ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT LUC, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 15

Dimanche 23 avril 2023 : 3ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 23 avril 2023 : 3ème dimanche de Pâqes

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2,14.22b-33

Le jour de la Pentecôte,
14 Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
éleva la voix et leur fit cette déclaration :
« Vous, Juifs,
et vous tous qui résidez à Jérusalem,
sachez bien ceci,
prêtez l’oreille à mes paroles.
22 Il s’agit de Jésus le Nazaréen,
homme que Dieu a accrédité auprès de vous
en accomplissant par lui des miracles, des prodiges
et des signes au milieu de vous,
comme vous le savez vous-mêmes.
23 Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu,
vous l’avez supprimé
en le clouant sur le bois par la main des impies.
24 Mais Dieu l’a ressuscité
en le délivrant des douleurs de la mort,
car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.
25 En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume :
Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite,
je suis inébranlable.
26 C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ;
ma chair elle-même reposera dans l’espérance :
27 tu ne peux m’abandonner au séjour des morts
ni laisser ton fidèle voir la corruption.
28 Tu m’as appris des chemins de vie,
tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
29 Frères, il est permis de vous dire avec assurance,
au sujet du patriarche David,
qu’il est mort, qu’il a été enseveli,
et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous.
30 Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré
de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui.
31 Il a vu d’avance la résurrection du Christ,
dont il a parlé ainsi :
Il n’a pas été abandonné à la mort,
et sa chair n’a pas vu la corruption.
32 Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ;
nous tous, nous en sommes témoins.
33 Élevé par la droite de Dieu,
il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis,
et il l’a répandu sur nous,
ainsi que vous le voyez et l’entendez.

LE DISCOURS DE PIERRE AU MATIN DE LA PENTECOTE
Le même Pierre, qui avait succombé à la peur pendant le procès de Jésus, au point de le renier publiquement, le même qui, après la mort du Christ, se calfeutrait avec les autres disciples dans une salle verrouillée, c’est bien le même que nous retrouvons aujourd’hui, un peu plus d’un mois après, (cinquante jours exactement) et cette fois, il improvise un grand discours devant des milliers de gens ! Il est debout ; si Luc note l’attitude de Pierre, c’est parce qu’elle est symbolique : d’une certaine manière Pierre est en train de se réveiller, de revivre, de se relever…
Première remarque avant d’aller plus loin : jusque là Pierre n’a donc pas été un modèle d’audace et c’est à lui que Jésus confie désormais la mission la plus audacieuse : continuer l’œuvre  d’évangélisation, une mission qui a coûté la vie au Fils de Dieu lui-même ! Celui qui avait renié son maître il n’y a pas si longtemps se réjouira bientôt d’être persécuté pour avoir trop parlé. C’est certainement l’un des plus grands miracles des Actes des Apôtres ! Quand je dis miracle, je veux dire que cette force toute neuve, cette audace, Pierre ne la puise pas en lui-même, elle est don de Dieu.
Je reviens à cette matinée de Pentecôte, l’année de la mort de Jésus ; Jérusalem grouille de monde. Comme chaque année, des pèlerins sont venus de partout pour cette fête de Pentecôte ; ce sont des Juifs, et s’ils sont venus en pèlerinage à Jérusalem, c’est parce que, tout comme Pierre et les autres apôtres de Jésus, ils partagent l’espérance d’Israël ; tout au long du trajet, et ils viennent parfois de très loin, ils ont chanté les psaumes en suppliant Dieu de hâter la venue de son Messie.
Précisément, Pierre s’appuie sur cette espérance pour annoncer : ce Messie que vous attendez, il est venu, nous avons eu le privilège de le connaître. Dieu a accompli sa promesse : le nouveau monde est déjà commencé. A première vue, les auditeurs de Pierre sont les hommes du monde les mieux préparés à entendre ce message : puisque toute leur vie de prière mais aussi leur vie quotidienne est baignée dans la mémoire des œuvres  de Dieu pour son peuple et dans l’attente du Messie, celui qui accomplira la libération définitive d’Israël et de l’humanité tout entière.
DIEU A ACCOMPLI SA PROMESSE : LE NOUVEAU MONDE EST DEJA COMMENCE
Et donc, Pierre insiste dans son discours sur cet aspect de continuité de l’œuvre  de Dieu qui est pour lui une évidence ; et je crois que c’est très important que nous retrouvions ce sens de la continuité de l’œuvre  de Dieu, si nous voulons approcher la Bible. Pour mettre en évidence cette continuité, Pierre invoque le témoignage du psaume 15/16 ; mais je n’en parle pas ici parce que c’est précisément celui que la liturgie nous propose pour ce troisième dimanche de Pâques, nous aurons donc l’occasion d’en reparler.
En même temps, les auditeurs de Pierre sont aussi les moins préparés à accepter les paroles de Pierre : précisément parce que, s’ils attendent le Messie depuis toujours, ils ont eu le temps de se faire des idées sur lui, des idées d’hommes… Or Dieu ne peut que surprendre nos idées d’hommes…
L’un des aspects les plus inacceptables du mystère de Jésus, pour ses contemporains, c’est sa mort sur la croix. Le Vendredi Saint, Jésus, abandonné de tous, semblait bien maudit de Dieu lui-même. Il ne pouvait donc pas être le Messie… du moins selon les idées des hommes. Et pourtant, les apôtres l’ont compris le soir de Pâques, il était bien le Messie envoyé par Dieu ; s’ils l’ont compris, c’est parce qu’ils ont été témoins de la Résurrection de Jésus : alors seulement ils ont pu s’ouvrir aux pensées de Dieu et comprendre la mission de Jésus.
Pierre sait bien tout cela et c’est pour cette raison qu’il insiste sur l’accomplissement du projet de Dieu en Jésus : « Il s’agit de Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous… Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu… Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité… Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis… ».
Pierre termine en faisant appel à l’expérience de ses auditeurs ; il leur dit : « C’est ce que vous voyez et entendez » (verset 33) et, là, il parle du spectacle que donnent les apôtres désormais. Il sait qu’on ne peut devenir témoin à son tour que lorsqu’on a l’expérience de l’œuvre  de Dieu. Pour les auditeurs de Pierre, qui n’ont pas été directement témoins de la résurrection, la seule expérience possible, c’est celle de voir et entendre les douze apôtres transformés par l’Esprit-Saint. Pour nos contemporains, c’est la même chose : cela veut dire l’urgence pour nos communautés chrétiennes de se laisser transformer par l’Esprit.

PSAUME – 15 (16)

1 Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
2 J’ai dit au SEIGNEUR : « Tu es mon Dieu !
5 SEIGNEUR, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille :
même la nuit mon cœur  m’avertit.
8 Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

9 Mon cœur  exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
10 tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

11 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
à ta droite, éternité de délices !

LE PRIVILEGE DES CONSACRES
« Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , Tu es mon héritage, En Toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, Toi, mon seul partage. » Vous avez reconnu là un negro spiritual célèbre… c’est le psaume 15/16.
Dans les versets qui nous sont proposés aujourd’hui, certaines phrases semblent traduire un bonheur parfait ; tout a l’air si simple ! « J’ai dit au SEIGNEUR : Tu es mon Dieu !… J’ai fait de toi mon refuge… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi… »
D’autres versets sont l’écho d’un danger et Israël supplie : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
Je reprends ces deux points l’un après l’autre : premièrement le bonheur d’Israël : « Mon cœur  exulte, mon âme est en fête… SEIGNEUR, mon partage et ma coupe… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » Ici le peuple d’Israël est comparé à un « lévite », un prêtre, qui « demeure » sans cesse dans le temple de Dieu, qui vit dans l’intimité de Dieu : la vie des lévites, consacrés au Seigneur offrait une image très parlante de la vie du peuple tout entier.
Par exemple, l’expression « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » (verset 5) est une allusion à leur statut particulier : au moment du partage de la terre d’Israël entre les tribus des descendants de Jacob, (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n’avaient pas reçu de part : leur part c’était la Maison de Dieu (c’est-à-dire le service du Temple), le service de Dieu… Leur vie tout entière était consacrée au culte ; ils n’avaient pas de territoire ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier du culte » de l’époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice. Du coup on comprend cet autre verset de ce psaume que nous n’entendons pas ce dimanche : « La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ». Enfin, ils gardaient le Temple jour et nuit et c’est ce à quoi fait allusion la formule du verset 7 : « Même la nuit mon coeur m’avertit ».
On voit bien comment ce statut très particulier, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une image du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations.
LE COMBAT DE LA FIDELITE
Mais on entend également dans ce psaume une tout autre tonalité : on entend les échos d’un danger et la supplication : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
Car, en réalité, les choses sont moins roses qu’il n’y paraît. On ne sait pas dater la composition de ce psaume : les circonstances auxquelles il fait allusion pourraient convenir à plusieurs époques ; mais, en tout cas, l’appel au secours du début, « Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge » et les affirmations répétées de confiance laissent supposer une période dans laquelle, justement, la confiance était difficile. Cet appel au secours est tout autant une profession de foi : il traduit un combat terrible, le combat de la fidélité à la vraie foi, c’est-à-dire le combat contre l’idolâtrie, le combat de la fidélité au Dieu unique.
Par exemple, un autre verset de ce psaume dit : « Toutes les idoles du pays, ces dieux que j’aimais, ne cessent d’étendre leurs ravages, et l’on se rue à leur suite. » Cela prouve bien que Israël a parfois succombé à l’idolâtrie mais il prend l’engagement de ne plus y retomber : l’affirmation « J’ai fait de toi, mon Dieu, mon seul refuge » traduit cette résolution. Du coup on comprend mieux combien l’image du lévite est parlante : c’est une manière de dire « en choisissant de rester fidèle au vrai Dieu, le peuple d’Israël a fait le vrai choix qui le fait entrer dans l’intimité de Dieu ».
LA CONFIANCE A TOUT PRIX
La confiance d’Israël lui inspire des phrases étonnantes : par exemple l’expression « Eternité de délices » ou bien encore « Tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; on peut se demander : quand le psaume est écrit, est-il déjà confusément une première amorce de la foi en la Résurrection ? En réalité, cette affirmation est une supplication, ou plutôt une plaidoirie ; vous savez que la foi en la Résurrection individuelle n’est apparue que très tard en Israël ; c’est du peuple qu’il est question ici : sa survie est en péril par sa faute (l’idolâtrie, justement) mais il sait que Dieu ne l’abandonnera pas et c’est pourquoi il affirme « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; c’est bien du peuple qu’il s’agit.
Par la suite, vers le deuxième siècle avant Jésus-Christ, quand on a commencé à croire à la résurrection de chacun d’entre nous, la phrase « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » a été relue dans ce sens.
Plus tard, les Chrétiens ont également relu ce psaume à leur manière, nous l’avons entendu dans la première lecture de ce dimanche : Pierre, le matin de la Pentecôte, a cité ce psaume aux pèlerins juifs venus nombreux à Jérusalem pour la fête. Pour leur montrer que Jésus était bien le Messie, Pierre leur a dit : quand David composait ce psaume, et disait « tu ne peux m’abandonner à la mort » sans le savoir il annonçait la Résurrection du Messie ; or Jésus est ressuscité, c’est donc bien de lui que David parlait, sans savoir le nommer, évidemment.
Nous avons là un exemple de la première prédication chrétienne adressée à des Juifs : c’est-à-dire comment les premiers apôtres relisaient la tradition juive en y découvrant tout-à-coup une nouvelle dimension, l’annonce de Jésus-Christ.
Au long des siècles, donc, ce psaume a porté la prière d’Israël dans l’attente du Messie et il s’est enrichi peu à peu de sens nouveaux… Ce sera le rôle de la première génération chrétienne de découvrir et de montrer que les Ecritures trouvent leur sens plénier en Jésus-Christ.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 1,17-21

Bien-aimés,
17 si vous invoquez comme Père
celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre,
vivez donc dans la crainte de Dieu,
pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers.
18 Vous le savez :
ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or,
que vous avez été rachetés
de la conduite superficielle héritée de vos pères ;
19 mais c’est par un sang précieux,
celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ.
20 Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance
et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous.
21 C’est bien par lui que vous croyez en Dieu,
qui l’a ressuscité d’entre les morts
et qui lui a donné la gloire ;
ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

DES NON-JUIFS DANS LES SYNAGOGUES
Nous avons lu dans la première lecture (tirée des Actes des Apôtres) le discours de Pierre le matin de Pentecôte : un modèle de ce qu’était la première prédication chrétienne lorsqu’elle s’adressait à des Juifs ; voici maintenant avec la lettre de Pierre une prédication adressée à des anciens païens, des non-Juifs devenus chrétiens ; évidemment le discours n’est pas tout-à-fait le même ; c’est le B.A. BA de la communication d’adapter son langage à son auditoire !
J’ai dit qu’il s’agissait de non-Juifs ; on ne sait pas exactement à qui cette lettre est adressée : dans les premières lignes, Pierre dit seulement qu’il écrit aux « élus qui vivent en étrangers » dans les cinq provinces de notre Turquie actuelle, (le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie). Ce qui incite à penser qu’ils n’étaient pas d’origine juive, c’est la phrase « vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères » : Pierre, Juif lui-même, ne dirait pas une telle phrase à des Juifs… il sait trop bien quelle espérance traverse les Ecritures et à quel point toute la vie de son peuple est tendue vers Dieu ; impossible de parler d’une « conduite superficielle » !
Mais s’il s’agit de non-Juifs, comme on le croit, la première chose qui saute aux yeux dans ce simple passage, c’est le nombre impressionnant d’allusions à la Bible : par exemple des expressions comme « le sang de l’Agneau sans défaut et sans tache », « le Père qui juge impartialement », la « crainte de Dieu » ; si Pierre les emploie sans les expliquer, c’est que son auditoire les connaît. Est-ce possible si ce sont des non-Juifs ?
DE LA SYNAGOGUE A L’EGLISE
Voilà l’hypothèse la plus probable : autour des synagogues gravitaient de nombreux sympathisants et parmi eux un nombre important de ceux que l’on appelait les « craignant Dieu » : ils étaient si proches du Judaïsme qu’ils pratiquaient le shabbat et donc entendaient toutes les lectures de la synagogue le samedi matin ; par conséquent, ils connaissaient très bien les Ecritures juives ; mais ils n’avaient jamais été jusqu’à demander la circoncision. On croit savoir que les premiers Chrétiens se sont recrutés majoritairement parmi eux.
Je reviens sur deux formules de la lettre de Pierre qui peuvent nous heurter si nous ne les replaçons pas dans leur contexte biblique :
L’expression « crainte de Dieu », d’abord ; elle a un sens tout particulier dans la Bible précisément parce que Dieu s’est révélé à son peuple comme un « Père » ; rappelez-vous la phrase du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour celui qui le craint » ; la crainte de Dieu, ce n’est donc pas la peur, c’est une attitude filiale faite de tendresse, de respect, de vénération, et d’une confiance totale. Pierre le dit bien : « Vous invoquez Dieu comme votre Père… vivez donc dans la crainte de Dieu » ; c’est logique : vous l’invoquez comme votre Père, alors, conduisez-vous en fils. Je reprends encore une fois cette phrase, mais en entier cette fois : « Si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu ». D’après l’insistance de Pierre sur « celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre » on devine que certains de ces nouveaux Chrétiens, qui venaient du paganisme, étaient complexés par rapport aux Chrétiens d’origine juive ; Pierre veut donc les rassurer ; il leur dit en substance « Vous êtes fils tout comme les autres, conduisez-vous en fils, tout simplement ».
Deuxième formule qui risque de nous heurter : « Vous avez été rachetés … par le sang précieux du Christ » ; j’ai volontairement tronqué la phrase, car c’est sous cette forme raccourcie qu’elle nous choque ; nous sommes tentés d’y voir un affreux marchandage, sans bien pouvoir dire, d’ailleurs, entre qui et qui.
LE SALUT DE DIEU EST GRATUIT
Si je prends, au contraire, la phrase de Pierre en entier : « Ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ », je découvre deux choses :
Premièrement, il ne s’agit pas de marchandage, notre libération est « gratuite », je devrais dire « gracieuse », c’est-à-dire donnée ; Pierre prend bien peine de dire : « Ce n’est pas l’or et l’argent »2, manière de dire « c’est gratuit ». La lettre aux Colossiens dit bien : « Dieu a jugé bon que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié. » (Col 1,19).
Deuxièmement, Pierre ne met pas l’accent là où nous le mettons, nous. Le sang d’un agneau sans défaut et sans tache, c’est celui qu’on versait chaque année pour la Pâque et qui signait la libération d’Israël de tous les esclavages ; ce sang versé annonçait l’œuvre  permanente de Dieu pour libérer son peuple. C’est donc, pour un lecteur averti de l’Ancien Testament, un rappel de fête, la fête de la liberté en quelque sorte, d’une liberté en marche vers la Terre Promise. Or, dit Pierre, la libération définitive est accomplie en Jésus-Christ, désormais vous êtes entrés dans une vie nouvelle (c’est encore mieux que la Terre Promise). Cette libération consiste précisément en ceci que vous invoquez Dieu comme Père.
On comprend mieux alors la phrase « Vous avez été rachetés (c’est-à-dire libérés) de la conduite superficielle héritée de vos pères ». « Superficielle » ici veut dire « qui ne mène à rien, par opposition à la vie éternelle » ; désormais, parce que le Fils a vécu sa vie d’homme dans la confiance jusqu’au bout, c’est toute l’humanité qui a retrouvé le chemin de l’attitude filiale, qui a retrouvé le chemin de l’arbre de vie, pour reprendre l’image de la Genèse.
Paul dirait : « Vous êtes passés de l’attitude de peur, de méfiance de l’esclave à l’attitude de crainte filiale, l’attitude des fils ».3
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Notes
1 – « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » : c’est une allusion à la révélation de Dieu au prophète Samuel : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7). Phrase reprise par Jésus dans ses controverses avec les Pharisiens auxquels il reprochait de « juger selon les apparences » (Jn 7,24 ; 8,15 ; cf le quatrième dimanche de Carême – A).
2 – « Ce n’est pas l’or et l’argent » : le thème de la gratuité des dons de Dieu n’est pas nouveau non plus. Le prophète Isaïe l’avait annoncé avec force : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » (Is 55,1 ; cf commentaire du dix-huitième dimanche du Temps Ordinaire – A).
3 – D’après Ga 4,6 et Rm 8,15.

EVANGILE – selon saint Luc 24, 13-35

Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine),
13 deux disciples faisaient route
vers un village appelé Emmaüs,
à deux heures de marche de Jérusalem,
14 et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
15 Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient,
Jésus lui-même s’approcha,
et il marchait avec eux.
16 Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17 Jésus leur dit :
« De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
18 L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit :
« Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem
qui ignore les événements de ces jours-ci. »
19 Il leur dit :
« Quels événements ? »
Ils lui répondirent :
« Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth,
cet homme qui était un prophète
puissant par ses actes et ses paroles
devant Dieu et devant tout le peuple :
20 comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré,
ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.
Mais avec tout cela,
voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
22 À vrai dire, des femmes de notre groupe
nous ont remplis de stupeur.
Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
23 elles n’ont pas trouvé son corps ;
elles sont venues nous dire
qu’elles avaient même eu une vision :
des anges, qui disaient qu’il est vivant.
24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau,
et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ;
mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
25 Il leur dit alors :
« Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire
tout ce que les prophètes ont dit !
26 Ne fallait-il pas que le Christ
souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
27 Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes,
il leur interpréta, dans toute l’Écriture,
ce qui le concernait.
28 Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient,
Jésus fit semblant d’aller plus loin.
29 Mais ils s’efforcèrent de le retenir :
« Reste avec nous,
car le soir approche et déjà le jour baisse. »
Il entra donc pour rester avec eux.
30 Quand il fut à table avec eux,
ayant pris le pain,
il prononça la bénédiction
et, l’ayant rompu,
il le leur donna.
31 Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent,
mais il disparut à leurs regards.
32 Ils se dirent l’un à l’autre :
« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous,
tandis qu’il nous parlait sur la route
et nous ouvrait les Écritures ? »
33 À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem.
Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons,
qui leur dirent :
34 « Le Seigneur est réellement ressuscité :
il est apparu à Simon-Pierre. »
35 À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.

POURQUOI FALLAIT-IL ?
Vous avez remarqué certainement le parallèle (on dit « l’inclusion ») entre les deux formules « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (verset 16) et « alors leurs yeux s’ouvrirent » (verset 31) ; ce qui veut dire que les deux disciples d’Emmaüs sont passés du plus profond découragement à l’enthousiasme simplement parce que leurs yeux se sont ouverts. Et pourquoi leurs yeux se sont-ils ouverts ? Parce que Jésus leur a expliqué les Ecritures. « Partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait ». J’en déduis que Jésus-Christ est au centre du projet de Dieu qui se révèle dans l’Ecriture.
Il ne faudrait pas réduire pour autant l’Ancien Testament à un faire-valoir du Nouveau. Lire les prophètes comme s’ils n’annonçaient que la venue historique de Jésus-Christ, c’est trahir l’Ancien Testament et lui enlever toute son épaisseur historique. L’Ancien Testament est le témoignage de la longue patience de Dieu pour se révéler à son peuple et le faire vivre dans son Alliance. Les paroles des prophètes, par exemple, sont d’abord valables pour l’époque où elles ont été prononcées.
Il ne faut pas oublier non plus que la lecture qui consiste à considérer Jésus-Christ comme le centre de l’histoire humaine et donc aussi le centre de l’Ecriture est une lecture « chrétienne », les Juifs en ont une autre… Nous sommes d’accord entre Juifs et Chrétiens pour invoquer le Dieu Père de tous les hommes et lire dans l’Ancien Testament la longue attente du Messie. Mais n’oublions pas que la reconnaissance de Jésus comme Messie n’est pas une évidence ! Elle le devient pour ceux dont les yeux « s’ouvrent » d’une certaine manière. Et alors leur cœur  devient « tout brûlant » comme celui des disciples d’Emmaüs.
On aimerait connaître évidemment la liste des textes que Jésus a parcourus avec les deux disciples d’Emmaüs ! A la fin de ce parcours biblique avec eux, Jésus conclut : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Je m’arrête sur cette formule qui représente une vraie difficulté pour nous : car elle se prête à deux lectures possibles :
Première lecture possible : « Il fallait que le Christ souffrît pour mériter d’entrer dans sa gloire ». Comme si il y avait là une exigence de la part du Père. Mais cette lecture est une « tentation » qui trahit les Ecritures ; elle présente la relation de Jésus à son Père en termes de « mérite », ce qui n’est nullement conforme à la révélation de l’Ancien Testament et que Jésus a développée : que Dieu n’est que Amour et Don et Pardon. Avec Lui, il n’est pas question de balance, de mérite, d’arithmétique, de calcul. Il est vrai que le Nouveau Testament parle souvent de l’accomplissement des Ecritures, mais ce n’est pas dans ce sens-là, nous y reviendrons tout à l’heure.
LE PLUS GRAND AMOUR EST CELUI QUI VA JUSQU’AU BOUT
Alors il y a une deuxième manière de lire cette phrase « Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire » : la gloire de Dieu, c’est sa présence qui se manifeste à nous ; or Dieu est Amour. On pourrait donc transformer la phrase en « Il fallait que le Christ souffrît pour que l’amour de Dieu soit manifesté, révélé ».
Or, je crois que Jésus a donné lui-même d’avance l’explication de sa mort lorsqu’il a dit à ses disciples : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». C’est-à-dire, il fallait que l’amour aille jusque-là, jusqu’à affronter la haine, l’abandon, la mort pour que vous découvriez que l’amour de Dieu est « le plus grand amour ».
Pour que nous découvrions jusqu’où va l’amour de Dieu, qui est tellement au-dessus de nos amours humaines, tellement impensable, au vrai sens du terme, il fallait qu’il nous soit révélé… et pour qu’il nous soit révélé, il fallait qu’il aille jusque-là.
« Il fallait » ne veut donc pas dire une exigence de Dieu mais une nécessité pour nous. Dire que les événements de la vie de Jésus « accomplissent les Ecritures »1, c’est dire que sa vie tout entière est révélation en actes de cet amour du Père, quelles que soient les circonstances, y compris la persécution, la haine, la condamnation, la mort.
La Résurrection de Jésus vient authentifier cette révélation que l’amour est plus fort que la mort.
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Note
1 – Ce thème de l’accomplissement des Ecritures est très fréquent dans le Nouveau Testament, à commencer par cette phrase de Paul : « Lorsqu’est venue la plénitude des temps » (Ga 4,4 ; cf commentaire pour la Fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, le 1er janvier)

ANNONCIATION DU SEIGNEUR, EVANGILE SELON SAINT LUC, JESUS CHRIST, L'ANNONCIATION DU SEIGNEUR, SIMON BENING (1483-1561), VIERGE MARIE

L’ANNONCIATION DU SEIGNEUR

L’Annonciation du Seigneur

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Cette Annonciation illustre un prestigieux manuscrit enluminé, commandé vers 1530 à Simon Bening (1483-1561) par le puissant cardinal Albrecht de Brandebourg (1490-1545). Archevêque de Mayence, prince-électeur et archichancelier du Saint-Empire romain germanique, ami et prodigue mécène des artistes (notamment de Cranach et de Grünewald), ce dernier fut d’abord favorable à la réforme de l’Église réclamée par les « évangéliques » (ainsi désignait-on les protestants en Allemagne), mais finalement il demeura fidèle à l’Église catholique romaine et se posa comme l’un des adversaires les plus brillants de Martin Luther (1483-1546).

Né en même temps que l’essor irrésistible de l’imprimerie (la Bible de Gutenberg est datée de 1450) et de l’art de la gravure sur bois qui l’accompagna, Simon Bening, étoile de l’école de Bruges, incarne le chant du cygne de l’art de la miniature (peinture au minium de plomb qui illustrait les manuscrits), portant cet art à son plus haut niveau artistique avant qu’il ne disparût. On notera que trois de ses six filles exercèrent avec succès le métier de peintre. L’une d’elles, Levina, devint même la miniaturiste officielle de la cour d’Angleterre et succéda à Hans Holbein le Jeune comme portraitiste du roi Henri VIII.

 

 L’instant où le Verbe s’est fait chair

Marie est dans sa chambre, allégoriquement représentée en une architecture grandiose pour signifier que c’est ce temple qui désormais abrite le nouveau Saint des Saints, la demeure où Dieu se rend réellement présent au monde et ce, au-delà de tout ce que l’esprit humain pouvait espérer. En effet, assise sur un tabouret bas, les mains croisées sur son cœur, Marie vient de répondre à l’ange : «Qu’il m’advienne selon ta parole» (Lc 1, 38). La voici saisie par le peintre au moment indicible où en son sein virginal le Verbe s’est fait chair.

L’ange Gabriel est représenté en sustentation stationnaire. Il tient dans sa main gauche ce qui semble un sceptre, mais qui est en réalité une réminiscence du bâton que portaient les hérauts quand, à Byzance, ils parcouraient les rues en annonçant les proclamations solennelles de l’empereur. Sur le parement de son manteau sont brodées les paroles qu’il vient d’adresser à la Vierge Marie. Sa tête est ceinte d’une couronne d’or à fleurs de lys – en l’honneur de l’Immaculée –, dont le fronton porte une croix. Puisque ce qui est en jeu est le Salut du monde, l’annonce de la maternité de Marie a lieu, déjà, sous le signe de la croix. Le consentement de Marie à la maternité divine est aussi un consentement au glaive qui va lui transpercer le cœur.

  

L’inauguration de l’Alliance nouvelle et éternelle

Sur le sol, au premier plan, un vase de Delft présente un ­bouquet des fleurs qui symbolisent les éminentes qualités de la Vierge Marie, au-dessus de tout le lys de pureté, et l’humilité des fleurs des champs. À côté, on découvre comme abandonné, le sac de velours qui à l’époque protégeait les manuscrits précieux, livres d’Heures ou bibles. Celui-ci, renfermait le livre de l’Ancien Testament, lequel est posé sur la petite déserte à côté de la Vierge Marie. Ce sac est vide et à terre pour signifier que l’ancienne Alliance devient obsolète du fait même qu’elle est accomplie au-delà de toute expression par l’incarnation de Dieu dans le sein de la Vierge Marie. Cependant, s’échappe du sac un phylactère où est inscrite cette prophétie du livre d’Isaïe : Voici que la Vierge a conçu, et elle enfante un fils (Is 7, 14). Au lieu de regarder l’ange, ou encore de lire la prophétie, Marie contemple sur ses genoux le livre où s’écrit – en direct pourrait-on dire – le commencement de l’Évangile et l’inauguration de l’Alliance nouvelle et éternelle.

Derrière la Vierge, le panier de couture fait référence aux anciennes représentations apparues dès l’époque romaine, notamment, dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, celle de la Vierge à la quenouille. Au moment où elle fut surprise par la visite de l’ange, Marie tissait un drap blanc qui allait devenir le linceul du Christ. On voit ici l’ébauche de ce drap qui déborde du panier.

Dans un coin, derrière l’ange au fond de la chambre, l’artiste a fait figurer une alcôve renfermant un lit nuptial inutilisé. Ce symbole veut rendre compréhensible à tous le fait qu’il y a bien eu conception d’un fils d’homme, mais sans les rapports entre époux qui naturellement la procurent. Enfin, par la fenêtre, on aperçoit le jardin clos, l’hortus conclusus du Cantique des Cantiques (4, 12) qui préfigure la Vierge Mère de Dieu :

Hortus conclusus soror mea, sponsa;
hortus conclusus, fons signatus (Vulgate).

Ma sœur, ma fiancée est un jardin clos ;
Fontaine réservée, source scellée.

L’Annonciation, Simon Bening (v. 1483-1561), Los Angeles (CA, USA), The J. Paul Getty Museum. Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program.

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Dimanche 1er janvier 2023 : Fête de Marie, mère de Dieu : lectures et commentaires

Dimanche 1er janvier 2023 :

Fête de sainte Marie, mère de Dieu

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre des nombres, 6, 22-27

22 Le Seigneur parla à Moïse. Il dit :
23 « Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras :
Voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël :
24 “Que le Seigneur te bénisse et te garde !
25 Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage,
qu’il te prenne en grâce !
26 Que le Seigneur tourne vers toi son visage,
qu’il t’apporte la paix !”
27 Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël,
et moi, je les bénirai. »

Voici donc comment les prêtres d’Israël, depuis Aaron et ses fils, bénissaient le peuple au cours des cérémonies liturgiques au Temple de Jérusalem… Formule qui fait partie du patrimoine chrétien désormais : puisque cette phrase du livre des Nombres figure parmi les bénédictions solennelles proposées pour la fin de la Messe. Vous avez remarqué la phrase : « Mon nom sera prononcé sur les enfants d’Israël » ; c’est une façon de parler, puisque, précisément, là-bas, on ne dit jamais le nom de Dieu, pour marquer le respect qu’on lui porte.
On sait à quel point, dans ce monde-là, le nom représente la personne elle-même. Prononcer le nom est un acte juridique marquant une prise de possession, mais aussi un engagement de protection. Quand un guerrier conquiert une ville, par exemple, on dit qu’il prononce son nom sur elle ; et le jour du mariage, le nom du mari est prononcé sur sa femme ; là encore, cela implique appartenance et promesse de vigilance. (A noter que la femme ne porte pas le nom de son mari pour autant).
Quand Dieu révèle son nom à son peuple, il se rend accessible à sa prière. Réciproquement, l’invocation du nom de Dieu constitue normalement un gage de bénédiction. Par voie de conséquence, les atteintes portées au peuple ou au temple de Dieu constituent un blasphème contre son nom, une insulte personnelle. Du coup, nous comprenons mieux la phrase de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Sur toutes les personnes que nous rencontrerons cette année, nous pourrons nous dire que Dieu a posé son nom ! Voilà qui nous incitera à les regarder d’un œil  neuf !

Revenons sur la bénédiction du Livre des Nombres. Je vous propose quatre remarques :

Première remarque : la formule des prêtres est au singulier : « Que le SEIGNEUR te bénisse » et non pas : « Que le SEIGNEUR vous bénisse » ; mais, en réalité, il s’agit bien d’Israël tout entier : c’est un singulier collectif. Et, plus tard, le peuple d’Israël a bien compris que cette protection de Dieu ne lui est pas réservée, qu’elle est offerte à l’humanité tout entière.

Deuxième remarque : « Que le SEIGNEUR te bénisse » (v. 24) est au subjonctif ; curieuse expression quand on y réfléchit : est-ce que le Seigneur pourrait ne pas nous bénir ? « Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage… Que le SEIGNEUR se penche vers toi… » De la même manière : « Ils invoqueront ainsi mon Nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. » (v. 27). On a envie de demander : sinon il ne les bénirait pas ? Lui qui « fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants », c’est-à-dire sur tous les hommes, Lui qui nous dit d’aimer même nos ennemis… ? Bien sûr, nous connaissons la réponse : nous savons bien que Dieu nous bénit sans cesse, que Dieu nous accompagne, qu’il est avec nous en toutes circonstances.
Et pourtant ce subjonctif, comme tous les subjonctifs, exprime un souhait : mais c’est de nous qu’il s’agit : Dieu nous bénit sans cesse, mais nous sommes libres de ne pas accueillir sa bénédiction… comme le soleil brille en permanence même quand nous recherchons l’ombre… nous sommes libres de rechercher l’ombre… de la même manière, nous sommes libres d’échapper à cette action bienfaisante de Dieu… Celui ou celle qui se met à l’abri du soleil, perd toute chance de bronzer… ce ne sera pas la faute du soleil !
Alors, la formule « que Dieu vous bénisse » est le souhait que nous nous mettions sous la bénédiction de Dieu… On pourrait dire : Dieu nous propose sa bénédiction (sous-entendu : libre à nous de nous laisser faire ou pas). Ce subjonctif, justement, est là pour manifester notre liberté.

Troisième remarque, en forme de question : En quoi consiste la « bénédiction » de Dieu ? Que se passe-t-il pour nous ? Bénir est un mot latin : « bene dicere », « dire du bien »… Dieu dit du bien de nous. Ne nous étonnons pas que Dieu « dise du bien » de nous ! Puisqu’il nous aime… Il pense du bien de nous, il dit du bien de nous… Il ne voit en nous que ce qui est bien. Or la Parole de Dieu est acte : « Il dit et cela fut » (Gn 1). Donc quand Dieu dit du bien de nous, sa Parole agit en nous, elle nous transforme, elle nous fait du bien. Quand nous demandons la bénédiction de Dieu, nous nous offrons à son action transformante.

Quatrième remarque : ce n’est pas pour autant un coup de baguette magique ! Etre « béni », c’est être dans la grâce de Dieu, vivre en harmonie avec Dieu, vivre dans l’Alliance. Cela ne nous épargnera pas pour autant les difficultés, les épreuves comme tout le monde ! Mais celui qui vit dans la bénédiction de Dieu, traversera les épreuves en « tenant la main de Dieu ». « Béni tu le seras, plus qu’aucun autre peuple » promettait Moïse au peuple d’Israël (Dt 7, 14). Le peuple d’Israël est béni, cela ne l’a pas empêché de traverser des périodes terribles, mais au sein de ses épreuves le croyant sait que Dieu l’accompagne.
En cette fête de Marie, mère de Dieu, tout ceci prend un sens particulier. Lorsque l’ange Gabriel envoyé à Marie pour lui annoncer la naissance de Jésus l’a saluée, il lui a dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu ; elle est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé, celle qui reste sous cette très douce protection : « Tu es bénie entre toutes les femmes… »
Cinquième remarque : Malheureusement, le texte français ne nous délivre pas toute la richesse de la formule originelle en hébreu ; cela pour deux raisons. Tout d’abord, le nom de Dieu, YHVH transcrit ici par « le SEIGNEUR », est celui que Dieu a révélé lui-même à Moïse. A lui tout seul, il est une promesse de présence protectrice, celle-là même qui a accompagné les fils d’Israël depuis leur sortie d’Egypte.
Ensuite, la traduction des verbes hébreux par un subjonctif en français est un indéniable appauvrissement. Car le système verbal en hébreu est très différent du français : pour être complet, il faudrait traduire « Le SEIGNEUR te bénit et te garde depuis toujours, il te bénit et te garde en ce moment, et il te bénira et te gardera à jamais. » Telle est bien notre foi !

PSAUME – 66 (67)

2 Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
3 et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

5 Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.

6 Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ;
qu’ils te rendent grâce, tous ensemble !
8 Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

On ne pouvait pas trouver de plus belle réponse que ce psaume 66 en écho à la première lecture qui nous offrait la superbe formule de bénédiction rapportée par le livre des Nombres : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde ! Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage, Qu’il te prenne en grâce ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » Notre psaume est bien dans la même tonalité.

Je vous propose cinq remarques :

Première remarque : sur le sens même du mot « bénédiction » pour commencer. On trouve chez le prophète Zacharie cette phrase : « En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un Juif par le pan de son vêtement en déclarant : « Nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : Dieu est avec vous. » (Za 8, 23). Voilà une très belle définition de la « bénédiction » : dire que Dieu nous bénit, c’est dire que Dieu nous accompagne, que Dieu est avec nous. C’était, d’ailleurs, le Nom même de Dieu révélé au Sinaï : YHVH, ce Nom imprononçable1 que l’on traduit par « SEIGNEUR ». On ne sait pas le traduire mais nos frères juifs le comprennent comme une promesse de présence permanente de Dieu auprès de son peuple.

Deuxième remarque : Cette fois, c’est le peuple qui appelle sur lui, qui demande la bénédiction de Dieu : « Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse » ; à propos de la formule des prêtres (la bénédiction du livre des Nombres), j’avais insisté sur le fait que nous sommes assurés en permanence de la bénédiction de Dieu, mais que nous sommes libres de ne pas l’accueillir ; quand le prêtre dit « Que le Seigneur vous bénisse », il n’exprime pas le souhait que Dieu veuille bien nous bénir… comme si Dieu pouvait tout d’un coup cesser de nous bénir ! Le prêtre exprime le souhait que nous ouvrions notre cœur  à cette bénédiction de Dieu qui peut, si nous le désirons, agir en nous et nous transformer. La fin de ce psaume le dit très bien : « Dieu, notre Dieu, nous bénit. Que Dieu nous bénisse … » Ces deux phrases ne sont pas contradictoires : Dieu nous bénit sans cesse, c’est une certitude (c’est la première phrase : « Dieu, notre Dieu, nous bénit ») ; pour nous ouvrir à son action, il suffit que nous le désirions (c’est la deuxième phrase : « Que Dieu nous bénisse »).

Troisième remarque : Cette certitude d’être exaucé avant même de formuler une demande est caractéristique de toute prière en Israël. Le croyant sait qu’il baigne en permanence dans la bénédiction, la présence bienfaisante de Dieu. « Je sais que tu m’exauces toujours » disait Jésus (Jn 11).

Quatrième remarque : Le peuple d’Israël ne demande pas cette bénédiction pour lui seul. Car cette bénédiction prononcée sur Israël rayonnera, rejaillira sur les autres : « Béni (est) celui qui te bénit », avait dit Dieu à Abraham ; et il avait ajouté : « A travers toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12, 3). Dans ce psaume, on retrouve, comme toujours, les deux thèmes entrelacés : d’une part ce qu’on appelle l’élection d’Israël, de l’autre l’universalisme du projet de Dieu ; l’œuvre du salut de l’humanité passe à travers l’élection d’Israël.
L’élection d’Israël est bien présente dans l’expression « Dieu, notre Dieu », qui à elle seule est un rappel de l’Alliance que Dieu a conclue avec le peuple qu’il a choisi. L’universalisme du projet de Dieu est aussi très clairement affirmé : « Ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations », ou encore « Que les nations chantent leur joie ». Et d’ailleurs, vous aurez remarqué le refrain répété deux fois qui appelle le jour où tous les peuples, enfin, accueilleront la bénédiction de Dieu : « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce, tous ensemble ! »
Israël sait qu’il est choisi pour être le peuple témoin : la lumière qui brille sur lui est le reflet de Celui qu’il doit faire connaître au monde. A vrai dire, cette compréhension de l’élection d’Israël comme une vocation n’a pas été immédiate pour les hommes de la Bible. Et c’est bien compréhensible : au tout début de l’histoire biblique, chaque peuple s’imaginait que les divinités régnaient sur des territoires : il y avait les divinités de Babylone et les divinités de l’Egypte et celles de tous les autres pays. C’est seulement au sixième siècle, probablement, que le peuple d’Israël a compris que son Dieu avec lequel avait été conclue l’Alliance du Sinaï, était le Dieu de tout l’univers ; l’élection d’Israël n’était pas abolie pour autant, mais elle prenait un sens nouveau. Le texte de Zacharie, que nous lisions tout à l’heure, est écrit dans cette nouvelle perspective. (« En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un Juif par le pan de son vêtement en déclarant : « Nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : Dieu est avec vous. » (Za 8, 23)
A notre tour, nous sommes un peuple témoin : chaque fois que nous recevons la bénédiction de Dieu, c’est pour devenir dans le monde les reflets de sa lumière. Voilà un magnifique souhait que nous pouvons formuler les uns pour les autres en ce début d’année : être des vecteurs de la lumière de Dieu pour tous ceux qu’elle n’éblouit pas encore.

Cinquième remarque : « La terre a donné son fruit ; Dieu, notre Dieu, nous bénit. » Parce que la Parole de Dieu est acte, elle produit du fruit. Dieu avait promis une terre fertile où couleraient le lait et le miel. Et Dieu a tenu promesse. A plus forte raison, les Chrétiens relisent ce psaume en pensant à la naissance du Sauveur : quand les temps furent accomplis, la terre a porté son fruit.
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Note
Par respect pour le Nom de Dieu (YHVH, ce que l’on appelle le Tétragramme), et en fidélité à la récente directive romaine, chaque fois que je le rencontre dans un texte de l’Ancien Testament, je le transcris systématiquement en français par le mot « SEIGNEUR » en majuscules.

DEUXIEME LECTURE – Lettre de saint Paul apôtre aux Galates, 4, 4-7

Frères,
4 lorsqu’est venue la plénitude des temps,
Dieu a envoyé son Fils,
né d’une femme
et soumis à la loi de Moïse,
5 afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi
et pour que nous soyons adoptés comme fils.
6 Et voici la preuve que vous êtes des fils :
Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs,
et cet Esprit crie
« Abba ! », c’est-à-dire : Père !
7 Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils,
et puisque tu es fils, tu es aussi héritier :
c’est l’œuvre de Dieu.

Je prends le texte tout simplement en suivant
« Lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils » : nous retrouvons ici un thème très cher à Paul : le thème de l’accomplissement du projet de Dieu. Pour les croyants juifs, puis chrétiens, c’est un élément très important de notre foi : l’histoire n’est pas un perpétuel recommencement, elle est une marche progressive de l’humanité vers son accomplissement, vers la réalisation du « dessein bienveillant de Dieu ». C’est un thème très important dans les lettres de Saint Paul ; et il est, je crois, une bonne clé de lecture pour aborder les lettres de Paul, mais pas lui seulement : en fait, c’est une clé de lecture pour toute la Bible, dès l’Ancien Testament.
Je m’arrête un peu sur ce point : les auteurs du Nouveau Testament prennent bien soin de préciser à plusieurs reprises que la vie, la passion, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth accomplissent les Ecritures. Paul, par exemple, affirme à ses juges : « Moïse et les prophètes ont prédit ce qui devait arriver et je ne dis rien de plus. » (Ac 26, 22). Et Matthieu en particulier aime dire « Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète… ». Une question nous vient immédiatement à l’esprit : tout était-il donc écrit d’avance ? En fait, c’est sur le mot « pour » qu’il faut bien s’entendre car il peut avoir deux sens : ou bien un sens de finalité, ou bien seulement un sens de conséquence. Si l’on optait pour le sens de finalité, alors, les événements se seraient produits selon un plan bien défini, prédéterminé. Si on opte pour le sens de conséquence (et c’est, je crois, ce qu’il faut faire), les événements se sont produits de telle ou telle manière et, après coup, nous comprenons comment, à travers ces événements, Dieu a accompli son projet.
Celui-ci n’est donc pas un programme, comme si le rôle de tout un chacun était déjà déterminé par avance. Dieu prend le risque de notre liberté ; et, au long des siècles, les hommes ont bien souvent contrecarré le beau projet. Alors on a pu entendre les prophètes se lamenter ; mais ils n’ont jamais perdu l’espérance ; bien au contraire, ils ont promis à maintes reprises que Dieu ne se lassait pas. Isaïe, par exemple, annonçait de la part de Dieu : « Je dis : Mon dessein subsistera et tout ce qui me plaît, je l’exécuterai. » (Is 46, 10). Et Jérémie n’était pas en reste : « Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet – oracle du SEIGNEUR -, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29, 11). Ce que les auteurs du Nouveau Testament contemplent inlassablement, c’est l’accomplissement par Jésus des promesses de Dieu.
« Dieu a envoyé son Fils : né d’une femme, et soumis à la Loi de Moïse » : en quelques mots Paul nous dit tout le mystère de la personne de Jésus : Fils de Dieu, homme comme tous les autres, Juif comme tous les Juifs. L’expression « né d’une femme », pour commencer, est courante dans la Bible ; elle veut dire tout simplement « un homme comme les autres » ; il arrive par exemple que, pour ne pas répéter dans une même phrase le mot « hommes », on le remplace par « ceux qui naissent des femmes » (Si 10, 18 ; Jb 15, 14 ; Jb 25, 4). Jésus lui-même l’a employée en parlant de Jean-Baptiste : « En vérité, je vous le déclare : parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste. » (Mt 11, 11 ; Lc 7, 28).1 Quant à l’expression « soumis à la Loi de Moïse », elle signifie qu’il a accepté la condition des hommes de son peuple.
Paul continue « Afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et faire de nous des fils ». Nous avons déjà rencontré de nombreuses fois le mot « racheter » : nous savons qu’il signifie « libérer », « affranchir ». Dans l’Ancien Testament, le « racheteur » était précisément celui qui affranchissait l’esclave. Ce n’est donc pas la même chose d’être sous la domination de la Loi et d’être fils… Il y a un passage à faire : le sujet de la Loi, c’est celui qui se soumet à des ordres ; il se conduit en esclave. Le fils, c’est celui qui vit dans l’amour et la confiance : il peut « obéir » à son père ; c’est-à-dire mettre son oreille sous la parole du père parce qu’il fait confiance à son père, il sait que la parole du père n’est dictée que par l’amour. Ce qui veut dire que nous passons de la domination de la Loi à l’obéissance des fils.
Ce passage à une attitude filiale, confiante, nous pouvons le faire parce que « L’Esprit du Fils est dans nos cœurs , et il crie vers le Père en l’appelant Abba ! » ce qui veut dire « Père ». Le seul cri qui nous sauve, en toutes circonstances, c’est ce mot « Abba », Père, qui est le cri du petit enfant. Etre sûr, quoi qu’il arrive, que Dieu est un Père pour nous, qu’il n’est que bienveillant à notre égard, c’est l’attitude filiale que le Christ est venu vivre parmi nous, en notre nom. Paul continue : « Tu n’es plus esclave, mais fils, et comme fils, tu es héritier ». Il faut prendre le mot au sens fort ; « héritier », cela veut dire que ce qui est à Lui nous est promis ; seulement, il faut oser le croire… et c’est là notre problème.
Quand Jésus nous traite « d’hommes de peu de foi », peut-être est-ce cela qu’il veut dire : nous n’osons pas croire que l’Esprit de Dieu est en nous, nous n’osons pas croire que sa force est en nous, nous n’osons pas croire que tout ce qui est à lui est à nous ; c’est-à-dire que sa capacité d’amour est en nous.
Sans oublier que nous n’y avons aucun mérite ! Si nous sommes héritiers, c’est par la grâce de Dieu : alors nous commençons à comprendre pourquoi on peut dire que « tout est grâce ».
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Note
Paul pensait peut-être à ce que le livre de la Sagesse fait dire à Salomon : « Je suis, moi aussi, un homme mortel, égal à tous, descendant du premier qui fut modelé de terre. Dans le ventre d’une mère, j’ai été sculpté en chair. » (Sg 6-7, 1).

EVANGILE – selon Saint Luc, 2, 16-21

En ce temps-là,
16 les bergers se hâtèrent d’aller à Bethléem,
et ils découvrirent Marie et Joseph,
avec le nouveau-né
couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu,
ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé
au sujet de cet enfant.
18 Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient
de ce que leur racontaient les bergers.
19 Marie, cependant, retenait tous ces événements
et les méditait dans son cœur.
20 Les bergers repartirent ;
ils glorifiaient et louaient Dieu
pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu,
selon ce qui leur avait été annoncé.
21 Quand fut arrivé le huitième jour,
celui de la circoncision,
l’enfant reçut le nom de Jésus,
le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.

Ce récit apparemment anecdotique est en réalité profondément « théologique ». Ce qui veut dire que tous les détails comptent. Je vous propose de les relire un à un dans l’ordre du texte.
Les bergers, tout d’abord : c’étaient des gens peu recommandables, des marginaux, car leur métier les empêchait de fréquenter les synagogues et de respecter le sabbat. Or ce sont eux qui sont les premiers prévenus de l’événement qui vient de bouleverser l’histoire de l’humanité ! Et ils deviennent de ce fait les premiers apôtres, les premiers témoins : ils racontent, on les écoute, ils étonnent ! Ils racontent cette annonce étrange dont ils ont bénéficié en pleine nuit ; voici le récit de Luc pour cette fameuse nuit : « Dans les environs se trouvaient des bergers qui passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’Ange du Seigneur s’approcha, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte, mais l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmaillotté et couché dans une mangeoire. Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime. » (sous-entendu parce que Dieu les aime). Ils racontent tout cela, avec leurs mots à eux ; et on ne peut s’empêcher de penser à une fameuse phrase de Jésus, une trentaine d’années plus tard : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Lc 10, 21-22 ; Mt 11, 25). Cela a commencé dès le début de sa vie.
Tout ceci se passe dans le petit village de Bethléem : tout le monde le savait à l’époque, c’est la ville qui devait voir naître le Messie, dans la descendance de David. Bethléem, c’est aussi la ville dont le nom signifie littéralement « la maison du pain » et le nouveau-né est couché dans une mangeoire : belle image pour celui qui vient se donner en nourriture pour l’humanité.
« Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur. » A l’inverse des bergers que l’événement rend bavards, Marie contemple et médite dans son cœur ; Luc veut-il faire ici un rapprochement avec la vision du fils de l’homme chez le prophète Daniel ? Après cette vision, Daniel avoue : « Mes réflexions me tourmentèrent… et je gardai la chose dans mon cœur . » (Dn 7, 28). Ce serait pour Luc une manière de profiler déjà devant nous le destin grandiose de ce nourrisson. On sait, premièrement, que le livre de Daniel était bien connu au temps de Jésus, et, deuxièmement, qu’il annonçait un Messie-Roi triomphant de tous les ennemis d’Israël.
Le nom de l’enfant, déjà, révèle son mystère : « Jésus » signifie « Dieu sauve » et si (à l’inverse de Matthieu) Luc ne précise pas cette étymologie, il a, quelques versets plus haut, rapporté la phrase de l’ange « Il vous est né un Sauveur » (Lc 2, 11).
En même temps, il vit à fond la solidarité avec son peuple : comme tout enfant juif, il est circoncis le huitième jour ; « il a été sous la domination de la Loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi », dit Paul dans la lettre aux Galates (Ga 4, 4 : notre deuxième lecture). Les trois autres évangiles ne parlent pas de la circoncision de Jésus, tellement la chose allait de soi. « Ce sera le signe de l’Alliance entre moi et vous… Mon Alliance deviendra dans votre chair une alliance perpétuelle », avait dit Dieu à Abraham (Gn 17). Et le Livre du Lévitique en avait tiré une loi selon laquelle tout garçon devait être circoncis le huitième jour. Joseph et Marie n’ont fait que s’y conformer : pour tout Juif de l’époque, obéir à la Loi de Moïse était le meilleur moyen, pensait-on, de faire la volonté de Dieu. Le plus surprenant pour nous n’est donc pas le fait même de la circoncision de Jésus, mais l’insistance de cet évangéliste : visiblement, Saint Luc a souhaité marquer la volonté du jeune couple de se conformer en tous points à la Loi de Moïse.
Il y revient quelques lignes plus tard, pour raconter la présentation de l’enfant au Temple : « Quand arriva le jour fixé par la Loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi… Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la Loi du Seigneur. » (Lc 2, 22-24). Plus que la bonne volonté d’un couple fervent, sans doute Luc veut-il nous faire entrevoir l’entière solidarité de Jésus avec son peuple ; le dernier soir, Jésus lui-même l’a revendiquée : « Il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Ecriture : Il a été compté avec les pécheurs » (Lc 22, 37).
Enfin, dernière remarque, on ne peut s’empêcher de remarquer (et cela est valable pour les quatre lectures de cette fête) la discrétion du personnage de Marie, alors même que cette liturgie lui est dédiée sous le vocable de « Marie, Mère de Dieu ». (Luc dit seulement : « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur . » A l’inverse des bergers que l’événement rend bavards, Marie contemple et médite dans son coeur ; ) peut-être ce silence même de Marie est-il un message pour nous : la gloire de Marie, c’est justement d’avoir tout simplement accepté d’être la mère de Dieu, d’avoir su se mettre tout entière, humblement, au service de l’accomplissement du projet de salut de Dieu ; elle n’est pas le centre du projet ; le centre du projet, c’est Jésus, celui dont le nom signifie « Dieu sauve ».

EVANGILE SELON SAINT LUC, GUIDO RENI (1575-1642), JESUS-CHRIST, LE MASSACRE DES INNOCENTS, MASSACRE DES SAINTS INNOCENTS, NATIVITE DE JESUS, NOËL, PEINTRE ITIALIEN, PEINTURE

Le massacre des Innocents

Le Massacre des Innocents (1611) par Guido Reni (1575-1642)

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La vie et la mort se trouvent curieusement entrelacées en cette octave de Noël. Nous venons de fêter la naissance du Sauveur et voici que l’évangéliste Matthieu nous rapporte le terrible épisode du massacre des Innocents. Il est le seul à relater cet épisode dramatique. Les mages, qui sont venus adorer l’enfant et lui offrir leurs présents, sont avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode (Mt 2, 12). Joseph, lui aussi, est averti en songe : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » (Mt 2, 13). La Sainte Famille part, dans la nuit, pour échapper à la violente fureur d’Hérode qui envoya tuer tous les enfants jusqu’à l’âge de deux ans à Bethléem et dans toute la région, d’après la date qu’il s’était fait préciser par les mages (Mt 2, 16). L’on peine à mesurer l’horreur de ce massacre, que l’on serait presque tenté de considérer comme un récit légendaire. D’aucuns considèrent d’ailleurs qu’il n’est relaté qu’en raison de sa correspondance avec un autre massacre de nouveau-nés, celui des garçons hébreux que Pharaon ordonna (cf. Ex 1, 16-22).

  

L’idéal de beauté de l’école bolonaise

Si les historiens débattent sur la réalité de l’événement, les artistes s’en sont souvent saisis. La cruauté et la violence de l’épisode suscitèrent des créations d’autant plus frappantes qu’elles insistaient sur le réalisme de l’abominable carnage. Fréquent au Moyen Âge et à la Renaissance, il favorise des compositions remarquables au xviie siècle, dont celle de Guido Reni. Né à Bologne, cet artiste est formé à l’Accademia degli Incamminati que Ludovic (1555-1619), Augustin (1557-1602) et Annibal (1560-1609) Carrache avaient fondée en 1585. Au lendemain du concile de Trente, les trois peintres, proches du cardinal Gabriele Paleotti (1522-1597) qui avait été l’un des principaux acteurs du Concile et que le pape avait nommé archevêque de Bologne en 1582, prônent une peinture claire, lisible et qui soit un véritable support de dévotion et de méditation. Fondé sur la rigueur de la composition et du dessin, sur le retour à un idéal classique de beauté, l’enseignement des Carrache trouve en plusieurs élèves, dont Guido Reni, un terreau fertile. Tenté, dans ses jeunes années, par le réalisme naturaliste du Caravage, Reni renoue très vite avec le classicisme de ses maîtres. Exécuté en 1611 comme retable pour une chapelle de l’église bolonaise Saint-Dominique, Le Massacre des Innocents appartient à sa période « hellénistique » marquée par l’influence de l’Antiquité, dans la composition comme dans le traitement des figures qui trahissent l’étude attentive de la sculpture antique et de Raphaël.

  

La violence contenue en un seul poignard

Guido Reni se révèle un formidable metteur en scène, capable de retranscrire l’extrême violence de l’épisode sans la représenter. En plaçant au centre de l’œuvre le poignard de l’un des bourreaux, il concentre toute la cruauté des hommes d’Hérode. Refusant la convention iconographique qui s’attachait à figurer le meurtre des nouveau-nés, il se contente de le suggérer. La construction de la scène, l’emphase donnée aux gestes et aux expressions théâtralisent l’épisode. Occupant les deux tiers inférieurs de la toile, deux bourreaux terrorisent six femmes et leurs six enfants dont deux gisent au premier plan, leurs corps immaculés à peine tachés de sang. Le poignard de l’homme de gauche est placé dans l’axe de symétrie, au centre de la base d’un triangle inversé. La rigueur de la composition, l’audace de ce vide central que vient trancher le poignard, la distribution géométrique, tout est au service de la narration. Le temps et l’action sont comme suspendus. Les gestes et les expressions, des bourreaux comme des femmes, sont volontairement exagérés, avec des emprunts évidents à certaines œuvres célèbres, notamment le groupe antique des Niobideset l’Incendie du Bourg que Raphaël avait peint à fresque au Vatican (1514). Ce traitement des affetti est servi par un dessin d’une rigueur et d’une précision remarquables, et qui trahit la formation classique de Guido Reni ; mais aussi par une science consommée du coloris, qui rythme l’œuvre en jouant d’un savant équilibre entre tons chauds et froids. Le peintre bolonais a donc délaissé les effets dramatiques du naturalisme et du clair-obscur du Caravage qu’il avait développés dans son premier retable, le Martyre de saint Pierre (1604-1605, pinacothèque du Vatican), pour s’inscrire résolument dans la tradition de l’Antique et de Raphaël dont il reprend la rigueur de la construction, la précision du dessin et l’idéal de beauté. La violence de l’événement est comme contenue, à la fois dans ces poignards prêts à s’abattre sur les enfants, et dans les visages des mères, déformés par la douleur et la peur. Au cœur de ce chaos, l’artiste a cependant figuré la foi et l’espérance : la première est représentée par la femme du premier plan, qui s’est agenouillée, les mains jointes, le regard tourné vers le ciel ; la seconde par les anges qui, dans la nuée, tiennent la palme du martyre. Elle va être donnée à ces enfants qui, tels des agneaux immolés, gisent au premier plan.

  

Les larmes, semences d’espérance

Comment ne pas songer, en contemplant pareille œuvre, à la violence de notre monde ? À tous ces meurtres d’innocents, assassinés, tués, si souvent au nom du pouvoir ? C’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, car ils ne sont plus : l’évangéliste Matthieu, le seul à rapporter ce terrible épisode qui conduit la Sainte Famille à fuir en Égypte, cite le prophète Jérémie (cf. Jr 31, 15). Or la suite du texte de Jérémie nous montre l’infinie délicatesse de Dieu et nous fait entrer dans l’espérance : Ainsi parle le Seigneur : Retiens le cri de tes pleurs et les larmes de tes yeux. Car il y a un salaire pour ta peine, – oracle du Seigneur : ils reviendront du pays de l’ennemi. Il y a un espoir pour ton avenir, – oracle du Seigneur : tes fils reviendront sur leur territoire (Jr 1, 16-17). Le pape François, commentant ces textes le rappelait : « Les larmes sèment l’espérance, ce sont des semences d’espérance. […] Les enfants de Bethléem moururent à cause de Jésus. Et Lui, Agneau innocent, devait ensuite mourir, à son tour, pour nous tous. Le Fils de Dieu est entré dans la douleur des hommes. Il ne faut pas oublier cela. » Devant l’indicible horreur, devant la violence, devant le drame, acceptons de pleurer pour que l’espérance puisse fleurir.

 .

Le Massacre des Innocents (1611), Guido Reni (1575-1642), Bologne (Italie), Pinacothèque Nationale. © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images.

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Dimanche 20 novembre 2022 : Solennité du Christ-Roi : lectures et commentaires

Dimanche 20 novembre 2022 : Solennité du Christ-Roi

PAGERC

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – deuxième livre de Samuel 5,1-3

En ces jours-là,
Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron
et lui dirent :
« Nous sommes de tes os et de ta chair.
Dans le passé, déjà, quand Saül était notre roi,
C’est toi qui menais Israël en campagne et le ramenais
et le SEIGNEUR t’a dit :
Tu seras le berger d’Israël mon peuple,
tu seras le chef d’Israël. »
Ainsi, tous les anciens d’Israël
vinrent trouver le roi à Hébron.
Le roi David fit alliance avec eux,
à Hébron, devant le SEIGNEUR.
Ils donnèrent l’onction à David
pour le faire roi sur Israël.

Un mot sur la ville d’Hébron d’abord : on l’appelle aussi Qiryat-Arba ; c’est une ville des montagnes de Judée ; elle se trouve à 1000 m d’altitude, à environ quarante kilomètres au Sud de Jérusalem. Elle est très importante encore aujourd’hui pour les croyants des trois religions parce que c’est là qu’Abraham a acheté un tombeau pour Sara, à la caverne de Makpéla. Et donc c’est là, à Hébron, que reposent plusieurs des patriarches (des ancêtres du peuple élu, si vous préférez) : Abraham et Sara, Isaac et Rébecca, Jacob et sa première femme, Léa et enfin Joseph, dont le corps a été ramené d’Egypte jusque-là.
Un peu d’histoire maintenant, pour comprendre le texte d’aujourd’hui : le texte est un peu compliqué à première vue parce que David est appelé roi et en même temps on voit les anciens d’Israël qui viennent le trouver à Hébron pour lui demander de devenir leur roi : en fait, David est déjà reconnu comme roi par une partie du peuple, mais une partie seulement. Et ce jour-là, à Hébron, il est devenu le roi de l’ensemble des douze tribus.
Alors, comment en est-on arrivés là ? On se souvient que les fils d’Israël sont entrés sur leur terre vers 1200 av. J.C., après la mort de Moïse. Pendant un peu plus d’un siècle, les douze tribus ont vécu indépendantes ; pas complètement tout de même parce qu’elles gardaient entre elles un lien très fort : celui de leur histoire commune, et surtout la reconnaissance du même Dieu qui les avait fait « monter d’Egypte », comme on disait. Pendant la période qu’on appelle des « Juges », quand un danger menaçait une tribu, un chef temporaire, qu’on appelait un « juge », prenait la direction des opérations jusqu’à ce que le danger soit écarté. Les « juges » en question assuraient les fonctions de gouverneur, parfois même de prophète ; c’était le cas de Samuel justement, celui dont le livre que nous lisons aujourd’hui porte le nom.
Mais il n’était pas question d’avoir un roi, les tribus n’étaient pas assez unies pour cela et puis Dieu seul était le roi d’Israël. Mais peu à peu, une idée de fédération est née et l’envie les a pris d’avoir un roi, comme tous les autres peuples. Au moment où il a fallu songer à assurer la succession de Samuel lui-même qui semble avoir acquis une très large autorité, la question s’est reposée et ils ont demandé à Samuel de choisir un roi pour lui succéder. Samuel a très mal pris la chose parce qu’il y voyait un acte d’insoumission envers Dieu, mais rien n’y a fait.
Samuel a tout fait pour les dissuader (pour s’en convaincre, il suffit de relire le chapitre 8 du premier livre de Samuel), mais il a eu beau parler, il a bien fallu en arriver là. Ce premier roi d’Israël fut Saül. Il a régné une vingtaine d’années, environ de 1030 à 1010 av. J. C. Après un début glorieux, la fin de son règne est triste, il perd peu à peu la raison, il désobéit aux ordres du prophète Samuel : de son vivant il est désavoué et Samuel, sur ordre de Dieu, choisit déjà David, le petit berger de Bethléem pour être son successeur. David a donc reçu l’onction d’huile une première fois de la main de Samuel, à Bethléem ; mais il n’est pas roi pour autant : dans un premier temps, c’est encore Saül le roi en titre. On connaît la suite : David, dont on sait les talents de musicien, est appelé au service de Saül pour le distraire ; puis, peu à peu, ses attributions augmentent quand on découvre ses talents de chef de guerre. De plus, il conquiert l’affection de tous et, en particulier, noue une grande amitié avec Jonathan, le fils de Saül.
Le roi décline, un jeune à qui tout réussit est entré à la cour : cela ne peut que mal tourner ; Saül devient mortellement jaloux et cherche à plusieurs reprises à se débarrasser de ce rival : David, lui, reste toujours d’une parfaite loyauté à son roi, parce qu’il respecte en lui le roi choisi par Dieu.
Après la mort de Saül, il y a une querelle de succession : le pays se divise en deux : David est reconnu comme roi, mais seulement par une partie du peuple, la tribu de Juda, dans le Sud, dont il est originaire. Il règne à Hébron. Au Nord, en revanche, c’est encore un fils de Saül qui règnera quelque temps, sept ans et demi, nous dit la Bible : après des quantités d’intrigues, de complots, de meurtres dans le royaume du Nord, le fils de Saül est assassiné et c’est à ce moment-là que les tribus du Nord, privées de roi, se tournent vers David. Avec le texte d’aujourd’hui, nous assistons donc à la scène du ralliement des tribus du Nord : « Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : Nous sommes de tes os et de ta chair ! Dans le passé, déjà, quand Saül était notre roi, c’est toi qui menais Israël en campagne et le ramenais… Et le SEIGNEUR t’a dit : Tu seras le berger d’Israël mon peuple… Le roi David fit alliance avec eux, à Hébron, devant le SEIGNEUR. Ils donnèrent l’onction à David pour le faire roi sur Israël ».
Voilà donc les douze tribus enfin réunies sous la houlette d’un unique pasteur, à la fois choisi par Dieu et reconnu par ses frères comme un des leurs. Sa désignation par Dieu est manifestée par l’onction qui lui est faite avec l’huile sainte et désormais il porte le titre de « Messie » qui veut dire justement le « frotté d’huile ». Cette onction d’huile est le signe que Dieu l’a choisi et que l’Esprit de Dieu est avec lui ; et c’est Dieu qui lui a fixé sa tâche : être un pasteur, un berger pour son peuple. Bel idéal pour un roi !
On sait bien ce qu’il en est ! Cet idéal d’un roi, à la fois issu de son peuple et choisi par Dieu, qui soit un pasteur uniquement préoccupé d’offrir à son troupeau l’unité et la sécurité, restera malheureusement tout au long de l’histoire d’Israël un rêve. Mais la foi dans les promesses de Dieu l’emportera toujours sur les déceptions de l’histoire : on continuera d’attendre celui qui porterait dignement le nom de Messie. En grec, la traduction du mot « Messie », c’est le mot « Christos », Christ… Mille ans après David, un de ses lointains descendants qu’on appellera souvent « Fils de David » inaugurera enfin ce règne définitif : il dira de lui-même « Je suis le bon pasteur ».

PSAUME – 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6

Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du SEIGNEUR ! »
2 Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem !

3 Jérusalem, te voici dans tes murs ! Ville où tout ensemble ne fait qu’un !
4 C’est là que montent les tribus, les tribus du SEIGNEUR, là qu’Israël doit rendre grâce au nom du SEIGNEUR.

5 C’est là le siège du droit, le siège de la maison de David.
6 Appelez le bonheur sur Jérusalem :
Paix à ceux qui t’aiment ! »

« Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! » C’est un pèlerin qui parle : son groupe vient d’arriver aux portes de la ville sainte, enfin ! Nous sommes après l’Exil à Babylone : le Temple détruit, dévasté, profané par les troupes de Nabuchodonosor en 587 av. J.C., a été reconstruit vers 515 av. J. C. La ville aussi a été rebâtie : notre pèlerin constate avec joie : « Jérusalem, te voici dans tes murs ! » Et il continue « ville où tout ensemble ne fait qu’un » ; il parle de l’assemblage des constructions, bien sûr ; mais aussi de l’unité du peuple autour de cette ville où l’on s’assemble pour renouveler l’Alliance avec Dieu. Une promesse commune, un destin commun maintiennent ce peuple dans l’unité.
Et si Dieu a ordonné de venir régulièrement en pèlerinage à Jérusalem, c’est pour maintenir justement l’unité du peuple dans la ferveur et la joie de l’Alliance. Car ce pèlerinage, comme tous les autres, obéit à un ordre de Dieu : « C’est là que montent les tribus, les tribus du SEIGNEUR, c’est là qu’Israël doit rendre grâce au nom du SEIGNEUR ». Le mot « tribus » est un rappel de l’Exode ; le mot « monter » également : Jérusalem est située sur la hauteur, il faut y monter, c’est vrai ; mais le mot « monter » est aussi une allusion à la libération d’Egypte : quand on parle de cette libération, on dit « Dieu nous a fait monter du pays d’Egypte ».
Désormais on monte à Jérusalem en pèlerinage : et on « monte » vraiment : le pèlerinage se fait à pied, parfois de très loin, dans la fatigue, la chaleur, la soif, mais aussi la ferveur du coude à coude et des difficultés surmontées ensemble ; (nos parcours en autocar, de Jéricho à Jérusalem, par exemple, ne peuvent pas assurer, de la même manière cette cohésion du groupe et cette ferveur commune). Quand le pèlerin de notre psaume s’exclame « Maintenant, notre marche prend fin ! », il exprime tout à la fois l’émerveillement devant le spectacle de la ville et le soulagement d’être arrivés, enfin !… Donc, on monte à Jérusalem, comme les tribus sont montées du pays d’Egypte, sous la conduite de Moïse, puis de Josué, grâce à la protection du Dieu libérateur. Dans le verset : « C’est là que montent les tribus, les tribus du SEIGNEUR », l’expression « tribus du SEIGNEUR », elle aussi, est un rappel de l’Alliance, au moins pour deux raisons : d’abord l’emploi du nom « SEIGNEUR » : c’est le fameux Nom révélé à Moïse dans le buisson ardent ; quant à la préposition « du » (« les tribus du SEIGNEUR »), elle dit l’appartenance qui est justement caractéristique de l’Alliance : l’une des formules de l’Alliance, on pourrait presque dire sa devise, était « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ».
Et si l’on monte à Jérusalem, chaque année pour la fête des Tentes, c’est pour se retremper dans la ferveur de l’Alliance au cours des multiples célébrations qui en déploieront tous les aspects. Mais le point commun de toutes ces célébrations, ce sera l’action de grâce au Dieu d’Israël pour son Alliance et sa fidélité. « C’est là que montent les tribus, les tribus du SEIGNEUR, c’est là qu’Israël doit rendre grâce au nom du SEIGNEUR. » « Rendre grâce au nom du SEIGNEUR » c’est précisément la vocation d’Israël ; tant que l’humanité tout entière n’aura pas reconnu son Seigneur, c’est le rôle d’Israël au milieu des nations d’être le peuple de l’action de grâce. En même temps, on donne l’exemple, en quelque sorte, en attendant le jour béni où toutes les nations seront ici rassemblées. Il faut relire le magnifique texte d’Isaïe où Israël et les nations sont évoqués tour à tour : manière de montrer à quel point le destin d’Israël et celui des nations sont imbriqués ; si Israël a été choisi, ce n’est pas pour son bénéfice propre, c’est pour être au milieu du monde le témoin de Dieu : « Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du SEIGNEUR sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : Venez à la montagne du SEIGNEUR, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins et nous marcherons sur ses routes. Oui, c’est de Sion que vient l’instruction, et de Jérusalem la parole du SEIGNEUR. » (Is 2,2-3) 1.
« C’est là le siège du droit, le siège de la maison de David » : toute l’espérance attachée à la famille de David est redite là ; on se souvient de la promesse faite à David par le prophète Natan : « Lorsque tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j’élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de toi-même et j’établirai fermement sa royauté… » (2 S 7,12). Depuis cette promesse, on attend le roi idéal qui gouvernera selon le coeur de Dieu, c’est-à-dire selon le droit et la justice. Quand ce psaume est chanté après l’Exil à Babylone, il n’y a plus de roi sur le trône de David, mais la promesse demeure car Dieu ne peut se renier lui-même, comme dira Saint Paul ; et si on rappelle solennellement cette promesse dans les célébrations, c’est pour raviver l’espérance : le jour de Dieu viendra ; ce jour-là, il y aura de nouveau un roi sur le trône de David, un roi juste…
Un roi qui permettra enfin à Jérusalem d’accomplir sa vocation : « ville de la paix ». Car le souhait adressé à Jérusalem « Que la paix règne dans tes murs ! » n’est pas seulement un vœu  pieux, une phrase gentille comme on peut s’en dire en se retrouvant. C’est le cri du cœur : le peuple d’Israël sait qu’il a vocation à être déjà sur cette terre le témoin de la paix que seul Dieu peut donner. Des siècles plus tard, nous fêtons celui qui a inauguré le règne tant espéré par des générations de pèlerins de la ville sainte : « règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix », comme le dit la superbe préface de la fête du Christ-Roi. C’est déjà cette espérance qui soulève les pèlerins, dès le début du pèlerinage : « Quelle joie quand on m’a dit : Nous irons à la maison du SEIGNEUR ».

Note
1 – Ce sera notre première lecture du premier dimanche de l’Avent de l’année A, dimanche prochain !

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul aux Colossiens 1,12-20

Frères,
12 rendez grâce à Dieu le Père
qui vous a rendus capables
d’avoir part à l’héritage des saints
dans la lumière.
13 Nous arrachant au pouvoir des ténèbres,
il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé,
14 en lui nous avons la rédemption,
le pardon des péchés.
15 Il est l’image du Dieu invisible,
le premier-né, avant toute créature,
16 en lui, tout fut créé
dans le ciel et sur la terre.
Les êtres visibles et invisibles,
Puissances, Principautés,
Souverainetés, Dominations,
tout est créé par lui et pour lui.
17 Il est avant toute chose,
et tout subsiste en lui.
18 Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Eglise :
c’est lui le commencement,
le premier-né d’entre les morts,
afin qu’il ait en tout la primauté.
19 Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude
et que tout, par le Christ,
20 lui soit enfin réconcilié,
faisant la paix par le sang de sa Croix,
la paix pour tous les êtres
sur la terre et dans le ciel.

Ce texte est à la fois magnifique et terriblement difficile ; mais nous pressentons bien qu’il va très loin dans la contemplation du mystère de notre foi : il résonne comme un credo, une synthèse du mystère du Christ tel que Paul et les premiers Chrétiens1 ont pu le découvrir. On a là une grande fresque du projet de Dieu et l’affirmation que cette œuvre  de Dieu est accomplie en Jésus-Christ. Tout a été créé en lui ET tout a été recréé, réconcilié en lui. Jésus-Christ est vraiment le centre du monde et de l’histoire.
D’abord une remarque, tout ce qui est dit du projet de Dieu est dit au passé : « Il vous a rendus capables… Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres… Il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé »… et à la fin du texte : « Dieu a voulu que dans le Christ, toute chose ait son accomplissement total… Dieu a voulu tout réconcilier par lui et pour lui… » Manière de dire que ce projet de Dieu est conçu de toute éternité.
En revanche, tout ce qui concerne le Christ est dit au présent : « En lui nous sommes rachetés, en lui nous sommes pardonnés… Il est l’image du Dieu invisible, Il est avant tous les êtres… Il est la tête du corps qui est l’Eglise… Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts »… Ce mystère du Christ se déploie en chacun de nous tout au long de notre histoire humaine.
« Il est l’image du Dieu invisible » : c’est peut-être la clé de la pensée de Paul : à la première Création, Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance ; la vocation de tout homme, c’est d’être l’image de Dieu. Or le Christ est l’exemplaire parfait, si l’on ose dire, il est véritablement l’homme à l’image de Dieu : en contemplant le Christ, nous contemplons l’homme, tel que Dieu l’a voulu. « Voici l’homme » (Ecce homo) dit Pilate à la foule, sans se douter de la profondeur de cette déclaration !
Mais, en Jésus, nous contemplons également Dieu lui-même : dans l’expression « image du Dieu invisible » appliquée à Jésus-Christ, il ne faudrait pas minimiser le mot « image » : il faut l’entendre au sens fort ; en Jésus-Christ, Dieu se donne à voir ; ou pour le dire autrement, Jésus est la visibilité du Père : « Qui m’a vu a vu le Père » dira-t-il lui-même à Philippe (dans l’évangile de Jean : Jn 14,9). Un peu plus bas dans cette même lettre, Paul dit encore : « En Christ habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9). Il réunit donc en lui la plénitude de la créature et la plénitude de Dieu : il est à la fois homme et Dieu. En contemplant le Christ, nous contemplons l’homme… en contemplant le Christ, nous contemplons Dieu.
Reste à savoir pourquoi le sang de la croix du Christ, comme dit Saint Paul, nous réconcilie avec Dieu. Et là, le problème, semble-t-il, c’est que ce texte peut être lu de deux manières : première manière, mais qui donne de Dieu une idée complètement fausse : Dieu aurait voulu que Jésus souffre beaucoup pour mériter l’effacement de nos péchés… Mais il faut tourner résolument le dos à des explications de ce genre ; on sait bien qu’il ne s’agit pas de payer une dette à Dieu. Deuxième manière de comprendre ce texte, et c’est celle que je vous propose : c’est la haine des hommes qui tue le Christ, mais, par un mystérieux retournement, cette haine est transformée par Dieu en un instrument de réconciliation, de pacification.
A l’échelle humaine, nous avons parfois des exemples de cet ordre : je pense à des hommes comme Itzak Rabin, Martin Luther King, Gandhi, Sadate… Ils ont prêché la paix, l’égalité entre les hommes, et cela leur a coûté la vie ; ils ont été victimes de la haine des hommes ; mais, paradoxalement, leur mort a inauguré un progrès de la paix et de la réconciliation. Un témoignage d’amour et de pardon, qui va parfois jusqu’au sacrifice de sa vie, est un ferment de paix. Parce qu’il nous montre le chemin, il attendrit notre cœur , si nous le voulons bien.
Mais cela ne suffit pas à réconcilier l’humanité tout entière avec Dieu car ils ne sont que des hommes. Jésus, lui, est l’homme – Dieu : il est à la fois le Dieu qui pardonne et l’humanité qui est pardonnée ; ce qui nous réconcilie, c’est que le pardon accordé par le Christ à ses bourreaux, est le pardon même de Dieu. C’est Dieu qui pardonne… par pure miséricorde de sa part. Désormais, nous savons, parce que nous l’avons vu de nos yeux, jusqu’où va l’amour et le pardon de Dieu. C’est pour cela que nous avons des crucifix dans nos maisons. Ajoutons que seul Jésus, parce qu’il est Dieu, peut nous transmettre l’Esprit de Dieu pour que nous devenions capables de pardonner à notre tour.
Comme dit Saint Paul, il a plu à Dieu de nous pardonner à travers Jésus-Christ : « Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. » Au jour du Vendredi-Saint sur le Calvaire, celui que nous appelons « le bon larron » fut le premier bénéficiaire de cette réconciliation. (c’est l’évangile de cette fête du Christ-Roi).
Ce n’est pas magique pour autant, on ne le sait que trop : cette Nouvelle Alliance inaugurée en Jésus-Christ est offerte mais nous demeurons libres de ne pas y adhérer ; pour nous, baptisés, elle devrait être un sujet sans cesse renouvelé d’émerveillement et d’action de grâce ; c’est pourquoi Paul commençait sa contemplation par : « Rendez grâce à Dieu le Père qui vous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint ». Il s’adressait à ceux qu’il appelle « les saints », c’est-à-dire les baptisés. L’Eglise, par vocation, c’est le lieu où l’on rend grâce à Dieu. Ne nous étonnons pas que notre réunion hebdomadaire s’appelle « Eucharistie » (littéralement en grec « action de grâce »).

* Personne, aujourd’hui, ne sait dire avec certitude si cette lettre émane de Paul ou d’un de ses très proches disciples.

EVANGILE – selon Saint Luc 23,35-43

En ce temps-là,
On venait de crucifier Jésus,
35 et le peuple restait là à observer.
Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient :
« Il en a sauvé d’autres :
qu’il se sauve lui-même,
s’il est le Messie de Dieu, l’Elu ! »
36 Les soldats aussi se moquaient de lui.
S’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée,
37 en disant :
« Si tu es le roi des Juifs,
sauve-toi toi-même ! »
38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui :
« Celui-ci est le roi des Juifs. »
39 L’un des malfaiteurs suspendus en croix
l’injuriait :
« N’es-tu pas le Christ ?
Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »
40 Mais l’autre lui fit de vifs reproches :
« Tu ne crains donc pas Dieu !
Tu es pourtant un condamné, toi aussi !
41 Et puis, pour nous, c’est juste :
après ce que nous avons fait,
nous avons ce que nous méritons.
Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
42 Et il disait :
« Jésus, souviens-toi de moi
quand tu viendras dans ton Royaume. »
43 Jésus lui déclara :
« Amen, je te le dis :
aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

Trois fois retentit la même interpellation à Jésus crucifié : « Si tu es… » ; « Si tu es le Messie » ricanent les chefs… « Si tu es le roi des Juifs », se moquent les soldats romains … « Si tu es le Messie » injurie l’un des deux malfaiteurs crucifiés en même temps que lui. Au passage, on note que chacun interpelle Jésus à partir de sa situation personnelle : les chefs religieux du peuple juif attendent le Messie, l’Elu de Dieu… et à leurs yeux, il en a bien peu l’air. Les soldats romains, membres de l’armée d’occupation ricanent sur ce prétendu roi, si mal défendu… Quant au malfaiteur, il attend quelqu’un qui le sauve de la mort : lui aussi en appelle au Messie.
Ces trois interpellations ressemblent étrangement au récit des Tentations dans le désert, au début de la vie publique de Jésus (Luc 4) : trois interpellations, là aussi… par le diable cette fois : « Si tu es le Fils de Dieu… » : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »… « Si tu es le Fils de Dieu… jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder »… et la deuxième tentation concernait justement le titre de roi. Le Tentateur lui avait fait voir d’un seul regard tous les royaumes de la terre et lui avait dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Dans ces deux étapes de la vie du Christ (telle qu’elle est rapportée par saint Luc), la question est au fond la même : quel est le rôle du Messie ? Est-ce un chef politique ou religieux ? Quelqu’un qui a tout pouvoir pour tout arranger ? Un roi tout-puissant ? Si c’est cela, Jésus ne répond évidemment pas à ce schéma : ce condamné, crucifié comme un malfaiteur n’a pas grand chose apparemment d’un roi de l’univers. Il ne répond rien d’ailleurs à ces mises en demeure de montrer enfin son pouvoir.
Dans l’épisode des Tentations, à chacune des provocations du diable, Jésus avait répondu par une phrase de l’Ecriture. « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. »… « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. »… « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
L’Ecriture était sa référence pour résister ; et on peut bien penser que, tout au long de sa vie terrestre, chaque fois qu’il a affronté des tentations concernant sa mission de Messie, c’est la référence à l’Ecriture qui lui a permis de tenir le cap.
Sur la Croix, au contraire, Jésus ne répond pas, il ne dit rien tout au long de cette scène de provocations. Et pourtant l’interpellation est de taille : Messie, il l’est et il le sait ; or le Messie est celui qui sauvera le monde : il devrait donc bien se sauver lui-même ! Cela, c’est notre logique humaine, c’est la logique de ses interlocuteurs. Et c’est de cela qu’il meurt : il meurt de n’avoir pas été conforme à leur logique, à leur idée du Messie.
Mais Jésus sait, lui, que Dieu seul sauve ; il attend son propre salut de Dieu seul. D’ailleurs son nom le dit bien : « Jésus » cela veut dire « C’est Dieu qui sauve ». Il n’a donc rien à ajouter, rien à répondre ; il attend dans la confiance ; il sait que Dieu ne l’abandonnera pas à la mort. Les Tentations sont une fois pour toutes surmontées : il est resté fidèle à sa mission, il ne s’est pas dérobé aux conséquences. Le voilà livré totalement aux mains des hommes : que pourrait-il répondre de plus à ses adversaires ? Donc, il se tait !
En revanche, cet épisode des injures est encadré dans l’évangile de Luc par deux paroles de Jésus, deux paroles de pardon : la deuxième, nous venons de l’entendre, c’est la phrase adressée à celui que nous appelons « le bon larron » ; la première est rapportée par Luc juste avant le passage d’aujourd’hui : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Parole humaine et divine à la fois ; puisqu’il est l’homme-Dieu : le pardon accordé par le Christ à ses bourreaux est le pardon même de Dieu. En Jésus, homme et Dieu, c’est Dieu qui pardonne… nous sommes réconciliés, il nous suffit d’accueillir cette réconciliation.
C’est très exactement ce que fait celui qui nous est donné en exemple, le « bon larron » : il reconnaît Jésus comme le Messie, il l’appelle au secours… prière d’humilité et de confiance… Il lui dit « Souviens-toi », ce sont les mots habituels de la prière que l’on adresse à Dieu : à travers Jésus, c’est donc au Père qu’il s’adresse : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras inaugurer ton règne » ; on a envie de dire « Il a tout compris ». Et Jésus lui répond : « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». « Aujourd’hui » : l’attitude de vérité et d’humilité de cet homme qui n’était sûrement pas un enfant de chœur  (comme on dit) est la seule condition pour que ce jour soit l’aujourd’hui du salut pour lui.
Au-delà même des Tentations au désert, on se souvient d’un autre homme (Adam), dans un autre jardin, qu’on appelait Eden, le lieu du bonheur, le lieu de délices ; il avait été créé pour être le roi de la création : « Dominez la terre et soumettez-la » ; il était libre mais il n’était pas tout-puissant : il dépendait de Dieu. Mais il a voulu être « comme un dieu ».
« Si tu es le Fils de Dieu » : au fond c’est toujours la même histoire ; Adam s’est trompé : il a cru qu’être fils de Dieu, on le décidait soi-même… il a cru le diable qui disait « vous serez comme des dieux » et il a été chassé du Paradis ; Jésus, au contraire, dont le nom veut dire « C’est Dieu qui sauve », Jésus a attendu le salut de Dieu seul… il nous ouvre les portes du Paradis.

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL AUX THESSALONICIENS, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DU PROPHETE MALACHIE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 97

Dimanche 13 novembre 2022 : 33ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 13 novembre 2022 :

33ème dimanche du Temps Ordinaire

perseverance

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Malachie 3, 19 – 20 a

19 Voici que vient le jour du SEIGNEUR,
brûlant comme la fournaise.
Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété,
seront de la paille.
Le jour qui vient les consumera,
dit le SEIGNEUR de l’univers,
il ne leur laissera ni racine ni branche.
20 Mais pour vous qui craignez mon Nom,
le Soleil de justice se lèvera ;
il apportera la guérison dans son rayonnement.

Quand Malachie écrit ces lignes, les croyants ne savent plus très bien où ils en sont : nous sommes vers 450 av. J.C. dans un contexte de découragement général ; tout le monde a l’air de perdre la foi, y compris les prêtres de Jérusalem qui en sont venus à célébrer le culte un peu n’importe comment. Et tout le monde ou presque se pose des questions du genre « Que fait Dieu ?… Nous oublie-t-il ?… » La vie est tellement injuste ! A ceux qui font le mal, tout réussit… A quoi sert d’être soi-disant le peuple élu, à quoi sert de respecter les commandements ? Il n’y a pas de justice… Dieu est-il vraiment juste, finalement ?
Alors Malachie fait son travail de prophète, c’est-à-dire qu’il s’emploie à galvaniser les énergies. Il rappelle à l’ordre d’abord, les prêtres comme les laïcs, mais surtout, et c’est le texte d’aujourd’hui, il proclame que Dieu est juste… et que son projet d’instaurer la justice entre les hommes progresse irrésistiblement. Le JOUR du SEIGNEUR approche.
« Voici que vient le jour du SEIGNEUR », cela veut dire que l’histoire n’est pas un perpétuel recommencement, elle progresse ; pour les croyants, Juifs ou Chrétiens, c’est un article de foi. « Il vient le jour du SEIGNEUR », c’est certainement le thème de ce dimanche. Le « jour » du SEIGNEUR, sous-entendu le jour de sa venue. Evidemment, selon l’idée que l’on se fait de Dieu, on va, soit redouter, soit attendre impatiemment sa venue. Le croyant, lui, attend impatiemment, ardemment, activement cette venue du jour du SEIGNEUR. Car pour le croyant, celui qui a compris une fois pour toutes que Dieu est Père, l’annonce de la venue du Jour de Dieu est une bonne nouvelle.
L’image employée par Malachie est celle du soleil : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme la fournaise » : il ne faut surtout pas entendre cette phrase comme une menace ! Car le livre de Malachie commence par une déclaration d’amour de Dieu : « Je vous aime, dit le SEIGNEUR » (Ml 1,2) et une autre : « Je suis Père » (Ml 1,6). Le texte que nous venons d’entendre est de la même veine : « une fournaise », quelle image superbe pour dire l’incandescence de l’amour infini ! Cette image de fournaise, nous la retrouvons dans l’évangile : « Notre cœur  n’était-il pas tout brûlant…? » se redisaient, tout émus, les deux disciples d’Emmaüs après leur rencontre avec le Ressuscité.
Et il est vrai que les images de lumière et de chaleur nous viennent spontanément pour exprimer l’amour qui envahit parfois notre coeur. Alors, quand viendra pour chacun de nous le jour de la grande rencontre, c’est dans l’océan brûlant de l’amour de Dieu que nous serons plongés. Que pourrions-nous craindre ? Il suffit de nous rappeler les premières lignes de Malachie : « Je vous aime, dit le SEIGNEUR » ; nous serons bien exposés tout entiers, mais c’est au soleil de l’amour ; et que peut faire Celui qui n’est qu’amour, sinon aimer ? Et aimer de préférence ce qui est exposé, pauvre, nu, sans défense. C’est le merveilleux sens du mot « miséricorde » : un cœur  attiré par la misère ; et miséreux, nous le sommes, indiscutablement ; alors le cœur  de Dieu nous est acquis !
N’empêche que Malachie parle bien ici de jugement : là encore l’image du soleil est suggestive : on sait bien que le soleil est tantôt brûlant, dangereux, tantôt au contraire bienfaisant. Il apporte, selon les cas, brûlure ou guérison. C’est ce que nous appelons l’ambivalence du soleil : son action est double. Dans le domaine de la santé, par exemple, il aggrave certaines maladies, (le cancer par exemple), il en guérit d’autres : avant la découverte des antibiotiques, on employait l’héliothérapie dans le traitement de certaines tuberculoses…
Pour le Soleil de Dieu, dont parle Malachie, c’est la même chose : rien n’échappe à sa lumière ; pas question de nous montrer sous le jour le plus avantageux : aucune tache, aucune imperfection ne restera dans l’ombre. Nous voilà exposés sans défense, semble-t-il, au regard de Dieu, le souverain juge. C’est notre vie tout entière, notre être tout entier, qui sera exposée au soleil purificateur : il brûlera les uns, guérira les autres ; je reprends le texte : « Tous les arrogants, ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille, le jour qui vient les consumera… Mais pour vous qui craignez mon nom, il apportera la guérison ».
Le jugement de Dieu révélera ce que nous sommes en vérité : sommes-nous « arrogants » comme dit Malachie, hommes au coeur sec ? Alors nous verrons ce que nous sommes en réalité : de la paille qui sera emportée dans l’incendie… Sommes-nous humbles devant Dieu, « craignant son Nom », c’est-à-dire attendant tout de lui, comme le publicain de l’autre jour ? Alors nous serons comblés.
Reste une question de taille : comment savoir de quelle catégorie nous sommes, tant qu’il est encore temps ? Aucun d’entre nous n’est totalement bon, nous le savons bien… Mais aucun d’entre nous, non plus, n’est totalement mauvais. Il y a en chacun de nous un peu d’arrogance, et un peu de crainte de Dieu, pour reprendre les termes de Malachie, un peu d’orgueil et un peu d’humilité, un peu de haine ou d’indifférence et un peu d’amour, un peu de service de nous-mêmes et un peu de service des autres…
C’est donc en chacun de nous que le tri va s’opérer : ce qui est bonne graine va germer au soleil de Dieu, ce qui n’est que paille va brûler ; ce qui, en chacun de nous, est reflet ou attente de l’amour de Dieu, ce que Malachie appelle « crainte de Dieu », sera comblé, transfiguré. Ce qui, en chacun de nous, est obstacle à l’amour de Dieu, ce que Malachie appelle « arrogance » fondra comme neige au soleil, ou « brûlera comme de la paille » pour reprendre les termes de notre texte. Ce jugement de Dieu, en fait, c’est une opération de purification, et alors, enfin, en chacun de nous Dieu reconnaîtra son image et sa ressemblance.
Je reprends deux autres images employées ailleurs par Malachie pour décrire l’œuvre  de jugement de Dieu : celles du fondeur et du blanchisseur ; quand le blanchisseur s’attaque aux taches, ce n’est pas pour détruire la nappe des jours de fête, c’est pour qu’elle soit éclatante ; quand le fondeur purifie l’or ou l’argent, ce n’est pas pour supprimer le bijou tout entier, mais pour qu’il rayonne de toute sa beauté. De la même manière, tout ce qui est amour, service sera grandi, épanoui, transfiguré… ce qui n’est pas amour disparaîtra tout simplement.
Au fond, que la paille brûle… quelle importance ? Tout ce qui est bonne graine lèvera au soleil. Non, vraiment, nous n’avons rien à craindre du jour de Dieu.

PSAUME – 97 (98), 5-6, 7-8, 9

5 Jouez pour le SEIGNEUR sur la cithare,
sur la cithare et tous les instruments ;
6 au son de la trompette et du cor,
acclamez votre roi, le SEIGNEUR !

7 Que résonnent la mer et sa richesse,
le monde et tous ses habitants ;
8 que les fleuves battent des mains,
que les montagnes chantent leur joie.

9 Acclamez le SEIGNEUR, car il vient
pour gouverner la terre,
pour gouverner le monde avec justice,
et les peuples avec droiture !

Ce psaume nous transporte en pensée à la fin du monde : c’est la Création tout entière renouvelée qui crie sa joie parce que le règne de Dieu est enfin arrivé. J’ai dit « la Création tout entière » car je lis dans le psaume « La mer et sa richesse, le monde et ses habitants, les fleuves et les montagnes … » Saint Paul dit bien dans sa lettre aux Ephésiens que c’est le projet de Dieu depuis toujours de « réunir l’univers entier » ; je vous rappelle ce texte : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, tout réunir sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».
« Tout réunir », la Création, c’est-à-dire le cosmos et les créatures : et le mot « réunir » est à prendre au sens fort d’union. Le projet de Dieu, de toute éternité, c’est l’harmonie entre tous ; dans ce psaume, on le chante, comme s’il était déjà réalisé : la mer et toutes les créatures aquatiques résonnent, s’associent au son de la trompette et du cor, les fleuves battent des mains, les montagnes chantent leur joie. On se souvient du vieux rêve d’Isaïe au chapitre 11 : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâturage, leurs petits même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11,6-9).
Un rêve bien différent de la réalité qu’on connaît : Israël connaît les dangers de la mer et, d’habitude, la Bible évoque plutôt les mugissements de la tempête, les abîmes de la mort. Et que ce soit entre les éléments et l’homme, entre les animaux, ou entre les hommes eux-mêmes, on assiste à des luttes de toutes sortes, parfois à une guerre sans merci. Où est passé notre beau rêve d’harmonie ? Où est passé le beau rêve de Dieu, surtout ? Mais parce que c’est le projet de Dieu, l’homme de la Bible sait que le jour viendra où le rêve sera réalité. A toutes les époques, c’est le rôle des prophètes de raviver cette espérance.
C’est le rôle des psaumes, aussi, de nous faire inlassablement répéter nos motifs d’espérance : ici, dans le psaume 97/98, on chante le règne de Dieu et cela signifie rétablissement de l’harmonie universelle. Et après tant de rois décevants au Nord comme au Sud du pays, après tant d’injustices de toute sorte, un règne de justice et de droiture va commencer. Si on le chante déjà, c’est par anticipation. En chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre. « Acclamez le SEIGNEUR car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture ».
C’est encore Isaïe qui parlait du règne du Messie, en disant « La justice sera la ceinture de ses hanches et la fidélité le baudrier de ses reins ». (Is 11,5) Isaïe parlait au futur… Mais cette fois le psaume parle au présent.
Nous en avions lu les premiers versets il y a quelques semaines : « Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire ». C’était au passé, on rappelait les hauts faits de Dieu en faveur de son peuple, c’est-à-dire l’exploit de la sortie d’Egypte, d’abord, puis toute la présence de Dieu auprès de son peuple au milieu de toutes les péripéties de son histoire.
Mais, ici le psaume parle au présent : « Acclamez votre roi, le SEIGNEUR ! Acclamez le SEIGNEUR, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice, et les peuples avec droiture ! » Car c’est l’expérience du passé, justement, qui permet à Israël d’anticiper l’avenir. Dieu a fait ses preuves, en quelque sorte ; de la même manière qu’il a délivré son peuple de la servitude en Egypte, il délivrera l’humanité de toutes les chaînes qui l’emprisonnent, celles de la haine et de l’injustice. On peut donc déjà acclamer le règne de Dieu comme accompli parce qu’on sait, sans aucune hésitation possible, que ce n’est qu’une affaire de délai.
C’est le psaume 89/90 qui dit : « Mille ans, à tes yeux, sont comme hier, un jour qui s’en va, comme une heure de la nuit. » Et saint Pierre reprend à peu de choses près les mêmes termes : à des Chrétiens qui s’impatientent devant la longueur du délai de la venue du Royaume, Pierre répond : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous… » (2 Pi 3,8-9).
On retrouve ici un écho des promesses de Malachie, que nous entendons ce dimanche en première lecture : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme une fournaise… Pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de justice se lèvera ; il apportera la guérison dans son rayonnement. » Ceux qui chantent ce psaume, ce sont les humbles, les pauvres du SEIGNEUR, justement, ceux qui attendent avec impatience sa venue, son rayonnement, comme dit Malachie.
A l’époque où ce psaume a été composé, c’est le peuple élu tout seul qui chantait au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR». Mais quand les temps seront accomplis, c’est la Création tout entière qui chantera et pas seulement le peuple élu… Et nous avons vu, déjà, que le mot « chanter » ici est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah ».
Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que Dieu va créer, ce cri de victoire va se transformer : il n’y aura plus de place pour des cris de guerre car, et c’est encore Isaïe qui parle « La justice de Dieu sera là pour toujours et son salut, de génération en génération. » Nous comprenons pourquoi Jésus nous fait répéter : « Que ton Règne vienne ! »

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul apôtre aux Thessaloniciens 3, 7-12

Frères,
7 vous savez bien, vous,
ce qu’il faut faire pour nous imiter.
Nous n’avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ;
8 et le pain que nous avons mangé,
nous ne l’avons pas reçu gratuitement.
Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour,
nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous.
9 Bien sûr, nous avons le droit d’être à charge,
mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter.
10 Et quand nous étions chez vous,
nous vous donnions cet ordre :
si quelqu’un ne veut pas travailler,
qu’il ne mange pas non plus.
11 Or, nous apprenons que certains d’entre vous
mènent une vie déréglée,
affairés sans rien faire.
12 A ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ
cet ordre et cet appel :
qu’ils travaillent dans le calme
pour manger le pain qu’ils ont gagné.

« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » : voilà une phrase que Saint Paul ne redirait certainement pas telle quelle aujourd’hui ! Ceux qui ont la chance d’avoir du travail (c’était le cas de Saint Paul), n’oseraient jamais dire une chose pareille aux millions de chômeurs d’aujourd’hui. On a là, une fois de plus, la preuve qu’il ne faut jamais sortir une phrase biblique de son contexte !
Le contexte, aujourd’hui, c’est le chômage de quantité de gens de bonne volonté dont les compétences, le savoir-faire, sont inutilisés… Le contexte à l’époque de Saint Paul était tout autre ! On n’avait certainement pas de mal à trouver du travail, puisque lui-même qui n’a séjourné que quelques semaines à Thessalonique, peut parler du métier qu’il y a exercé. S’il a pu trouver du travail en si peu de temps, c’est qu’il n’y avait pas de chômage. Et, rappelez-vous, à Corinthe, il avait trouvé de l’embauche très vite chez Priscille et Aquilas qui pratiquaient le même métier que lui.
Nous le savons par le livre des Actes des Apôtres : « En quittant Athènes, Paul se rendit ensuite à Corinthe. Il rencontra là un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont, qui venait d’arriver d’Italie avec sa femme Priscille. (L’empereur) Claude, en effet, avait décrété que tous les Juifs devaient quitter Rome. (on est en 50 ap J.C. environ). Paul entra en relations avec eux et, comme il avait le même métier – c’était des fabricants de tentes – il s’installa chez eux et il y travaillait. » (Ac 18,1-3).
Les oisifs dont parle Paul ne sont donc pas des chômeurs au sens moderne du terme : il dit bien « si quelqu’un ne veut pas travailler » ; mais vous vous rappelez que Paul partait en guerre contre ceux qui prétextaient la venue imminente du royaume de Dieu pour se mettre en vacances.
Paul, lui, pratiquait donc un métier manuel, celui de tisseur de toiles de tentes ; les toiles étaient tissées en poils de chèvre, c’était une technique qu’il avait apprise en Cilicie, sa patrie natale (on se souvient que Paul est de Tarse, en Cilicie, c’est-à-dire le Sud-Est de la Turquie actuelle). Les poils de chèvre devaient produire une toile plutôt rugueuse, et notre mot « cilice » pour désigner un vêtement de pénitence, vient de là.
Ce n’était pas un métier glorieux : dans le monde grec, on avait plus de considération pour les artistes ou les intellectuels ; tandis que les rabbins, au contraire, ne dédaignaient pas les métiers manuels ; et la phrase « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », Paul ne l’a pas inventée, elle était courante dans les milieux rabbiniques.
Le métier de Paul n’était pas lucratif non plus : il n’a pas dû gagner grand chose puisqu’il a dû travailler nuit et jour ; il dit : « Dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous ». Et encore, malgré ce travail incessant, il ne subvenait à ses besoins que grâce à un complément envoyé par ses amis de la ville de Philippes. (C’est la lettre aux Philippiens qui nous l’apprend). C’est cet acharnement au travail qui autorise Paul à en parler à ceux qui se contentent de l’oisiveté sous prétexte que le Christ ne va pas tarder à revenir.
Nous avons déjà eu l’occasion de voir que, tout convaincus que le Royaume était déjà commencé avec Jésus-Christ, les Chrétiens de Thessalonique avaient perdu leur motivation pour leur travail quotidien… Il est vrai que si le Christ devait revenir dans quelques semaines ou quelques mois, on se poserait la question du bien-fondé de beaucoup de nos occupations… Les Thessaloniciens en étaient là… Et c’est précisément parce qu’il sait leur démotivation (comme on dirait aujourd’hui) que Paul met son point d’honneur à travailler de ses mains, pour ne pas leur donner le mauvais exemple : « Nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter ».
Le premier argument, pour Paul, semble bien être le souci de n’être à charge de personne… C’est donc une affaire de respect des autres. Il n’est pas question de prendre l’imminence du Royaume comme prétexte pour rester inactifs.
Mais il y a aussi une deuxième raison : oui, le monde, tel que nous le connaissons, n’est que provisoire, mais c’est de ce monde que Dieu fait son Royaume : ce n’est pas pour rien que Dieu a donné le commandement du livre de la Genèse « Dominez la terre et soumettez-la »… sous-entendu, faites-en votre Royaume.
Les plus âgés d’entre nous ont connu, peut-être, la chanson du père Aimé Duval « Ton ciel se fera sur terre avec tes bras… » Dans un autre style, l’écrivain Libanais, Khalil Gibran dit dans « le Prophète » : Lorsque vous travaillez, vous accomplissez une part du rêve de la terre… » Un croyant traduit : le rêve de la terre, c’est le Royaume ; Dieu a créé la terre pour en faire le Royaume… Son Royaume et le nôtre, le Royaume de l’amour.
Chaque fois que nous agissons, de quelque manière que ce soit, même si ce n’est pas par un travail rémunéré, pour faire grandir l’homme, pour répandre de l’amour, nous accomplissons une part de ce rêve, de ce projet du Royaume ; Khalil Gibran continue : « Cette part de rêve vous fut assignée lorsque ce rêve naquit », c’est-à-dire depuis l’origine. Je reprends sa phrase en entier : « Lorsque vous travaillez, vous accomplissez une part du rêve le plus lointain de la terre, (une part) qui vous fut assignée lorsque ce rêve naquit… Le travail est l’amour rendu visible ».
Or notre participation à la construction du Royaume de Dieu semble bien indispensable. Je reprends, mais cette fois en entier, la phrase de Pierre que nous lisions à propos du psaume de ce dimanche : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3,8-9). Si je comprends bien, si nous voulons que le Règne de Dieu arrive plus vite, nous n’avons pas une minute à perdre !

EVANGILE – selon Saint Luc 21, 5-19

En ce temps-là,
5 comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple,
des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient,
Jésus leur déclara :
6 « Ce que vous contemplez,
des jours viendront
où il n’en restera pas pierre sur pierre :
tout sera détruit. »
7 Ils lui demandèrent :
« Maître, quand cela arrivera-t-il,
et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
8 Jésus répondit :
« Prenez garde de ne pas vous laisser égarer,
car beaucoup viendront sous mon nom
et diront : ‘C’est moi’,
ou encore : ‘Le moment est tout proche’.
Ne marchez pas derrière eux !
9 Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres,
ne soyez pas terrifiés :
il faut que cela arrive d’abord,
mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
10 Alors Jésus ajouta :
« On se dressera nation contre nation,
royaume contre royaume.
11 Il y aura de grands tremblements de terre,
et, en divers lieux, des famines et des épidémies ;
des phénomènes effrayants surviendront,
et de grands signes venus du ciel.
12 Mais avant tout cela,
on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ;
on vous livrera aux synagogues et aux prisons,
on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs,
à cause de mon Nom.
13 Cela vous amènera à rendre témoignage.
14 Mettez-vous donc dans l’esprit
que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense.
15 C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse
à laquelle tous vos adversaires ne pourront
ni résister ni s’opposer.
16 Vous serez livrés même par vos parents,
vos frères, votre famille et vos amis,
et ils feront mettre à mort certains d’entre vous.
17 Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom.
18 Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.
19 C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »

« Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu »!… Et pourtant, depuis notre naissance, nous avons quand même perdu beaucoup de cheveux. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas prendre ces expressions au pied de la lettre ; elles sont une manière de parler. Jésus parle comme tous les prophètes avant lui : ils ne prédisent pas l’avenir : leurs discours ne sont jamais des prédictions, mais des prédications. La remarque est valable aussi pour la parole de Jésus sur la fin du Temple.
Voilà donc une première leçon de ce texte pour nous ; ce genre de discours ne doit pas être pris au pied de la lettre, il n’est pas fait pour prédire l’avenir de manière exacte : il est fait pour nous aider à surmonter les épreuves du présent. Le message, en définitive, c’est « Quoi qu’il arrive… Ne vous effrayez pas… »
C’est aussi : « Ne vous appuyez pas sur de fausses valeurs ». Le Temple en était un bon exemple ; restauré par Hérode, agrandi, embelli, couvert de dorures, il était magnifique ; mais lui aussi fait partie de ce monde qui passe…
Inutile également de chercher dans les paroles de Jésus des précisions sur les dates ou les modalités du Royaume ; qu’il s’agisse de la résurrection de la chair dans sa réponse aux Sadducéens, dimanche dernier, qu’il s’agisse de la fin des temps, aujourd’hui, il ne donne pas de précision ; si j’ose dire, il répond à côté : on lui demande « Quand cela arrivera-t-il ? et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » Il ne répond pas à ces questions pourtant bien précises : il dit « prenez garde de ne pas vous laisser égarer.. » ce qui n’est pas vraiment une réponse à la question posée. Il faut croire que ce n’est pas le genre de précisions dont nous avons besoin pour mener notre vie de Chrétiens …
Ailleurs il dira qu’il ne lui appartient pas, même à lui, le Christ, de connaître ces choses-là ; mais il nous dit très clairement quelle doit être notre attitude : une attitude de confiance que rien n’ébranle : ni les catastrophes, ni les persécutions.
Si j’entends bien, les persécutions viendront vite : Jésus décrit des catastrophes et il dit : « Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. » Et un peu plus bas, « Vous serez détestés de tous à cause de mon Nom ». Luc sait à quel point c’est venu vite, effectivement : d’Etienne à Paul en passant par Jacques et tant d’autres… persécution de la part des Juifs d’abord, puis des Romains.
Au passage, on note que Jésus emploie deux fois l’expression « à cause de mon Nom » : à elle seule, elle dit la divinité du Christ ; dans le langage des Juifs, très souvent, pour parler de Dieu lui-même, on disait simplement ces deux mots « Le Nom ».
La parole qui suit, nous la connaissons bien : « Mettez-vous dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister opposer ni s’opposer. » Cela ne veut pas dire que les Chrétiens persécutés échapperont forcément à leurs persécuteurs… Certains mourront, Jésus le dit bien « ils feront mettre à mort certains d’entre vous » mais il ajoute « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu », ce qui veut dire que tout notre être, corps et âme, est dans la main de Dieu. A travers la mort même, nous sommes assurés de rester vivants de la vie de Dieu. Et, quelles que soient les persécutions, la Parole de Dieu poursuivra sa course, comme dit saint Paul.
Dans les perturbations du monde, ensuite, seule une confiance tenace nous évitera les égarements, et nous évitera aussi de nous laisser effrayer quels que soient les événements ; et Jésus cite les tremblements de terre, les épidémies, les faits terrifiants, les guerres… Et c’est notre assurance même, notre tranquillité, le fait de ne pas nous laisser effrayer qui sera témoignage. Le même évangéliste, Luc raconte dans les Actes des Apôtres la joie ressentie par Pierre et Jean poursuivis par les autorités juives : « Ils étaient tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom. » (Ac 5,41).
Il faut garder en tête cette phrase de Jésus que saint Jean a retenue : « Confiance ! J’ai vaincu le monde ! » Saint Paul le dit aussi à sa manière ; vous connaissez ce texte : « Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Rm 8,38-39).

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Dimanche 6 novembre 2022 : 32ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 6 novembre 2022 :

32ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaire de Marie Noëlle Thabut

1ère lecture

Psaume

Deuxième lecture

Evangile

LECTURE DU DEUXIÈME LIVRE DES MARTYRS D’ISRAËL 7,1-2.9-14

    En ces jours-là,
1   Sept frères avaient été arrêtés avec leur mère.
     À coups de fouet et de nerf de bœuf,
     le roi Antiocos
     voulut les contraindre à manger du porc, viande interdite.
2   L’un d’eux se fit leur porte-parole et déclara :
     « Que cherches-tu à savoir de nous ?
     Nous sommes prêts à mourir
     plutôt que de transgresser les lois de nos pères. »

9   Le deuxième frère lui dit,
     au moment de rendre le dernier soupir :
     « Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente,
     mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois,
     le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. »
10 Après cela, le troisième fut mis à la torture.
     Il tendit la langue aussitôt qu’on le lui ordonna,
     et il présenta les mains avec intrépidité,
11 en déclarant avec noblesse :
     « C’est du Ciel que je tiens ces membres,
     mais à cause de ses lois je les méprise,
et c’est par lui que j’espère les retrouver. »
12 Le roi et sa suite
     furent frappés de la grandeur d’âme de ce jeune homme
     qui comptait pour rien les souffrances.
13 Lorsque celui-ci fut mort,
     le quatrième frère fut soumis aux mêmes sévices.
14 Sur le point d’expirer, il parla ainsi :
     « Mieux vaut mourir par la main des hommes,
     quand on attend la résurrection promise par Dieu,
     tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection
     pour la vie. »

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LA FOI EN LA RÉSURRECTION DÈS L’ANCIEN TESTAMENT

Ce texte marque une étape capitale dans le développement de la foi juive : c’est l’une des premières affirmations de la Résurrection des morts. Nous sommes vers 165 avant J.-C., en un moment de terrible persécution déclenchée par le roi Antiochus Épiphane. Il était très certainement mégalomane et voulait être révéré comme un dieu. Pour obliger les Juifs à renier leur foi, il exigeait d’eux des gestes de désobéissance à la Loi de Moïse : cesser de pratiquer le sabbat, offrir des sacrifices à d’autres dieux que le Dieu d’Israël, manquer aux règles alimentaires de la Loi juive… Leur fidélité a conduit de nombreux Juifs au martyre : plutôt mourir que de désobéir à la Loi de Dieu ; mais paradoxalement, c’est au sein même de cette persécution qu’est née la foi en la Résurrection : car une évidence est apparue… qu’on pourrait exprimer ainsi : puisque nous mourons par fidélité à la loi de Dieu, lui qui est fidèle nous rendra la vie.

 Aujourd’hui, nous lisons un passage de l’histoire de sept martyrs, sept frères, torturés et exécutés par Antiochus Épiphane. C’est cette extraordinaire découverte de la foi en la Résurrection qui les a soutenus : « Puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde (sous-entendu le véritable Roi du monde) nous ressuscitera pour une vie éternelle ». On a donc là une affirmation très claire de la Résurrection ; et une résurrection, on l’aura remarqué, très charnelle : l’un des frères parle de « retrouver ses membres » : « C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois, je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver ».

C’est presque la première affirmation de cette foi dans la Bible1 : jusque-là, on y parlait relativement peu de l’après-mort ; l’intérêt se concentrait sur cette vie et sur le lien vécu ici-bas entre Dieu et son peuple. Ce lien qu’on appelait l’Alliance. On s’intéressait à l’aujourd’hui du peuple, au lendemain du peuple, et non au lendemain de l’individu… Après la mort, le corps était déposé dans la tombe, « couché avec ses pères », selon la formule habituelle. On pensait que seule une ombre subsistait dans le « shéol », lieu de silence, de ténèbres, d’oubli, de néant.

DES JALONS SUR LE CHEMIN

C’est donc au deuxième siècle seulement que la foi en la Résurrection a été formulée en Israël. Des prophètes comme Isaïe ou Ézéchiel avaient préparé le terrain en affirmant très fortement la fidélité de Dieu, mais jamais ils n’avaient envisagé une véritable résurrection des hommes.

Il faut lire chez Ézéchiel, par exemple, la fameuse vision des ossements desséchés (Ez 37). Il prêche au moment du désastre de l’Exil à Babylone : alors que le peuple a tout perdu, Ézéchiel annonce contre toutes les apparences, le sursaut du peuple, son renouveau : oui, le peuple revivra, il retrouvera sa force, il se relèvera ; pour oser dire une chose pareille, Ézéchiel s’appuie sur sa foi : Dieu ne peut manquer à sa promesse, le peuple élu reste le peuple élu. Cette annonce de relèvement du peuple, Ézéchiel la dit en images : il décrit un immense champ de bataille jonché d’ossements, les cadavres d’une armée vaincue ; tout le monde sait que rien ne les ressuscitera ; ‘eh bien, moi je vous dis (c’est Ézéchiel qui parle), votre peuple ressemble à cela : il est anéanti comme ces cadavres et à vues humaines, il n’y a plus aucun espoir… mais aussi vrai que Dieu est le Dieu de la vie, votre peuple va se relever, comme si ces ossements se recouvraient soudainement de chair, de muscles, de peau, comme si le sang, à nouveau, coulait dans leurs veines.’ Dans cette vision, il ne s’agit donc pas encore de résurrection individuelle.

Et c’est précisément parce que la résurrection d’un corps mort apparaît à tout le monde comme le type même des choses impossibles qu’Ézéchiel prend cet exemple pour annoncer ce à quoi on a bien du mal à croire à savoir le relèvement du peuple d’Israël. 

Isaïe, lui, avait annoncé : « Le SEIGNEUR de l’univers…fera disparaître la mort pour toujours. Le SEIGNEUR Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le SEIGNEUR a parlé. » (Is 25,6…8). Mais on peut penser qu’il ne parlait pas ici de la mort biologique mais de la mort spirituelle que représente le péché et qui est effectivement la honte de son peuple.

UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA RÉVÉLATION

Bien sûr, après coup, on se dit « Ézéchiel et Isaïe ne croyaient pas si bien dire » : par leur bouche l’Esprit-Saint annonçait beaucoup plus qu’eux-mêmes n’en avaient conscience.

On a donc aujourd’hui avec le texte des Martyrs d’Israël une étape beaucoup plus avancée du développement de la foi d’Israël : la découverte de la foi en la résurrection des corps n’a été possible qu’après une longue expérience de la fidélité de Dieu : et alors tout d’un coup, c’est devenu une évidence que le Dieu fidèle, celui qui ne nous a jamais abandonnés, ne peut pas nous abandonner à la mort… quand nous acceptons de mourir par fidélité justement.

 C’est donc une étape capitale sur le chemin de la découverte de Dieu ; mais seulement une étape : une étape provisoire, qui sera, à son tour, dépassée : pour l’instant, on envisage la résurrection seulement pour les justes. Ceux qui sont morts de leur fidélité à Dieu, le Dieu fidèle les ressuscitera. C’est ce que dit le quatrième frère : « Mieux vaut mourir par la main des hommes quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. » Il faudra encore des siècles d’éducation patiente de Dieu pour que la foi en la résurrection des morts soit affirmée sans restriction. Aujourd’hui nous l’affirmons dans le « je crois en Dieu » : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir » : cette affirmation, nous la devons entre autres à ces sept frères anonymes (du livre des Martyrs d’Israël) morts en 165 avant Jésus-Christ sous Antiochus Épiphane.
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Note

1 – La toute première affirmation de la Résurrection se trouve dans le Livre du prophète Daniel, écrit précisément au moment de cette terrible persécution d’Antiochus Épiphane : « Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront… » (Dn 12,2-3). Les sept frères se seraient inspirés de lui justement. Le Livre des Martyrs d’Israël (autrement appelé Livre des Maccabées), lui, qui relate cette phase de l’histoire, est plus tardif.
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PSAUME 16 (17),1.3ab,5-6,8.15

1   SEIGNEUR, écoute la justice !
     Entends ma plainte, accueille ma prière.
3   Tu sondes mon cœur, tu me visites la nuit,
     tu m’éprouves, sans rien trouver.  

5   J’ai tenu mes pas sur tes traces,
     jamais mon pied n’a trébuché.
6   Je t’appelle, toi, le Dieu qui répond :
     écoute-moi, entends ce que je dis.   

8   Garde-moi comme la prunelle de l’œil ;
     à l’ombre de tes ailes, cache-moi.
15 Et moi, par ta justice, je verrai ta face :
     au réveil, je me rassasierai de ton visage.
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À L’OMBRE DE TES AILES CACHE-MOI 

« À l’ombre de tes ailes cache-moi » : cette toute petite phrase nous donne le cadre précis de ce psaume : il s’agit des ailes des chérubins qui surplombent le coffret de l’arche d’Alliance ; nous sommes donc en pensée au Temple de Jérusalem, dans l’endroit le plus sacré, le Saint des Saints, là où, seul, le grand-prêtre pénétrait une fois par an, le jour du Grand pardon, (Yom Kippour). Ici, il ne s’agit pas du grand-prêtre, mais de quelqu’un qui se cache, qui vient chercher refuge près de l’autel du Temple de Jérusalem. Il est certainement traqué puisqu’il vient chercher refuge près de l’autel du Temple et qu’il en appelle à la justice de Dieu ; c’est le sens du premier verset (« SEIGNEUR, écoute la justice ») et du dernier (« par ta justice, je verrai ta face »). S’il est contraint de remettre sa cause à Dieu, c’est qu’il est victime d’une erreur judiciaire : ce n’est certainement pas un cas isolé puisque l’on se souvient que le prophète Amos avait des paroles très sévères sur le fonctionnement de la justice ; en parlant des juges, il disait : « On change le droit en poison, on jette à terre  la justice ». (Am 5,7). Amos prêchait dans le royaume du Nord ; dans celui du Sud, ce n’était pas mieux : voici ce que dit Isaïe au chapitre 5 : « Malheureux, ces gens qui déclarent bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui rendent amer ce qui est doux et doux ce qui est amer ! » (Is 5, 20).

Et d’ailleurs, si Jésus a pu raconter une parabole mettant en scène un juge inique, refusant de rendre justice à une veuve, c’est que le cas n’était pas improbable ; et lui-même sera victime de faux témoignages. On en a une trace ici dans la phrase « Je t’appelle, toi le Dieu qui répond : écoute-moi, entends ce que je dis … » sous-entendu les juges d’ici-bas, cela ne sert à rien de les appeler, ils ne répondent pas, ils n’écoutent pas… Dans des cas pareils, quand un innocent était injustement accusé, il ne lui restait qu’un seul refuge, le Temple, qui était un asile inviolable ; et là il se soumettait à ce que notre Moyen-Age a appelé le « jugement de Dieu ». C’était sa seule chance. Ici, il s’agit certainement de quelque chose de cet ordre, puisque notre accusé plaide non coupable « J’ai tenu mes pas sur tes traces, jamais mon pied n’a trébuché » ; aujourd’hui, nous dirions qu’il n’a pas fait de faux pas.

Comment se passait concrètement le jugement de Dieu, on ne le sait pas exactement ; mais il s’agit bien de cela : « Tu sondes mon cœur, tu me visites la nuit, tu m’éprouves sans rien trouver ». Le simple fait d’accepter de dormir dans le Temple, complètement abandonné au jugement de Dieu était déjà une présomption d’innocence ; le roi Salomon, lui, avait prévu une formule de serment qu’on faisait prononcer à l’accusé : du genre ‘si j’ai commis le crime que vous croyez, alors qu’il m’arrive tel malheur’… si l’accusé acceptait de prêter ce serment, c’est qu’il était réellement innocent ; la superstition était telle à l’époque qu’aucun coupable n’aurait couru le risque !

GARDE-MOI COMME LA PRUNELLE DE L’ŒIL

Celui qui parle dans notre psaume est donc bien certain de son innocence puisqu’il est prêt à affronter le jugement de Dieu ; il sait qu’il n’a rien à craindre. Au contraire, Dieu va le protéger, le « garder comme la prunelle de ses yeux ». Nous retrouvons ici la superbe expression du livre du Deutéronome et qui est passée comme telle en français : « Le SEIGNEUR rencontre son peuple au pays du désert dans les solitudes remplies de hurlements sauvages. Il l’entoure, il l’instruit, il veille sur lui comme sur la prunelle de son œil. » (Dt 32,10). Encore aujourd’hui nous disons que nous tenons à quelqu’un ou à quelque chose « comme à la prunelle de nos yeux ».

Il est si sûr de son innocence, notre accusé, qu’il attend le matin avec tranquillité : « Moi, par ta justice, je verrai ta face ; au réveil, je me rassasierai de ton visage ». On retrouve ici l’assurance de Job qui ose affirmer : « Mais je sais, moi, que mon rédempteur est vivant, que, le dernier, il se lèvera sur la poussière ; et quand bien même on m’arracherait la peau, de ma chair je verrai Dieu. » (Jb 19,25-26).

Quand le peuple d’Israël, assemblé au Temple de Jérusalem, chante ce psaume, il proclame sa foi : il sait qu’il survivra à tous ceux qui lui veulent du mal (comme dira Paul aux Thessaloniciens dans la deuxième lecture) ; car, une fois de plus, on sait bien que cet homme (dont parle le psaume) cet homme traqué, cherchant refuge et justification dans le Temple, n’est autre que le peuple tout entier. « J’ai tenu mes pas sur tes traces, jamais mon pied n’a trébuché », c’est sa protestation de fidélité ; au milieu de toutes les tentations des peuples voisins, Israël est resté fidèle au Dieu Unique. Et c’est dans le temple de Jérusalem et seulement là qu’il cherchait refuge. « Moi, par ta justice, je verrai ta face ; au réveil, je me rassasierai de ton visage ». Il ne s’agit pas encore de résurrection individuelle, mais le peuple élu sait que rien ne pourra l’écraser totalement ; car Dieu ne peut se renier lui-même.

« Au réveil, je me rassasierai de ton visage » : ce psaume n’a probablement pas été écrit pour annoncer la résurrection : mais quand nous le redisons aujourd’hui, à la lumière de la Résurrection du Christ, nous reconnaissons qu’il s’y applique tellement bien ; après la nuit de la mort, nous nous éveillerons dans la lumière de Dieu. Déjà, avant même la venue de Jésus au monde, les frères dont nous lisions l’histoire dans le livre des Martyrs d’Israël en première lecture, ont pu dire cela en affrontant Antiochus Épiphane.

 En attendant le sommeil définitif, chaque nuit est l’occasion pour nous de nous abandonner à la vigilance de Dieu ; on comprend pourquoi notre chant des Complies reprend chaque soir la prière de ce psaume : « Garde-moi comme la prunelle de l’œil, à l’ombre de tes ailes cache-moi ».
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS 2,16 – 3,5

    Frères
2,16   que notre Seigneur Jésus Christ lui-même,
          et Dieu notre Père qui nous a aimés
          et nous a pour toujours donné réconfort et bonne espérance par sa grâce,
2,17   réconfortent vos cœurs
          et les affermissent en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien.
3,1     Priez aussi pour nous, frères,
          afin que la parole du Seigneur poursuive sa course,
          et que, partout, on lui rende gloire comme chez vous.
3,2     Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais,
          car tout le monde n’a pas la foi.
3,3     Le Seigneur, lui, est fidèle :
          il vous affermira et vous protégera du Mal.
3,4     Et, dans le Seigneur, nous avons toute confiance en vous :
          vous faites et continuerez à faire ce que nous vous ordonnons.
3,5     Que le Seigneur conduise vos cœurs dans l’amour de Dieu
          et l’endurance du Christ.
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QUE LA PAROLE DE DIEU POURSUIVE SA COURSE 

Nous qui sommes parfois à court d’idées pour composer nos prières universelles, voilà un bon modèle ! Tout y est : d’abord, c’est une prière des uns pour les autres, les Thessaloniciens prient pour Paul et Paul pour les Thessaloniciens.

Ensuite celui qui prie n’a qu’un seul objectif : « Que la parole de Dieu poursuive sa course ». On retrouve ici la passion de Paul pour l’annonce de la Parole à toutes les nations ; on sait qu’il aime l’image de la course ; dans le monde grec, très amateur des jeux du cirque, c’était un spectacle familier. On imagine bien un coureur portant la parole comme une torche pour enflammer le monde le plus loin possible. L’apôtre est un porte-parole, (on pourrait dire le « haut-parleur »), le simple témoin d’une parole qui le précède et qui le dépasse et qui lui survivra. Cela suggère une autre comparaison : le musicien qui interprète une œuvre la fait résonner le temps que dure sa carrière ; il la fait connaître et aimer ; la partition lui survivra. Le nom de l’interprète s’oubliera, c’est le nom de l’auteur qu’on retiendra. Et les applaudissements vont bien davantage à l’œuvre qu’à l’interprète. Les noms de Bach ou de Mozart ou de Beethoven sont restés, les noms de leurs interprètes sont oubliés.

Mais ce n’est qu’une comparaison : par chance, la partition dont nous sommes chargés, la Parole de Dieu n’a pas besoin d’interprètes talentueux, il nous suffit d’être passionnés.

Saint Paul dit bien : « Priez afin que la parole de Dieu poursuive sa course, et que, partout, on lui rende gloire comme chez vous ». Paul cherche la gloire pour la Parole de Dieu, pas pour lui. Et il est vrai que chez les Thessaloniciens la Parole de Dieu a été accueillie d’une manière exemplaire : on se souvient que Paul n’est resté que trois semaines à Thessalonique et qu’en trois semaines déjà une communauté chrétienne était née, à laquelle il peut dire « Nous avons toute confiance en vous : vous faites et vous continuerez à faire ce que nous vous ordonnons ». Cela nous rappelle la première lettre à Timothée (que nous avons lue récemment) dans laquelle Paul s’émerveillait que le Christ lui ait fait confiance alors qu’il n’avait encore rien fait pour le mériter : « Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère, moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent ». (1 Tm 1,12-13).

LE SEIGNEUR EST FIDÈLE : IL VOUS AFFERMIRA

À son tour, Paul fait confiance aux tout jeunes baptisés de Thessalonique qui n’ont guère eu le temps de faire leurs preuves, pourtant. Mais en réalité, ce n’est pas à eux tout seuls qu’il fait confiance, c’est à eux assistés de la grâce de Dieu… Au fond, pour faire confiance aux autres il suffit de se souvenir que la grâce de Dieu est à l’œuvre en eux.

Enfin, la prière de Paul est guidée par une seule certitude : « Le Seigneur, lui, est fidèle ; il vous affermira et vous protègera du Mal » ; le mal dont il souhaite protéger les Thessaloniciens, ce n’est pas la persécution en elle-même ; il sait qu’elle fait partie de la vie du chrétien ; et l’on sait bien que si lui-même n’est resté à Thessalonique que trois semaines, c’est parce que la persécution des Juifs l’a contraint à partir. Mais ce dont les Thessaloniciens ont besoin, c’est du réconfort du Seigneur pour affronter cette persécution et tenir dans la durée. Paul insiste : « Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais, car tout le monde n’a pas la foi… » Échapper ici, ne veut pas dire éviter : s’il avait voulu éviter la persécution, il aurait changé de métier ! Échapper veut dire « surmonter », avoir le courage de tenir bon ; le seul objectif, encore une fois, c’est que la propagation de l’Évangile (la course, comme il dit), ne soit pas entravée.

Et ce réconfort du Seigneur, il sait qu’il peut compter dessus ; la fidélité, c’est le nom même de Dieu, « Le Dieu de tendresse et de fidélité » ; c’est sous ce nom que Dieu s’est révélé à Moïse. Cette fidélité de Dieu, Paul l’a lui-même expérimentée ; à preuve sa phrase superbe du début : « Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et Dieu notre Père qui nous a aimés et nous a pour toujours donné réconfort et bonne espérance par sa grâce, réconfortent vos cœurs. » Réconfort et bonne espérance, il semble bien que ce soit synonyme pour lui. Là il nous fait toucher du doigt à quel point l’espérance est enracinée dans le passé ou plutôt dans une expérience. Car l’espérance n’est pas une affaire d’imagination ; comme si on s’inventait des jours meilleurs, parce que l’aujourd’hui est difficile ; au contraire, l’espérance est une affaire de mémoire, (c’est la vertu de la mémoire), c’est la foi (ou la mémoire) conjuguée au futur. Nous l’avons vu, par exemple, avec l’histoire des sept martyrs du livre des Maccabées : s’ils ont pu découvrir la foi en la Résurrection, c’est parce qu’ils avaient l’expérience de la fidélité de Dieu.

Encore faut-il être accueillants à cette présence de Dieu ; c’est pour cela que Paul suggère aux Thessaloniciens de se laisser « réconforter par Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même ». On retrouve encore une fois ici la leçon du pharisien et du publicain : chez le pharisien, plein de lui-même, il n’y avait plus de place pour Dieu ; le publicain, lui, a pu être comblé parce que son cœur était ouvert.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC 20, 27-38

       En ce temps-là
27      quelques sadducéens
          – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection –
          s’approchèrent de Jésus
28      et l’interrogèrent :
          « Maître, Moïse nous a prescrit :
          Si un homme a un frère qui meurt
          en laissant une épouse mais pas d’enfant,
          il doit épouser la veuve
          pour susciter une descendance à son frère.
29      Or, il y avait sept frères :
          le premier se maria et mourut sans enfant ;
30      de même le deuxième,
31      puis le troisième épousèrent la veuve,
          et ainsi tous les sept :
          ils moururent sans laisser d’enfants.
32      Finalement la femme mourut aussi.
33      Eh bien, à la résurrection,
          cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse,
          puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
34      Jésus leur répondit :
          « Les enfants de ce monde prennent femme et mari.
35      Mais ceux qui ont été jugés dignes
          d’avoir part au monde à venir
          et à la résurrection d’entre les morts
          ne prennent ni femme ni mari,
36      car ils ne peuvent plus mourir :
          ils sont semblables aux anges,
          ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection.
37      Que les morts ressuscitent,
          Moïse lui-même le fait comprendre
          dans le récit du buisson ardent,
          quand il appelle le Seigneur 
          le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.
38      Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
          Tous, en effet, vivent pour lui. »
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DIEU D’ABRAHAM, DIEU DES VIVANTS

Quand un problème n’a pas de solution, c’est qu’il est mal posé. Et là vraiment le problème posé par les « Sadducéens » semble bien insoluble ; on a envie de dire « cherchez l’erreur ». L’erreur, ce serait de vouloir tendre un piège à Jésus, d’abord. Ce n’est certainement pas le meilleur moyen de découvrir la Parole de Dieu, puisqu’il est la Parole faite chair ; mais peut-être les Sadducéens ne cherchent-ils pas à tendre un piège à Jésus ? Peut-être ne sont-ils pas mal intentionnés ? Leur question nous paraît un peu artificielle aujourd’hui, mais elle ressemble aux discussions interminables qu’on développait dans les écoles de théologie. C’est un cas d’école un peu poussé sur un sujet qui était à l’ordre du jour.

Encore faut-il se rappeler qu’au temps du Christ, la foi en la Résurrection était toute neuve ; elle n’était pas encore partagée par tout le monde. Les Pharisiens y croyaient fermement ; pour eux c’était une évidence que le Dieu de la vie n’abandonnerait pas ses fidèles à la mort. Mais on pouvait très bien être un bon Juif sans croire à la résurrection de la chair. C’était le cas des Sadducéens. Pour justifier leur refus de la résurrection, ils cherchent à démontrer qu’une telle croyance conduit à des situations ridicules : leur logique est imparable ; une femme ne peut pas avoir sept maris à la fois, on est tous d’accord ; si vous croyez à la résurrection, disent-ils à Jésus, c’est pourtant ce qui va se passer : elle a eu sept maris successifs, qui sont morts les uns après les autres ; mais si tous ressuscitent, vous voyez à quoi cela mène !

L’erreur, Jésus va le leur dire, c’est de chercher nos articles de foi dans nos raisonnements ; Isaïe l’a dit depuis longtemps : « Les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées, et nos chemins ne sont pas ses chemins » (Is 55,8). Jésus au contraire appuie sa foi uniquement sur l’Écriture : chaque fois qu’une question lui est posée, il cherche sa réponse dans l’Écriture. Depuis le récit des tentations jusqu’à la rencontre des disciples d’Emmaüs, sa seule référence est l’Écriture ; c’est à partir d’elle qu’il ouvre l’intelligence de ses auditeurs ; il l’avait bien dit au tentateur « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4). Ici, il dit en quelque sorte : ‘ne nourrissez pas votre foi de raisonnements et de discussions mais de la Parole de Dieu’.

L’ALLIANCE AVEC DIEU EST ÉTERNELLE

Ici, sa référence à l’Écriture, il la prend dans les paroles de Moïse : tout comme ses interlocuteurs d’ailleurs ; les Sadducéens commencent en disant : « Moïse nous a prescrit. » Mais ils se servent de l’Écriture, ils l’utilisent pour prouver ce dont ils sont déjà persuadés par ailleurs. Ils utilisent l’Écriture, ils ne se mettent pas à son école ; ils citent l’Écriture au lieu de la scruter. Jésus au contraire cherche dans l’Écriture quelle révélation elle nous apporte sur Dieu ; or Moïse l’a bien dit : dans le buisson ardent (Ex 3) Dieu s’est révélé à lui comme le Dieu de nos pères, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob : Dieu ne peut pas être Dieu pour un temps seulement ; la mort ne peut pas faire échec aux engagements qu’il a pris envers les Patriarches, Abraham, Isaac, Jacob, et leurs descendants. Son Alliance traverse la mort : il noue avec chacun de nous et nous tous ensemble un lien d’amour que rien ne pourra détruire. Or, au-delà de la mort, comme dit saint Jean « nous lui serons semblables » (1 Jn 3,2). Pour l’instant, « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». Mais alors, nous serons enfin à son image des vivants, des aimants.

Une autre erreur est de parler de cette résurrection, de la vie dans l’au-delà comme si c’était la pure continuation de l’ici-bas. La réponse de Jésus montre bien au contraire qu’il y a une rupture complète entre notre vie actuelle et la vie des ressuscités : les enfants de ce monde se marient, c’est entendu ; mais les ressuscités ne se marient pas. Ils ne sont pas des anges (lisons bien le texte) mais ils sont « semblables aux anges », c’est-à-dire qu’ils ont un point commun avec les anges : ce point commun, justement, c’est qu’ils ne peuvent plus mourir ; la mort n’a plus sur eux aucun pouvoir ; désormais ils sont « enfants de Dieu », c’est-à-dire qu’ils sont vivants de la vie de Dieu. Dans leur question, les Sadducéens avaient lié le mariage à la reproduction : si cette femme avait été épousée par tous ses beaux-frères, c’est parce qu’elle n’avait pas pu être mère ; Jésus leur répond : votre problème est désormais sans objet ; dans le monde à venir tout est différent : il n’est plus question de mort et il n’est plus question de reproduction ; mais les Sadducéens avaient oublié que le mariage est aussi et d’abord une affaire d’amour : nos amours humaines, d’ici-bas, ne peuvent pas mourir : elles sont l’image de Dieu, elles sont ce qui en nous est à l’image de Dieu ; elles traversent la mort ; nous les retrouverons transfigurées sur l’autre rive.

Comme dit saint Augustin : « On ne peut perdre celui qu’on aime si on l’aime en Celui qu’on ne peut perdre. 

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL AUX THESSALONICIENS, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DE LA SAGESSE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 144

Dimanche 30 octobre 2022 : 31ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 30 octobre 2022 :

31ème dimanche du Temps Ordinaire 

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – livre de la Sagesse 11,22 – 12 ,2

11, 22 Seigneur, le monde entier est devant toi
comme un rien sur la balance,
comme la goutte de rosée matinale
qui descend sur la terre.
23 Pourtant, tu as pitié de tous les hommes,
parce que tu peux tout.
Tu fermes les yeux sur leurs péchés,
pour qu’ils se convertissent.
24 Tu aimes en effet tout ce qui existe,
tu n’as de répulsion envers aucune de tes oeuvres ;
si tu avais haï quoi que ce soit,
tu ne l’aurais pas créé.
25 Comment aurait-il subsisté,
si tu ne l’avais pas voulu ?
Comment serait-il resté vivant,
si tu ne l’avais pas appelé ?
26 En fait, tu épargnes tous les êtres,
parce qu’ils sont à toi,
Maître qui aimes les vivants,
12, 1 toi dont le souffle impérissable les anime tous.
2 Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu,
tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent,
pour qu’ils se détournent du mal,
et croient en toi, Seigneur.

UNE MINUSCULE GOUTTE DE ROSEE
Il est superbe ce texte ! Tout entier rédigé à la deuxième personne, comme une prière : ce n’est pas une méditation sur Dieu, c’est une parole adressée à Dieu, une parole de gratitude ; et ce genre littéraire tout à fait particulier nous donne un texte très émouvant. Plutôt que « gratitude », il faudrait dire « reconnaissance » au double sens du terme ; dans la « reconnaissance », il y a deux choses : il y a d’abord la connaissance et parce qu’il y a la connaissance, il peut y avoir la gratitude ; Israël a reçu ce privilège extraordinaire de la Révélation et donc d’une certaine connaissance et reconnaissance de Dieu. Or le livre de la Sagesse est un texte très tardif (il a été écrit seulement dans les années 50 av. J.C.) ; cela veut dire qu’il vient au terme de l’histoire biblique et qu’il a bénéficié de toute la maturation de la foi d’Israël ; on ne s’étonne donc pas d’y trouver une sorte de synthèse de toutes les découvertes que le peuple élu a faites au long des siècles.
Le texte que nous lisons ici est une hymne adressée au Dieu créateur : « Le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre ». Images superbes pour dire notre petitesse devant Dieu : l’univers entier et l’humanité comme une minuscule goutte de rosée face à la grandeur de Dieu ! Spontanément, cette conscience de la puissance de Dieu et de notre propre impuissance pourrait nous remplir de peur : historiquement, c’est certainement le premier sens de l’expression « crainte de Dieu ». Mais Dieu s’est révélé progressivement à Israël comme celui dont il ne faut pas avoir peur.
Car la première découverte d’Israël, on le sait bien, ou si l’on préfère, le premier article du credo d’Israël c’est « Dieu libère son peuple », Dieu accompagne son peuple dans son entreprise de libération, et cela gratuitement, sans aucun mérite du peuple, simplement par amour. La foi d’Israël est née de cette expérience vécue de l’Alliance avec ce Dieu qui libère, le Dieu de l’Exode, le « Dieu de tendresse et de fidélité », comme il s’est révélé lui-même à Moïse. Et donc, quand Israël réfléchit sur l’œuvre  de la Création, il l’envisage à partir de son expérience et il en déduit que la Création est elle aussi une œuvre  d’amour. Alors la peur n’est plus de mise : dans la foi, Israël garde une grande conscience de sa petitesse, mais il sait que la puissance de Dieu n’est qu’amour. Et alors, petit à petit, l’expression « crainte de Dieu » a changé de sens. Désormais, cette conscience de notre petitesse alimente une grande confiance.
Cette Révélation progressive accordée à Israël tout au long de son expérience d’Alliance avec Dieu affleure à plusieurs reprises dans ce passage d’aujourd’hui. En voici quelques traces : par exemple, nous lisons dans le livre de la Sagesse : « Tu aimes tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes oeuvres ; si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé. Comment aurait-il subsisté si tu ne l’avais pas voulu ?… Maître qui aimes les vivants »*…
MAITRE QUI AIMES LES VIVANTS
Il y a là un écho du merveilleux poème de la Création, au premier chapitre de la Genèse avec cette phrase qui revient comme un refrain « Dieu vit que cela était bon ». D’un bout à l’autre, ce poème de la Genèse affirme que Dieu aime ses créatures.
« Maître qui aimes les vivants », cela veut dire aussi que la mort n’aura pas le dernier mot : c’est cette découverte que Dieu aime la vie et les vivants qui a progressivement amené Israël à croire à la résurrection des morts. « Toi, dont le souffle impérissable anime tous les êtres » : là encore il y a une résonance avec la Genèse, mais avec le chapitre 2 cette fois, le deuxième récit de création : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7). Magnifique image pour dire que l’homme vit suspendu au souffle de Dieu.
Mais surtout, ce qui suscite la gratitude du croyant, c’est que l’amour du Créateur résiste à toutes nos infidélités ; sa puissance n’est pas domination : pour nous, elle est soutien et relèvement ! C’est cela la vraie puissance : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout ». On sait bien que le pardon demande beaucoup plus de force que la vengeance ; un peu plus loin le livre de la Sagesse le dit très clairement : « Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir absolu est mis en doute… (mais toi, Dieu) ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous » (Sg 12,16-17)**. Si Dieu pardonne, c’est parce qu’il aime la vie et les vivants justement, et c’est pour qu’on vive : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout… Tu fermes les yeux sur leurs péchés POUR qu’ils se convertissent… Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent POUR qu’ils se détournent du mal et croient en toi. » On entend là un écho du livre d’Ezéchiel : « Je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive » (Ez 33,11).
Autre écho : le livre de la Sagesse dit « Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis » ; le livre du Deutéronome comparait la patiente pédagogie de Dieu envers son peuple à celle d’un père « Comme un homme éduque son fils, ainsi le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation. » (Dt 8,5). Force est bien d’admettre que Dieu n’a pas fini de déployer sa patience à notre égard, que sa pédagogie n’est pas terminée, qu’il reste beaucoup à faire pour que nous soyons vraiment détournés du mal… mais il a toute la patience qu’il faut. Comme dit Saint Pierre, « Pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » (2 P 3,8).
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Compléments
– * Sg 11,26 : « Maître qui aimes les vivants » : cela veut dire que les solutions de mort sont contraires au projet de Dieu.
– ** Dans le film « La liste de Schindler », il y a un moment très intense où le héros du film, Schindler, est en face du chef du camp de concentration : le chef du camp a le pouvoir de vie et de mort sur les prisonniers et, à cet instant précis, il a envie de tuer un jeune garçon. Schindler lui explique qu’il serait beaucoup plus grand en usant de son pouvoir pour faire vivre que pour faire mourir.

 

PSAUME – 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14

1 Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
2 Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais !

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
9 la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
sa tendresse pour toutes ses oeuvres.

10 Que tes œuvres , SEIGNEUR, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
11 Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

13 Le SEIGNEUR est vrai en tout ce qu’il dit,
fidèle en tout ce qu’il fait.
14 Le SEIGNEUR soutient tous ceux qui tombent,
il redresse tous les accablés.

UN PSAUME ALPHABETIQUE
On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le Livre de la Sagesse résumait en quelques versets toute la foi d’Israël : la découverte d’un Dieu qui accompagne son peuple, depuis l’aube de la Création et tout au long de son histoire ; le psaume 144/145 redit la même chose dans un autre style mais avec le même émerveillement.
Cela commence par la forme du psaume qui est alphabétique : que l’on se reporte à une Bible ou à un livre de prières en hébreu, c’est clairement indiqué ; non seulement le psaume 144/145 comporte vingt-deux versets, autant que de lettres dans l’alphabet hébreu, mais surtout chaque verset commence réellement par l’une des lettres de l’alphabet hébreu, dans l’ordre alphabétique ; c’est ce qu’on appelle un acrostiche ; nous savons déjà que ce n’est pas un hasard : nous avons acquis le réflexe : en face d’un psaume alphabétique, nous savons d’avance qu’il s’agit d’une action de grâce pour l’Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de aleph à tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu ».
On ne s’étonne pas que ce psaume figure dans la prière juive de chaque matin : pour le Juif croyant, depuis la première aube du monde, Dieu accompagne son peuple, chaque matin jusqu’à l’aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la Création renouvelée… Si je vais un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (c’est-à-dire l’enseignement des rabbins des premiers siècles de notre ère), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ». Car la prière est un véritable apprentissage : répétée inlassablement, pourvu que ce soit du fond du coeur, elle nous convertit insensiblement. Parce que ces mots ont été inspirés par l’Esprit Saint, ils nous font peu à peu entrer dans la pensée de Dieu. On se souvient que le livre du Deutéronome nous disait que Dieu éduque l’homme comme un père éduque son fils (Dt 8,5). La prière est l’une des méthodes de cette pédagogie.
Si on regarde d’un peu plus près les huit versets précis qui ont été retenus pour ce dimanche, il me semble premièrement qu’on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis… et, deuxièmement qu’ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche… Nous retrouvons la contemplation du livre de la Sagesse sur le Dieu d’Amour et de pardon à la fois créateur et libérateur.
« Seigneur, tu aimes tout ce qui existe », disait le livre de la Sagesse ; le psaume répond en écho : « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres . » Il faut noter dans ces deux textes du livre de la Sagesse et du psaume 144/145 cette même insistance sur l’universalisme de l’amour et du projet de Dieu : la tendresse et la pitié du SEIGNEUR dont le peuple élu a eu le premier la Révélation, elles sont POUR TOUS ! Et cela, c’est une énorme découverte pour l’humanité… une découverte que nous devons au peuple élu… il ne faudrait jamais l’oublier. C’est un thème que nous avons rencontré très souvent dans l’Ancien Testament : Dieu aime toute l’humanité, et son projet d’amour, son « dessein bienveillant » concerne toute l’humanité.
TU FERMES LES YEUX SUR LES PECHES DES HOMMES
Autre convergence, le livre de la Sagesse insistait sur le pardon de Dieu : « Tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout… Tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se convertissent » ; le psaume, lui, reprend la fameuse révélation de Dieu à Moïse, « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. » (Ex 34,6). C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique. Le pardon accordé à Zachée dans l’évangile de ce dimanche s’en fera l’écho, dans le Nouveau Testament cette fois.
Un autre accent de ce psaume insiste sur la royauté de Dieu : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi… Tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits ». Et l’affirmation de la royauté de Dieu revient à plusieurs reprises dans d’autres versets. Mais ce n’est pas un roi comme ceux que l’on connaît sur la terre. Imaginez un roi à la fois tout-puissant et bon : parce qu’il serait tout-puissant, il aurait les moyens de faire à son gré le bonheur ou le malheur de ses sujets ; mais parce qu’il serait bon il ne ferait que leur bonheur… on en rêve.
Et justement, Dieu est ce roi à la fois tout-puissant et bon, sa puissance est celle de l’amour ; c’est la découverte qu’Israël a faite au long de son histoire. Quand on parle des exploits de ce roi pas comme les autres, il s’agit toujours de son œuvre  pour son peuple : nous savons bien que le mot « exploit » dans la Bible est toujours une référence à la libération d’Egypte : Dieu a libéré son peuple… et d’ailleurs, je ne devrais pas dire « Dieu A LIBERE » comme si c’était du passé… la foi d’Israël, c’est que « Dieu libère aujourd’hui son peuple, et ce depuis la première libération, et même depuis la Création ».
Pour terminer, si l’on se reporte au texte complet de ce psaume, on découvre une parenté très grande entre ce texte et celui du Notre Père : or on sait que le Notre Père était une prière juive avant d’être chrétienne. Par exemple, le Notre Père s’adresse à Dieu non seulement comme à un Père (« Notre Père… donne-nous… pardonne-nous… délivre-nous du mal… »), un Père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume… Mais le Notre Père s’adresse également à Dieu comme à un roi : « Que ton Règne vienne »… En répétant régulièrement cette phrase, nous apprenons peu à peu à désirer vraiment que vienne le Règne de Dieu pour le bonheur et le salut de toute l’humanité. Le psaume disait quelque chose d’équivalent : « Que tes fidèles te bénissent ! Ils diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits. »
Comme le dit le Talmud, en disant ce psaume de tout notre cœur , nous nous préparons à être « les fils du monde à venir ».

 

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens 1, 11 – 2, 2

Frères,
1, 11 nous prions pour vous à tout moment,
afin que notre Dieu vous trouve dignes
de l’appel qu’il vous a adressé ;
par sa puissance, qu’il vous donne d’accomplir
tout le bien que vous désirez,
et qu’il rende active votre foi.
12 Ainsi, le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous,
et vous en lui,
selon la grâce de notre Dieu
et du Seigneur Jésus Christ.
2, 1 Frères, nous avons une demande à vous faire
à propos de la venue de notre Seigneur Jésus Christ
et de notre rassemblement auprès de lui :
2 si l’on nous attribue une inspiration,
une parole ou une lettre
prétendant que le jour du Seigneur est arrivé,
n’allez pas aussitôt perdre la tête,
ne vous laissez pas effrayer.

DEUXIEME VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL
Si Paul juge utile de dire aux Thessaloniciens « je prie continuellement pour vous », c’est que les choses ne sont pas si simples ; Thessalonique est l’une des premières communautés fondées par Paul et la première en Grèce ; on se souvient que son premier voyage missionnaire avait été pour la Turquie ; et c’est au cours de son deuxième voyage qu’il a abordé en Grèce, d’abord à Philippes puis à Thessalonique. Partout Paul et ses compagnons de voyage adoptaient la même ligne de conduite : en bons Juifs pratiquants, ils se rendaient à la synagogue le matin du sabbat (donc le samedi matin) et là, après la lecture traditionnelle de l’Ancien Testament, ils prenaient la parole pour annoncer que le Messie attendu dans l’Ancien Testament était bel et bien venu en la personne de Jésus de Nazareth, crucifié, mort et ressuscité à Jérusalem, environ vingt ans auparavant.
Et partout les choses se passaient à peu près de la même façon : un certain nombre de leurs auditeurs les croyaient et demandaient à être baptisés ; mais au fur et à mesure que leur succès grandissait, ils se faisaient des ennemis de plus en plus farouches ; qui venaient les contredire puis les chasser ou les faire emprisonner, sous prétexte qu’avec ces nouvelles idées, les Chrétiens semaient la révolution. Et un jour ou l’autre, il fallait quitter la ville en laissant sur place les tout nouveaux baptisés qu’on avait eu plus ou moins le temps de former. A Thessalonique, les choses se sont passées exactement de cette manière et, si l’on en croit le livre des Actes des Apôtres, Paul n’a pu y rester que le temps de trois sabbats, c’est-à-dire au maximum trois semaines. Au bout de ces trois semaines, il a été obligé de fuir Thessalonique pour éviter d’être emprisonné. Trois semaines pour une conversion, c’est quand même peu ! Il est vrai qu’il a suffi d’un instant à Paul lui-même sur le chemin de Damas pour être complètement retourné, converti au vrai sens du terme, par Jésus-Christ, mais ensuite, il avait été enseigné longuement dans la foi par d’autres Chrétiens.
Les Chrétiens tout frais de Thessalonique ont donc eu trois semaines pour se convertir… mais après cette prédication sûrement enthousiasmante de Paul, ils se sont quand même retrouvés un peu seuls face à leurs frères juifs qui refusaient cette conversion… Et, comme toujours en pareil cas, tant qu’une nouvelle religion n’est pas reconnue comme une véritable religion, elle est traitée de secte ; les premiers Chrétiens ont vécu cela. Voilà donc la première difficulté à laquelle s’affrontent les premiers convertis de Thessalonique : à peine baptisés, les voilà laissés seuls à eux-mêmes ; Paul a dû repartir et eux restent face aux Juifs, leurs proches, leurs amis d’hier, devenus tout d’un coup des persécuteurs. Rude épreuve pour leur foi toute neuve. Paul a donc une première bonne raison de leur dire « je prie continuellement pour vous ».
NE PAS CESSER DE TRAVAILLER A LA VENUE DU REGNE DE DIEU
Il en a aussi une autre, d’un tout autre ordre ; la deuxième difficulté de cette jeune communauté, trop vite laissée à elle-même, c’est de ne plus trop bien savoir où elle en est, de « perdre la tête » comme dit Paul : puisque maintenant, on connaît le Messie, puisque le Royaume de Dieu est arrivé avec la Résurrection du Christ, puisque nous sommes dans les derniers temps, alors on laisse tout tomber ; il paraît que certains en abandonnaient leur travail ; sans aller jusque-là, d’autres se font trop facilement l’écho des bruits les plus divers concernant de prétendus événements ou révélations sur la fin du monde ; cela risque d’égarer les plus fragiles.
Paul les met en garde : « Frères, nous avons une demande à vous faire à propos de la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui : si l’on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer ». Le texte du Concile Vatican II sur la Révélation (« Dei Verbum » – la Parole de Dieu) reprend le même thème pour les Chrétiens d’aujourd’hui : « Aucune révélation publique n’est à attendre avant la manifestation glorieuse de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Ne nous laissons donc pas effrayer par quiconque, ne perdons pas la tête, mais attendons en confiance l’accomplissement du projet de Dieu : et si nous en croyons Paul, à la suite d’ailleurs de toute la révélation biblique : « Selon la grâce de notre Dieu et du Seigneur Jésus Christ, le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous, et vous en lui. » (2 Th 1,12).
Attendre en confiance ne veut pas dire pour autant rester passifs ; c’est très exactement ce que veut dire Paul ; il est on ne peut plus clair. C’est Dieu qui a l’initiative : il a un projet sur nous, il nous a appelés. « Que notre Dieu vous trouve dignes de l’appel qu’il vous a adressé » ; la formule est superbe ; elle dit l’honneur et la responsabilité qui sont les nôtres de par notre Baptême. Il n’est donc pas question de rester inactifs, au contraire. Paul continue sa prière : « Par sa puissance, que Dieu vous donne d’accomplir tout le bien que vous désirez, et qu’il rende active votre foi. » C’est nous qui accomplissons, mais c’est Dieu qui nous donne l’énergie pour le faire. C’est bien ce qui s’est passé pour Zachée : c’est Jésus qui a pris l’initiative de s’inviter chez lui, manière de lui proposer l’Alliance avec Dieu au cœur  même de sa vie concrète peu conforme à l’Alliance ; ce faisant, Jésus lui manifestait qu’on n’est jamais perdu pour Dieu. Alors Zachée a pu, dans un deuxième temps, changer de comportement et conformer sa vie au projet de Dieu. Avis aux Thessaloniciens et à nous-mêmes : Dieu nous appelle, à nous d’y répondre dans notre vie concrète, il n’y a pas de temps à perdre.

 

EVANGILE – selon Saint Luc 19, 1-10

En ce temps-là,
1 entré dans la ville de Jéricho, Jésus la traversait.
2 Or il y avait un homme du nom de Zachée ;
il était le chef des collecteurs d’impôts,
et c’était quelqu’un de riche.
3 Il cherchait à voir qui était Jésus,
mais il ne le pouvait pas à cause de la foule,
car il était de petite taille.
4 Il courut donc en avant
et grimpa sur un sycomore
pour voir Jésus qui allait passer par là.
5 Arrivé à cet endroit,
Jésus leva les yeux et lui dit :
« Zachée, descends vite :
aujourd’hui il faut que j’aille demeurer ta maison. »
6 Vite, il descendit,
et reçut Jésus avec joie.
7 Voyant cela, tous récriminaient :
« Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur. »
8 Zachée, debout, s’adressa au Seigneur :
« Voici, Seigneur :
je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens,
et si j’ai fait du tort à quelqu’un,
je vais lui rendre quatre fois plus. »
9 Alors Jésus dit à son sujet :
« Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison,
car lui aussi est un fils d’Abraham.
10 En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver
ce qui était perdu. »

ZACHEE, LE PUBLICAIN
Quelques lignes auparavant, Jésus a eu cette phrase terrible : « Oui, il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » (Lc 18,25). Alors ses auditeurs lui ont aussitôt posé la question qui nous vient spontanément aux lèvres : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Et Jésus a répondu : « Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu. » L’histoire de Zachée vient nous en apporter la preuve.
Jéricho, c’est, paraît-il, la ville la plus basse du monde, à moins trois cents mètres d’altitude : dans la vallée du Jourdain, un peu au Nord de la Mer Morte ; de là à Jérusalem, il y a trente-cinq kilomètres de montée dans un paysage désertique superbe. Ce jour-là, Jéricho était bruyante, les gens étaient dans la rue pour voir passer le prophète et la petite troupe de disciples qui le suivait ; il y avait donc la foule, Jésus … et ce Zachée perché dans le sycomore ; Zachée le publicain, responsable des impôts, ce qui signifiait pour tout le monde qu’il était à la fois collaborateur avec l’ennemi, l’occupant romain, et soupçonné de voler allègrement ses compatriotes. C’est justement chez lui, Zachée, que Jésus s’invite ; Luc nous raconte que la foule est horrifiée que Jésus aille manger chez un pécheur ; mais ces gens sont logiques : selon la loi juive, on ne doit pas frayer avec les impurs, or Zachée est rendu impur du seul fait de son contact avec les Romains qui sont des païens. Si Jésus était vraiment le prophète qu’on prétend, il respecterait la Loi. Mais c’est la logique des hommes et une fois de plus, l’Ecriture nous montre que la logique de Dieu n’est pas la nôtre.
Zachée, donc, reçoit Jésus avec joie, nous dit Luc, et les choses auraient pu en rester là ; mais alors il se passe quelque chose : « Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : Voici, Seigneur… » Arrêtons-nous là : Zachée vient de reconnaître Jésus comme le Seigneur… et c’est cela être sauvé. Le changement de comportement de Zachée ne viendra qu’ensuite, il en sera la suite logique, évidente. Le salut, c’est d’abord Jésus reconnu et accueilli comme présence de Dieu… Une Présence offerte à tous, mais ce sont les petits, ceux qui se reconnaissent en situation de précarité qui l’accueillent.
« Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » : il y a deux fois le mot « aujourd’hui » dans ce passage ; première fois, Jésus dit « Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison » ; Jésus fait le premier pas, mais Zachée est encore tout à fait libre : il ne va certainement pas refuser de recevoir le prophète, puisqu’il est grimpé sur le sycomore pour le voir…
Mais cette rencontre inespérée avec Jésus aurait pu rester une simple rencontre, qui serait devenue avec le temps un bon souvenir. Zachée pouvait en rester là. Il était libre de recevoir Jésus très poliment comme un hôte de marque, sans s’engager lui-même en profondeur, sans que cela change quoi que ce soit à sa vie.
ZACHEE, LE FILS DE LA PROMESSE
Il était libre aussi d’en faire tout autre chose, de saisir la proposition de Jésus et d’en faire l’aujourd’hui du salut pour lui. Et, on l’aura remarqué, c’est seulement quand, librement, Zachée a annoncé sa décision de changer de vie que Jésus parle de salut ; reprenons le texte : « Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : voici, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors, et alors seulement, Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. »
Au fond, la leçon est la même que dans la parabole du pharisien et du publicain de dimanche dernier, ou dans l’histoire du bon larron : Zachée, comme le bon larron, comme le publicain, est « justifié » (selon le mot de Jésus à propos du publicain), parce qu’il a ouvert les yeux, il a fait la vérité.
Quand il ajoute « Zachée aussi est un fils d’Abraham », Jésus ne cherche certainement pas là à nous donner une précision d’état-civil ! Il rappelle seulement la promesse qui lie pour toujours Dieu à la descendance d’Abraham : on pourrait traduire « fils de la promesse » : « Aujourd’hui le Salut est arrivé chez Zachée, car lui aussi est un fils de la promesse ». Les honnêtes gens qui étaient là, scandalisés que Jésus fréquente ce collaborateur de Zachée, ce malhonnête, ce vendu… ces honnêtes gens ne doivent pas oublier que le salut est toujours offert à tous parce que Dieu, lui, est toujours fidèle à sa promesse. Comme dit saint Paul, « Si nous manquons de foi, (Dieu,) lui, reste fidèle, car il ne peut se rejeter lui-même ». (2 Tm 2,13). C’est le même Luc, d’ailleurs, qui nous rapporte le Magnificat : « Il se souvient de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1,55).
On retrouve ici le double accent que nous avions déjà noté dans la parabole du pharisien et du publicain : le salut est « cadeau », le publicain « est justifié » (sous-entendu il ne se justifie pas lui-même). Mais il n’est pas passif pour autant : il « est justifié » parce qu’il accueille le salut donné par Dieu ; c’est la même chose ici. Le salut est don de Dieu, cadeau de Dieu ; ce n’est pas Zachée qui est la cause de son salut, et pourtant son attitude d’accueil est indispensable pour que le salut advienne « aujourd’hui » pour lui.
Comment ne pas faire le rapprochement avec le nom même de la ville de Zachée, Jéricho, la première ville de la Terre Promise conquise par les tribus d’Israël ; ils ont toujours considéré cette conquête comme un don de Dieu et non comme une victoire due à leurs propres forces. Décidément, nous dit Saint Luc, le salut est toujours un cadeau. Jéricho, c’est aussi pour Jésus, (dont le nom signifie Dieu sauve) la dernière étape de la montée à Jérusalem où s’accomplira le salut de l’humanité tout entière. Certainement, en choisissant de s’inviter chez Zachée, Jésus ne cherche pas à donner une leçon : simplement, il révèle qui est Dieu, irrésistiblement attiré par ceux qui sont en train de se perdre.

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE, LIVRE DE BEN SIRAC LE SAGE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 33

Dimanche 23 octobre 2022 : 30ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 23 octobre 2022 :

30ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de Ben Sira le Sage 35, 15b-17.20-22a

15 Le Seigneur est un juge
qui se montre impartial envers les personnes.
16 Il ne défavorise pas le pauvre,
il écoute la prière de l’opprimé.
17 Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin,
ni la plainte répétée de la veuve.

20 Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli,
sa supplication parviendra jusqu’au ciel.
21 La prière du pauvre traverse les nuées ;
tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable.
Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui,
22 ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice.

DIEU NE JUGE PAS SUR LA MINE
Quelques mots, d’abord, sur le livre de Ben Sira que nous lisons trop rarement : Ben Sira s’appelait Jésus lui aussi ; il a ouvert une école de sagesse à Jérusalem vers 180 av. J.C. ; c’est pour cela qu’on l’appelle souvent  Ben Sira le Sage ; à cette époque le pays des Juifs était sous domination grecque depuis la conquête d’Alexandre en 332 : l’occupant grec du moment était libéral (cela n’a pas toujours été le cas : on connaît la persécution d’Antiochus Epiphane au temps des Maccabées, vers 165 av. J.C)… pour l’instant, quand Ben Sira prend la plume, l’atmosphère est paisible ; le pouvoir en place respecte les coutumes et la religion juives. Mais, paradoxalement, et c’est ce qui pousse Ben Sira à écrire, ce libéralisme ambiant n’a pas que des avantages, cette apparence paisible cache un danger : le contact entre ces deux civilisations grecque et juive met en péril la pureté de la foi juive : on risque de tout mélanger. Car la religion juive est aux antipodes de la philosophie et de la mythologie grecques. Notre époque moderne en donne un peu une idée : nous aussi vivons dans une ambiance de tolérance qui nous conduit à une sorte d’indifférentisme religieux : comme le disait René Rémond, tout se passe comme s’il y avait un libre service des idées et des valeurs et nous faisons chacun le choix de ce qui nous convient dans ce super-marché.
L’un des objectifs de Ben Sira est donc de transmettre la foi dans son intégrité si bien qu’on a avec l’ensemble de son livre une présentation de la foi juive dans sa pureté, telle qu’on la conçoit vers les années 180 avant notre ère. Or les années 180, c’est déjà presque la fin de l’Ancien Testament : la réflexion de Ben Sira vient donc au terme de la longue évolution de la foi d’Israël. Car la foi juive n’est pas une spéculation philosophique, elle est l’expérience d’une Alliance avec le Dieu vivant. C’est à travers les œuvres  de Dieu qu’on a découvert peu à peu son vrai visage : non pas une idée inventée par les hommes, mais une Révélation progressive et, il faut bien le dire, surprenante. Car « Dieu est Dieu et non pas homme » comme dit le prophète Osée (Os 11,9).
En particulier, et c’est le thème de notre passage d’aujourd’hui, il ne juge pas selon les apparences : on entend là bien sûr comme un écho de ce que disait le prophète Samuel à Jessé, le père du petit berger David : « Les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le cœur. » (1 S 16,7). En écho, Ben Sira dit : « Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. » Il va même jusqu’à employer une image superbe dans un autre verset de ce même chapitre : « Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18 selon le texte hébreu)*… belle manière de dire cette tendresse penchée sur nos misères. Pour que nos larmes coulent sur les joues d’un autre, il faut que cet autre soit particulièrement proche, tout contre nous, même ! C’est bien le sens du mot miséricorde : dire que Dieu est miséricordieux, c’est dire qu’il vibre à nos malheurs (en hébreu, le sens exact du mot miséricorde, c’est « des entrailles qui frémissent »).
LA PRIERE NAIT DE LA PRECARITE
Le pauvre, l’opprimé, l’orphelin, la veuve : les quatre situations énumérées ici sont les quatre situations-type de pauvreté dans la société de l’Ancien Testament ; ce sont ces quatre catégories de personnes défavorisées que la Loi protège : aujourd’hui, on dirait que ce sont les situations-type de précarité. Il n’empêche que, même si la loi protège les plus faibles, (la loi est toujours faite pour cela !), notre regard n’est pas toujours très favorable pour les personnes en situation de précarité ; spontanément, nous sommes souvent plus attirés par les personnes mieux établies socialement.
Ben Sira nous dit : vous, c’est plus fort que vous, vous jugez souvent sur la mine. Dieu, lui, ne fait pas de différence entre les hommes ; ce qu’il regarde, c’est le cœur  : « Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, et sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Ben Sira ne dit pas pour autant que Dieu « préfère » les pauvres ! L’amour parfait n’a pas de préférence ! Mais il est vrai que c’est peut-être dans nos jours de pauvreté que nous sommes les mieux placés pour prier ! Ou, pour le dire autrement, que nos dispositions sont les meilleures : « La prière du pauvre atteint les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. » Il faut certainement entendre le mot « inconsolable » au sens fort. Une autre traduction dit d’ailleurs « La prière de l’humble traverse les nues et elle ne se repose pas tant qu’elle n’a pas atteint son but » ; une prière qui ne se repose pas : nous retrouvons ici l’insistance des textes de la semaine dernière quand Jésus donnait une veuve en exemple à ses apôtres : on se souvient de cette veuve obstinée de l’évangile qui poursuivait le juge pour obtenir son dû.
Quand on est vraiment dans une situation de pauvreté, de besoin, quand on n’a plus d’autre recours que la prière, alors vraiment, on prie de tout son cœur, on est réellement complètement tendu vers Dieu ; et alors notre cœur  s’ouvre et enfin il peut y entrer. Car le mot « prière » et le mot « précarité » sont de la même famille. C’est peut-être la clé de la prière : on ne prie vraiment que quand on a pris conscience de sa pauvreté, de sa précarité. Encore faut-il être disposé à servir Dieu de tout son cœur ; il y a au milieu de notre texte d’aujourd’hui une toute petite phrase pleine de sous-entendus : « Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Elle vise ceux qui croient acquérir des mérites aux yeux de Dieu à coups de cérémonies et de sacrifices de toute sorte ; Ben Sira leur rappelle toute la prédication des prophètes : le plus beau, le plus riche des sacrifices, la plus belle cérémonie ne remplacent pas les dispositions du cœur . « Ce qui plaît au Seigneur, c’est (d’abord) qu’on se tienne loin du mal », dit Ben Sira un peu plus haut (Si 35,5). A l’inverse, ceux qui se sentent démunis devant Dieu ne doivent pas s’inquiéter car « Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes ».
——————–
Complément
1- L’étude du contexte éclaire davantage encore le passage que nous lisons ici ; dans les versets précédents, Ben Sira a parlé du culte et des sacrifices en rappelant trois choses :
– la Loi vous commande d’offrir des sacrifices, donc faites-le, et, si vous le pouvez, soyez généreux.
– Mais ce qui plaît au Seigneur, c’est d’abord « qu’on se tienne loin du mal » (Si 35,5).
– Ne croyez pas vous faire « bien voir » en présentant de riches présents (Si 35,11)… « CAR Le  Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes » (notre premier verset  d’aujourd’hui).

2-Pour une raison inconnue, la liturgie omet les versets 18 et 19, pourtant bien beaux ! Les voici : « Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues, et son cri n’accuse-t-il pas celui qui la fait pleurer ? »

PSAUME – 33 (34), 2-3, 16.18, 19.23

2 Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
3 Je me glorifierai dans le SEIGNEUR :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

16 Le SEIGNEUR regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
18 Le SEIGNEUR entend ceux qui l’appellent :
de toutes leurs angoisses, il les délivre.

19 Il est proche du cœur  brisé,
il sauve l’esprit abattu.
23 Le SEIGNEUR rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

LE SEIGNEUR EST PROCHE DU COEUR BRISE
Voilà encore un psaume alphabétique : chaque verset commence par une lettre de l’alphabet, dans l’ordre : le premier verset par A, le deuxième par B, et ainsi de suite. Manière d’affirmer une fois de plus que le seul chemin du bonheur, la seule sagesse, c’est de faire confiance à Dieu, de remettre toute notre vie entre ses mains, de A à Z (de Aleph à Tav en hébreu). Il est donc un parfait écho à notre première lecture de ce dimanche, tirée du livre de Ben Sira ; puisque tout l’objectif de ce livre est de stimuler la foi des Juifs du deuxième siècle, parfois tentés d’écouter les voix de la sagesse grecque.
Autre écho, nous retrouvons dans ces quelques versets quelque chose que nous avons entendu dans la première lecture : cette même découverte d’un Dieu proche de l’homme et, en particulier, de l’homme qui souffre. « Le SEIGNEUR est proche du cœur  brisé » : c’est très certainement l’une des grandes découvertes de la Bible, un Dieu bien différent de ce que l’on croyait spontanément ; un Dieu qui veut le bonheur de l’homme, un Dieu que la douleur de l’homme ne laisse pas indifférent ; nous lisons dans le livre de Ben Sira que « nos larmes coulent sur sa joue »… Il fallait bien une Révélation pour nous faire découvrir ce Dieu-là.
Rappelons-nous sur quel terreau est née la foi de Moïse : tous les peuples de cette région avaient bien des idées sur la question mais il ne venait à l’idée de personne qu’un Dieu puisse n’être que bienveillant. En Mésopotamie, par exemple, la terre d’origine d’Abraham, on imaginait une quantité de dieux, rivaux entre eux, jaloux les uns des autres et surtout jaloux des hommes : l’idée que Dieu puisse être jaloux si l’humanité trouvait le moyen de l’égaler est justement récusée par l’auteur du livre de la Genèse : et c’est ce qu’insinue le serpent quand il dit à Eve : ‘Dieu est jaloux de toi’… l’Esprit-Saint qui inspire l’écrivain biblique lui a fait découvrir que cette idée d’un Dieu jaloux est une tentation, un soupçon dans lequel il ne faut pas se laisser aller sous peine de nous détruire nous-mêmes. Et c’est bien pour cela que la phrase est mise dans la bouche du serpent pour nous faire comprendre que le soupçon à l’égard de Dieu empoisonne nos vies, c’est du venin.
Et, au long des siècles de l’histoire biblique, grâce en particulier aux prophètes, le peuple d’Israël a approfondi cette découverte d’un Dieu qui aime l’homme comme un père aime son enfant, qui accompagne l’homme sur tous ses chemins ; face à l’incroyant qui demande « le SEIGNEUR est-il au milieu de nous ? » (c’était la question du peuple affronté à l’épreuve de la soif à Massa et Meriba) le croyant affirme « Oui, le SEIGNEUR est avec nous », il est « l’Emmanuel » (littéralement en hébreu « Dieu-avec-nous »). Et plus encore, quand les chemins sont rudes, le croyant ose dire que Dieu est proche de l’homme qui souffre, tellement proche que « nos larmes coulent sur la joue de Dieu », comme dit Ben Sira (Si 35,18).
LE SOCLE DE LA FOI D’ISRAEL : LE BUISSON ARDENT
Rappelons-nous l’épisode du buisson ardent au chapitre 3 du livre de l’Exode : « Le SEIGNEUR dit (à Moïse) : J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. » Quels que soient les coups, le croyant sait que le SEIGNEUR l’entend crier, et son angoisse peut disparaître : « Le SEIGNEUR entend ceux qui l’appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre ». Il reste que c’est facile à dire quand tout va bien … et moins facile dans les jours de douleur ; les premiers versets de ce psaume sont bien difficiles à dire à certains jours : « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le SEIGNEUR : que les pauvres m’entendent et soient en fête ! » Il reste aussi que, malgré nos prières et nos cris vers Dieu, les coups ne cessent pas toujours, pas tout de suite, il faut bien le reconnaître ; cette présence attentive, « attentionnée », cette sollicitude de Dieu penché sur notre souffrance, n’est pas un coup de baguette magique ; beaucoup d’entre nous ne le savent que trop.
Mais reprenons l’épisode du buisson ardent : quand Dieu dit à Moïse « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups… Oui, je connais ses souffrances… », il suscite en même temps chez Moïse l’élan nécessaire pour entreprendre la libération du peuple. La foi qui inspire ce psaume, c’est justement celle-là : premièrement, la certitude que le SEIGNEUR est proche de nous, dans la souffrance, ‘qu’il est de notre côté’ si l’on peut dire. Deuxièmement, que, en réponse à notre cri, Dieu suscite en nous et dans nos frères l’élan nécessaire pour modifier la situation, pour nous aider à passer le cap et, parfois même à faire reculer le mal. Soutenus par son Esprit, nous pouvons vaincre l’angoisse et traverser l’épreuve en tenant sa main.
Le peuple d’Israël, et c’est lui, d’abord, qui parle dans ce psaume, a vécu de nombreuses fois cette expérience : de la souffrance, du cri, de la prière et chaque fois, il peut en témoigner, Dieu a suscité les prophètes, les chefs dont il avait besoin pour prendre son destin en main. Si les premiers versets effectivement, sont un cri de louange « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres », cette louange s’appuie sur toute une expérience qui est dite ensuite ; en fait, il faudrait lire « Je bénirai le SEIGNEUR… je me glorifierai dans le SEIGNEUR… CAR le SEIGNEUR regarde les justes, il entend les pauvres… »
Dans les quelques versets que nous lisons ce dimanche, c’est toute l’oeuvre de Dieu en faveur de son peuple qui est rappelée : « Il entend, il délivre, il regarde, il est attentif, il est proche, il sauve, il rachète… » Et ce n’est pas un hasard non plus si Dieu est appelé « le SEIGNEUR » c’est-à-dire ces fameuses quatre lettres « YHVH » qui révèlent Dieu justement comme une présence permanente auprès de son peuple tout au long de son histoire.
Dernière remarque, en reprenant le texte : « Le SEIGNEUR entend ceux qui l’appellent… il écoute, attentif à leurs cris. » Cela veut dire que, dans l’épreuve, la souffrance, la douleur, il est non seulement permis mais recommandé de crier.

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul à Timothée 4, 6-8.16-18

Bien-aimé,
6 je suis déjà offert en sacrifice,
le moment de mon départ est venu.
7 J’ai mené le bon combat,
j’ai achevé ma course,
j’ai gardé la foi.
8 Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice :
le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là,
et non seulement à moi,
mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour
sa Manifestation glorieuse.

16 La première fois que j’ai présenté ma défense,
personne ne m’a soutenu :
tous m’ont abandonné.
Que cela ne soit pas retenu contre eux.
17 Le Seigneur, lui, m’a assisté.
Il m’a rempli de force
pour que, par moi,
la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout
et que toutes les nations l’entendent.
J’ai été arraché à la gueule du lion ;
18 le Seigneur m’arrachera encore
à tout ce qu’on fait pour me nuire.
Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste.
À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

LE BON COMBAT
On a des raisons de supposer que les lettres à Timothée ne seraient pas réellement, ou pas entièrement, des écrits de Paul, mais peut-être d’un disciple quelques années plus tard ; en revanche, tout le monde s’accorde à reconnaître que les lignes que nous lisons aujourd’hui sont de lui, et même qu’elles sont le testament de Paul, son dernier adieu à Timothée.
Paul est dans sa prison à Rome, il sait maintenant qu’il n’en sortira que pour être exécuté ; le moment du grand départ est arrivé ; ce départ, il le dit par le mot (analuein) qu’on emploie en grec pour dire qu’on largue les amarres, qu’on lève l’ancre, ou encore qu’on replie la tente.
Il sait qu’il va paraître devant Dieu, et il fait son bilan : se retournant en arrière, (au cinéma on dirait qu’il fait un flashback), il reprend une comparaison qui lui est très habituelle, celle du sport : la vie d’un apôtre est comme une course de fond ; il a tenu jusqu’au bout de la course, il n’a pas déclaré forfait, donc il sait qu’il recevra la récompense du vainqueur ; (il dit textuellement « la couronne du vainqueur » parce que la récompense à l’époque, à Rome, était une couronne de lauriers). Je reprends ses paroles : « Le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice… »
Seulement, cette course de l’apôtre, et même du Chrétien, est tout à fait particulière : quand Paul dit, « Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice… », ne pensons pas qu’il se vante, comme s’il se croyait meilleur que tout le monde : cette couronne-là, tous les coureurs, entendez tous les apôtres, y ont droit ; ce n’est donc pas de la prétention, mais il sait ce que Ben Sira nous a appris : que Dieu ne fait pas de différence entre les hommes, qu’il regarde le coeur. Et il ajoute : « Le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. » Le juge impartial, celui qui sait voir les dispositions du cœur, sait que Paul et tant d’autres ont désiré avec amour l’avènement du Christ. Tous, ils recevront la couronne de gloire.
Au passage, on remarque, encore une fois sous la plume de Paul, le mot « manifestation » du Christ ; nous l’avons déjà rencontré plusieurs fois chez lui : la manifestation totale et définitive du Christ a vraiment été l’horizon sur lequel il a toujours fixé les yeux, vers lequel il a couru toute sa vie.
Il ne voit pas pourquoi il se vanterait d’ailleurs, car la force de courir, il ne l’a pas trouvée en lui-même, c’est le Christ qui la lui a donnée : « Le Seigneur m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. »
LE SEIGNEUR M’A REMPLI DE FORCE
Au fond, si j’entends bien, il suffit d’attendre tout de Dieu : c’est lui qui donne la force de courir (pour reprendre l’image de Paul), et c’est lui aussi qui donne la récompense à tous les coureurs à la fin de la course.
Cette course de l’évangélisation n’est donc pas une compétition ; chacun à notre place, à notre rythme, il nous suffit de désirer avec amour la manifestation du Christ ; dans sa lettre à Tite, Paul définissait  les Chrétiens, justement, comme ceux qui attendent cette manifestation du Christ : il disait : « Nous attendons la bienheureuse espérance et la manifestation de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ » ; c’est une phrase que nous redisons  à chaque Messe : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur ».
Paul attendait donc tout de Dieu, et apparemment, il ne pouvait plus attendre grand-chose des hommes : « La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. »  Comme le Christ sur la Croix, comme Etienne, lors de son exécution, il pardonne. Mais c’est dans cet abandon même qu’il a expérimenté la présence, la force de son Seigneur. Il est ce pauvre dont parlait Ben Sira, ce pauvre que Dieu entend, ce pauvre dont les larmes coulent sur les joues de Dieu.
Les deux dernières phrases sont surprenantes : il est clair qu’il ne se fait aucune illusion sur son sort, il sait que le grand départ approche… et pourtant il dit « J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. » Ce n’est donc certainement pas de la mort physique qu’il parle, puisqu’il attend son exécution d’un jour à l’autre. Il sait qu’il n’y échappera pas ; il parle d’un autre danger, beaucoup plus grave à ses yeux, celui dont il remercie le Seigneur de l’avoir préservé… Il faut relire le début du texte : « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » ou un peu plus bas : « Le Seigneur m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. » Déclarer forfait, abandonner la course, c’était le plus grand danger et là encore, il ne voit pas de raison de se vanter, puisque sa fidélité il la doit à la force que le Seigneur lui a donnée.
Il sait ce qui l’attend, oui mais ce n’est peut-être pas ce que nous croyons : il va mourir, c’est certain, mais il sait que cette mort n’est que biologique ; elle n’est qu’une traversée pour entrer dans la gloire : « Il me sauvera et me fera entrer au ciel, dans son Royaume »… et déjà il entonne le cantique de la gloire qu’il chantera en naissant à la vraie vie : « A lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen. »

EVANGILE – selon Saint Luc 18, 9-14

En ce temps-là,
9  à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes
et qui méprisaient les autres,
Jésus dit la parabole que voici :
10 « Deux hommes montèrent au Temple pour prier.
L’un était pharisien,
et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).
11 Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même :
‘Mon Dieu, je te rends grâce
parce que je ne suis pas comme les autres hommes
– ils sont voleurs, injustes, adultères –,
ou encore comme ce publicain.
12 Je jeûne deux fois par semaine
et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
13 Le publicain, lui, se tenait à distance
et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ;
mais il se frappait la poitrine, en disant :
‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’
14 Je vous le déclare :
quand ce dernier redescendit dans sa maison,
c’est lui qui était devenu un homme juste,
plutôt que l’autre.
Qui s’élève sera abaissé ;
qui s’abaisse sera élevé. »

UN PUBLICAIN PENAUD
Une petite remarque préliminaire avant d’entrer dans le texte : Luc nous a bien dit qu’il s’agit d’une parabole… n’imaginons donc pas tous les pharisiens ni tous les publicains du temps de Jésus comme ceux qu’il nous présente ici ; aucun pharisien, aucun publicain ne correspondait exactement à ce signalement ; Jésus, en fait, nous décrit deux attitudes différentes, très typées, schématisées, pour faire ressortir la morale de l’histoire ; et il veut nous faire réfléchir sur notre propre attitude : nous allons découvrir probablement que nous adoptons l’une ou l’autre suivant les jours.
Venons-en à la parabole elle-même : dimanche dernier, Luc nous avait déjà donné un enseignement sur la prière ; la parabole de la veuve affrontée à un juge cynique nous apprenait qu’il faut prier sans jamais nous décourager ; aujourd’hui, c’est un publicain qui nous est donné en exemple ; quel rapport, dira-t-on, entre un publicain, riche probablement, et une veuve pauvre ? Ce n’est certainement pas le compte en banque qui est en question ici, ce sont les dispositions du cœur : la veuve est pauvre et elle est obligée de s’abaisser à quémander auprès du juge qui s’en moque éperdument ; le publicain, lui, en a peut-être plein les poches, mais sa mauvaise réputation est une autre sorte de pauvreté.
Les publicains étaient mal vus et pour certains d’entre eux, au moins, il y avait de quoi : n’oublions pas qu’on était en période d’occupation ; les publicains étaient au service de l’occupant : c’étaient des « collaborateurs » ; de plus, ils servaient le pouvoir romain sur un point très sensible chez tous les citoyens du monde, et à toutes les époques : les impôts. Le pouvoir romain fixait la somme qu’il exigeait et les publicains la versaient d’avance ; ensuite, ils avaient pleins pouvoirs pour se rembourser sur leurs concitoyens… les mauvaises langues prétendaient qu’ils se remboursaient plus que largement. Quand Zachée promettra à Jésus de rembourser au quadruple ceux qu’il a lésés, c’est clair ! Donc quand le publicain, dans sa prière, n’ose même pas lever les yeux au ciel et se frappe la poitrine en disant « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis » il ne dit peut-être que la stricte vérité. Apparemment, ne dire que la stricte vérité, être simplement vrai devant Dieu, c’est cela et cela seulement qui nous est demandé. Etre vrai devant Dieu, reconnaître notre précarité, voilà la vraie prière. Quand il repartit chez lui, « il était devenu juste », nous dit Jésus.
UN PHARISIEN CONTENT
Les pharisiens, au contraire, méritaient largement leur bonne réputation : leur fidélité scrupuleuse à la Loi, leur ascèse pour certains (jeûner deux fois par semaine, ce n’est pas rien et la Loi n’en demandait pas tant !), la pratique régulière de l’aumône traduisaient assez leur désir de plaire à Dieu. Et tout ce que le pharisien de la parabole dit dans sa prière est certainement vrai : il n’invente rien ; seulement voilà, en fait, ce n’est pas une prière : c’est une contemplation de lui-même, et une contemplation satisfaite ; il n’a besoin de rien, il ne prie pas, il se regarde. Il fait le compte de ses mérites et il en a beaucoup. Or nous avons souvent découvert dans la Bible que Dieu ne raisonne pas comme nous en termes de mérites : son amour est totalement gratuit. Il suffit que nous attendions tout de lui.
On peut imaginer un journaliste à la sortie du Temple avec un micro à la main ; il demande à chacun des deux ses impressions : Monsieur le publicain, vous attendiez quelque chose de Dieu en venant au Temple ? – OUI… – Vous avez reçu ce que vous attendiez ? – Oui et plus encore- répondra le publicain. – Et vous Monsieur le Pharisien ? – Non je n’ai rien reçu.-… Un petit silence et le pharisien ajoute : Mais… je n’attendais rien non plus.
QUI S’ABAISSE SERA ELEVE
La dernière phrase du texte dit quelque chose du même ordre : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » : il ne faut certainement pas déduire de cette phrase que Jésus veuille nous présenter Dieu comme le distributeur de bons ou de mauvais points, le surveillant général de notre enfance, dont on avait tout avantage à être bien vu. Ici, tout simplement, Jésus fait un constat, mais un constat très profond : il nous révèle une vérité très importante de notre vie. S’élever, c’est se croire plus grand qu’on est ; dans cette parabole, c’est le cas du pharisien : et il se voit en toute bonne foi comme quelqu’un de très bien ; cela lui permet de regarder de haut tous les autres, et en particulier ce publicain peu recommandable. Luc le dit bien : « Jésus dit une parabole à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres ». Cela peut nous arriver à tous, mais justement, c’est là l’erreur : celui qui s’élève, qui se croit supérieur, perd toute chance de profiter de la richesse des autres ; vis à vis de Dieu, aussi, son coeur est fermé : Dieu ne forcera pas la porte, il respecte trop notre liberté ; et donc nous repartirons comme nous sommes venus, avec notre justice à nous qui n’a apparemment rien à voir avec celle de Dieu. Cela veut dire que le mépris pour les autres, quels qu’ils soient, nous met en grand danger ! Le mépris nous rabaisse, en somme.
S’abaisser, c’est se reconnaître tout petit, ce qui n’est que la pure vérité, et donc trouver les autres supérieurs ; Paul dit dans l’une de ses lettres « considérez tous les autres comme supérieurs à vous-mêmes » ; c’est vrai, sans chercher bien loin, tous ceux que nous rencontrons ont une supériorité sur nous, au moins sur un point… et si nous cherchons un peu, nous découvrons bien d’autres points. Et nous voilà capables de nous émerveiller de leur richesse et de puiser dedans ; vis-à-vis de Dieu, aussi, notre cœur  s’ouvre et Il peut nous combler. Pas besoin d’être complexés : si on se sait tout petit, pas brillant, c’est là que la grande aventure avec Dieu peut commencer. Au fond, cette parabole est une superbe mise en images de la première béatitude : « Heureux les pauvres de cœur , le Royaume des cieux est à eux ».

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DE L'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 120

Dimanche 16 octobre 2022 : 29ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 16 octobre 2022 :

29ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de l’Exode 17, 8-13

En ces jours-là,
le peuple d’Israël marchait à travers le désert.
8 Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim.
9 Moïse dit alors à Josué :
« Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites.
Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline,
le bâton de Dieu à la main. »
10 Josué fit ce que Moïse avait dit :
il mena le combat contre les Amalécites.
Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline.
11 Quand Moïse tenait la main levée,
Israël était le plus fort.
Quand il la laissait retomber,
Amalec était le plus fort.
12 Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ;
on prit une pierre, on la plaça derrière lui,
et il s’assit dessus.
Aaron et Hour lui soutenaient les mains,
l’un d’un côté, l’autre de l’autre.
Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes
jusqu’au coucher du soleil.
13 Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.

L’EPREUVE DE LA FOI
Les Amalécites étaient des tribus qui vivaient dans le désert du Négev : la Bible les cite de nombreuses fois, tout au long de l’histoire de l’installation du peuple élu en Palestine, et toujours comme des opposants à la pénétration des tribus israélites ; et leurs descendants seront encore de farouches ennemis au temps des rois Saül et David. Si bien que le nom même d’Amaleq est devenu le type de l’ennemi héréditaire.
Rien d’étonnant quand on sait que Amaleq lui-même, le père de la tribu, serait le petit-fils d’Esaü, le frère jumeau et rival de Jacob. La rivalité entre Jacob et Esaü1 (qu’on appelle aussi Edom) s’est reportée sur leurs descendants et, de génération en génération, en Israël, on se transmet la haine des Edomites, et surtout de ceux qui sont considérés comme les pires de tous, les Amalécites.
Voici donc, dès le livre de l’Exode, les Amalécites qui se présentent comme les premiers adversaires du peuple élu dans le désert. L’auteur ne donne pas beaucoup de détails sur cette première bataille : il dit simplement « Le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et l’attaquèrent à Rephidim. » Mais le livre du Deutéronome apporte quelques indications complémentaires : « Souviens-toi de ce que t’a fait subir Amalec, sur la route, quand vous êtes sortis d’Égypte. Il t’a rejoint sur la route et a massacré tous ceux qui traînaient à l’arrière, alors que tu étais fourbu, exténué. Il n’a pas craint Dieu ! » (Dt 25,17-18) traduisez : les Amalécites sont arrivés par surprise et se sont attaqués à ceux qui avaient le plus de mal à suivre. Alors Moïse dit à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites ». C’est donc une histoire de légitime défense. Nous n’aurons pas d’autres détails sur le déroulement du combat ou les mouvements de troupes ; en revanche, le récit se concentre sur la relation entre le peuple et son Dieu à l’occasion de cette première bataille : c’est l’épreuve du feu, mais c’est surtout l’épreuve de la foi d’Israël. Il va combattre pour survivre, mais son Dieu sera avec lui.
Nous sommes à Rephidim : au fait, ce nom, nous le connaissons déjà, car dans les versets qui précèdent ce passage, c’est le fameux épisode de Massa et Meriba ; nous en avons reparlé tout récemment à l’occasion du psaume 94/95. Massa et Meriba, cela se passait justement à Rephidim et le surnom Massa et Meriba (qui veut dire contestation et querelle) signifie que, là, le peuple a gravement douté de Dieu. Et, désormais, quand on sera tenté de douter de la protection de Dieu, on se souviendra de Massa et Meriba : « Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa, dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ». (Ps 94/95,7-8).
Massa et Meriba, c’était l’épreuve de la soif, une épreuve si dure que le peuple a été jusqu’à penser que Dieu l’avait abandonné… mais non, et l’eau a coulé du rocher, et le peuple a retrouvé confiance en son Dieu. Cette fois, et toujours à Rephidim, le voici affronté à l’attaque des Amalécites. Il va falloir lutter pour sa survie. Et aussitôt Moïse ne doute pas que Dieu viendra à son secours pour le délivrer.
LES MAINS LEVEES VERS LE CIEL
Il dit à Josué : « Moi, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main ». Et c’est ce bâton, en quelque sorte, qui tient le premier rôle dans ce récit. Ce bâton n’est pas magique par lui-même, mais il rend visible l’œuvre  de Dieu. C’est par lui que Moïse a accompli des quantités de prodiges aux yeux du Pharaon et de la cour d’Egypte, qu’il a écarté les eaux de la Mer des Joncs, qu’il a fait couler l’eau du rocher, à Massa et Meriba, justement. Encore une fois, ce bâton n’est pas magique par lui-même, la preuve, c’est que Moïse se met en prière, mais ce bâton levé est devenu un symbole : il rappelle à tous que c’est Dieu qui agit. Si la bataille est à peine décrite, si le bâton est au centre du récit, c’est précisément pour bien montrer où est l’essentiel.
L’essentiel, c’est la présence de Dieu qui accompagne son peuple, comme il l’avait promis dès le début en révélant son nom à Moïse, ce fameux nom qui dit la présence de Dieu. Le texte est très sobre et en même temps très suggestif. Moïse, Aaron et Hour sont au sommet de la colline, pendant que le peuple se bat sous la direction de Josué dans la plaine. Josué se bat de toute son âme, et Moïse prie de toute son âme. Le combattant et le priant se complètent. Si Moïse abandonne son poste de prière, Josué perd ses moyens. On ne peut pas dire plus clairement que c’est Dieu qui agit, mais qu’il y faut notre participation. Les mains levées de Moïse sont le symbole de toute la prière humaine. Elles disent la confiance, la certitude du croyant que son Dieu ne l’abandonne jamais. Récemment, nous l’avons lu dans la lettre à Timothée, Paul disait : « Je recommande que partout les hommes prient les mains levées vers le ciel… » C’est Dieu qui agit : ces mains levées le disent bien puisqu’elles restent immobiles et qu’elles semblent renvoyer la responsabilité vers le ciel ; mais en même temps, elles sont levées : le croyant ne baisse pas les bras ; les mains du combattant, les mains levées du priant sont notre petite participation à l’œuvre  de Dieu.
Mais il arrive que le priant, exténué, physiquement ou moralement, n’ait plus la force de « lever les mains » vers le ciel : alors il est bon de trouver des frères pour soutenir nos mains défaillantes ; normalement, c’est le rôle de nos communautés.
———————–
Note
1 – On se souvient des deux fils d’Isaac, les frères jumeaux et en même temps rivaux Esaü et Jacob ; Esaü aurait dû être l’héritier des promesses divines, mais Jacob avait réussi à tromper son père aveugle en se faisant passer pour son frère et avait usurpé la place.
Complément
– De tout temps, de hommes et des femmes ont consacré leur vie à la prière ; ce texte vient nous révéler que la prière n’est pas passivité ou inaction ; bien au contraire, mystérieusement, la prière de quelques-uns est source de force pour tous. Elle est un rappel vivant de la Présence de Dieu sans cesse agissant au milieu de nous.

PSAUME – 120 (121)

1 Je lève les yeux vers les montagnes :
D’où le secours me viendra-t-il ?
2 Le secours me viendra du SEIGNEUR
qui a fait le ciel et la terre.

3 Qu’il empêche ton pied de glisser,
qu’il ne dorme pas, ton gardien.
4 Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
le gardien d’Israël.

5 Le SEIGNEUR, ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage,
se tient près de toi.
6 Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
ni la lune, durant la nuit.

7 Le SEIGNEUR te gardera de tout mal,
il gardera ta vie.
8 Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour,
maintenant, à jamais.

LA LONGUE MARCHE D’ISRAEL
On sait que les psaumes sont avant tout la prière du peuple d’Israël tout entier, ce peuple en marche vers son Dieu depuis l’aube de son histoire. Lorsque le psaume dit « JE », il faut entendre le NOUS » collectif du peuple élu. Cette longue marche était vécue de manière plus intense encore à l’occasion des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Ils faisaient partie des commandements de Dieu et représentaient un temps fort pour tous les participants, c’est-à-dire normalement tous les hommes en bonne santé. Les femmes et les enfants suivaient s’ils le pouvaient.
Quinze psaumes ont été composés spécialement pour accompagner cette démarche : ce sont les psaumes 119 à 133 dans la liturgie, c’est-à-dire 120 à 134 dans nos Bibles. On les appelait les « Psaumes des montées » car le verbe « monter » était le mot consacré pour parler des pèlerinages ; pour deux raisons au moins : tout simplement, d’abord, parce que Jérusalem est sur la hauteur, ensuite sur un plan symbolique, parce que la démarche du pèlerinage représente, pour le croyant, une réelle montée spirituelle.
Ces quinze psaumes ont donc des points communs : ils comparent tous l’histoire du peuple d’Israël à un long pèlerinage. Pour cette raison, on y entend de nombreuses allusions à la réalité concrète du pèlerinage : la fatigue et la prière du pèlerin, la soif d’arriver, l’amour du Temple, l’amour de Jérusalem. Et surtout la joie profonde, la confiance qui habitent le peuple croyant.
Notre psaume d’aujourd’hui est donc l’un de ceux-là : un pèlerin prend le chemin de Jérusalem : il a déjà le cœur  et les yeux tournés vers la colline du Temple (« je lève les yeux vers les montagnes »), mais il sait que ce long chemin vers Jérusalem est semé d’embûches de toutes sortes ; les pistes ne sont pas nos routes goudronnées d’aujourd’hui, elles sont parfois glissantes ou pierreuses, le pied peut glisser ; on peut aussi affronter de bien plus grands dangers : les bêtes sauvages ou, plus redoutables encore, les bandes de brigands. Si Jésus a pu situer dans ce décor la parabole du Bon Samaritain, c’est-à-dire l’histoire d’un homme dépouillé et roué de coups par des bandits, c’est que cela arrivait régulièrement. « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie » : ceux qui restent au pays rassurent celui qui prend la route.
LE SEIGNEUR TE GARDERA, AU DEPART, COMME AU RETOUR
Un autre danger, que nous imaginons mal ici, c’est le soleil pendant le jour, la lune pendant la nuit. En plein jour, il faut marcher des heures sous le soleil brûlant ; la nuit, si on dort à la belle étoile, les rayons de lune sont nocifs. Là encore, on encourage le pèlerin : « Le SEIGNEUR, ton gardien, ton ombrage, se tient près de toi. Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper, ni la lune, durant la nuit ». Tous ces dangers, il faudra les affronter tout autant au retour qu’à l’aller : mais « Le SEIGNEUR te gardera, au départ, comme au retour ». On peut compter sur lui, car il est le maître du monde : c’est lui et lui seul qui a fait le ciel et la terre. « Le secours me vient du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre » : dans ce verset, il y a une pointe contre les faux dieux ; ils ne sont que statues inertes de bois ou de pierre ; ils ne peuvent rien pour l’homme. Ils dorment d’un sommeil éternel, puisqu’ils ne sont que des objets façonnés de main d’homme. Tandis que, lui, le SEIGNEUR, veille sans cesse : « Non, il ne dort pas, il ne sommeille pas, le gardien d’Israël ».
Quand il prend la route de Jérusalem, le croyant se met en marche vers son Dieu et vers lui seul : il se détourne résolument des idoles. C’est cela qu’on appelle la conversion.
On voit bien comment cette comparaison du peuple à un groupe de pèlerins est suggestive. Chaque jour, depuis des millénaires, Israël, comme un pèlerin, prend la route en décidant de placer sa confiance résolument en Dieu seul : « Je lève les yeux, vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? »… « Le secours me viendra du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre. » Ce n’est pas un hasard si Dieu est appelé dans ce psaume « le gardien d’Israël ». Car ce peuple a reçu la Révélation du Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, et a fait l’expérience de sa présence. Le nom même de Dieu, le fameux nom en quatre lettres, (YHVH) dit justement que Dieu est sans cesse présent à son peuple. Une présence très intime, inséparable qui est exprimée très fortement en hébreu. Notre traduction dit « Le SEIGNEUR ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage, se tient près de toi » : en hébreu, près de toi est dit « à ta main droite » et André Chouraqui commentait : « le SEIGNEUR est uni à toi comme tu l’es à ton être même ».
On se rappelle la colonne qui accompagnait la marche du peuple dans le désert ; colonne de nuée pendant le jour, pour abriter du soleil, colonne de feu pendant la nuit pour guider la marche.
Jésus-Christ, à son tour, a pu chanter ce psaume en toute vérité. Alors qu’il prenait résolument le chemin de Jérusalem, comme dit Saint Luc, il se répétait : « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie. Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour, maintenant, à jamais. » Depuis le matin de Pâques, ce retour dont parle le psaume, nous l’appelons « Résurrection ».

DEUXIEME LECTURE – deuxième lettre de Saint Paul à Timothée 3, 14 – 4, 2

Bien-aimé,
3,14 demeure ferme dans ce que tu as appris :
de cela tu as acquis la certitude,
sachant bien de qui tu l’as appris.
3,15 Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures :
elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse,
en vue du salut par la foi
que nous avons en Jésus Christ.
3,16 Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ;
elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal,
redresser, éduquer dans la justice ;
3,17 grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli,
équipé pour faire toute sorte de bien.

4,1 Devant Dieu,
et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts,
je t’en conjure,
au nom de sa Manifestation et de son Règne :
4,2 proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps,
dénonce le mal,
fais des reproches, encourage,
toujours avec patience et souci d’instruire.

L’ECRITURE, NOTRE SOURCE
Dimanche dernier, nous lisions dans la deuxième lettre à Timothée une Hymne en l’honneur du Christ : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ».  Aujourd’hui, on pourrait dire que nous lisons une hymne en l’honneur de l’Ecriture. Entendons-nous bien, ce que Saint Paul appelle l’Ecriture, c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Plusieurs fois, déjà, dans les lettres à Timothée, nous avons deviné un conflit persistant dans la communauté d’Ephèse où se trouve Timothée ; et c’est même à cause de ce conflit que Paul avait demandé à Timothée de rester à Ephèse ; il faut pouvoir compter sur de fidèles gardiens de la Parole.
Les premières lignes du texte d’aujourd’hui, « Demeure ferme dans ce que tu as appris » sous-entendent que d’autres ne sont pas restés fidèles à l’enseignement reçu et qu’ils fourvoient les autres. Si bien qu’on peut résumer ce passage en trois phrases : premièrement, il faut se ressourcer dans l’Ecriture. Deuxièmement, il faut proclamer la Parole. Troisièmement, cette proclamation doit se faire dans le souci d’édifier la communauté.
Premièrement, il faut se ressourcer dans l’Ecriture, au vrai sens du mot « ressourcer » : l’Ecriture est pour nous une source. L’expression « Demeure dans ce que tu as appris » dit bien que la foi n’est pas un objet qu’on possède mais un milieu vital, une « demeure » au sens de Saint Jean. Timothée a puisé dans cette source de l’Ecriture depuis son enfance : son père était grec et païen, mais sa mère, Eunice, et sa grand-mère maternelle, Loïs, étaient Juives : elles l’ont introduit dans l’Ancien Testament ; et quand sa mère s’est convertie au Christianisme, elle n’a pas cessé bien sûr de fréquenter l’Ecriture. D’autres maîtres encore ont initié Timothée, et Paul insiste sur cet aspect communautaire de l’accès à l’Ecriture. On ne découvre pas l’Ecriture tout seul mais en Eglise. Une fois de plus, nous retrouvons chez Paul le thème de la transmission de la foi, ce qu’on appelle en théologie la « Tradition » : tradere, en latin, veut dire « transmettre » : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis » (sous-entendu je n’ai rien inventé) dit Paul dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 11,23) ; l’apôtre est un envoyé au service d’une Parole qui n’est pas la sienne. Dans la foi, aucun de nous n’est un fondateur, un innovateur, nous sommes les maillons d’une chaîne. Evidemment, il est vital que cette transmission soit fidèle. Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul a dit à Timothée : « Ce que tu m’as entendu dire en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes dignes de foi qui seront capables de l’enseigner aux autres, à leur tour. » (2 Tm 2,2).
OSER PROCLAMER LA PAROLE
Je reviens à notre texte ; La phrase suivante est très importante : Paul affirme : « Les Saintes Ecritures ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. » : il veut dire par là que l’Ancien Testament mène tout droit à Jésus-Christ. Pour Paul, comme pour les premiers apôtres, recrutés par Jésus parmi les Juifs, c’était une évidence. On se souvient qu’au cours de son procès à Jérusalem, Paul soutenait que c’était précisément parce qu’il était Juif qu’il était devenu Chrétien.
Paul continue : « Toute l’Ecriture est inspirée par Dieu » ; avant d’être un dogme affirmé par l’Eglise, cette phrase était donc déjà la foi d’Israël. Ce qui explique le respect dont sont entourés depuis toujours les Livres sacrés dans toutes les synagogues. « Grâce à elle (l’Ecriture), l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien. » Voilà donc l’équipement du Chrétien : l’Ecriture dans la fidélité à l’enseignement reçu : « Demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. »  L’équipement du Chrétien, c’est donc l’Ecriture ET la tradition pour être capable de transmettre à son tour.
Pour transmettre, et c’est le deuxième conseil de Paul à Timothée, il faut oser proclamer la Parole ; voilà la première peut-être même la seule tâche d’un responsable d’Eglise. L’enjeu est grave et Paul emploie une formule presque étonnante : « Devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa manifestation et de son règne : proclame la Parole… »
Une fois de plus, Paul fait référence à la manifestation du Christ, et à son Règne : l’accomplissement du projet de Dieu est vraiment l’horizon que Paul ne quitte jamais des yeux. Et d’ailleurs en grec, Paul dit « Proclame le Logos », le mot qui, chez Jean, désigne le Verbe, Jésus lui-même. Traduisez, si nous prenons au sérieux la Manifestation et le Règne du Christ, nous devons inlassablement proclamer la Parole. Toute la vie de Paul, depuis sa conversion, a été consacrée à cette tâche : « Annoncer l’Evangile est une nécessité qui s’impose à moi : malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile ! » (1 Co 9,16).
Mais il faut du courage pour proclamer la Parole, il faut accepter d’être mal reçu : « Interviens à temps et à contre-temps, dénonce le mal ; fais des reproches, encourage » ; c’est-à-dire n’hésite pas à juger ce que tu vois… Il termine en disant dans quel climat on doit le faire (et c’est le troisième point) : avec patience et souci d’instruire. Là encore nous retrouvons une insistance toujours présente chez Paul, le souci de ce qui édifie la communauté ; c’est la seule chose qui compte.

EVANGILE – selon Saint Luc 18, 1-8

En ce temps-là,
1 Jésus disait à ses disciples une parabole
sur la nécessité pour eux
de toujours prier sans se décourager :
2 « Il y avait dans une ville
un juge qui ne craignait pas Dieu
et ne respectait pas les hommes.
3 Dans cette même ville,
il y avait une veuve qui venait lui demander :
‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’
4 Longtemps il refusa ;
puis il se dit :
‘Même si je ne crains pas Dieu
et ne respecte personne,
comme cette veuve commence à m’ennuyer,
5 je vais lui rendre justice
pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ »
6 Le Seigneur ajouta :
« Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus,
qui crient vers lui jour et nuit ?
Les fait-il attendre ?
8 Je vous le déclare :
bien vite, il leur fera justice.
Cependant, le Fils de l’homme,
quand il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

QUAND LE FILS DE L’HOMME VIENDRA
Tout ceci se passe dans une ambiance qu’on pourrait qualifier de fin du monde ! Luc nous a dit un peu plus haut que Jésus est sur le « chemin de Jérusalem » : il marche vers sa Passion, sa mort et sa Résurrection ; les disciples ne savent pas très bien ce qui va se passer à Jérusalem, mais ils pressentent un dénouement tragique et mystérieux. Peu de temps auparavant, ils ont imploré Jésus « Augmente en nous la foi », ce qui traduisait bien leur détresse. Et juste avant cette parabole d’aujourd’hui, Jésus a parlé longuement de la venue du Fils de l’homme.
Le Fils de l’homme, c’est celui qu’on attend justement pour la fin du monde ; on connaît l’origine de cette expression : dans le livre de Daniel (au chapitre 7), le prophète raconte qu’il a eu la vision d’un homme (qu’il appelle un « fils d’homme ») qui vient sur les nuées du ciel ; il est admis près du trône de Dieu et il reçoit la royauté sur toute la création ; une royauté éternelle et universelle. Daniel précise que ce « fils d’homme » est en réalité un être collectif, un peuple qu’il appelle « le peuple des Saints du Très-Haut ». Les lecteurs de Daniel ont compris que cette vision se réalisera à la fin du monde. Dieu règnera enfin sur toute la création et le Fils de l’homme règnera avec lui.
Jésus se présente souvent dans les évangiles comme le Fils de l’homme ; cela intrigue forcément ses interlocuteurs qui savent que le Fils de l’homme est un être collectif, le peuple des Saints du Très-Haut, enfin installé dans la gloire de Dieu ; ils ne savent peut-être pas quoi penser quand Jésus parle ainsi, mais ils entendent ce message de victoire définitive. Or, depuis qu’il a annoncé ouvertement sa Passion, Jésus multiplie l’usage de cette expression, le Fils de l’homme, toujours en parlant de lui, comme pour les rassurer sur l’issue des événements. Ce qui prouve au passage qu’ils avaient bien besoin d’être rassurés.
On est donc dans une atmosphère de fin du monde ; d’ailleurs le thème du jugement (« Dieu fera justice à ses élus ») est bien dans la même note ; maintenant, si nous allons regarder, dans l’évangile de Luc, le contexte de cette parabole, nous trouvons l’évangile de la guérison des dix lépreux que nous avions lu dimanche dernier : la guérison des dix était le signe que le Règne de Dieu était déjà commencé ; en même temps, les disciples avaient touché du doigt le mystère du salut rejeté par ceux auxquels il était offert en premier (ici les neuf lépreux qui n’avaient pas reconnu le Christ) : le mystère de la Croix se profilait déjà à l’horizon ; mais la conversion du Samaritain (le seul lépreux revenu se prosterner devant Jésus) préfigurait l’entrée de tous, même des païens, dans ce royaume.
Les Pharisiens ont fort bien compris tous ces enjeux puisque, aussitôt après la guérison des dix lépreux, ils ont demandé à Jésus quand donc viendrait le Royaume de Dieu, et Jésus a répondu par tout un discours sur la venue du Fils de l’homme.
TOUJOURS PRIER SANS SE DECOURAGER
Et voilà que Jésus a quitté ce ton grave pour raconter ce qui semble à première vue une petite histoire : l’histoire de cette veuve qui poursuit le juge de ses réclamations jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle attend ;  et pourtant elle aurait toutes les raisons de se décourager : sa cause semble bien perdue d’avance, puisqu’elle a eu la malchance de tomber sur un juge qui se moque éperdument de la justice. Mais elle s’obstine parce que sa cause est juste, elle n’en doute pas un instant. C’est elle que Jésus nous donne en exemple ; l’exemple de l’humilité d’abord : si elle importune le juge, c’est parce qu’elle est dans le besoin ; la première condition pour participer au Royaume de Dieu, c’est de reconnaître notre pauvreté ; on retrouve là la première béatitude : « Heureux, vous  les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Luc 6) ; l’exemple de la persévérance ensuite : dans notre attente du Royaume, à nous d’être aussi tenaces que cette veuve obstinée. Notre cause est encore plus juste que celle de la veuve puisque c’est la cause même de Dieu.
Le rapprochement avec la première lecture de ce dimanche est très suggestif : dans la plaine Josué livrait un combat difficile contre les Amalécites qui avaient attaqué le peuple par surprise ; pendant ce temps, au sommet de la colline, Moïse, obstinément priait, sûr d’obtenir le secours de Dieu ; et soutenu par ses aides, il  avait tenu bon jusqu’au coucher du soleil. La force de Moïse était dans sa certitude que Dieu voulait le salut de son peuple.
Des siècles plus tard, les premiers Chrétiens affrontés à des difficultés et des persécutions trouvent le Royaume bien long à venir ; ils sont tentés par le découragement ; eux aussi doivent se souvenir que Dieu veut leur salut. Luc leur rappelle cette parabole dans laquelle Jésus avait fait l’éloge de l’obstination.
Croire, c’est refuser de baisser les bras ; et la dernière phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » est une mise en garde, valable pour tous les Chrétiens de tous les temps : ‘Attention, si vous n’êtes pas vigilants, vous aurez cessé de croire’.
Les Chrétiens, ceux du temps du Christ, comme ceux d’aujourd’hui, sont donc invités à ‘ne pas baisser les bras’. Jésus sait bien que, dès le matin de sa Résurrection, ce premier matin de la venue du Fils de l’homme et jusqu’à sa venue totale et définitive, la foi sera toujours un combat, une épreuve d’endurance. Il ne manquera pas d’oiseaux de malheur pour semer le doute, il ne manquera pas de maîtres du soupçon. Cette attente du Royaume paraît tellement interminable… Dieu est-il vraiment au milieu de nous ? L’exemple de cette pauvre veuve vient à point nommé : nous sommes aussi démunis qu’elle ; tâchons d’être aussi obstinés.
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Complément
– Luc écrirait-il à une communauté menacée par le découragement ? On pourrait le croire, à entendre la dernière phrase « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Curieuse phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra », c’est une affirmation, une certitude ; mais la deuxième partie de la phrase « trouvera-t-il la foi sur la terre ? » qui semble a priori bien pessimiste est en fait une mise en garde, un appel à la vigilance. Il est clair en tout cas que ce texte est une leçon sur la foi : puisque la dernière phrase pose cette question sur la foi et que la première phrase dit justement en quoi consiste la foi : « Il faut toujours prier sans se décourager ». On a donc là une inclusion ; et entre les deux, l’exemple qui nous est proposé est celui d’une veuve traitée injustement, mais qui ne lâche pas prise.