Dans cet article Brunot Frappat revient sur le film François, un homme de parole pour répondre aux journalistes qui simplifient souvent à outrance la parole du Pape et ainsi la déforme.
Parole
Incroyable nouvelle dans le ciel assombri et terrifiant de l’actualité médiatique où surabondent le mensonge et la malfaisance : il y a sur terre au moins un homme qui parle vrai. Il sait s’adresser à nous tous avec simplicité, humour et vérité. Il parle simplement des choses simples qui nous concernent tous : la vie, la mort, la nature, la justice, la pauvreté, l’argent, la souffrance, les valeurs morales, la famille.
Ce sage caché ordinairement derrière le rideau des apparences dominantes, à quoi se résume trop souvent la vie contemporaine, est le pape François. Nous pensons le connaître depuis des années que nous l’admirons, mais le voici en gros plan grâce à Wim Wenders. Ce « Saint-Père » crève l’écran du cinéma et transforme les salles obscures en espaces de lumière et de joie (1). Le jour où nous avons vu ce film formidable, à la fin de la séance, le public a applaudi.
Il a applaudi comme poussé par un irrépressible soulagement. Enfin ! Enfin, on lui donnait sa chance au contraire des « petites phrases scandaleuses » sorties de leur contexte par des journalistes mal intentionnés ou trop pressés. Enfin, la nuance avait droit de cité dans un univers dominé par le diktat du « faire court », où le simplisme est devenu une loi commune et le « bien commun », une bizarrerie inaccessible et clandestine, jamais évoquée. Dans un paysage médiatique, surtout, globalement hostile aux « cathos » et à tout ce à quoi ils sont supposés ressembler. Cathos réacs, coincés dans leurs lodens, encombrés de poussettes, raidis par les principes enseignés par des prêtres dont beaucoup d’anciens pédophiles, et qui feraient mieux de se marier avant de donner des conseils aux couples modernes, notamment pour l’éducation des enfants.
Le vent de sarcasmes et de diableries qui accompagne en général la moindre évocation des catholiques et de leur présence dans la société donne l’idée d’une nouvelle obligation déontologique à imposer à l’ensemble des confrères qui écrivent sur l’actualité : l’obligation de voir le film de Wim Wenders avant de dire un mot. On ne leur demande pas d’adhérer mais de se renseigner sur ce que dit le pape sur la dictature de l’argent, sur le scandale des inégalités, sur la défense de la Création, sur la fraternité universelle, sur les migrants, sur les méfaits du cléricalisme. Une fois pris conscience de ce que dit vraiment le pape de tout cela, nos confrères tremperont leurs plumes dans l’encre de l’intelligence renseignée plutôt que dans celle de la moquerie gratuite et des automatismes du préjugé. Voir ce film devrait relever du devoir d’État. Doublé, rassurez-vous, d’un vrai plaisir lié à l’humour de ce pape qui affirme : ce qui manque le plus à l’Église, ce sont souvent l’humilité et l’humour.
Humour
Il y a dans le film des images d’archives saisissantes. Notamment la grande scène où François passe à la Curie un mémorable savon sur les péchés de cette institution ossifiée, de l’orgueil au goût du pouvoir en passant par l’absence d’humour, justement. La caméra nous montre de près une galerie de visages de « princes de l’Église » comme on ne devrait plus appeler ces vieux messieurs tancés comme des collégiens. Les visages sont durs, flasques, les traits avachis, abîmés par les ans, les regards sont sévères et peu amènes : ils n’ont pas souri depuis des décennies. Pas une esquisse de bienveillance, pas un seul signe d’approbation. Cette incroyable scène rappelle celle du film de Nanni Moretti Habemus papam où les participants du conclave sont présentés de la même façon hilarante et cruelle.
L’humour n’est certes pas la qualité dominante de ce que l’on entend le dimanche tomber du ciel de sermons sans joie. Mais l’humour ne se commande pas, il y faut une complexion particulière des esprits et des cœurs, il y faut une légèreté de l’âme et de l’être, la liesse d’exister, un rapport enjoué avec le réel, une empathie avec les gens et avec les choses. Il faut aimer son monde pour en sourire. Le pape François a tout cela en abondance, il est doté de cette richesse intérieure visible à l’extérieur qui nous le rend tellement sympathique et vrai qu’on se demande pourquoi il reste le grand méconnu de notre temps parmi tant de forbans qui font l’actualité et s’agitent sur l’avant-scène dans des postures grotesques. Ses paroles sont de puissants viatiques pour accompagner nos vies. Mais le sait-on ?
Bunot Frappat dans La Croix