ANCIEN TESTAMENT, CANTIQUE DE DANIEL, DIMANCHE DE LA TRINITE, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LIVRE DE L'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS

Dimanche 4 juin 2023 : Fête de la Trinité : lectures et commentaires

Dimanche 4 juin 2023 : Fête de la Trinité

31569823

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre de l’Exode 34,4-6.8-9

En ces jours-là,
4 Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï
comme le SEIGNEUR le lui avait ordonné.
Il emportait les deux tables de pierre.
5 Le SEIGNEUR descendit dans la nuée
et vint se placer là, auprès de Moïse.
Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR.
6 Il passa devant Moïse et proclama :
« LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR,
Dieu tendre et miséricordieux,
lent à la colère, plein d’amour et de vérité. »
8 Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna.
9 Il dit :
« S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux,
daigne marcher au milieu de nous.
Oui, c’est un peuple à la nuque raide ;
mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés,
et tu feras de nous ton héritage. »

LA GRANDE REVELATION DE DIEU PAR LUI-MEME
Le texte que nous venons d’entendre est l’un des plus précieux de toute notre histoire ! Dieu lui-même parle de lui-même ! « Il proclama son nom », dit le texte. Et la réaction spontanée de Moïse qui se prosterne jusqu’à terre prouve qu’il a entendu là des paroles extraordinaires.
Et que dit Dieu ? Il s’appelle « Le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Ce nom « SEIGNEUR », c’est le fameux mot hébreu, en quatre lettres, YHVH, que nous ne savons pas prononcer, parce que, depuis des siècles, bien avant la naissance de Jésus, le peuple d’Israël s’interdisait de le dire, par respect. Ce nom-là, Dieu l’avait déjà proclamé devant Moïse dans le buisson ardent (Ex 3). En même temps qu’il lui révélait ce qui fut pour toujours, je crois, le socle de la foi d’Israël : « J’ai vu, disait Dieu, oui, j’ai vu la misèrere de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens… le cri des fils d’Israël est parvenu jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que leur font subir les Égyptiens. Maintenant donc, va ! Je t’envoie. » (Ex 3,7-10).
C’était déjà une découverte inouïe : Dieu voit, Dieu entend, Dieu connaît la souffrance des hommes. Il intervient en suscitant des énergies capables de combattre toutes les formes de malheur. Cela veut dire que nous ne sommes pas seuls dans les épreuves de nos vies, Dieu est à nos côtés, il nous aide à les affronter, à survivre. Dans la mémoire du peuple juif, ce fameux nom « SEIGNEUR » rappelle tout cela, cette douce pitié de Dieu, si j’ose dire.
Et ce n’étaient pas seulement des paroles en l’air, puisque, effectivement, Dieu était intervenu, il avait suscité en Moïse l’énergie nécessaire pour libérer son peuple. Chaque année, aujourd’hui encore, lors de la fête de la Pâque, le peuple juif se souvient que Dieu est « passé » au milieu de lui pour le libérer.
Avec le texte d’aujourd’hui, nous franchissons une nouvelle étape : Dieu éprouve pour nous non seulement de la pitié devant nos malheurs, mais de l’amour ! Il est « tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Une chose est d’éprouver de la pitié pour quelqu’un au point de l’aider à se relever, autre chose est de l’aimer vraiment.
Et ce n’est certainement pas un hasard si le texte d’aujourd’hui emploie le mot « passer » : Dieu « passe » devant Moïse pour révéler son nom de tendresse comme il est « passé » au milieu de son peuple dans la nuit de la Mer Rouge (Ex 12,13) : c’est le même mot ; quand Dieu passe, c’est toujours pour libérer son peuple. Et ce deuxième « passage » de Dieu, cette deuxième libération, est encore plus important que le premier. Le pire de nos esclavages est bien celui de nos fausses idées sur Dieu.
Or, vous avez entendu cette phrase du texte : « Il proclama son nom » ; cette phrase est notre garantie. Le Dieu d’amour auquel nous croyons, nous ne l’avons pas inventé, nous n’avons pas pris nos désirs pour des réalités. Vous connaissez la phrase de Voltaire « Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu ». Eh bien non ! Nous n’avons pas inventé Dieu, c’est lui qui s’est révélé à nous et cela depuis Moïse ! Et à l’instant où elle a retenti dans l’humanité, cette révélation était vraiment l’inattendu. On ne s’y attendait tellement pas qu’il fallait bien que Dieu nous le dise lui-même.
LE DIEU DE MISERICORDE N’ABANDONNERA JAMAIS SON PEUPLE
La réponse de Moïse prouve qu’il a parfaitement compris ce que signifie l’expression « lent à la colère » et il en déduit : « Tu pardonneras nos fautes et nos péchés ». Et il sait que, sur ce point, Dieu aura fort à faire ! Car Moïse a essuyé plus d’une fois les mécontentements de son peuple. Au point qu’un jour, il leur a dit : « Depuis le jour où vous êtes sortis d’Égypte jusqu’à ce que vous arriviez en ce lieu, vous avez été rebelles au SEIGNEUR. » (Dt 9,7). Ici, il dit : « Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. » Traduisez : nous sommes un peuple à la nuque raide, mais puisque tu es le Dieu tendre et miséricordieux, tu nous pardonneras toujours et nous, malgré tout, nous ferons notre petit possible pour répondre à ton amour.
Je reviens sur cette expression « nuque raide » : dans une civilisation essentiellement agricole, ce qui était le cas en Israël au temps bibliques, le spectacle de deux animaux attelés par un joug était habituel : nous savons ce qu’est le joug : c’est une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux pour labourer. Le joug pèse sur leurs nuques et les deux animaux en viennent inévitablement à marcher du même pas.
Les auteurs bibliques ont le sens des images : ils ont appliqué cette image du joug à l’Alliance entre Dieu et Israël. Prendre le joug était donc synonyme de s’attacher à Dieu pour marcher à son pas. Mais voilà, le peuple d’Israël se raidit sans cesse sous ce joug de l’Alliance conclue avec Dieu au Sinaï. Au lieu de le considérer comme une faveur, il y voit un fardeau. Il se plaint des difficultés de la vie au désert, et finit même par trouver bien fade la manne quotidienne. Au point que Moïse a connu des jours de découragement. Au lieu de se laisser entraîner par la force de Dieu, l’attelage de l’Alliance, en effet, est perpétuellement freiné par les réticences de ce peuple à la nuque raide.
Dernière remarque : cette phrase « Le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » est encore valable, évidemment. Et le mot « vérité » résonne dans toute l’histoire d’Israël comme le pilier le plus sûr de son espérance. C’est l’un des grands thèmes du Deutéronome, par exemple : « Le SEIGNEUR ton Dieu est un Dieu miséricordieux : il ne t’abandonnera pas, il ne te détruira pas, il n’oubliera pas l’Alliance jurée à tes pères. » (Dt 4,31).
J’en déduis une chose que, nous Chrétiens, ne devons jamais oublier : Israël est encore et toujours le peuple élu ; comme dit Saint Paul : « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance. » (Ro 11,29)… « Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même. » (2 Tim 2,13).

Cantique de Daniel 3,52-56

52 Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères :
A toi, louange et gloire éternellement !
Béni soit le Nom très saint de ta gloire :
A toi, louange et gloire éternellement !
53 Béni sois-tu dans ton saint temple de gloire :
A toi, louange et gloire éternellement !
54 Béni sois-tu sur le trône de ton règne :
A toi, louange et gloire éternellement !
55 Béni sois-tu, toi qui sondes les abîmes :
A toi, louange et gloire éternellement !
Toi qui sièges au-dessus des Keroubim :
A toi, louange et gloire éternellement !
56 Béni sois-tu au firmament, dans le ciel :
A toi, louange et gloire éternellement !

LE LIVRE DE DANIEL, UN ECRIT DE RESISTANCE
Pour présenter le livre de Daniel auquel a été emprunté ce cantique, je commence par prendre une comparaison :
Dans les années 1980, au temps de la domination soviétique sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans son pays une pièce sur Jeanne d’Arc qu’elle avait intitulée « La nuit de Jeanne ». A vrai dire, l’histoire de Jeanne d’Arc chassant les Anglais hors de France cinq siècles plus tôt (au quinzième siècle) n’était pas le premier souci des Tchèques. Si donc le scénario tombait entre les mains de la police, ce n’était pas trop compromettant. Mais pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair : ce que la jeune fille de dix-neuf ans a su faire en France avec l’aide de Dieu, nous le pouvons aussi. La surface du texte parlait des Français, des Anglais et de Jeanne au quinzième siècle, mais entre les lignes on savait fort bien qu’il s’agissait des Tchèques et des armées soviétiques au vingtième.
Le livre de Daniel (écrit sous la domination grecque au deuxième siècle) est de cet ordre-là, un écrit de résistance composé pendant la terrible persécution du tyran grec Antiochus Epiphane, pour encourager ses contemporains à tenir bon jusqu’au martyre. Son auteur est comme notre jeune actrice ; il raconte l’histoire d’un certain Daniel qui aurait vécu, lui aussi, plusieurs siècles plus tôt et dont la foi indomptable avait surmonté toutes les épreuves et les persécutions. La surface du livre parle de Babylone et du roi persécuteur Nabuchodonosor au sixième siècle, mais entre les lignes, tout le monde comprend qu’il s’agit du tyran grec Antiochus Epiphane au deuxième.
L’un des épisodes rapportés par le livre de Daniel, donc, est le supplice infligé à trois jeunes gens qui ont refusé d’adorer une statue en or érigée par Nabuchodonosor : ils sont précipités dans une fournaise (pour être brûlés vifs). L’auteur force volontairement le trait, évidemment, et le supplice est ce qu’on fait de plus épouvantable ; la foi des trois jeunes gens et le miracle de leur survie n’en ressortent que mieux. « Nabucodonosor ordonna de chauffer la fournaise sept fois plus qu’à l’ordinaire. Puis il ordonna aux plus vigoureux de ses soldats de ligoter Sidrac, Misac et Abdénago et de les jeter dans la fournaise de feu ardent. Alors, on ligota ces hommes, vêtus de leurs manteaux, de leurs tuniques, de leurs bonnets et de leurs autres vêtements, et on les jeta dans la fournaise de feu ardent. » (Dn 3,19-21).
Premier miracle, les voilà donc dans la fournaise surchauffée et ce n’est pas eux qu’elle brûle, mais leurs bourreaux : « Comme l’ordre du roi était strict et la fournaise extrèmement chauffée, la flamme brûla à mort les hommes qui y portaient Sidrac, Misac et Abdénago. » (Dn 3,22).
Deuxième miracle, tout ligotés qu’ils étaient, ils marchent au milieu des flammes en chantant la gloire de Dieu. Mais surtout, le grand miracle, c’est qu’ils font un véritable examen de conscience au nom de tout leur peuple et donnent un bel exemple d’humilité ; notre auteur suggère évidemment à ses lecteurs de s’y associer.
LE CANTIQUE DES TROIS ENFANTS
« Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères, loué sois-tu, glorifié soit ton nom pour les siècles ! Oui, tu es juste en tout ce que tu as fait ! Tes sentences de vérité, tu les as exécutées par tout ce que tu nous as infligé…Car nous avons péché ; quand nous t’avons quitté, nous avons fait le mal : en tout, nous avons failli. Nous n’avons pas écouté tes commandements, nous n’avons pas observé ni accompli ce qui nous était commandé pour notre bien… À cause de ton nom, ne nous livre pas pour toujours et ne romps pas ton alliance. Ne nous retire pas ta miséricorde, à cause d’Abraham, ton ami, d’Isaac, ton serviteur,
et d’Israël que tu as consacré. Tu as dit que tu rendrais leur descendance aussi nombreuse que les astres du ciel, que le sable au rivage des mers… Agis envers nous selon ton indulgence et selon l’abondance de ta miséricorde ! Qu’ils soient confondus, ceux qui causent du tort à tes serviteurs !… Qu’ils sachent que toi, tu es le Seigneur, le seul Dieu, glorieux sur toute la terre ! » (Dn 3, 26… 45).
Vous connaissez la suite : plus on attise le feu, plus il y a de victimes parmi les bourreaux pendant que les trois martyrs se promènent au milieu d’une rosée rafraîchissante : alors, du milieu des flammes, s’élève le plus beau chant que l’humanité ait inventé et ce sont ses premiers versets que nous chantons pour la fête de la Trinité.
« Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères » : c’est le rappel de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob (surnommé Israël) : le rappel des promesses de Dieu, mais aussi le rappel de l’Alliance vécue au quotidien pendant des siècles : la longue quête d’Abraham, Isaac et Jacob vers le pays et la descendance promise… la longue marche de l’Exode avec Moïse, le long apprentissage de ce peuple choisi pour témoigner au milieu du monde… Malheureusement, au long de cette marche, on a souvent trébuché et l’expression « Dieu de nos pères » est plus encore le rappel des multiples pardons de Dieu, surmontant inlassablement les infidélités de son peuple.
« Béni soit le Nom très saint de ta gloire » : le Nom de Dieu c’est Dieu lui-même, mais on a tellement de respect qu’on dit « le Nom » pour ne pas dire « Dieu » ; « Béni sois-tu dans ton saint temple de gloire » : ce verset est historiquement situé ! Il ne correspond pas au contexte supposé de l’Exil à Babylone : le temple avait alors été dévasté par les troupes de Nabuchodonosor, et là-bas, on n’aurait pas pu chanter cela ! En revanche, à Jérusalem, sous le roi grec Antiochus Epiphane, qui remplace le culte du vrai Dieu par son propre culte, il est très important de continuer à proclamer, fût-ce au péril de sa vie, que Dieu seul est Dieu et que le Temple est sacré, car là réside la gloire de Dieu.
Et d’ailleurs, les expressions « Le trône de ton règne » et « Toi qui sièges au-dessus des Keroubim » sont des allusions très concrètes à l’aménagement intérieur du Temple : dans la partie la plus retirée du Temple, le « Saint des Saints », il y avait l’arche d’Alliance qui était un coffret de bois ; et sur ce coffret deux statues de chérubins (les « keroubim »). C’étaient deux animaux ailés (avec une tête d’homme et un corps et des pattes de lion) : leurs ailes déployées représentaient le trône de Dieu. Au-dessus des keroubim, invisible, mais certaine, demeurait la présence de Dieu.
Rappel des temps de certitude, où l’on savait d’évidence que Dieu était en permanence au milieu de son Temple, ce qui voulait dire au milieu de son peuple. L’auteur du livre de Daniel déploie volontairement ce chant de victoire ; en bon prophète qu’il est, il sait de toute la force de sa foi que les puissances du mal peuvent bien se déchaîner, elles ne l’emporteront pas. Dans la tourmente que traversent tant de peuples aujourd’hui, ce message nous est tout autant nécessaire.
——————–
Complément
La phrase « Que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi » nous vient du cantique des trois jeunes martyrs du livre de Daniel (Dn 3,40).

DEUXIEME LECTURE – Première lettre de Paul aux Corinthiens, 13,11-13

11 Frères, soyez dans la joie,
cherchez la perfection,
encouragez-vous,
soyez d’accord entre vous,
vivez en paix,
et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous.
12 Saluez-vous les uns les autres
par un baiser de paix.
Tous les fidèles vous saluent.
13 Que la grâce du Seigneur Jésus Christ,
l’amour de Dieu
et la communion du Saint-Esprit
soient avec vous tous.

DIEU PROPOSE À L’HUMANITÉ D’ENTRER DANS SON INTIMITÉ
Vous avez reconnu cette dernière phrase : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous ». C’est la première phrase du célébrant à la messe. Ce qui veut dire que Saint Paul termine sa deuxième lettre aux Corinthiens par là où nous commençons nos liturgies. Et ce n’est pas un hasard si c’est le président de la célébration qui la dit, et personne d’autre. Car cette phrase, à elle seule, annonce tout le projet de Dieu, et le président de la célébration, ici, parle au nom de Dieu. Ce que Dieu propose à l’humanité, en quelques mots, c’est d’entrer dans son intimité, dans le foyer d’amour de la Trinité.
La « grâce », « l’amour », la « communion », c’est la même chose ; le Père, le Fils, l’Esprit Saint, c’est la Trinité ; « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint », c’est bien le foyer d’amour que constitue la Trinité.
Je vous disais que c’est une proposition de Dieu : c’est le sens du subjonctif « soient avec vous ». La liturgie emploie souvent des subjonctifs : « Que Dieu vous pardonne », « Que Dieu vous bénisse », « Que Dieu vous protège et vous garde », « Le Seigneur soit avec vous » : on n’envisage évidemment pas une minute que Dieu pourrait ne pas nous pardonner, ne pas nous bénir, ne pas nous protéger et nous garder, ne pas être avec nous…
Le sens de ce subjonctif n’est pas « pourvu que » : « Pourvu qu’Il veuille bien vous bénir, vous pardonner… » En Dieu, le pardon, le don, la bénédiction ne sont pas des gestes ponctuels qu’il doit décider, c’est son être même.
Et pourtant un subjonctif, en français, signifie toujours un souhait. Seulement, ce souhait, c’est nous qu’il concerne. Ce subjonctif dit notre liberté : nous sommes toujours libres de ne pas entrer dans la bénédiction et le pardon de Dieu. On dit souvent « l’homme propose, Dieu dispose »… En réalité, c’est tout le contraire. Dieu nous propose en permanence son dessein bienveillant, son Alliance, mais nous, nous restons libres de ne pas entrer dans ce projet.
Encore un mot sur cette expression trinitaire de Paul : les expressions qui parlent aussi clairement des trois personnes divines sont complètement absentes dans l’Ancien Testament et très rares dans le Nouveau. Une fois de plus on voit les progrès de la Révélation qui atteint son sommet avec Jésus-Christ.
C’est cette révélation du mystère d’amour qui est en Dieu qui inspire les recommandations de Paul. Frères, soyez dans la joie… » : quand l’Ancien Testament parle de joie, il s’agit toujours du sentiment très fort que suscite toute expérience de libération ; on pourrait presque remplacer le mot « joie » par « exultation de la libération » ; Isaïe, par exemple, annonçant la fin d’une guerre, proclame « Ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson… car le joug qui pesait sur lui (le peuple), la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés … » (Is 9,2).
Plus tard, c’est le retour d’exil que le prophète annonce comme une grande joie : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient. » (Is 35,10).
FRÈRES, SOYEZ DANS LA JOIE QUE NUL NE VOUS RAVIRA
Et ces expériences de libération ne sont qu’une pâle image de la libération définitive promise à l’humanité : « Oui, voici : je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit. Soyez plutôt dans la joie, exultez sans fin pour ce que je crée. Car je vais recréer Jérusalem, pour qu’elle soit exultation, et que son peuple devienne joie. » (Is 65,17-18).
La joie était considérée dans l’Ancien Testament comme la caractéristique du temps du salut et de la paix qui s’instaurera à la fin des temps. Quand Jésus parle de joie à ses apôtres, c’est à ce niveau-là qu’il se place et il en donne la raison : « Prenez courage, j’ai vaincu le monde. » (Jn 16,33). C’est ce qui lui permet de dire : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15,11) et encore : « Vous êtes maintenant dans l’affliction, mais je vous verrai à nouveau, votre cœur  alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira. » (Jn 16,22).
La deuxième recommandation de Paul, c’est : « Soyez d’accord entre vous » ; et on est frappés de son insistance sur la paix : « Vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix. » On a là un écho de la prière de Jésus pour ses apôtres dans l’évangile de Jean : « Qu’ils soient UN pour que le monde croie » ; Paul le dit à sa manière dans la lettre aux Romains : « Que le Dieu de la persévérance et du réconfort vous donne d’être d’accord les uns avec les autres selon le Christ Jésus. Ainsi, d’un même cœur, d’une seule voix, vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ. » (Rm 15,5-6).
Ailleurs, dans la lettre aux Ephésiens, il dit : « Je vous exhorte à vous conduire d’une manière digne de votre vocation…Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » (Eph 4,1… 6).
Cet accord se manifeste liturgiquement dans le baiser de paix ; car la formule « Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix » que l’on retrouve plusieurs fois dans des lettres de Paul vise ce geste liturgique qui existait déjà de son temps ; vers 150, Saint Justin racontait : « Quand les prières sont terminées, nous nous donnons un baiser les uns aux autres. » Nous avons heureusement retrouvé ce geste très symbolique depuis le concile Vatican II.
Et voilà ce que disait un Evêque de Rome, Saint Hippolyte, vers 215 : « Que l’évêque salue l’assemblée en disant : Que la paix du Christ soit avec vous tous. Et que tout le peuple réponde : Et avec ton esprit. Que le diacre dise à tous : Saluez-vous dans un saint baiser et que les clercs embrassent l’évêque, les laïcs hommes (embrassent) les laïcs hommes et les femmes (embrassent) les femmes ».

EVANGILE – selon Saint Jean 3,16-18

16 Dieu a tellement aimé le monde
qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,
mais obtienne la vie éternelle.
17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
18 Celui qui croit en lui échappe au Jugement ;
celui qui ne croit pas est déjà jugé,
du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

DIEU A TELLEMENT AIMÉ LE MONDE QU’IL A DONNÉ SON FILS UNIQUE
« Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique » ; c’est le grand passage de l’Ancien Testament au Nouveau Testament qui est dit là. Dieu aime le monde, c’est-à-dire l’humanité : on le savait déjà dans l’Ancien Testament ; c’était même la grande découverte du peuple d’Israël. La grande nouveauté du Nouveau Testament, c’est le don du Fils pour le salut de tous les hommes.
« Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » Si je comprends bien, il suffit de croire en lui pour être sauvé. Voilà la grande nouvelle de l’évangile, et de celui de Jean en particulier ; voici ce qu’il dit dans le Prologue : « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » (Jn 1,12). Et encore un peu plus loin au chapitre 3, Jean rapporte cette parole de Jésus : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jn 3,36 // 6,47).
Et quand il dit « vie éternelle », Jésus évoque autre chose que la vie biologique, bien sûr, il parle de cette autre dimension de la vie qu’est la vie de l’Esprit en nous, celle qui nous a été insufflée au jour de notre Baptême. (Jn 5,24 ; 11,26) ; pour lui, c’est cela le salut. Etre sauvé, au sens biblique, c’est vivre en paix avec soi et avec les autres, c’est vivre en frères des hommes et en fils de Dieu. Pour cela, il suffit, nous dit Jésus, de nous tourner vers lui. Pour pouvoir être en permanence inspiré par son Esprit qui nous souffle des comportements de frères et de fils.
Pour parler à la manière de la Bible, on dira : « Il suffit de lever les yeux vers Jésus pour être sauvé. » C’est une nouvelle extraordinaire, si on veut bien la prendre au sérieux ! Il nous suffit de nous tourner vers lui, et d’accepter de le laisser transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair.
SUR LE VISAGE DU CRUCIFIÉ, L’HUMANITÉ DÉCOUVRE ENFIN LE VRAI VISAGE DU DIEU
Pourquoi ? Parce que sur le visage du crucifié, qui donne sa vie librement, l’humanité découvre enfin le vrai visage du Dieu de tendresse et de pardon, à l’opposé du Dieu dominateur et vengeur que nous imaginons parfois malgré nous. « Celui qui m’a vu a vu le Père » dit Jésus à ses disciples dans le même évangile de Jean (Jn 14,9).
La seule chose qui nous est demandée, c’est de croire en Dieu qui sauve pour être sauvés, de croire en Dieu qui libère pour être libérés. Il nous suffit de lever vers Jésus un regard de foi pour être sauvés. C’est ce regard de foi, et lui seul, qui permet à Jésus de nous sauver. Et là, on ne peut pas ne pas penser à toutes les fois dans les évangiles où Jésus relève quelqu’un en lui disant « Ta foi t’a sauvé ».1
Cette annonce de Jésus, dans son entretien avec Nicodème, Jean la médite au pied de la Croix. C’est là que lui revient en mémoire une prophétie de Zacharie qui annonçait le salut et la conversion de Jérusalem à la suite de la mort d’un homme aimé comme un « fils unique » : « Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication. Ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils feront une lamentation sur lui, comme on se lamente sur un fils unique ; ils pleureront sur lui amèrement, comme on pleure sur un premier-né…Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure. » (Za 12,10…13,1).
Je pense que, pour Saint Jean, cette prophétie de Zacharie est une lumière très importante ; quand il médite sur le mystère du salut accompli par Jésus-Christ, c’est à elle qu’il se réfère. On la retrouve dans l’Apocalypse : « Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil  le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. » (Ap 1,7).
LA VIE ÉTERNELLE, C’EST CONNAÎTRE DIEU ET SON ENVOYÉ, JÉSUS-CHRIST
Et, du coup, nous comprenons mieux l’expression « fils unique » : « Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique ». Déjà, au tout début de l’évangile, Jean en avait parlé : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il il tient de son Père, comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » (Jn 1,14). Il est l’unique parce qu’il est la plénitude de la grâce et de la vérité ; il est l’unique, aussi, au sens de Zacharie, parce qu’il est l’unique source de vie éternelle ; il suffit de lever les yeux vers lui pour être sauvé ; il est l’unique, enfin, parce que c’est lui qui prend la tête de l’humanité nouvelle. Là encore je retrouve Paul : le projet de Dieu c’est que l’humanité tout entière soit réunie en Jésus et vive de sa vie qui Trinité. C’est cela qu’il appelle le salut, ou la vie éternelle ; c’est-à-dire la vraie vie ; non pas une vie après la vie, mais une autre dimension de la vie, dès ici-bas. Ailleurs Saint Jean le dit bien : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » (Jn 17,3) ; et connaître Dieu, c’est savoir qu’Il est miséricorde.
Et c’est cela le sens de l’expression « est l’entrée dans la communion d’amour de la  échapper au jugement », c’est-à-dire à la séparation : il nous suffit de croire à la miséricorde de Dieu pour y entrer. Je prends un exemple : si j’ai blessé quelqu’un, et que je crois qu’il peut me pardonner, je vais me précipiter dans ses bras et nous pourrons nous réconcilier ; mais si je ne crois pas qu’il puisse me pardonner, je vais rester avec le poids de mon remords ; comme dit le psaume 51/50 : « ma faute est devant moi sans relâche » ; c’est devant moi qu’elle est sans relâche ; mais il nous suffit de sortir de nous-mêmes et de croire au pardon de Dieu pour être pardonnés.
Il nous suffit donc de croire pour être sauvés mais nous ne serons pas sauvés malgré nous ; nous restons libres de ne pas croire, mais alors nous nous condamnons nous-mêmes : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Mais « Celui qui croit en lui échappe au jugement » ; c’est bien ce qu’a fait le bon larron : sa vie n’avait rien d’exemplaire mais il a levé les yeux sur celui que les hommes ont transpercé ; et en réponse, il a entendu la phrase que nous rêvons tous d’entendre « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».
————————
Note
1 – Le mot « croire », Chouraqui le traduit par « adhérer » : il ne s’agit donc pas d’une opinion ; croire, chez Jean, a un sens très fort ; adhérer à Jésus, c’est être greffé sur lui, inséparable de lui. Ce n’est pas un hasard si c’est le même Jean qui évoque l’image de la vigne et des sarments. Saint Paul, lui, emploie l’image de la tête et des membres.
Complément
– Une fois de plus, Paul est très proche de Jean : « Si, de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur , tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. » (Romains 10,9).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PENTECÔTE, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PENTECÔTE, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 103

Dimanche 28 mai 2023 : Solennité de la Pentecôte : lectures et commentaires

Dimanche 28 mai 2023 : Solennité de la Pentecôte

ec003a0869e0a50f299b4f9ad6462acc

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2, 1-11

1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

DU DON DE LA LOI AU SINAI AU DON DE L’ESPRIT A JERUSALEM
Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
A l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage… Crétois et Arabes ».
La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
L’ESPRIT SAINT VIENT COURONNER LE PLAN DE DIEU
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « comme un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puissante. Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait. » (Ex 19,16-19).2
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur  de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.3
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair », dit Dieu (Jl 3,1 ; « tout être de chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre  qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
———————
Notes
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – Le targum (traduction en araméen) de ce passage du livre de l’Exode racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, des lampes de feu traversaient l’espace. Les langues de feu de la Pentecôte les rappellent irrésistiblement.
3 – « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles…vous, vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

TU ENVOIES TON SOUFFLE, ILS SONT CREES
Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres  de Dieu. J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire  trente-six  « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « (Toi, Dieu,) tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher » (verset 19). Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »… Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… » (verset 33).
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre  de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
TU RENOUVELLES SANS CESSE LA FACE DE LA TERRE
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous, ils comptent sur toi… Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ». (versets 27.29).
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être  le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu  se réjouisse en ses œuvres  ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre  de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! »  L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à tout être de chair », comme dit le prophète Joël (3,1) qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.
——————-
Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

DEUXIEME LECTURE – Première lettre de Paul aux Corinthiens 12, 3b-7. 12-13

Frères,
3 personne n’est capable de dire :
« Jésus est Seigneur »
sinon dans l’Esprit Saint.
4 Les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit.
5 Les services sont variés,
mais c’est le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c’est le même Dieu
qui agit en tout et en tous.
7 À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
en vue du bien.

12 Prenons une comparaison :
le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 C’est dans un unique Esprit, en effet,
que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

L’EGLISE EST UN CORPS DONT LE CHRIST EST LA TETE
Paul nous donne ici une définition de l’Eglise : c’est le lieu où « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien. » Voilà pourquoi nous sommes faits : manifester l’Esprit Saint, et non pas pour notre propre fierté, mais en vue du bien de tous. Et c’est un don gratuit qui est fait à chacun d’entre nous.
Comme tous les membres d’un même corps sont au service de ce corps, sans que personne ne se demande lequel est le plus utile, de la main ou du pied, de l’oreille ou de l’œil , de même nous sommes tous indispensables à ce grand corps du Christ qui est en train de se former. Pour l’instant, l’œuvre  définitive ressemble plutôt à une immense mosaïque dont les pièces sont encore éparpillées, mais c’est justement l’Esprit qui fait l’unité et la cohésion de l’ensemble, et qui relie entre elles les multiples pièces répandues à la surface du globe.
Si, partout dans le monde, des communautés vivent à la manière dont parle Saint Paul, alors cela fera tache d’huile et la mosaïque s’assemblera peu à peu. Car la vie des communautés chrétiennes à la manière de Saint Paul est pour le moins révolutionnaire : d’un trait de plume, il barre toute considération de hiérarchie ou de supériorité !!! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte : notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité… Tout racisme est désormais impossible.
Paul avait certainement de bonnes raisons de le rappeler à ses Chrétiens d’origines si diverses : « Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres »… dit-il. Juifs ou païens, ce sont tous les problèmes de diversités de sensibilités religieuses, sans parler de la difficulté des croyants de longue date à accepter les nouveaux venus. Mettre Juifs et païens sur le même plan au niveau religieux, quand on sait le poids que pouvait revêtir l’élection d’Israël aux yeux de Paul, c’était quand même bien audacieux ! Esclaves ou hommes libres, ce sont les diversités sociales, peut-être même raciales, certainement des clivages politiques et inévitablement pour certains des sentiments de supériorité.
Bien sûr, les problèmes de la communauté de Corinthe n’étaient pas tout à fait les nôtres… Mais sommes-nous tellement loin de cela ? Si elles ne portent plus les mêmes noms, nos diversités de toute sorte sont bien à l’origine de nombreuses difficultés dans nos communautés. Pour certains d’entre nous, s’ajoute peut-être la difficulté de vivre sereinement et de trouver chacun notre juste place dans la structure qui s’est instaurée en vingt siècles de vie d’Eglise.
Et le premier message de Paul, aujourd’hui, c’est que l’Eglise du Christ a précisément pour vocation d’être ce lieu où l’on apprend à ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur… Le lieu où une nomination n’est pas un avancement ou une rétrogradation… Le lieu où une ordination ne confère pas une supériorité… Car les vues de Dieu sont tout autres : « Vous le savez, disait Jésus à ses apôtres, les chefs des nations les commandent en maîtres et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi. » (Mt 20,25-26).
L’ART DE LA MOSAIQUE
Si on devait dessiner l’Eglise, ce ne serait pas une pyramide, mais une foule serrée autour de Quelqu’un. (Et au mot « Quelqu’un », j’ai mis une majuscule bien sûr). Saint Paul aussi dessine, mais lui il dessine tout simplement un corps humain : tous les baptisés, petits ou grands, nous en sommes les membres. Et ceux, parmi nous, qui sont ordonnés, ont justement ce rôle d’être le signe visible de la présence invisible du Christ dans son corps. Cela ne leur confère pas une supériorité, mais une mission.
Nous ne sommes pas tous pareils pour autant : l’âge et le curriculum vitae ont quand même leur importance… mais pas celle qu’on croit. Et voilà le deuxième message de Paul : nos diversités sont des cadeaux ; ce n’est pas un hasard si il emploie plusieurs fois le mot « don » : « Les dons de la grâce sont variés »… « A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. » Cela aussi, c’est un peu le monde à l’envers, parce que, bien souvent, ce sont nos diversités qui nous font souffrir ; on en sait quelque chose en liturgie ; Paul, au contraire, nous invite à nous en réjouir : nos diversités sont des richesses ! Et, paradoxalement, ce sont elles qui bâtiront notre unité. C’est l’un des grands messages de la Pentecôte, nous l’avons vu, en particulier, avec le récit des Actes des Apôtres où toutes les langues diverses s’unissent pour chanter le même chant, les merveilles de Dieu. L’Eglise est aussi ce lieu où l’on peut surmonter les différences de sensibilité et apprendre à vivre la réconciliation. Car l’Esprit qui nous est donné à la Pentecôte est l’Esprit d’amour, donc de pardon et de réconciliation. C’est même justement notre capacité de réconciliation et de respect mutuel qui est la marque de l’Esprit. Voilà le témoignage que le monde attend de nous. « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » disait Jésus le dernier soir (Jn 13,35).
Décidément, si nous avions à imaginer un dessin représentant l’Eglise, on pourrait dessiner une mosaïque : chaque pièce compte et il ne faut surtout pas des pièces trop grandes ! Plus les pièces (ce qu’on appelle les tesselles) sont petites, variées, colorées, plus la mosaïque sera belle et nuancée !
L’unité dans la diversité, c’est un beau pari : mais nous ne pouvons le gagner que parce que l’Esprit nous est donné : l’Esprit d’Amour, l’Amour qui unit le Père et le Fils. C’était déjà la leçon de Babel : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité.

EVANGILE – selon Saint Jean 20,19-23

C’était après la mort de Jésus :
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

DE MEME QUE LE PERE M’A ENVOYE, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE
Pour transmettre l’Esprit Saint à ses disciples, Jésus souffle sur eux ; cela nous fait penser à la phrase célèbre du livre de la Genèse, au chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme le souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Et le psaume 103/104 (que nous entendons également pour cette fête de Pentecôte), commente le texte de la Création en chantant : « Tu envoies ton souffle : ils sont créés. » Or, nous sommes au soir de Pâques et Jésus reprend ce geste du Créateur. On comprend pourquoi Saint Jean note : « C’était le soir du premier jour de la semaine », manière de dire c’est le premier jour de la nouvelle création ; dans le Judaïsme, on évoquait souvent la première création que Dieu avait accomplie en sept jours, comme le dit le fameux poème du chapitre 1 de la Genèse et on attendait le huitième jour, celui du Messie. A sa manière, imagée, Jean nous dit : ce fameux huitième jour est arrivé, c’est à une véritable re-création de l’homme que vous assistez.
Deuxième remarque à propos du souffle, il me semble que l’ordre choisi par Jean pour nous raconter la Pentecôte est une leçon : je reprends les trois phrases dans l’ordre : 1) « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » …2) « Il souffla et il leur dit ‘Recevez l’Esprit Saint’ » … 3) « A qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ». La première et la troisième phrase disent une  mission, elles encadrent la phrase qui dit le don de l’Esprit. Ce qui veut bien dire que l’Esprit est donné POUR la mission. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que cette mission.
Et cette mission consiste à « remettre les péchés » ; c’était déjà celle de Jésus ; et il dit bien d’ailleurs : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Jésus, l’envoyé du Père, c’est un grand thème de Jean… A notre tour, Jésus nous envoie et Jean emploie bien le même mot ; Jésus est l’envoyé du Père et nous sommes les envoyés de Jésus, nous avons la même mission que Jésus, il nous la confie. C’est dire notre responsabilité, la confiance qui nous est faite ; or cela concerne tous les baptisés puisque l’Eglise a toujours jugé bon de confirmer tous les baptisés.
Et cette mission de Jésus, pour s’en tenir au seul évangile de Jean, c’était d’ôter le péché du monde, j’ai envie de dire « extirper » le péché du monde ; et cela en étant l’agneau de Dieu. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » avait dit Jean-Baptiste (Jn 1,29). L’agneau, c’est celui qui reste doux et humble de cœur  face à ses bourreaux (c’est celui dont parle Isaïe 52-53) ; c’est aussi l’agneau pascal, celui qui signe de sa vie la libération du peuple de Dieu. Et au-delà de la libération d’Egypte, la phrase de Jean-Baptiste vise la libération du péché, c’est-à-dire de la haine et de la violence.
Jésus lui-même parle souvent de sa mission : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »… « Dieu a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». (Jn 3,16-17).
DIEU SOUFFLE EN NOUS LES PAROLES ET LES GESTES DU PARDON
Il me semble que toutes ces affirmations de Jésus sur sa mission éclairent la phrase difficile du texte d’aujourd’hui : « A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus ». La première partie de cette phrase nous convient tout à fait, bien sûr, mais la deuxième nous déroute. Pour commencer, je la redis un peu différemment, sans la déformer, j’espère : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous ne remettrez pas ses péchés, ils ne lui seront pas remis ».
Impossible de penser que notre Père du ciel pourrait ne pas nous pardonner. Déjà l’Ancien Testament avait parfaitement mis en lumière que le pardon de Dieu précède même notre repentir ; car en Dieu le pardon n’est pas un acte ponctuel, c’est son être même. Dieu n’est que don et pardon. La caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes.
Le pouvoir donné aux disciples du Christ, et plus que le pouvoir, la mission, confiée aux disciples du Christ, c’est donc de dire cette parole du pardon de Dieu ; c’est aussi, du coup, la terrible responsabilité que nous donne la deuxième partie de la phrase : ne pas dire la parole du pardon de Dieu, laisser le monde ignorer ce pardon, c’est laisser le monde à son désespoir. Nous détenons le pouvoir de ne pas dire le pardon de Dieu et de laisser le monde l’ignorer.
A entendre cela, on a envie de se mettre au travail tout de suite !
Et le pardon de Dieu peut être annoncé de deux manières : par nos paroles et par nos gestes ; ce qui nous est demandé, c’est d’être nous-mêmes pardon. Nous sommes désormais pour le monde les témoins du pardon de Dieu.
Et c’est cela la nouvelle Création : l’Esprit de don et de pardon nous est donné. A la Pentecôte, le pouvoir de pardonner nous est insufflé ; Dieu souffle en nous les paroles du pardon. Au théâtre, il y a un souffleur pour les trous de mémoire de l’acteur… Désormais il y a en nous quelqu’un qui souffle les paroles et les gestes du pardon. L’Esprit fait de nous des agneaux de Dieu à notre tour, il nous donne ainsi le pouvoir de vaincre la spirale de la haine et de la violence. Jésus l’avait déjà dit à ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Comme son Père l’a envoyé pour être l’agneau de Dieu, Jésus nous envoie à notre tour pour être des agneaux dans le monde. Pour répondre à la violence et à la haine par la non-violence et le pardon.
Jusqu’au jour où se lèvera enfin ce fameux « huitième jour » que l’Ancien Testament déjà annonçait, celui où l’humanité tout entière vivra enfin l’amour et le pardon…

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 26

Dimanche 23 mai 2023 : 7ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 23 mai 2023 : 7ème dimanche de Pâques

3BD3B5STDZJ5pMWKdLJFwdZDWhA@712x310

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1, 12 – 14

Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel,
12 retournèrent à Jérusalem
depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche,
– la distance de marche ne dépasse pas
ce qui est permis le jour du sabbat.
13 À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute
où ils se tenaient habituellement ;
c’était Pierre, Jean, Jacques et André,
Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu,
Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
14 Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière,
avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus,
et avec ses frères.

Jésus vient tout juste de quitter ses disciples : la première phrase de notre texte d’aujourd’hui résume en quelques mots ce qui fut certainement une étape cruciale de la vie des premiers Chrétiens. Nous l’appelons l’Ascension et nous en avons fait une fête ; mais, à l’origine, n’est-ce pas plutôt un jour de deuil, un jour de grand départ ?
Après l’horreur de la Passion et de la mort de Jésus, après l’éblouissement de la Résurrection, les voilà orphelins, cette fois, et pour toujours. Mais, du coup, les voici plus proches de nous et leur attitude pourrait guider la nôtre. Nous allons donc nous intéresser de très près à leurs faits et gestes.
Jésus leur avait laissé des consignes : ne pas quitter Jérusalem, et attendre là le don de l’Esprit-Saint. Voici le récit qu’en donne le livre des actes des Apôtres : « Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche : Jean (Baptiste) a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. » (Ac 1, 4-5).
Et, le jour même de son départ, sur le Mont des Oliviers, il a répété : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Je retiens, au passage, cette expression « la puissance de l’Esprit », elle devrait nous rassurer en toutes circonstances. Et Luc raconte ce qui s’est passé ensuite : « A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards. »
Evidemment, ils ont respecté la consigne de leur Maître. Nous ne nous étonnons donc pas de les retrouver aussitôt après à Jérusalem ; Luc note que le mont des Oliviers est tout proche de Jérusalem : la distance n’excède pas ce qu’on appelle un « chemin de shabbat », c’est-à-dire la distance maximum que l’on peut parcourir sans violer la prescription de repos du shabbat ; c’était un peu moins d’un kilomètre ; pour être plus précis, le « chemin de shabbat » était de deux mille coudées ; et une coudée, comme son nom l’indique, c’est la longueur de l’avant-bras, soit à peu près cinquante centimètres.
Mais pourquoi Luc donne-t-il cette précision ? Faut-il en déduire que c’était un jour de sabbat ? Ou bien, en insistant sur la proximité du Mont des Oliviers, Luc veut-il suggérer que tout se passe à Jérusalem ? C’est là que s’accomplit le dessein de Dieu : là le Fils a été glorifié, là a été renouée l’Alliance entre Dieu et l’humanité, là sera donné l’Esprit.
C’est dans la ville sainte, donc, que commence la vie de l’Eglise naissante ; et Luc énumère ceux qui composent le groupe : les Onze, quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et quelques frères, c’est-à-dire des disciples probablement. Là encore, les précisions ne sont certainement pas là pour l’anecdote ; nous connaissions déjà les noms des apôtres par l’évangile de Luc ; s’il nous en redonne la liste, ce n’est donc pas pour nous instruire ! Luc veut marquer la continuité dans la communauté des apôtres : ce sont les mêmes qui ont accompagné Jésus tout au long de sa vie terrestre, qui maintenant s’engagent dans la mission. Et ils ne pourront être les témoins de la Résurrection que parce qu’ils ont été témoins de la vie, de la Passion et de la mort de Jésus.
Nous retrouvons donc là le groupe que Jésus avait choisi avec ses diversités étonnantes : Pierre, Jacques, Jean et André étaient pêcheurs au bord du lac de Tibériade ; Simon était zélote : à l’époque de la vie terrestre de Jésus, cela ne représentait pas encore un engagement politique, mais c’était quand même déjà un signe de fanatisme religieux ; on se demande comment il pouvait voisiner avec Matthieu le publicain : c’est-à-dire percepteur à la solde de l’occupant, et, pour cette raison interdit de culte ! Non seulement, Jésus a réussi à les faire cohabiter autour de lui, mais, désormais, ils vont porter ensemble la responsabilité de continuer la mission de leur Maître.1
C’est sur cette communauté d’hommes tels qu’ils sont que repose désormais l’annonce de la Bonne Nouvelle. Je note deux choses :
Premièrement, leur groupe n’est pas refermé sur lui-même, il est déjà ouvert à d’autres, hommes et femmes. Deuxièmement, ils commencent cette vie de l’Eglise dans la prière, « d’un seul coeur et fidèlement », nous dit Luc. Et voilà peut-être bien le premier miracle des apôtres ! Cette prière d’un seul cœur  au moment où leur Maître les quitte, où ils se retrouvent apparemment livrés à eux-mêmes et à leurs diversités qui auraient bien pu devenir des divergences.
Mais ils ne sont livrés à eux-mêmes qu’apparemment ! Jésus est désormais invisible, il n’est pas pour autant absent. Matthieu, dans son évangile, a retenu l’une des dernières phrases de Jésus : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
Les apôtres ne prient donc pas pour obtenir que Jésus se fasse proche : sa présence leur est acquise ; ils prient pour se replonger dans sa présence. Ce récit des Actes devient alors pour nous une formidable leçon d’espoir : Jésus est avec nous tous les jours, sa présence nous est acquise, à nous aussi, et la puissance de l’Esprit Saint nous accompagne. Voilà de quoi nous donner toutes les audaces !
————————-
Note
1 – La tradition Chrétienne a assimilé Barthélémy avec Nathanaël (cité par saint Jean) qui était un spécialiste de la Loi. Si c’était le cas, c’était encore une diversité supplémentaire à l’intérieur du groupe des Douze.

PSAUME – 26 ( 27 ), 1, 4, 7-8

1 Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

4 J’ai demandé une chose au SEIGNEUR,
la seule que je cherche :
habiter la maison du SEIGNEUR
tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.

7 Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon cœur  m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face ».

Ce psaume est fait tout particulièrement pour ceux qui traversent des temps difficiles ! On sait bien que les croyants ne sont pas plus épargnés que les autres par les épreuves de la vie : la foi n’est pas une baguette magique. Parfois même, les croyants souffrent à cause de leur foi ; c’est le cas dans toutes les guerres de religion ou les persécutions. Cela peut venir aussi de l’hostilité des athées et des difficultés à défendre les valeurs Chrétiennes dans un monde qui ne les partage pas. Nous en aurons l’exemple dans la lettre de saint Pierre qui est notre deuxième lecture de ce dimanche.
Mais, dans les épreuves, les croyants ont une attitude particulière, car ils savent qu’ils ne sont pas seuls, abandonnés à leur triste sort, comme on dit. Ils savent qu’ils ont un interlocuteur : « C’est vers Dieu que pleurent mes yeux », disait Job (Jb 16, 20). Et ils vont chercher la force là où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu. « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? »
Nous ne saurons pas à quelles épreuves précises fait allusion ce psaume ; entre parenthèses, il est beaucoup plus long que les quelques versets que nous avons lus ici, mais cela ne nous donne aucune indication historique. Nous sentons ici ou là une allusion à des attaques extérieures : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? » Depuis la grande aventure de l’Exode, le peuple d’Israël a été à plusieurs reprises menacé dans sa vie même ; le premier verset « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut » est probablement aussi une allusion à l’Exode, sous la conduite de Moïse : car, dans le désert du Sinaï, la colonne de nuée éclairait sa route et disait la présence de Dieu : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut… »
Le salut, à cette époque-là, c’était d’échapper au Pharaon ; à chaque époque de nos histoires collectives et individuelles, le salut prend des formes diverses ; et Israël en a connu de toutes sortes que l’ensemble du psaume évoque par allusions ; par exemple, dire « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie », c’est faire remonter à la mémoire la longue période de guerres ; et on sait bien que le meilleur rempart ce ne sont pas des fortifications, avec des créneaux et des mâchicoulis, c’est la force que Dieu nous donne. « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas », disait Isaïe au roi Achaz (Is 7, 9). La foi est la seule force qui nous permette de tout affronter ; « De qui aurais-je crainte ? » : cela veut bien dire que Dieu nous garde de toute peur. Et que nous n’avons pas peur de lui non plus.
Dans toutes les épreuves et les souffrances, le croyant sait qu’il peut crier vers Dieu : c’est même recommandé, si j’en crois la Bible ! Il ne faut pas écouter la phrase d’Alfred de Vigny qui a bercé l’enfance de certains d’entre nous : je vous la rappelle, mais c’est pour l’oublier aussi vite : « Gémir, pleurer, prier est également lâche ; accomplis chaque jour ta longue et lourde tâche, puis après, comme et moi, souffre et meurs sans parler. » C’est dans « La mort du loup ». La phrase est belle, mais elle n’est pas biblique ! Ce que la Bible nous apprend, et en particulier dans le livre de Job (si on lit soigneusement la partie centrale du livre), c’est que « Non, gémir, pleurer, prier, ce n’est pas lâche ! » C’est humain tout simplement. Mais c’est vers Dieu qu’il faut gémir, pleurer, prier.
« Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle », dit notre psaume : il y a une chose dont le peuple élu est sûr, c’est que Dieu entend nos cris d’appel ! Cela a été la grande révélation du Buisson ardent : « Le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi » a dit Dieu à Moïse (Exode 3) ; depuis ce jour et pour toujours, Israël sait que Dieu entend le cri des malheureux. Et même s’il est silencieux, nous savons qu’il n’est pas sourd.
En dehors des épreuves extérieures, ce psaume évoque peut-être également l’épreuve spirituelle du peuple qui peine à garder la foi : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche : c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie » : comme le lévite, admis dans l’intimité du temple de Jérusalem, Israël demande la grâce de demeurer dans l’intimité de Dieu.
« Pitié, réponds-moi », c’est un cri de mendiant ; c’est aussi, peut-être, une demande de pardon ; car l’expression qui suit, « Cherchez ma face », est un appel à la conversion ; il faut se détourner des idoles et se tourner vers Dieu. Dès son installation dans la Terre Promise, le peuple a été affronté à un nouveau danger : celui de l’infidélité, c’est-à-dire l’idolâtrie ; alors, là encore, il faut tenir ferme, se rappeler les mises en garde de Moïse. « Mon coeur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ».
Mais là, il ne faut pas se tromper, il y a un contresens à ne pas faire ; quand Dieu dit « Cherchez ma face », ce n’est pas qu’il ait soif de nos hommages. Ce conseil nous est donné pour notre bonheur : nous sommes parfois tentés de penser que Dieu pourrait nous demander quelque chose dans son intérêt à lui. Mais Dieu nous aime. Tous les commandements qu’Il nous donne sont pour notre bonheur. Saint Augustin disait : « Tout ce que l’homme fait pour Dieu profite à l’homme et non à Dieu. »
Pour Dieu, le centre du monde, c’est l’humanité ; il n’a pas d’autre but que notre bonheur ; et nous, nous ne trouvons notre bonheur que quand nous mettons Dieu au centre de notre vie. Saint Augustin disait encore « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».
————————-
Compléments

1 – Il est intéressant de faire le rapprochement entre ce psaume 26/27 et le cantique de Zacharie (le père de Jean-Baptiste ; Lc 1, 67-79) que beaucoup d’entre nous disent chaque matin dans la Liturgie des Heures :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
qui visite et rachète son peuple.
Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David,
son serviteur,
Comme il l’avait dit par la bouche des saints,
par ses prophètes,
depuis les temps anciens ;
Salut qui nous arrache à l’ennemi,
à la main de tous nos oppresseurs,
Amour qu’il montre envers nos pères,
mémoire de son alliance sainte,
Serment juré à notre père Abraham, de nous rendre sans crainte,
Afin que, délivrés de la main de nos ennemis,
nous le servions dans la justice et la sainteté,
En sa présence tout au long de nos jours ».

2 – Il suffit d’entendre la première phrase « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut », pour savoir que ce psaume est écrit dans une période difficile ; c’est la nuit qu’on a besoin de croire à la lumière.
Ce qui peut surprendre, c’est que quand le soleil disparaît, quelquefois pour des jours et des jours, derrière la pluie et les nuages, nous ne doutons jamais un seul instant qu’il continue d’exister… nous sommes absolument certains que les beaux jours reviendront, que nous sentirons de nouveau sa chaleur et son rayonnement… C’est même en plein hiver, sous la pluie, que les magasins proposent les vêtements d’été ; tout le monde sait que le soleil est toujours là, même s’il est provisoirement caché !
Mais quand la présence de Dieu est moins évidente, il nous est plus difficile de croire qu’Il ne cesse pas pour autant d’ être présent et agissant. C’est à ces moments-là que nous avons bien besoin de notre foi ; ce psaume est très certainement fait pour entretenir la foi dans un moment difficile. Affirmer « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte », c’est avouer que la crainte me guette et qu’il faut s’accrocher à la certitude.

3 – On ne s’étonne pas que ce psaume soit proposé par le Rituel des Funérailles ; et d’ailleurs, le refrain que nous chantons le plus habituellement pour ce psaume, c’est « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur, Alleluia » : c’est-à-dire le premier verset auquel on a ajouté « Alleluia » ; on ne pouvait pas mieux faire ; car le sens du mot « Alleluia », c’est justement « Le Seigneur est mon salut, il m’a relevé ». Le sens littéral, c’est « Louez Dieu », mais cela veut dire « Louez Dieu qui vous sauve. » Voici le sens de l’Alleluia dans la tradition juive : « Dieu nous a amenés de la servitude à la rédemption, de la tristesse à la joie, des ténèbres à la brillante lumière, du deuil au jour de fête, de la servitude à la liberté, c’est pourquoi chantons devant lui l’Alleluia ».

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 4, 13-16

Bien-aimés,
13 dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ,
réjouissez-vous,
afin d’être dans la joie et l’allégresse
quand sa gloire se révélera.
14 Si l’on vous insulte pour le nom du Christ,
heureux êtes-vous,
parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu,
repose sur vous.
15 Que personne d’entre vous, en effet,
n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur,
ou comme agitateur.
16 Mais si c’est comme chrétien,
qu’il n’ait pas de honte,
et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

Si Pierre emploie le mot « Chrétien », c’est parce qu’il écrit cette lettre longtemps déjà après la Résurrection du Christ.
Au tout début de l’Eglise, nous le savons par les Actes des Apôtres, les premiers disciples du Christ ne portaient pas encore ce nom ; ils étaient appelés « Nazôréens », à cause de Nazareth, bien sûr ; à vrai dire, de la part des Juifs qui refusaient de reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie attendu par Israël, ce titre de Nazôréens était plutôt péjoratif. Un peu plus tard, au moment où Barnabé et Saül de Tarse (le futur saint Paul) accomplissaient leur mission à Antioche de Syrie, ce sont probablement des païens non convertis à l’Eglise chrétienne qui donnèrent aux disciples de Jésus le nom de Chrétiens, qui veut dire « du Christ, appartenant au Christ » (Ac 11, 26).
Ce nouveau titre de Chrétien n’était pas non plus honorifique ! Les païens non convertis voyaient d’un mauvais œil  le changement de vie radical qui s’opérait dans la communauté des baptisés. Voici ce que nous pouvons lire un peu plus tôt dans la lettre de Pierre : « Les païens trouvent étrange que vous ne couriez plus avec eux vers la même débauche effrénée et ils vous outragent. » (1 P 4, 4) ; « Ils vous calomnient comme malfaiteurs. » (1 P 2, 12).
Nous comprenons mieux, du coup, de quelles souffrances Pierre parle ici : « Si l’on fait souffrir l’un de vous… si c’est comme Chrétien, qu’il n’ait pas de honte »… « vous communiez aux souffrances du Christ ». Il entend par là la souffrance de l’incompréhension, de l’isolement, de la calomnie dont Jésus a été victime parce qu’il se démarquait de la classe dominante. Parce qu’il continuait à annoncer son message sans se laisser arrêter par quiconque… C’est cette fidélité qui lui a coûté la vie… A leur tour, les premiers Chrétiens sont affrontés à la même hostilité ; alors il s’emploie à leur donner le courage de tenir bon en attendant des jours meilleurs, le jour où la gloire du Christ se révélera, comme il dit ; c’est-à-dire le jour où la vérité éclatera, le jour où Jésus viendra inaugurer son règne parmi les hommes.
Pierre va même plus loin : non seulement, il ne faut pas avoir honte, mais au contraire, le titre de Chrétiens est à ses yeux, la plus haute dignité : « Réjouissez-vous », leur dit-il et rendez gloire à Dieu, à cause de ce nom de Chrétien. Il est vrai que si le mot « Chrétien » signifie « appartenant au Christ », alors, oui, c’est bien notre plus beau titre de fierté ! Bien au-delà de la fierté que nous tirons de notre naissance, de nos titres, de notre culture, de nos diplômes, de notre palmarès sportif, de notre beauté, de notre argent, de nos décorations…
Cette formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » ressemble de très près à l’une des béatitudes annoncées par Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 11). Jésus, en disant cela, faisait son propre portrait. Désormais, Pierre applique ce portrait à ceux qui, à leur tour, portent le nom du Christ. Il emploie même le mot « communier » : « vous communiez aux souffrances du Christ » : ce qui veut dire : « réjouissez-vous, vous êtes intimement unis au Christ dans ces souffrances que vous subissez pour rester fidèles à son nom et à sa mission. Et parce que vous êtes unis à ses souffrances, vous serez également unis à sa gloire, le jour où la vérité éclatera. »
Il faut certainement rester très fermes sur un point : la souffrance n’est pas un but en soi ; le but, c’est le jour où sa gloire se révélera. Si la souffrance était un but en soi, Jésus n’aurait pas consacré sa vie publique à soulager, guérir, pardonner, relever, redonner courage, accueillir les exclus de toute sorte, et même ressusciter Lazare ou le fils d’une veuve… Si la souffrance était un but en soi, les prophètes n’auraient pas non plus annoncé maintes et maintes fois le jour de Dieu comme celui de toutes les guérisons et de toutes les libérations. Le but, ce n’est pas la souffrance, c’est d’être uni au Christ et à Dieu dans l’Esprit d’amour, quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses de notre vie.
Et Pierre indique un chemin pour aborder la circonstance très particulière qu’est la persécution pour le nom du Christ : ce chemin, c’est sa formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » qui sonne comme une Béatitude.
Une Béatitude, c’est à la fois une félicitation, une annonce et un encouragement ;
La félicitation, c’est quelque chose comme : « Bravo… si on vous traite ainsi, c’est que vous ressemblez au Christ. Et donc, que vous êtes dignes de porter le nom de Chrétiens ».
L’annonce, c’est : « Un jour viendra où le Christ sera reconnu par tous, et vous avec. Ce jour-là, on reconnaîtra que vous ne vous êtes pas trompés », et que le Christ non plus ne vous a pas trompés.
L’encouragement, c’est la suite logique de ce qui précède ; c’est : « Courage, tenez bon, vous avez choisi la bonne voie » ; et, d’ailleurs, on sait qu’André Chouraqui traduisait « Bienheureux » par « En marche ».
Pierre parle ici en connaissance de cause : s’il a commencé par renier son maître, c’est parce qu’il craignait d’être associé à ses souffrances ; mais après la Pentecôte, plus rien n’a pu l’arrêter dans sa tâche de prédicateur ; aux autorités qui lui interdisaient de parler de Jésus, il répondait simplement : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Actes 4, 20). Et quand les menaces se sont concrétisées, le livre des Actes raconte qu’après avoir été battus de verges, « les apôtres quittèrent le Sanhédrin, tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom » (Actes 5,41).
Mais cela, Pierre n’a pu le faire qu’après la Pentecôte : il faut être rempli de l’Esprit de Jésus pour avoir le courage d’affronter la persécution en son nom et pour connaître cette joie mystérieuse d’être en communion avec lui, jusque dans la souffrance, cette joie que nul ne pourra nous ravir !
Pas étonnant que l’Eglise nous fasse entendre ce texte de Pierre en ce temps de redécouverte du rôle de l’Esprit Saint dans la vie de nos communautés.

EVANGILE – selon Saint Jean 17, 1b-11a

En ce temps-là,
1 Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, l’heure est venue.
Glorifie ton Fils
afin que le Fils te glorifie.
2 Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle
à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or, la vie éternelle,
c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé,
Jésus Christ.
4 Moi, je t’ai glorifié sur la terre
en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire.
5 Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père,
de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
6 J’ai manifesté ton nom
aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés,
et ils ont gardé ta parole.
7 Maintenant, ils ont reconnu
que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues,
ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Moi, je prie pour eux ;
ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés,
car ils sont à toi.
10 Tout ce qui est à moi est à toi,
et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »

Je reprends les derniers mots de Jésus : « Je viens vers toi ». Tant que nous sommes sur cette terre, nous ne pouvons pas être témoins du grand dialogue d’amour de Jésus avec son Père. Mais avec ce récit de saint Jean, nous entrons dans la prière de Jésus au moment même où il va rejoindre son Père : « Je viens vers toi. ». Car c’est l’Heure du grand passage : « Père, l’heure est venue », dit Jésus. Cette heure dont il a parlé à plusieurs reprises, au cours de sa vie terrestre. Cette Heure qu’il semblait désirer et redouter à la fois.
C’est l’heure, décisive, centrale de toute l’histoire humaine, l’heure que toute la création attend comme celle d’une naissance : parce qu’elle est l’heure de l’accomplissement du dessein de Dieu. Désormais, à partir de cette heure, plus rien, jamais, ne sera comme avant. En cette heure décisive, le mystère du Père va enfin être révélé au monde : c’est pourquoi Jésus emploie avec insistance les mots « gloire » et « glorifier ». La gloire d’une personne, au sens biblique, ce n’est pas sa célébrité ou sa reconnaissance par les autres, c’est sa valeur réelle. La gloire de Dieu, c’est donc Dieu lui-même, qui se manifeste aux hommes dans tout l’éclat de sa sainteté. On peut remplacer le verbe « glorifier » par « manifester ».
En cette heure décisive, Dieu va être glorifié, manifesté en son Fils, et les croyants vont « connaître » enfin le Père, entrer dans son intimité. Cette intimité qui unit le Fils au Père, le Fils la communique aux hommes ; désormais ceux qui accueilleront cette révélation, ceux qui croiront en Jésus, accèderont à cette connaissance, cette intimité du Père. Alors ils entreront dans la vraie vie : « La vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Voilà, de la bouche de Jésus lui-même, une définition de la vie éternelle : Jésus parle au présent et il décrit la vie éternelle comme un état, l’état de ceux qui connaissent Dieu et le Christ. Nous vivons déjà de cette vie depuis notre Baptême.
Parlant de ses disciples, Jésus dit : « ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. » En cette heure-là, une partie (une partie seulement) de l’humanité a accueilli cette révélation et est entrée dans cette communion d’amour proposée par le Père et a accepté de prendre le chemin ouvert par le Fils. Curieusement, c’est seulement pour ces quelques-uns que Jésus prie : « Je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés… » Car Dieu attend la collaboration des hommes pour son œuvre  de salut, et c’est le mystère des choix de Dieu qui se répète : comme le Père avait choisi Abraham pour lui révéler son grand projet, il a choisi certains membres de la lignée d’Abraham pour parachever la révélation de son mystère : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi… » Pour ce petit peuple choisi, l’heure est venue de poursuivre l’oeuvre de révélation : « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. » Jésus nous passe le flambeau en quelque sorte : il nous a tout donné, à nous de donner aux autres maintenant.
Il faut laisser résonner en nous l’insistance de Jésus sur le mot « donner » : Le Père a donné autorité au Fils… le Fils donnera la vie éternelle aux hommes… le Père a donné les hommes au Fils… Le Père a donné ses paroles au Fils… et le Fils a donné ces paroles à ses frères… L’insistance de Jésus sur le mot « donner » rejoint toute la méditation biblique : notre relation avec Dieu ne se déroule pas sur le registre du calcul. Il nous suffit de nous laisser aimer et combler de sa grâce en permanence. Le mot « grâce » signifie un don gratuit. Cette logique du don, de la gratuité, c’est celle du Fils, celui qui vit éternellement dans un dialogue d’amour sans ombre avec son Père ; dans le prologue de son évangile, Jean dit que le Fils est éternellement « tourné vers le Père ». Et parce qu’il n’y a pas d’ombre entre eux, il reflète la gloire du Père « Qui l’a vu a vu le Père ». Entre eux tout est amour, dialogue, partage : « Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi ».
Le fameux texte du Prologue de l’évangile de Jean s’éclaire très nettement à la lecture de la prière de Jésus, il en est comme la transposition : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise… A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu… Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père… De sa plénitude, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce. » (Jn 1, 1.. 16).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 65

Dimanche 14 mai 2023 : 6ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 14 mai 2023 : 6ème dimanche de Pâques

Jean-14-16-300x194

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 8, 5-8.14-17

En ces jours-là,
5 Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie,
et là il proclamait le Christ.
6 Les foules, d’un même cœur,
s’attachaient à ce que disait Philippe,
car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait,
ou même les voyaient.
7 Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs,
qui sortaient en poussant de grands cris.
Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris.
8 Et il y eut dans cette ville une grande joie.

14 Les Apôtres, restés à Jérusalem,
apprirent que la Samarie
avait accueilli la parole de Dieu.
Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean.
15 À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains
afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ;
16 en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux :
ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.
17 Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains,
et ils reçurent l’Esprit Saint.

APRES LA PENTECOTE, PREMIERS AFFRONTEMENTS ENTRE JUIFS A PROPOS DE JESUS-CHRIST
Je reprends la première phrase : « Philippe, l’un des Sept » ; il s’agit de ces Sept hommes qui ont été désignés pour organiser ce qu’on appelait le service des tables à Jérusalem. Concrètement, il s’agissait du problème d’assurer un partage équitable dans la distribution de ce qui ressemblait à une banque alimentaire en faveur des veuves.
Dimanche dernier, nous avons vu qu’un problème était né parmi les tout premiers chrétiens : je m’en explique. Dans un premier temps, après la Résurrection de Jésus, tous ceux qui ont suivi les apôtres et ont demandé le baptême étaient des Juifs, soit de naissance, soit convertis au judaïsme (ceux qu’on appelait les prosélytes). Mais il y avait entre eux déjà de grandes diversités.
Parmi ces Juifs, certains étaient originaires du pays même d’Israël et en particulier de Jérusalem et ils parlaient hébreu à la synagogue et araméen dans la rue. On les appelait « Hébreux ». Les autres étaient originaires de ce qu’on appelle la Diaspora, c’est-à-dire tout le reste de l’empire romain ; ils parlaient grec et on les appelait « Hellénistes ».
Pour la célébration du shabbat, le samedi matin, tous les Juifs, qu’ils soient devenus chrétiens ou non, se rendaient dans des synagogues où l’on parlait leur langue : les Hébreux d’un côté, les Hellénistes de l’autre. Mais pour la célébration chrétienne, ceux des Juifs qui étaient devenus chrétiens se regroupaient dans des maisons particulières, Hellénistes et Hébreux confondus.
C’est dans le cadre de ces célébrations chrétiennes qu’une première querelle a éclaté entre ces deux groupes de chrétiens, à propos des secours apportés aux veuves. Et, pour le résoudre, on a nommé sept hommes chargés du service des tables (on dirait peut-être aujourd’hui les questions matérielles). C’était notre texte de dimanche dernier.
Parmi ces sept hommes, Etienne et Philippe. Tous les deux sont donc des Juifs, devenus chrétiens depuis peu, Hellénistes, ardents, fervents et probablement reconnus comme des meneurs. Ils essaient de convertir à Jésus-Christ les Juifs qui fréquentent les synagogues où on parle grec ; c’est là que naît une deuxième querelle ; mais ce n’est plus une dispute entre chrétiens d’origines différentes ; c’est une querelle beaucoup plus grave, entre Juifs hellénistes (c’est-à-dire des Juifs de la Diaspora) : querelle qui oppose ceux qui croient en Jésus de Nazareth, Messie méconnu, crucifié, ressuscité… et ceux qui continuent à penser que Jésus n’était qu’un imposteur.
Et c’est là que commence la première persécution : les Juifs qui refusent de croire en Jésus-Christ attaquent leurs frères juifs devenus chrétiens. Etienne le paiera de sa vie. Il est dénoncé par des Juifs hellénistes aux autorités de Jérusalem. Il est arrêté, exécuté.
LES FRUITS INATTENDUS DE LA PREMIERE PERSECUTION
Ce martyre d’Etienne n’apaise pas la fureur de ses opposants ; au contraire, ils vont s’en prendre aux autres chrétiens du groupe d’Etienne ; cette toute première persécution ne vise pas les apôtres directs de Jésus, Pierre, Jean, Jacques et les autres qui font partie du groupe des Hébreux ; elle vise seulement les Hellénistes. Si bien que les apôtres de Jésus ne sont pas inquiétés et restent à Jérusalem, continuant à pratiquer leur religion juive tout en prêchant au nom de Jésus. En revanche, par prudence, le groupe des Hellénistes se disperse : ceux qui sont le plus en danger s’éloignent ; bien sûr, partout où ils iront, ils parleront du Messie, Jésus de Nazareth.
Et donc, grâce à la persécution, en quelque sorte, la Bonne Nouvelle déborde Jérusalem et atteint les autres villes de Judée et la Samarie. Plus tard, on se rappellera la dernière phrase de Jésus, le jour de l’Ascension : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). C’est exactement ce qui est en train de se passer : c’est paradoxalement cette épreuve, la persécution et la dispersion de la communauté qui permet à l’évangélisation de gagner du terrain.
C’est donc ainsi que Philippe est descendu en Samarie, mais au lieu de s’y cacher, il se met à prêcher ; où l’on voit d’ailleurs qu’il déborde très rapidement la mission qui lui avait été confiée : primitivement, Philippe a été choisi pour être l’un des Sept chargés du service des tables des veuves à Jérusalem ; pour que les apôtres, eux, les douze, puissent continuer d’assurer la prière et le service de la Parole. Et nous le retrouvons prédicateur en Samarie ; comme quoi, il faut savoir s’adapter : une mission peut prendre des visages très différents : ce sont les besoins de la communauté qui commandent.
En même temps, il reste en lien, visiblement, avec ceux qui lui ont confié sa mission puisque la communauté de Jérusalem lui envoie Pierre et Jean qui viendront en quelque sorte authentifier le travail accompli par Philippe ; il me semble qu’on a là un bon exemple d’un équilibre à maintenir : se sentir libres d’innover dans nos missions respectives et, en même temps, garder le lien avec l’institution… ne pas devenir des sortes d’électrons libres…
Ceci se passe en Samarie ; or, on sait à quel point les gens de Jérusalem méprisaient les Samaritains : ils les considéraient comme des hérétiques ; parce que, depuis des siècles, entre Judéens et Samaritains on entretenait soigneusement la brouille et le mépris de l’autre. Philippe, lui, ne s’embarrasse pas des vieilles querelles : lui, l’homme de la Diaspora, il est sans doute plus loin de ces disputes théologiques ; en tout cas, grâce à lui, l’évangile vient de déborder les frontières de la synagogue ; en retour, Luc insiste sur la joie des Samaritains d’accueillir la Bonne Nouvelle ; cela évidemment fait penser à nombre de passages d’évangile où ce sont les plus humbles, les exclus, qui ont le plus facilement accueilli le message de Jésus.
———————-
Complément
Donc Philippe se met à prêcher à son tour : Luc dit « il proclamait le Christ » ; formule ramassée qui signifie : il annonçait que Jésus de Nazareth est ressuscité, il est bien le Messie qu’on attendait. D’après tout le Nouveau Testament, Actes des Apôtres et Epîtres, on voit bien que le témoignage de la résurrection du Christ est le centre de toute prédication apostolique ; ce qui veut dire qu’une prédication n’est chrétienne que si elle est centrée sur la résurrection.

PSAUME – 65 (66)

1 Acclamez Dieu, toute la terre ;
2 fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
3 Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4 Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
5 Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6 Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
7 Il règne à jamais par sa puissance.

16 Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ;
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
20 Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

LA LONGUE AVENTURE DES CROYANTS
Nous n’avons lu ici qu’un choix très court parmi les vingt versets que compte ce psaume 65/66. Mais toute la longue aventure des croyants est évoquée ici, ramassée en trois étapes : première étape suggérée : au verset 6, nous avons entendu le rappel de l’Exode : la sortie d’Egypte avec Moïse : « Il changea la mer en terre ferme » puis l’entrée en terre promise sous la conduite de Josué, par le miracle de l’assèchement du Jourdain : « Ils passèrent le fleuve à pied sec. » Lorsqu’on lit attentivement les psaumes, on est surpris de l’abondance des échos de l’Exode qui est le socle de l’expérience croyante d’Israël et donc de son espérance.
Deuxième étape, l’époque où le psalmiste compose son chant : il invite ses contemporains à la prière, à la louange et au partage de l’expérience croyante : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme. »
Troisième étape, l’avenir : c’est la terre tout entière qui est invitée à entrer dans la louange de Dieu : « Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ».
Ce n’est pas la première fois que nous voyons la prière d’Israël s’élargir à la dimension de la terre entière, ce qui veut dire, bien sûr, l’humanité entière. Le peuple élu a peu à peu compris qu’il était en mission pour le monde et que cette mission ne serait achevée que quand tous les peuples seraient unis pour entrer dans la joie de Dieu. Rappelons-nous, en particulier, les prophéties d’Isaïe sur le rassemblement de tous les peuples à Jérusalem, par exemple « Ma maison s’appellera « Maison de prière pour tous les peuples » » (Is 56,7).
Et d’ailleurs, on entend ici comme une sorte d’anticipation de ce jour, comme si tous les peuples faisaient déjà partie du cortège des pèlerins qui montent à Jérusalem : « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom ». Ce n’est encore qu’une anticipation, malheureusement, mais appeler le futur de tous ses vœux , c’est le hâter, car ce futur ne se réalisera que si nous le désirons ardemment : alors nous prendrons les moyens de le réaliser.
Au passage, nous avons remarqué l’insistance sur le mot « redoutables » appliqué deux fois à Dieu dans ces quelques versets ! « Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! » Si on entend par là que nous devrions redouter Dieu, évidemment, c’est inacceptable et complètement incompatible avec la révélation biblique du « Dieu de tendresse et de fidélité » comme dit le livre de l’Exode.
Notons d’abord qu’en français, il nous arrive d’employer ce mot avec une nuance d’admiration : quand nous disons d’un sportif, par exemple, qu’il est « redoutable » ou bien d’un politicien « il est un débatteur redoutable », ce n’est pas la crainte qui parle, c’est l’émerveillement devant des capacités hors du commun.
JUSQU’AU JOUR BENI OU L’HUMANITE TOUT ENTIERE RECONNAITRA SON SEIGNEUR
En fait, dans le langage biblique, le mot « redoutable » faisait partie des compliments que l’on adressait au roi le jour de son sacre, pour lui promettre un règne glorieux, capable d’apporter la sécurité à ses sujets. Le roi n’est « redoutable » que pour ses ennemis. Appliquer ce mot à Dieu, c’est tout simplement une manière de lui dire « en définitive, notre seul roi, c’est toi ».
Ce psaume plonge donc à la fois dans le passé, le présent, le futur… Dans le passé, Dieu a libéré son peuple de la servitude en Egypte, comme ils disent ; aujourd’hui, il libère à chaque instant ceux qui le laissent agir ; dans l’avenir c’est toute l’humanité qui sera libérée définitivement par Dieu des chaînes de toutes sortes qui la tiennent actuellement ligotée dans ses haines, ses peurs, ses guerres. Ce psaume nous introduit donc à ce que représente pour le peuple juif la dimension historique de l’expérience croyante.
Et, comme toujours, c’est du peuple tout entier qu’il s’agit : dans l’univers biblique, la dimension collective prime sur l’expérience individuelle ; dès son plus jeune âge, l’enfant juif participe à la mémoire de son peuple : les prières quotidiennes, le shabbat, les fêtes religieuses, les pèlerinages évoquent toute une mémoire collective dans laquelle il entre par une sorte d’imprégnation lente. L’enfant entend d’innombrables fois les adultes chanter la gloire de Dieu, raconter ses « hauts faits », comme on dit… un jour, à son tour, tout naturellement, il reprendra le flambeau ; il entend la conviction avec laquelle ses aînés affirment « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour » ; devant lui, on répète inlassablement les exploits de Dieu qui a délivré les anciens de l’esclavage en Egypte : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ».
La journée des adultes, de la prière du matin à celle du soir, en passant par les repas et tous les actes de la vie quotidienne, est imprégnée de cette mémoire du Dieu qui libère de toute servitude. En entrant dans sa famille, elle-même très fortement intégrée à son peuple, l’enfant juif entre tout naturellement dans la « mémoire » de ce peuple.
Tout ceci, évidemment, suppose une véritable vie de famille, comme aussi un sens très fort de l’appartenance à un peuple. Voilà peut-être une des clés de nos problèmes de transmission de la foi : c’est cette mémoire collective, justement, qui manque à beaucoup de nos jeunes chrétiens ; car la mémoire d’un peuple n’est pas l’affaire de cours d’instruction religieuse, si excellents soient-ils ; elle est affaire de vie collective, de rites répétés, d’imprégnation lente et nous voyons bien là les dangers de l’individualisme. Nous savons du même coup ce qui nous reste à faire si nous voulons transmettre la foi à nos jeunes : premièrement, imprégner toute notre existence familiale quotidienne de cette mémoire croyante et deuxièmement, revivifier nos liens communautaires.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 3,15-18

Bien-aimés,
15 honorez dans vos cœurs
la sainteté du Seigneur, le Christ.
Soyez prêts à tout moment à présenter une défense
devant quiconque vous demande de rendre raison
de l’espérance qui est en vous ;
16 mais faites-le avec douceur et respect.
Ayez une conscience droite,
afin que vos adversaires soient pris de honte
sur le point même où ils disent du mal de vous
pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ.
17 Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien,
si c’était la volonté de Dieu,
plutôt qu’en faisant le mal.
18 Car le Christ, lui aussi,
a souffert pour les péchés,
une seule fois,
lui, le juste, pour les injustes,
afin de vous introduire devant Dieu ;
il a été mis à mort dans la chair ;
mais vivifié dans l’Esprit.

OSER TEMOIGNER
A lire entre les lignes de ce texte, on peut imaginer que les interlocuteurs de Pierre connaissaient beaucoup de vexations et de moqueries de la part des païens. Ils ne rencontraient pas une persécution déclarée, mais une hostilité latente ; il leur fallait s’expliquer chaque fois qu’ils refusaient certaines pratiques païennes, comme les sacrifices aux divinités par exemple.
Pierre leur dit ici : « Frères, c’est votre tour maintenant, de vous conduire comme le Christ s’est conduit ». Lui aussi a connu les accusations, les calomnies, les menaces, mais il n’a pas dévié ; à votre tour, vous devez être capables de résister à vos adversaires.
D’où leur viendra cette audace ? Oh, c’est bien simple : les Chrétiens n’ont qu’une source, qu’un argument, qu’un discours : le Christ est mort et ressuscité. Pierre ne dit pas autre chose : « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ… Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit. »
La chair, en langage biblique, cela veut dire « la faiblesse humaine », le fait d’être mortel ; ses ennemis ne pouvaient l’atteindre que là ; ils ne peuvent rien contre l’esprit d’amour qui est le principe même de la vie : parce qu’il était rempli de l’Esprit de Dieu, la mort ne pouvait le retenir en son pouvoir, comme dit Paul ; au contraire, l’Esprit lui a fait traverser la mort biologique et a fait surgir en lui la vie, parce que l’Esprit qui s’est manifesté sur lui au jour du baptême est l’Esprit de vie.
C’est ce même Esprit qui est entré en nous lors de notre Baptême : désormais, nous le savons, nous le croyons, parce que nous l’avons vu réalisé en Jésus-Christ, le mal, la haine sont vaincus, la vie est plus forte que la mort ; c’est cela l’espérance des chrétiens ; celle dont Pierre dit que nous devons pouvoir en rendre compte à tout moment ; le Christ avait bien dit à ses Apôtres : « Confiance, j’ai vaincu le monde ». Le témoignage que le monde attend de nous, c’est : le mal n’est pas une fatalité. Le monde attend de nous que nous ne baissions jamais les bras devant le mal, la haine, la violence.
Quand Pierre affirme « Le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois », l’expression « une seule fois » est un cri de victoire : le monde du mal et du péché est définitivement vaincu dans l’obéissance du Fils.
Pierre lie fortement les deux étapes du témoignage du chrétien : ce qui se passe dans le secret du cœur , dans la prière ; et le courage de parler ; l’un ne va pas sans l’autre. « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. » Voilà la première étape, ce qui se passe en nous, dans le secret de la prière. Et c’est dans la prière que nous puiserons l’audace nécessaire.
PUISER DANS LA PRIÈRE L’AUDACE NÉCESSAIRE
La deuxième étape, c’est d’oser dire notre espérance, être prêts à dire « ce qui nous fait courir », dirait-on aujourd’hui. « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ». Si je comprends bien, Pierre nous conseille de ne pas parler en premier ; pour lui, nous devons nous contenter de répondre aux questions de notre entourage. Il dit bien : « Soyez prêts à présenter une défense devant quiconque vous demande…».
Cela fait penser à une phrase dont je ne connais pas l’auteur, mais qui est très suggestive : « Ne parle que si on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge. »
Les interrogations ne germeront que si notre vie tout entière est un témoignage d’espérance : alors ceux qui nous voient vivre se demanderont immanquablement d’où nous vient notre espérance indestructible. Nous ne pouvons témoigner de Jésus-Christ que si nous avons d’abord vécu l’espérance. Ce qui veut dire que notre témoignage se fait d’abord en actes et non en paroles. Etre rendus capables de mener notre vie d’une manière renouvelée est certainement le témoignage le plus urgent.
C’est peut-être dans ce sens-là qu’on peut comprendre la phrase de Jésus : « Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5,16). Vous connaissez aussi la phrase de Paul VI qui est une variation sur le même thème : « Nos contemporains ont besoin de témoins et non de maîtres… et ils n’écoutent les maîtres que s’ils sont des témoins ».
Ce témoignage n’est pas fanfaronnade : « Faites-le avec douceur et respect », comme dit Pierre. Cette douceur et ce respect qui ne doivent pas nous quitter peuvent nous faire comprendre la phrase suivante : « Ayez une conscience droite afin que vos adversaires soient pris de honte ».
« Faire honte » : curieuse expression, comment la comprendre ? On ne peut évidemment pas penser que des chrétiens, vivant le commandement d’amour du Christ, n’aient d’autre but que de faire honte aux autres au sens où nous l’entendons habituellement ; ce dont il s’agit, c’est de donner un tel témoignage de foi, d’espérance et d’amour mutuel, que d’autres soient amenés à remettre en question leurs calomnies. Peut-être alors s’ouvriront-ils à la conversion.
Finalement, le programme que Pierre trace à ses disciples, c’est le programme même du Christ, c’est-à-dire le programme du Serviteur que décrivait le prophète Isaïe : le prophète disait : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton » (Is 42,2), Pierre en écho conseille « agissez avec douceur et respect » ; mais en même temps, quoi qu’il arrive, ce Serviteur décrit par Isaïe ne se laisse pas décourager : à son tour Pierre insiste : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. »

EVANGILE – selon Saint Jean 14,15-21

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15 « Si vous m’aimez,
vous garderez mes commandements.
16 Moi, je prierai le Père,
et il vous donnera un autre Défenseur
qui sera pour toujours avec vous :
17 l’Esprit de vérité,
lui que le monde ne peut recevoir,
car il ne le voit pas et ne le connaît pas ;
vous, vous le connaissez,
car il demeure auprès de vous,
et il sera en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins,
je reviens vers vous.
19 D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus,
mais vous, vous me verrez vivant,
et vous vivrez aussi.
20 En ce jour-là, vous reconnaîtrez
que je suis en mon Père,
que vous êtes en moi,
et moi en vous.
21 Celui qui reçoit mes commandements et les garde,
c’est celui-là qui m’aime ;
et celui qui m’aime
sera aimé de mon Père ;
moi aussi, je l’aimerai,
et je me manifesterai à lui. »

RIEN NE POURRA NOUS SEPARER DE L’AMOUR DU CHRIST
Nous sommes au soir du Jeudi-Saint après le lavement des pieds. Jésus s’entretient longuement avec ses disciples pour la dernière fois. Il parle de son Père et de la relation qui l’unit, lui, le fils, à son Père ; il parle de ce lien qui les unit désormais, eux les apôtres, à son Père et à lui. Un lien que rien ni personne ne pourra détruire : « Je suis en mon Père, vous êtes en moi et moi en vous…. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père. » Toutes ces phrases, ils auront bien besoin de s’en souvenir, de s’y accrocher, si j’ose dire, dans les heures qui viennent !
Et puis, au moment où il s’apprête à les quitter, il leur annonce la venue de l’Esprit. En bons Juifs qu’ils étaient, les apôtres connaissaient la prophétie d’Ezéchiel : « Je vous donnerai un cœur  nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre chair le coeur de pierre, je vous donnerai un cœur  de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. » (Ez 36,26). Et cette autre prophétie du même Ezéchiel : « Je ne leur cacherai plus mon visage parce que j’aurai répandu mon esprit sur la maison d’Israël – oracle du SEIGNEUR Dieu. » (Ez 39,29). Avec Joël, la promesse du don de l’Esprit s’était faite universelle, et non plus réservée aux prophètes, aux rois, ni même au peuple élu : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair. » (Jl 3,1).
Alors dire à ses apôtres « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous », c’est leur annoncer que le grand jour de l’Alliance définitive est arrivé.
Même ce simple mot « demeure » (dans la phrase « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous ») évoquait pour les apôtres toute la longue attente de leur peuple : l’aspiration de tous les croyants de l’Ancien Testament, c’était la présence de Dieu au milieu de son peuple ; il y avait eu la Tente de la Rencontre pendant l’Exode… et puis, il y avait eu le Temple de Jérusalem, mais on attendait l’Alliance Nouvelle où Dieu demeurerait, non pas dans des bâtiments, mais dans le cœur  de son peuple, où il serait intimement présent à chaque cœur  croyant ; et Dieu l’avait promis : par la bouche d’Ezéchiel par exemple : « Ma demeure sera chez eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Ez 37,27), ou encore Zacharie : « Chante et réjouis-toi, fille de Sion ; voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi » (Za 2,14).
Les apôtres étaient pétris de cette espérance : ils savaient que l’Alliance définitive promise par l’Ancien Testament était destinée à l’humanité tout entière ; et tout au long de sa vie publique, Jésus avait bien dit sa soif que le monde entier soit sauvé.
L’ESPRIT CONTINUE SON ŒUVRE DANS LE MONDE ET ACHEVE TOUTE SANCTIFICATION
Mais alors pourquoi dit-il que le monde est incapable de recevoir l’Esprit de vérité ? Et il dit cela précisément en ce moment décisif du salut ! Est-ce une restriction ? Certainement pas ! Jésus ne peut pas se contredire. Il n’y a pas là un jugement de valeur, mais un constat ; Jésus précise : « Le monde ne peut pas le recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas » ; et il continue « vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il sera en vous ». Ce qui est un envoi en mission. Manière de leur dire : « Le monde ne connaît pas l’Esprit de vérité… A vous de le lui faire connaître ; à vous de faire découvrir au monde la présence active de l’Esprit en toute chair. »
Le mot « monde » n’est certainement pas péjoratif… Jésus n’est jamais péjoratif ; (être péjoratif ou défaitiste n’est pas chrétien) ; le salut du monde est le grand désir de Dieu : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17). En fait il faudrait remplacer le mot « monde » par « esprit du monde » opposé à « esprit d’amour ».
Jésus veut fortifier ses disciples : les aider à croire que la contagion de l’amour gagnera peu à peu ; et qu’il leur est possible de transformer l’esprit du monde en esprit d’amour. En quelque sorte, la mission qu’il leur donne, c’est une évangélisation par contamination, de proche en proche ; mission impossible ? Non ; puisque Jésus leur dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ». Phrase ambiguë : de qui l’Esprit de Dieu doit-il nous défendre ? L’horrible méprise serait de croire qu’il puisse avoir à nous défendre devant Dieu ; comme si Dieu pouvait vouloir nous condamner.
En grec, ce mot désigne celui qui est appelé auprès d’un accusé pour l’assister ; c’est le conseiller, l’avocat, le défenseur. André Chouraqui traduit le « réconfort ». De quel procès parle-t-on ? De celui que le monde fait aux disciples du Christ, et à travers eux, au Père lui-même et au Christ, c’est-à-dire en fin de compte à la vérité. D’où l’insistance de Jésus sur ce mot de vérité chaque fois qu’il prévient ses disciples des persécutions qui les attendent : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15,26-27).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEL AN, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 32

Dimanche 7 mai 2023 : 5ème dimanche de Pâques : lectures et commentaire

Dimanche 7 mai 2023 : 5ème dimanche de Pâques

Ez4u1ijXoAAaeaD

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 6,1-7

1 En ces jours-là,
comme le nombre des disciples augmentait,
les frères de langue grecque
récriminèrent contre ceux de langue hébraïque,
parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées
dans le service quotidien.
2     Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples
et leur dirent :
« Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu
pour servir aux tables.
3     Cherchez plutôt, frères,
sept d’entre vous,
des hommes qui soient estimés de tous,
remplis d’Esprit Saint et de sagesse,
et nous les établirons dans cette charge.
4     En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière
et au service de la Parole. »
5     Ces propos plurent à tout le monde,
et l’on choisit :
Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint,
Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas
et Nicolas, un converti
au judaïsme, originaire d’Antioche.
6     On les présenta aux Apôtres,
et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains.
7     La parole de Dieu était féconde,
le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem,
et une grande foule de prêtres juifs
parvenaient à l’obéissance de la foi.

CRISE DE CROISSANCE DE LA PREMIERE COMMUNAUTE
« En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque ». Si je comprends bien, le problème de la nouvelle communauté chrétienne vient paradoxalement de son succès : « Le nombre des disciples augmentait » et il augmentait si bien que l’unité devenait difficile ; tous les groupes en expansion sont affrontés à cette question : comment rester unis quand on devient nombreux ?… Nombreux donc différents.
Au fond, si on y réfléchit, cette difficulté était déjà en germe le matin de la Pentecôte. Vous connaissez le récit de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres : « A Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. » Dès ce matin-là, il y eut des conversions, trois mille, paraît-il, et d’autres dans les mois et les années qui suivirent ; ces nouveaux convertis sont tous des Juifs, (la question de l’admission de non-Juifs ne s’est posée que plus tard) mais, très probablement, un certain nombre d’entre eux sont justement des Juifs venus d’un peu partout à Jérusalem en pèlerinage ; ils sont ce qu’on appelle les Juifs de la Diaspora (c’est-à-dire dispersés dans tout l’Empire Romain) ; leur langue maternelle n’est pas l’hébreu ni l’araméen, mais le grec, car, à l’époque, c’était la langue commune dans tout le bassin méditerranéen.

Si bien que la jeune communauté toute neuve va être affrontée à ce que j’appellerais « le défi des langues ». Nous savons d’expérience que cette barrière de la langue est beaucoup plus qu’une difficulté de traduction : langue maternelle différente veut dire aussi culture, coutumes, compréhension de l’existence, manières différentes d’envisager et de résoudre les problèmes. En tête d’un Nouveau Testament en grec, j’ai trouvé cette formule : « Une langue est un filet jeté sur la réalité des choses. Une autre langue est un autre filet. Il est rare que les mailles coïncident ».
Pour revenir à la jeune communauté de Jérusalem, il y a donc un problème de cohabitation entre les frères  de langue grecque et  ceux de langue hébraïque ; très concrètement, la goutte d’eau qui va faire déborder le vase c’est l’inégalité flagrante dans les secours portés quotidiennement aux veuves ; on n’est pas étonné que la communauté ait eu à cœur  de prendre en charge les veuves, c’était une règle du monde juif ; mais il faut croire que ceux qui en étaient chargés (logiquement recrutés dans le groupe majoritaire donc hébreu) avaient tendance à favoriser les veuves de leur groupe.
SAVOIR INNOVER DANS LA FIDELITE A L’OBJECTIF
Ce genre de querelles ne peut que s’envenimer de jour en jour, jusqu’au moment où le bruit revient aux oreilles des apôtres. Leur réaction tient en trois points :
Premier point : ils convoquent toute l’assemblée des disciples : et c’est en assemblée plénière que la décision sera prise ; il y a donc là, semble-t-il, un fonctionnement traditionnel de l’Eglise… on peut se demander pourquoi cette habitude s’est perdue ?
Deuxième point : ils rappellent l’objectif : il s’agit de rester fidèles à trois exigences de la vie apostolique : la prière, le service de la parole et le service des frères.
Troisième point : ils n’hésitent pas à proposer une organisation nouvelle ; innover n’est pas un manque de fidélité ; au contraire : la fidélité exige de savoir s’adapter à des conditions nouvelles ; être fidèle, ce n’est pas rester figé sur le passé  (ici, par exemple, ce serait confier la totalité des tâches aux Douze puisque ce sont eux que Jésus a choisis…) ; être fidèle c’est garder les yeux fixés sur l’objectif.
L’objectif, comme dit Saint Jean, c’est « Qu’ils soient UN pour que le monde croie » ; c’est certainement pour cela que les apôtres n’ont pas envisagé de couper la communauté en deux, les frères de langue grecque d’un côté, ceux de langue hébraïque de l’autre ; l’acceptation des diversités est un défi pour toute communauté qui grandit ; (et je connais telle ou telle équipe qui préfère ne pas s’agrandir pour ne pas risquer les désaccords …). Mais quand les différends surgissent, la séparation n’est certainement pas la meilleure solution. C’est l’Esprit-Saint qui a suscité ces conversions nombreuses et diverses ; c’est lui aussi qui inspire aux Apôtres l’idée de s’organiser autrement pour en assumer les conséquences.
Les Douze décident donc de nommer des hommes capables d’assumer ce service des tables puisque c’est cela qui pose problème. « Cherchez, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole ». On notera que les sept hommes désignés portent des noms grecs ; ils font peut-être partie du groupe des chrétiens de langue grecque puisque c’est dans ce groupe qu’il y avait des récriminations.
Voilà donc une nouvelle institution qui est née ; ces nouveaux serviteurs de la communauté n’ont pas encore de titre ; je remarque que le mot « diacre » n’est pas employé dans le texte ; n’assimilons donc pas trop vite nos diacres d’aujourd’hui à ces hommes chargés du service des tables à  Jérusalem. Retenons seulement que l’Esprit saura nous inspirer à chaque époque les innovations qui seront indispensables pour assurer fidèlement les diverses missions et priorités de l’Eglise.

PSAUME – 32 ( 33 )

1 Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
2 Rendez grâce au SEIGNEUR sur la cithare,
Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.

4 Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR,
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
5 Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

18 Dieu veille sur ceux qui le craignent
qui mettent leur espoir en son amour,
19 pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

LE SEIGNEUR VEILLE SUR CEUX QUI METTENT LEUR ESPOIR EN SON AMOUR
J’ai envie de commencer par là où nous avons terminé la lecture de ce psaume, parce qu’il me semble que nous avons là une clé de l’ensemble. Je vous rappelle l’avant-dernier verset (le verset 18 pour ceux qui ont le psautier entre les mains) : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». Nous découvrons ici une belle définition de ce que l’on appelle « la crainte de Dieu ». Craindre le Seigneur, c’est tout simplement mettre notre espoir en son amour. Le croyant au sens biblique, c’est quelqu’un qui est plein d’espoir ; et s’il est plein d’espoir, quoi qu’il puisse arriver, c’est parce qu’il sait que « la terre est remplie de l’amour de Dieu » comme dit un autre verset que nous venons d’entendre.
En hébreu, la formule est plus belle encore : ce n’est pas « Dieu veille » sur ceux qui le craignent, mais « L’oeil du SEIGNEUR est sur ceux qui le craignent ». Savoir que le regard plein d’amour du Seigneur est en permanence penché sur nous est la source de notre espérance. Encore faut-il préciser que, dans le texte hébreu, toujours, ce nom de SEIGNEUR est celui qu’il a révélé à Moïse dans l’épisode du buisson ardent : ce fameux mot de quatre lettres YHVH que, par respect, les Juifs ne prononcent jamais, et qui signifie quelque chose comme « Je suis, je serai avec vous, depuis toujours et pour toujours, à chaque instant de votre histoire. » Ce simple nom rappelle toujours à Israël la sollicitude avec laquelle Dieu a entouré son peuple tout au long de l’Exode. La traduction « Dieu veille » dit bien cette vigilance.
C’est ce qui nous permet de comprendre le verset suivant : « pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine ». Ce sont également des allusions à la sortie d’Egypte : en permettant à son peuple de traverser la mer à pied sec, à la suite de Moïse, le Seigneur l’a fait échapper à la mort certaine programmée par Pharaon ; puis, en lui envoyant du ciel la manne chaque jour, pendant toute la traversée du désert, le Seigneur a réellement gardé son peuple en vie aux jours de famine.
Alors la louange jaillit spontanément du cœur  de ceux qui ont fait cette expérience de la sollicitude de Dieu : « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! » Cette expression « hommes justes » peut nous surprendre ; elle est très habituelle pourtant dans la Bible. On sait que est considéré comme « juste » dans la Bible celui qui entre dans le projet de Dieu, celui qui est accordé à Dieu, au sens où un instrument de musique est bien accordé.
C’est ce que l’on dit d’Abraham, par exemple : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste » (Gn 15,6). Il eut foi, c’est-à-dire il fit confiance à Dieu et à son projet. Si bien qu’on pourrait traduire « hommes justes » (en hébreu les « hassidim ») par « les hommes de l’Alliance », ou « les hommes du dessein bienveillant de Dieu » c’est-à-dire ceux qui ont entendu la révélation de la bienveillance de Dieu et y répondent en adhérant à l’Alliance.
CRIEZ DE JOIE POUR LE SEIGNEUR, HOMMES JUSTES !
Donc, ne prenons pas pour de la prétention ces titres « hommes justes »… « hommes droits »  : il ne s’agit pas de qualités morales ; le « hassid » (pluriel hassidim) est un homme comme les autres, pécheur comme les autres, mais il est celui qui vit dans l’Alliance du Seigneur, qui vit dans la confiance envers le Dieu fidèle ; parce qu’il a découvert le « Dieu de tendresse et de fidélité », très logiquement, il vit dans la louange : « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes. » Et le psaume continue : « Chantez-lui le cantique nouveau. »
Cet appel à la louange qui résonne ici était le chant d’entrée d’une liturgie d’action de grâce. Au passage, nous relevons une indication sur la mise en oeuvre des psaumes et sur l’un au moins des instruments de musique utilisés au Temple de Jérusalem. Ce psaume était probablement prévu pour être accompagné à la harpe à dix cordes.
Je reprends : « Chantez-lui le cantique nouveau ». Le mot « nouveau » dans la Bible ne veut pas dire du « jamais vu » ou « jamais entendu » ; le chant est « nouveau » au sens où les mots d’amour, même les plus habituels sont toujours nouveaux. Quand les amoureux disent « je t’aime », ils ne craignent pas de répéter les mêmes mots et pourtant, la merveille, c’est que ce chant-là est toujours nouveau.
Je continue : « Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR ; il est fidèle en tout ce qu’il fait ». Contrairement aux apparences, il n’y a pas là deux affirmations distinctes, l’une concernant la parole de Dieu, l’autre portant sur ses actes, ce qu’il fait ; car la Parole de Dieu est acte ; « Il dit et cela fut » répète le récit de la création au chapitre 1 de la Genèse. Ou encore, rappelez-vous Isaïe au chapitre 55 : « Ma parole qui sort de ma bouche ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. » (Is 55,11).
Et ce n’est pas un hasard si ce psaume comporte exactement vingt-deux versets, (qui correspondent aux vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu) : c’est en hommage à la Parole de Dieu, comme pour dire, elle est le tout de notre vie, de A à Z. Et ce n’est pas un compliment en l’air, si j’ose dire : c’est l’expérience d’Israël qui parle : depuis la première parole de Dieu à son peuple, celui-ci a expérimenté à la fois la parole qui est promesse de libération et dans le même temps l’oeuvre libératrice de Dieu : à chaque époque de l’histoire de son peuple, la parole de Dieu l’appelle à la liberté, et c’est la force de Dieu qui agit le bras de l’homme pour conquérir sa liberté ; liberté par rapport à toute idolâtrie, liberté par rapport à tout esclavage de toute sorte.
« Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour ». C’est la vocation de la création tout entière qui est dite là : Dieu est amour et la terre entière a vocation à être le lieu de l’amour, du droit et de la justice. Rappelez-vous le prophète Michée : «
Homme, on t’a fait connaître, ô ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. »  (Mi 6,8).

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 2, 4-9

Bien-aimés,
4 approchez-vous du Seigneur Jésus :
il est la pierre vivante
rejetée par les hommes,
mais choisie et précieuse devant Dieu.
5     Vous aussi, comme pierres vivantes,
entrez dans la construction de la demeure spirituelle,
pour devenir le sacerdoce saint
et présenter des sacrifices spirituels,
agréables à Dieu, par Jésus Christ.
6     En effet, il y a ceci dans l’Écriture :
Je vais poser en Sion une pierre angulaire,
une pierre choisie, précieuse ;
celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte.
7     Ainsi donc, honneur à vous les croyants,
mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle,
une pierre d’achoppement,
8 un rocher sur lequel on trébuche.
Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole,
et c’est bien ce qui devait leur arriver.
9     Mais vous, vous êtes une descendance choisie,
un sacerdoce royal,
une nation sainte,
un peuple destiné au salut,
pour que vous annonciez les merveilles
de celui qui vous a appelés des ténèbres
à son admirable lumière.

L’HISTOIRE HUMAINE, UN GIGANTESQUE CHANTIER DE CONSTRUCTION
C’est le même verbe en hébreu qui signifie « construire une maison » et aussi « fonder sa famille », ou « fonder une société ». Et donc, dès l’Ancien Testament, les prophètes employaient volontiers le vocabulaire du bâtiment pour parler de la société humaine. Isaïe, par exemple, avait inventé une parabole sur ce thème et il comparait le royaume de Jérusalem à un chantier mal dirigé. Sur ce chantier, il y avait un bloc de pierre admirable qui aurait dû devenir la pierre angulaire du monument. Mais les architectes méprisaient ce bloc de pierre, et préféraient utiliser des pierres de mauvaise qualité. C’était une manière pour Isaïe d’accuser les autorités d’abandonner les vraies valeurs et de fonder la société sur de fausses valeurs.
Plus tard, avec le temps, on avait pris l’habitude d’appliquer ce terme de pierre angulaire au Messie : lui saurait reprendre et restaurer le chantier de Dieu. Pierre, à son tour, développe cette comparaison pour parler du Christ. Jésus, le Messie, est bien la pierre la plus précieuse que Dieu a mise au centre de l’édifice ; et à tous les hommes, il est proposé de devenir des pierres du monument ; ceux qui acceptent de faire corps avec lui sont intégrés à la construction, ils deviennent eux-mêmes des éléments  porteurs.
Mais, bien sûr, c’est un choix à faire et les hommes peuvent tout aussi bien faire le choix inverse, c’est-à-dire refuser le projet et même le saboter. Tout se passe alors pour eux comme si la pierre maîtresse n’était pas au cœur  de l’édifice ; elle est restée par terre, bloc admirable, mais encombrant sur le chantier : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. »
Notre Baptême a été l’heure du choix, si j’ose dire ; désormais, nous sommes intégrés à la construction de ce que Pierre appelle la demeure spirituelle (verset 5) : par opposition au Temple de pierre de Jérusalem où l’on célébrait des sacrifices d’animaux. On sait bien que depuis le début de l’histoire, l’humanité cherche à rejoindre Dieu en lui rendant le culte qu’elle croit digne de lui ; au fur et à mesure de son  expérience historique, le peuple élu a découvert le vrai visage de Dieu et a appris à vivre dans son Alliance. Et peu à peu, à la lumière de l’enseignement des prophètes on a découvert que le vrai temple de Dieu est l’humanité et que le seul culte digne de lui est l’amour et le service des frères et non plus des sacrifices d’animaux.
BAPTISES, NOUS SOMMES LES PIERRES VIVANTES DE LA CONSTRUCTION
Mais voilà qui nous engage terriblement : le Temple de Jérusalem était le signe de la présence de Dieu dans son peuple… désormais le signe visible aux yeux du monde de la présence de Dieu, c’est nous, l’Eglise du Christ. La phrase de Pierre résonne donc à nos oreilles comme une vocation : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle. »
Encore une précision : il s’agit bien d’un choix, qui met en oeuvre notre liberté, il ne s’agit pas de prédestination. Pierre distingue entre ceux qui donnent leur foi au Christ et ceux qui refusent de croire. « Donner sa foi », « refuser de croire » sont  deux actes libres. Pierre ajoute : « Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver » ; cette dernière phrase dit seulement la conséquence de leur choix libre mais pas une prédestination par décision arbitraire de Dieu : le Dieu libérateur ne peut que respecter notre liberté.
Lors de la Présentation de Jésus au temple, Syméon l’avait annoncé à Joseph et Marie : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël » (Luc 2,34). Syméon ne dit pas là une nécessité exigée par Dieu, mais les conséquences de la venue de Jésus. Effectivement, sa présence a été pour certains l’occasion de leur conversion complète, tandis que d’autres se sont endurcis.
Pierre conclut : « Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal ». Au jour de notre baptême, nous avons été greffés sur le Christ : le rituel du Baptême dit : « Vous êtes devenus membres du Christ, prêtre, prophète et roi ». Cela ne veut pas dire que chacun de nous est désormais prêtre, prophète et roi. Le Christ est le seul prêtre, prophète et roi, et nous, nous sommes greffés sur lui, nous sommes membres de son Corps. Par le Baptême, nous avons été agrégés à ce peuple saint, « naturalisés » si vous préférez. Nous avons acquis ce jour-là une nouvelle nationalité, celle du peuple de Dieu ; notre hymne national, désormais, c’est l’Alleluia ! Pierre termine en nous disant notre vocation : « Annoncer les merveilles de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ».

EVANGILE – selon Saint Jean 14, 1-12

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
1     « Que votre cœur ne soit pas bouleversé :
vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2     Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures ;
sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ?
3     Quand je serai parti vous préparer une place,
je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.
4     Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
5     Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
6    Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
personne ne va vers le Père sans passer par moi.
7     Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
8     Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
9     Jésus lui répond :
« Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe !
Celui qui m’a vu a vu le Père.
Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ?
10     Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père
et que le Père est en moi !
Les paroles que je vous dis,
je ne les dis pas de moi-même ;
le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres.
11     Croyez-moi :
je suis dans le Père, et le Père est en moi ;
si vous ne me croyez pas,
croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
12     Amen, amen, je vous le dis :
celui qui croit en moi
fera les œuvres que je fais.
Il en fera même de plus grandes,
parce que je pars vers le Père »

MOI, JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE
Si Jésus commence par dire « Ne soyez donc pas bouleversés »… c’est que les disciples ne cachaient pas leur angoisse et on les comprend ; ils se savaient cernés par l’hostilité générale, ils savaient que le compte à rebours était commencé.
Cette angoisse se doublait, pour certains d’entre eux au moins, d’une horrible déception : « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël (sous-entendu des Romains) » diront les disciples d’Emmaüs quelques jours plus tard (Lc 24,21) ; les apôtres partageaient cette espérance politique ; or leur chef va être condamné, exécuté… finies les illusions.
Et donc, Jésus s’emploie à déplacer leur espérance : il ne va pas combler l’attente que ses miracles ont fait naître ; il ne va pas prendre la tête du soulèvement national contre l’occupant ; au contraire il n’a cessé de prêcher la non-violence. Mais la libération qu’il apporte se situe sur un autre plan. S’il ne comble pas l’attente terrestre de son peuple, il est pourtant celui qu’on attendait.
Il commence par faire appel à leur foi, à cette attitude fondamentale du peuple juif que nous lisons dans tous les psaumes par exemple. L’espérance ne peut s’appuyer que sur la foi et Jésus revient plusieurs fois sur le mot « croire »  « Ne soyez donc pas bouleversés (puisque) vous croyez en Dieu… »
Seulement, une chose est de croire en Dieu, et cela c’est acquis, une autre est de croire en Jésus, au moment précisément où il semble avoir définitivement perdu la partie. Pour accorder à Jésus la même foi qu’à Dieu, il faut, pour ses contemporains, faire un saut formidable. Et donc il faut qu’il leur fasse percevoir l’unité profonde entre le Père et lui ; et c’est la deuxième ligne de force de ce texte :
« Je suis dans le Père et le Père est en moi » (et, cette phrase-là, il la dit deux fois)… « Celui qui m’a vu a vu le Père »… Cette dernière phrase résonne tout particulièrement lorsqu’on sait ce qui est arrivé quelques heures plus tard : cela veut dire que la révélation du Père culmine sur la croix ; et que fait Jésus mourant sur la croix ? Il continue à aimer les hommes, tous les hommes, puisqu’il pardonne même à ses bourreaux.
Il faudrait avoir le temps de s’attarder sur chaque phrase de ce dernier entretien de Jésus avec ses disciples, sur chacun des mots lourds de toute l’expérience biblique : « connaître », « voir », « demeurer », « Aller vers »… la Parole qui est en même temps oeuvre… l’expression « Je suis » qui pour des oreilles juives ne peut pas ne pas évoquer Dieu lui-même. Oser dire « Je suis la vérité et la vie » c’est s’identifier à Dieu lui-même. Et en même temps ces deux personnes sont bien distinctes, puisque Jésus dit « Je suis le chemin » (sous-entendu vers le Père).
MOI, JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE
« Personne ne va vers le Père sans passer par moi » : autre manière de dire « Je suis le chemin » ou « Je suis la porte » comme dans le discours du Bon Pasteur ; ce n’est certainement pas une mise en garde ou une sorte d’obligation qui est dite là : il me semble que c’est beaucoup plus profond que cela : il s’agit du mystère de notre solidarité en Jésus-Christ ; c’est vraiment un mystère, nous avons bien du mal à nous en faire une idée… et pourtant c’est l’essentiel du projet de Dieu ; le « Christ total », comme dit saint Augustin, c’est l’humanité tout entière.
Cette solidarité en Jésus-Christ est dite à toutes les pages du Nouveau Testament ; Paul, par exemple, la dit quand il parle du Nouvel Adam et aussi quand il dit que le Christ est la tête du Corps dont nous sommes les membres. « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8,22) : l’enfantement dont il parle, c’est celui du Corps du Christ justement. Jésus lui-même a très souvent employé l’expression « Fils de l’Homme » pour annoncer la victoire définitive de l’humanité tout entière rassemblée comme un seul homme.
Si je prends au sérieux cette phrase « Personne ne va vers le Père sans passer par moi » et que j’y entends la solidarité de toute l’humanité en Jésus-Christ, alors il faut dire aussi la réciproque : « Le Christ ne va pas vers le Père sans nous ». C’est le sens des phrases du début : « Là où je suis, vous y serez vous aussi » … « Quand je serai  allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi ». Paul le dit encore autrement : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »  (Rm 8,39).
Jésus termine par une promesse solennelle : « Celui qui croit en moi fera les mêmes œuvres  que je fais » ; après tout ce qu’il vient de dire sur lui, le mot « œuvres  » ne veut sûrement pas dire seulement miracles ; dans tout l’Ancien Testament, le mot « œuvre  » en parlant de Dieu est toujours un  rappel de la grande œuvre  de Dieu pour libérer son peuple. Ce qui veut dire que désormais les disciples sont associés à l’oeuvre entreprise par Dieu pour libérer l’humanité de tout esclavage physique ou moral. Cette promesse du Christ devrait nous convaincre tous les jours que cette libération est possible.

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 22

Dimanche 30 avril 2023 : 4ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 30 avril 2023 : 4ème dimanche de Pâques

quThe_good_Shepherdqu_mosaic_-_Mausoleum_of_Galla_Placidia-legere-585x370

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2,14a.36-41

Le jour de la Pentecôte,
14 Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
éleva la voix et fit cette déclaration :
36 « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude :
Dieu l’a fait Seigneur et Christ,
ce Jésus que vous aviez crucifié. »
37 Les auditeurs furent touchés au cœur ;
ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres :
« Frères, que devons-nous faire ? »
38 Pierre leur répondit :
« Convertissez-vous,
et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ
pour le pardon de ses péchés ;
vous recevrez alors le don du Saint-Esprit.
39 Car la promesse est pour vous,
pour vos enfants
et pour tous ceux qui sont loin,
aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. »
40 Par bien d’autres paroles encore,
Pierre les adjurait et les exhortait en disant :
« Détournez-vous de cette génération tortueuse,
et vous serez sauvés. »
41 Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre
furent baptisés.
Ce jour-là, environ trois mille personnes
se joignirent à eux.

LA PENTECOTE, FETE DE L’ACCOMPLISSEMENT DU PROJET DE DIEU
Nous continuons la lecture du discours de Pierre à Jérusalem au matin de la Pentecôte ; parce qu’il est désormais rempli de l’Esprit-Saint, il lit « à livre ouvert », si j’ose dire, dans le projet de Dieu : tout lui paraît clair ; il se souvient du prophète Joël qui avait annoncé « Je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3,1) et pour lui, c’est l’évidence, nous sommes au matin de l’accomplissement de cette promesse : c’est par Jésus, rejeté, supprimé par les hommes, mais ressuscité, exalté par Dieu que l’Esprit est répandu sur toute chair.
Ces gens qui sont en face de lui, ce sont des pèlerins juifs venus de tous les coins de l’Empire Romain : ils sont partis de chez eux, parfois de très loin, du fin fond de la Mésopotamie, ou de la Turquie, ou d’Egypte et de Lybie, par obéissance à la Loi de Moïse ; et ils ne sont pas venus faire du tourisme ; ils sont venus en pèlerinage pour célébrer la fête de la Pentecôte, la fête du don de la Loi ; pendant tout le trajet, et encore une fois arrivés au Temple de Jérusalem, ils ont chanté les psaumes et prié Dieu de faire venir son Messie.
La tâche de Pierre, ce matin-là, c’est donc de leur ouvrir les yeux : oui, le Messie dont vous n’avez pas cessé de parler ces jours-ci, c’est bien lui, qui a été exécuté ici même à Jérusalem, il y a quelques semaines. « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »
Pour  des auditeurs juifs, ces titres de  « Seigneur » et « Christ » décernés à Jésus sont très osés : le mot « Christ » est la traduction en grec du mot hébreu « Messie » ; quant au mot « Seigneur », il était appliqué tantôt à Dieu tantôt au Messie ; dans le psaume 109/110, par exemple, vous connaissez la phrase « Le SEIGNEUR a dit à mon Seigneur »… qui voulait dire « Le SEIGNEUR Dieu a dit à mon Seigneur, le roi (sous-entendu le Messie) ». Pierre ne l’emploie certainement pas encore au sens de « Jésus est Dieu », c’était par trop impensable pour des Juifs, lui compris.
LE MESSIE EST PARMI NOUS
Mais il veut bien dire par là, ce qui est déjà considérable, que l’homme de Nazareth est le Messie attendu : c’est donc faire reposer sur Jésus toute l’espérance d’Israël ; or si, de très bonne foi, des quantités de contemporains de Jésus ont pu vouloir la mort de Jésus, c’est que son caractère de Messie n’était pas du tout évident.
Les auditeurs de Pierre furent « touchés au cœur  », nous dit Luc ; là on aborde le mystère de la conversion : ils étaient venus à Jérusalem en pèlerinage, donc le cœur  ouvert, certainement. Et Pierre a su toucher leurs cœurs .
Ils posent la même question très humble qu’on posait à Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain  : « Que devons-nous faire ? » (verset 37) ; et la réponse est la même également, tout aussi simple : « Convertissez-vous » (verset 38)… et un peu plus tard, Pierre reprend une formule analogue : « Détournez-vous de cette génération tortueuse » ; se convertir, dans le langage biblique, c’est précisément se retourner, faire demi-tour ; l’image qui est derrière ces expressions, c’est celle de deux routes (on disait deux voies) : on peut se tromper de chemin ; « génération tortueuse » veut dire « qui n’est plus sur la route droite ». Dans cette expression  « génération tortueuse », il ne faut certainement pas lire du mépris : Pierre fait une simple constatation. La génération contemporaine du Christ et des apôtres a été affrontée à un véritable défi : reconnaître en Jésus le Messie qu’on attendait malgré toutes les apparences contraires ; et elle a commis une erreur de jugement, elle s’est trompée de chemin. Et cette constatation de Pierre est un appel pour ses auditeurs, un appel à se convertir, à faire demi-tour.
Concrètement, se convertir, c’est demander le Baptême « au nom du Christ » ; et nous avons là  une petite catéchèse du Baptême tel que les apôtres en parlaient dès le début de l’Eglise. « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés. Vous recevrez alors le don du Saint-Esprit ».
EN ATTENDANT LE JOUR OU L’HUMANITE TOUT ENTIERE ACCUEILLERA L’ESPRIT
Car, dit-il, « la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Ici, il rapproche, pour des auditeurs juifs, donc familiers des Ecritures, deux textes de l’Ancien Testament ; d’abord l’annonce du prophète Joël citée plus haut (« Je répandrai mon Esprit sur toute chair ») ; et puis une phrase d’Isaïe qui était bien connue  : « La paix à celui qui est loin (sous-entendu les païens), et à celui qui est proche (le peuple élu) » (Isaïe 57,19). Le peuple d’Israël se sentait proche de Dieu, grâce à sa vie dans l’Alliance : il était le peuple choisi, le fils, comme disait le prophète Osée. Les autres peuples lui paraissaient étrangers à Dieu, éloignés de Dieu. Et quand Isaïe dit que « la paix est aussi pour ceux qui sont loin », il rappelle ce que le peuple élu a retenu de la promesse faite à Abraham : à savoir que l’humanité tout entière est concernée par ce qu’on pourrait appeler « le plan de paix de Dieu ».
Ce jour-là ils furent trois mille à se faire baptiser, trois mille Juifs qui devinrent Chrétiens ; ils faisaient partie de ceux que Pierre appelait les « proches ». Mais peu à peu, au long du livre des Actes, puis de l’histoire de l’Eglise, ceux qui étaient loin vont rejoindre les appelés de Dieu. C’est à eux que Paul dira dans la lettre aux Ephésiens :
« Maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité. » (Ep 2,13-14).

PSAUME – 22 (23)

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

LE PEUPLE ELU, TRESOR DE DIEU
Nous avons déjà rencontré ce psaume 22/23 il y a quelques semaines pour le quatrième dimanche de Carême, et j’avais insisté sur trois points :
Premier point : comme toujours dans les psaumes c’est d’Israël tout entier qu’il est question, même si la personne qui parle dit « JE » .
Deuxième point : pour dire son expérience croyante, Israël utilise deux comparaisons, celle du lévite qui trouve son bonheur à habiter dans la Maison de Dieu et celle du pèlerin qui participe au repas sacré qui suit les sacrifices d’action de grâce. Mais il faut lire entre les lignes : à travers ces deux comparaisons, il faut entendre l’expérience du peuple élu, vivant dans l’émerveillement et la reconnaissance l’Alliance proposée par Dieu.
Troisième point : Les premiers Chrétiens ont trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur propre expérience de baptisés ; et ce psaume 22/23 est devenu dans la primitive Eglise le chant attitré des célébrations de Baptême.
Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter tout simplement sur le premier verset : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ». Dans le même esprit, le prophète Michée exprimait cette prière : « (Seigneur), avec ta houlette, sois le pasteur de ton peuple, le troupeau qui t’appartient » (Michée 7,14)… Je remarque au passage que c’est le peuple qui est le patrimoine de Dieu ; dans le psaume 15/16, nous avions rencontré l’expression  inverse : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage. » (Ps 15/16,5-6).1 C’est bien la réciprocité de l’Alliance qui est dite là.
Dans un pays d’éleveurs, un troupeau c’est la richesse d’une famille et le livre des Proverbes donne des conseils pour l’entretien de ce patrimoine : « Juge bien de la mine de tes moutons et prends soin de tes troupeaux, car la richesse n’est pas éternelle ni les trésors2 assurés d’âge en âge ! » (Pr 27,23). Ce qui veut dire que quand on compare Dieu à un berger et donc Israël à son troupeau, on ose penser que le peuple élu est un trésor pour son Dieu. Ce qui est une belle audace !
L’emploi d’un tel vocabulaire est donc une invitation à la confiance : Dieu est représenté comme un bon pasteur : c’est-à-dire celui qui  rassemble, qui guide, qui nourrit, qui soigne, qui protège et qui défend… en un mot, c’est celui qui veille sur tous les besoins de son troupeau. Tout cela, on le dit de Dieu : je vous en cite quelques exemples :
le berger qui  rassemble,  je le trouve encore chez le prophète Michée : « Moi, je veux te rassembler tout entier, Jacob, je veux réunir le reste d’Israël ! Je les mettrai ensemble… comme un troupeau au milieu de son pâturage… » (Mi 2,12) ; et encore : « Ce jour-là – oracle du SEIGNEUR – je rassemblerai les brebis boiteuses, je réunirai les égarées » (Mi 4,6). Et Sophonie reprend le même thème : « Je sauverai la brebis boiteuse, je rassemblerai celles qui sont égarées ». (So 3,19). Ce qui veut dire, au passage, que chaque fois que nous faisons œuvre de division, nous travaillons contre Dieu !
DIEU, COMME UN BERGER ATTENTIONNE
le berger-guide et défenseur de son troupeau, nous le retrouvons souvent dans les psaumes : en particulier dans le psaume 94/95 qui est la prière du matin de chaque jour dans la liturgie des Heures : « Nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main ». (Ps 94/95,7). De même dans le psaume 77/78 : « Tel un berger, il conduit son peuple, il pousse au désert son troupeau, il les guide et les défend, il les rassure. » (Ps 77/78,52 ) ; et le psaume 79/80 commence par cet appel : « Berger d’Israël écoute, toi qui conduis Joseph, ton troupeau… révèle ta vaillance et viens nous sauver »  (Ps 79/80,2).
Evidemment, c’est dans les périodes difficiles, quand le troupeau (traduisez Israël) se sent mal dirigé, délaissé, malmené ou pire maltraité, que les prophètes recourent le plus souvent à cette image du vrai bon berger, pour redonner espoir ; on ne s’étonne donc pas de retrouver ce thème chez le deuxième Isaïe, celui qui a écrit le livre intitulé « Livre de la Consolation d’Israël ».
Par exemple : « Comme un berger, il fait paître son troupeau, son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur , il mène les brebis qui allaitent. » (Is 40,11) ; et encore : « Au long des routes ils pourront paître ; sur les hauteurs dénudées seront leurs pâturages. Ils n’auront ni faim ni soif, le vent brûlant et le soleil ne les frapperont plus. Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,9-10).
J’ai gardé pour la fin ce magnifique texte d’Ezéchiel que vous connaissez : « Car ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées…Je les ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans les vallées, dans les endroits les meilleurs. Je les ferai paître dans un bon pâturage, et leurs prairies seront sur les hauteurs d’Israël. Là, mes brebis se reposeront dans de belles prairies, elles brouteront dans de gras pâturages, sur les monts d’Israël. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du SEIGNEUR Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. » (Ez 34,11s).
A notre tour, nous  chantons ce psaume 22/23 parce que Jésus s’est présenté lui-même comme le berger des brebis perdues ; il nous invite à mettre notre confiance dans la tendresse du Dieu-pasteur ; mais, plus largement, en un moment où tant d’hommes traversent des « jours de nuages et de sombres nuées », nous sommes invités également à contempler l’image du bon Pasteur, pour nous comporter en imitateurs du Père et en continuateurs du Fils.
—————–
Notes
1 – Voir le commentaire de ce psaume au Troisième Dimanche de Pâques – A.
2 – En hébreu, le mot employé signifie « diadème ».
Complément
Le rassemblement du troupeau de Dieu réparti dans le monde entier annoncé par les prophètes voit un début de réalisation au matin de la Pentecôte : Pierre s’adresse à une foule de tous horizons.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 2, 20b-25

Bien-aimés,
20 si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien,
c’est une grâce aux yeux de Dieu.
21 C’est bien à cela que vous avez été appelés,
car c’est pour vous que le Christ,
lui aussi, a souffert ;
il vous a laissé un modèle
afin que vous suiviez ses traces.
22 Lui n’a pas commis de péché ;
dans sa bouche,
on n’a pas trouvé de mensonge.
23 Insulté, il ne rendait pas l’insulte,
dans la souffrance, il ne menaçait pas,
mais il s’abandonnait
à Celui qui juge avec justice.
24 Lui-même a porté nos péchés,
dans son corps, sur le bois,
afin que, morts à nos péchés,
nous vivions pour la justice.
Par ses blessures, nous sommes guéris.
25 Car vous étiez errants
comme des brebis ;
mais à présent vous êtes retournés
vers votre berger, le gardien de vos âmes.

SUR LES TRACES DU CHRIST
Dans ce passage, Pierre s’adresse à une catégorie sociale toute particulière : ce sont des esclaves  (on sait que l’esclavage existait encore à son époque) ; or, en droit romain, l’esclave était à la merci de son maître, il était un objet entre ses mains. Il arrivait donc que des esclaves subissent des mauvais traitements sans autre raison que le bon plaisir de leurs maîtres ; et être un esclave chrétien chez un maître non chrétien exposait certainement à des brimades supplémentaires.
Pierre leur dit en substance : imitez le Christ : lui aussi était esclave à sa manière, puisqu’il a mis sa vie tout entière au service de tous les hommes. Or, comment s’est-il comporté ? « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. »
Je reprends le raisonnement de Pierre au début : « Si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. » Ce qui est une grâce, ce n’est pas de souffrir, c’est d’être capable de se conduire comme le Christ lorsqu’on est dans la souffrance. On ne redira jamais assez qu’il n’y a pas de vocation du Chrétien à la souffrance ; mais, dans la souffrance, un appel à tenir bon à l’exemple du Christ. Suivre les traces du Christ, suivre son exemple, ce n’est pas souffrir pour souffrir, c’est tenir bon dans la souffrance comme lui : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »
Pierre en profite pour rappeler le Credo des chrétiens : « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. »
Voilà bien ce qui est au cœur  de notre catéchisme et en même temps la chose la plus difficile du monde à comprendre ! Nous affirmons « Dieu nous sauve… Christ est mort pour nos péchés », mais comment aller plus loin ? Comment expliquer ? De quoi nous sauve-t-il ? Comment nous sauve-t-il ?
Pour commencer, il me semble que nous entendons ici une définition du salut : être sauvés, c’est devenir « capables de vivre pour la justice ». Nous sommes guéris de nos blessures, comme dit Pierre. Nos blessures à nous, ce sont nos incapacités d’aimer et de donner, de pardonner, de partager ; c’est une humanité déboussolée : au lieu d’être centrée sur Dieu, l’humanité a perdu sa boussole, elle est désorientée ; Pierre dit « Vous étiez errants comme des brebis ». « Mourir à nos péchés », pour reprendre l’expression de Pierre, c’est être capables de vivre autrement, de vivre pour la justice, c’est-à-dire dans la fidélité au projet de Dieu.
DEVENIR CAPABLES DE PARDONNER COMME LUI
Reste à savoir comment la croix du Christ a pu opérer ce salut : d’après Pierre, « c’est par ses blessures que nous sommes guéris ». Or les blessures du Christ, n’oublions pas que ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes qui les lui ont infligées. Le Christ est mort parce qu’il a eu le courage de porter témoignage à son Père, de se comporter en homme de prière et de paix, de s’opposer à toute forme de mépris ou d’exclusion. Mais le Père dont il parlait ne répondait pas à l’image que s’en faisaient la majorité de ses contemporains ; Jésus, lui, malgré les menaces, n’a pas changé de ligne de conduite : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité », disait-il (Jn 18,37). Alors on l’a supprimé. Mais, même sur la croix, il a continué à rendre témoignage à son Père en révélant jusqu’où va le pardon de Dieu. Ses derniers mots sont encore des mots d’amour : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Alors, cette croix qui était le lieu de l’horreur absolue, de la haine humaine déchaînée est devenue, grâce au Christ, le lieu de l’amour absolu dans ce pardon du Christ à ses bourreaux.
Et, désormais, il nous suffit de contempler la croix, de croire à cet amour de Dieu pour l’humanité, révélé dans la croix du Christ, pour être transformés, convertis, réorientés ; comme le disait Zacharie « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10). Alors nous sommes guéris, sauvés, c’est-à-dire rendus capables à nouveau d’aimer et de pardonner comme lui. Si nous voulons bien nous laisser attendrir par cette attitude d’amour absolu de Jésus et de son Père, nos cœurs  de pierre deviennent cœurs  de chair. Et nous devenons capables de vivre comme lui. Et d’autres, alors, pourront se laisser transformer à leur tour. C’est comme une contagion qui doit se répandre.
Car l’œuvre  de transformation de l’humanité tout entière n’est pas terminée ! Il faut donc encore des témoins de l’amour et du pardon de Dieu : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups », disait Jésus. Quand Pierre dit : « Le Christ vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces », il nous rappelle que, à notre tour, nous devons prendre sa suite pour, avec lui, continuer l’œuvre  du salut de l’humanité.

EVANGILE – selon Saint Jean 10, 1-10

En ce temps-là, Jésus déclara :
1 « Amen, amen, je vous le dis :
celui qui entre dans l’enclos des brebis
sans passer par la porte,
mais qui escalade par un autre endroit,
celui-là est un voleur et un bandit.
2 Celui qui entre par la porte,
c’est le pasteur, le berger des brebis.
3 Le portier lui ouvre,
et les brebis écoutent sa voix.
Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom,
et il les fait sortir.
4 Quand il a poussé dehors toutes les siennes,
il marche à leur tête,
et les brebis le suivent,
car elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger
mais elles s’enfuiront loin de lui,
car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens,
mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait.
7 C’est pourquoi Jésus reprit la parole :
« Amen, amen, je vous le dis :
Moi, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi
sont des voleurs et des bandits ;
mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Moi, je suis la porte.
Si quelqu’un entre en passant par moi,
il sera sauvé ;
il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage.
10 Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr.
Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie,
la vie en abondance. »

PRENEZ GARDE AUX MAUVAIS BERGERS
La cohérence des textes de ce dimanche est particulièrement frappante ! Le psaume, puis la deuxième lecture et maintenant l’évangile nous transportent dans une bergerie. Le psaume comparait la relation de Dieu avec Israël à la sollicitude d’un berger pour son troupeau ; il disait « le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, saint Pierre comparait les hommes qui n’ont pas la foi en Jésus-Christ à des brebis perdues : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » Et, ici, dans l’évangile de Jean, Jésus développe son long discours sur le bon pasteur.
Une bergerie, ce n’est pas un spectacle habituel pour une bonne partie d’entre nous, il faut bien le dire. Il faut donc que nous fassions l’effort d’imaginer le paysage du Proche-Orient, le troupeau regroupé pour la nuit dans un enclos bien gardé ; au matin le berger vient libérer les brebis et les emmène sur les pâturages.
Si nous avons un effort d’imagination à faire, en revanche ce genre de réflexion était très familier aux auditeurs de Jésus : parce que, tout d’abord, il y avait de nombreux troupeaux en Israël, et ensuite parce que les prophètes de l’Ancien Testament avaient pris l’habitude de ce genre de comparaisons. Nous en avons relu certains passages à propos du psaume. Je ne retiens qu’une phrase du prophète Isaïe qui insiste sur la sollicitude de Dieu envers son peuple : « Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,10). Enfin, du futur Messie on disait volontiers qu’il serait un berger pour Israël.
En même temps, les prophètes ne cessaient de mettre en garde contre les mauvais bergers qui représentent un véritable danger pour les brebis. C’est évidemment une affaire de vie ou de mort pour le troupeau. Jésus, à son tour, s’inscrit bien ici dans le même registre : il dit à la fois la sollicitude du berger pour ses brebis et le danger que représentent pour elles les faux bergers.
Ces thèmes familiers, il les reprend dans l’évangile de ce dimanche, sous la forme de deux petites comparaisons successives : celle du berger, puis celle de la porte. Il prend la peine de les introduire l’une et l’autre par la formule solennelle : « Amen, amen, je vous le dis ». Or cette expression introduit toujours du nouveau ; mais, justement, le thème du berger était bien connu, alors où est la nouveauté ? D’autre part, Jean précise que ces deux paraboles sont adressées aux Pharisiens : Jésus leur a raconté la première, mais, nous dit Jean, « ils ne comprirent pas ce que Jésus voulait leur dire. » Alors Jésus enchaîna sur la deuxième.
JE SUIS VENU POUR QUE LES BREBIS AIENT LA VIE EN ABONDANCE
Pourquoi les Pharisiens n’ont-ils pas compris la première ? Ils n’ont pas compris, ou pas voulu comprendre ? Peut-être tout simplement parce que, de toute évidence, Jésus laisse deviner qu’il est lui-même ce bon berger capable de faire le bonheur de son peuple ; et eux se voient ravaler du coup au rang de mauvais bergers. Ils ont donc parfaitement compris ce que Jésus veut dire, mais ils ne peuvent l’accepter. Ce serait admettre que ce Galiléen est le Messie, l’Envoyé de Dieu, or il ne ressemble en rien à l’idée qu’on s’en faisait. C’est peut-être la raison pour laquelle Jésus a pris soin de dire « Amen, amen, je vous le dis » ; chaque fois qu’il introduit un discours par cette entrée en matière, il faut être particulièrement attentif ; c’est l’équivalent de certaines phrases que l’on rencontre souvent chez les prophètes de l’Ancien Testament : quand l’Esprit de Dieu leur souffle des paroles dures à comprendre ou à accepter, ils prennent toujours bien soin de commencer et parfois de terminer leur prédication par des formules telles que « oracle du SEIGNEUR » ou « Ainsi parle le SEIGNEUR ». Même ainsi mis en garde, les Pharisiens n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce que Jésus voulait leur dire.
Mais il persiste ; Jean nous dit  « C’est pourquoi Jésus reprit la parole » ; on devine la patience de Jésus qui lui inspire cette nouvelle tentative pour convaincre son auditoire : « Je suis la porte des brebis… Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ». C’est une autre manière de dire qu’il est le Messie, le sauveur : par lui, le troupeau accède à la vraie vie. « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. » C’est presque une confidence : Jésus nous dit pourquoi il est venu.
Pour terminer je retiendrais volontiers une leçon de cet évangile : Jésus nous dit que les brebis suivent le berger parce qu’elles connaissent sa voix : derrière cette image pastorale, on peut lire une réalité de la vie de foi ; nos contemporains ne suivront pas le Christ, ne seront pas ses disciples si nous ne faisons pas résonner la voix du Christ, si nous ne faisons pas connaître la Parole de Dieu.  J’y entends une fois de plus un appel à faire entendre par tous les moyens « le son de sa voix ».
—————–
Complément
A plusieurs reprises dans l’évangile de Jean, Jésus révèle sa mission dans des termes qui sont tout à fait clairs ; tantôt, il insiste sur le fait qu’il est l’envoyé du Père : un jour, à Jérusalem, par exemple, il a dit « Je suis venu au nom de mon Père » (Jn 5,43) ; tantôt il dit le contenu de sa mission : à Pilate, il affirme : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) ; ailleurs il parle de sauver le monde : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. » (Jn 12,47). Ou encore : « Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. » (Jn 12,46).

BENEDICTE DE LA CROIX (sainte ; 1891-1942), EDITH STEIN (1891-1942), EVANGILE SELON SAINT JEAN, MEDITATIONS, MEDITATIONS SUR L'EVANGILE DE SAINT JEAN, PRIERE, PRIERES

Méditation sur l’Evangile de Saint Jean

« Afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle »

la-mort-redemptrice-du-christ-represente-sur-l-embleme-du-serpent-de-bronze-de-secours-sur-la-porte-de-l-grossmunster-grand-minster-eglise-a-zurich-r62h64

Mon Seigneur et mon Dieu,

tu m’as guidée sur un long chemin obscur, pierreux et dur.

Mes forces semblaient souvent vouloir m’abandonner,

je n’espérais presque plus voir un jour la lumière.

Mon cœur se pétrifiait dans une souffrance profonde

quand la clarté d’une douce étoile se leva à mes yeux.

Fidèle, elle me guida et je la suivis

d’un pas d’abord timide, plus assuré ensuite.

J’arrivai enfin devant la porte de l’Église.

Elle s’ouvrit. Je demandai à entrer.

Ta bénédiction m’accueille par la bouche de ton prêtre.

À l’intérieur des étoiles se succèdent,

des étoiles de fleurs rouges qui me montrent le chemin jusqu’à toi…

Et ta bonté permet qu’elles m’éclairent dans mon chemin vers toi.

Le mystère qu’il me fallait garder caché au profond de mon cœur,

je peux désormais l’annoncer à haute voix :

Je crois, je confesse ma foi !

Le prêtre me conduit aux marches de l’autel,

j’incline le front,

l’eau sainte coule sur ma tête.

Seigneur, est-il possible à quelqu’un de renaître

une fois écoulée la moitié de sa vie ? (Jn 3,4)

Tu l’as dit, et c’est pour moi devenu réalité.

Le poids des fautes et des peines de ma longue vie m’a quittée.

Debout, j’ai reçu le manteau blanc placé sur mes épaules,

symbole lumineux de la pureté !

J’ai porté à la main le cierge dont la flamme annonce

qu’en moi brûle ta vie sainte.

Mon cœur est désormais devenu la crèche qui attend ta présence.

Pour peu de temps !

Marie, ta mère, qui est aussi la mienne, m’a donné son nom.

À minuit elle dépose en mon cœur son enfant nouveau-né.

Oh ! nul cœur humain ne peut concevoir

ce que tu prépares à ceux qui t’aiment (1Co 2,9).

Tu es à moi désormais et jamais plus je ne te quitterai.

Où que puisse aller la route de ma vie, tu es auprès de moi.

Rien jamais ne pourra me séparer de ton amour (Rm 8,39).

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein] (1891-1942)
carmélite, martyre, copatronne de l’Europe
Poésie « Heilige Nacht » (trad. Malgré la nuit, Ad Solem 2002, p.21)

therese-benedicte-edith-stein-2

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 3,7b-15.

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Il vous faut naître d’en haut.

Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. »

Nicodème reprit : « Comment cela peut-il se faire ? »

Jésus lui répondit : « Tu es un maître qui enseigne Israël et tu ne connais pas ces choses-là ?

Amen, amen, je te le dis : nous parlons de ce que nous savons, nous témoignons de ce que nous avons vu, et vous ne recevez pas notre témoignage.

Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ?

Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.

De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,

afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.

Jesus-Nicodeme

ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, APPARITIOND DEJESUS AUX APÔTRES, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 117

Dimanche 16 avril 2023 : 2ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 16 avril 2023 : 2ème dimanche de Pâques

portaildetailpetit

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2,42-47

42 Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres
et à la communion fraternelle,
à la fraction du pain
et aux prières.
43 La crainte de Dieu était dans tous les cœurs
à la vue des nombreux prodiges et signes
accomplis par les Apôtres.
44 Tous les croyants vivaient ensemble,
et ils avaient tout en commun ;
45 ils vendaient leurs biens et leurs possessions,
et ils en partageaient le produit entre tous
en fonction des besoins de chacun.
46 Chaque jour, d’un même cœur,
ils fréquentaient assidûment le Temple,
ils rompaient le pain dans les maisons,
ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;
47 ils louaient Dieu
et avaient la faveur du peuple tout entier.
Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait
ceux qui allaient être sauvés.

LE PORTRAIT-TYPE DES COMMUNAUTES CHRETIENNES
Voilà un flash de la toute première communauté chrétienne comme Saint Luc aime en donner dans les Actes des Apôtres. A plusieurs reprises (j’en compte quatre) il dresse en une ou plusieurs lignes un portrait de ce type ; on dirait des photos de famille, en quelque sorte, des instantanés pris sur le vif.
Additionnés, ils dessinent un portrait qui nous paraît presque idyllique de la vie des premiers chrétiens : assidus à l’enseignement des apôtres et à la prière, vivant dans la louange du Seigneur et mettant tout en commun, semant sur leur passage de multiples guérisons et recrutant sans cesse de nouveaux membres…
Ce qui n’empêche pas Luc de raconter par ailleurs quelques difficultés bien concrètes de ces mêmes communautés… Ananie et Saphire par exemple, qui ont eu du mal à pratiquer jusqu’au bout le partage des biens, et, plus grave encore, les difficultés de coexistence entre Chrétiens d’origine juive et Chrétiens d’origine païenne…
On peut se demander quel message Luc veut nous faire passer en dressant ainsi ces portraits si beaux, presque irréels ? Cela fait penser aux photos de famille des jours de fête qui habillent les murs de nos maisons, les albums de photos ou les pêle-mêle que nous aimons regarder. Evidemment, on a sélectionné les meilleures photos ; en les regardant, nous prenons conscience de la beauté de nos familles et de la joie de certains jours privilégiés.
Pour saint Luc, c’est certainement cela, mais c’est aussi beaucoup plus que cela : c’est la preuve que les temps messianiques sont arrivés. Les apôtres sont devenus capables de vivre en frères, grâce au don de l’Esprit ; voilà, nous dit-il, ce que l’Esprit nous rend capables de faire : lui qui « continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (selon la superbe formule de la quatrième Prière Eucharistique). Voilà la marque de l’Esprit répandu sur le monde par le Messie : c’est bien ce qu’avaient promis les prophètes. La fraternité, la paix, la justice, l’abolition du mal sont les valeurs du Royaume de Dieu que devait instaurer le Messie ; or les premiers chrétiens en ont donné l’exemple à plusieurs reprises !
C’est donc la preuve que Jésus est bien le Messie attendu, la preuve qu’il a répandu l’Esprit de Dieu sur le monde. Alors on comprend la phrase : « La crainte de Dieu était dans tous les cœurs » : c’est l’émerveillement devant l’œuvre de Dieu. Luc nous dit : voyez mes frères, les premiers signes du Royaume sont bien là ; voilà ce que l’Esprit Saint nous permet de vivre dans nos familles, nos paroisses et nos communautés lorsque nous nous laissons guider par lui dans la lumière de Pâques. Depuis la Résurrection du Christ, l’humanité nouvelle est née, celle qui grandit lentement autour et à l’image du Fils de Dieu. Saint Paul dirait : regardez, nous sommes vraiment ressuscités ! C’est-à-dire « nous vivons vraiment d’une vie nouvelle, le vieil homme (l’ancien comportement) est mort ».
LA VIE FRATERNELLE, CONDITION DE L’EXPANSION DE L’EVANGILE
Luc, le païen converti, s’émerveille de l’expansion irrésistible de l’évangile : « Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. » Je remarque, au passage, que c’est le Seigneur qui faisait entrer de nouveaux membres dans la communauté ! A nous, que nous est-il demandé ? Peut-être, tout simplement, d’être de vraies communautés chrétiennes, dignes de ce nom. Car c’est par sa vie bien concrète que la communauté porte témoignage de la Résurrection du Christ : une vie faite de partage de la Parole et du pain, de prière, de partage de tous les biens de chacun, le tout dans la joie ! C’est le monde à l’envers !
En particulier, le dépouillement personnel et le partage de tous les biens, voilà bien la chose irréalisable pour des hommes ordinaires… à moins qu’ils ne soient habités par l’Esprit de Dieu, celui que le Christ lui-même leur a insufflé. Jésus avait bien dit : « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». C’est cela qui prouvera au monde entier que Jésus est vivant ; voilà qui juge une fois pour toutes nos querelles et nos médisances, nos intolérances et nos divisions, nos refus de partager.
Il ne nous est pas interdit, bien sûr, de puiser dans ces beaux portraits des critères de vérification de la qualité de nos propres communautés (familles, équipes, communautés chrétiennes). C’est un peu comme si nous Luc nous disait : A bon entendeur salut !
Car, finalement, c’est bien un programme de vie chrétienne que nous venons d’entendre ; si je compte bien, il y a quatre points : écouter l’enseignement des Apôtres, vivre en communion fraternelle, y compris le partage de tous les biens, rompre le pain et participer aux prières.
Pour finir, il me semble que la très grande Bonne Nouvelle de ce texte, c’est que ce nouveau comportement inspiré par l’Esprit Saint est possible ! Tout comme les photos des jours de fête nous rappellent les possibilités d’amour de nos familles !
Mais cela peut aussi nous inspirer quelques questions : je m’arrête à l’une des expressions de Luc : « Ils rompaient le pain dans les maisons ». Nous dirions aujourd’hui l’Eucharistie. Cela veut dire au moins trois choses : d’abord, la messe du dimanche (pour ceux qui ont la chance d’en avoir une à leur portée), est beaucoup plus qu’une obligation, c’est une nécessité vitale ! Parce que la pratique eucharistique est indispensable à chacun d’entre nous pour sa vie de foi ; ensuite, plus grave encore, c’est la communauté qui est privée de l’un de ses membres chaque fois que l’un d’entre nous ne participe pas à l’eucharistie.
Enfin, troisième chose, une communauté est gravement pénalisée quand elle est privée de ce ressourcement régulier : cela pose évidemment tout le problème de tant de communautés chrétiennes privées de prêtre parfois depuis longtemps, pendant que certaines paroisses de ville offrent un large échantillonnage d’heures de messes pour satisfaire toutes les exigences. Nous ne pouvons qu’admirer le dynamisme de la foi de ceux d’entre nous qui savent faire vivre leurs communautés malgré l’absence de prêtre.

PSAUME – 117 (118)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR :
Éternel est son amour !

On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le SEIGNEUR m’a défendu.
Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du SEIGNEUR,
la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

DANS L’ATTENTE DU MESSIE
Nous avons déjà chanté ce psaume 117/118 pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et même, chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l’Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, Chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l’Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort. C’est donc à ce double niveau de l’attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l’entendre.
C’est un psaume de louange : il commence d’ailleurs par le mot « Alleluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l’ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins « Yah », qui en est la première syllabe… et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l’amour de Dieu, l’oeuvre de Dieu pour son peuple… Une vraie litanie !
Ce psaume de louange est prévu pour accompagner un sacrifice d’action de grâce au cours de la fête des Tentes, cette fête très importante et très joyeuse qui dure huit jours en automne : on a des traces de la joie de cette fête dans le texte même du psaume ; par exemple : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, jour de fête et jour de joie ».
LA FETE DES TENTES A JERUSALEM
Je vous rappelle les rites les plus importants de cette fête : tout d’abord, on habite pendant huit jours sous des tentes en souvenir des tentes de l’Exode après la sortie d’Egypte, pour retrouver le goût de l’Alliance. Ensuite, il y a de nombreuses célébrations au temple de Jérusalem et l’on fait des processions autour de l’autel en agitant des rameaux et en chantant « Hosanna » qui signifie « Donne, SEIGNEUR, donne le salut » ; et parce que l’attente du Messie est très marquée dans l’esprit de cette fête, on répète « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient », comme une sorte de prière pour hâter sa venue. (Nous faisons quelque chose d’analogue quand nous célébrons – déjà ! – une fête du Christ-Roi.) Un autre rite marquant était une grande illumination spectaculaire du Temple, le dernier soir. Tous ces rites, nous pouvons en entendre l’écho dans ce psaume, à condition de le lire en entier.
Voici quelques autres versets que nous n’entendons pas dans la liturgie de ce deuxième dimanche de Pâques : « Rameaux en main, formez vos cortèges jusqu’auprès de l’autel. »… « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient »… « Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine » (allusion à l’illumination du dernier soir).
Tout ceci, ce sont les mots de la louange ; voici les motifs maintenant : pour parler de l’histoire d’Israël, le psaume raconte l’histoire d’un roi qui vient d’affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l’avoir soutenu. Il dit par exemple : « on m’a poussé, bousculé pour m’abattre, mais le SEIGNEUR m’a défendu »… et encore « toutes les nations m’ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » et encore : « non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres  du Seigneur ». C’est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l’assaillaient ; mais, en réalité, nous savons ce qu’il faut lire entre les lignes : c’est l’histoire du peuple d’Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l’anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l’a relevé et il le célèbre dans cette grande fête des tentes : il chante « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres  du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des œuvres  du Seigneur, c’est la vocation propre d’Israël ; et c’est dans la conscience même de cette vocation qu’il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l’histoire.
Et maintenant, quelques mots sur le sens de ce psaume pour les Chrétiens : tout d’abord, vous avez remarqué la parenté entre la fête juive des Tentes et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.
LA PIERRE REJETÉE PAR LES BÂTISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE
Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l’ont présenté comme le roi véritable : pour n’en citer qu’un, par exemple, Matthieu a construit l’épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n’est pas celui que disent les historiens (c’est-à-dire Hérode) mais l’enfant de Bethléem… ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente bien Jésus comme le vrai roi des Juifs…
En méditant le mystère de ce Messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. » (Jésus avait cité cette phrase dans la parabole des vignerons homicides). Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse* ; lui, rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l’Israël nouveau.
Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l’expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.
Enfin, on sait que ce psaume était chanté à Jérusalem à l’occasion d’un sacrifice d’action de grâce ; Jésus, lui, vient d’accomplir « le » sacrifice d’action de grâce par excellence ! Il prend la tête de l’Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c’est même ce qui caractérise Jésus. Toute son attitude envers son Père n’est qu’action de grâce et c’est cela justement qui inaugure entre Dieu et l’humanité l’Alliance nouvelle : celle où l’humanité n’est que réponse d’amour à l’amour du Père.
————–
Note *Sur la pierre angulaire, voir le commentaire du psaume 117/118 pour le dimanche de Pâques.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 1, 3-9

3 Béni soit Dieu, le Père
de notre Seigneur Jésus Christ :
dans sa grande miséricorde,
il nous a fait renaître pour une vivante espérance
grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts,
4 pour un héritage qui ne connaîtra
ni corruption, ni souillure, ni flétrissure.
Cet héritage vous est réservé dans les cieux,
5 à vous que la puissance de Dieu garde par la foi,
pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps.
6 Aussi vous exultez de joie,
même s’il faut que vous soyez affligés,
pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;
7 elles vérifieront la valeur de votre foi
qui a bien plus de prix que l’or
– cet or voué à disparaître
et pourtant vérifié par le feu –,
afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur
quand se révélera Jésus Christ.
8 Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ;
en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi,
vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire,
9 car vous allez obtenir le salut des âmes
qui est l’aboutissement de votre foi.

LA FOI ET LA JOIE DES BAPTISES
Il y a un tel souffle de liberté dans ce passage que certains se demandent si Pierre n’a pas repris une hymne qu’on chantait pendant les baptêmes… On n’en a pas la preuve, mais c’est en tout cas une hypothèse intéressante qui peut nous aider à mieux comprendre ce texte.
On y reconnaît facilement trois strophes : je commence par les distinguer tout simplement en vous donnant un résumé de chacune d’elles : Première strophe, le début de notre texte (les versets 3, 4, 5) : « Béni soit Dieu… Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts. » Comme dit un chant bien connu : « Dieu fait de nous en Jésus-Christ des hommes libres… »
Deuxième strophe, les versets suivants (6 et 7) ; (je la résume) : l’espérance nous fait tressaillir de joie déjà, mais nous sommes encore dans le temps de l’épreuve de notre foi ;
Troisième strophe, les derniers versets (8 et 9) : heureux ceux qui croient sans avoir vu ; notre foi nous procure déjà une joie inexprimable qui nous transfigure.
Vous avez remarqué déjà le mot « foi » qui figure cinq fois dans ces quelques lignes. Ce qui n’est pas étonnant, si on est dans une célébration de baptême ; et aussi une joie formidable, il dit « inexprimable », malgré les épreuves présentes (« même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves », verset 6) : cela s’adresse visiblement à des communautés chrétiennes qui vivent en monde hostile ; il faut croire que c’était le cas des lecteurs de Pierre.
Je reprends les trois strophes une à une : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ » : la tournure est juive, la formule est chrétienne ; commencer par une grande bénédiction de Dieu, c’est typique de la prière juive ; et c’est certainement quelqu’un qui a beaucoup chanté les psaumes qui peut écrire un texte pareil ! Mais le contenu est chrétien : dans les psaumes, Dieu est chanté comme le Dieu des Pères, Abraham, Isaac, Jacob… désormais la Révélation a franchi un pas décisif : Dieu est connu maintenant comme Père de Jésus Christ et c’est par Jésus Christ qu’il accomplit son dessein sur l’humanité.
« Dieu nous a fait renaître grâce à la Résurrection de Jésus Christ » : comme Jésus lui-même dans son dialogue avec Nicodème, Pierre parle du baptême comme d’une nouvelle naissance et cette nouvelle naissance a sa source dans la résurrection du Christ ; aujourd’hui, nous, après deux mille ans de Christianisme, sommes tellement habitués à la formule « Jésus Christ est ressuscité » que nous ne ressentons peut-être plus aucun choc à la dire ; mais les premiers Chrétiens vivaient cela comme une véritable révolution : désormais, pour eux, la face du monde était changée ; comme dit Paul, « le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17).
« DIEU NOUS A FAIT RENAÎTRE GRÂCE À LA RÉSURRECTION DE JÉSUS CHRIST »
On retrouve aussi très fortement chez Pierre un autre thème habituel de Paul : la tension entre le présent et l’avenir : tout est déjà accompli dans la résurrection du Christ et donc il parle au passé : « Dieu nous a fait renaître »… tout est joué, si l’on peut dire ; mais tout reste encore à venir : nous sommes tendus vers le « salut (qui est) prêt à se révéler dans les derniers temps » comme dit Pierre.
Ce mot « salut », on pourrait le traduire par « vie »… « qui ne connaît ni corruption, ni souillure, ni flétrissure » ; on pourrait le traduire aussi par « libération » de tout ce qui est justement « corruption, souillure, flétrissure ». Un salut, une libération déjà accomplie en Jésus Christ mais dans laquelle toute l’humanité n’est pas encore entrée, et c’est cela qui reste à venir.
C’est ce « déjà accompli » qui nous fait dès maintenant « tressaillir de joie » comme dit Pierre ; les jours où nous sommes moroses sont peut-être bien ceux où nous perdons de vue cette grande nouvelle de Pâques : la grande nouvelle qui est que l’amour et la vie sont plus forts que toutes les haines et que la mort ; mais il est vrai que, dans certaines situations, cette certitude a tendance à s’estomper et notre foi est alors mise à l’épreuve ! Et la deuxième strophe le dit bien : « Vous êtes attristés pour un peu de temps encore par toutes sortes d’épreuves », dit Pierre. La suite de la lettre laisse entrevoir les difficultés dont il s’agit, probablement l’hostilité rencontrée par ces jeunes Chrétiens qui font figure de marginaux en monde païen.
La dernière strophe reprend ce thème de la foi dans le temps de l’attente ; Pierre, lui, a eu le privilège de connaître, de côtoyer longuement Jésus Christ, mais il s’adresse à des Chrétiens qui n’ont pas connu Jésus et il développe pour eux la béatitude que Jésus avait dite à Thomas « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » et il les encourage : « Vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire ».
Quand il emploie l’expression « une joie remplie de gloire » Pierre sait de quoi il parle, lui qui a eu le privilège d’assister à la transfiguration de Jésus : et sur le visage des Chrétiens, il retrouve un reflet de la lumière qui irradiait Jésus lui-même.
Cette insistance de Pierre sur la joie des chrétiens, une joie à la fois inexprimable et plus forte que toutes les épreuves passagères, résonne comme un appel ! Peut-être nos contemporains attendent-ils tout simplement de voir sur nos visages la joie de notre Baptême, un reflet de Jésus transfiguré ?
————–
Complément
Traditionnellement, ce dimanche s’appelait « in albis », ce qui veut dire « en vêtements blancs ». Car les nouveaux baptisés de la Nuit de Pâques avaient porté leur robe de Baptême pendant toute la semaine pascale. Et ce dimanche figurait pour eux comme une fête des baptisés.

EVANGILE – selon saint Jean 20,19-31

C’était après la mort de Jésus.
19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés,
ils seront maintenus. »
24 Or, l’un des Douze, Thomas,
appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
« Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara :
« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté,
non, je ne croirai pas ! »
26 Huit jours plus tard,
les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient,
alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d’eux.
Il dit :
« La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas :
« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d’être incrédule,
sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
« Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit :
« Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d’autres signes
que Jésus a faits en présence des disciples
et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là ont été écrits
pour que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE
« C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine », c’est-à-dire le dimanche : ce n’est pas seulement une précision matérielle que Saint Jean nous donne : c’est plutôt comme un clin d’oeil ; quand Jean écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés… cinquante ans que les Chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la Résurrection de Jésus. Le clin d’oeil, c’est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Le rassemblement des Chrétiens chaque dimanche en mémoire de la résurrection du Christ est né là. Ce rassemblement du dimanche était une caractéristique des Chrétiens dans le monde juif.
Car, pour les Juifs, depuis des siècles, le dimanche était un jour de travail comme les autres, le premier jour de la semaine ; c’est le septième jour, le samedi (le shabbat) qui était jour de fête, de repos, de rassemblement, de prière.
Or, c’est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s’est montré vivant à ses apôtres après sa Résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les Chrétiens, ce jour-là a pris un sens particulier. Ce premier jour de la semaine leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les Chrétiens comme le début de la nouvelle Création.
« Alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. ». Jean souligne le contraste : les disciples sont enfermés, ils ont peur et, humainement, on les comprend ! Si on a tué le Maître, on peut bien tuer les disciples. Cela ne souligne que mieux la liberté du Christ. Tout est verrouillé, cela n’a pas l’air d’être un problème pour lui ! Il ne connaît pas les verrous, mais surtout, il n’a pas l’air de connaître la peur !
Et, précisément, sa première parole, c’est « la Paix soit avec vous »… C’était le salut juif habituel… mais quand même c’est une étrange salutation après tout ce qu’on vient de vivre ! La crainte, l’angoisse des derniers mois avant l’arrestation de Jésus, l’horreur de sa Passion et de sa mort, la nuit du Jeudi, la journée du vendredi, et ce silence du samedi, une fois Jésus mis au tombeau … Est-ce qu’on peut être dans la Paix… comme si rien n’était arrivé ?
Et en même temps, c’est fou, mais c’est bien vrai quand même : Il est bel et bien vivant… et, pour le prouver, il montre ses plaies qui sont les marques de la crucifixion. Au passage, je remarque que les marques sont bien là dans ses mains, ses pieds, son côté : la Résurrection ne gomme donc pas la mort.
Alors, même si cela paraît fou, Saint Jean nous dit « les disciples furent remplis de joie ! » C’est inouï ce qui leur arrive ! Et, à ce moment-là, Saint Jean continue : « Jésus leur dit de nouveau : La Paix soit avec vous ». Alors, ils peuvent réellement être dans la Paix… non pas comme si rien n’était arrivé… mais malgré ce qui est arrivé : parce que cette Paix du Ressuscité est très au-delà de ce qui peut arriver !
UNE MISSION DE RECONCILIATION
« Ayant ainsi parlé, Jésus répandit sur eux son souffle, et il leur dit : Recevez l’Esprit-Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » On est frappés du lien entre le don de l’Esprit et la mission de réconciliation : dans la Bible, l’Esprit est toujours donné pour une mission ; et il n’y a pas d’autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.
C’est un ordre, un commandement que Jésus donne : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » Allez annoncer que les péchés sont remis, c’est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n’y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père sollicite votre collaboration pour cela. « Comme le Père m’a envoyé… » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c’est comme s’il nous disait : « Le Père m’a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ; annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon… à votre tour, je vous envoie pour la même mission. » Le seul péché, celui qui est la racine de tous les autres, c’est de ne pas croire à l’amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l’amour de Dieu.
Reste la phrase « Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c’est ignorer l’amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l’amour de Dieu et en vivent… Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez rempli votre mission… « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX COLOSSIENS, LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 117, RESURRECTION

Dimanche 9 avril 2023 : dimanche de Pâques : lecture et commentaires

Dimanche 9 avril 2023 : Dimanche de Pâques

musée-du-vatican-jésus-résurrection-tapisserie-rome-italie-la-de-remonte-à-tomb-163660473

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 10,34a.37-43

En ces jours-là,
quand Pierre arriva à Césarée
chez un centurion de l’armée romaine,
34 il prit la parole et dit :
37 « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs
depuis les commencements en Galilée,
après le baptême proclamé par Jean :
38 Jésus de Nazareth,
Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance.
Là où il passait, il faisait le bien
et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
car Dieu était avec lui.
39 Et nous, nous sommes témoins
de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,
40 Dieu l’a ressuscité le troisième jour.
41 Il lui a donné de se manifester,
non pas à tout le peuple,
mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance,
à nous qui avons mangé et bu avec lui
après sa résurrection d’entre les morts.
42 Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner
que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts.
43 C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage :
quiconque croit en lui
reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

PIERRE, LE JUIF, CHEZ LE PAIEN CORNEILLE
Pierre est à Césarée sur Mer (il y avait là effectivement une garnison romaine), et il est entré dans la maison de Corneille, un officier romain. Comment en est-il arrivé là ? Et que vient-il y faire ? En fait, si Pierre est là, c’est parce qu’il a été quelque peu bousculé par l’Esprit Saint. Il faut relire le récit de la vision de Joppé dans ce même chapitre des Actes. D’autre part, peu de temps auparavant, Pierre vient d’accomplir deux miracles : il a guéri un homme, Enée, à Lydda, et ensuite, il a ressuscité une femme, Tabitha, à Joppé (on dirait aujourd’hui Jaffa ; Ac 9,32-43). Ces deux miracles lui ont prouvé que le Seigneur ressuscité était avec lui et agissait à travers lui. Car Jésus avait bien annoncé que, comme lui, et en son nom, les apôtres chasseraient les démons, guériraient les malades, et ressusciteraient les morts.
Ce sont ces deux miracles qui ont donné à Pierre la force de franchir l’étape suivante, qui est décisive : il s’agit cette fois d’un miracle sur lui-même, si l’on peut dire ! Car, pour la première fois, contrairement à toute son éducation, à toutes ses certitudes, Pierre, le Juif, franchit le seuil d’un païen, Corneille, le centurion romain ; il est vrai que Corneille est un païen très ami des Juifs, on dit qu’il est un « craignant Dieu » ; c’est-à-dire un converti à la religion juive mais qui n’est pas allé jusqu’à en adopter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Or la circoncision est la marque de l’Alliance ; donc un « craignant Dieu » reste un incirconcis, un païen. Et c’est chez ce païen, Corneille, que Pierre est entré et il y annonce la grande nouvelle : Jésus de Nazareth est ressuscité ! (Et, ce même jour, Corneille sera baptisé ainsi que toute sa famille.) Traduisez : l’Evangile est en train de déborder les frontières d’Israël !
On dit souvent que Paul est l’apôtre des païens, mais il faut rendre justice à Pierre : si l’on en croit les Actes des Apôtres, c’est lui qui a commencé, et à Césarée, justement, chez le centurion romain Corneille. Et ce que nous venons d’entendre, c’est donc le discours que Pierre a prononcé chez Corneille, en ce jour mémorable. Et sa dernière phrase est une véritable révolution : « Quiconque croit en lui (Jésus) reçoit par son nom le pardon de ses péchés. » Pierre vient de le comprendre : « Quiconque », cela veut dire « pas seulement les Juifs ». Même des païens peuvent entrer dans l’Alliance. Le salut a d’abord été annoncé à Israël, mais désormais il suffit de croire en Jésus-Christ pour recevoir le pardon de ses péchés, c’est-à-dire pour entrer dans l’Alliance avec Dieu. Et donc tout homme, même non-Juif (c’est le sens du mot « païen » ici), peut être baptisé au nom de Jésus. Visiblement, ce fut la grande découverte des premiers Chrétiens, Paul et Pierre y insistent tous les deux : il suffit de croire en Jésus pour être sauvé !
IL SUFFIT DE CROIRE EN JESUS POUR ETRE SAUVE
L’ensemble du discours de Pierre chez Corneille est révélateur de l’état d’esprit des Apôtres dans les années qui ont suivi la Résurrection de Jésus. Ils avaient été les témoins privilégiés des paroles et des gestes de Jésus, et ils avaient peu à peu compris qu’il était le Messie que tout le peuple attendait. Et puis, il y avait eu le Vendredi-Saint : Dieu avait laissé mourir Jésus de Nazareth ; certainement, Dieu n’aurait pas laissé mourir son Messie, son Envoyé ; leur déception avait été immense ; Jésus de Nazareth ne pouvait pas être le Messie.
Et puis ce fut le coup de tonnerre de la Résurrection : non, Dieu n’avait pas abandonné son Envoyé, il l’avait ressuscité. Et les Apôtres avaient eu de nombreuses rencontres avec Jésus vivant ; et maintenant, depuis l’Ascension et la Pentecôte, ils consacraient toutes leurs forces à l’annoncer à tous ; c’est très exactement ce que Pierre dit à Corneille : « Nous, (les Apôtres), nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour… Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »
Il restera pour les Apôtres une tâche immense : si la résurrection de Jésus était la preuve qu’il était bien l’Envoyé de Dieu, elle n’expliquait pas pourquoi il avait fallu passer par cette mort infâmante et cet abandon de tous. La plupart des gens attendaient un Messie qui serait un roi puissant, glorieux, chassant les Romains ; Jésus ne l’était pas. Quelques-uns imaginaient que le Messie serait un prêtre, il ne l’était pas non plus, il ne descendait pas de Lévi ; et l’on pourrait faire la liste de toutes les attentes déçues.
Alors les Apôtres ont entrepris un formidable travail de réflexion : ils ont relu toutes leurs Ecritures, la Loi, les Prophètes et les Psaumes, pour essayer de comprendre. Il a fallu tout ce travail de relecture, après la Pentecôte, à la lumière de l’Esprit Saint, pour arriver à dire, comme le fait Pierre ici : « C’est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage… Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts ».
Un autre aspect tout à fait remarquable de ce discours de Pierre, c’est son insistance pour dire que c’est Dieu qui agit ! Jésus de Nazareth était un homme apparemment semblable à tous les autres, mortel comme tous les autres… eh bien, Dieu agissait en lui et à travers lui : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance, Dieu était avec lui, Dieu l’a ressuscité, Dieu lui a donné de se manifester à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, Dieu l’a établi Juge des vivants et des morts… »
Et la phrase qui résume tout cela : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit-Saint et de puissance. » Désormais, Pierre vient de le comprendre, tout homme, Juif ou païen, peut grâce à Jésus-Christ être lui aussi consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force !

PSAUME – 117 (118),1.2,16-17.22-23

1 Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon !
Eternel est son amour !
2 Oui, que le dise Israël :
Eternel est son amour !

16 Le bras du SEIGNEUR se lève,
le bras du SEIGNEUR est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du SEIGNEUR.

22 La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle.
23 C’est là l’œuvre  du SEIGNEUR,
la merveille devant nos yeux.

JE VIVRAI, POUR ANNONCER LES ACTIONS DU SEIGNEUR
Si l’on ne veut pas faire d’anachronisme, il faut admettre que ce psaume n’a pas été écrit d’abord pour Jésus-Christ ! Comme tous les psaumes, il a été composé, des siècles avant le Christ, pour être chanté au Temple de Jérusalem. Comme tous les psaumes aussi, il redit toute l’histoire d’Israël, cette longue histoire d’Alliance : c’est cela qu’on appelle « l’œuvre  du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux … ». C’est l’expérience qui fait dire au peuple élu : oui, vraiment, l’amour de Dieu est éternel ! Dieu a accompagné son peuple tout au long de son histoire, et toujours il l’a sauvé de ses épreuves.
On a là un écho du chant de victoire que le peuple libéré d’Egypte a entonné après le passage de la Mer Rouge : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR, il est pour moi le salut » (Ex 15,1). Les mots « œuvre  » ou « merveille » sont toujours dans la Bible une allusion à la libération d’Egypte. Et quand je dis « allusion », le mot est trop faible, c’est un « faire mémoire » au sens fort de ressourcement dans la mémoire commune du peuple.
« Le bras du SEIGNEUR se lève, Le bras du SEIGNEUR est fort », c’est aussi un faire mémoire de la libération d’Egypte. Et cette oeuvre de libération de Dieu n’est pas seulement celle d’un jour, elle est permanente, on l’a sans cesse expérimentée. C’est vraiment d’expérience qu’Israël peut le dire : « Eternel est son amour ».
Et c’est cet amour éternel de Dieu qui fonde l’espérance : car, chaque fois qu’on chante les libérations du passé, c’est aussi et surtout pour y puiser la force d’attendre celles de l’avenir ; Dieu enverra son Messie et enfin on connaîtra le bonheur promis ; enfin le peuple élu et avec lui l’humanité tout entière connaîtront la paix et la justice. On en est loin encore quand ce psaume est composé… et aujourd’hui encore !
Mais notre lointain ancêtre qui écrit ce psaume sait que Dieu est capable de transformer toutes les situations, y compris les situations de mort en situations de vie : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR ». C’est l’action de grâce du peuple qui a frôlé la mort et rend grâce pour sa libération. A l’heure où ce psaume est écrit, cela ne signifie pas une croyance en la résurrection ; nous savons bien que la foi en la résurrection n’est apparue que très tardivement en Israël ; cette affirmation « Non, je ne mourrai pas, je vivrai » est une réelle profession de foi, mais d’un autre ordre : c’est la certitude que Dieu n’abandonnera jamais son peuple : même dans les pires situations, quand l’avenir du peuple est compromis, on sait de façon absolument certaine que Dieu le fera survivre. Car la vocation de ce peuple, c’est précisément de vivre pour « annoncer les actions du SEIGNEUR ».
LA PIERRE QU’ONT REJETEE LES BATISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE
Pour donner une idée de ces retournements que Dieu est capable d’opérer, on emprunte le langage des architectes : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Quand ce psaume est composé, ce n’est pas la première fois qu’on emploie l’image de la pierre angulaire pour parler de l’œuvre  de Dieu : Isaïe l’avait déjà fait (au chapitre 28).
Dans une période où la société de Jérusalem se dégradait, où régnaient partout le mensonge, l’injustice, la corruption, le mépris des commandements de Dieu, le prophète rappelait qu’on récolte ce qu’on a semé : une telle société court inévitablement à sa perte. Isaïe avait dit alors quelque chose comme ‘Vous vous appuyez sur du vent. Vous savez bien pourtant que le droit et la justice sont les seules valeurs sûres… Vous êtes comme des bâtisseurs qui choisiraient les plus mauvaises pierres pour faire les fondations ! Et qui rejetteraient systématiquement les bonnes pierres bien solides’ (traduisez les vraies valeurs).
Mais un prophète ne reste jamais sur du négatif ! Car Dieu n’abandonne jamais son peuple… La construction est mal engagée ? Les architectes auxquels il l’avait confiée ont mal travaillé ? Qu’à cela ne tienne… Dieu va reprendre lui-même la direction des opérations. Il va rétablir le droit et la justice à Jérusalem. Il le fera comme un architecte, il va en quelque sorte rebâtir sa ville ! Mais sur des bases saines, cette fois.
Voici ce passage d’Isaïe : « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Moi, dans Sion, je pose une pierre, une pierre à toute épreuve, choisie pour être une pierre d’angle, une véritable pierre de fondement. Celui qui croit ne s’inquiétera pas. Je prendrai le droit comme cordeau, et la justice comme fil à plomb. » (Is 28,16).
Notre psaume reprend cette image de la pierre angulaire et il la précise pour annoncer le retournement spectaculaire que Dieu va opérer. C’est sur toutes ces valeurs méprisées par les mauvais gouvernants que Dieu va bâtir une société nouvelle ; mieux, c’est de tous les petits, les humbles, les méprisés, qu’il va faire naître le peuple nouveau ! « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».
Jésus lui-même a cité à son propre sujet cette parole prophétique « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » dans la parabole des vignerons homicides (qui tuent le fils du propriétaire) ; on trouve cette parabole dans les trois évangiles synoptiques : ce qui prouve l’importance de ce thème dans la première génération chrétienne (Mt 21,33-46 ; Mc 12,1-12 ; Lc 20,9-19).
C’est donc tout naturellement que ce psaume est devenu l’exultation pascale par excellence. Le Christ est cette pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs : il est devenu la pierre d’angle, la pierre de fondation de l’humanité nouvelle. Désormais, l’humanité libérée de la mort peut chanter avec lui : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »

DEUXIEME LECTURE –

lettre de saint Paul apôtre aux Col 3,1-4 et aux Corinthiens 5,6b-8

 

La liturgie nous propose deux lectures au choix, mais il est très intéressant de les lire et de les méditer toutes les deux ensemble !
Lecture de quelques versets de saint Paul dans la lettre aux Colossiens et dans la 1ère lettre aux Corinthiens
 

Colossiens 3,1-4
1 Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ,
recherchez les réalités d’en haut :
c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu.
2 Pensez aux réalités d’en haut,
non à celles de la terre.
3 En effet, vous êtes passés par la mort,
et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
4 Quand paraîtra le Christ, votre vie,
alors vous aussi,
vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
————————————————-
1 Corinthiens 5,6b-8
Frères,
6 Ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit
pour que fermente toute la pâte ?
7 Purifiez-vous donc des vieux ferments
et vous serez une pâte nouvelle,
vous qui êtes le pain de la Pâque,
celui qui n’a pas fermenté.
Car notre agneau pascal a été immolé :
c’est le Christ.
8 Ainsi, célébrons la Fête,
non pas avec de vieux ferments,
non pas avec ceux de la perversité et du vice,
mais avec du pain non fermenté,
celui de la droiture et de la vérité.

RESSUSCITES AVEC LE CHRIST
Tout d’abord, il faut nous habituer au vocabulaire de saint Paul ; par exemple, nous pouvons être un peu surpris d’entendre : « Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ… vous êtes passés par la mort ». A vrai dire, si nous sommes là, vous et moi, aujourd’hui, c’est que nous sommes bien vivants… c’est-à-dire pas encore morts… et encore moins ressuscités ! Il faut croire que les mots n’ont pas le même sens pour Paul que pour nous ! Car, pour lui, depuis ce fameux matin de Pâques, plus rien n’est comme avant.
Autre problème de vocabulaire : « Pensez aux réalités d’en-haut, non à celles de la terre. » Il ne s’agit pas, en fait, de choses (qu’elles soient d’en-haut ou d’en-bas), il s’agit de conduites, de manières de vivre… Ce que Paul appelle les « réalités d’en-haut », il le dit dans les versets suivants, c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel… Ce qu’il appelle les réalités terrestres, c’est la débauche, l’impureté, la passion, la cupidité, la convoitise… Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ mais il nous reste à égrener cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.
Si on continuait la lecture, on trouverait cette expression : « Vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau » (Col 3,10) ; et un peu plus loin « puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » (Col 3,12). Il me semble que c’est le meilleur commentaire du passage que nous lisons aujourd’hui. « Vous avez revêtu », c’est déjà fait… « revêtez », c’est encore à faire.
Nous retrouvons cette tension dans tout le reste de la prédication de Paul et en particulier dans cette même lettre aux Colossiens : « Vous étiez jadis étrangers à Dieu, et même ses ennemis, par vos pensées et vos actes mauvais. Mais maintenant, Dieu vous a réconciliés avec lui, dans le corps du Christ… Cela se réalise si vous restez solidement fondés dans la foi, sans vous détourner de l’espérance que vous avez reçue en écoutant l’Évangile… que personne ne vous égare par des arguments trop habiles. Menez donc votre vie dans le Christ Jésus, le Seigneur, tel que vous l’avez reçu. Soyez enracinés, édifiés en lui, restez fermes dans la foi, comme on vous l’a enseigné… Prenez garde à ceux qui veulent faire de vous leur proie par une philosophie vide et trompeuse, fondée sur la tradition des hommes, sur les forces qui régissent le monde, et non pas sur le Christ… Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » (Col 1,21… 2,12).
PURIFIEZ-VOUS DES VIEUX FERMENTS
Il ne s’agit donc pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire ; sachant que cet « autrement » est désormais possible, car c’est l’Esprit-Saint qui nous en rend capables. Le même Paul dira à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Col 3,17). C’est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s’agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Il n’est pas question de dénigrer les réalités terrestres ! Dieu nous les a confiées, au contraire, à nous de les transfigurer.
C’est dans cet esprit que Paul nous invite à être une pâte nouvelle : « Purifiez-vous donc des vieux ferments et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. » Ici, il fait allusion au rite des Azymes ; chaque année, au moment où l’on s’apprête à partager l’agneau pascal, on prend bien soin de nettoyer les maisons de toute trace du levain de la récolte de l’année dernière ; le repas de la nuit pascale (le seder) est accompagné de galettes de pain non levé (le pain azyme) et dans la semaine qui suit on continue à manger du pain sans levain en attendant d’avoir pu laisser fermenter le levain nouveau.
Les deux rites de l’agneau pascal et des Azymes étaient liés dans la célébration de la Pâque ; et Paul les lie dans son raisonnement : « Purifiez-vous des vieux ferments… notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ. » Paul fait donc référence à toute la symbolique de la fête pascale juive et il l’applique à la Pâque des chrétiens ; il n’a pas une seconde l’impression de changer le sens de la fête juive en parlant de la Pâque du Christ : au contraire, il voit dans la Résurrection du Christ le parfait achèvement du combat de libération que rappelait chaque année la Pâque juive.
Pour Paul, c’est une évidence : en Jésus l’ancienne fête des Azymes n’a pas perdu sa signification ; au contraire, elle trouve son sens plénier : la Pâque des Chrétiens est bien la fête de la libération, mais, désormais, la libération est définitive. Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a triomphé des pires chaînes, celles de la mort et de la haine. Et cette libération est contagieuse ; comme dit Paul, « un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ». L’Esprit qui poursuit son œuvre  dans le monde fera irrésistiblement « lever » comme une pâte l’humanité entière.

EVANGILE – selon saint Jean 20,1-9

1 Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
3 Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
4 Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
5 En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges posés à plat,
7 ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
8 C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
9 Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Ecriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

LE TOMBEAU VIDE
Jean note qu’il faisait encore sombre : la lumière de la Résurrection a troué la nuit ; on pense évidemment au Prologue du même évangile de Jean : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée (littéralement ‘saisie’) » au double sens du mot « saisir », qui signifie à la fois « comprendre » et « arrêter » ; les ténèbres n’ont pas compris la lumière, parce que, comme dit Jésus également chez Saint Jean « le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité » (Jn 14,17) ; ou encore : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière » (Jn 3,19) ; mais, malgré tout, les ténèbres ne pourront pas l’arrêter, au sens de l’empêcher de briller ; c’est toujours Saint Jean qui nous rapporte la phrase qui dit la victoire du Christ : « Moi, je suis vainqueur du monde ! » (Jn 16,33).
Donc, « alors que ce sont encore les ténèbres », Marie de Magdala voit que la pierre a été enlevée du tombeau ; elle court trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, (on suppose qu’il s’agit de Jean lui-même) et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Evidemment, les deux disciples se précipitent ; vous avez remarqué la déférence de Jean à l’égard de Pierre ; Jean court plus vite, il est plus jeune, probablement, mais il laisse Pierre entrer le premier dans le tombeau.
« Pierre entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Leur découverte se résume à cela : le tombeau vide et les linges restés sur place ; mais quand Jean entre à son tour, le texte dit : « C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Pour Saint Jean, ces linges sont des pièces à conviction : ils prouvent la Résurrection ; au moment même de l’exécution du Christ, et encore bien longtemps après, les adversaires des Chrétiens ont répandu le bruit que les disciples de Jésus avaient tout simplement subtilisé son corps. Saint Jean répond : ‘Si on avait pris le corps, on aurait pris les linges aussi ! Et s’il était encore mort, s’il s’agissait d’un cadavre, on n’aurait évidemment pas enlevé les linges qui le recouvraient.’
Ces linges sont la preuve que Jésus est désormais libéré de la mort : ces deux linges qui l’enserraient symbolisaient la passivité de la mort. Devant ces deux linges abandonnés, désormais inutiles, Jean vit et il crut ; il a tout de suite compris. Quand Lazare avait été ramené à la vie par Jésus, quelques jours auparavant, il était sorti lié ; son corps était encore prisonnier des chaînes du monde : il n’était pas un corps ressuscité ; Jésus, lui, sort délié : pleinement libéré ; son corps ressuscité ne connaît plus d’entrave.
La dernière phrase est un peu étonnante : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. »
CROIRE POUR ENTRER DANS L’INTELLIGENCE DES ECRITURES
Jean a déjà noté à plusieurs reprises dans son évangile qu’il a fallu attendre la Résurrection pour que les disciples comprennent le mystère du Christ, ses paroles et son comportement. Au moment de la Purification du Temple, lorsque Jésus avait fait un véritable scandale en chassant les vendeurs d’animaux et les changeurs, l’évangile de Jean dit : « Quand il (Jésus) se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite. » (Jn 2,22). Même chose lors de son entrée triomphale à Jérusalem, Jean note : « Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment ; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui : c’était bien ce qu’on lui avait fait. » (Jn 12,16).
Mais soyons francs : vous ne trouverez nulle part dans toute l’Ecriture une phrase pour dire que le Messie ressuscitera. Au bord du tombeau vide, Pierre et Jean ne viennent donc pas d’avoir une illumination comme si une phrase précise, mais oubliée, de l’Ecriture revenait tout d’un coup à leur mémoire ; mais, d’un trait, c’est l’ensemble du plan de Dieu qui leur est apparu ; comme dit Saint Luc à propos des disciples d’Emmaüs, leurs esprits se sont ouverts à « l’intelligence des Ecritures ».
« Il vit et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts… » C’est parce que Jean a cru que l’Ecriture s’est éclairée pour lui : jusqu’ici combien de choses de l’Ecriture lui étaient demeurées obscures ; mais parce que, tout d’un coup, il donne sa foi, sans hésiter, alors tout devient clair : il relit l’Ecriture autrement et elle lui devient lumineuse. L’expression « il fallait » dit cette évidence. Comme disait Saint Anselme, il ne faut pas comprendre pour croire, il faut croire pour comprendre.
A notre tour, nous n’aurons jamais d’autre preuve de la Résurrection du Christ que ce tombeau vide… Dans les jours qui suivent, il y a eu les apparitions du Ressuscité. Mais aucune de ces preuves n’est vraiment contraignante… Notre foi devra toujours se donner sans autre preuve que le témoignage des communautés chrétiennes qui l’ont maintenue jusqu’à nous. Mais si nous n’avons pas de preuves, nous pouvons vérifier les effets de la Résurrection : la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l’Esprit, comme dit Paul, est la plus belle preuve que Jésus est bien vivant !
——————
Compléments
– Jusqu’à cette expérience du tombeau vide, les disciples ne s’attendaient pas à la Résurrection de Jésus. Ils l’avaient vu mort, tout était donc fini… et, pourtant, ils ont quand même trouvé la force de courir jusqu’au tombeau… A nous désormais de trouver la force de lire dans nos vies et dans la vie du monde tous les signes de la Résurrection. L’Esprit nous a été donné pour cela. Désormais, chaque « premier jour de la semaine », nous courons, avec nos frères, à la rencontre mystérieuse du Ressuscité.
– C’est Marie-Madeleine qui a assisté la première à l’aube de l’humanité nouvelle ! Marie de Magdala, celle qui avait été délivrée de sept démons… elle est l’image de l’humanité tout entière qui découvre son Sauveur. Mais, visiblement, elle n’a pas compris tout de suite ce qui se passait : là aussi, elle est bien l’image de l’humanité !
Et, bien qu’elle n’ait pas tout compris, elle est quand même partie annoncer la nouvelle aux apôtres et c’est parce qu’elle a osé le faire, que Pierre et Jean ont couru vers le tombeau et que leurs yeux se sont ouverts. A notre tour, n’attendons pas d’avoir tout compris pour oser inviter le monde à la rencontre du Christ ressuscité.

CHRISTIANISME, EUGENE DELACROIX (1798-1863), EVANGILE SELON SAINT JEAN, LA RESURRECTION DE LAZARE, PEINTRE FRANÇAIS, PEINTURE

La Résurrection de Lazare

La Résurrection de Lazare (1850), Eugène Delacroix (1798-1863), Bâle (Suisse), Kunstmuseum.
03_encart_frce_full (1)

 

Le vestibule du sanctuaire de la Semaine sainte

C’est par cette belle expression que Paul VI, ouvrant la Semaine sainte 1978, commentait l’Évangile de la résurrection de Lazare.

Nous connaissons ce récit bouleversant où l’humanité du Christ transparaît à chaque verset. « Seigneur, celui que tu aimes est malade »,  lui annoncent Marthe et Marie (Jn 11, 3). Or Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare nous rapporte Jean (v. 5). Pourtant, Jésus ne se hâte pas, il s’en retourne en Judée puis dit à ses disciples : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil » (v. 11). Arrivé à Béthanie, Marthe puis Marie, sans lui en faire le reproche, lui disent toutes deux : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (v. 21.32). Jésus se mit à pleurer et repris par l’émotion, arriva au tombeau (v. 35.38). C’est alors que la résurrection advient : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller » (v. 43-44).

Le récit est donc celui de l’amitié du Christ pour Lazare et ses sœurs, de son émotion, de ses larmes. Mais c’est aussi, et surtout, le signe, le trop grand signe même puisqu’il conduit les grands prêtres à décider de sa mort, qu’il est bien le Messie. En ressuscitant son ami, en annonçant à Marthe :« Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (v. 25-26), Jésus précipite sa mise à mort. La résurrection de Lazare conduit à la mort du Christ. Abîme de l’amour. « Voilà la véritable nouveauté, qui surgit et franchit toutes les barrières ! Le Christ abat le mur de la mort, en Lui habite toute la plénitude de Dieu, qui est la vie, la vie éternelle. C’est pourquoi la mort n’a pas eu de pouvoir sur lui : et la résurrection de Lazare est le signe de sa domination totale sur la mort physique, qui devant Dieu est comme un sommeil », affirme Benoît XVI (Angélus, 10 avril 2011).

Le peintre-poète

Eugène Delacroix est sans doute l’un des plus grands artistes du xixe siècle. Capable de traiter tous les sujets dans les techniques les plus diverses, il excelle dans les grands formats historiques ou religieux, émerveille dans ses dessins rapides et vibrants. Charles Baudelaire l’avait élevé au rang des plus grands : « Quel est donc ce je ne sais quoi de mystérieux que Delacroix, pour la gloire de notre siècle, a mieux traduit qu’aucun autre ? C’est l’invisible, c’est l’impalpable, c’est le rêve, c’est les nerfs, c’est l’âme ; et il a fait cela, — observez-le bien, monsieur, — sans autres moyens que le contour et la couleur ; il l’a fait mieux que pas un ; il l’a fait avec la perfection d’un peintre consommé, avec la rigueur d’un littérateur subtil, avec l’éloquence d’un musicien passionné » (L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix).

La sensibilité romantique du poète trouvait dans le pinceau du peintre un étonnant écho. Baudelaire connaissait-il la Résurrection de Lazare de celui qu’il qualifiait de « peintre-poète » ? Il l’aurait assurément aimé.

C’est en 1850 que Delacroix l’exécute. Nous en connaissons un dessin préparatoire, conservé au musée du Louvre, qui prouve que le peintre s’est attaché à simplifier sa composition, à la débarrasser de tout élément superflu, abandonnant la foule nombreuse qui accompagnait le Christ dans cette première composition, pour se limiter à huit personnages. La scène se déroule dans un tombeau : le Christ est descendu, sans doute par la longue volée de marches qui crée une trouée lumineuse, à la droite de l’œuvre, pour s’approcher du tombeau de son ami Lazare. Il est accompagné de Marthe et de Marie, et d’un de ses disciples : ils forment au centre de l’œuvre le cercle de l’amitié et de la fraternité. Trois personnages masculins les accompagnent : le premier, de dos, au premier plan, soulève la lourde dalle du tombeau. Le second, qui l’a sans doute aidé, recueille le corps de Lazare : il le contemple avec étonnement et émerveillement, admirant la résurrection qui s’opère dans ses bras. Le troisième, derrière le Christ, approche sa tunique de son visage, sans doute pour se protéger de l’odeur nauséabonde.

Lazare s’éveille. La position de son corps, bras écartés, poings presque fermés, jambes pliées, et l’expression de son visage, yeux ouverts, attestent qu’il sort du sommeil de la mort. La composition est ordonnée par les jeux de répons chromatiques qui dessinent une diagonale : le blanc du linceul dans lequel Lazare avait été enseveli, celui de la tunique du Christ et les rouges, si fréquents chez Delacroix, de la tunique de l’homme qui tient Lazare et du manteau du Christ.

L’œil parcourt la toile en suivant le récit : c’est le dialogue entre le Christ et Lazare qui est le cœur de l’œuvre. En réduisant le nombre de personnages, en rythmant sa toile, tel un compositeur, par les gestes et les couleurs, Delacroix nous permet de pénétrer au plus profond de ce vestibule du sanctuaire de la Semaine sainte. Il faut descendre au tombeau pour ressusciter. S’abaisser pour être élevé. Quelle merveilleuse leçon spirituelle que la résurrection de Lazare ! 

Puissions-nous, en contemplant cette œuvre magistrale de Delacroix, écouter le Christ nous redire « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »

  

https://francais.magnificat.net/magnificat_content/la-resurrection-de-lazare/