîtra enfin l’unité parfaite et la paix.
Pour être francs, les fruits de cet arbre ont été plutôt décevants : aucun roi de la dynastie de David n’a pleinement réalisé ces belles promesses ; mais on a toujours et même de plus en plus, continué d’espérer. Car, pour les croyants, l’espérance naît de la déception : puisque Dieu l’a promis, on peut être certains que cela se réalisera, tôt ou tard. C’est comme cela, d’ailleurs, que le mot « Messie » a changé de sens.
Je m’explique : tous les rois, qu’ils soient bons ou mauvais, méritaient le titre de messie puisque « messie » (en hébreu) veut dire tout simplement « frotté d’huile » ; c’est une allusion à l’onction d’huile que recevait le roi le jour de son sacre. Mais, avec le temps, le mot « messie » a fini par être synonyme de « roi idéal », celui qui apporterait le bonheur et la justice sur la terre.
Je peux reprendre maintenant la première phrase du texte d’Isaïe : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton sortira de ses racines ». Ce qu’il dit à ses contemporains, c’est : pour l’instant, vous avez l’impression que toutes ces belles promesses sont envolées et que l’arbre généalogique de David ne produit rien de bon1 ! Mais, même d’un arbre mort, d’une souche, vous savez bien, Dieu peut faire ressurgir un rejeton inattendu. Soyez-en sûrs, tôt ou tard, le messie (au sens de roi idéal) viendra.
Je reprends le texte : un cadre formé par les deux phrases sur l’arbre de Jessé, et à l’intérieur de ce cadre, deux parties ; la première parle de ce roi-messie sur qui reposera l’esprit du Seigneur.
LE ROI-MESSIE FERA LA GUERRE A L’INJUSTICE.
Vous l’avez remarqué, les dons de l’Esprit sont au nombre de 7 parce que, dans la Bible, c’est le chiffre de la plénitude ; vous avez noté aussi l’insistance sur la « crainte du SEIGNEUR » : « Sur lui reposera l’esprit du SEIGNEUR, esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR qui lui inspirera la crainte du SEIGNEUR. » A l’époque d’Isaïe, quand on parle de « crainte de Dieu », cela veut dire une attitude filiale, faite de confiance et de respect. Le roi-messie, quand il viendra, se conduira envers Dieu comme un fils, c’est-à-dire qu’il gouvernera son peuple comme Dieu le veut.
Nous comprenons alors l’insistance du prophète sur la justice ; elle sera le mot d’ordre de ce roi idéal : « La justice est la ceinture de ses hanches, la fidélité est la ceinture de ses reins… Il ne jugera pas sur l’apparence ; il ne se prononcera pas sur des rumeurs. Il jugera les petits avec justice, avec droiture, il se prononcera en faveur des humbles du pays ». On sait qu’Isaïe avait de gros reproches à faire à ses contemporains sur ce sujet.
Isaïe continue : « Du bâton de sa parole, il frappera le pays, du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant » ; la formule est un peu surprenante pour nous parce que, dans notre langage moderne, le mot « méchant » semble viser des personnes ; en fait il suffit de le remplacer par le mot « méchanceté » ou injustice ; il nous arrive d’employer l’expression « faire la guerre à la guerre », là on pourrait dire : le roi-messie fera la guerre à l’injustice.
La deuxième partie de ce texte, c’est ce que l’on pourrait appeler la « fable des animaux »2 : cette merveilleuse image de l’harmonie universelle ; il ne s’agit pas d’un retour au Paradis terrestre, il s’agit au contraire de l’aboutissement final du projet de Dieu : le jour où l’Esprit aura fini de nous mener vers la vérité tout entière, comme dit Jésus ; ce jour où enfin « la connaissance du SEIGNEUR remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. »
Enfin, Isaïe rappelle une fois de plus que le projet de Dieu concerne bien l’humanité tout entière : « Ce jour-là, la racine de Jessé sera dressée comme un étendard pour les peuples, les nations la chercheront ». Plus tard, Jésus dira « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». (Jn 12,32).
—————-
Notes
1 – Isaïe prêche à la fin du huitième siècle av. J.C., dans une période très troublée où il est bien difficile de garder l’espérance, car le petit royaume de Jérusalem est menacé de toutes parts.
2 – Isaïe écrit sa « fable des animaux », tout comme Jean de La Fontaine faisait semblant de parler d’animaux pour décrire les comportements humains. Cette fable de la « conversion » des animaux est donc une promesse d’un avenir de paix et de fraternité pour les humains.

Complément
Le texte de Martin Luther King « Je fais le rêve » est directement inspiré de ce passage d’Isaïe 11 ainsi que de Isaïe 2,1-5 (lu dimanche dernier, premier dimanche de l’Avent).

PSAUME – 71 (72), 1-2.7-8.12-13.17

1 Dieu donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
2 Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

7 En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
8 Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

12 Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours
13 Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

17 Que son nom dure toujours ;
sous le soleil, que subsiste son nom !
En lui, que soient bénies toutes les familles de la terre ;
que tous les pays le disent bienheureux !

DANS L’ATTENTE DU MESSIE PROMIS
« Dieu donne au roi tes pouvoirs » : c’est une prière … « Qu’il gouverne ton peuple avec justice », c’est un souhait. Ce sont les mots mêmes que l’on disait lors du sacre d’un nouveau roi… Nous sommes au Temple de Jérusalem… mais curieusement, ce psaume a été composé et chanté après l’Exil à Babylone, (donc entre 500 et 100 av.J.C.) c’est-à-dire à une époque où il n’y avait déjà plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que cette prière, ce souhait ne concernent pas un roi en chair et en os… ils concernent le roi qu’on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu’il s’agit d’une promesse de Dieu, on est sûr qu’elle se réalisera.
La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l’histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Dieu a un projet. Ce projet inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c’est le « Jour de Dieu » pour les prophètes, le « Règne des cieux » pour Saint Matthieu, le « dessein bienveillant » pour Saint Paul, mais c’est toujours du même projet qu’il s’agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d’amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l’humanité. Ce projet sera réalisé par le Messie et c’est ce Messie que les croyants appellent de tous leurs voeux lorsqu’ils chantent ce psaume au Temple de Jérusalem.
Son projet de bonheur, Dieu l’avait déjà annoncé dès sa première parole à Abraham, au chapitre 12 de la Genèse, alors que celui-ci ne s’appelait encore que Abram ; Dieu lui avait promis : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12,3 1). Je crois qu’il est très important de ne jamais oublier que dès le début de la révélation biblique, il est clair que l’humanité tout entière est concernée, même si on ne l’a pas compris tout de suite. Le peuple d’Israël a découvert peu à peu qu’il est élu non pas pour garder son beau secret pour lui tout seul, mais pour annoncer au monde le projet de Dieu.
Notre psaume ne dit pas autre chose : « En lui (sous-entendu le roi-messie) que soient bénies toutes les familles de la terre ; que tous les pays le disent bienheureux ».
Un autre verset que nous avons lu également reprend une autre promesse de Dieu à Abraham, au chapitre 15 de la Genèse cette fois : « Le SEIGNEUR conclut une Alliance avec Abram en ces termes : A ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Egypte jusqu’au Grand fleuve, l’Euphrate » (Gn 15,18). Et le psaume répond en écho : « Qu’il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu’au bout de la terre ! » Plus tard, le livre de Ben Sirac (« l’Ecclésiastique ») rapprochera toutes ces promesses faites à Abraham ; on y lit : « Dieu lui assura par serment que les nations seraient bénies en sa descendance, qu’il le multiplierait autant que la poussière sur la terre, qu’il exalterait ses descendants comme les étoiles ; il leur donnerait un héritage allant de la mer à la mer, et du Fleuve jusqu’à l’extrémité de la terre. » (Si 44,21)
Nous qui sommes assez chatouilleux sur la démocratie, sommes peut-être un peu surpris qu’on puisse tant rêver d’un roi et d’un roi qui domine sur toute la planète « de la mer à la mer et du Fleuve jusqu’à l’extrémité de la terre ! » ; nos empereurs les plus ambitieux n’ont jamais osé rêver jusque-là. Mais il ne faut pas oublier que, dans la Bible, c’est en définitive le peuple qui est au centre de la promesse : le roi n’est qu’un instrument dans la main de Dieu, un instrument au service du peuple. Et ce peuple aura la dimension de l’humanité.
EN CES JOURS-LA FLEURIRA LA JUSTICE
Une humanité enfin fraternelle et pacifique où plus personne ne connaîtra l’humiliation : « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes ! » Enfin sera réalisé le rêve de justice et de paix qui hante toute l’humanité depuis les origines : ce n’est pas pour rien que le nom même de « Jérusalem », en hébreu, veut dire « ville de la paix » ; mais Bagdad, aussi veut dire « demeure de la paix », tout autant que  Dar-Es-Salam ; parce que tous les peuples en rêvent depuis toujours.
Et c’est la force incroyable, l’audace de la Bible d’affirmer contre vents et marées, et contre toutes les apparences contraires, que le jour de la paix viendra. Et comme justice et paix vont ensemble, « justice et paix s’embrassent » dit même le psaume 84/85, il n’y aura plus de pauvre à la surface de la terre ; alors la terre sera vraiment « sainte » comme elle doit être ; cet idéal-là court lui aussi tout au long de la Bible ; le livre du Deutéronome disait « Il n’y aura pas de pauvre chez toi » (Dt 15,4). Le psaume s’inscrit dans cette ligne : « Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie. »
Tout ce psaume rappelle donc la promesse de Dieu et lui demande de hâter ce jour… non pas que Dieu risque d’oublier ses promesses ! Au contraire, si les pèlerins assemblés au temple de Jérusalem redisent ce psaume sur le roi-messie, c’est parce qu’ils savent que Dieu n’oublie pas son projet. Quand nous prions, il ne s’agit pas de rappeler à Dieu quelque chose qu’il risquerait d’ignorer ou d’oublier… Quand nous prions, nous apprenons à regarder le monde avec les yeux de Dieu ; nous nous replaçons devant le projet de Dieu pour raviver notre espérance et pour trouver la force de travailler à l’accomplissement de la promesse. Car la paix, la justice, le salut des pauvres et des malheureux ne viendront pas par un coup de baguette magique : à nous de prier, de faire nôtre le projet de Dieu, et de nous laisser guider par l’Esprit Saint pour nous engager dans ce combat. Avec sa lumière, avec sa force, avec sa grâce, nous y arriverons.
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Note
1 – A partir du texte hébreu, ce verset (Gn 12,3) peut s’entendre de deux manières, et ces deux manières ne s’excluent pas l’une l’autre, au contraire elles s’additionnent : d’abord « Par toi se béniront toutes les familles de la terre » : c’est-à-dire, quand elles se souhaiteront du bien, toutes les familles de la terre feront référence à toi comme un modèle de réussite ; on dira « puisses-tu réussir comme notre père Abraham » ; deuxième traduction : « A travers toi, Abraham, grâce à toi, toutes les familles de la terre seront bénies, c’est-à-dire connaîtront le bonheur. » (à condition qu’elles veuillent bien entrer dans ce projet, bien sûr).

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul aux Romains 15, 4-9

Frères,
4  tout ce qui a été écrit à l’avance dans les livres saints
l’a été pour nous instruire,
afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures,
nous ayons l’espérance.
5  Que le Dieu de la persévérance et du réconfort
vous donne d’être d’accord les uns avec les autres
selon le Christ Jésus.
6  Ainsi, d’un même cœur, d’une seule voix,
vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ.
7  Accueillez-vous donc les uns les autres,
comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu.
8  Car je vous le déclare : le Christ s’est fait le serviteur des Juifs,
en raison de la fidélité de Dieu,
pour réaliser les promesses faites à nos pères ;
9  quant aux nations, c’est en raison de sa miséricorde
qu’elles rendent gloire à Dieu,
comme le dit l’Écriture :
C’est pourquoi je proclamerai ta louange parmi les nations, je chanterai ton nom.

L’ECRITURE, SOURCE D’ESPERANCE
Voilà une phrase à écrire en lettres d’or : « Tout ce qui a été écrit à l’avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire, afin que nous ayons l’espérance. »
Etre convaincu que l’Ecriture n’a qu’un but, celui de nous instruire, qu’elle est pour nous source d’espérance, c’est la meilleure clé pour l’aborder. A partir du moment où nous abordons la Bible avec cet a priori positif, les textes s’éclairent. Pour le dire autrement, l’Ecriture est toujours Bonne Nouvelle ; concrètement, cela veut dire que si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c’est que nous ne les avons pas compris. Ce n’est pas un péché de ne pas comprendre, il faut seulement continuer à travailler pour découvrir la Bonne Nouvelle qui est toujours dans l’Ecriture.
Quand nous acclamons la Parole de Dieu à la Messe, ou bien quand nous disons « Evangile, (c’est-à-dire Bonne Nouvelle) de Jésus-Christ notre Seigneur », ce n’est pas une simple façon de parler. C’est le contenu même de notre foi ; comme dirait La Fontaine « Un trésor est caché dedans » ; à nous de creuser le texte pour le découvrir.
Pas étonnant que l’Ecriture nourrisse notre espérance puisqu’elle n’a en définitive qu’un seul sujet, l’annonce du fantastique projet de Dieu, ce que Paul appelle le « dessein bienveillant de Dieu », c’est-à-dire la parole d’amour de Dieu à l’humanité.
Revenons à notre lettre aux Romains : Paul continue par un rappel à l’ordre bien concret adressé aux Chrétiens de Rome : « Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis » ; on peut en déduire aussitôt qu’il y avait un problème. On ne sait pas par qui Paul était informé de ce qui se passait dans cette communauté où il n’était jamais allé.
Mais à lire entre les lignes, on devine qu’il y avait un conflit entre deux camps, les Chrétiens d’origine juive et ceux d’origine païenne : les premiers restaient attachés à l’observance de toutes les pratiques juives, en matière de nourriture notamment, et les seconds trouvaient ces exigences périmées.
Nous connaissons bien ce problème qui a empoisonné très vite la vie des communautés chrétiennes : selon les lieux et les communautés, il pouvait jouer dans les deux sens : soit les Chrétiens d’origine juive voulaient imposer les pratiques juives à ceux qui étaient issus du paganisme ; soit les Chrétiens issus du paganisme se considéraient comme des esprits supérieurs parce qu’ils ne s’astreignaient pas à des pratiques jugées surannées. A Rome il s’agit peut-être de ce second cas. En tout cas il est clair que la discorde et peut-être le mépris s’installait.
ACCUEILLEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES COMME LE CHRIST VOUS A ACCUEILLIS
Nous-mêmes au vingt-et-unième siècle, ne sommes pas exempts de querelles de ce genre : les camps portent d’autres noms mais à l’intérieur de la seule Eglise catholique, les diversités de sensibilités sont devenues des divergences et de véritables conflits parfois. La différence, c’est qu’aujourd’hui, pour éviter les conflits, chacun choisit sa paroisse ou son groupe, le lieu qui lui convient… Il n’est pas sûr qu’à terme, ce soit la solution la plus pacifique…
A Rome on essayait l’autre solution, celle de la cohabitation. Paul ne leur dit pas : séparez-vous, coupez la communauté en deux, les Chrétiens d’origine juive d’un côté, et ceux d’origine païenne de l’autre ; il leur donne, au contraire, des conseils de cohabitation.
Dans les versets qui précèdent notre passage d’aujourd’hui, il leur a dit : « Recherchons donc ce qui contribue à la paix et ce qui construit les relations mutuelles » (14,19) et « Que chacun de nous fasse ce qui plaît à son prochain, en vue du bien, dans un but constructif » (sous-entendu pour édifier la communauté) (15,2). Paul veut dire par là que chacune de nos communautés chrétiennes est un édifice à construire au jour le jour ; encore faut-il que nous y mettions un peu du ciment de la patience et de la tolérance. Ici, il leur dit : « Que le Dieu de la persévérance et du réconfort vous donne d’être d’accord les uns avec les autres selon le Christ Jésus. »
Comme toujours, la règle de la conduite des Chrétiens doit être d’imiter le Christ lui-même : « Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis ». Et qu’a fait le Christ ? Paul précise : « le Christ s’est fait le Serviteur des Juifs », ce qui est une allusion au personnage du serviteur décrit par Isaïe. Vous vous souvenez de ces quatre textes des chapitres 42 à 53 du livre d’Isaïe qui décrivent le Serviteur de Dieu 1 : choisi par Dieu, (le texte dit même qu’il est « l’Elu » de Dieu), le Serviteur, instruit chaque matin par la Parole, donne sa vie pour ses frères et grâce au don de sa vie, il sauve ses frères, et mieux encore, le salut de Dieu parvient à toutes les nations.
Manifestement quand Paul écrit aux Romains, il est imprégné de ces quatre textes. Et il relit la vie du Christ à leur lumière. Grâce au don que Jésus a fait de sa vie, tous sont sauvés, les Juifs à cause de l’Alliance avec Israël, les anciens païens par pure grâce. Il n’est donc pas question pour qui que ce soit d’invoquer une quelconque supériorité, tout est l’œuvre  du Christ : « Le Christ s’est fait le Serviteur des Juifs en raison de la fidélité de Dieu… quant aux nations, c’est en raison de sa miséricorde qu’elles rendent gloire à Dieu ».
Conclusion : accueillez-vous mutuellement, juifs ou païens devenus chrétiens, ne vous occupez plus de votre passé respectif, chantez seulement la gloire de Dieu, sa fidélité pour les uns, sa miséricorde pour les autres.
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Note
1 – Voici les références des quatre « Chants du Serviteur » dans le livre d’Isaïe :
Is 42,1-7 ; Is 49,1-6 ;  Is 50,4-7 ;  Is 52,13 – 53,12

EVANGILE – selon Saint Matthieu 3,1-12

1  En ces jours-là,
paraît Jean le Baptiste,
qui proclame dans le désert de Judée :
2  « Convertissez-vous,
car le royaume des Cieux est tout proche. »
3  Jean est celui que désignait la parole
prononcée par le prophète Isaïe :
Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du SEIGNEUR, rendez droits ses sentiers.
4  Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau,
et une ceinture de cuir autour des reins ;
il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
5  Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain
se rendaient auprès de lui,
6  et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain
en reconnaissant leurs péchés.
7  Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens
se présenter à son baptême,
il leur dit :
« Engeance de vipères !
Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ?
8  Produisez donc un fruit digne de la conversion.
9  N’allez pas dire en vous-mêmes :
‘Nous avons Abraham pour père’ ;
car, je vous le dis :
des pierres que voici,
Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
10  Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres :
tout arbre qui ne produit pas de bons fruits
va être coupé et jeté au feu.
11  Moi, je vous baptise dans l’eau,
en vue de la conversion.
Mais celui qui vient derrière moi
est plus fort que moi,
et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
12  Il tient dans sa main la pelle à vanner,
il va nettoyer son aire à battre le blé,
et il amassera son grain dans le grenier ;
quant à la paille,
il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

LA PREDICATION DE JEAN-BAPTISTE
Quand Jean-Baptiste commence sa prédication, l’occupation romaine dure depuis quatre-vingt-dix ans à peu près : le roi Hérode a été laissé en place par les Romains mais il est unanimement détesté ; les partis religieux sont divisés et on ne sait plus très bien qui croire ; il y a les collaborateurs et les résistants… régulièrement un exalté fait parler de lui, promet le salut, mais cela se termine toujours mal.
C’est dans ce contexte que Jean-Baptiste se met à prêcher ; il vit dans le « désert » de Judée (entre le Jourdain et Jérusalem) ; à vrai dire cette région n’est pas totalement désertique, mais ce qui intéresse Matthieu1, ce n’est pas le degré de sécheresse, c’est le sens spirituel du désert : il a en tête toute la résonance de l’expérience d’Israël au désert pendant l’Exode et la méditation des prophètes sur l’Alliance conclue là-bas dans la ferveur de ce que le prophète Osée appelle des fiançailles.
Jean-Baptiste paraît et tout, son vêtement2 de poils de chameau comme sa nourriture (sauterelles et miel sauvage qui sont typiques des ascètes du désert), l’apparente aux grands prophètes de l’Ancien Testament. Certains même ont pensé qu’il était peut-être le prophète Elie dont on attendait le retour pour la fin des temps (cf Ml 3,233). Par sa prédication aussi, Jean-Baptiste rejoint les prophètes : comme eux, il a un double langage, doux, encourageant pour les humbles, dur, menaçant pour les orgueilleux. Le but, c’est de rassurer les petits, mais de réveiller ceux qui se croient arrivés, comme on dit… ou plus exactement d’attirer leur attention sur leurs comportements. Par exemple, plus qu’une insulte, l’expression « Engeance de vipères »4 est une mise en garde : cela revient à dire « vous êtes de la même race que le serpent tentateur, le « diviseur » du Paradis terrestre ».
Ses auditeurs, habitués au langage des prophètes, savent bien qu’au fond, ce n’est pas à des personnes ou à des catégories de personnes qu’il s’en prend, mais à des manières d’être. Jean-Baptiste annonce donc le jugement comme un tri qui se fera non pas entre des personnes, mais à l’intérieur de chacun de nous.
JESUS NOUS PLONGE DANS LE FEU DE L’ESPRIT
Pour cela il emploie l’image du feu : nous l’avions rencontrée dans le même sens chez Malachie, il n’y a pas longtemps. Vous vous souvenez qu’il disait : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme la fournaise… » (Ml 3,19 ; 33ème dimanche de l’année C) : tout ce qui est mort, desséché, (entendons dans nos manières d’être), sera coupé, brûlé… mais on sait bien que si le jardinier fait ce tri, c’est pour permettre aux branches bonnes de se développer. Le cultivateur fait un tri analogue au moment de la moisson : le grain sera amassé dans le grenier, la paille sera brûlée ; ce qui est bon, en chacun de nous, même si c’est très peu, sera précieusement engrangé.
Cela aussi, c’est une Bonne Nouvelle : il y a en chacun de nous des comportements, des manières d’être, dont nous ne sommes pas très fiers… ceux-là, nous en serons débarrassés. Mais tout ce qui, en chacun de nous, peut être sauvé sera sauvé.
Jean-Baptiste dit bien que c’est Jésus qui fera ce tri : « celui qui vient derrière moi… vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. » Cela revient à dire que Jésus de Nazareth est Dieu. Car dans tout l’Ancien Testament, Dieu a été présenté comme le seul juge, celui qui sonde les reins et les coeurs, celui qui connaît tout homme en vérité.
Jean-Baptiste a encore une autre manière très imagée de nous dire qui est Jésus : « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi » (il faut savoir que dans la Bible, l’adjectif « fort » est habituellement appliqué à Dieu) « et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales ». Il faut imaginer la scène : bien évidemment, pour entrer dans le Jourdain, si on est chaussé, il faut se déchausser ; quand un homme important avait un esclave, c’était l’esclave qui défaisait ses sandales ; mais s’il avait un disciple, le disciple considérait qu’il était au-dessus de l’esclave et il ne s’abaissait pas à défaire les sandales de son maître.
Jean-Baptiste dit : « Moi, je ne mérite pas d’être considéré comme un disciple de Jésus ; je ne mérite même pas d’être considéré comme son esclave, je ne suis même pas digne de dénouer ses sandales ». Le plus piquant dans l’histoire, c’est que celui qui jusque-là était en position de maître suivi par des disciples, c’était justement Jean-Baptiste et non Jésus. Pourquoi Jean-Baptiste s’efface-t-il ainsi devant le nouveau venu ?
Parce que Jésus est celui qui baptisera, c’est-à-dire qui plongera l’humanité dans le feu de l’Esprit Saint : « Moi, je baptise5 dans l’eau (sous-entendu parce que je ne suis qu’un homme), lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint ». Qui dispose à son gré de l’Esprit de Dieu, sinon Dieu lui-même ? Si le prophète Joël était là, au bord du Jourdain, il pourrait dire : vous voyez, je vous l’avais bien dit, le jour est enfin venu où Dieu répand son esprit sur toute chair.
A nous de nous laisser emporter dans ce feu.
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Notes
1 – Matthieu nous dit : « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du SEIGNEUR, rendez droits ses sentiers ». C’est une citation d’Isaïe (40,3).
2 – Elie était reconnaissable à son vêtement : « Il portait un vêtement de poils et un pagne de peau autour des reins. » (2 R 1,8).
3 – Malachie 3,23 : « Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR. »
4 – « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? » Entendons-nous bien, Jean-Baptiste ne dit pas aux sadducéens, ni aux pharisiens, pas plus qu’au petit peuple, que tout est perdu. Il n’a de haine ni pour les uns ni pour les autres. Je crois bien qu’à tous il dit : « de vous tous, de toutes vos souches, comme de la racine de Jessé, un rejeton peut encore sortir ». (cf la première lecture).
5 – « Moi, je vous baptise dans l’eau » : un rite de baptême, c’est-à-dire de plongée dans l’eau, était donc déjà pratiqué avant Jésus-Christ, il ne l’a pas inventé. Mais il en a changé le sens.

Complément
Matthieu a commencé son Evangile par l’arbre généalogique de Jésus, histoire de nous montrer que celui-ci est vraiment le Messie puisqu’il descend directement de David ; puis il a raconté l’annonce à Joseph, la visite des mages, la fuite en Egypte et le massacre des saints innocents, et enfin le retour d’Egypte et l’installation de la Sainte Famille à Nazareth. Ce sont ses deux premiers chapitres, une sorte de prologue qui dit déjà tout du mystère de Jésus ; fils de David, fils de Dieu, roi véritable… mais aussi déjà persécuté : l’affrontement final est déjà esquissé dans ces épisodes du début de sa vie terrestre. Dans le texte d’aujourd’hui, Matthieu nous dit de plusieurs manières que Jésus est Dieu.
Nous voilà donc au chapitre 3 qui commence par « En ces jours-là paraît Jean le Baptiste ». Les deux chapitres 3 et 4 sont certainement une charnière dans l’évangile de Matthieu : c’est là, avec Jean-Baptiste, que commence la prédication du Règne des cieux. Et si l’on compare l’entrée en scène, si j’ose dire, de Jean-Baptiste et de Jésus, il est clair que Matthieu a volontairement fait un parallèle entre les deux. Pour n’en donner qu’un exemple, quelques versets plus bas, il emploie pour Jésus la même formule : « Alors paraît Jésus ».

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Mardi 1er novembre : Fête de la Toussaint : lectures et commentaires

Mardi 1er novembre 2022 : Fête de la Toussaint

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE –

LECTURE DU LIVRE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN 7, 2 – 4. 9 – 14

Moi, Jean,
2 j’ai vu un ange
qui montait du côté où le soleil se lève
avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ;
d’une voix forte, il cria aux quatre anges
qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer :
3 « Ne faites pas de mal à la terre,
ni à la mer, ni aux arbres,
avant que nous ayons marqué du sceau
le front des serviteurs de notre Dieu. »
4 Et j’entendis le nombre
de ceux qui étaient marqués du sceau :
ils étaient cent quarante-quatre mille,
de toutes les tribus des fils d’Israël.

9 Après cela, j’ai vu :
et voici une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer,
une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
10 Et ils s’écriaient d’une voix forte :
« Le salut appartient à notre Dieu,
qui siège sur le Trône,
et à l’Agneau ! »
11 Tous les anges se tenaient debout autour du Trône,
autour des Anciens et des quatre Vivants ;
se jetant devant le Trône, face contre terre,
ils se prosternèrent devant Dieu.
12 Et ils disaient :
« Amen !
Louange, gloire, sagesse et action de grâce,
honneur, puissance et force
à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
13 L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :
« Ces gens vêtus de robes blanches,
qui sont-ils ? et d’où viennent-ils ? »
14  Je lui répondis :
« Mon seigneur, toi, tu le sais. »
Il me dit :
« Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
ils ont lavé leurs robes,
ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »

LA FOULE DES BAPTISES
« Moi, Jean, j’ai vu » il s’agit donc d’une vision : « Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève », et un peu plus loin : « Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer ». Nous sommes prévenus : la description qui va suivre, et qui, ici, est superbe, grandiose, est d’ordre mystique : il n’est pas question de la prendre au pied de la lettre ; pour la comprendre, il faut nous laisser prendre, elle nous emporte dans un autre monde.
Lorsque l’apôtre Jean raconte la vision qu’il a eue à Patmos, ses auditeurs comprennent fort bien ce qu’il veut leur dire ; pour nous c’est moins clair ; je vais donc reprendre les éléments les uns après les autres.
Jean nous décrit une immense procession composée de deux foules distinctes : la première est composée de cent quarante-quatre mille personnes, (bien sûr, c’est un chiffre symbolique) qu’il appelle les serviteurs de Dieu. Ils sont marqués du « sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ». C’est le Baptême*. Voici donc le peuple des baptisés : c’est à eux que Jean adresse son Apocalypse.
Il décrit ensuite une autre foule : c’est une foule immense, innombrable, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Vous notez au passage qu’il y a quatre termes dans cette énumération : le chiffre quatre dans ce genre de textes évoque le monde créé, le cosmos et donc aussi l’humanité (peut-être en référence aux quatre points cardinaux). Cette foule de « toutes nations, tribus, peuples et langues » représente donc l’humanité. Ils sont en vêtements blancs, ce qui veut dire qu’ils ont revêtu la robe des noces ; ensuite, ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, avec des palmes à la main. La position debout (qui est la posture du ressuscité), la robe nuptiale, les palmes de la victoire, tout nous dit qu’ils sont sauvés.
Et d’ailleurs, ils le proclament : « Le salut appartient (sous-entendu est donné par) à notre Dieu qui siège sur le Trône, et à l’Agneau ! »
Et pourtant les membres de cette deuxième foule ne sont pas marqués du sceau du Baptême. Qui les a introduits dans le salut ? La foule des cent quarante-quatre mille justement. Les cent quarante-quatre mille, je vous ai dit que ce sont les baptisés, les contemporains de Saint Jean. Or ils sont à ce moment précis affrontés à une terrible persécution, celle de l’empereur Domitien à la fin du premier siècle.
ET LA FOULE INNOMBRABLE DES HOMMES SAUVES
Je crois que le message de l’Apocalypse aux chrétiens persécutés est le suivant : tenez bon ; votre témoignage portera ses fruits. Dans votre épreuve se trouve le salut de tous les hommes. Grâce à vous, grâce à vos souffrances endurées dans « la grande épreuve » (v. 14) de la persécution, la foule innombrable des nations sera sauvée.
Evidemment, on peut se poser deux questions : tout d’abord, pourquoi la souffrance des uns entraîne-t-elle le salut des autres ? D’autre part, pourquoi Jean parle-t-il ainsi dans un langage tellement codé que nous avons du mal à le déchiffrer. Pourquoi ne parle-t-il pas en clair ?
A propos de la souffrance des uns qui entraîne le salut des autres, c’est le grand mystère dont le prophète Isaïe parlait dans les chants du serviteur souffrant : il disait que le cœur du bourreau ne peut être touché que par la prise de conscience de la douleur de ses victimes. « Reconnu juste, mon serviteur dispensera la justice », disait Isaïe (Is 53). Zacharie reprenait la même méditation lorsqu’il disait : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10) et ce jour-là leur cœur sera enfin changé. Et l’évangéliste Jean lui-même a précisément repris cette phrase dans le récit de la Mort du Christ. Ici, Jean dit la même chose à ses frères persécutés : dans vos souffrances, se trouve le salut de vos frères.
Pourquoi saint Jean ne parle-t-il pas en clair ? C’est tout le problème du style de son discours, il s’agit de ce que l’on appelle une « Apocalypse » ; c’est-à-dire que c’est un écrit clandestin qui circule sous le manteau, à la barbe des autorités ; ici, il s’agit des autorités romaines, à la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Ce livre s’adresse donc à des croyants qui vivent sous la menace perpétuelle de la persécution ; et donc, il se présente comme tous les messages de réseaux de résistance, avec un langage codé, compréhensible par les seuls initiés. C’est la première caractéristique de ce genre littéraire : tous les écrits apocalyptiques rapportent des visions et emploient des images et des nombres symboliques.
La deuxième caractéristique des Apocalypses, c’est leur thème. Dans toutes les périodes sombres de l’histoire d’Israël, Dieu a suscité des prophètes dont la mission était de réveiller l’espérance ; en période de persécution, le discours tenu pour réveiller les énergies consiste à dire : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Les vrais vainqueurs en définitive, c’est vous, les croyants, à l’image du Christ lui-même ; il est l’Agneau apparemment vaincu, égorgé, mais en réalité, il a vaincu le monde, il a vaincu la mort. **
Alors, on comprend le titre de ce livre « Apocalypse » qui signifie « lever le voile » ; une « apocalypse » est toujours une « révélation », un « dévoilement » au sens de « retirer un voile ». Cet écrit lève le voile de l’apparence (à savoir la domination triomphante de Rome) et il annonce, il révèle la victoire de Dieu et de son Christ sur toutes les forces du mal, si terrifiantes soient-elles.
Nous retrouvons ces deux caractéristiques dans le texte d’aujourd’hui.
————
Complément
–  C’était l’usage dans l’armée romaine de marquer les recrues d’un signe sur le front ; de la même manière, le baptisé était devenu soldat du roi des cieux. Le sceau protecteur était également un thème connu de l’Ancien Testament (Ex 12,7 ; Ez 9,4).
– Apocalypse : Jean voit la victoire des pauvres et des petits, non pas comme une revanche mais comme le dévoilement de la victoire de Dieu sur les forces du mal

PSAUME – 23 (24)

1 Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
2 C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

3 Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
et se tenir dans le lieu saint ?
4 L’homme au coeur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

5 Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
6 Voici le peuple de ceux qui le cherchent
qui recherchent la face de Dieu !

QUI PEUT GRAVIR LA MONTAGNE DU SEIGNEUR ?
Comme dans tout psaume, Nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’approche ; à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (Vous vous souvenez que le Temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ».
C’est le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint, Saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers » proclament les séraphins pendant l’extase de la vocation d’Isaïe… (Is 6,3) et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir », comme dit Isaïe, en sa compagnie. Vous voyez combien ce psaume consonne avec la fête de tous les saints. Ils ont « gravi la montagne du SEIGNEUR », ils sont admis en présence du Dieu saint et ils chantent désormais le chant d’Isaïe, celui auquel nous unissons nos voix chaque dimanche, comme le dit la Préface de la Toussaint : juste avant de chanter ce que nous appelons le Sanctus, le prêtre dit « C’est pourquoi avec cette foule immense que nul ne peut dénombrer, avec tous les anges du ciel, nous voulons te chanter… »
Le psaume continue : « l’homme au cœur  pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; nous retrouvons là une expression que nous connaissons bien : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; même chose dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par Saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » : « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.
UN CŒUR PUR, ENTIEREMENT TOURNE VERS DIEU
« L’homme au cœur  pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens  qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le coeur pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.
« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.
Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au cœur  pur, aux mains innocentes… qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. « L’homme au coeur pur, aux mains innocentes, (c’est celui) qui ne livre pas son âme aux idoles. »
Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener tout au long de l’histoire d’Israël pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; depuis la sortie d’Egypte (vous vous rappelez l’épisode du veau d’or), et jusqu’à l’Exil à Babylone et même au-delà ; il faut dire qu’à toutes les époques, Israël a été en contact avec une civilisation polythéiste ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. Au passage, il faut noter que l’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.
Effectivement, c’est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; bien sûr, à un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au cœur  pur deviendra peu à peu un homme au cœur  de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.
En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés… Heureux les cœurs  purs, ils verront Dieu ». La dernière phrase « Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu ! » est peut-être une bonne définition de la pauvreté de cœur  dont parle Jésus dans les Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur  : le Royaume des cieux est à eux ! »

DEUXIEME LECTURE –

LECTURE DE LA PREMIERE LETTRE DE SAINT JEAN 3, 1 – 3

Bien-aimés,
1 voyez quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu
– et nous le sommes.
Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
C’est qu’il n’a pas connu Dieu.
2 Bien-aimés,
dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
Nous le savons : quand cela sera manifesté,
nous lui serons semblables
car nous le verrons tel qu’il est.
3 Et quiconque met en lui une telle espérance
se rend pur comme lui-même est pur.

L’URGENCE D’OUVRIR LES YEUX
 « Mes bien-aimés, voyez… » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », disaient les prophètes : voilà le drame de l’homme. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son dessein bienveillant, comme dirait Saint Paul ; Saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.
Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu’un texte.
Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Eve dans le jardin d’Eden : c’est bien une affaire de regard ; le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor : un jardin avec des quantités d’arbres ; « Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 2,9). Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas… » Alors le serpent, pour séduire Eve, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. »  Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l’accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent… » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu’ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.
Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de Saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Eve a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de Saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean. (Jn 17,3).
UNE MULTITUDE DE FILS
Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; Saint Paul, dans la lettre aux Ephésiens, dit : « Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ, ainsi l’a voulu sa bienveillance. » (Ep 1,5). C’est ce qu’il appelle le « dessein bienveillant de Dieu » qui consiste à réunir toute l’humanité en un seul être, dont la tête est Jésus-Christ et dont nous sommes les membres. Jean ne dit pas autre chose : Jésus est le Fils par excellence et nous qui sommes ses membres, nous sommes appelés, c’est logique, enfants de Dieu. Et il continue : « et nous le sommes » ; c’est déjà devenu une réalité par notre Baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres. Paul dit exactement la même chose « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27).
Comme dit encore Jean dans le Prologue de son évangile : « A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12 ). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet Esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père : « Dieu a envoyé dans nos cœurs  l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4,4). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez Saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.
En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». les non-croyants ; Comme dit Jean : « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. A ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »

EVANGILE – SELON SAINT MATTHIEU 5, 1-12a

En ce temps-là,
1  voyant les foules,
Jésus gravit la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2  Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
Il disait :
3  « Heureux les pauvres de cœur,
car le royaume des Cieux est à eux.
4  Heureux ceux qui pleurent :
car ils seront consolés.
5 Heureux les doux,
car ils recevront la terre en héritage.
6  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
car ils seront rassasiés.
7  Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8  Heureux les cœurs  purs,
car ils verront Dieu.
9  Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
car le royaume des Cieux est à eux !
11  Heureux êtes-vous si l’on vous insulte,
si l’on vous persécute
et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
à cause de moi.
12  Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse,
car votre récompense est grande dans les cieux ! » »

LE DON DES LARMES
Commençons par ce qui risque de nous choquer : « Heureux ceux qui pleurent ». Qui d’entre nous oserait dire une chose pareille devant quelqu’un qui pleure ? Et souvenons-nous que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur !
Tout d’abord, il faut s’entendre sur le mot « heureux » : les auditeurs de Jésus le connaissaient bien car il était très habituel dans l’Ancien Testament. Contrairement à ce que nous imaginons, ce n’est pas un constat de bonheur du genre « tu en as de la chance ! », c’est un encouragement à tenir bon. André Chouraqui le traduisait « En marche » : sous-entendu, « Tu es bien parti. Tu es bien en marche vers le royaume. » On peut l’entendre aussi comme « Tiens bon, garde le cap ». Adressée à des gens qui pleurent, cela voudrait dire : « Ne vous laissez pas décourager, ne changez pas de ligne de vie pour autant ».
Ensuite, sans parler des larmes de bonheur, évidemment, il y a des larmes qui sont bénéfiques : celles du repentir de saint Pierre, par exemple, dont parle le Pape Benoît XVI dans son livre sur Jésus. C’est là que l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu. Il y a également celles que nous versons lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance ou le chagrin des autres. Dans ces cas-là, nous sommes sur le bon chemin, nos cœurs de pierre sont en train de devenir des cœurs  de chair, pour reprendre l’expression du prophète Ezéchiel. On pourrait dire la même chose lorsque nous pleurons devant la cruauté de certains, devant ce que j’appellerais la dureté du monde.1
Enfin, il y a là très certainement, de la part de Jésus l’annonce que le temps du Messie est venu, le temps où s’instaurera le bonheur promis à l’humanité.
Je reviens à la première béatitude : « Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux ». Il me semble que cette béatitude-là contient toutes les autres, qu’elle est le secret de toutes les autres. Evidemment, ce n’est pas une idéalisation de la pauvreté matérielle : la Bible présente toujours la pauvreté comme un mal à combattre ; mais d’abord, il faut bien dire que ce n’étaient pas les gens socialement influents, importants qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus ! On lui a assez reproché de frayer avec n’importe qui !
Deuxièmement, le mot « pauvres » dans l’Ancien Testament n’a pas toujours un rapport avec le compte en banque : les « pauvres » au sens biblique (les « anavim ») ce sont ceux qui n’ont pas le coeur fier ou le regard hautain, comme dit un psaume ; on les appelle « les dos courbés » : ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d’eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler. Nous retrouvons ici sous la plume de Matthieu un écho de la parabole du pharisien et du publicain : le pharisien pourtant extrêmement vertueux ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son cœur  était plein de lui-même ; le publicain, notoirement pécheur, se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, alors il était comblé.
HEUREUX LES PAUVRES, LES RICHESSES DE DIEU SONT A VOUS
La qualité dont il s’agit ici, c’est « l’esprit de pauvreté », c’est-à-dire la qualité de « celui qui a pour refuge le nom du SEIGNEUR », comme le dit Sophonie, celui qui a besoin de Dieu, celui qui reçoit tout de Dieu comme un cadeau : celui qui prie humblement « Kyrie eleison », Seigneur prends pitié. Et qui attend de Dieu et de lui seul tout ce dont il est question dans les autres Béatitudes : être capable de miséricorde, c’est-à-dire de pardon et de compassion, être artisan de paix, être doux, ou non-violent, être affamé et assoiffé de justice ; car tout cela est cadeau ; et nous ne pouvons mettre véritablement ces talents au service du Royaume que quand nous les recevons dans cet esprit. Au fond, la première Béatitude, c’est celle qui nous permet de recevoir toutes les autres. Heureux, les pauvres : mettez votre confiance en Dieu : Il vous comblera de ses richesses … SES richesses… « Heureux » …  cela veut dire « bientôt on vous enviera » !
Tous ceux qui attendent tout de Dieu, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces béatitudes sont, comme leur nom l’indique, des bonnes nouvelles ; quelques lignes avant cet évangile des Béatitudes, Matthieu disait : « Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Mais ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Dieu se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples.
De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur , la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution… Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.
Autre bonne nouvelle : de cela nous sommes tous capables !
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Note
1 – D’après Ezéchiel, seront marqués d’un signe spécial au Jour du Jugement, ceux qui auront pleuré devant les douleurs et les méfaits du monde (Ez 9,4).

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Les Saints Innocents de Paul Verlaine

Saints innocents

massacre-innocents

 

Cruel Hérode, noir Péché,
De tes sept glaives tu poursuis
Les innocents, lesquels je suis
Dans mes cinq sens, — et, qu’empêché
Me voici pour, las ! me défendre !

L’argile dont Dieu les forma,
Leur faiblesse à ces tristes sens
Par quoi je suis les innocents
Que l’on immole dans Rama,
Trahissent leur âge trop tendre.

Nulle fuite. Mais mon Sauveur,
Assumant mon sort et ma mort,
Vit en Égypte dont il sort
À temps pour l’insigne faveur
Qu’il me fait de donner sa vie

Et sa pensée à mon bonheur
Éternel, et, par l’action
Sûre de l’absolution
De son prêtre à lui, le Seigneur,
Ressuscite ma chair ravie.

Paul Verlaine (1844-1896)

Recueil : Liturgies intimes (1892).