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Dimanche 2 avril 2023 : dimanche des Rameaux : lectures et commentaires

Dimanche 2 avril 2023 : dimanche des Rameaux

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 50,4-7

4 Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples,
pour que je puisse, d’une parole,
soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille,
il éveille mon oreille
pour qu’en disciple, j’écoute.
5 Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7 Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.

ISRAEL, SERVITEUR DE DIEU
Isaïe ne pensait certainement pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av. J.C., pendant l’Exil à Babylone. Je m’explique : Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe.
« Ecouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne… ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu… et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu…? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « quand les hommes aiment Dieu (c’est-à-dire lui font confiance), lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples »… Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.

TENIR BON DANS L’EPREUVE
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé… » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour… d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter. Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu ma face dure comme pierre » : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force.
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.

PSAUME – 21 (22),2,8-9,17-20,22b-24

2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
8 Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
9 « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

17 Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m’entoure ;
ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.

19 Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !

22 Tu m’as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.

DU CRI DE DETRESSE A L’ACTION DE GRACE
Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’erreur est de la sortir de son contexte, et du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.
Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».
Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ, il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !
Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant à l’époque du retour de l’Exil), c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux… et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur.
Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.
Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis … Mais il continuait à prier. Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.

LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO
Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un vœu  ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un vœu  ») ; une fois délivré, on tient sa promesse. C’est parfois sous forme d’un tableau qui rappelle le drame et la prière des proches.
Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères… Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux … (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par cœur  ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. A vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui… Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre  ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Philippiens 2,6-11

6 Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.

7 Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.

8 Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.

9 C’est pourquoi Dieu l’a exalté.
Il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,

10 afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,

11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.

JESUS, SERVITEUR DE DIEU
Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.
Lorsque les premiers Chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.
Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit… il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge
pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu… Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.
J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu… La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets… La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.

LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT
Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Eden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage… Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que Saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.
Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »… C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira, toute langue en fera le serment, dit Dieu » (Is 45,23).
Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.
L’hymne se termine par « toute langue proclame : Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »… puisque Dieu, c’est l’amour.

Commentaire de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ selon Saint Matthieu

Chaque année, pour le dimanche des Rameaux, nous lisons le récit de la Passion dans l’un des trois Evangiles synoptiques ; cette année, c’est donc dans l’Evangile de Matthieu. Je vous propose de nous arrêter aux épisodes qui sont propres à Matthieu ; bien sûr, dans les grandes lignes, les quatre récits de la Passion sont très semblables ; mais si on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que chacun des Evangélistes a ses accents propres.

PASSAGES PROPRES À MATTHIEU
Voici donc quelques épisodes et quelques phrases que Matthieu est seul à rapporter.
Tout d’abord, on se souvient que c’est à prix d’argent que Judas a livré Jésus aux grands prêtres juifs. Matthieu est le seul à dire la somme exacte, trente pièces d’argent : ce détail n’est pas anodin, car c’était le prix fixé par la Loi pour l’achat d’un esclave. Cela veut dire le mépris que les hommes ont manifesté envers le Seigneur de l’univers.
Plus tard, le même Judas fut pris de remords : « Alors, en voyant que Jésus était condamné, Judas, qui l’avait livré, fut pris de remords ; il rendit les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens. Il leur dit : « J’ai péché en livrant à la mort un innocent. » Ils répliquèrent : « Que nous importe ? Cela te regarde ! » Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se retira et alla se pendre. Les grands prêtres ramassèrent l’argent et dirent : « Il n’est pas permis de le verser dans le trésor, puisque c’est le prix du sang. » Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec cette somme le champ du potier pour y enterrer les étrangers. Voilà pourquoi ce champ est appelé jusqu’à ce jour le Champ-du-Sang. Alors fut accomplie la parole prononcée par le prophète Jérémie : Ils ramassèrent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix, le prix fixé par les fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné. » (Mt 27,3-10).
Au cours de la comparution de Jésus chez Pilate, Matthieu est le seul à rapporter l’intervention de la femme de Pilate : Tandis qu’il (Pilate) siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. » (Mt 27,19).
Et il est clair que le procès de Jésus mettait Pilate mal à l’aise. Un peu plus tard, Matthieu encore, raconte l’épisode du lavement des mains : « Pilate, voyant que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme : cela vous regarde ! » Tout le peuple répondit : « Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors, il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et il le livra pour qu’il soit crucifié. » (Mt 27,24-26).
Au moment de la mort de Jésus, les trois évangélistes synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent que le rideau du temple s’est déchiré du haut en bas, mais Matthieu, seul, ajoute : « la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. » (Mt 27,51-53).
Enfin, Matthieu a noté le soin tout spécial que les autorités ont apporté à la garde du tombeau de Jésus : ils sont allés trouver Pilate pour obtenir l’autorisation de surveiller le sépulcre dans la crainte que les disciples ne viennent subtiliser le corps de Jésus pour faire croire qu’il était ressuscité. Et c’est exactement la légende qu’ils ont fait courir après la résurrection.
LA VRAIE GRANDEUR DE JESUS RECONNUE PAR DES PAIENS
Ce qui est notable ici, en définitive, c’est l’aveuglement des autorités religieuses, qui les pousse à l’acharnement contre Jésus.
Et c’est le terrible paradoxe de ce drame : à savoir que, en dehors de sa famille, et de ses quelques disciples, ceux qui auraient dû être les plus proches de Jésus, les Juifs en général, l’ont méconnu, méprisé, humilié. Et que, en revanche, ce sont les autres, les païens, qui, sans le savoir, lui ont donné ses véritables titres de noblesse. Car l’une des caractéristiques de ce texte est bien l’abondance des titres donnés à Jésus dans le récit de la Passion, qui représente quelques heures, ses dernières heures de vie terrestre. Cet homme anéanti, blessé dans son corps et dans sa dignité, honni, accusé de blasphème, ce qui est le pire des péchés pour ses compatriotes… est en même temps honoré bien involontairement par des étrangers qui lui décernent les plus hauts titres de la religion juive. A commencer par le titre de « Juste » que lui a donné la femme de Pilate. Et, quant à celui-ci, il a fait afficher sur la croix le fameux écriteau qui désigne Jésus comme « le roi des Juifs ».
Enfin, le titre de Fils de Dieu lui est d’abord décerné par pure dérision, pour l’humilier : d’abord par les passants qui font cruellement remarquer à l’agonisant le contraste entre la grandeur du titre et son impuissance définitive ; puis ce sont les chefs des prêtres, les scribes et les anciens qui le défient : si réellement il était le Fils de Dieu, il n’en serait pas là. Mais ce même titre va lui être finalement décerné par le centurion romain : et alors il résonne comme une véritable profession de foi : « Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu ».
Or cette phrase préfigure déjà la conversion des païens, ce qui revient à dire que la mort du Christ n’est pas un échec, elle est une victoire. Le projet de salut de l’humanité tout entière est en train de se réaliser.
Alors on comprend pourquoi Matthieu accentue le contraste entre la faiblesse du condamné et la grandeur que certains païens lui reconnaissent quand même : c’est pour nous faire comprendre ce qui est à première vue impensable : à savoir que c’est dans sa faiblesse même que Jésus manifeste sa vraie grandeur, qui est celle de Dieu, c’est-à-dire de l’amour infini.

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Dimanche 26 février 2023 : 1er dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 26 février 2023 : 1er dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de la Genèse 2,7-9 ; 3,1-7a

2,7 Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme
avec la poussière tirée du sol ;
il insuffla dans ses narines le souffle de vie,
et l’homme devint un être vivant.
8 Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient,
et y plaça l’homme qu’il avait modelé.
9 Le SEIGNEUR Dieu fit pousser du sol
toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ;
il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin,
et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
3,1 Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs
que le SEIGNEUR Dieu avait faits.
Il dit à la femme :
« Alors, Dieu vous a vraiment dit :
‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? »
2 La femme répondit au serpent :
« Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
3 Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin,
Dieu a dit :
‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas,
sinon vous mourrez.’ »
4 Le serpent dit à la femme :
« Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
5 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez,
vos yeux s’ouvriront,
et vous serez comme des dieux,
connaissant le bien et le mal. »
6 La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux,
qu’il était agréable à regarder
et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence.
Elle prit de son fruit, et en mangea.
Elle en donna aussi à son mari,
et il en mangea.
7 Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent
et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.

LA PARABOLE DU JARDIN D’EDEN
Avant d’aborder ce texte, il faut se souvenir que son auteur n’a jamais prétendu faire œuvre  d’historien ! La Bible n’a été écrite ni par des scientifiques, ni par des historiens ; mais par des croyants pour des croyants. Le théologien qui écrit ces lignes, sans doute au temps de Salomon, au dixième siècle avant J.C., cherche à répondre aux questions que tout le monde se pose : pourquoi le mal ? Pourquoi la mort ? Pourquoi les mésententes dans les couples humains ? Pourquoi la difficulté de vivre ? Pourquoi le travail est-il pénible ? La nature parfois hostile ?
Pour répondre, il s’appuie sur une certitude qui est celle de tout son peuple, c’est la bonté de Dieu : Dieu nous a libérés d’Egypte, Dieu nous veut libres et heureux. Depuis la fameuse sortie d’Egypte, sous la houlette de Moïse, depuis la traversée du désert, où on a expérimenté à chaque nouvelle difficulté la présence et le soutien de Dieu, on ne peut plus en douter. Le récit que nous venons de lire est donc appuyé sur cette certitude de la bienveillance de Dieu et il essaie de répondre à toutes nos questions sur le mal dans le monde. Avec ce Dieu qui est bon et bienveillant, comment se fait-il qu’il y ait du mal ?
Notre auteur a inventé une fable pour nous éclairer : un jardin de délices (c’est le sens du mot « Eden »), et l’humanité symbolisée par un couple qui a charge de cultiver et garder le jardin. Le jardin est plein d’arbres tous plus attrayants les uns que les autres. Celui du milieu s’appelle « l’arbre de vie » ; on peut en manger comme de tous les autres. Mais il y a aussi, quelque part dans ce jardin, le texte ne précise pas où, un autre arbre, dont le fruit, lui, est interdit. Il s’appelle « l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux ».
Devant cette interdiction, le couple a deux attitudes possibles : soit faire confiance puisqu’on sait que Dieu n’est que bienveillant ; et se réjouir d’avoir accès à l’arbre de vie : si Dieu nous interdit l’autre arbre, c’est qu’il n’est pas bon pour nous. Soit soupçonner chez Dieu un calcul malveillant : imaginer qu’il veut nous interdire l’accès à la connaissance.
C’est le discours du serpent : il s’adresse à la femme ; il se fait faussement compréhensif : « Alors ? Dieu vous a vraiment dit : vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin ? »1
La femme répond : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin, mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ». Vous avez remarqué le déplacement : simplement parce qu’elle a écouté la voix du soupçon, elle ne parle déjà plus que de cet arbre-là et elle dit « l’arbre qui est au milieu du jardin » : désormais, de bonne foi, c’est lui, et non l’arbre de vie, qu’elle voit au milieu du jardin.
QUI FAUT-IL CROIRE ? DIEU OU LE SERPENT ?
Son regard est déjà faussé, du seul fait qu’elle a laissé le serpent lui parler ; alors le serpent peut continuer son petit travail de sape : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
Là encore, la femme écoute trop bien ces belles paroles et le texte suggère que son regard est de plus en plus faussé : « La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder
et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. ». Le serpent a gagné : elle prend le fruit, elle en mange, elle le donne à son mari, il en mange aussi. Et vous avez entendu la fin de l’histoire : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus ».
Le serpent avait bien dit « vos yeux s’ouvriront » ; l’erreur de la femme a été de croire qu’il parlait dans son intérêt, et qu’il dévoilait les mauvaises intentions de Dieu ; ce n’était que mensonge : le regard est changé, c’est vrai, mais il est faussé.
Ce n’est pas un hasard si le soupçon porté sur Dieu est représenté sous les traits d’un serpent ; Israël au désert avait fait l’expérience des serpents venimeux. Notre théologien de la cour de Salomon lui rappelle cette cuisante expérience et dit : il y a un poison plus grave que le poison des serpents les plus venimeux ; le soupçon porté sur Dieu est un poison mortel, il empoisonne nos vies.
L’idée de notre théologien, c’est que tous nos malheurs viennent de ce soupçon qui gangrène l’humanité. Dire que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est réservé à Dieu, c’est dire que Dieu seul connaît ce qui fait notre bonheur ou notre malheur ; ce qui, après tout, est logique s’il nous a créés. Vouloir manger à tout prix du fruit de cet arbre interdit, c’est prétendre déterminer nous-mêmes ce qui est bon pour nous : la mise en garde « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez » indiquait bien qu’il s’agissait là d’une fausse piste.
Le récit va encore plus loin : au cours du périple dans le désert, Dieu a prescrit la Loi qu’il faudrait appliquer désormais, ce que nous appelons les commandements. On sait que la pratique quotidienne de cette Loi est la condition de la survie et de la croissance harmonieuse de ce peuple ; si on savait suffisamment que Dieu veut uniquement notre vie, notre bonheur, notre liberté, on ferait confiance et c’est de bon cœur  qu’on obéirait à la loi. Elle est vraiment « l’arbre de vie » mis à notre disposition par Dieu.
Je disais en commençant qu’il s’agit d’une fable, mais dont la leçon est valable pour chacun d’entre nous ; depuis que le monde est monde, c’est toujours la même histoire. Saint Paul (que nous lisons ce dimanche en deuxième lecture) poursuit la méditation et dit : seul le Christ a fait confiance à son Père en toutes choses ; il nous montre le chemin de la Vie.
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Note
Dans le texte hébreu, la question du serpent est volontairement ambigüe : « Vraiment ! Dieu vous a dit : vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Posée ainsi, en effet, la question peut s’entendre « vous ne mangerez pas de tous les fruits » ou « vous ne mangerez d’aucun » !

Complément
Le récit de la Genèse a de multiples résonances dans la méditation du peuple d’Israël. L’une des réflexions suggérées par le texte concerne l’arbre de vie : planté au milieu du jardin d’Eden, il était accessible à l’homme et autorisé à la consommation. On peut penser que son fruit permettait à l’homme de rester en vie, de cette vie spirituelle que Dieu lui a insufflée : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7).
Alors les rabbins ont fait le rapprochement avec la Loi donnée par Dieu au Sinaï. Car elle est accueillie par les croyants comme un cadeau de Dieu, un soutien pour la vie quotidienne : « Mon fils, n’oublie pas mon enseignement ; que ton cœur observe mes préceptes : la longueur de tes jours, les années de ta vie, et ta paix en seront augmentées. » (Pr 3,1-2)

PSAUME – 50 (51), 3-4.5-6.12.13.14.17

3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4 Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

5 Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
6 Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

12 Crée en moi un cœur  pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

SELON TA GRANDE MISÉRICORDE, EFFACE NOS PÉCHÉS
« Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. » Le peuple d’Israël est en pleine célébration pénitentielle au Temple de Jérusalem. Il se reconnaît pécheur, mais il sait aussi l’inépuisable miséricorde de Dieu. Et d’ailleurs, s’il est réuni pour demander pardon, c’est parce qu’il sait d’avance que le pardon est déjà accordé.
Cela avait été, rappelez-vous, la grande découverte du roi David : David avait fait venir au palais sa jolie voisine, Bethsabée ; (au passage, il ne faut pas oublier de préciser qu’elle était mariée avec un officier, Urie, qui était à ce moment-là en campagne). C’est d’ailleurs bien grâce à son absence que David avait pu convoquer la jeune femme au palais ! Quelques jours plus tard, Bethsabée avait fait dire à David qu’elle attendait un enfant de lui. Et, à ce moment-là, David avait organisé la mort au champ d’honneur du mari trompé pour pouvoir s’approprier définitivement sa femme et l’enfant qu’elle portait.
Or, et c’est là l’inattendu de Dieu, quand le prophète Natan était allé trouver David, il n’avait pas d’abord cherché à obtenir de lui une parole de repentir, il avait commencé par lui rappeler tous les dons de Dieu et lui annoncer le pardon, avant même que David ait eu le temps de faire le moindre aveu. (2 S 12). Il lui avait dit en substance : « Regarde tout ce que Dieu t’a donné… eh bien, sais-tu, il est prêt à te donner encore tout ce que tu voudras ! »
Et, mille fois au cours de son histoire, Israël a pu vérifier que Dieu est vraiment « le SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté » selon la révélation qu’il a accordée à Moïse dans le désert (Ex 34,6).
Les prophètes, eux aussi, ont répercuté cette annonce et les quelques versets du psaume que nous venons d’entendre sont pleins de ces découvertes d’Isaïe et d’Ezéchiel. Isaïe, par exemple : « C’est moi, oui, c’est moi qui efface tes crimes, à cause de moi-même ; de tes péchés je ne vais pas me souvenir. » (Is 43,25) ; ou encore « J’efface tes révoltes comme des nuages, tes péchés comme des nuées. Reviens à moi, car je t’ai racheté. » (Is 44,22).
Cette annonce de la gratuité du pardon de Dieu nous surprend parfois : cela paraît trop beau, peut-être ; pour certains, même, cela semble injuste : si tout est pardonnable, à quoi bon faire des efforts ? C’est oublier un peu vite, peut-être, que nous avons tous sans exception besoin de la miséricorde de Dieu ; ne nous en plaignons donc pas ! Et ne nous étonnons pas que Dieu nous surprenne, puisque, comme dit Isaïe, « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. » Et justement, Isaïe précise que c’est en matière de pardon que Dieu nous surprend le plus.

UNE SEULE CONDITION, SE RECONNAÎTRE PÉCHEUR
Cela nous renvoie à la phrase de Jésus dans la parabole des ouvriers de la onzième heure : « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20,15). On peut penser également à la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15) : lorsqu’il revient chez son père, pour des motifs pourtant pas très nobles, Jésus met sur ses lèvres une phrase du psaume 50 : « Contre toi et toi seul j’ai péché », et cette simple phrase renoue le lien que le jeune homme ingrat avait cassé.
Face à cette annonce toujours renouvelée de la miséricorde de Dieu, le peuple d’Israël, parce que c’est lui qui parle ici comme dans tous les psaumes, se reconnaît pécheur : l’aveu n’est pas détaillé, il ne l’est jamais dans les psaumes de pénitence ; mais le plus important est dit dans cette supplication « pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché … » Et Dieu qui est toute miséricorde, c’est-à-dire comme aimanté par la misère, n’attend rien d’autre que cette simple reconnaissance de notre pauvreté. Vous savez d’ailleurs, que le mot pitié est de la même racine que le mot « aumône » : littéralement, nous sommes des mendiants devant Dieu.
Alors il nous reste deux choses à faire : tout d’abord, remercier tout simplement pour ce pardon accordé en permanence ; la louange que le peuple d’Israël adresse à son Dieu, c’est sa reconnaissance pour les bontés de Dieu dont il a été comblé depuis le début de son histoire. Ce qui montre bien que la prière la plus importante dans une célébration pénitentielle, c’est la parole de reconnaissance des dons et pardons de Dieu : il faut commencer par le contempler, lui, et ensuite seulement, cette contemplation nous ayant révélé le décalage entre lui et nous, nous pouvons nous reconnaître pécheurs. Notre rituel de la réconciliation le dit bien dans son introduction : « Nous confessons l’amour de Dieu en même temps que notre péché ».
Et le chant de reconnaissance jaillira tout seul de nos lèvres, il suffit de laisser Dieu nous ouvrir le cœur  : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » ; certains ont reconnu ici la première phrase de la Liturgie des Heures, chaque matin ; effectivement, elle est tirée du psaume 50/51. A elle seule, elle est toute une leçon : la louange, la reconnaissance ne peuvent naître en nous que si Dieu ouvre nos cœurs  et nos lèvres. Saint Paul le dit autrement : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! » (Ga 4,6).
Cela fait irrésistiblement penser à un geste de Jésus, dans l’évangile de Marc : la guérison d’un sourd-muet ; touchant ses oreilles et sa langue, Jésus avait dit « Effétah », ce qui veut dire « Ouvre-toi ». Et alors, spontanément, ceux qui étaient là avaient appliqué à Jésus une phrase que la Bible réservait à Dieu : « Il fait entendre les sourds et parler les muets ». (cf Is 35,5-6). Encore aujourd’hui, dans certaines célébrations de baptême, le célébrant refait ce geste de Jésus sur les baptisés en disant « Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et parler les muets ; qu’il vous donne d’écouter sa parole et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père ».
Deuxième chose à faire et que Dieu attend de nous : pardonner à notre tour, sans délai, ni conditions… et c’est tout un programme !

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul aux Romains 5, 12-19

12 Nous savons que par un seul homme,
le péché est entré dans le monde,
et que par le péché est venue la mort ;
et ainsi, la mort est passée en tous les hommes,
étant donné que tous ont péché.
13 Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde,
mais le péché ne peut être imputé à personne
tant qu’il n’y a pas de loi.
14 Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse,
la mort a établi son règne,
même sur ceux qui n’avaient pas péché
par une transgression semblable à celle d’Adam.
Or, Adam préfigure celui qui devait venir.
15 Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute.
En effet, si la mort a frappé la multitude
par la faute d’un seul,
combien plus la grâce de Dieu
s’est-elle répandue en abondance sur la multitude,
cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
16 Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul
n’ont pas la même mesure non plus :
d’une part, en effet, pour la faute d’un seul,
le jugement a conduit à la condamnation ;
d’autre part, pour une multitude de fautes,
le don gratuit de Dieu conduit à la justification.
17 Si, en effet, à cause d’un seul homme,
par la faute d’un seul,
la mort a établi son règne,
combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul,
régneront-ils dans la vie,
ceux qui reçoivent en abondance
le don de la grâce qui les rend justes.
18 Bref, de même que la faute commise par un seul
a conduit tous les hommes à la condamnation,
de même l’accomplissement de la justice par un seul
a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
19 En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain
la multitude a été rendue pécheresse,
de même par l’obéissance d’un seul
la multitude sera-t-elle rendue juste.

CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA
« Adam préfigurait celui qui devait venir », nous dit Paul ; il parle d’Adam au passé, parce qu’il fait référence au livre de la Genèse, et à l’histoire du fruit défendu, mais pour lui, le drame d’Adam n’est pas une histoire du passé ; cette histoire est la nôtre au quotidien ; nous sommes tous Adam à nos heures ; les rabbins disent : « chacun est Adam pour soi ».
Et s’il fallait résumer l’histoire du jardin d’Eden (que nous relisons en première lecture ce dimanche), on pourrait dire : en écoutant la voix du serpent, plutôt que l’ordre de Dieu, en laissant le soupçon sur les intentions de Dieu envahir leur cœur , en croyant pouvoir tout se permettre, tout « connaître » comme dit la Bible, l’homme et la femme se rangent eux-mêmes sous la domination de la mort. Et quand on dit : « chacun est Adam pour soi », cela veut dire que chaque fois que nous nous détournons de Dieu, nous laissons les puissances de mort envahir notre vie.
Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, poursuit la même méditation : et il annonce que l’humanité a franchi un pas décisif en Jésus-Christ ; nous sommes tous frères d’Adam ET nous sommes tous frères de Jésus-Christ ; nous sommes frères d’Adam quand nous laissons le poison du soupçon infester notre cœur , quand nous prétendons nous-mêmes faire la loi, en quelque sorte ; nous sommes frères du Christ quand nous faisons assez confiance à Dieu pour le laisser mener nos vies.
Nous sommes sous l’empire de la mort quand nous nous conduisons à la manière d’Adam, mais quand nous nous conduisons comme Jésus-Christ, quand nous nous faisons comme lui « obéissants », (c’est-à-dire confiants), nous sommes déjà ressuscités avec lui, déjà dans le royaume de la vie. Car la vie dont il est question ici n’est pas la vie biologique : c’est celle dont Jean parle quand il dit « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » ; c’est une vie que la mort biologique n’interrompt pas.
D’ailleurs, il faut revenir au récit du livre de la Genèse : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » Ce souffle de Dieu qui fait de l’homme un être vivant, comme dit le texte, les animaux ne l’ont pas reçu : ils sont pourtant bien vivants au sens biologique ; on peut en déduire que l’homme jouit d’une vie autre que la vie biologique.
IL EST GRAND, LE MYSTERE DE LA FOI
Je reviens au mot « règne » : vous avez remarqué que Paul emploie plusieurs fois les mots « règne », « régner »… Deux royaumes s’affrontent. On peut écrire son texte en deux colonnes : dans une colonne, on peut écrire Adam (c’est-à-dire l’humanité quand elle agit comme Adam), règne du péché, règne de la mort, jugement, condamnation. Dans l’autre colonne, Jésus-Christ (c’est-à-dire avec lui l’humanité nouvelle), règne de la grâce, règne de la vie, don gratuit, justification. Aucun d’entre nous n’est tout entier dans une seule de ces deux colonnes : nous sommes tous des hommes (et des femmes) partagés : Paul lui-même le reconnaît quand il dit : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7,19).
Adam (au sens de l’humanité) est créé pour être roi (pour cultiver et garder le jardin, disait le livre de la Genèse de manière imagée), mais, mal inspiré par le serpent, il veut le devenir tout seul par ses propres forces ; or cette royauté, il ne peut la recevoir que de Dieu ; et donc, en se coupant de Dieu il se coupe de la source ; Jésus-Christ, au contraire, ne « revendique » pas cette royauté, elle lui est donnée. Comme le dit encore Paul dans la lettre aux Philippiens « lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais il s’est fait obéissant1 » (Phi 2,6 ; trad TOB). Le récit du jardin d’Eden nous dit la même chose en images : avant la faute, l’homme et la femme pouvaient manger du fruit de l’arbre de vie ; après la faute, ils n’y ont plus accès.
Chacun à leur manière, ces deux textes de la Genèse d’une part, et de la lettre aux Romains d’autre part, nous disent la vérité la plus profonde de notre vie : avec Dieu, tout est grâce, tout est don gratuit ; et Paul, ici, insiste sur l’abondance, la profusion de la grâce, il dit même la « démesure » de la grâce : « il n’en va pas du don gratuit comme de la faute… combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. ». Tout est « cadeau » si vous préférez ; pas étonnant, bien sûr, puisque, comme dit Saint Jean, Dieu est Amour.
Ce n’est pas une question de bonne conduite du Christ qui recevrait une récompense ou de mauvaise conduite d’Adam qui entraînerait un châtiment ; c’est beaucoup plus profond : le Christ est confiant qu’en Dieu tout lui sera donné… et tout lui est donné dans la Résurrection ; Adam, (c’est-à-dire chacun de nous à certaines heures), veut se saisir de ce qui ne peut qu’être accueilli comme un don ; il se retrouve « nu », c’est-à-dire démuni.
Je reprends mes deux colonnes : par naissance nous sommes citoyens du royaume d’Adam ; par le baptême, nous avons demandé à être naturalisés dans le royaume de Jésus-Christ.
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Note
Obéissance et désobéissance au sens de Paul : on pourrait remplacer le mot « obéissance » par confiance et le mot « désobéissance » par méfiance ; comme le dit Kierkegaard : « Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, le contraire du péché, c’est la foi ».
Complément
Si nous relisons le récit de la Genèse, nous pouvons noter que, intentionnellement, l’auteur n’avait pas donné de prénoms à l’homme et à la femme ; il disait « le Adam » qui veut dire « le terreux », « le poussiéreux », (fait avec de la poussière) ; en ne leur donnant pas de prénoms, il voulait nous faire comprendre que le drame d’Adam n’est pas l’histoire d’un individu particulier, elle est l’histoire de chaque homme depuis toujours.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 4, 1-11

En ce temps-là,
1 Jésus fut conduit au désert par l’Esprit
pour être tenté par le diable.
2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits,
il eut faim.
3 Le tentateur s’approcha et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu,
ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
4 Mais Jésus répondit :
« Il est écrit :
L’homme ne vit pas seulement de pain,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
5 Alors le diable l’emmène à la Ville sainte,
le place au sommet du Temple
6 et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu,
jette-toi en bas ;
car il est écrit :
Il donnera pour toi des ordres à ses anges,
et : Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
7 Jésus lui déclara :
« Il est encore écrit :
Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
8 Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne
et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
9 Il lui dit :
« Tout cela, je te le donnerai,
si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
10 Alors, Jésus lui dit :
« Arrière, Satan !
car il est écrit :
C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras,
à lui seul tu rendras un culte. »
11 Alors le diable le quitte.
Et voici que des anges s’approchèrent,
et ils le servaient.

JÉSUS À L’HEURE DES CHOIX
Chaque année, le Carême s’ouvre par le récit des tentations de Jésus au désert : il faut croire qu’il s’agit d’un texte vraiment fondamental ! Cette année, nous le lisons chez Saint Matthieu.
Après avoir rapporté le baptême de Jésus, Matthieu continue aussitôt « Alors, Jésus fut conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté. » L’évangéliste nous invite donc à faire un rapprochement entre le baptême de Jésus et les tentations qui le suivent immédiatement. Cet homme s’appelle « Jésus » et Matthieu a dit quelques versets plus haut : « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés », c’est le sens même du nom de Jésus.
Jésus venait donc d’être baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain ; et rappelez-vous, Jean-Baptiste n’était pas d’accord et il l’avait dit : « C’est moi (Jean), qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi (Jésus), qui viens à moi ! » (sous-entendu c’est le monde à l’envers ; Mt 3,14)… Et, là, au cours du Baptême de Jésus, il s’était passé quelque chose : « Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. »
Cette phrase, à elle seule, annonce publiquement que Jésus est vraiment le Messie : car, l’expression « Fils de Dieu » était synonyme de Roi-Messie et la phrase « mon bien-aimé, en qui je trouve ma joie » était une référence à l’un des chants du Serviteur chez Isaïe. En quelques mots, Matthieu vient donc de nous rappeler tout le mystère de la personne de Jésus ; et c’est lui, précisément, Messie, sauveur, serviteur qui va affronter le Tentateur. Comme son peuple, quelques siècles auparavant, il est emmené au désert ; comme son peuple, il connaît la faim ; comme son peuple, il doit découvrir quelle est la volonté de Dieu sur ses fils ; comme son peuple, il doit choisir devant qui se prosterner.
« Si tu es Fils de Dieu », répète le Tentateur, manifestant par là que c’est bien là le problème ; et Jésus y a été affronté, pas seulement trois fois, mais tout au long de sa vie terrestre ; être le Messie, concrètement, en quoi cela consiste-t-il ? La question prend diverses formes : est-ce résoudre les problèmes des hommes à coup de miracles, comme changer les pierres en pain ? Est-ce provoquer Dieu pour vérifier ses promesses ? … En se jetant du haut du temple par exemple, car le psaume 90/91 promettait que Dieu secourrait son Messie… Est-ce posséder le monde, dominer, régner, à n’importe quel prix, quitte à adorer n’importe quelle idole ? Quitte même à n’être plus Fils ? Car je remarque que, la troisième fois, le Tentateur ne répète plus « Si tu es Fils de Dieu ».
JESUS, PREMIER DE CORDEE
Le comble de ces tentations, c’est qu’elles visent des promesses de Dieu : elles ne promettent rien d’autre que ce que Dieu lui-même a promis à son Messie. Et les deux interlocuteurs, le Tentateur comme Jésus lui-même le savent bien. Mais voilà… les promesses de Dieu sont de l’ordre de l’amour ; elles ne peuvent être reçues que comme des cadeaux ; l’amour ne s’exige pas, ne s’accapare pas, il se reçoit à genoux, dans l’action de grâce. Au fond, il se passe la même chose qu’au jardin de la Genèse ; Adam sait, et il a raison, qu’il est créé pour être roi, pour être libre, pour être maître de la création ; mais au lieu d’accueillir les dons comme des dons dans l’action de grâce, dans la reconnaissance, il exige, il revendique, il se pose en égal de Dieu… Il est sorti du registre de l’amour et il ne peut plus recevoir l’amour offert… il se retrouve pauvre et nu.
Jésus fait le choix inverse : « Passe derrière moi, Satan ! » Comme il le dira une fois à Pierre « tes pensées sont des pensées à la manière d’Adam » : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16,23)… D’ailleurs, plusieurs fois dans ce texte, Matthieu a appelé le tentateur du nom de « diable », en grec le « diabolos » ce qui veut dire « celui qui divise ». Est Satan pour chacun de nous, comme pour Jésus lui-même, celui qui tend à nous séparer de Dieu, à voir les choses à la manière d’Adam et non à la manière de Dieu. Au passage, je remarque que tout est dans le regard : celui d’Adam est faussé ; au contraire, pour garder le regard clair, Jésus scrute la Parole de Dieu : ses trois réponses au tentateur sont des citations du livre du Deutéronome (au chapitre 8), dans un passage qui est précisément une méditation sur les tentations du peuple d’Israël au désert.
Alors, précise Matthieu, le diable (le diviseur) le quitte ; il n’a pas réussi à diviser, à détourner le cœur  du Fils ; cela fait irrésistiblement penser à la phrase de Saint Jean dans le Prologue (Jn 1,1) : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu (« pros ton Theon » en grec, qui signifie tourné vers Dieu) et le Verbe était Dieu » Le diable n’a pas réussi à détourner le cœur  du Fils et celui-ci est alors tout disponible pour accueillir les dons de Dieu : « Voici que des anges s’approchèrent et ils le servaient ».

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LIVRE DES LEVITES, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 102

Dimanche 19 février 2023 : 7ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

dimanche 19 février 2023 : 

7ème dimanche du Temps Ordinaire

dent-pour-dent

Commentaire de Marie Noëlle Thabut

  • 1ère lecture

  • Psaume

  • 2ème lecture

  • Evangile

PREMIERE LECTURE – livre des Lévites 19,1-2.17-18

1 Le SEIGNEUR parla à Moïse et dit :
2 « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël.
Tu leur diras :
Soyez saints,
car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint.

17 Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur.
Mais tu devras réprimander ton compatriote,
et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui.
18 Tu ne te vengeras pas.
Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Je suis le SEIGNEUR. »


A L’IMAGE ET A LA RESSEMBLANCE DE DIEU
Etre « comme des dieux » : on en a tous rêvé un jour ou l’autre… et le livre de la Genèse, racontant la faute d’Adam et Eve, dit que c’est bien là notre problème ! « Vous serez comme des dieux » avait promis le serpent, avait menti le serpent, devrait-on dire, et cette prétention les a perdus.
Mais voilà que c’est Dieu lui-même qui nous dit : « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint », ce qui revient à dire « Soyez saints COMME moi ». C’est un ordre, mieux, c’est un appel, c’est notre vocation. Donc, nous ne nous trompons pas quand nous rêvons d’être comme des dieux ! C’est le psaume 8 qui dit : « Tu as voulu l’homme à peine moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ». Seulement voilà : pour ressembler vraiment à Dieu, encore faudrait-il avoir une juste idée de Dieu.
Les premiers chapitres de la Bible disaient déjà que l’homme est fait pour ressembler à Dieu. Encore faut-il savoir en quoi consiste la ressemblance : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre » (Gn 1,26). La formule « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître… » donne à penser que cette ressemblance serait de l’ordre de la royauté, de la soumission… Réellement, l’homme est créé pour être le roi de la création. Mais, le vocabulaire employé par l’auteur suggère que la royauté à laquelle l’homme est appelé est une autorité d’amour et non une domination.
Un peu plus loin, le même livre de la Genèse emploie de nouveau deux fois la même formule : une fois à l’identique : « Le jour où Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu », mais la seconde fois il s’agit des enfants d’Adam : « Adam engendra un fils à sa ressemblance et à son image » : cette fois on a bien l’impression que les mots image et ressemblance ont le sens qu’on leur donne d’habitude quand on dit qu’un fils ressemble à son père. « Tel père tel fils », dit-on.
Enfin, cette phrase que nous connaissons bien, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; il les créa homme et femme » (Gn 1,27), nous dit que le couple créé pour l’amour et pour le dialogue est l’image du Dieu d’amour.
Il a fallu des siècles pour que le peuple comprenne que les mots « Sainteté » et « Amour » sont synonymes. « Saint », on s’en souvient, c’est le mot de la vocation d’Isaïe : au chapitre 6, il nous raconte la vision dont il a bénéficié ; comment, alors qu’il était dans le temple de Jérusalem, ébloui, il entendait les chérubins répéter « Saint ! Saint ! Saint, le SEIGNEUR de l’univers ! ». Ce mot « Saint » signifie que Dieu est le Tout-Autre, qu’un abîme nous sépare de lui. En même temps Isaïe a eu une révélation : cet abîme, c’est Dieu lui-même qui le franchit : et donc, quand il nous invite à lui ressembler, c’est que nous en sommes capables… grâce à lui, bien sûr, ou dans sa grâce, si vous préférez.

SAINTETE ET AMOUR SONT SYNONYMES
Les deux derniers versets du passage d’aujourd’hui ne sont que l’application de cette phrase « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint ». Concrètement, cela veut dire « Tu ne haïras pas… Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune. Tu aimeras… » C’est cela être à la ressemblance de Dieu : Lui ne connaît ni haine, ni vengeance, ni rancune. C’est justement parce qu’il n’est qu’amour qu’il est le Tout-Autre. Et c’est seulement petit à petit que les prophètes comprendront eux-mêmes et feront comprendre au peuple que ressembler au Dieu saint, c’est tout simplement développer ses capacités d’amour.
Cela ne veut pas dire qu’on perd toute capacité de jugement sur ce qui est bon ou mauvais : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote » : réprimander à bon escient, voilà un art bien difficile ! Et pourtant cela aussi, c’est de l’amour. Parmi nous, les parents ou les éducateurs le savent bien : c’est vouloir le bien de l’autre, c’est parfois arrêter l’autre au bord du gouffre. La critique positive par amour fait grandir.
Mais Dieu est patient envers nous : ce n’est pas en un jour que notre attitude peut devenir semblable à la sienne ! Si j’en crois les nouvelles qui nous parviennent tous les jours, il faudra encore beaucoup de temps ! Et Dieu déploie avec son peuple une pédagogie très progressive : quand ce texte est écrit, il ne parle pas encore d’amour universel, il se contente de dire : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur », « Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple »… « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
C’est déjà une première étape dans la pédagogie biblique… Des siècles plus tard, Jésus, dans la parabole du Bon Samaritain (Lc 10,29-37), élargira à l’infini le cercle du prochain.
Voilà donc la royauté à laquelle nous sommes invités : quand nous rêvons d’être comme des dieux, nous pensons spontanément domination, puissance, et surtout la puissance nécessaire pour vaincre la maladie et la mort. Tandis que quand Dieu nous invite à lui ressembler, il nous appelle à la sainteté, à sa sainteté qui n’a rien à voir avec une quelconque domination ! Une sainteté qui n’est qu’amour et douceur. Cela nous paraît bien difficile ; mais là encore, peut-être sommes nous trop souvent des « hommes de peu de foi ».


PSAUME – 102 (103 ), 1-2, 3-4, 8-10, 12-13

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse ;

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
10 il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

12 aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
13 comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint !


BENIS LE SEIGNEUR, O MON AME
La liturgie de ce dimanche ne nous propose que huit versets d’un psaume qui en comporte vingt-deux ! Or l’alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres donc on dit de ce psaume qu’il est « alphabétisant » ; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance. Et effectivement, André Chouraqui disait que ce psaume est le « Te Deum » de la Bible, un chant de reconnaissance pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez) le peuple d’Israël a été comblé par Dieu.
Deuxième caractéristique de ce psaume, le « parallélisme » : chaque verset se compose de deux lignes qui se répondent comme en écho ; l’idéal pour le chanter serait d’alterner ligne par ligne ; il a peut-être, d’ailleurs, été composé pour être chanté par deux choeurs alternés. Ce parallélisme, ce « balancement » est très fréquent dans la Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages en prose ; procédé de répétition utile à la mémoire, bien sûr, dans une civilisation orale, mais surtout très suggestif ; si on soigne la lecture en faisant ressortir le face à face des deux lignes à l’intérieur de chaque verset, la poésie prend un relief extraordinaire.
D’autre part, cette répétition d’une même idée, successivement sous deux formes différentes, permet évidemment de préciser la pensée, et donc pour nous de mieux comprendre certains termes bibliques. Par exemple, le premier verset nous propose deux parallèles intéressants : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».
Premier parallèle : « Bénis le SEIGNEUR »… « Bénis son Nom très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la Bible, c’est la personne. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les Juifs ne s’autorisent jamais à prononcer le NOM de Dieu.1
Deuxième parallèle dans ce premier verset : « Ô mon âme… tout mon être » : on voit bien que le mot âme n’a pas ici le sens que nous lui donnons spontanément. A la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l’homme comme l’addition de deux composants différents, étrangers l’un à l’autre, l’âme et le corps. Mais les progrès des sciences humaines, au cours des siècles, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Or, déjà, la mentalité biblique, avait une conception beaucoup plus unifiée et, dans l’Ancien Testament, quand on dit « l’âme », il s’agit de l’être tout entier. « Bénis le Seigneur, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».
Un autre exemple de parallélisme, un peu plus loin dans ce psaume nous permet de mieux comprendre une expression un peu difficile pour nous, la « crainte de Dieu » : nous rencontrons assez souvent ce mot de « crainte » dans la Bible et il ne nous est pas forcément très sympathique a priori. Or nous le trouvons ici dans un parallèle très intéressant : « Comme la tendresse du père pour ses fils, (telle est) la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint » : ce qui veut bien dire que la crainte de Dieu est tout sauf de la peur, elle est une attitude filiale.

CONVERTIR LA CRAINTE DE DIEU EN CONFIANCE
Je parle souvent de la pédagogie de Dieu à l’égard de son peuple : eh bien, là aussi, la pédagogie de Dieu s’est déployée lentement, patiemment, pour convertir la peur spontanée de l’homme envers Dieu en esprit filial ; je veux dire par là que, mis en présence de Dieu, du sacré, l’homme éprouve spontanément de la peur ; et il faut toute une conversion des croyants pour que, sans rien perdre de notre respect pour Celui qui est le Tout-Autre, nous apprenions à son égard une attitude filiale. La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est vraiment la peur convertie en esprit filial : cette pédagogie n’est pas encore terminée, bien sûr ; notre attitude devant Dieu, notre relation à lui a sans cesse encore besoin d’être convertie. C’est peut-être cela « redevenir comme des petits enfants » : des petits enfants qui savent que leur père n’est que tendresse. Cette « crainte » comporte donc à la fois tendresse en retour, reconnaissance et souci d’obéir au père parce que le fils sait bien que les commandements du père ne sont guidés que par l’amour : comme un petit s’éloigne du feu parce que son père le prévient qu’il risque de se brûler.
Ce n’est donc pas un hasard si ce psaume qui parle de crainte de Dieu fait référence à la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse au Sinaï : « Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse. Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR. Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34,6). Dans notre psaume, cette phrase célèbre est rendue par : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». Elle est très souvent citée, en particulier dans les psaumes ; elle est à la fois la définition de Dieu et, inséparablement, un rappel de l’Alliance. Car tous les psaumes, et plus particulièrement les psaumes d’action de grâce sont, avant tout, émerveillement devant l’Alliance.
Les versets retenus aujourd’hui insistent sur une des manifestations de cette tendresse de Dieu, le pardon. Un Dieu lent à la colère, Israël l’a expérimenté tout au long de son histoire : depuis la traversée du Sinaï, dont Moïse a pu dire au peuple « Depuis le jour où vous êtes sortis d’Égypte jusqu’à ce que vous arriviez en ce lieu, vous avez été rebelles au SEIGNEUR. » (Dt 9,7), la longue histoire de l’Alliance a été le théâtre du pardon de Dieu accordé à chaque régression de son peuple. « Il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie… il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés. »
La vraie tendresse, celle dont nous avons besoin pour repartir, c’est celle justement qui oublie nos péchés, nos abandons ; Jésus ne fera que la mettre en images dans la parabole du père et de l’enfant prodigue.
——————–
Note
1 – Le NOM : ce sont les fameuses quatre lettres, YHVH, (le « tétragramme »). Le prononcer, ce serait prétendre connaître Dieu. Seul, le grand-prêtre, une fois par an, au jour du Kippour, prononçait le NOM très saint, dans le Temple de Jérusalem. Encore aujourd’hui, les Bibles écrites en hébreu ne transcrivent pas les voyelles qui permettraient de prononcer le NOM. Il est donc transcrit uniquement avec les quatre consonnes YHVH. Et quand le lecteur voit ce mot, aussitôt il le remplace par un autre (Adonaï) qui signifie « le SEIGNEUR » mais qui ne prétend pas définir Dieu.
Depuis le Synode des Evêques sur la Parole de Dieu, en octobre 2008, il est demandé à tous les catholiques de ne plus prononcer le NOM de Dieu (que nous disions Yahvé), et de le remplacer systématiquement par « SEIGNEUR » et ce pour plusieurs raisons :
– Tout d’abord, personne ne sait dire quelles voyelles portaient les consonnes du NOM de Dieu, YHVH. La forme « Yahvé » est certainement erronée.
– Ensuite, c’est une marque de respect pour nos frères juifs qui s’interdisent, eux, de prononcer le Nom divin.
– Enfin, et surtout, il nous est bon d’apprendre à respecter la transcendance de Dieu.
– Une quatrième raison nous vient de notre propre tradition chrétienne : les premiers traducteurs de l’Ancien Testament en latin, et, en particulier Saint Jérôme, ont traduit le Tétragramme par « Dominus », c’est-à-dire « SEIGNEUR »

Complément
« Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés » : dans la liturgie du Baptême des premiers siècles, les baptisés se tournaient vers l’Occident pour renoncer au mal, puis faisaient demi-tour sur place et se tournaient vers l’Orient pour prononcer leur profession de foi avant d’entrer dans le baptistère.


DEUXIEME LECTURE –

première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 3,16-23

Frères,
16 ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu,
et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?
17 Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu,
cet homme, Dieu le détruira,
car le sanctuaire de Dieu est saint,
et ce sanctuaire, c’est vous.
18 Que personne ne s’y trompe :
si quelqu’un parmi vous
pense être un sage à la manière d’ici-bas,
qu’il devienne fou pour devenir sage.
19 Car la sagesse de ce monde
est folie devant Dieu.
Il est écrit en effet :
C’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté.
20 Il est écrit encore :
Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur !
21 Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté
en tel ou tel homme.
Car tout vous appartient,
22 que ce soit Paul, Apollos, Pierre,
le monde, la vie, la mort,
le présent, l’avenir :
tout est à vous,
23 mais vous, vous êtes au Christ,
et le Christ est à Dieu.


LE TEMPLE DE L’AMOUR
Si vous êtes déjà allés au Petit Trianon, à Versailles, vous connaissez le hameau de Marie-Antoinette et le Temple de l’Amour : eh bien, si j’en crois Saint Paul, chacun de nous est un temple de l’amour… « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ». Or Dieu est Amour et l’Esprit est l’Esprit d’Amour. Donc nous sommes, chacun de nous, et l’Eglise tout entière, le Temple de l’Amour. Malheureusement, pour être honnêtes, nous devons reconnaître que ce n’est pas encore vraiment la réalité, et que nous faisons mentir Saint Paul tous les jours ! Il le sait bien, mais justement, il nous rappelle notre vocation et s’il dit « Ne savez-vous pas ? », c’est parce que les Corinthiens, tout comme nous, avaient parfois tendance à l’oublier.
« Garde-toi bien d’oublier » répète souvent le livre du Deutéronome. La foi, c’est la mémoire de l’oeuvre de Dieu : si le peuple d’Israël oublie son Dieu, il se perdra à la suite de fausses idoles : « Garde-toi de jamais oublier ce que tes yeux ont vu ; ne le laisse pas sortir de ton cœur un seul jour. » (Dt 4,9). « Gardez-vous d’oublier l’Alliance que le SEIGNEUR votre Dieu a conclue avec vous : ne vous faites pas une idole, pas une image de quoi que ce soit. » (Dt 4,23). Toujours, quand la Bible dit « N’oublie pas », c’est pour mettre en garde contre ce qui serait une fausse piste, un chemin de mort. La Mémoire, c’est la sécurité du croyant.
Pourquoi est-ce si important de ne pas oublier que nous sommes appelés à être des temples de l’amour ? Parce que le projet de Dieu, son projet d’amour ne peut se réaliser qu’avec nous. Nous n’avons pas d’autre raison d’être. Cela peut paraître prétentieux d’oser dire une chose pareille, mais pourtant c’est vrai. Quand Jésus dit à ses apôtres : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », c’est bien cela qu’il veut dire ! Nous sommes les temples de l’amour construits sur toute la surface de la terre, pour que l’amour de Dieu soit manifesté partout.
Je reviens au hameau de Marie-Antoinette : ce temple de l’amour n’est pas refermé sur lui-même, il est au contraire complètement ouvert sur l’extérieur, simplement soutenu par des colonnes ; évidemment ce serait un non-sens de s’appeler temple de l’amour et d’être replié sur soi-même ! On peut certainement en dire autant de chacun de nous et de l’Eglise tout entière. Une fois encore, chez Saint Paul, je retrouve un écho de la prédication des prophètes : leur grande insistance toujours sur l’amour des autres… Un amour en actes et pas seulement en paroles, bien sûr.
Il serait intéressant également de se demander, chacun pour soi, et aussi en Eglise, quelles sont les colonnes qui soutiennent le temple que nous sommes ? Certainement pas la raison raisonnante, d’après Saint Paul ! « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu (nous dit-il)… Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! »
DEVENIR FOUS AUX YEUX DES HOMMES POUR ETRE SAGES AUX YEUX DE DIEU
En revanche, ceux qui nous ont transmis la foi, sont bien des colonnes ; Paul, Apollos ou Pierre pour les Corinthiens, d’autres pour nous. Ils ne sont pas le centre pour autant : dès le début de sa lettre, Paul avait très fermement remis les choses en place : l’apôtre, si grand soit-il, n’est qu’un jardinier ; quand nous applaudissons le prédicateur qui nous a fait vibrer et parfois même nous a converti, les applaudissements ne vont pas à lui mais à Celui seul qui connaît le fond de notre coeur. Reste que ceux à qui nous devons la foi, nos parents, nos proches ou une communauté, demeurent pour nous des appuis dont nous ne pouvons pas nous passer ; on n’est pas Chrétien tout seul.
Les véritables apôtres sont ceux qui ne nous retiennent pas, ne nous captent pas, mais nous guident vers Jésus-Christ : « Tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ». On a bien là l’image d’une construction ; et il me semble que, là encore et toujours, Paul annonce le dessein bienveillant de Dieu : nous sommes au Christ, c’est-à-dire nous lui appartenons, nous sommes greffés sur lui et lui est à Dieu. Tout est repris dans ce grand dessein : « le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir »… Dans la lettre aux Ephésiens, Paul dit : le grand projet de Dieu c’est de réunir l’univers entier, tout ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre en Jésus-Christ.
Nous sommes bien loin de nos raisonnements humains ! Et pourtant Paul nous dit que c’est la seule sagesse : « Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage ». Nous retrouvons cette insistance de Paul sur l’abîme qui sépare la logique de Dieu de nos logiques humaines. « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins », comme dit Isaïe (Is 55,8).
Et l’abîme qui sépare nos pensées de celles de Dieu est tel que si nous nous laissons gagner par les raisonnements humains, cela risque de nous ébranler et de détruire le temple que nous sommes ; rappelez-vous la phrase de tout à l’heure : « Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! »*
En relisant encore une fois ce texte, on comprend pourquoi la liturgie prévoit l’encensement des fidèles à la Messe. Chaque fois qu’on nous encense, nous les baptisés, c’est pour nous dire : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ».
—————–
Note
Ce verset « Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! » est une référence au psaume 93/94,11 qui emploie le mot « buées » pour qualifier les pensées des hommes. De la buée, cela ne produit pas une colonne solide ! Ce mot « buée » est celui employé par le livre de Qohélet et traduit généralement par « vanité » : « vanité des vanités, tout est vanité » (Qo 1,2).


EVANGILE – selon Saint Matthieu 5,38-48

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
38 « Vous avez appris qu’il a été dit :
Œil pour œil, et dent pour dent.
39 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ;
mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite,
tends-lui encore l’autre.
40 Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice
et prendre ta tunique,
laisse-lui encore ton manteau.
41 Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas,
fais-en deux mille avec lui.
42 À qui te demande, donne ;
à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
43 Vous avez appris qu’il a été dit :
Tu aimeras ton prochain
et tu haïras ton ennemi.
44 Eh bien ! moi, je vous dis :
Aimez vos ennemis,
et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ;
car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons,
il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
46 En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle récompense méritez-vous ?
Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous ne saluez que vos frères,
que faites-vous d’extraordinaire ?
Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits
comme votre Père céleste est parfait. »


DE L’AMOUR DU PROCHAIN A L’AMOUR DES ENNEMIS
Une précision de vocabulaire pour commencer : Jésus dit : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » En réalité, vous ne trouverez nulle part dans l’Ancien Testament le commandement de haïr nos ennemis et Jésus le sait mieux que nous. Mais c’est une manière de parler en araméen ; cela veut dire : commence déjà par aimer ton prochain. L’ambition reste modeste, mais c’est un premier pas. Dans le texte d’aujourd’hui, justement, il nous invite à franchir une deuxième étape. L’amour du prochain doit être acquis, Jésus invite à aimer désormais également nos ennemis.
Une autre maxime nous choque dans l’évangile d’aujourd’hui : Jésus dit : « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Oeil pour oeil, dent pour dent’ » (ce que nous appelons la loi du talion) : effectivement, cette maxime est dans l’Ancien Testament (qui ne l’a pas inventée, d’ailleurs : on la trouvait déjà dans le code d’Hammourabi en 1750 av.J.C. en Mésopotamie*) ; elle nous paraît cruelle ; mais il ne faut pas oublier dans quel contexte elle est née : elle représentait alors un progrès considérable ! Rappelez-vous d’où on venait : Caïn, qui se vengeait sept fois et, cinq générations plus tard, son descendant Lamek se faisait une gloire de se venger soixante dix-sept fois ; vous connaissez la chanson de Lamek à ses deux femmes, Ada et Silla : « Ada et Silla, entendez ma voix, épouses de Lamek, écoutez ma parole : Pour une blessure, j’ai tué un homme ; pour une meurtrissure, un enfant. Caïn sera vengé sept fois, et Lamek, soixante-dix-sept fois ! » (Gn 4,23-24).
En Israël, la loi du talion apparaît dans le livre de l’Exode pour imposer une réglementation de la vengeance : désormais le châtiment est limité, il doit rester proportionnel à l’offense. « S’il arrive malheur, tu paieras vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » (Ex 21,23-25). C’est déjà un progrès, ce ne sont plus la haine et l’instinct seuls qui déterminent la hauteur de la vengeance, c’est un principe juridique qui s’impose à la volonté individuelle. Ce ne sont plus sept vies pour une vie ou soixante-dix-sept vies pour une vie. La pédagogie de Dieu est à l’oeuvre pour libérer l’humanité de la haine ; évidemment, pour ressembler vraiment à Dieu, il y a encore du chemin à faire, mais c’est déjà une étape. Jésus, dans le sermon sur la montagne, propose de franchir la dernière étape : ressembler à notre Père des cieux, c’est s’interdire toute riposte, toute gifle, c’est tendre l’autre joue. « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Oeil pour oeil, dent pour dent’, eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant, mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ». Pourquoi s’interdire désormais toute vengeance, toute haine ? Simplement pour devenir vraiment ce que nous sommes : les fils de notre Père qui est dans les cieux.

TEL PERE, TELS FILS
Car, en fait, si on y regarde bien, ce texte est une leçon sur Dieu avant d’être une leçon pour nous : Jésus nous révèle qui est vraiment Dieu ; l’Ancien Testament avait déjà dit que Dieu est Père, qu’il est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour (Ex 34,6) et que nos larmes coulent sur sa joue, car il est tout proche ; cette dernière phrase est de Ben Sirac, vous vous souvenez (Si 35,18). Tout cela, l’Ancien Testament l’avait déjà dit ; mais nous avons la tête dure… et grand mal à croire à un Dieu qui ne soit qu’amour. Jésus le redit de manière imagée : « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » Cette image, bien sûr, était plus parlante du temps de Jésus, dans une civilisation agraire où soleil et pluie sont tous deux accueillis comme des bénédictions. Mais l’image reste belle et, si je comprends bien, ce n’est pas une leçon de morale qui nous est donnée là : c’est beaucoup plus profond que cela. Dieu nous charge d’une mission, celle d’être ses reflets dans le monde : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Soyons francs, croire que Dieu est amour n’est pas un chemin de facilité : cela va devenir au jour le jour extrêmement exigeant pour nous dans le registre du don et du pardon ! « À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! » : jusque-là, l’Ancien Testament avait cherché à développer l’amour du prochain, du frère de race et de religion, et même de l’immigré qui partageait le même toit. Cette fois Jésus abolit toutes les frontières : le sens de la phrase, c’est « A quiconque te demande, Donne ; à qui (sous-entendu quel qu’il soit) veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Tout cela nous paraît fou, déraisonnable, démesuré ; et pourtant c’est exactement comme cela que Dieu agit avec chacun de nous chaque jour, comme il n’a pas cessé de le faire pour son peuple.
Cela nous renvoie à tout ce que nous avons lu ces derniers dimanches dans la première lettre aux Corinthiens : Paul opposait nos raisonnements humains à la sagesse de Dieu : la raison raisonnante (et quelques amis bien intentionnés) nous poussent à ne pas nous « faire avoir » comme on dit. Jésus est dans une tout autre logique, celle de l’Esprit d’amour et de douceur. Elle seule peut hâter la venue du Royaume… à condition que nous n’oubliions pas ce que nous sommes : comme le dit Paul « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? »
—————–
Note
La loi du talion apparaît déjà dans le code d’Hammourabi, vers 1750 av. J.C. Et, visiblement, la loi biblique s’en inspire, mais elle est encore en progrès par rapport à la précédente : dans le code d’Hammourabi, la blessure infligée à un riche est plus grave et plus sévèrement punie que la blessure infligée à un pauvre.

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE, LIVRE DE BEN SIRAC LE SAGE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 118

Dimanche 12 février 2023 : 6ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 12 février 2023 :

6ème dimanche du Temps Ordinaire 

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Ben Sira le Sage 15, 15-20

15 Si tu le veux, tu peux observer les commandements,
il dépend de ton choix de rester fidèle.
16 Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu :
étends la main vers ce que tu préfères.
17 La vie et la mort sont proposées aux hommes,
l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix.
18 Car la sagesse du Seigneur est grande,
fort est son pouvoir, et il voit tout.
19 Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent,
il connaît toutes les actions des hommes.
20 Il n’a commandé à personne d’être impie,
il n’a donné à personne la permission de pécher.

Ben Sira le Sage nous propose ici une réflexion sur la liberté de l’homme ; elle tient en trois points : premièrement, le mal est extérieur à l’homme ; deuxièmement l’homme est libre, libre de choisir de faire le mal ou le bien ; troisièmement, choisir le bien, c’est aussi choisir le bonheur.
Premièrement, le mal est extérieur à l’homme ; cela revient à dire que le mal ne fait pas partie de notre nature, ce qui est déjà une grande nouvelle ; car si le mal faisait partie de notre nature, il n’y aurait aucun espoir de salut, nous ne pourrions jamais nous en débarrasser. C’était la conception des Babyloniens par exemple ; au contraire la Bible est beaucoup plus optimiste, elle affirme que le mal est extérieur à l’homme ; Dieu n’a pas fait le mal et ce n’est pas lui qui nous y pousse. Il n’est donc pas responsable du mal que nous commettons ; c’est le sens du dernier verset que nous venons d’entendre : « Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a permis à personne de pécher ». Et quelques versets avant ceux d’aujourd’hui, Ben Sira écrit : « Ne dis pas, c’est à cause du Seigneur que je me suis écarté… Ne dis pas le Seigneur m’a égaré ».
Si Dieu avait fait d’Adam un être mélangé, en partie bon en partie mauvais, comme l’imaginaient les Babyloniens, le mal ferait partie de notre nature. Mais Dieu n’est qu’amour, et le mal lui est totalement étranger. Et le récit de la chute d’Adam et Eve, au livre de la Genèse, a été écrit justement pour faire comprendre que le mal est extérieur à l’homme puisqu’il est introduit par le serpent ; et il se répand dans le monde à partir du moment où l’homme a commencé à se méfier de Dieu.
On retrouve la même affirmation dans la lettre de Saint Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise ‘Ma tentation vient de Dieu’. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et il ne tente personne. » Autrement dit, le mal est totalement étranger à Dieu, il ne peut pousser à le commettre. Et Saint Jacques continue : « Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit. » (Jc 1,13-17).
Deuxième affirmation de ce texte : l’homme est libre, libre de choisir le mal ou le bien : cette certitude n’a été acquise que lentement par le peuple d’Israël, et pourtant, là encore, la Bible est formelle. Dieu a fait l’homme libre. Pour que cette certitude se développe en Israël, il a fallu que le peuple expérimente l’action libératrice de Dieu à chaque étape de son histoire, à commencer par l’expérience de la libération d’Egypte. Toute la foi d’Israël est née de son expérience historique : Dieu est son libérateur ; et petit à petit on a compris que ce qui est vrai aujourd’hui l’était déjà lors de la création, donc on en a déduit que Dieu a créé l’homme libre.
Et il faudra bien que nous apprenions à concilier ces deux certitudes bibliques : à savoir que Dieu est tout-puissant et que, pourtant, face à lui l’homme est libre. Et c’est parce que l’homme est libre de choisir, qu’on peut parler de péché : la notion même de péché suppose la liberté ; si nous n’étions pas libres, nos erreurs ne pourraient pas s’appeler des péchés.
Peut-être, pour pénétrer un peu dans ce mystère, faut-il nous rappeler que la toute-puissance de Dieu est celle de l’amour : nous le savons bien, seul l’amour vrai veut l’autre libre.
Pour guider l’homme dans ses choix, Dieu lui a donné sa Loi ; cela devrait donc être simple. Et le livre du Deutéronome y insiste : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd’hui n’est pas trop difficile pour toi, il n’est pas hors d’atteinte. Il n’est pas au ciel : on dirait alors ‘Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?’ Il n’est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : ‘Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?’ Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique. » (Dt 30,11-14).
Troisième affirmation de Ben Sira aujourd’hui : choisir le bien, c’est choisir le bonheur. Je reprends le texte : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix… Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu, étends la main vers ce que tu préfères ». Pour le dire autrement, c’est dans la fidélité à Dieu que l’homme trouve le vrai bonheur. S’éloigner de lui, c’est, tôt ou tard, faire notre propre malheur. On dit de manière imagée que l’homme se trouve en permanence à un carrefour : deux chemins s’ouvrent devant lui (dans la Bible, on dit deux « voies »). Une voie mène à la lumière, à la joie, à la vie ; bienheureux ceux qui l’empruntent. L’autre est une voie de nuit, de ténèbres et, en définitive n’apporte que tristesse et mort. Bien malheureux sont ceux qui s’y fourvoient. Là encore on ne peut pas s’empêcher de penser au récit de la chute d’Adam et Eve. Leur mauvais choix les a entraînés sur la mauvaise voie.
Ce thème des deux voies est très souvent développé dans la Bible : dans le livre du Deutéronome, particulièrement ; « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses Lois et ses coutumes… Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. » (Dt 30, 15…20).
D’après le thème des deux voies, nous ne sommes jamais définitivement prisonniers, même après des mauvais choix, puisqu’il est toujours possible de rebrousser chemin. Par le Baptême, nous avons été greffés sur Jésus-Christ, qui, à chaque instant, nous donne la force de choisir à nouveau la bonne voie : c’est bien pour cela qu’on l’appelle le Rédempteur, ce qui veut dire le « Libérateur ». Ben Sira disait « Il dépend de ton choix de rester fidèle ». Baptisés, nous pouvons ajouter « avec la force de Jésus-Christ ».

PSAUME – 118 (119)

1 Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR !
2 Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout cœur  !

4 Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
5 Puissent mes voies s’affermir
à observer tes commandements !

17 Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j’observerai ta parole.
18 Ouvre mes yeux
que je contemple les merveilles de ta Loi.

33 Enseigne-moi, SEIGNEUR, le chemin de tes ordres :
à les garder, j’aurai ma récompense.
34 Montre-moi comment garder ta Loi,
que je l’observe de tout cœur .

Ce psaume fait parfaitement écho à la première lecture tirée de Ben Sira : c’est la même méditation qui continue ; l’idée qui est développée (de façon différente, bien sûr, mais très cohérente), dans ces deux textes, c’est que l’humanité ne trouve son bonheur que dans la confiance en Dieu et l’obéissance à ses commandements. Le malheur et la mort commencent pour l’homme dès qu’il s’écarte de la voie de la confiance tranquille. Laisser entrer en nous le soupçon sur Dieu et sur ses commandements et du coup n’en faire qu’à sa tête, si j’ose dire, c’est s’engager sur un mauvais chemin, une voie sans issue. C’est tout le problème d’Adam et Eve dans le récit de la chute au Paradis terrestre.
Et nous retrouvons bien ici en filigrane le thème des deux voies dont nous avions parlé au sujet de la première lecture : si on en croit Ben Sira, nous sommes de perpétuels voyageurs obligés de vérifier notre chemin… Bienheureux parmi nous ceux qui ont trouvé la bonne route ! Car des deux voies, des deux routes qui s’ouvrent en permanence devant nous, l’une mène au bonheur, l’autre mène au malheur.
Et le bonheur, d’après ce psaume, c’est tout simple ; la bonne route, pour un croyant, c’est tout simplement de suivre la Loi de Dieu : « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR ! » Le croyant connaît la douceur de vivre dans la fidélité aux commandements de Dieu, voilà ce que veut nous dire ce psaume.
Il est le plus long du psautier et les quelques versets retenus aujourd’hui, n’en sont qu’une toute petite partie, l’équivalent d’une seule strophe. En réalité, il comporte cent soixante-seize versets, c’est-à-dire vingt-deux strophes de huit versets. Vingt-deux… huit… ces chiffres ne sont pas dûs au hasard.
Pourquoi vingt-deux strophes ? Parce qu’il y a vingt-deux lettres dans l’alphabet hébreu : chaque verset de chaque strophe commence par une même lettre et les strophes se suivent dans l’ordre de l’alphabet : en littérature, on parle « d’acrostiche », mais ici, il ne s’agit pas d’une prouesse littéraire, d’une performance ! Il s’agit d’une véritable profession de foi : ce psaume est un poème en l’honneur de la Loi, une méditation sur ce don de Dieu qu’est la Loi, les commandements, si vous préférez. D’ailleurs, plus que de psaume, on ferait mieux de parler de litanie ! Une litanie en l’honneur de la Loi ! Voilà qui nous est passablement étranger.
Car une des caractéristiques de la Bible, un peu étonnante pour nous, c’est le réel amour de la Loi qui habite le croyant biblique. Les commandements ne sont pas subis comme une domination que Dieu exercerait sur nous, mais comme des conseils, les seuls conseils valables pour mener une vie heureuse.1 « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR ! » Quand l’homme biblique dit cette phrase, il la pense de tout son coeur.
Ce n’est pas magique, évidemment : des hommes fidèles à la Loi peuvent rencontrer toute sorte de malheurs au cours de leur vie, mais, dans ces cas tragiques, le croyant sait que, seul le chemin de la confiance en Dieu peut lui donner la paix de l’âme.
Et, non seulement la Loi n’est pas subie comme une domination, mais elle est reçue comme un cadeau que Dieu fait à son peuple, le mettant en garde contre toutes les fausses routes ; elle est l’expression de la sollicitude du Père pour ses enfants ; tout comme nous, parfois, nous mettons en garde un enfant, un ami contre ce qui nous paraît être dangereux pour lui. On dit que Dieu « donne » sa Loi et elle est bien considérée comme un « cadeau ». Car Dieu ne s’est pas contenté de libérer son peuple de la servitude en Egypte ; laissé à lui-même, Israël risquait de retomber dans d’autres esclavages pires encore, peut-être. En donnant sa Loi, Dieu donnait en quelque sorte le mode d’emploi de la liberté. La Loi est donc l’expression de l’amour de Dieu pour son peuple.
Il faut dire qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour et que finalement la Loi n’a pas d’autre but que de nous mener sur le chemin de l’amour. Toute la Bible est l’histoire de l’apprentissage du peuple élu à l’école de l’amour et de la vie fraternelle. Le livre du Deutéronome disait : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ; tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur , de tout ton être, de toute ta force ». (Dt 6,4). Et le livre du Lévitique enchaînait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Et, un peu plus tard, Jésus rapprochant ces deux commandements, a pu dire qu’ils étaient le résumé de la Loi juive.
Je reviens à cette curieuse « Béatitude » du premier verset de ce psaume : « Heureux l’homme qui suit la Loi du SEIGNEUR » : le mot « heureux », nous avons déjà appris à le traduire par l’expression « En marche » ; on pourrait par exemple traduire ce premier verset : « Marche avec confiance, toi, l’homme qui observes la Loi du SEIGNEUR ». Et l’homme biblique est tellement persuadé qu’il y va de sa vie et de son bonheur que cette litanie dont je parlais tout à l’heure est en fait une prière. Après les trois premiers versets qui sont des affirmations sur le bonheur des hommes fidèles à la Loi, les cent soixante-treize autres versets s’adressent directement à Dieu dans un style tantôt contemplatif, tantôt suppliant du genre : « Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta Loi. » Et la litanie continue, répétant sans arrêt les mêmes formules ou presque : par exemple, en hébreu, dans chaque strophe, reviennent huit mots toujours les mêmes pour décrire la Loi. Seuls les amoureux osent ainsi se répéter sans risquer de se lasser.
Huit mots toujours les mêmes et aussi huit versets dans chacune des vingt-deux strophes : le chiffre huit, dans la Bible, est le chiffre de la nouvelle Création2 : la première Création a été faite par Dieu en sept jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l’humanité vivra selon la Loi de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour puisque c’est la même chose !
———————
Note
1 – En hébreu, le mot traduit ici par « enseigner » est de la même racine que le mot « Loi »
2 – Voici d’autres éléments de la symbolique du chiffre huit :
– il y avait quatre couples humains (8 personnes) dans l’Arche de Noé
– la Résurrection du Christ s’est produite le dimanche qui était à la fois le premier et le huitième jour de la semaine
C’est pour cette raison que les baptistères des premiers siècles étaient souvent octogonaux ; encore aujourd’hui nous rencontrons de nombreux clochers octogonaux.

Complément
– Voici les huit mots du vocabulaire de la Loi ; ils sont considérés comme synonymes : commandements, Loi, Promesse, Parole, Jugements, Décrets, Préceptes, Témoignages. Ils disent les facettes de l’amour de Dieu qui se donne dans sa Loi
« commandements » : ordonner, commander
« Loi » : vient d’une racine qui ne veut pas dire « prescrire », mais « enseigner » : elle enseigne la voie pour aller à Dieu. C’est une pédagogie, un accompagnement que Dieu nous propose, c’est un cadeau.
« Parole » : la Parole de Dieu est toujours créatrice, parole d’amour : « Il dit et cela fut » (Genèse 1). Nous savons bien que « je t’aime » est une parole créatrice !
« Promesse » : La Parole de Dieu est toujours promesse, fidélité
« Juger » : traiter avec justice
« Décrets » : du verbe « graver » : les paroles gravées dans la pierre (Tables de la Loi)
« Préceptes » : ce que tu nous as confié
« Témoignages » : de la fidélité de Dieu.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 2,6-10

Frères,
6 c’est bien de sagesse que nous parlons
devant ceux qui sont adultes dans la foi,
mais ce n’est pas la sagesse de ce monde,
la sagesse de ceux qui dirigent ce monde
et qui vont à leur destruction.
7 Au contraire, ce dont nous parlons,
c’est de la sagesse du mystère de Dieu,
sagesse tenue cachée,
établie par lui dès avant les siècles,
pour nous donner la gloire.
8 Aucun de ceux qui dirigent ce monde ne l’a connue,
car, s’ils l’avaient connue,
ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.
9 Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture :
« ce que l’œil n’a pas vu,
 ce que l’oreille n’a pas entendu,
ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme,
ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. »
10 Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation.
Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses,
même les profondeurs de Dieu.

Dimanche dernier, la lettre de Paul opposait déjà sagesse humaine et sagesse de Dieu : « Votre foi, disait-il, ne repose pas sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Et il insistait pour dire que le mystère du Christ n’a rien à voir avec nos raisonnements humains : aux yeux des hommes, l’évangile ne peut que passer pour une folie : et sont considérés comme insensés ceux qui misent leur vie dessus. Soit dit en passant, cette insistance sur le mot « sagesse » nous surprend peut-être, mais Paul s’adresse aux Corinthiens, c’est-à-dire à des Grecs pour qui la sagesse est la vertu la plus précieuse.
Aujourd’hui, Paul poursuit dans la même ligne : oui, la proclamation du mystère de Dieu est peut-être une folie aux yeux du monde, mais il s’agit d’une sagesse combien plus haute, la sagesse de Dieu. « C’est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi mais ce n’est pas la sagesse de ce monde… Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu… »
A nous de choisir, donc : vivre notre vie selon la sagesse du monde, l’esprit du monde, ou selon la sagesse de Dieu. Les deux ont bien l’air totalement contradictoires ! Nous retrouvons là le thème des autres lectures de ce dimanche : la première lecture tirée du livre de Ben Sira et le psaume 118/119 développaient tous les deux, chacun à sa manière, ce qu’on appelle le thème des deux voies : l’homme est placé au carrefour de deux routes et il est libre de choisir son chemin ; une voie mène à la vie, à la lumière, au bonheur ; l’autre s’enfonce dans la nuit, la mort, et n’offre en définitive que de fausses joies.

« Sagesse tenue cachée » : une des grandes affirmations de la Bible est que l’homme ne peut pas tout comprendre du mystère de la vie et de la Création, et encore moins du mystère de Dieu lui-même. Cette limite fait partie de notre être même.
Voici ce que dit le livre du Deutéronome : « Au SEIGNEUR notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29,28). Ce qui veut dire : Dieu connaît toutes choses, mais nous, nous ne connaissons que ce qu’il a bien voulu nous révéler, à commencer par la Loi qui est la clé de tout le reste.
Cela nous renvoie encore une fois au récit du paradis terrestre : le livre de la Genèse raconte que dans le jardin d’Eden, il y avait toute sorte d’arbres « d’aspect attrayant et bon à manger ; et il y avait aussi deux arbres particuliers : l’un, situé au milieu du jardin était l’arbre de vie ; et l’autre à un endroit non précisé s’appelait l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. Adam avait le droit de prendre du fruit de l’arbre de vie, c’était même recommandé puisque Dieu avait dit « Tu pourras manger de tout arbre du jardin… sauf un ». Seul le fruit de l’arbre de la connaissance était interdit. Manière imagée de dire que l’homme ne peut pas tout connaître et qu’il doit accepter cette limite : « Au SEIGNEUR notre Dieu (sous-entendu et à lui seul) sont les choses cachées » dit le Deutéronome. En revanche, la Torah, la Loi, qui est l’arbre de vie, est confiée à l’homme : pratiquer la Loi, c’est se nourrir jour après jour de ce qui nous fera vivre.
Je reviens sur cette formule : « Sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire ». Paul insiste plusieurs fois dans ses lettres sur le fait que le projet de Dieu est prévu de toute éternité : il n’y a pas eu de changement de programme, si j’ose dire. Parfois nous nous représentons le déroulement du projet de Dieu comme s’il avait dû changer d’avis en fonction de la conduite de l’humanité. Par exemple, nous imaginons que, dans un premier temps, acte 1 si vous voulez, Dieu a créé le monde et que tout était parfait jusqu’au jour où, acte 2, Adam a commis la faute : et alors pour réparer, acte 3, Dieu aurait imaginé d’envoyer son Fils. Contre cette conception, Paul développe dans plusieurs de ses lettres cette idée que le rôle de Jésus-Christ est prévu de toute éternité et que le dessein de Dieu précède toute l’histoire humaine.
Par exemple, je vous rappelle la très belle phrase de la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ. » (Ep 1,9-10). Ou bien, dans la lettre aux Romains, Paul dit « J’annonce l’évangile en prêchant Jésus-Christ, selon la Révélation d’un mystère gardé dans le silence durant des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de tous les peuples païens… » (Rm 16,25-26).
Et l’aboutissement de ce projet, si je reprends la phrase de Paul, c’est de « nous donner la gloire » : la gloire, normalement, c’est un attribut de Dieu et de lui seul. Notre vocation ultime, c’est donc de participer à la gloire de Dieu. Cette expression est, pour Paul, une autre manière de nous dire le dessein bienveillant : le projet de Dieu, c’est de nous réunir tous ensemble en Jésus-Christ et de nous faire participer à la gloire de la Trinité.
Je continue le texte : « Ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Ecriture, ce que personne n’avait vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu ». L’expression « comme dit l’Ecriture » renvoie à une phrase du prophète Isaïe : « Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï-dire, jamais l’oeil n’a vu qu’un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui. » (Is 64, 3). Elle dit l’émerveillement du croyant biblique gratifié de la Révélation des mystères de Dieu.
Reste la fin de la phrase « Ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » : y aurait-il des gens pour qui cela n’était pas préparé ? Y aurait-il donc des privilégiés et des exclus ? Bien sûr que non : le projet de Dieu, son dessein bienveillant est évidemment pour tous ; mais ne peuvent y participer que ceux qui ont le cœur  ouvert. Et de notre coeur, nous sommes seuls maîtres. D’une certaine manière, c’est le saut dans la foi qui est dit là. Le mystère du dessein de Dieu ne s’ouvre que pour les petits. Comme le disait Jésus, « Dieu l’a caché aux sages et aux savants, et il l’a révélé aux tout-petits ». Nous voilà tout-à-fait rassurés : tout-petits, nous le sommes, il suffit de le reconnaître.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 5, 17-37

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples
17 « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes :
je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
18 Amen, je vous le dis :
Avant que le ciel et la terre disparaissent,
pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi
jusqu’à ce que tout se réalise.
19 Donc, celui qui rejettera
un seul de ces plus petits commandements,
et qui enseignera aux hommes à faire ainsi,
sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux.
Mais celui qui les observera et les enseignera,
celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux.
20 Je vous le dis en effet :
Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens,
vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux.
21 Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens :
Tu ne commettras pas de meurtre,
et si quelqu’un commet un meurtre,
il devra passer en jugement.
22 Eh bien ! moi, je vous dis :
Tout homme qui se met en colère contre son frère
devra passer en jugement.
Si quelqu’un insulte son frère,
il devra passer devant le tribunal.
Si quelqu’un le traite de fou,
il sera passible de la géhenne de feu.
23 Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel,
si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande, là, devant l’autel,
va d’abord te réconcilier avec ton frère,
et ensuite viens présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire
pendant que tu es en chemin avec lui,
pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge,
le juge au garde,
et qu’on ne te jette en prison.
26 Amen, je te le dis :
tu n’en sortiras pas
avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.
27 Vous avez appris qu’il a été dit :
Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Eh bien ! moi, je vous dis :
Tout homme qui regarde une femme avec convoitise
a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.
29 Si ton œil droit entraîne ta chute,
arrache-le et jette-le loin de toi,
car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres
que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute,
coupe-la et jette-la loin de toi,
car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres
que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne.
31 Il a été dit également :
Si quelqu’un renvoie sa femme,
qu’il lui donne un acte de répudiation.
32 Eh bien ! moi, je vous dis :
Tout homme qui renvoie sa femme,
sauf en cas d’union illégitime,
la pousse à l’adultère ;
et si quelqu’un épouse une femme renvoyée,
il est adultère.
33 Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens :
Tu ne manqueras pas à tes serments,
mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur.
34 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout,
ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre, car elle est son marchepied,
ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi.
36 Et ne jure pas non plus sur ta tête,
parce que tu ne peux pas
rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.
37 Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’,
‘non’, si c’est ‘non’.
Ce qui est en plus
vient du Mauvais. »

Nous avons entendu là un des maîtres mots de Saint Matthieu : le mot « accomplir ». Il vise ce grand projet que Paul appelle « le dessein bienveillant de Dieu » ; et si le mot est de Saint Paul, l’idée remonte beaucoup plus Loin que lui ; depuis Abraham, toute la Bible est tendue vers cet accomplissement. Le Chrétien, normalement, n’est pas tourné vers le passé, c’est quelqu’un qui est tendu vers l’avenir. Et il juge toutes les choses de ce monde en fonction de l’avancement des travaux, entendez l’avancement du Royaume ». Quelqu’un disait : « La Messe du dimanche, c’est la réunion du chantier du Royaume » : le lieu où on fait le point sur l’avancement de la construction.
Et réellement, le Royaume avance, lentement mais sûrement : c’est le cœur  de notre foi. Bien sûr, cela ne se juge pas sur quelques dizaines d’années : il faut regarder sur la longue durée ; Dieu a choisi un peuple comme tous les autres : il s’est peu à peu révélé à lui et après coup, on est bien obligé de reconnaître qu’un énorme chemin a été parcouru. Dans la découverte de Dieu, d’abord, mais aussi dans la relation aux autres hommes ; les idéaux de justice, de liberté, de fraternité remplacent peu à peu la loi du plus fort et l’instinct de vengeance.
Ce lent travail de conversion du cœur  de l’homme a été l’œuvre  de la Loi donnée par Dieu à Moïse : les premiers commandements étaient de simples balises qui disaient le minimum vital en quelque sorte, pour que la vie en société soit simplement possible : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas tromper… Et puis, au long des siècles on avait affiné la Loi, on l’avait précisée, au fur et à mesure que les exigences morales progressaient.
Jésus s’inscrit dans cette progression : il ne supprime pas les acquis précédents, il les affine encore : « On vous a dit… moi je vous dis… » Pas question de gommer les étapes précédentes, il s’agit d’en franchir une autre : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ». Première étape, tu ne tueras pas, deuxième étape, tu t’interdiras même la colère et tu iras jusqu’au pardon. Dans un autre domaine, première étape, tu ne commettras pas l’adultère en acte, deuxième étape, tu t’interdiras même d’y penser, et tu éduqueras ton regard à la pureté. Enfin, en matière de promesses, première étape, pas de faux serments, deuxième étape, pas de serments du tout, que toute parole de ta bouche soit vraie.
Aller plus loin, toujours plus loin dans l’amour, voilà la vraie sagesse ! Mais l’humanité a bien du mal à prendre ce chemin-là ! Pire encore, elle refuse bien souvent les valeurs de l’évangile et se croit sage en bâtissant sa vie sur de tout autres valeurs. Paul fustige souvent cette prétendue sagesse qui fait le malheur des hommes : « La sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent », lisions-nous dans la deuxième lecture.
Dans chacun de ces domaines, Jésus nous invite à franchir une étape pour que le Royaume vienne. Curieusement, mais c’est bien conforme à toute la tradition biblique, ces commandements renouvelés de Jésus visent tous les relations avec les autres. Si on y réfléchit, ce n’est pas étonnant : si le dessein bienveillant de Dieu, comme dit saint Paul, c’est de nous réunir tous en Jésus-Christ, tout effort que nous tentons vers l’unité fraternelle contribue à l’accomplissement du projet de Dieu, c’est-à-dire à la venue de son Règne. Il ne suffit pas de dire « Que ton Règne vienne », Jésus vient de nous dire comment, petitement, mais sûrement, on peut y contribuer.

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 111

Dimanche 5 février 2023 : 5ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 5 février 2023 :

5ème dimanche du Temps Ordinaire 

images (1)

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – prophète Isaïe 58,7-10

Ainsi parle le SEIGNEUR :
7 Partage ton pain avec celui qui a faim,
accueille chez toi les pauvres sans abri,
couvre celui que tu verras sans vêtement,
ne te dérobe pas à ton semblable.
8 Alors ta lumière jaillira comme l’aurore,
et tes forces reviendront vite.
Devant toi marchera ta justice,
et la gloire du SEIGNEUR fermera la marche.
9 Alors, si tu appelles, le SEIGNEUR répondra ;
si tu cries, il dira : « Me voici. »
Si tu fais disparaître de chez toi
le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
10 si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires,
et si tu combles les désirs du malheureux,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera lumière de midi.

A première vue, on pourrait prendre ce texte pour une belle leçon de morale et ce ne serait déjà pas si mal ! Mais, en fait, il s’agit de bien autre chose : je vous rappelle le contexte ; nous sommes à la fin du sixième siècle avant J.C. ; le retour d’Exil est chose faite, mais il reste encore bien des séquelles de cette période terrible ; puisque, un peu plus bas, le même prophète parle des « dévastations du passé » et des ruines à relever.
La pratique religieuse s’est remise en place à Jérusalem et, de bonne foi, on s’efforce de plaire à Dieu. Mais notre prophète est ici chargé de délivrer un message un peu délicat : oui, vous voulez plaire à Dieu, c’est une affaire entendue, seulement voilà : le culte qui plaît à Dieu n’est pas ce que vous croyez ; et le prophète leur adresse de lourds reproches : vous cherchez à vous faire bien voir de Dieu par des jeûnes spectaculaires parce que vous voulez vous attirer ses bonnes grâces, mais pendant ce temps vous n’êtes que disputes, querelles, brutalités, appât du gain.
Voici ce que dit Isaïe, quelques lignes avant notre texte d’aujourd’hui : « Le jour de votre jeûne, vous savez (quand même) tomber sur une bonne affaire, et tous vos gens de peine, vous les brutalisez ! Vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute, et en frappant du poing méchamment ! Vous ne jeûnez pas comme il convient en un jour où vous voulez faire entendre là-haut votre voix. Doit-il être comme cela le jeûne que je préfère, le jour où l’homme s’humilie ? S’agit-il de courber la tête comme un jonc, d’étaler en litière sac et cendre ? Est-ce pour cela que tu proclames un jeûne ? » (58,4-5).
Cela nous vaut l’un des textes les plus percutants de l’Ancien Testament ! Dommage que nous ne le lisions pas plus souvent ! Car il bouscule nos idées sur Dieu et sur la religion : nous avons là la réponse à l’une de nos grandes questions : « Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? » Et, en fait de réponse, on ne peut pas être plus clair !
En quelques lignes, tout est dit ; mais comme toujours, quand un texte est très dense, on peut se dire qu’il a été longuement travaillé : c’est bien le cas ici, pour ce passage d’Isaïe. Car ces quelques lignes sont l’aboutissement de toute l’œuvre  des prophètes. Depuis des siècles, en Israël, et pas seulement depuis l’Exil, depuis Abraham, c’est-à-dire à peu près 1850 ans av. J.C., on cherche à faire ce qui plaît à Dieu. On a tout essayé : les sacrifices humains, d’abord, mais Dieu a tout de suite fait savoir qu’avec lui, le Dieu des vivants, il ne pouvait pas en être question ; alors on a continué à offrir des sacrifices, mais d’animaux seulement ; et puis il y a eu, comme dans toutes les religions, des jeûnes, des offrandes de toute sorte, des prières.
Tout au long de ce lent développement de la foi d’Israël, les prophètes appelaient le peuple à ne pas se contenter du culte mais à vivre l’Alliance au quotidien. Et c’est bien le sens de ce passage. Le prophète commence par dire (juste avant notre texte de ce dimanche) : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » Si je comprends bien, aux yeux de Dieu, tout geste qui vise à libérer nos frères vaut mieux que le jeûne le plus courageux.
Puis vient le passage que nous avons entendu tout à l’heure qui nous propose des gestes de partage : nourrir l’affamé, et désaltérer l’assoiffé, recueillir le malheureux sans abri, vêtir celui qui a froid, combler le désir des malheureux… en un mot secourir toutes les souffrances que nous rencontrons.
Je vous propose trois remarques : premièrement, les gestes de libération, les gestes de partage qu’Isaïe nous recommande sont tout simplement l’imitation de l’œuvre  de Dieu lui-même ; Israël a expérimenté bien souvent l’action du Dieu libérateur et la compassion du Dieu miséricordieux ; et ce qui lui est demandé, c’est de faire les mêmes gestes à son tour. Décidément, l’homme est vraiment fait pour être l’image de Dieu ! Et si l’on en croit les prophètes, notre attitude envers les autres est le meilleur thermomètre de notre attitude envers Dieu.
Deuxièmement, alors on ne s’étonne pas qu’Isaïe puisse promettre : « Si tu combles les désirs du malheureux, la gloire du SEIGNEUR t’accompagnera » (« la gloire du SEIGNEUR », c’est-à-dire le rayonnement de sa présence) ; ce n’est pas une récompense ! C’est beaucoup mieux que cela : c’est une réalité… car, réellement, quand nous agissons à la manière de Dieu par des actes qui libèrent, qui rassurent, qui encouragent, qui adoucissent les épreuves de toute sorte, alors il nous est donné de refléter un peu pour eux la lumière de Dieu. Et vous avez remarqué l’insistance d’Isaïe sur la lumière : « Alors ta lumière jaillira comme l’aurore… ta lumière se lèvera dans les ténèbres, ton obscurité sera comme la lumière de midi ». Bien sûr, puisqu’il s’agit de la lumière même de Dieu. Pour le dire autrement, Isaïe nous dit « Quand tu donnes, tu reflètes la présence de Dieu. » Une fois de plus on peut rappeler cette superbe phrase de la tradition chrétienne « Là où il y a de l’amour, là est Dieu ».
Troisièmement, tout acte de justice, de libération, de partage est un pas vers le Royaume de Dieu : puisque, justement, ce Royaume que tout l’Ancien Testament attend est le lieu de la justice et de l’amour ; c’est bien le sens de l’évangile des Béatitudes, dans lequel Jésus nous dit que le Royaume est construit au jour le jour par les doux, les purs, les pacifiques, les assoiffés de justice et de miséricorde.

PSAUME – 111 (112)

4 Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.
5 L’homme de bien a pitié, il partage ;
il mène ses affaires avec droiture.

6 Cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.
7 Il ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le SEIGNEUR.

8 Son cœur est confiant, il ne craint pas.
9 À pleines mains, il donne au pauvre ;
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira, et sa gloire !

Chaque année, au cours de la fête des Tentes, cette fête qui dure, encore aujourd’hui, une semaine à l’automne, le peuple entier faisait ce qu’on pourrait appeler sa « profession de foi » : il renouvelait l’Alliance avec Dieu et s’engageait de nouveau à respecter la Loi. Le psaume 111/112 était certainement chanté à cette occasion.
L’ensemble de ce psaume est à lui seul un petit traité de la vie dans l’Alliance : pour mieux le comprendre, il faut le lire depuis le début. Je vous lis le premier verset : « Alleluia ! Heureux qui craint le SEIGNEUR, qui aime entièrement sa volonté ! »
Tout d’abord, donc, il commence par le mot Alleluia, littéralement « Louez Dieu » qui est le maître-mot des croyants : quand l’homme de la Bible nous invite à louer Dieu, c’est pour le don de l’Alliance précisément. Ensuite, ce psaume se présente comme un psaume alphabétique : c’est-à-dire qu’il comporte vingt-deux lignes, autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet hébreu ; le premier mot de chaque ligne commence par une lettre de l’alphabet dans l’ordre alphabétique ; manière d’affirmer que l’Alliance avec Dieu concerne toute la vie de l’homme et que la Loi de Dieu est le seul chemin du bonheur pour la totalité de la vie, de A à Z. Enfin, le premier verset commence par le mot « heureux » adressé à l’homme qui sait se maintenir sur le chemin de l’Alliance.
Cela fait immédiatement penser à l’évangile des Béatitudes qui résonne de ce même mot « heureux » : Jésus employait là un mot très habituel dans la Bible mais que malheureusement notre traduction française ne peut pas rendre complètement ; dans son commentaire des psaumes, André Chouraqui faisait remarquer que la racine hébraïque de ce mot « a pour sens fondamental la marche, le pas de l’homme sur la route sans obstacle qui conduit vers le Seigneur. » Il s’agit donc « moins du bonheur que de la démarche qui y conduit. » C’est pour cela que le même Chouraqui traduisait le mot « Heureux » par « En Marche », sous-entendu, vous êtes sur la bonne voie, continuez ».
Généralement, dans la Bible, le mot « heureux » ne va pas tout seul, il est opposé à son contraire « malheureux » : l’idée générale étant qu’il y a dans la vie des fausses pistes à éviter ; certains chemins (traduisez choix, comportements) vont dans le bon sens et d’autres, opposés, ne sèmeront que du malheur. Et si on lit ce psaume en entier dans la Bible, on s’aperçoit qu’il est construit de cette manière ; le psaume 1 qui est plus connu est, lui aussi, construit exactement de la même façon : il commence par détailler longuement quels sont les bons choix, ce qui est chemin de bonheur pour tous et, beaucoup plus brièvement, parce que cela ne vaut pas la peine d’en parler, les mauvais choix.
Ici, le bon choix est précisé dès le premier verset : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR ! » Nous retrouvons cette expression si fréquente dans l’Ancien Testament : « la crainte de Dieu » ; malheureusement, la lecture liturgique est coupée ici et ne nous fait pas entendre la seconde ligne de ce premier verset ; je vous le lis en entier : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR, qui aime entièrement sa volonté. » Voilà donc une définition de la « crainte de Dieu » : c’est l’amour de sa volonté. Parce qu’on est en confiance, tout simplement. La crainte du Seigneur, on le sait bien, n’est pas de l’ordre de la peur : d’ailleurs, un peu plus bas, un autre verset le précise bien : « L’homme de bien… s’appuie sur le SEIGNEUR ; son cœur  est confiant… »
La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est à la fois la conscience de la Sainteté de Dieu, la reconnaissance de tout ce qu’il fait pour l’homme, et, puisqu’il est notre Créateur, le souci de lui obéir ; car, s’il est notre Créateur, lui seul sait ce qui est bon pour nous. C’est une attitude filiale de respect et d’obéissance confiante. La double découverte d’Israël c’est à la fois que Dieu est le Tout-Autre ET qu’il se fait le Tout-Proche. Il est infiniment puissant, oui, mais cette toute-puissance est celle de l’amour. Nous n’avons donc rien à craindre puisqu’il peut et veut notre bonheur ! Vous connaissez ce verset du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint ». Craindre le Seigneur, c’est bien avoir à son égard une attitude de fils à la fois respectueux et confiant. C’est aussi « s’appuyer sur lui » : « L’homme de bien… s’appuie sur le SEIGNEUR ; son coeur est confiant ».
Voici donc la juste attitude envers Dieu, celle qui met l’homme sur la bonne voie : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR ! » Voici maintenant la juste attitude envers les autres : « L’homme de bien a pitié, il partage ; homme de justice, de tendresse et de pitié… A pleines mains, il donne au pauvre. » La formule « homme de justice, de tendresse et de pitié » fait irrésistiblement penser à la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse : « Le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté … » (Ex 34, 6). Et d’ailleurs, le psaume précédent (110/111) qui ressemble beaucoup à celui-ci emploie exactement les mêmes mots « justice, tendresse et pitié » pour Dieu et pour l’homme. Manière de dire que l’observation quotidienne de la Loi, dans toute notre vie, de A à Z, comme le symbolise l’alphabétisme de ce psaume, finit par nous modeler à l’image et à la ressemblance de Dieu.
J’ai bien dit ressemblance : le psalmiste n’oublie pas que le Seigneur est le Tout-Autre : les formules ne sont donc pas exactement les mêmes : pour Dieu on dit qu’Il « EST » justice, tendresse et pitié… alors que pour l’homme, le psalmiste dit « il est homme DE justice, DE tendresse, DE pitié », ce qui veut dire que ce sont des vertus qu’il pratique, ce n’est pas son être même. Ces vertus, il les tient de Dieu, il les reflète en quelque sorte.
Et alors parce que son action est à l’image de celle de Dieu, l’homme de bien est une lumière pour les autres : « Lumière des cœurs  droits, il s’est levé dans les ténèbres ». Nous entendons là un écho de la lecture d’Isaïe « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement… alors ta lumière jaillira comme l’aurore ». C’est quand nous donnons et partageons, que nous sommes le plus à l’image de Dieu, lui qui n’est que don. Alors, à notre petite mesure, nous reflétons sa lumière.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 2,1-5

1 Frères,
quand je suis venu chez vous,
je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu
avec le prestige du langage ou de la sagesse.
2 Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ
ce Messie crucifié.
3 Et c’est dans la faiblesse,
craintif et tout tremblant,
que je me suis présenté à vous.
4 Mon langage, ma proclamation de l’Evangile,
n’avaient rien d’un langage
de sagesse qui veut convaincre ;
mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient,
5 pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes,
mais sur la puissance de Dieu.

Saint Paul, comme souvent, procède par contrastes : première opposition, le mystère de Dieu est tout différent de la sagesse des hommes ; deuxième opposition, le langage de l’apôtre qui annonce le mystère est tout différent du beau langage humain, de l’éloquence. Je reprends ces deux oppositions : mystère de Dieu / sagesse humaine ; langage du prédicateur / éloquence, (ou art oratoire, si vous préférez).
Et, tout d’abord l’opposition mystère de Dieu ou sagesse humaine : Paul dit qu’il est venu « annoncer le mystère de Dieu » ; il faut entendre par là le « dessein bienveillant » de Dieu que la lettre aux Ephésiens développera plus tard : ce dessein bienveillant, c’est de faire de l’humanité une communion parfaite d’amour autour de Jésus-Christ : il est donc fondé sur les valeurs de l’amour, du service mutuel, du don, du pardon ; et on voit bien que Jésus le met en œuvre  déjà tout au long de sa vie terrestre. On est donc très loin d’un Dieu de puissance au sens militaire du terme que certains imaginent.
Ce mystère de Dieu s’accomplit par un « Messie crucifié » : c’est tout à fait contraire à notre logique humaine ; c’est même presque un paradoxe ; Paul l’affirme, Jésus de Nazareth est bien le Messie ; mais pas comme on l’attendait. On ne l’attendait pas crucifié ; et même, selon notre logique humaine, le fait qu’il soit crucifié tendait à prouver qu’il n’était pas le Messie : tout le monde avait en tête une célèbre phrase du Deutéronome : d’après laquelle un homme qui avait été condamné à mort au nom de la Loi, et exécuté, était maudit de Dieu. (Dt 21,22-23).
Et pourtant, ce dessein du Dieu tout-puissant, ce n’est « rien d’autre que Jésus-Christ » comme dit Paul… Quand il témoigne de sa foi, il n’a rien d’autre à dire que Jésus-Christ ; pour lui, Jésus-Christ est vraiment le centre de l’histoire humaine, le centre du projet de Dieu, le centre de sa foi. Il ne veut rien connaître d’autre : « Je n’ai rien voulu connaître d’autre » ; derrière cette phrase, on perçoit les difficultés de ne pas céder aux pressions de toute sorte, aux injures, à la persécution déjà.
Ce Messie crucifié nous fait connaître ce qu’est la véritable sagesse, la sagesse de Dieu : c’est-à-dire don et pardon, refus de la violence… C’est tout le message de l’évangile des Béatitudes.
Face à cette sagesse divine, la sagesse humaine est raison raisonnante, persuasion, force, puissance ; cette sagesse-là ne peut même pas entendre le message de l’évangile ; et, d’ailleurs, Paul a essuyé un échec à Athènes, le haut lieu de la philosophie.
Deuxième opposition dans ce texte : langage de prédicateur, ou art oratoire. Paul n’a aucune prétention du côté de l’éloquence : voilà déjà de quoi nous rassurer, si nous n’avons pas la parole trop facile ! Mais Paul va plus loin : pour lui, l’éloquence, l’art oratoire, la faculté de persuasion seraient une gêne parce que totalement incompatibles avec le message de l’évangile. Annoncer l’Evangile ce n’est pas faire étalage d’un savoir ni asséner des arguments. Il est intéressant, d’ailleurs, de remarquer que dans le mot « convaincre », il y a « vaincre ». Il n’est peut-être pas à sa place quand on prétend annoncer la religion de l’Amour. La foi, comme l’amour, n’est pas affaire de persuasion… Allez donc persuader quelqu’un de vous aimer… On sait bien que l’amour ne se raisonne pas, ne se démontre pas… Le mystère de Dieu non plus ; on peut seulement y pénétrer peu à peu.
Le mystère d’un Messie pauvre, d’un Messie-Serviteur, d’un Messie crucifié, ne peut pas s’annoncer par des moyens de puissance : ce serait le contraire du mystère annoncé ! C’est dans la pauvreté que l’évangile s’annonce : voilà qui devrait nous redonner du courage ! Le Messie pauvre ne peut être annoncé que par des moyens pauvres, le Messie serviteur ne peut être annoncé que par des serviteurs.
Il ne faut donc pas nous inquiéter de n’être pas de très bons orateurs, car notre pauvreté de langage est seule compatible avec le message de l’évangile ; mais Paul va même jusqu’à dire que notre pauvreté de prédicateurs est une condition incontournable de la prédication ! Elle seule peut laisser le champ libre à l’action de Dieu. Ce n’est pas lui, Paul, qui a convaincu les Corinthiens, c’est l’Esprit de Dieu qui a donné à la prédication de Paul la force de la vérité en leur faisant découvrir le Christ.
J’en déduis que ce n’est pas non plus la force de notre raisonnement qui convaincra nos contemporains : leur foi ne reposera pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de l’Esprit de Dieu. Nous ne pouvons que lui prêter notre voix. Evidemment cela exige de nous un terrible acte de foi : « C’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant que je suis arrivé chez vous. Mon langage, ma proclamation de l’évangile n’avaient rien à voir avec le langage d’une sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ».
Au moment où nous avons l’impression que le cercle des croyants rétrécit comme une peau de chagrin, au moment où nous rêverions de moyens de puissance médiatique, télématique, électronique de toute sorte, et alors que nos moyens financiers sont révisés à la baisse, il nous est bon de nous entendre dire que l’annonce de l’évangile s’accommode mieux des moyens de pauvreté… Mais pour accepter cette vérité-là, il faut admettre que l’Esprit-Saint est meilleur prédicateur que nous ! Et que, peut-être, le témoignage de notre pauvreté serait la meilleure des prédications ?

EVANGILE – selon Saint Matthieu 5, 13 -16

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
13 « Vous êtes le sel de la terre.
Mais si le sel devient fade,
avec quoi sera-t-il salé ?
Il ne vaut plus rien :
on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
14 Vous êtes la lumière du monde.
Une ville située sur une montagne
ne peut être cachée.
15 Et l’on n’allume pas une lampe
pour la mettre sous le boisseau ;
on la met sur le lampadaire,
et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille devant les hommes :
alors, voyant ce que vous faites de bien,
ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

Tant mieux si une lampe est jolie, mais franchement, ce n’est pas le plus important ! Ce qu’on lui demande d’abord, c’est d’éclairer ; et d’ailleurs, si elle n’éclaire pas bien, si on n’y voit rien, comme on dit, on ne verra pas non plus qu’elle est jolie ! Quant au sel, sa vocation est de disparaître en remplissant son office : mais s’il manque, le plat sera moins bon.
Je veux dire par là que sel et lumière n’existent pas pour eux-mêmes ; d’ailleurs, je remarque au passage, que Jésus leur dit « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » : ce qui compte, c’est la terre, c’est le monde ; le sel et la lumière ne comptent que par rapport à la terre et au monde ! En disant à ses disciples qu’ils sont le sel et la lumière, Jésus les met en situation missionnaire. Il leur dit : « Vous qui recevez mes paroles, vous devenez, par le fait même, sel et lumière pour ce monde : votre présence lui est indispensable ». Ce qui revient à dire que l’Eglise n’existe que POUR le monde. Voilà qui nous remet à notre place, comme on dit ! Déjà la Bible avait répété au peuple d’Israël qu’il était le peuple élu, certes, mais au service du monde ; cette leçon-là reste valable pour nous.
Je reviens au sel et à la lumière : on peut se demander quel point commun il y a entre ces deux éléments, auxquels Jésus compare ses disciples. Réponse : ce sont des révélateurs ; le sel met en valeur la saveur des aliments, la lumière fait connaître la beauté des êtres et du monde. Les aliments existent avant de recevoir le sel ; les êtres, le monde existent avant d’être éclairés. Cela nous en dit long sur la mission que Jésus confie à ses disciples, à nous. Personne n’a besoin de nous pour exister, mais apparemment, nous avons un rôle spécifique à jouer.
Sel de la terre, nous sommes là pour révéler aux hommes la saveur de leur vie. Les hommes ne nous attendent pas pour vivre des gestes d’amour et de partage parfois magnifiques. Evangéliser, c’est dire « le Royaume est au milieu de vous, dans tout geste, toute parole d’amour » ; c’est là qu’ils nous attendent si j’ose dire : pour leur révéler le Nom de Celui qui agit à travers eux : puisque « là où il y a de l’amour, là est Dieu ».
Lumière du monde, nous sommes là pour mettre en valeur la beauté de ce monde : c’est le regard d’amour qui révèle le vrai visage des personnes et des choses. L’Esprit Saint nous a été donné précisément pour que nous puissions entrer en résonance avec tout geste ou parole qui vient de lui.
Mais cela ne peut se faire que dans la discrétion et l’humilité. Trop de sel dénature le goût des aliments au lieu de le mettre en valeur. Une lumière trop forte écrase ce qu’elle veut éclairer. Pour être sel et lumière, il faut beaucoup aimer.
Il suffit d’aimer, mais il faut vraiment aimer. C’est ce que les textes de ce jour nous répètent selon des modes d’expression différents mais de façon très cohérente. L’évangélisation n’est pas une conquête. La Nouvelle Evangélisation n’est pas une reconquête. L’annonce de la Bonne Nouvelle ne se fait que dans une présence d’amour. Rappelons-nous la mise en garde de Paul aux Corinthiens : il leur rappelle que seuls les pauvres et les humbles peuvent prêcher le Royaume.
Cette présence d’amour peut être très exigeante si j’en crois la première lecture : le rapprochement entre le texte d’Isaïe et l’évangile est très suggestif. Etre la lumière du monde selon l’expression de l’évangile, c’est se mettre au service de nos frères ; et Isaïe est très concret : c’est partager le pain ou les vêtements, c’est faire tomber tous les obstacles qui empêchent les hommes d’être libres.
Et le psaume de ce dimanche ne dit pas autre chose : « l’homme de bien », c’est-à-dire « celui qui partage ses richesses de toute sorte à pleines mains » est une lumière pour les autres. Parce qu’à travers ses paroles et ses gestes d’amour, les autres découvriront la source de tout amour : comme dit Jésus, « En voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendront gloire au Père qui est aux cieux. » c’est-à-dire qu’ils découvriront que le projet de Dieu sur les hommes est un projet de paix et de justice.
A l’inverse, on peut se demander comment les hommes pourront croire au projet d’amour de Dieu tant que nous, qui sommes répertoriés comme ses ambassadeurs, nous ne multiplions pas les gestes de solidarité et de justice que notre société exige ; on peut penser d’ailleurs que le sel est sans cesse en danger de s’affadir : car il est tentant de laisser tomber dans l’oubli les paroles fortes du prophète Isaïe, celles que nous avons entendues dans la première lecture ; ce n’est peut-être pas un hasard, d’ailleurs, si l’Eglise nous les donne à entendre peu de temps avant l’ouverture du Carême, ce moment où nous nous demanderons de très bonne foi quel est le jeûne que Dieu préfère.
Dernière remarque : cet évangile d’aujourd’hui (sur le sel et la lumière) suit immédiatement dans l’évangile de Matthieu la proclamation des Béatitudes : il y a donc certainement un lien entre les deux. Et nous pouvons probablement éclairer ces deux passages l’un par l’autre. Peut-être le meilleur moyen d’être sel et lumière pour le monde est-il tout simplement de développer chacun la Béatitude à laquelle nous sommes appelés ? Etre sel de la terre, être lumière du monde, c’est vivre selon l’esprit des Béatitudes, c’est-à-dire exactement à l’opposé de l’esprit du monde ; c’est accepter de vivre selon des valeurs d’humilité, de douceur, de pureté, de justice. C’est être artisans de paix en toute circonstance, et, plus important que tout peut-être, accepter d’être pauvres et démunis, en n’ayant en tête qu’un seul objectif : « qu’en voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendent gloire à notre Père qui est aux cieux. »
——————–
Compléments
– D’après l’un des textes du Concile sur l’Eglise (« Lumen Gentium »), la vraie lumière du monde, ce n’est pas nous, c’est Jésus-Christ.
– En disant à ses disciples qu’ils sont lumière, Jésus leur révèle ni plus ni moins que c’est Dieu lui même qui brille à travers eux, car, dans les écrits bibliques, comme dans le Concile, il est toujours bien précisé que toute lumière vient de Dieu.

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE L'AVENT, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 23

Dimanche 18 décembre 2022 : 4ème dimanche de l’Avent : lectures et commentaires

Dimanche 18 décembre 2022 : 4ème dimanche de l’Avent

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 7,10-16

En ces jours-là,
10 le SEIGNEUR parla ainsi au roi Acaz :
11 « Demande pour toi un signe de la part du SEIGNEUR ton Dieu,
au fond du séjour des morts
ou sur les sommets, là-haut. »
12 Acaz répondit :
« Non, je n’en demanderai pas,
je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l’épreuve. »
13 Isaïe dit alors :
« Écoutez, maison de David !
Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes :
il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu !
14  C’est pourquoi le Seigneur lui-même
vous donnera un signe :
Voici que la vierge est enceinte,
elle enfantera un fils,
qu’elle appellera Emmanuel
(c’est-à-dire : Dieu-avec-nous).
15     De crème et de miel il se nourrira,
jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien.
16     Avant que cet enfant sache rejeter le mal
et choisir le bien,
la terre dont les deux rois te font trembler
sera laissée à l’abandon. »

LA PANIQUE EST MAUVAISE CONSEILLERE
Sans le savoir, nous venons d’assister à l’une des pages les plus dramatiques de l’histoire du peuple d’Israël ; nous sommes vers 735 avant J.C. : l’ancien royaume de David est divisé en deux petits royaumes, depuis environ deux cents ans ; deux rois, deux capitales : Samarie au Nord, Jérusalem au Sud ; c’est là, à Jérusalem, que règne la dynastie de David, celle dont naîtra le Messie ; pour l’instant, il est clair que le Messie n’est pas encore né ! Un jeune roi de 20 ans, Achaz, vient de monter sur le trône de Jérusalem, et dès le dernier son des trompettes du couronnement, il doit prendre des décisions très difficiles.
La Bible n’est pas un livre d’histoire, nous le savons bien ; et si les paroles du prophète Isaïe nous ont été conservées et transmises, c’est parce que la question qui se pose à Achaz est d’abord une question de foi. Pour prendre des décisions valables, il doit s’appuyer sur sa foi, c’est-à-dire ne compter que sur Dieu seul : Dieu a promis que la dynastie de David ne s’éteindrait pas ; il a promis, il tiendra ses promesses. Il n’abandonnera pas son peuple. C’est la conviction d’Isaïe.
Mais il est vrai que pour le jeune roi la responsabilité est très lourde ; la situation politique est inquiétante, le petit royaume de Jérusalem est pris en étau entre deux camps rivaux : le premier camp, c’est la puissance montante au Proche-Orient, l’empire Assyrien, dont la capitale est Ninive (actuellement, les ruines de Ninive sont tout près de Mossoul) ; il menace toute la région, et ses campagnes l’ont déjà mené jusqu’à Damas, en  Syrie, et en Samarie ; en 738, le roi de Damas et le roi de Samarie, vaincus, ont été obligés de capituler et de payer tribut.
L’autre camp, ce sont précisément ces deux petits royaumes de Syrie et de Samarie qui se révoltent contre Ninive et font le siège de Jérusalem pour détrôner Achaz et le remplacer par un autre roi qui acceptera d’être leur allié dans la guerre d’indépendance contre Ninive.
Achaz est pris de panique ; les versets précédents racontent que « le cœur du roi et le cœur de son peuple furent secoués comme les arbres de la forêt sont secoués par le vent » (Is 7,2). Isaïe commence par l’inviter au calme et à la confiance ; il lui dit quelque chose comme « fais confiance à Dieu, ta dynastie ne peut pas s’éteindre, puisqu’il l’a promis » ; et donc le conseil d’Isaïe c’est « affronte tranquillement les menaces qui se présentent, mise sur ta foi et sur les ressources de ton peuple ». Et il ajoute : « la foi est votre survie ; si vous ne croyez pas, toi et ton peuple, vous ne subsisterez pas. »
Mais Achaz n’écoute plus ; lui, le dépositaire de la foi au Dieu unique, offre des sacrifices à toutes les idoles et il va même jusqu’à faire la chose la plus atroce, malheureusement courante à cette époque dans les autres peuples, mais que tous les prophètes ont toujours interdite : il a tué son fils unique pour l’offrir en sacrifice ; le deuxième livre des Rois dit « il fit passer son fils par le feu » (2 R 16,3).
Finalement Achaz ne voit qu’une issue : pour éviter la menace immédiate de ses deux voisins, les rois de Damas et de Samarie, il est décidé à demander l’appui de l’empereur assyrien ; Isaïe est très opposé à cette solution, car tout se paie ! Achaz, en demandant cet appui, perd son indépendance politique et religieuse : c’est balayer d’un coup toute l’œuvre  de libération entreprise depuis Moïse.
LA FIDELITE DE DIEU MALGRE L’INFIDELITE DES HOMMES
Et c’est là qu’Isaïe prononce les paroles que nous avons entendues aujourd’hui : comme on le voit, avant d’être adressées à nos oreilles de chrétiens, avec une signification pour nous, elles ont d’abord été prononcées dans une situation particulière très concrète. Il dit à Achaz (sous-entendu puisque tu as du mal à croire) « Demande pour toi un signe de la part du SEIGNEUR ton Dieu, au fond du séjour des morts
ou sur les sommets, là-haut. » (puisque Dieu règne partout).
Achaz lui fait une réponse abominablement hypocrite : lui qui a déjà pris sa décision, tout-à-fait contraire aux conseils du prophète, et pire, lui qui, dans sa panique, a sacrifié son fils unique, sur qui reposait la promesse de Dieu, il dit en substance : « Oh non ! Loin de moi l’idée d’oser exiger quelque chose de Dieu ! » C’est là qu’Isaïe, qui n’est pas dupe, lui dit « il ne vous suffit pas de fatiguer les hommes, il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu » et intentionnellement, il dit « mon Dieu » car il estime qu’Achaz se conduit comme s’il n’était plus dans l’Alliance.
Mais même devant ces infidélités répétées d’Achaz, Isaïe annonce que Dieu, lui, reste fidèle ; et Dieu va en donner la preuve : la « jeune femme » 1 (c’est-à-dire la jeune reine) est enceinte ; et l’enfant qu’elle va donner au roi s’appellera justement « Dieu est avec nous ». Car ni les ennemis qui veulent détrôner Achaz, ni lui-même qui immole son fils n’empêcheront la fidélité promise par Dieu à la descendance de David et à son peuple.
Enfin les promesses concernent cet enfant-roi : « Il saura rejeter le mal et choisir le bien… » (ce qui veut dire : il recevra à son tour l’esprit du Seigneur pour être capable de rejeter le mal et de choisir le bien). Et la dernière promesse, c’est « Avant que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, (c’est-à-dire avant même que cet enfant ait grandi), la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon ». Traduisez : quant à la menace des deux rois de Damas et de Samarie, elle sera vite oubliée puisque d’ici peu on ne parlera même plus d’eux. Effectivement, très peu de temps après les paroles d’Isaïe, les deux royaumes de Syrie et de Samarie ont été complètement écrasés par l’empire assyrien, leurs richesses emmenées à Ninive et leurs populations déplacées.
Il reste que les hommes et les rois demeurent libres ; et le jeune roi annoncé ici, le petit Ezéchias, commettra des erreurs à son tour ; mais la prophétie d’Isaïe restera toujours valable : quelles que soient les infidélités des hommes, rien n’empêchera la fidélité promise par Dieu à la descendance de David et à son peuple. C’est ainsi que, de siècle en siècle, on gardera au coeur les promesses de Dieu, avec la certitude qu’un jour, peut-être lointain, viendra enfin un roi digne de porter le nom d’Emmanuel.
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Note
1 – « Voici que la jeune femme est enceinte » : le texte hébreu du livre d’Isaïe emploie ici un mot qui ne signifie pas « la jeune fille vierge », mais une jeune femme mariée.
Complément
Premier étonnement : en quoi une naissance d’un bébé au palais royal mérite-t-elle une annonce aussi solennelle ? En réalité cette annonce dit plus qu’un heureux événement : plus que d’un berceau, elle parle de pardon. Car, en sacrifiant son fils, le dauphin, à une divinité païenne, le dieu Moloch, sous prétexte que l’ennemi était aux portes de la ville sainte, le jeune roi Achaz vient de commettre l’irréparable. C’est évidemment un grave manque de confiance en Dieu, mais c’est aussi un sabotage caractérisé de l’avenir de la dynastie. Car Dieu avait promis à David une royauté perpétuelle sur le trône de Jérusalem. Après le crime du roi, que restait-il de cette promesse ? Mais c’est compter sans la fidélité de Dieu !

PSAUME – 23 (24), 1-2. 3-4. 5-6

1 Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
2 C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

3 Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
et se tenir dans le lieu saint ?
4 L’homme au cœur  pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

5 Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
6 Voici le peuple de ceux qui le cherchent
qui recherchent la face de Dieu !

QUI PEUT SE TENIR EN PRESENCE DE DIEU ?
Comme dans presque tous les psaumes, nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’avance : à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (On sait que le temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ». Cette question est en réalité le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint Saint le SEIGNEUR Dieu de l’univers » chantaient les séraphins pendant l’extase d’Isaïe au jour de sa vocation (Is 6,3)… et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir »,  comme dit Isaïe, en sa compagnie.
Le chant continue : « l’homme au cœur  pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : puisque le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.
« L’homme au cœur  pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le coeur pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.
« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.
Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au cœur  pur, aux mains innocentes… qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. Traduisez : « L’homme au coeur pur, aux mains innocentes, c’est celui qui ne livre pas son âme aux idoles. »
L’HOMME AU CŒUR PUR, TOURNE VERS DIEU SEUL
Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; dans la première lecture, nous avions vu Isaïe aux prises avec le roi Achaz au huitième siècle ; mais ce ne sera pas fini ; pendant l’Exil à Babylone le peuple, en contact avec une civilisation polythéiste, victorieuse de surcroît, sera tenté de retomber ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. L’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.
Tandis que les idoles ne sont que des « dieux vides » comme on dit ; à commencer par le veau d’or sculpté dans le Sinaï pendant l’Exode, au moment où Moïse avait le dos tourné, si j’ose dire ; parce que Moïse tardait à redescendre de la montagne, où il avait rencontré Dieu, le peuple a fait le siège d’Aaron jusqu’à ce qu’il accepte de leur prendre tout leur or pour en faire le fameux veau. Les prophètes n’ont pas de mots trop sévères pour fustiger ceux qui fabriquent de toutes pièces une statue, pour ensuite s’agenouiller devant elle.
Le psaume 115 (113 en liturgie) est très clair à ce sujet : « Leurs idoles sont d’or et d’argent, faites de main d’homme. Elles ont une bouche et ne parlent pas ; elles ont des yeux et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n’entendent pas ; elles ont un nez et ne sentent pas ; des mains et elles ne palpent pas ; des pieds et ne marchent pas ; elles ne tirent aucun son de leur gosier… Notre Dieu, lui, est dans les cieux ; tout ce qu’il a voulu, il l’a fait. »
Cette fidélité au Dieu unique est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; combat jamais tout-à-fait gagné puisque Jésus, à son tour, jugera utile de rappeler « Nul ne peut avoir deux maîtres… » (Mt 6,24).
A un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au coeur pur deviendra peu à peu un homme au cœur  de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.
En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés… Heureux les cœurs  purs, ils verront Dieu ».
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Complément
« Lever les yeux » : on retrouve cette expression dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37).

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul apôtre aux Romains 1,1-7

1 Paul, serviteur du Christ Jésus,
appelé à être Apôtre,
mis à part pour l’Évangile de Dieu,
à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome.
2 Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance
par ses prophètes dans les Saintes Écritures,
3concerne son Fils qui, selon la chair,
est né de la descendance de David
4 et, selon l’Esprit de sainteté,
a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu
par sa résurrection d’entre les morts,
lui, Jésus Christ, notre Seigneur.
5 Pour que son nom soit reconnu,
nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre,
afin d’amener à l’obéissance de la foi
toutes les nations païennes,
6 dont vous faites partie,
vous aussi que Jésus Christ a appelés.
7 À vous qui êtes appelés à être saints,
la grâce et la paix
de la part de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ.

LE DESSEIN BIENVEILLANT DE DIEU
Ce sont les premiers mots que Paul adresse aux Romains ; en quelques lignes, nous avons déjà le résumé de toute la foi chrétienne : les promesses de Dieu dans les Ecritures, le mystère du Christ, sa naissance et sa Résurrection, l’élection gratuite du peuple saint, et la mission des Apôtres auprès des nations païennes. Je vous propose tout simplement une lecture en suivant.
S’adressant à une communauté chrétienne qu’il n’a encore jamais rencontrée, Paul se présente : son titre est double « serviteur de Jésus-Christ », et « apôtre » c’est-à-dire en quelque sorte mandaté ; il n’agit qu’en service commandé : voilà la source de toutes ses audaces.
Au passage, il faut noter le titre donné à Jésus : « Christ » ; à lui seul, c’est une profession de foi. Pour nous, dire « Jésus » ou dire le « Christ », c’est la même chose ; après deux mille ans de foi chrétienne, c’est normal ; mais ses contemporains faisaient la différence : « Jésus », c’est un prénom qui désigne quelqu’un ; le « Christ », c’est un titre puisque « Christ » signifie « Messie » : c’est tout simplement la traduction grecque du mot hébreu « Messie ». Dire Jésus-Christ, c’est déjà affirmer le tout de la foi chrétienne : ce Jésus de Nazareth est le Messie.
Paul continue « Mis à part pour l’Evangile de Dieu » : on sait qu’Evangile veut dire « Bonne Nouvelle » ; pour bien faire, il faudrait renverser la formule : annoncer la Bonne Nouvelle, c’est annoncer que la Nouvelle est Bonne ! C’est annoncer que le dessein de Dieu, le projet de Dieu est bienveillant, j’aurais envie de dire « le dessein de Dieu n’est que bienveillant » ; être chrétien, c’est tout simplement annoncer deux choses : premièrement que le dessein de Dieu n’est que bienveillant et deuxièmement qu’il est accompli en Jésus-Christ. C’est exactement ce que fait Paul dans ces quelques lignes.
Reprenons le texte : « Cette Bonne Nouvelle, Dieu l’avait déjà promise par ses prophètes dans les Saintes Ecritures » ; je crois fermement qu’on ne peut rien comprendre à l’Evangile et à l’ensemble du Nouveau Testament si on n’est pas imprégné de l’Ancien Testament : les deux font un tout indissociable ; le dessein de Dieu est prévu depuis l’aube du monde, et c’est peu à peu que Dieu l’a révélé à son peuple par la bouche de ses prophètes.
LA RESURRECTION DU CHRIST, EVENEMENT CENTRAL DE L’HISTOIRE
« Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils » dit Paul : il faut entendre le mot « concerner » en un sens beaucoup plus fort qu’on ne l’emploie aujourd’hui. Pour Paul, Jésus-Christ est depuis toujours au centre du projet de Dieu : c’est ce qu’il dit lorsqu’il parle du dessein bienveillant dans sa lettre aux Ephésiens : « Il (Dieu) nous dévoile le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. » C’est-à-dire que depuis toujours et dès l’origine du monde, Dieu poursuit son projet de rassembler l’humanité tout entière unifiée en Jésus-Christ.
« Selon la chair, il est né de la race de David » : il est homme, membre du peuple élu, descendant de David ; il remplit bien les conditions pour être le Messie. « Selon l’Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts » : traditionnellement, le titre de fils de Dieu était donné à chaque roi le jour de son couronnement ; pour Jésus-Christ c’est le jour de sa résurrection que Dieu l’a intronisé comme roi de l’humanité nouvelle. Pour Paul, la Résurrection du Christ est vraiment l’événement qui bouleverse la face du monde.
Curieusement, Paul ne parle pas de la mort du Christ, mais seulement de sa Résurrection : on sait qu’elle est pour lui le premier article de foi. « Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans contenu » dit-il aux Corinthiens (1 Co 15,14). C’est cette résurrection du Christ que Paul va annoncer partout « Pour que le nom de Jésus-Christ soit reconnu », comme il dit. On retrouve ici la si belle formule de la lettre aux Philippiens : « Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom », entendez le nom même de Seigneur qui était réservé à Dieu et qui, désormais, est attribué à Jésus lui-même.
Il s’agit « d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes ». Curieuse formule, aujourd’hui, pour nos mentalités peu favorables à tout ce qui ressemble à de l’obéissance. Mais chez Paul, imprégné de l’Ancien Testament et des découvertes progressives qu’ont faites les hommes de la Bible, le mot « obéissance » n’est pas servilité, abaissement ; il signifie l’écoute confiante de celui qui se sait en sécurité et peut donc suivre les conseils qui lui sont donnés ; c’est l’attitude filiale par excellence. « Amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes », c’est leur annoncer la Bonne Nouvelle : quand elles auront compris que la Nouvelle est Bonne, elles pourront en toute confiance mettre leur oreille sous cette parole d’amour du Père.
Paul termine par un souhait très habituel chez lui ; c’est le souhait le plus beau que l’on puisse faire à quelqu’un : « À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. » Comme toujours on sait que ces souhaits au subjonctif (que la grâce et la paix soient avec vous) ne supposent pas que Dieu pourrait ne pas nous donner sa grâce et sa paix ; grâce et paix nous sont toujours offertes par Dieu, mais nous restons libres de ne pas les accueillir : ce subjonctif dit notre liberté.
Paul ne fait que reprendre ici la superbe formule du livre des Nombres (Nb 6,24-26) : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde, que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage ; qu’il te prenne en grâce ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! ».

EVANGILE – selon Saint Matthieu 1,18-24

18 Voici comment fut engendré Jésus Christ :
Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ;
avant qu’ils aient habité ensemble,
elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
19 Joseph, son époux,
qui était un homme juste,
et ne voulait pas la dénoncer publiquement,
décida de la renvoyer en secret.
20 Comme il avait formé ce projet,
voici que l’ange du Seigneur
lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David,
ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse,
puisque l’enfant qui est engendré en elle
vient de l’Esprit Saint ;
21 elle enfantera un fils,
et tu lui donneras le nom de Jésus
(c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve),
car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
22 Tout cela est arrivé
pour que soit accomplie
la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
23 Voici que la Vierge concevra,
et elle enfantera un fils ;
on lui donnera le nom d’Emmanuel,
qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
24 Quand Joseph se réveilla,
il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit :
il prit chez lui son épouse.

L’ANNONCIATION A JOSEPH
Saint Matthieu débute son évangile par la phrase « Livre de la genèse de Jésus-Christ1 » et il retrace une longue généalogie qui montre bien que Joseph est de la descendance de David ; il commence par « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères … » et ainsi de suite. Arrivé à Joseph qui se trouve être fils d’un autre Jacob, il dit comme on s’y attend « Jacob engendra Joseph », mais ensuite, il ne peut plus employer la même formule : il ne peut évidemment pas dire « Joseph engendra Jésus » ; il dit « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ ». (Mt 1,16).
Ce verset montre bien la rupture dans la généalogie : selon la formule habituelle (« Joseph engendra Jésus ») celui-ci serait automatiquement de la lignée de David ; mais ici, pour que Jésus soit inscrit dans cette lignée, il faut qu’il soit adopté par Joseph : déjà le Fils de Dieu est livré aux mains des hommes, le dessein de Dieu est suspendu à l’acceptation, au bon vouloir d’un homme, Joseph. C’est dire l’importance de notre récit pour Matthieu.
Or nous connaissons bien le récit de l’Annonciation (dans l’évangile de Luc), « l’annonce faite à Marie » comme disait Claudel ; il a inspiré d’innombrables tableaux, sculptures, vitraux… Mais curieusement, l’annonce faite par l’ange à Joseph a inspiré des artistes beaucoup moins nombreux.
Et pourtant, cette acceptation libre d’un homme juste conditionne le début de l’histoire humaine de Jésus. Matthieu y insiste encore : quand l’Ange s’adresse à Joseph, il l’appelle « fils de David » ; les paroles qui suivent montrent bien le mystère de la filiation de Jésus : engendré par l’Esprit-Saint et non par Joseph, il sera cependant reconnu comme son fils : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse » veut dire que Jésus sera introduit dans sa maison ; et d’autre part, c’est Joseph qui donnera à Jésus son nom.
A propos de ce nom de Jésus, Matthieu en donne le sens, « Jésus veut dire le Seigneur sauve » et il explique « Car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». Précision intéressante : le peuple juif attendait impatiemment le Messie et pas seulement un Messie politique qui le libérerait de l’occupation romaine. Nous avons déjà eu l’occasion de parler de cette attente messianique : on attendait un roi, un leader politique, c’est vrai, de la descendance de David, et c’est lui qui devait restaurer la royauté en Israël, mais on attendait aussi et surtout l’avènement du monde nouveau, de la création nouvelle, dans la justice et la paix pour tous. Il y a tout cela dans le nom de Jésus tel que Matthieu le comprend « c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».
Je reviens sur la phrase « l’enfant qui est engendré en Marie vient de l’Esprit Saint » : nous possédons deux textes sur la conception virginale de Jésus : ce passage de l’annonce à Joseph dans l’évangile de Matthieu et le parallèle de l’annonce à Marie chez Luc. La tradition de l’Eglise nous enseigne que les Ecritures, y compris le Nouveau Testament, sont inspirées par l’Esprit Saint. La conception virginale de Jésus est donc un article de foi. Bien évidemment, il ne s’agit pas de prétendre comprendre ni le pourquoi ni le comment de cette volonté souveraine de Dieu ; nous pouvons seulement nous émerveiller de ce plan qui fait de Jésus à la fois un homme, né d’une femme, venu au monde comme tout le monde si j’ose dire… descendant de David par le bon vouloir de Joseph, et en même temps Fils Unique de Dieu, conçu de l’Esprit Saint.
CONCU DE L’ESPRIT-SAINT, NE DE LA VIERGE MARIE
Je reprends le texte : Matthieu cite les Ecritures, et justement la promesse du prophète Isaïe à Achaz que nous avons entendue dans la première lecture : « Voici que la Vierge concevra et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit « Dieu-avec-nous » ».
Deux remarques sur cette citation de l’Ancien Testament par Matthieu : premièrement, le texte hébreu d’Isaïe disait « Voici que la jeune femme est enceinte » (En hébreu « alma » signifie l’épouse royale) et Matthieu, lui, parle d’une vierge (en grec, « parthenos »). En fait, Matthieu cite ici non le texte hébreu d’Isaïe mais la traduction grecque faite à Alexandrie vers 250 av. J.C. ; car déjà à l’époque de cette traduction, on pensait que le Messie naîtrait d’une Vierge.
Deuxième remarque sur le nom de Jésus, cette fois : l’ange dit : « Tu appelleras ton fils Jésus (c’est-à-dire : « le Seigneur sauve »), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Et Matthieu commente : Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur … on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
On a presque envie de demander : « Finalement, il s’appelle comment ? Jésus ? Ou Emmanuel ? Bien évidemment c’est le but de Matthieu ; et la réponse, il nous la donnera à la fin de son évangile. Cet enfant s’est appelé Jésus, nous le savons bien, (et cela veut dire « le Seigneur sauve son peuple de ses péchés ») mais quand il quittera les siens il leur dira « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps », ce qui est la traduction d’Emmanuel. Etre sauvé de ses péchés, c’est tout simplement savoir que Dieu est avec nous, ne plus jamais douter qu’il est avec nous et « vivre en sa présence » comme le disait le prophète Michée. C’est ce qu’a fait Joseph justement.
Dans le récit de la Visitation qui nous est rapporté par l’évangile de Luc, Elisabeth dit à Marie « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » (Lc 1,45). Ici, on est tenté de reprendre ces mêmes mots pour Joseph : « Bienheureux Joseph qui a cru : grâce à lui, Dieu a pu accomplir son dessein de salut ».
——————
Note
Dans son premier chapitre, Matthieu, parlant des origines de Jésus Christ, emploie deux fois le mot « genèse » (Mt 1,1.18). Ce n’est évidemment pas un hasard : car c’est le mot employé pour présenter la descendance d’Adam au chapitre 5 du livre de la Genèse. Le texte disait : « Voici le livre de la genèse d’Adam » ; en reprenant le même mot, Matthieu veut certainement suggérer que Jésus récapitule en lui toute l’histoire humaine. Paul dirait « il est le Nouvel Adam ».

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE L'AVENT, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 121

Dimanche 27 novembre 2022 : 1er dimanche de l’Avent : lectures et commentaires

Dimanche 27 novembre 2022 : 1er dimanche de l’Avent

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 2, 1 – 5

1    Parole d’Isaïe,
– ce qu’il a vu au sujet de Juda et de Jérusalem.
2    Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du SEIGNEUR
se tiendra plus haut que les monts,
s’élèvera au-dessus des collines.
Vers elle afflueront toutes les nations
3   et viendront des peuples nombreux.
Ils diront : « Venez !
montons à la montagne du SEIGNEUR,
à la maison du Dieu de Jacob !
Qu’il nous enseigne ses chemins,
et nous irons par ses sentiers. »
Oui, la loi sortira de Sion,
et de Jérusalem, la parole du SEIGNEUR.
4    Il sera juge entre les nations
et l’arbitre de peuples nombreux.
De leurs épées, ils forgeront des socs,
et de leurs lances, des faucilles.
Jamais nation contre nation
ne lèvera l’épée ;
ils n’apprendront plus la guerre.
5    Venez, maison de Jacob !
Marchons à la lumière du SEIGNEUR.

LE GRAND REVE D’ISAIE
On sait que les auteurs bibliques aiment les images ! En voici deux, superbes, dans cette prédication d’Isaïe : d’abord celle d’une foule immense en marche ; ensuite celle de toutes les armées du monde qui décident de transformer tous leurs engins de mort en outils agricoles. Je reprends ces deux images l’une après l’autre.
La foule en marche gravit une montagne : au bout du chemin, il y a Jérusalem et le Temple. Le prophète Isaïe, lui, est déjà dans Jérusalem et il voit cette foule, cette véritable marée humaine arriver. C’est une image, bien sûr, une anticipation. On peut penser qu’elle lui a été suggérée par l’affluence des grands jours de pèlerinage des Israélites à Jérusalem.
Car, chaque année, il était témoin de cette extraordinaire semaine d’automne, qu’on appelle la fête des Tentes. On vit sous des cabanes, même en ville, pendant huit jours, en souvenir des cabanes du séjour dans le désert du Sinaï pendant l’Exode ; à cette occasion, Jérusalem grouille de monde, on vient de partout, de toutes les communautés juives dispersées ; le livre du Deutéronome, parlant de cette fête, disait « Tu la fêteras dans la joie, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite et l’immigré, l’orphelin et la veuve qui résident dans ta ville. Durant sept jours, tu célébreras la fête en l’honneur du SEIGNEUR ton Dieu au lieu choisi par le SEIGNEUR…et tu seras rempli de joie. » (Dt 16,14-15).
Devant ce spectacle, Isaïe a eu l’intuition que ce grand rassemblement annuel, plein de joie et de ferveur, en préfigurait un autre : alors, inspiré par l’Esprit-Saint, il a pu annoncer avec certitude : oui, un jour viendra où ce pèlerinage, pratiqué jusqu’ici uniquement par le peuple d’Israël, rassemblera tous les peuples, toutes les nations. Le Temple ne sera plus uniquement le sanctuaire des tribus israélites : désormais, il sera le lieu de rassemblement de toutes les nations. Parce que toute l’humanité enfin aura entendu la bonne nouvelle de l’amour de Dieu.
Pour bien montrer à quel point le destin d’Israël et celui des nations sont mêlés, le texte est construit de manière à imbriquer les évocations ; il ne parle jamais d’Israël sans les nations et inversement. Il commence par Israël : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du SEIGNEUR se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. »
Je vous signale au passage que cette manière de parler est déjà symbolique : la colline du temple n’est pas la plus élevée de Jérusalem et cela reste de toute façon bien modeste par rapport aux grandes montagnes de la planète ! Mais c’est d’une autre élévation qu’il s’agit, on l’a bien compris.
DIEU SERA L’ARBITRE DE TOUS LES PEUPLES
Ensuite le texte évoque ceux qu’il appelle « les nations », c’est-à-dire tous les autres peuples : « Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. Ils diront : « Venez ! montons à la montagne du SEIGNEUR, à la maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers. »
Cette dernière phrase est une formule typique de l’Alliance : c’est donc l’annonce de l’entrée des autres peuples dans l’Alliance jusqu’ici réservée à Israël. Le texte continue : « Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du SEIGNEUR. »
Cela veut dire l’élection (le choix que Dieu a fait) d’Israël, mais cela dit tout autant la responsabilité du peuple élu ; son élection fait de lui le collaborateur de Dieu pour intégrer les nations dans l’Alliance.
Dans ces quelques lignes on a très nettement cette double dimension de l’Alliance de Dieu avec l’humanité : d’une part, Dieu a choisi librement ce peuple précis pour faire Alliance avec lui (c’est ce qu’on appelle l’élection d’Israël) et en même temps ce projet de Dieu concerne l’humanité tout entière, il est universel. Pour l’instant, dit Isaïe, seul le peuple élu reconnaît le vrai Dieu, mais viendra le jour où ce sera l’humanité tout entière.
Je note, au passage, que cette entrée dans le Temple de Jérusalem n’évoque pas la célébration d’un sacrifice, comme il en est question si souvent à propos du Temple ; les nations se réunissent pour écouter la Parole de Dieu et apprendre à vivre selon sa Loi. Nous savons bien que notre fidélité au Seigneur se vérifie dans notre vie quotidienne, mais il me semble que le prophète Isaïe le dit déjà ici très fortement : « Des peuples nombreux se mettront en marche, et ils diront : Venez, montons à la montagne du SEIGNEUR, à la maison du Dieu de Jacob. Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers. »
La deuxième image découle de la première : si les nations toutes ensemble écoutent la parole de Dieu au beau sens du mot « écouter » dans la Bible, c’est-à-dire décident d’y conformer leur vie, alors elles entreront dans le projet de Dieu qui est un projet de paix. Elles le choisiront comme juge, comme arbitre, dit Isaïe : « Dieu sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. »
Dans un conflit, l’arbitre est celui qui arrive à mettre les deux parties d’accord, pour enfin faire taire les armes… au moins pour un temps, jusqu’au prochain conflit. On sait bien que certaines paix ne sont pas durables, parce que l’accord conclu n’était pas juste ; dans ce cas, le conflit n’est pas vraiment résolu, il est seulement masqué ; et alors, un jour ou l’autre, le conflit renaît. Mais si l’arbitre des peuples est Dieu lui-même, c’est une paix durable qui s’établira. On n’aura plus jamais besoin de préparer la guerre. Tout le matériel de guerre pourra être reconverti…
Et cela nous vaut cette expression superbe de la paix future : « De leurs épées, ils forgeront des socs (de charrue), et de leurs lances des faucilles. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on ne s’entraînera plus pour la guerre ».
La dernière phrase conclut le texte par une invitation concrète : « Venez, maison de Jacob, marchons à la lumière du SEIGNEUR. » Sous-entendu « pour l’instant, toi, peuple d’Israël, remplis ta vocation propre » ; et elle est double : « monter au Temple du SEIGNEUR », d’une part, c’est-à-dire célébrer l’Alliance, et d’autre part « marcher à la lumière du SEIGNEUR », c’est-à-dire se conformer à la Loi de l’Alliance.
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Compléments
1 – Chose curieuse, ces quelques versets que nous venons d’entendre se retrouvent presque dans les mêmes termes chez un autre prophète… Aujourd’hui nous les avons lus sous la plume d’Isaïe qui est un prophète du huitième siècle avant J.C. à Jérusalem ; mais nous aurions tout aussi bien pu les lire dans le livre de Michée qui est son contemporain dans la même région (Mi 4,1-3). Lequel des deux a copié sur l’autre ? Ou bien se sont-ils tous les deux inspirés à la même source ? Personne n’en sait rien ; en tout cas, il faut croire que Jérusalem avait bien besoin d’entendre ces paroles pour se rappeler le projet de Dieu !
2 – Isaïe nous projette dans l’avenir… et il faudrait écrire avenir en deux mots : « A-Venir ». Entre parenthèses, pendant tout le temps de l’Avent, nous entendrons des lectures qui nous projettent dans l’avenir : l’Avent tout entier est une mise en perspective de ce qui nous attend. Le texte d’aujourd’hui, d’ailleurs, commence par « Il arrivera dans l’avenir » : et cette phrase-là n’est pas une prédiction, c’est une promesse de Dieu. Les prophètes ne sont pas des voyants, des devins, pour la simple bonne raison que la divination est strictement interdite en Israël ! Par conséquent leur mission n’est pas de prédire l’avenir ; leurs prises de parole ne sont pas des « prédictions » mais des « prédications » : ils sont, comme on dit, la « bouche de Dieu », ils parlent de la part de Dieu. Et donc, finalement, ils ne peuvent pas dire autre chose que le projet de Dieu. C’est très exactement ce que fait Isaïe ici.

PSAUME – 1211 (122), 1-9

1 Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du SEIGNEUR ! »
2 Maintenant notre marche prend fin
devant tes portes, Jérusalem !

3 Jérusalem, te voici dans tes murs :
ville où tout ensemble ne fait qu’un.
4 C’est là que montent les tribus,
les tribus du SEIGNEUR.

C’est là qu’Israël doit rendre grâce
au nom du SEIGNEUR.
5 C’est là le siège du droit,
le siège de la maison de David.

6 Appelez le bonheur sur Jérusalem :
« Paix à ceux qui t’aiment !
7 Que la paix règne dans tes murs,
le bonheur dans tes palais ! »

8 A cause de mes frères et de mes proches,
je dirai : « Paix sur toi ! »
9 A cause de la maison du SEIGNEUR notre Dieu,
je désire ton bien.

UNE VILLE AU DESTIN PARTICULIER
Nous avons là la meilleure traduction possible du mot « Shalom » : « Paix à ceux qui t’aiment ! Que la paix règne dans tes murs, le bonheur dans tes palais… » Quand on salue quelqu’un par ce mot « Shalom », on lui souhaite tout cela !
Ici, ce souhait est adressé à la ville de Jérusalem : « Appelez le bonheur sur Jérusalem… A cause de mes frères et de mes proches, je dirai : Paix sur toi ! A cause de la maison du SEIGNEUR notre Dieu, je désire ton bien ». Dans le nom même de « Jérusalem » il y a le mot « shalom » ; elle est, elle devrait être, elle sera la ville de la paix.
Ce souhait de paix, de bonheur adressé à Jérusalem est encore bien loin d’être réalisé ! L’a-t-il jamais été ? Vous connaissez l’histoire plutôt mouvementée de cette ville : vers l’an 1000 av.J.C. c’était une bourgade sans importance, qui s’appelait Jébus et ses habitants  les Jébusites ; c’est elle que David a choisie pour y installer la capitale de son royaume ; dimanche dernier (pour la fête du Christ-Roi – Année C), nous avions vu que la première capitale de David a été Hébron tant qu’il n’était roi que de la seule tribu de Juda ; mais un beau jour, et c’était notre lecture de dimanche dernier, les onze autres tribus se sont ralliées ; alors, très sagement, il a choisi une nouvelle capitale dont aucune tribu ne pouvait se réclamer. C’est donc Jébus devenue Jérusalem ; désormais on l’appellera la « ville de David » (2 S 6,12) ; il y transporte l’Arche d’Alliance, puis, sur l’ordre de Dieu, il achète un champ à Arauna le Jébusite avec l’intention de l’y installer ; ce champ, c’est Dieu lui-même qui en a choisi l’emplacement : Jérusalem est donc aux yeux de tous la Ville Sainte, le lieu que Dieu a choisi pour y « planter sa tente ».
« Ville sainte », comme « terre sainte » ne veut pas dire « ville magique » ou « terre magique » ; elle est sainte parce qu’elle appartient à Dieu. Elle est, ou elle devrait être, elle sera la ville où l’on vit à la manière de Dieu, comme la « terre sainte » est la terre qui appartient à Dieu et où l’on doit vivre à la manière de Dieu.
Avec David, puis avec Salomon, Jérusalem connaît ses plus belles heures, mais elle est encore d’étendue modeste ; aujourd’hui elle couvre toutes les collines, mais au début elle n’occupait qu’un tout petit éperon rocheux. David y a construit son palais, puis tout naturellement il a voulu construire un Temple pour que Dieu ait lui aussi son palais.
Mais Dieu avait d’autres projets : le prophète Natan a été chargé de calmer les élans de David et de lui annoncer que Dieu s’intéressait à son peuple beaucoup plus qu’à un Temple, si beau soit-il. Vous connaissez le fameux jeu de mots de Natan : « tu veux construire une maison (traduisez un temple) à Dieu, mais c’est Dieu qui te construira une maison (au sens de descendance) ». On retrouve ce jeu de mots dans notre psaume : « C’est là le siège du droit, le siège de la maison de David » (au sens de descendance, c’est-à-dire la dynastie royale)… (et un peu plus loin) « A cause de la maison du Seigneur notre Dieu (le Temple), je désire ton bien. »
DANS L’ATTENTE DU MESSIE
Et le prophète Natan annonçait encore autre chose : Dieu a promis de prolonger pour toujours la dynastie de David, c’est pourquoi, de siècle en siècle, on attend un descendant de David qui instaurera le royaume de Dieu sur la terre et son trône sera à Jérusalem.
Vous vous rappelez que ce n’est pas David qui a construit le Temple finalement ; c’est Salomon et désormais Jérusalem est devenue le centre de la vie cultuelle : trois fois par an les Juifs pieux montaient en pèlerinage à Jérusalem et, en particulier, pour la fête des Tentes à l’automne.
Vous connaissez la suite : les horreurs commises par les troupes de Nabuchodonosor, en 587 av. J. C., la destruction du Temple, et de la ville… l’Exil à Babylone, puis le retour autorisé en 538 par le nouveau maître du Moyen-Orient, Cyrus. Jérusalem a été reconstruite et c’est pour cela que notre pèlerin du psaume 121 s’écrie « Jérusalem, te voici dans tes murs, ville où tout ensemble ne fait qu’un ! »
Mais surtout, le Temple de Salomon a été reconstruit, et Jérusalem a retrouvé son rôle de centre religieux : sa grandeur, sa sainteté lui viennent de ce qu’elle est comme un écrin pour la chose la plus précieuse du monde pour un croyant : le Temple qui est le signe visible de la Présence du Dieu invisible.
Vous avez remarqué la construction de ce psaume : comme bien souvent il y a une inclusion : le premier et le dernier versets se répondent et cette insistance est volontaire. Je vous les redis : premier verset  « Nous irons à la maison du SEIGNEUR » ; dernier verset  « A cause de la maison du SEIGNEUR notre Dieu, je désire ton bien ».
Cette « Maison du SEIGNEUR », ce Temple, a connu bien d’autres malheurs : la fameuse persécution d’Antiochus Epiphane l’avait transformé en temple païen (en 167 av.J.C.) et il avait fallu se battre les armes à la main pour le récupérer et y restaurer le culte ; puis il a été détruit une deuxième fois en 70 ap. J.C., date à laquelle les Romains l’ont incendié ; jusqu’à présent le Temple n’a jamais été reconstruit, mais Jérusalem reste la Ville Sainte, et l’on attend sa restauration en même temps que la venue du Messie.
Le plus étonnant est la force de cette espérance qui s’est maintenue malgré toutes les vicissitudes de l’histoire ! Aujourd’hui encore, il est demandé à chaque Juif, où qu’il soit dans le monde, de laisser près de l’entrée de sa maison, une pièce non aménagée, ou au moins un pan de mur non peint, en souvenir de Jérusalem non encore reconstruite. Ou bien encore, où qu’ils soient, les Juifs se tournent vers Jérusalem pour la prière, et tous les jours, dans la prière, on dit « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite dépérisse ».
On ne peut pas oublier Jérusalem, parce qu’on sait que Dieu lui-même ne peut pas oublier la promesse faite à David : les prophètes, en particulier Isaïe et Michée, nous l’avons lu dans la première lecture, ont annoncé que Jérusalem serait le lieu du rassemblement de toute l’humanité ; puisque c’est la Parole de Dieu, cette révélation est toujours valable ! Aujourd’hui encore, le peuple élu reste le peuple élu. Dieu ne peut être infidèle à ses promesses ; comme dit Saint Paul, « Dieu ne peut pas se renier lui-même ».
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Note
1 – La numérotation des Psaumes : le texte hébreu du psautier et sa traduction grecque ont tous les deux cent cinquante psaumes, mais une légère différence de numérotation (chiffre généralement plus fort d’une unité dans le texte hébreu) ; la numérotation hébraïque est en vigueur dans nos Bibles et dans la liturgie protestante, la numérotation grecque est en usage dans tous les ouvrages liturgiques catholiques.
Complément
Ce psaume 121/122 fait partie des « cantiques des montées », ces psaumes composés tout spécialement pour les pèlerinages. Il était vraisemblablement chanté à l’arrivée aux portes de la Ville Sainte. Voir le commentaire pour la Fête du Christ-Roi de l’année C.

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul aux Romains 13, 11-14

Frères,
11 vous le savez : c’est le moment,
l’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil.
Car le salut est plus près de nous maintenant
qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants.
12 La nuit est bientôt finie,
le jour est tout proche.
Rejetons les œuvres des ténèbres,
revêtons-nous des armes de la lumière.
13 Conduisons-nous honnêtement,
comme on le fait en plein jour,
sans orgies ni beuveries,
sans luxure ni débauches,
sans rivalité ni jalousie,
14 mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ.

LE DESSEIN BIENVEILLANT DE DIEU PROGRESSE
« Le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants » … Cette phrase de Saint Paul est toujours vraie ! L’un des articles de notre foi, c’est que l’histoire n’est pas un perpétuel recommencement, mais au contraire que le projet de Dieu avance irrésistiblement.  Chaque jour, nous pouvons dire que le dessein bienveillant de Dieu est plus avancé qu’hier : il est en train de s’accomplir, il progresse… lentement mais sûrement. Oublier d’annoncer cela, c’est oublier un article essentiel de la foi chrétienne. Les Chrétiens n’ont pas le droit d’être moroses, parce que chaque jour, « le salut est plus près de nous », comme dit Paul.
Or ce dessein bienveillant a besoin de nous : ce n’est donc pas le moment de dormir : nous qui avons la chance de connaître le projet de Dieu, nous ne pouvons pas courir le risque de le retarder ; je pense ici à la deuxième lettre de Pierre : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, (alors que certains prétendent qu’il a du retard), mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais que tous parviennent à la conversion ». (2 Pi 3,9). Ce qui veut dire que notre inaction, notre « sommeil » comme dit Saint Paul a des conséquences sur l’avancement du projet de Dieu : laisser nos capacités, nos possibilités en sommeil, c’est compromettre ou au moins retarder le projet de Dieu.
C’est ce qui fait la gravité de ce que nous appelons les péchés par omission : le dessein bienveillant de Dieu n’attend pas. Comme dit Saint Paul, la nuit est bientôt finie, le jour est tout proche ; ailleurs, dans la première lettre aux Corinthiens, Paul dit « Le temps est limité » et il emploie un terme technique de la navigation « le temps a cargué ses voiles » comme fait le bateau quand il approche du port. (1 Co 7,29).
Vous allez me dire que c’est un peu prétentieux de nous donner tant d’importance : comme si notre conduite influait sur le projet de Dieu… et pourtant, je n’invente rien : c’est ce qui fait la grandeur, j’aurais envie de dire la gravité de nos vies : si j’en crois Saint Paul, notre conduite quotidienne est de la plus haute importance ; je reprends le texte : « Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauches, sans rivalité ni jalousie… ». Ces choses-là, ce sont des « activités de ténèbres », comme il dit.
Il y a des manières chrétiennes de se comporter et des manières qui ne méritent pas le nom de chrétiennes. Il y a des activités de ténèbres et des activités de lumière ; ce qui ne veut pas dire que nous chrétiens avons toujours des comportements dignes de notre baptême et que les non-chrétiens n’auraient pas des comportements dignes de l’évangile… on peut fort bien être chrétien, c’est-à-dire baptisé, et se comporter de manière non-conforme à l’évangile… comme on peut fort bien ne pas être baptisé et se comporter de manière évangélique.
Mais en fait, et c’est certainement important, Paul ne dit pas : « Rejetons les œuvres  des ténèbres et choisissons les œuvres  de lumière » comme s’il suffisait à chaque instant d’exercer notre liberté de choix ; il dit « Rejetons les œuvres  des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière ». Il me semble que cela veut dire deux choses :
REVETONS-NOUS DES ARMES DE LA LUMIERE.
Première chose, bien sûr, c’est ce choix que nous devons refaire chaque jour, un choix qui peut parfois prendre l’allure d’un vrai combat ; actuellement, nous ne manquons pas d’exemples : devant les questions de société, entre autres, le choix d’un comportement évangélique peut nous placer complètement à contre-courant de notre entourage, parfois très proche. Le choix du pardon, aussi, nous le savons bien, peut être dans certains cas un véritable combat intérieur… Le refus des compromissions, des privilèges, des commissions, du « piston » comme on dit, autant de combats contre nous-mêmes et contre les habitudes faciles de notre société … : « enfants de Dieu sans tache, au milieu d’une génération tortueuse (c’est-à-dire qui a perdu son chemin) et pervertie, vous brillez comme les astres dans l’univers, en tenant ferme la parole de vie »…  (Phi 2,15).
Deuxième chose : dans cette phrase « revêtons-nous des armes de la lumière », il y a aussi l’image du vêtement de combat, et ce n’est pas la première fois que Paul l’emploie : aux Corinthiens, par exemple, il a parlé des « armes de la justice » (2 Co 6,7) et aux Thessaloniciens, il écrivait « nous qui sommes du jour, restons sobres ; mettons la cuirasse de la foi et de l’amour et le casque de l’espérance du salut ». (1 Th 5,8). C’est donc tout un équipement militaire qu’il nous propose… (c’est une image évidemment).
Ici, il parle d’un vêtement de lumière et ce vêtement de lumière n’est autre que Jésus-Christ lui-même dont la lumière nous enveloppe comme un manteau ; puisque, après avoir dit « revêtons-nous des armes de la lumière », il ajoute « revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ ».
Au fond, cette phrase « Rejetons les oeuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière » est certainement une allusion à la célébration du Baptême : vous savez que le Baptême était donné par immersion ; pour être plongé dans le baptistère, le baptisé rejetait d’abord ses vêtements pour être revêtu ensuite de l’aube blanche, signe que le baptisé était désormais un être nouveau en Jésus-Christ. Vous connaissez la phrase de la lettre aux Galates « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3,27).
Ce qui veut dire que ce combat du comportement chrétien, qui dépasse nos forces, il faut bien le reconnaître, ce combat n’est pas notre combat, mais celui du Christ en nous. Alors nous nous souvenons de cette phrase de Jésus lui-même : « Quand on vous persécutera, mettez-vous dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. » (Lc 21,14-15).
Dans le langage courant, il nous arrive bien de parler d’un « habit de lumière », mais c’est à propos du toréador ; Saint Paul nous dit que nous pourrions tout aussi bien l’employer pour les baptisés.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 24, 37-44

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
37  « Comme il en fut aux jours de Noé,
ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme.
38  En ces jours-là, avant le déluge,
on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari,
jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ;
39  les gens ne se sont doutés de rien,
jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis :
telle sera aussi la venue du Fils de l’homme.
40  Alors deux hommes seront aux champs :
l’un sera pris, l’autre laissé.
41  Deux femmes seront au moulin en train de moudre :
l’une sera prise, l’autre laissée.
42  Veillez donc,
car vous ne savez pas quel jour
votre Seigneur vient.
43  Comprenez-le bien :
si le maître de maison
avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait,
il aurait veillé
et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.
44  Tenez-vous donc prêts, vous aussi :
c’est à l’heure où vous n’y penserez pas
que le Fils de l’homme viendra. »

TOUT CE QUI SERA TROUVE JUSTE SERA SAUVE
Une chose est sûre, ce texte n’a pas été écrit pour nous faire peur, mais pour nous éclairer : on dit de ce genre d’écrits qu’ils sont « apocalyptiques » : ce qui veut dire littéralement qu’ils « lèvent un coin du voile », ils dévoilent la réalité. Et la réalité, la seule qui compte, c’est la venue du Christ : vous avez certainement remarqué le vocabulaire : venir, venue, avènement, toujours à propos de Jésus ; «
« Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme… telle sera aussi la venue du Fils de l’homme… vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient… c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. » Ce qui veut bien dire que le centre de ce passage, c’est l’annonce que Jésus-Christ « viendra ».
Chose curieuse, c’est au futur que Jésus parle de sa venue… « Le Fils de l’Homme viendra » … on comprendrait mieux qu’il parle au passé ! S’il parle, c’est qu’il est déjà là, il est déjà venu… A moins que le mot « venue », ici, ne soit pas synonyme de naissance ; la suite du texte nous en dira plus.
Pour l’instant, je voudrais m’arrêter sur ce qui, d’habitude, nous dérange dans cet évangile ; c’est la comparaison avec le déluge, au temps de Noé et la mise en garde qui va avec : « Deux hommes seront aux champs, l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée ». Comment faire pour entendre là un évangile, au vrai sens du terme, c’est-à-dire une Bonne Nouvelle ?
Comme toujours, il faut faire un acte de foi préalable : ou bien nous lisons ces lignes à la manière du serpent de la Genèse, c’est-à-dire avec soupçon et nous pensons que les choix de Dieu son arbitraires… ou bien nous choisissons la confiance : quand Jésus nous dit quelque chose, c’est toujours pour nous révéler le dessein bienveillant de Dieu, ce ne peut pas être pour nous effrayer.
En fait, c’est un conseil que Jésus nous donne ; il prend l’exemple de Noé : à l’époque de Noé, personne ne s’est douté de rien ; et ce qu’il faut retenir, c’est que Noé qui a été trouvé juste a été sauvé ; tout ce qui sera trouvé juste sera sauvé.
Et là, on retrouve un thème habituel, celui du jugement (du tri si vous préférez), entre les bons et les mauvais, entre le bon grain et l’ivraie : « Deux hommes seront aux champs, l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée »… Cela revient à dire que l’un était bon et l’autre mauvais. Evidemment, parler des bons et des mauvais comme de deux catégories distinctes de l’humanité, c’est une manière de parler : du bon et du mauvais, du bon grain et de l’ivraie, il y en a en chacun de nous : c’est donc au cœur  de chacun de nous que le bon sera préservé et le mal extirpé.
C’EST A L’HEURE OU VOUS N’Y PENSEREZ PAS QUE LE FILS DE L’HOMME VIENDRA
Je remarque autre chose, c’est que Jésus s’attribue le titre de Fils de l’Homme : trois fois dans ces quelques lignes. C’est une expression que ses interlocuteurs connaissaient bien, mais Jésus est le seul à l’employer, et il le fait souvent : trente fois dans l’évangile de Matthieu. Si vous vous souvenez, c’est le prophète Daniel, au deuxième siècle avant Jésus-Christ, qui disait : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7,13-14). En hébreu, l’expression « fils d’homme » veut dire tout simplement « homme » : cet être dont le prophète Daniel parle est donc bien un homme, et en même temps il vient sur les nuées du ciel, ce qui en langage biblique, signifie qu’il appartient au monde de Dieu, et enfin il est consacré roi de l’univers et pour toujours.
Mais ce qui est le plus curieux dans le récit de Daniel, c’est que l’expression « Fils d’homme » a un sens collectif, elle représente ce que Daniel appelle « le peuple des Saints du Très-Haut » c’est-à-dire que le fils de l’homme est un être collectif ; il dit par exemple : « La royauté, la domination et la puissance de tous les royaumes de la terre, sont données au peuple des saints du Très-Haut. Sa royauté est une royauté éternelle, et tous les empires le serviront et lui obéiront.” » (Dn 7,27) ou encore : « ce sont les saints du Très-Haut qui recevront la royauté et la posséderont pour toute l’éternité. » (7,18).
Quand Jésus parle de lui en disant « le Fils de l’Homme », il ne parle donc pas de lui tout seul ; il annonce son rôle de Sauveur, de porteur du destin de toute l’humanité. Saint Paul exprime autrement ce même mystère quand il dit que le Christ est la tête d’un Corps dont nous sommes les membres. Saint Augustin, lui, parle du Christ total, Tête et Corps, et il dit « notre Tête est déjà dans les cieux, les membres sont encore sur la terre ».
Si bien que, en fait, quand nous disons « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur »… c’est du Christ total que nous parlons. Et alors nous comprenons que Jésus puisse parler de sa venue au futur : l’homme Jésus est déjà venu mais le Christ total (au sens de Saint Augustin) est en train de naître. Et là, je relis encore Saint Paul : « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8,22) ou bien le Père Teilhard de Chardin  : « Dès l’origine des Choses un Avent de recueillement et de labeur a commencé… Et depuis que Jésus est né, qu’Il a fini de grandir, qu’Il est mort, tout a continué de se mouvoir, parce que le Christ n’a pas achevé de se former. Il n’a pas ramené à Lui les derniers plis de la Robe de chair et d’amour que lui forment ses fidèles … »
Quand Jésus nous invite à veiller, il me semble que nous pouvons l’entendre dans le sens de « veiller sur » ce grand projet de Dieu et donc de consacrer nos vies à le faire avancer.
—————–
Complément
Ce texte fait partie de tout un très long discours de Jésus très peu de temps avant sa Passion et sa mort. Il sait ce qui va se passer et ce dernier message ressemble à un testament. Cet entretien avec ses disciples a commencé (au début de ce chapitre 24) par l’annonce de la destruction prochaine du Temple de Jérusalem ; or ce Temple était en cours de restauration, il allait être bientôt totalement achevé, magnifique, superbe ! Et Jésus annonce qu’il n’en restera rien. Le Temple, ne l’oublions pas, était le signe de la Présence de Dieu au milieu de son peuple, le garant de la pérennité de l’Alliance. Evidemment, cette prédiction fait sensation et les disciples en déduisent que la fin du monde est pour bientôt. Et ils sont à la fois curieux et inquiets de ce qui va se passer : « Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe de ta venue et de la fin du monde. » (Mt 24,3).
Jésus ne répond pas précisément à ces questions, mais il fait preuve d’une sollicitude extraordinaire : il ne nie pas que les hommes traverseront des périodes de détresse terrible pour certains, des tempêtes déchaînées (quand Matthieu écrit son évangile, on connaît les persécutions), au contraire, il les avertit et les invite à la vigilance.

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Epiphanie : la fête des Rois Mages

Épiphanie

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L’Épiphanie est une fête chrétienne qui célèbre le Messie venu et incarné dans le monde et qui reçoit la visite et l’hommage de trois rois mages. Elle a lieu le 6 janvier.

Pour les catholiques, depuis 1971, dans les régions où l’Épiphanie n’est pas un jour férié, elle peut se fêter le deuxième dimanche après Noël (c’est-à-dire le premier dimanche qui suit le 1er janvier). En France, c’est le cas depuis 1802, règle qui a été instaurée par un décret du cardinal Caprara, légat du pape Pie VII.

La fête s’appelle aussi – en particulier chez les orthodoxes – « Théophanie », qui signifie également la « manifestation de Dieu ».

Diverses coutumes sont observées à cette occasion. En France, en Suisse et en Belgique, depuis le Moyen Âge, une « galette des rois » ou un « gâteau des rois », pâtisseries contenant une fève, sont partagées ce jour-là ; celui ou celle qui trouve la fève dans sa part est surnommé « roi » ou « reine ».

Étymologie

Le substantif féminin Épiphanie est un emprunt, par l’intermédiaire du latin ecclésiastique Epiphania, au grec ancien Ἐπιφάνεια / Epipháneia qui signifie « manifestation » ou « apparition » du verbe φαίνω / phaínō, « se manifester, apparaître, être évident ». Il est le neutre substantivé de l’adjectif epiphanios, d’epiphanês « manifeste, illustre ».

L’utilisation du terme est antérieure au christianisme. Le grec ecclésiastique utilise plutôt la forme neutre plurielle Ἐπιφάνια pour désigner la fête actuelle de la visite des Mages.

Historique

La notion d’épiphanie s’est retrouvée tour à tour dans la fête de la lumière sous l’antiquité, dans les fêtes romaines et dans les fêtes chrétiennes, avant d’être sécularisée. Par sa forme ronde et sa couleur dorée, la galette des rois, partagée à l’Épiphanie, symbolise le soleil.

 

À l’origine, une fête de la Lumière

Dans l’antiquité et à l’origine, l’épiphanie tire son fond et son sens des célébrations païennes de la lumière, comme l’indique l’étymologie du mot, le neutre substantivé de l’adjectif grec epiphanios, de epiphanês « illustre, éclatant », de épi- « sur » et phainein « briller ».

Dans le calendrier solaire, avant de s’inscrire dans le prolongement chrétien de Noël, l’Épiphanie s’inscrit dans le cycle qui commence au solstice d’hiver, le 22 décembre. Cette nuit du solstice — la plus longue de l’année — annonce le rallongement des jours et, par extension, la renaissance de la lumière censée être à l’origine de toutes choses, notamment dans le calendrier agricole. On célèbre alors l’Épiphanie, la manifestation de la Lumière.

Les « Épiphanes » sont, dans la culture grecque, les douze divinités de l’Olympe apparues aux hommes, avec en premier lieu, Zeus, le dieu de la Justice céleste. Il est à noter également que c’est ce jour — en tout cas son équivalent, car le calendrier julien alors en vigueur diffère du nôtre — qu’avait lieu dans la Rome antique la fête des douze dieux épiphanes (autrement dit les douze Olympiens).

La notion d’épiphanie a par exemple été retrouvée sur des pièces de monnaie du second siècle avant J.-C.

Vers le 6 janvier, les jours commencent à s’allonger de façon sensible, confirmant la promesse de la nuit solsticiale.

 

La fête romaine des Saturnales

La date de l’Épiphanie correspond aussi, à l’origine, à une fête païenne : sous l’Antiquité, les Romains fêtent les Saturnales qui durent sept jours pendant lesquels la hiérarchie sociale et la logique des choses peuvent être critiquées sinon brocardées et parodiées.

À cette occasion, « un homme jeune et fort, semble-t-il, représentait le dieu Saturne ; à l’issue de la fête, lui ou son simulacre était sacrifié au dieu pour lui apporter sa force et sa jeunesse, comme aujourd’hui encore on brûle solennellement le bonhomme Carnaval8 » ; parmi les jeunes soldats, un roi était élu et pouvait commander tout ce qui lui plaisait ; « plus de maîtres, plus de serviteurs, plus d’esclaves, plus de travail, chacun revêtait comme il lui plaisait les vêtements des autres, buvait et mangeait son saoul. » On pouvait opérer ce changement de rôle uniquement durant la fête des Saturnales entre le « maître » et l’« esclave ».

 

Une fête chrétienne

Le 6 janvier est une date choisie par le Père de l’Église Épiphane de Salamine, dans son Panarion, comme date de naissance de Jésus, afin de réfuter une date concurrente proposée par les gnostique des Alogo.

Jusqu’à la fin du ive siècle, l’Épiphanie est la grande et unique fête chrétienne « de la manifestation du Christ dans le monde » (manifestation exprimée, d’abord, par la venue des mages, puis par différents épisodes : la Nativité, la voix du Père et la présence d’une colombe lors du baptême sur le Jourdain, le miracle de Cana, etc.). Des pères de l’Église comme saint Jean Chrysostome ont fixé des traditions pour commémorer le même jour trois événements lors de la fête de la théophanie : l’Adoration des mages, le Baptême dans le Jourdain trente ans plus tard et les Noces de Cana trente-et-un ans plus tard. Dès le Moyen Âge, la liturgie chrétienne a rassemblé ces trois événements mais la piété et l’art chrétiens ont privilégié l’Adoration des mages.

Depuis l’introduction d’une fête de la Nativité (Noël) le 25 décembre, la liturgie actuelle de l’Épiphanie met l’accent sur des sens spécifiques selon les confessions et les cultures.

Depuis le xixe siècle on l’appelle aussi le « jour des rois » en référence directe à la venue et à l’Adoration des rois mages.

Sens chrétien de l’Épiphanie

L’Épiphanie chrétienne célèbre, ainsi que le rapportent l’évangile et la tradition, la manifestation publique du fils de Dieu incarné, Jésus, au monde, non pas, comme dans la mythologie grecque, à partir d’une révélation extérieure à l’humanité et faite sous les apparences de l’humanité, mais sous la forme d’un enfant engendré, en un temps historique donné, au sein du peuple juif (dans la lignée de David) : le Messie. Après avoir rencontré les petits et les proches (les bergers), il prend place et rencontre le monde dans toute sa diversité, telle qu’elle est symbolisée par des mages, que l’on dit être rois ou savants, dits traditionnellement de toutes origines et venus de pays lointains (bien que le texte évangélique ne donne qu’une indication vague de l’origine des mages, mais parle, cela dit, « d’Orient », ce qui indique l’Est par rapport à la Terre Sainte). Ainsi est réaffirmée la dimension universelle du message évangélique.

 

Dans l’Église latine

Cette fête célèbre la visite et l’adoration de l’Enfant Jésus par les « mages », relatée dans l’Évangile selon Matthieu. Bien que la Bible ne donne pas leur nombre et ne parle que de « savants venus d’Orient », la tradition a fait qu’ils sont habituellement appelés les trois Rois mages et sont nommés respectivement : Gaspard, Melchior et Balthazar, noms dont les initiales reprennent celles de la bénédiction : « Christus Mansionem Benedicat », « que le Christ bénisse la demeure ».

Elle est la quatrième des cinq grandes fêtes cardinales de l’année liturgique catholique.

Dans certains pays, la célébration liturgique de la fête est reportée à un dimanche, en vertu d’un indult papal. Il s’agit de permettre aux gens de célébrer la fête dans les cas où ils doivent travailler le 6 janvier, si ce jour n’est pas férié. Ainsi, en France et en Belgique, cette fête est célébrée le deuxième dimanche après Noël.

En Espagne, où la célébration de l’Épiphanie est particulièrement importante, le jour est férié. C’est aussi un jour férié en Suède (Trettondedag jul).

 

La fête commémore le baptême du Christ dans le Jourdain, la descente du Fils de Dieu au milieu de sa création, la stupeur de cette création qui reconnaît son Créateur (le Jourdain retourne en arrière), et la manifestation de la divine Trinité (la voix du Père et la colombe rendent témoignage au Fils).

Dans certains pays de tradition byzantine, en particulier en Grèce, en Bulgarie, en Roumanie, en Serbie, en Ukraine et en Russie, une croix est lancée par l’évêque dans un fleuve ou dans la mer et les jeunes gens rivalisent, en cette saison froide, pour plonger et la rapporter. La fête s’y appelle généralement Théophanie et elle est préparée par un jeûne strict le 6 janvier et célébrée le 7.

À Jérusalem, au mont Athos, en Russie, en Serbie et en Géorgie, la fête est célébrée le 6 janvier, selon le calendrier julien qui coïncide actuellement avec le 19 janvier du calendrier grégorien.

 

Dans l’Église arménienne, la fête est une des plus grandes fêtes de l’année car Noël n’est pas fêté le 25 décembre mais, selon l’usage chrétien ancien, le 6 janvier.

Cela correspond aussi aux anciennes traditions des premières églises chrétiennes (antérieures à la conversion de l’Empire romain), et même aux traditions familiales de l’époque, selon lesquelles un enfant ne devient le fils de son père que le jour de sa présentation à lui et la reconnaissance du fils par son père, et ce jour-là, on rend aussi grâce à la mère pour cet enfant reconnu par son père et qui se soumet à sa volonté.

Le baptême de Jésus dans le Jourdain correspond donc à cette présentation du Fils au Père, c’est aussi l’acte de la soumission de Jésus à la volonté divine et c’est aussi la date où le Père se révèle à lui. La nativité fêtée prend alors une signification plus théologique que dans l’Église catholique romaine, puisque c’est aussi traditionnellement la date par laquelle il reçoit du père la révélation de sa mission prophétique : ce qui est fêté est plus la naissance du « Christ sauveur » et la manifestation de Dieu (théophanie), que celle de l’enfant Jésus, même si cette célébration est directement liée à sa naissance. L’église arménienne procède à la bénédiction des eaux comme dans la tradition byzantine.

L’Épiphanie dans la tradition populaire

 

Tirer les rois

La tradition veut que l’Épiphanie soit l’occasion de « tirer les rois » : une fève et parfois une figurine sont cachées dans les pâtisseries (galette des rois, gâteau des rois) ; le convive qui découvre cette fève devient le roi ou la reine de la journée.

Cette pratique trouverait son origine dans les Saturnales de la Rome antique. Pendant ces fêtes païennes célébrées début janvier, les rôles étaient inversés entre les maîtres et les esclaves qui devenaient les « rois d’un jour ».
Ce n’est que vers 1875 que les figurines en porcelaine remplacent les fèves.

 

En France, on mange la galette des rois et le gâteau des rois à l’occasion de cette fête. La tradition veut que l’on partage la pâtisserie en autant de parts que de convives, plus une. Cette dernière, appelée « part du bon Dieu », « part de la Vierge » ou « part du pauvre », est destinée au premier pauvre qui se présenterait au logis.

 

Usage actuel

La traditionnelle fève est accompagnée ou remplacée par un petit sujet caché à l’intérieur de la pâte de la pâtisserie. La personne ayant dans sa part la fève est symboliquement couronnée roi ou reine (de plus en plus, entre amis et/où surtout dans le contexte professionnel : le roi se doit d’offrir la prochaine pâtisserie ; et lorsqu’il y a un sujet, celui qui l’a, se doit d’offrir la boisson (cidre, mousseux, muscat, ou champagne).

Lorsqu’il y a des enfants, l’un d’entre eux – en général le plus jeune – se place sous la table ; tandis que la personne qui fait le service choisit une part, l’enfant désigne le destinataire de cette portion.

Certaines familles s’arrangent pour que la fève ou la figurine revienne à un des plus jeunes enfants. Il est couronné roi ou reine, et il choisit alors son roi ou sa reine (qui est souvent sa mère ou son père).

Fréquemment, les « rois » sont tirés plusieurs fois au cours de la période.

Dans le Sud de la France autour de la Méditerranée, l’usage est de préparer un grand pain au levain sucré en forme de couronne, (nommée gâteau des rois, couronne des rois, corona dels reis, royaume reiaume), couronne bordelaise, corona bordalesapognecòca) et qui est parfois couverte de sucre . En plus du sucre, ile peut être garni et/ou couvert de fruits confits.

Dans le Sud-Est, un santon (généralement santon-puce) accompagne généralement la fève.

Ce gâteau des rois est très présent dans le Sud-Ouest, même si le commerce propose de la galette, parfois moins chère (les fruits confits seraient coûteux) mais surtout de fabrication et conservation (voire de manipulation) plus facile, et elle tendrait à diminuer dans le Sud-Est.

À Paris, les boulangers-pâtissiers offrent tous les ans la galette de l’Élysée. Cette galette ne contient pas de fève afin que le président de la République ne puisse pas être couronné. Cette tradition remonte à l’année 1975, date à laquelle fut offerte à Valéry Giscard d’Estaing une grande galette d’un mètre de diamètre.

En Moselle-Est, des garçons déguisés en rois mages allaient de maison en maison en chantant, tout en faisant tourner une étoile montée sur un bâton : « Es kummen drei Weissen vom Morgenland » (Trois mages sont venus de l’Orient). Ils obtenaient ensuite des friandises ou des piécettes.

 

Galette/gâteau des rois et laïcité

Alors qu’en 2014, la présence de crèches dans des lieux publics avait suscité une polémique en France, la galette ou le gâteau n’entraînent, quant à eux, guère de conflits.

Les racines historiques de ces pâtisseries ne sont originellement pas religieuses. Elles peuvent se rattacher, ou non, à la fête de l’épiphanie ; elles peuvent comporter, une ou plusieurs fèves, ou aucune. De même pour les couronnes. Il n’existe pas de décision de justice notable qui concerne la galette ou le gâteau des rois.

Marginalement, par exemple, lors de la préparation des cérémonies des galettes en 2013 à Brest, la mairie a décidé de retirer toutes les couronnes. Les services expliquent que « Cette année, sur la couronne était inscrit le mot « Épiphanie ». À nos yeux, c’était faire rentrer le religieux à l’école, ce qui est interdit par la loi ».

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Dimanche 2 janvier 2022 : Fête de l’Epiphanie : lectures et commentaires

Dimanche 2 janvier 2022 : Fête de l’Epiphanie

L'Adoration des Mages
Rubens, Petrus PaulusPays-Bas du Sud, Musée du Louvre, Département des Peintures, INV 1762 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010060870https://collections.louvre.fr/CGU

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Isaïe 60,1-6

1 Debout, Jérusalem, resplendis !
Elle est venue, ta lumière,
et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi.
2 Voici que les ténèbres couvrent la terre,
et la nuée obscure couvre les peuples.
Mais sur toi se lève le SEIGNEUR,
Sur toi sa gloire apparaît.
3 Les nations marcheront vers ta lumière,
et les rois, vers la clarté de ton aurore.
4 Lève les yeux alentour, et regarde :
tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ;
tes fils reviennent de loin,
et tes filles sont portées sur la hanche.
5 Alors tu verras, tu seras radieuse,
ton cœur  frémira et se dilatera.
Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi,
vers toi viendront les richesses des nations.
6 En grand nombre, des chameaux t’envahiront,
de jeunes chameaux de Madiane et d’Epha.
Tous les gens de Saba viendront,
apportant l’or et l’encens ;
ils annonceront les exploits du SEIGNEUR.

Vous avez remarqué toutes les expressions de lumière, tout au long de ce passage : « Resplendis, elle est venue ta lumière… la gloire (le rayonnement) du SEIGNEUR s’est levée sur toi (comme le soleil se lève)… sur toi se lève le SEIGNEUR, sa gloire brille sur toi…ta lumière, la clarté de ton aurore…tu seras radieuse ».
On peut en déduire tout de suite que l’humeur générale était plutôt sombre ! Je ne dis pas que les prophètes cultivent le paradoxe ! Non ! Ils cultivent l’espérance.
Alors, pourquoi l’humeur générale était-elle sombre, pour commencer. Ensuite, quel argument le prophète avance-t-il pour inviter son peuple à l’espérance ?
Pour ce qui est de l’humeur, je vous rappelle le contexte : ce texte fait partie des derniers chapitres du livre d’Isaïe ; nous sommes dans les années 525-520 av. J.C., c’est-à-dire une quinzaine ou une vingtaine d’années après le retour de l’exil à Babylone. Les déportés sont rentrés au pays, et on a cru que le bonheur allait s’installer. En réalité, ce fameux retour tant espéré n’a pas répondu à toutes les attentes.
D’abord, il y avait ceux qui étaient restés au pays et qui avaient vécu la période de guerre et d’occupation. Ensuite, il y avait ceux qui revenaient d’Exil et qui comptaient retrouver leur place et leurs biens. Or si l’Exil a duré cinquante ans, cela veut dire que ceux qui sont partis sont morts là-bas… et ceux qui revenaient étaient leurs enfants ou leurs petits-enfants … Cela ne devait pas simplifier les retrouvailles. D’autant plus que ceux qui rentraient ne pouvaient certainement pas prétendre récupérer l’héritage de leurs parents : les biens des absents, des exilés ont été occupés, c’est inévitable, puisque, encore une fois, l’Exil a duré cinquante ans !
Enfin, il y avait tous les étrangers qui s’étaient installés dans la ville de Jérusalem et dans tout le pays à la faveur de ce bouleversement et qui y avaient introduit d’autres coutumes, d’autres religions…
Tout ce monde n’était pas fait pour vivre ensemble…
La pomme de discorde, ce fut la reconstruction du Temple : car, dès le retour de l’exil, autorisé en 538 par le roi Cyrus, les premiers rentrés au pays (nous les appellerons la communauté du retour) avaient rétabli l’ancien autel du Temple de Jérusalem, et avaient recommencé à célébrer le culte comme par le passé ; et en même temps, ils entreprirent la reconstruction du Temple lui-même.
Mais voilà que des gens qu’ils considéraient comme hérétiques ont voulu s’en mêler ; c’étaient ceux qui avaient habité Jérusalem pendant l’Exil : mélange de juifs restés au pays et de populations étrangères, donc païennes, installées là par l’occupant ; il y avait eu inévitablement des mélanges entre ces deux types de population, et même des mariages, et tout ce monde avait pris des habitudes jugées hérétiques par les Juifs qui rentraient de l’Exil.
Alors la communauté du retour s’est resserrée et a refusé cette aide dangereuse pour la foi : le Temple du Dieu unique ne peut pas être construit par des gens qui, ensuite, voudront y célébrer d’autres cultes ! Comme on peut s’en douter, ce refus a été très mal pris et désormais ceux qui avaient été éconduits firent obstruction par tous les moyens. Finis les travaux, finis aussi les rêves de rebâtir le Temple !
Les années ont passé et on s’est installés dans le découragement. Mais la morosité, l’abattement ne sont pas dignes du peuple porteur des promesses de Dieu. Alors, Isaïe et un autre prophète, Aggée, décident de réveiller leurs compatriotes : sur le thème : fini de se lamenter, mettons-nous au travail pour reconstruire le Temple de Jérusalem. Et cela nous vaut le texte d’aujourd’hui :
Connaissant le contexte difficile, ce langage presque triomphant nous surprend peut-être ; mais c’est un langage assez habituel chez les prophètes ; et nous savons bien que s’ils promettent tant la lumière, c’est parce qu’elle est encore loin d’être aveuglante… et que, moralement, on est dans la nuit. C’est pendant la nuit qu’on guette les signes du lever du jour ; et justement le rôle du prophète est de redonner courage, de rappeler la venue du jour. Un tel langage ne traduit donc pas l’euphorie du peuple, mais au contraire une grande morosité : c’est pour cela qu’il parle tant de lumière !
Pour relever le moral des troupes, nos deux prophètes n’ont qu’un argument, mais il est de taille : Jérusalem est la Ville Sainte, la ville choisie par Dieu, pour y faire demeurer le signe de sa Présence ; c’est parce que Dieu lui-même s’est engagé envers le roi Salomon en décidant « Ici sera Mon Nom », que le prophète Isaïe, des siècles plus tard, peut oser dire à ses compatriotes « Debout, Jérusalem ! Resplendis… »
Le message d’Isaïe aujourd’hui, c’est donc : « vous avez l’impression d’être dans le tunnel, mais au bout, il y a la lumière. Rappelez-vous la Promesse : le JOUR vient où tout le monde reconnaîtra en Jérusalem la Ville Sainte. » Conclusion : ne vous laissez pas abattre, mettez-vous au travail, consacrez toutes vos forces à reconstruire le Temple comme vous l’avez promis.
J’ajouterai trois remarques pour terminer : premièrement, une fois de plus, le prophète nous donne l’exemple : quand on est croyants, la lucidité ne parvient jamais à étouffer l’espérance.
Deuxièmement, la promesse ne vise pas un triomphe politique… Le triomphe qui est entrevu ici est celui de Dieu et de l’humanité qui sera un jour enfin réunie dans une harmonie parfaite dans la Cité Sainte ; reprenons les premiers versets : si Jérusalem resplendit, c’est de la lumière et de la gloire du SEIGNEUR : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi… sur toi se lève le SEIGNEUR, et sa gloire brille sur toi… »
Troisièmement, quand Isaïe parlait de Jérusalem, déjà à son époque, ce nom désignait plus le peuple que la ville elle-même ; et l’on savait déjà que le projet de Dieu déborde toute ville, si grande ou belle soit-elle, et tout peuple, il concerne toute l’humanité.

 

PSAUME – 71 (72)

1 Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
2 Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

7 En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
8 Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

12 Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
13 Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

Imaginons que nous sommes en train d’assister au sacre d’un nouveau roi. Les prêtres expriment à son sujet des prières qui sont tous les souhaits, j’aurais envie de dire tous les rêves que le peuple formule au début de chaque nouveau règne : vœux  de grandeur politique pour le roi, mais surtout vœux  de paix, de justice pour tous. Les « lendemains qui chantent », en quelque sorte ! C’est un thème qui n’est pas d’aujourd’hui… On en rêve depuis toujours ! Richesse et prospérité pour tous… Justice et Paix… Et cela pour tous… d’un bout de la terre à l’autre… Or le peuple élu a cet immense avantage de savoir que ce rêve des hommes coïncide avec le projet de Dieu lui-même.
La dernière strophe de ce psaume, elle, change de ton (malheureusement, elle ne fait pas partie de la liturgie de cette fête) : il n’est plus question du roi terrestre, il n’est question que de Dieu : « Béni soit le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, lui seul fait des merveilles ! Béni soit à jamais son nom glorieux, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » C’est cette dernière strophe qui nous donne la clé de ce psaume : en fait, il a été composé et chanté après l’Exil à Babylone, (donc entre 500 et 100 av. J.C.) c’est-à-dire à une époque où il n’y avait déjà plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que ces voeux, ces prières ne concernent pas un roi en chair et en os… ils concernent le roi qu’on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu’il s’agit d’une promesse de Dieu, on peut être certain qu’elle se réalisera.
La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l’histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Dieu a un projet. Ce projet inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c’est le JOUR de Dieu pour les prophètes, le Royaume des cieux pour Saint Matthieu, le dessein bienveillant pour Saint Paul, mais c’est toujours du même projet qu’il s’agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d’amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l’humanité. Ce projet sera réalisé par le messie et c’est ce messie que les croyants appellent de tous leurs voeux lorsqu’ils chantent les psaumes au Temple de Jérusalem.
Ce psaume 71, particulièrement, est vraiment la description du roi idéal, celui qu’Israël attend depuis des siècles : quand Jésus naît, il y a 1000 ans à peu près que le prophète Natan est allé trouver le roi David de la part de Dieu et lui a fait cette promesse dont parle notre psaume. Je vous redis les paroles du prophète Natan à David : « Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j’affermirai sa royauté… Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils… Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais » (2 S 7,12-16).1
De siècle en siècle, cette promesse a été répétée, répercutée, précisée. La certitude de la fidélité de Dieu à ses promesses en a fait découvrir peu à peu toute la richesse et les conséquences ; si ce roi méritait vraiment le titre de fils de Dieu, alors il serait à l’image de Dieu, un roi de justice et de paix.
A chaque sacre d’un nouveau roi, la promesse était redite sur lui et on se reprenait à rêver… Depuis David, on attendait, et le peuple juif attend toujours… et il faut bien reconnaître que le règne idéal n’a encore pas vu le jour sur notre terre. On finirait presque par croire que ce n’est qu’une utopie…
Mais les croyants savent qu’il ne s’agit pas d’une utopie : il s’agit d’une promesse de Dieu, donc d’une certitude. Et la Bible tout entière est traversée par cette certitude, cette espérance invincible : le projet de Dieu se réalisera, nous avançons lentement mais sûrement vers lui. C’est le miracle de la foi : devant cette promesse à chaque fois déçue, il y a deux attitudes possibles : le non-croyant dit « je vous l’avais bien dit, cela n’arrivera jamais » ; mais le croyant affirme tranquillement « patience, puisque Dieu l’a promis, il ne saurait se renier lui-même », comme dit Saint Paul (1 Tm 2,13).
Ce psaume dit bien quelques aspects de cette attente du roi idéal : par exemple « pouvoir » et « justice » seront enfin synonymes ; c’est déjà tout un programme : de nombreux pouvoirs humains tentent loyalement d’instaurer la justice et d’enrayer la misère mais n’y parviennent pas ; ailleurs, malheureusement, « pouvoir » rime parfois avec avantages de toute sorte et autres passe-droits ; parce que nous ne sommes que des hommes.
En Dieu seul le pouvoir n’est qu’amour : notre psaume le sait bien puisqu’il précise « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice ».
Et alors puisque notre roi disposera de la puissance même de Dieu, une puissance qui n’est qu’amour et justice, il n’y aura plus de malheureux dans son royaume. « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes !… Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. »
Ce roi-là, on voudrait bien qu’il règne sur toute la planète ! C’est de bon cœur  qu’on lui souhaite un royaume sans limite de temps ou d’espace ! « Qu’il règne jusqu’à la fin des lunes… » et « Qu’il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». A l’époque de la composition de ce psaume, les extrémités du monde connu, c’étaient l’Arabie et l’Egypte et c’est pourquoi on cite les rois de Saba et de Seba : Saba, c’est au Sud de l’Arabie, Seba, c’est au Sud de l’Egypte… Quant à Tarsis, c’est un pays mythique, qui veut dire « le bout du monde ».
Aujourd’hui, le peuple juif chante ce psaume dans l’attente du roi-Messie2 ; nous, chrétiens, l’appliquons à Jésus-Christ et il nous semble que les mages venus d’Orient ont commencé à réaliser la promesse « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande… Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».
———————-
Notes
1 – Quand le chant « Il est né le divin enfant » nous fait dire « Depuis plus de 4000 ans nous le promettaient les prophètes », le compte n’est pas tout à fait exact, peut-être le nombre 4000 n’a-t-il été retenu que pour les nécessités de la mélodie.
2 – De nos jours, encore, dans certaines synagogues, nos frères juifs disent leur impatience de voir arriver le Messie en récitant la profession de foi de Maïmonide, médecin et rabbin à Tolède en Espagne, au douzième siècle : « Je crois d’une foi parfaite en la venue du Messie, et même s’il tarde à venir, en dépit de tout cela, je l’attendrai jusqu’au jour où il viendra. »

 

DEUXIEME LECTURE – Ephésiens 3, 2…6

Frères,
2 vous avez appris, je pense,
en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous :
3 par révélation, il m’a fait connaître le mystère.
Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance
des hommes des générations passées,
comme il a été révélé maintenant
à ses saints Apôtres et aux prophètes,
dans l’Esprit.
Ce mystère,
c’est que toutes les nations sont associées au même héritage,
au même corps,
au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus,
par l’annonce de l’Evangile.

Ce passage est extrait de la lettre aux Ephésiens au chapitre 3 ; or c’est dans le premier chapitre de cette même lettre que Paul a employé sa fameuse expression « le dessein bienveillant de Dieu » ; ici, nous sommes tout à fait dans la même ligne ; je vous rappelle quelques mots du chapitre 1 : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».
Dans le texte d’aujourd’hui, nous retrouvons ce mot de « mystère ». Le « mystère », chez Saint Paul, ce n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité dans laquelle il nous fait pénétrer. Paul nous dit ici : « Par révélation, Dieu m’a fait connaître le mystère du Christ » : ce mystère, c’est-à-dire son dessein bienveillant, Dieu le révèle progressivement ; tout au long de l’histoire biblique, on découvre toute la longue, lente, patiente pédagogie que Dieu a déployée pour faire entrer son peuple élu dans son mystère ; nous avons cette expérience qu’on ne peut pas, d’un coup, tout apprendre à un enfant : on l’enseigne patiemment au jour le jour et selon les circonstances ; on ne fait pas d’avance à un enfant des leçons théoriques sur la vie, la mort, le mariage, la famille… pas plus que sur les saisons ou les fleurs… l’enfant découvre la famille en vivant les bons et les mauvais jours d’une famille bien réelle ; il découvre les fleurs une à une, il traverse avec nous les saisons… quand la famille célèbre un mariage ou une naissance, quand elle traverse un deuil, alors l’enfant vit avec nous ces événements et, peu à peu, nous l’accompagnons dans sa découverte de la vie.
Dieu a déployé la même pédagogie d’accompagnement avec son peuple et s’est révélé à lui progressivement ; pour Saint Paul, il est clair que cette révélation a franchi une étape décisive avec le Christ : l’histoire de l’humanité se divise nettement en deux périodes : avant le Christ et depuis le Christ. « Ce mystère1, n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. » A ce titre, on peut se réjouir que nos calendriers occidentaux décomptent les années en deux périodes, les années avant J.C. et les années après J.C.
Ce mystère, ici, Paul l’appelle simplement « le mystère du Christ », mais on sait ce qu’il entend par là : à savoir que le Christ est le centre du monde et de l’histoire, que l’univers entier sera un jour réuni en lui, comme les membres le sont à la tête ; d’ailleurs, dans la phrase « réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ », le mot grec que nous traduisons « chef » veut dire tête.
Il s’agit bien de « l’univers entier » et ici Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus » ; on pourrait dire encore autrement : l’Héritage, c’est Jésus-Christ… la Promesse, c’est Jésus-Christ… le Corps, c’est Jésus-Christ… Le dessein bienveillant de Dieu, c’est que Jésus-Christ soit le centre du monde, que l’univers entier soit réuni en lui. Dans le Notre Père, quand nous disons « Que ta volonté soit faite », c’est de ce projet de Dieu que nous parlons et, peu à peu, à force de répéter cette phrase, nous nous imprégnons du désir de ce Jour où enfin ce projet sera totalement réalisé.
Donc le projet de Dieu concerne l’humanité tout entière, et non pas seulement les Juifs : c’est ce qu’on appelle l’universalisme du plan de Dieu. Cette dimension universelle du plan de Dieu fut l’objet d’une découverte progressive par les hommes de la Bible, mais à la fin de l’histoire biblique, c’était une conviction bien établie dans le peuple d’Israël, puisqu’on fait remonter à Abraham la promesse de la bénédiction de toute l’humanité : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,3). Et le passage d’Isaïe que nous lisons en première lecture de cette fête de l’Epiphanie est exactement dans cette ligne. Bien sûr, si un prophète comme Isaïe a cru bon d’y insister, c’est qu’on avait tendance à l’oublier.
De la même manière, au temps du Christ, si Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus », c’est que cela n’allait pas de soi. Et là, nous avons un petit effort d’imagination à faire : nous ne sommes pas du tout dans la même situation que les contemporains de Paul ; pour nous, au vingt-et-unième siècle, c’est une évidence : beaucoup d’entre nous ne sont pas juifs d’origine et trouvent normal d’avoir part au salut apporté par le Messie ; pour un peu, même, après deux mille ans de Christianisme, nous aurions peut-être tendance à oublier qu’Israël reste le peuple élu parce que, comme dit ailleurs Saint Paul, « Dieu ne peut pas se renier lui-même ». Aujourd’hui, nous avons un peu tendance à croire que nous sommes les seuls témoins de Dieu dans le monde.
Mais au temps du Christ, c’était la situation inverse : c’est le peuple juif qui, le premier, a reçu la révélation du Messie. Jésus est né au sein du peuple juif : c’était la logique du plan de Dieu et de l’élection d’Israël ; les Juifs étaient le peuple élu, ils étaient choisis par Dieu pour être les apôtres, les témoins et l’instrument du salut de toute l’humanité ; et on sait que les Juifs devenus chrétiens ont eu parfois du mal à tolérer l’admission d’anciens païens dans leurs communautés. Saint Paul vient leur dire « Attention… les païens, désormais, peuvent aussi être des apôtres et des témoins du salut »… Au fait, je remarque que Matthieu, dans l’évangile de la visite des mages, qui est lu également pour l’Epiphanie, nous dit exactement la même chose.
Les derniers mots de ce texte résonnent comme un appel : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus par l’annonce de l’évangile » : si je comprends bien, Dieu attend notre collaboration à son dessein bienveillant : les mages ont aperçu une étoile, pour laquelle ils se sont mis en route ; pour beaucoup de nos contemporains, il n’y aura pas d’étoile dans le ciel, mais il faudra des témoins de la Bonne Nouvelle.

 

EVANGILE – selon Saint Matthieu 2, 1-12

1 Jésus était né à Bethléem en Judée,
au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d’Orient
arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu son étoile à l’orient
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
3 En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé,
et tout Jérusalem avec lui.
4 Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent :
5 « A Bethléem en Judée,
car voici ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es certes pas le dernier
parmi les chefs-lieux de Juda,
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger de mon peuple Israël. »
7 Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
8 Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant.
Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer
pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
9 Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient
les précédait,
jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit
où se trouvait l’enfant.
10 Quand ils virent l’étoile,
ils se réjouirent d’une très grande joie.
11 Ils entrèrent dans la maison,
ils virent l’enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à ses pieds,
ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leur coffrets,
et lui offrirent leurs présents :
de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

On sait à quel point l’attente du Messie était vive au temps de Jésus. Tout le monde en parlait, tout le monde priait Dieu de hâter sa venue. La majorité des Juifs pensait que ce serait un roi : ce serait un descendant de David, il régnerait sur le trône de Jérusalem, il chasserait les Romains, et il établirait définitivement la paix, la justice et la fraternité en Israël ; et les plus optimistes allaient même jusqu’à dire que tout ce bonheur s’installerait dans le monde entier.
Dans ce sens, on citait plusieurs prophéties convergentes de l’Ancien Testament : d’abord celle de Balaam dans le Livre des Nombres. Je vous la rappelle : au moment où les tribus d’Israël s’approchaient de la terre promise sous la conduite de Moïse, et traversaient les plaines de Moab (aujourd’hui en Jordanie), le roi de Moab, Balaq, avait convoqué Balaam pour qu’il maudisse ces importuns ; mais, au lieu de maudire, Balaam, inspiré par Dieu avait prononcé des prophéties de bonheur et de gloire pour Israël ; et, en particulier, il avait osé dire : « Je le vois, je l’observe, de Jacob monte une étoile, d’Israël jaillit un sceptre … » (Nb 24,17). Le roi de Moab avait été furieux, bien sûr, car, sur l’instant, il y avait entendu l’annonce de sa future défaite face à Israël ; mais en Israël, dans les siècles suivants, on se répétait soigneusement cette belle promesse ; et peu à peu on en était venu à penser que le règne du Messie serait signalé par l’apparition d’une étoile. C’est pour cela que le roi Hérode, consulté par les mages au sujet d’une étoile, prend l’affaire très au sérieux.
Autre prophétie concernant le Messie : celle de Michée : « Toi, Bethléem, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, c’est de toi que sortira le Messie » ; prophétie tout à fait dans la ligne de la promesse faite par Dieu à David : que sa dynastie ne s’éteindrait pas et qu’elle apporterait au pays le bonheur attendu.
Les mages n’en savent peut-être pas tant : ce sont des astrologues ; ils se sont mis en marche tout simplement parce qu’une nouvelle étoile s’est levée ; et, spontanément, en arrivant à Jérusalem, ils vont se renseigner auprès des autorités. Et c’est là, peut-être, la première surprise de ce récit de Matthieu : il y a d’un côté, les mages qui n’ont pas d’idées préconçues ; ils sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l’autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Ecritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem. Evidemment, ils ne rencontreront pas l’enfant de la crèche.
Quant à Hérode, c’est une autre histoire. Mettons-nous à sa place : il est le roi des Juifs, reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul… Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l’ombre … Il a fait assassiner plusieurs membres de sa famille, y compris ses propres fils, il ne faut pas l’oublier. Car dès que quelqu’un devient un petit peu populaire… Hérode le fait tuer par jalousie. Et voilà qu’on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu’ici et il paraît qu’ils disent : « Nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu’elle annonce la naissance d’un enfant-roi… tout aussi exceptionnel… Le vrai roi des juifs vient sûrement de naître » ! … On imagine un peu la fureur, l’extrême angoisse d’Hérode !
Donc, quand Saint Matthieu nous dit : « Hérode fut bouleversé et tout Jérusalem avec lui », c’est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Evidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage, il faut savoir manœuvrer  : il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel… Alors il se renseigne :
D’abord sur le lieu : Matthieu nous dit qu’il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu’il leur a demandé où devait naître le Messie ; et c’est là qu’intervient la prophétie de Michée : le Messie naîtra à Bethléem.
Ensuite, Hérode se renseigne sur l’âge de l’enfant car il a déjà son idée derrière la tête pour s’en débarrasser ; il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l’étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse mais la suite nous la fait deviner : puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans.
Très probablement, dans le récit de la venue des mages, Matthieu nous donne déjà un résumé de toute la vie de Jésus : dès le début, à Bethléem, il a rencontré l’hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Jamais, ils ne l’ont reconnu comme le Messie, ils l’ont traité d’imposteur… Ils l’ont même supprimé, éliminé. Et pourtant, il était bien le Messie : tous ceux qui le cherchent peuvent, comme les mages, entrer dans le salut de Dieu.
———————
Compléments
1-Au passage, on notera que c’est l’un des rares indices que nous ayons de la date de naissance exacte de Jésus ! On connaît avec certitude la date de la mort d’Hérode le Grand : 4 av JC (il a vécu de 73 à 4 av JC)… or il a fait tuer tous les enfants de moins de 2 ans : c’est-à-dire des enfants nés entre 6 et 4 (av JC) ; donc Jésus est probablement né entre 6 et 4 ! Probablement en 6 ou 5… Mais, quand au sixième siècle on a voulu – à juste titre – compter les années à partir de la naissance de Jésus, (et non plus à partir de la fondation de Rome) il y a eu tout simplement une erreur de comptage.
2-On a ici une illustration de l’Election d’Israël : les mages païens ont vu l’étoile, car elle est visible par tout un chacun.
Mais ce sont les scribes d’Israël qui peuvent en révéler le sens : encore faut-il qu’eux-mêmes se laissent guider par les Ecritures.

ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX PHILIPPIENS, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 79

Dimanche 4 octobre 2020 : 27ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 4 octobre 2020 : 27ème dimanche du Temps Ordinaire

Dimanche 4 octobre 2020 :

27ème dimanche du Temps Ordinaire

Commentaire de Marie-Noëlle Thabut

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1ère lecture 

Psaume 

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre du prophète Isaïe 5, 1-7

1 Je veux chanter pour mon ami
le chant du bien-aimé à sa vigne.
Mon ami avait une vigne
sur un coteau fertile.
2 Il en retourna la terre, en retira les pierres,
pour y mettre un plant de qualité.
Au milieu, il bâtit une tour de garde
et creusa aussi un pressoir.
Il en attendait de beaux raisins,
mais elle en donna de mauvais.
3 Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda,
soyez donc juges entre moi et ma vigne !

4 Pouvais-je faire pour ma vigne
plus que je n’ai fait ?
J’attendais de beaux raisins,
pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ?
5 Eh bien, je vais vous apprendre
ce que je ferai de ma vigne :
enlever sa clôture
pour qu’elle soit dévorée par les animaux,
ouvrir une brèche dans son mur

pour qu’elle soit piétinée.
6 J’en ferai une pente désolée ;
elle ne sera ni taillée ni sarclée,
il y poussera des épines et des ronces ;
j’interdirai aux nuages
d’y faire tomber la pluie.
7 La vigne du SEIGNEUR de l’univers,
c’est la maison d’Israël.
Le plant qu’il chérissait,
ce sont les hommes de Juda.
Il en attendait le droit,
et voici le crime ;
il en attendait la justice,
et voici les cris.


UNE CHANSON DE VENDANGES DEVENUE CHANT DE NOCES
Cela commence comme une chanson de vendanges : « Je chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. »

La vigne, en Israël, est chose précieuse ! Et tout le monde sait quels soins patients et attentifs elle requiert de la part du vigneron. Si bien qu’une chanson de vendanges vantant la sollicitude du vigneron était devenue une chanson de noces : on invitait le jeune époux à prodiguer autant de soins à son épouse.
LES NOCES, IMAGE DE L’ALLIANCE DE DIEU AVEC SON PEUPLE
Le prophète   Isaïe, à son tour, reprend la même chanson, mais cette fois pour parler de l’Alliance entre Dieu et Israël. De la chanson de vendanges devenue chant de noces, il a tiré une véritable parabole. Ses auditeurs ne s’y tromperont donc pas, il ne s’agit pas d’une simple chanson de vendanges, ni même de fête de mariage !
D’ailleurs, c’est le prophète lui-même qui déchiffre la parabole . « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda ». Quant aux fruits, Isaïe est tout aussi clair : le bon raisin attendu, c’est le droit et la justice ; le mauvais raisin, c’est ce qu’il appelle « le crime et les
cris ».
LES MAUVAIS FRUITS DE CETTE VIGNE
Dans la suite de ce chapitre, il précise ses reproches : « Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays »… C’est la recherche égoïste de l’argent et de la propriété qui est visée ici. Et cette insouciance des riches pour le malheur des pauvres qui caractérise souvent les périodes prospères : « Levés de bon matin, ils courent après les boissons fortes, et jusque tard dans la soirée, ils s’échauffent avec le vin. La harpe et la lyre, le tambourin et la flûte accompagnent leurs beuveries, mais ils ne regardent pas ce que fait le SEIGNEUR et ne voient pas ce que ses mains accomplissent » (Is 5,8-12).
Il y a pire encore, c’est la  perte de toute moralité et la perversion de la justice : « Malheur ! Ils déclarent BIEN le mal et MAL le bien. Ils font de l’obscurité la lumière et de la lumière l’obscurité. Ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer… Ils justifient le coupable pour un présent (autrement dit, les juges se font acheter) et ils refusent à l’innocent sa justification » (Is 5,20).
Que fait le vigneron mal récompensé de ses efforts ? Il finit par admettre que la terre est trop mauvaise et il abandonne l’entreprise. Le beau carré bien ordonnancé sera vite redevenu un terrain vague où pousseront des épines et des ronces, comme dit Isaïe.
C’est toujours la même leçon : dès qu’on s’éloigne de la fidélité aux commandements, on fait fausse route et le peuple créé pour que tous ses membres soient heureux et libres, devient le règne de tous les égoïsmes et de tous les vices ; et cela se termine toujours mal. Tout comme un beau carré de vigne laissé à l’abandon devient la proie des bêtes sauvages.
LA COLERE DU VIGNERON
Ce qui est troublant, une fois de plus, dans ce message du prophète c’est qu’Isaïe attribue à Dieu lui-même l’exercice du châtiment : le vigneron de la parabole d’Isaïe ne se contente pas de laisser faire le cours des choses ; c’est lui-même qui enlève la clôture et ouvre une brèche dans le mur pour que la vigne soit piétinée et dévorée par les animaux…

En réalité, comme dimanche dernier, avec le prophète Ezéchiel, nous sommes à une étape de la pédagogie de Dieu. Avec Isaïe, nous sommes même avant Ezéchiel, donc à une époque où l’on dit volontiers que Dieu punit nos mauvaises actions ; à une époque surtout où on n’est pas débarrassé de l’idolâtrie : et donc pour le prophète  , il s’agit avant tout d’affirmer qu’il n’existe qu’une puissance au monde ; aucune autre divinité n’est à craindre. Dans tout ce qui nous arrive, c’est vers le Dieu d’Israël qu’il faut se tourner. Lui, le Saint d’Israël, est totalement étranger à toutes les bassesses et les injustices des hommes. Ceux-ci n’ont donc aucune chance de survie s’ils ne changent pas de vie.
Là Isaïe fait la grosse voix, pourrait-on dire, mais n’oublions pas que le même Isaïe, plus tard, quand il faudra remonter le moral des troupes, reprendra son chant de la vigne avec d’autres couplets : « Ce jour-là chantez la vigne délicieuse. Moi, le SEIGNEUR, j’en suis le gardien, à intervalles réguliers je l’arrose. De peur qu’on y fasse irruption, je la garde nuit et jour. Je ne suis plus en colère… » (Is 27,2-4a).
Notre chance à nous, deux mille cinq cents ans plus tard, c’est de savoir que Dieu n’est jamais en colère !

——————–
COMPLEMENTS
– A propos de la vigne : entendons-nous bien, quand on pense à la vigne, il ne s’agit pas d’un seul pied, mais d’un carré de vigne : ce qui veut dire déjà un lopin de terre bien à soi. Puisqu’elle exige des soins constants, elle signifie culture, installation ; tout le monde se souvient de Noé, le premier vigneron. La vigne est le premier arbre cultivé, premier signe de civilisation après le déluge : Gn 9,20-22 ; cela veut dire aussi période de paix, où l’on est assuré de pouvoir travailler sa terre encore le lendemain.
Pendant toute la traversée du désert, évidemment, il n’était pas question de vigne et c’est l’un des reproches que l’on fait à Moïse, justement, quand on perd le moral : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Egypte et nous avez-vous amenés en ce triste lieu ? Ce n’est pas un lieu pour les semailles ni pour le figuier, la vigne o
u le grenadier ; il n’y a même pas d’eau à boire » (Nb 20,5).
A l’inverse, lorsque Moïse organisa une première mission de reconnaissance dans la terre de Canaan que Dieu lui avait promise, les explorateurs furent aussitôt impressionnés par la richesse des vignobles ; c’était la saison des premiers raisins. « Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eshkol (au Nord d’Hébron) où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche. Ils y prirent aussi des grenades et des figues ». (Nb 13,23). Désormais, quand on veut parler d’une période de bonheur et de prospérité, on dit « Juda et Israël habitèrent en paix, chacun sous sa vigne et sous son figuier, pendant toute la vie du roi Salomon » (1 R 5,5 ). De même, quand on parle du règne de Dieu dans l’avenir, le règne de la paix et de la justice, on dit : « On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Ils demeureront chacun sous sa vigne et sous son figuier » (Mi 4,4).
– Isaïe 5,6 : Epines et ronces : « Il adviendra, en ce jour-là, que tout lieu où il y avait mille ceps de vigne, valant mille pièces d’argent, deviendra épines et ronces. On y viendra avec des flèches et un arc, car tout le pays deviendra épines et ronces ». (Isaïe 7,23-24). On ne peut pas s’empêcher de penser aux épines et aux chardons qui envahissent le sol après la faute d’Adam. (Gn 3,18).
– En Israël, la métaphore de la vigne va très loin : dans certains textes bibliques, le pressoir est présenté comme une image du jugement.


PSAUME 79 (80), 9.12, 13-14, 15-16a, 19-20

9 La vigne que tu as prise à l’Egypte,
tu la replantes en chassant des nations.
12 Elle étendait ses sarments jusqu’à la mer,
et ses rejets, jusqu’au Fleuve.

13 Pourquoi as-tu percé sa clôture ?
Tous les passants y grapillent en chemin ;
14 le sanglier des forêts la ravage
et les bêtes des champs la broutent.

15 Dieu de l’univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-là,
16 celle qu’a plantée ta main puissante.

19 Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !
20 Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ;
que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés !


LA VIGNE DE DIEU C’EST ISRAËL
Pour qui a entendu le chant de la vigne d’Isaïe, dans la première lecture de ce vingt-septième dimanche, ce psaume en est l’écho parfait. Le thème est le même : Israël est comparé à une vigne dont Dieu est le vigneron. Celui-ci a fait pour sa vigne tout ce qu’un vigneron peut faire ; il l’a soignée, protégée, gardée… hélas, la vigne n’a rien donné : « Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les
pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais » (Is 5,1-2).
On connaît la fin de la chanson : le vigneron se met en colère : « Je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie » (Is 5,5-6).
L’HISTOIRE DE CETTE VIGNE, C’EST L’HISTOIRE D’ISRAËL
Visiblement la métaphore de la vigne était parfaitement comprise quand on chantait ce psaume au Temple de Jérusalem, car les malheurs d’Israël sont exprimés avec les mêmes images. Par exemple, on dit à Dieu : «
Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent ». Traduisez, nous sommes en période d’occupation étrangère ; les bêtes féroces, ce sont les ennemis du moment. Dans un autre verset, on dit encore « La voici détruite, incendiée » et aussi : « Tu fais de nous la cible des voisins : nos ennemis ont vraiment de quoi rire ! »
De quels ennemis s’agit-il précisément ? On ne peut pas le dire. Malheureusement, toutes les guerres et toutes les occupations étrangères, où que ce soit à la surface du globe, apportent avec elles le même cortège d’atrocités et de malheur ; une autre phrase dit encore : « Vas-tu longtemps encore opposer ta colère aux prières de ton peuple, le nourrir du pain de ses larmes, l’abreuver de larmes sans mesure ? » Cela ne suffit pas pour situer les circonstances concrètes qui ont inspiré cette supplication ; il est donc impossible de savoir quand ce psaume a été écrit ; est-ce au moment où la grande puissance assyrienne envahissait toute la région, en commençant par le royaume du Nord ? Cela nous reporterait bien avant l’Exil à Babylone, entre le neuvième et le septième siècles av.J.C. (puisque la capitale du royaume du Nord, Samarie, a été écrasée en 721). Est-ce bien plus tard, après la prise de Jérusalem par Babylone, c’est-à-dire au sixième siècle ? Et il y a encore d’autres hypothèses possibles. De toutes manières, quelles que soient les circonstances concrètes dans lesquelles est né ce psaume, le peuple d’Israël a pu le redire à nouveau à plusieurs reprises. (Et, aujourd’hui, à la surface du globe, nous connaissons plusieurs peuples qui pourraient le réinventer pour leur propre compte).
LA COMPOSITION TRES SOIGNEE DE CE PSAUME
Lorsqu’on lit ce psaume en entier, il se présente comme un cantique composé de quatre couplets et quatre refrains ; les couplets disent l’histoire d’Israël : vigne choisie par Dieu, et prise à l’Egypte ; autrement dit le peuple que Dieu s’est choisi, qu’il a rassemblé, libéré de l’esclavage en Egypte et fait entrer dans la Terre Promise : « La vigne que tu as prise à l’Egypte, tu la replantes en chassant des nations. Tu déblaies le sol devant elle, tu l’enracines pour qu’elle emplisse le pays »… Et maintenant c’est la désolation, le pain des larmes.

Le refrain c’est la phrase : « Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ». L’expression « fais-nous revenir » est typique des célébrations pénitentielles : le mot « revenir » signifie « se convertir », faire demi-tour. Car on sait bien que si la vigne a donné de mauvais fruits, ce n’est pas de la faute du vigneron ; les prophètes l’avaient assez dit, Isaïe entre autres ! Les bons fruits que Dieu attendait, c’étaient le droit et la justice ; comme le dit Michée dans une phrase superbe : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que de respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6,8).
Ils avaient beau être prévenus, les croyants, libérés par le Dieu qui veut l’homme libre, ils ont pourtant écrasé le pauvre et réduit le frère à l’esclavage. Ils n’ont pas cultivé la justice, ils ont cultivé la richesse égoïste.
DIEU DE L’UNIVERS, REVIENS !… FAIS-NOUS REVENIR
Le refrain est donc une demande de pardon. Ce qui est remarquable, c’est que la formule oscille entre « Dieu de l’univers, reviens ! » et « Dieu de l’univers, fais-nous revenir ! » Quand on supplie Dieu de revenir en disant « Dieu, reviens », on sous-entend « reviens nous sauver » : évidemment, on sait bien qu’il ne s’est pas éloigné ; mais c’est un appel au secours ; la deuxième formule « Dieu de l’univers, fais-nous revenir » dit bien que la conversion est à la fois oeuvre de Dieu et œuvre  de l’homme, c’est le demi-tour de l’homme retourné par l’Esprit de Dieu.
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NOTES
– On peut être heurté dans ce psaume par l’image qu’il nous donne d’un Dieu qui punit : ici, comme dans le texte d’Isaïe, c’est bien le vigneron qui a volontairement livré la vigne aux bêtes sauvages. Mais il faut se rappeler que la découverte de Dieu est progressive au long de l’histoire biblique et que ce psaume reflète l’état de la réflexion théologique à l’époque où il a été écrit : à cette époque-là, on considère que tout vient de Dieu : si on lui attribue le bonheur, il faut bien lui attribuer aussi le malheur ; ce n’est que très tardivement dans l’histoire de l’Ancien Testament que cette conception sera abandonnée.
– La partie centrale du livre de Job reflète un état plus tardif de la réflexion d’Israël et l’abandon de la logique de punition (nos malheurs seraient des châtiments) ; mais on n’a pas encore, même à cette étape, abandonné l’idée que Dieu commande tous nos bonheurs et tous nos malheurs. C’est ce qui est affirmé dans le Prologue mais que la suite du livre ne dément pas : « Le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a ôté ; que le nom du SEIGNEUR soit béni ! (Job 1,21)… Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l’accepterions-nous pas aussi ? » (Job 2,10).
– Il a fallu encore bien des siècles pour découvrir que Dieu respecte tellement la liberté humaine qu’il ne tire pas toutes les ficelles de l’histoire !


DEUXIEME LECTURE – Lettre de saint Paul aux Philippiens 4, 6-9

Frères,
6 ne soyez inquiets de rien,
mais, en toute circonstance,
priez et suppliez, tout en rendant grâce,
pour faire connaître à Dieu vos demandes.
7 Et la paix de Dieu,
qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir,
gardera vos coeurs et vos pensées dans le Christ Jésus.
8 Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble,
tout ce qui est juste et pur,
tout ce qui est digne d’être aimé et honoré,
tout ce qui s’appelle vertu
et qui mérite des éloges,
tout cela, prenez-le en compte.
9 Ce que vous avez appris et reçu,
ce que vous avez vu et entendu de moi,
mettez-le en pratique.
Et le Dieu de la paix sera avec vous.


PARCE QUE LE SEIGNEUR DU BUISSON ARDENT EST PROCHE
« Ne soyez inquiets de rien », dit Paul et nous avons envie de lui répondre que ce n’est pas toujours facile ! Mais il faut relire le verset qui précède ce texte dans la lettre de Paul : « Le Seigneur est proche ». Voilà pour Paul la meilleure, et même la seule raison de rester sereins, quoi qu’il arrive… Derrière cette petite phrase (« Le Seigneur est proche »), il me semble qu’on peut entendre deux choses.
Premièrement, le Seigneur est proche de nous, cela on le sait depuis bien longtemps en Israël, depuis l’épisode du buisson ardent : Dieu est proche de nous parce qu’il nous aime.
LE ROYAUME DE DIEU EST DEJA INAUGURE
Deuxièmement, le Seigneur est proche parce que les temps sont accomplis, parce que le Royaume de Dieu est déjà inauguré et que nous sommes dans les derniers temps ; on connaît cette autre phrase de Paul, empruntée au vocabulaire nautique : « Le temps a cargué ses voiles » : comme un bateau près d’entrer au port replie ses voiles (c’est le sens du mot « carguer »), de la même façon, l’histoire humaine est tout près du port.
Etre croyant c’est être tendu vers cet accomplissement de l’histoire ; non seulement le Royaume s’est approché de nous en Jésus-Christ, (parce que le Royaume c’est Jésus-Christ présent en tous) mais mieux encore, il nous attire comme un aimant.
Le reste du texte en découle : puisque le Seigneur est proche, nous ne sommes inquiétés par rien ; on croit entendre ici l’écho de cette superbe leçon sur la prière chez Saint Matthieu : « Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?… Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” ou encore : “Avec quoi nous habiller ?” Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6,25…34).
« NE SOYEZ INQUIETS DE RIEN »
Ce n’est pas de l’insouciance, c’est de la confiance, de la sérénité. « Ne soyez inquiets de rien »… puisque
tout est déjà donné, il n’y a qu’à puiser : nous n’avons qu’à nous laisser emporter dans le torrent de la grâce. Prier, au fond, c’est se plonger dans le don de Dieu.
Alors nous comprenons pourquoi, dans la prière, supplication et action de grâce sont toujours liées ; c’est une caractéristique de la prière juive qui dit toujours en même temps « Tu es béni, Seigneur, toi qui nous donnes… s’il te plaît, donne-nous ». C’est logique d’ailleurs : si l’on prie Dieu c’est parce qu’on sait qu’il peut et qu’il veut notre bonheur… et qu’il y travaille sans cesse. Lui demander quelque chose, c’est, implicitement au moins, lui rendre grâce. C’est très exactement ce que dit Paul : « Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes ».
Mais, comme disait Jésus, « il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur, il faut encore faire la volonté du Père ». Paul fait la même recommandation : « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur… prenez-le en compte ». Il attache certainement une grande importance à cette pratique d’une vie droite puisqu’il la met exactement en parallèle avec la prière. Il commence par parler de la prière et il conclut « la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs  et vos pensées dans le Christ Jésus. » Puis il parle du comportement des Chrétiens pour terminer par la phrase « le Dieu de la paix sera avec vous ». Il me
semble que ce parallélisme, certainement voulu, signifie qu’aux yeux de Paul, prière rime avec vie communautaire. En cela, d’ailleurs, il ne fait que reprendre la prédication des prophètes de l’Ancien Testament.
PRIERE RIME AVEC VIE COMMUNAUTAIRE
Pour revenir au Nouveau Testament, vous connaissez la phrase de Jésus dans l’évangile de Marc : « Quand vous vous tenez en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez… » (Mc 11, 25) ; et Saint
Pierre fait les mêmes rapprochements : « La fin de toutes choses est proche. Montrez donc de la sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier. Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres » (1 Pi 4,7-8).
A en croire Paul, la paix est donc au bout de ce chemin où vie de prière et valeurs communautaires marchent de pair : « Ne soyez inquiets de rien… priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes… et la paix de Dieu gardera vos coeurs et vos pensées »… « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur… prenez-le en compte et le Dieu de la paix sera avec vous ».
Si nous prenons au sérieux cette insistance des Ecritures sur le lien nécessaire entre la prière et l’amour fraternel, il y a là sans aucun doute une leçon pour nous : non seulement nos inquiétudes nous font oublier que Dieu nous aime, mais elles nous ferment le coeur… Si nous nous préoccupions moins de notre pain du lendemain, il y aurait du pain aujourd’hui pour beaucoup d’autres.

EVANGILE – selon saint Matthieu 21, 33-43

En ce temps-là,
Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
33 « Ecoutez cette parabole  :
Un homme était propriétaire d’un domaine ;
il planta une vigne,
l’entoura d’une clôture,
y
creusa un pressoir et bâtit une tour de garde.
Puis il il loua cette vigne à des vignerons,
et partit en voyage.
34 Quand arriva le moment des fruits
il envoya ses serviteurs auprès des vignerons
pour se faire remettre le produit de sa vigne.
35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs,
frappèrent l’un,
tuèrent l’autre,
lapidèrent le troisième.
36 De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs

plus nombreux que les premiers ;
mais on les traita de la même façon.
37 Finalement, il leur envoya son fils,
en se disant :
Ils respecteront mon fils.
38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux :
Voici l’héritier :
venez ! tuons-le,
nous aurons son héritage !
39 Ils se saisirent de lui,
le jetèrent hors de la vigne
et le tuèrent.
40 Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra,
que fera-t-il à ces vignerons ? »
41 On lui répond :

« Ces misérables, il les fera périr misérablement.
Il louera la vigne à d’autres vignerons,
qui lui en remettront le produit en temps voulu ».
42 Jésus leur dit :
« N’avez-vous jamais lu dans les Ecritures :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle. :
c’est là l’œuvre  du Seigneur,
la merveille devant nos yeux !
43 Aussi, je vous le dis :
Le Royaume de Dieu vous sera enlevé
pour être donné à une nation
qui lui fera produire ses fruits. »


LA PARABOLE DE LA VIGNE
On reconnaît tout de suite dans cette parabole de Jésus les emprunts qu’il fait au chant de la vigne du prophète Isaïe : « Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde ». Le propriétaire entoure sa vigne des mêmes soins que le vigneron d’Isaïe ; mais les similitudes s’arrêtent là. Dans l’évangile, la parabole prend un tour nouveau et propose donc une leçon nouvelle.1
Chez Isaïe, le propriétaire est en même temps le vigneron ; la vigne représente le peuple d’Israël, une vigne entourée de soins, mais décevante et qui ne donnait que des mauvais fruits.

Dans la parabole de Jésus, le propriétaire n’est pas le vigneron, il n’exploite pas directement sa vigne, il la confie à d’autres vignerons ; écoutons Saint Matthieu : « Il la loua à des vignerons et partit en voyage ».
QUI EST LA VIGNE ? ET QUI SONT LES VIGNERONS ?
Quant à savoir qui est la vigne, et qui sont les vignerons, ce n’est pas clair. De deux choses l’une : première hypothèse, la vigne représente Israël, comme chez Isaïe, et les vignerons sont les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient la charge de la vigne, le peuple d’Israël, et ils l’ont mal guidé puisqu’ils ont maltraité tous les prophètes et, en définitive, ils sont en train de rejeter le Fils Bien-Aimé du Père.
Deuxième hypothèse, la vigne représente le Royaume de Dieu et les vignerons, c’est le peuple d’Israël tout entier, qui en avait reçu la charge. C’est cette deuxième hypothèse qui est probablement la bonne, puisque Jésus termine en disant : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits ».
LE ROYAUME DE DIEU VOUS SERA ENLEVE
Cette dernière phrase de Jésus est terrible : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits ». Faut-il en conclure que le peuple d’Israël serait rejeté ? Grave question qui a empoisonné le dialogue entre Juifs et Chrétiens depuis vingt siècles ; et à laquelle s’affrontait déjà douloureusement Saint Paul, le Juif, dans la lettre aux Romains. Sa conclusion était que, de manière mystérieuse, mais de manière certaine, Israël reste le peuple élu au service du monde parce que « Dieu ne peut pas se rejeter lui-même ».
D’autre part, il ne faut pas oublier qu’une parabole n’est jamais un verdict, mais un appel à la conversion ; il est vrai que d’une parabole  à l’autre, dans cette dernière étape de la vie de Jésus, le ton monte, mais c’est parce que l’urgence de la reconnaissance du Messie se fait pressante. Nous sommes à la veille de la Passion. Il ne faut jamais perdre de vue que le souhait constant de Jésus est de sauver les hommes, non de les
condamner ; et que, s’il guérit les aveugles de naissance, il désire plus encore guérir ses compatriotes de leur aveuglement. On a donc là une ultime tentative de Jésus pour alerter les pharisiens ; ses paroles sont sévères, mais elles ne constituent pas un jugement définitif.
Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement sans appel du peuple juif dans son ensemble ni même de ses chefs ; ce serait contraire à tout l’évangile. D’ailleurs l’annonce la plus importante ce n’est pas que le Royaume leur soit enlevé : ce qui compte c’est que, malgré les obstacles dressés par les hommes, le Royaume produise son fruit. Ce n’est pas le vigneron qui compte, c’est le raisin.
LA PIERRE REJETEE PAR LES BATISSEURS

Mais surtout c’est le commentaire de Jésus qui nous donne la clé de la parabole : « N’avez-vous jamais lu dans les Ecritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. C’est là l’œuvre  du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux ! » Dieu est un habitué de ces renversements de situation. Déjà, au livre de la Genèse, les fils de Jacob avaient dit à propos de leur frère Joseph « voilà le Bien-Aimé, tuons-le »… ils n’imaginaient pas que celui qu’ils voulaient supprimer était celui qui allait les sauver, eux et tout le peuple (Gn 37,20). D’une certaine manière, Jésus annonce ici sa Résurrection : lui, la pierre rejetée deviendra la clé de voûte de l’édifice ; traduisez le nouveau peuple, ce seront tous ceux qui se rassembleront autour de lui, quelle que soit leur origine. Et nul n’en est exclu : tous les vignerons sont englobés dans la phrase de Jésus sur la croix « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
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NOTE
1 – Cela veut dire que Jésus a bien repris le thème de la parabole de la vigne chez Isaïe, mais en a modifié le symbolisme, ce qui est une manière très habituelle chez les auteurs bibliques. Il suffit de voir comment les métaphores bibliques (comme celle de la pierre angulaire, par exemple) évoluent d’un auteur à l’autre.
COMPLEMENTS

– Le jugement que Jérémie portait déjà sur le peuple d’Israël peut nous éclairer : « Quand j’ai fait sortir vos pères du pays d’Egypte… je ne leur ai demandé que ceci : « Ecoutez ma voix, et je deviendrai Dieu pour vous, et vous, vous deviendrez un peuple pour moi, suivez bien la route que je vous trace et vous serez heureux. Mais ils n’ont pas écouté ; mais ils n’ont pas tendu l’oreille, ils ont agi à leur guise dans leur entêtement exécrable, ils m’ont tourné le dos, au lieu de tourner vers moi leur visage… Depuis que leurs pères sortirent du pays d’Egypte jusqu’à ce jour, je n’ai cessé de leur envoyer tous mes serviteurs les prophètes, chaque jour, inlassablement. Mais ils ne m’ont pas écouté ; mais ils n’ont pas tendu l’oreille : ils ont raidi leur nuque, ils ont été plus méchants que leurs pères » (Jr 7,22-28).
– Matthieu écrit son Evangile à la fin du premier siècle, à une époque où le refus des Juifs de reconnaître le Messie a favorisé l’entrée des païens dans l’Eglise ; il n’est donc pas étonnant de trouver dans des textes de cette période une pointe polémique contre ceux qui ont poussé le peuple juif à refuser le Christ
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