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Brève histoire de l’Inquisition en Espagne

BRÈVE HISTOIRE DE L’INQUISITION EN ESPAGNE

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PÉREZ Joseph,

Brève histoire de l’Inquisition en Espagne,

Paris : Éditions Fayard, « Le cours de l’histoire », 2002, 194 p.

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Le 27 septembre 1480, les rois catholiques Isabelle et Ferdinand d’Aragon nomment les premiers inquisiteurs, autorisés par le pape Sixte IV en 1478. La mission de ces inquisiteurs, qui s’installent à Séville, est d’obliger les conversos, dont beaucoup ont été convertis de force, à pratiquer réellement la foi chrétienne, et à abandonner entièrement les rites du judaïsme. Les juifs qui refusent l’assimilation au christianisme sont expulsés par le décret du 31 mars 1492.

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Thomas de Torquemada, premier Grand Inquisiteur d’Espagne (1420-1498)

La punition des hérétiques, idée fondamentale de l’Inquisition, trouve ici un sens précis : il s’agit d’extirper la religion juive des royaumes espagnols (ch. 1). L’aristocratie n’est pas toujours favorable au Tribunal du Saint-Office, comme le montre l’exemple de Séville en 1481, lorsque les inquisiteurs dominicains menacent les grands seigneurs s’ils continuent de protéger des conversos soupçonnés de judaïser. Sous la férule de l’inquisiteur général Thomas de Torquemada, des milliers de personnes sont arrêtés et plusieurs centaines sont exécutées la fin du XVe siècle, dont certains nouveaux convertis sont seulement ignorants des vérités de la foi catholique. On pourchasse également les morisques, mais aussi les disciples de Luther, dont certaines traductions effraient les autorités dès 1521 (ch. 2). Les luthériens sont le plus souvent étrangers, et les peines sont sévères. Afin de défendre la foi, des autodafés ont lieu en 1559 à Valladolid et à Séville, dont l’un est présidé par le roi Philippe II. « Cette persécution a eu définitivement raison du protestantisme dans la péninsule » (p. 63). L’Inquisition n’est abolie que le 15 juillet 1834, après plusieurs tentatives.

Le tribunal ecclésiastique du Saint-Office s’est appuyé sur un appareil administratif développé et placé sous l’autorité de l’État (ch. 3). Contrairement à l’Inquisition du XIIIe siècle, qui luttait contre les vaudois ou les cathares, l’Inquisition espagnole est contrôlée par le pouvoir civil. L’inquisiteur général est certes nommé par le pape, mais sur la proposition des rois de Castille, et les 45 titulaires, de 1480 à 1820, ont été choisis avec soin. En outre, le roi contrôle le conseil de l’Inquisition. Organisé en tribunal formé de deux inquisiteurs, de deux secrétaires, d’un accusateur public et d’un officier de police, le Saint-Office bénéficie de privilèges puissants et de finances autonomes à partir de 1559. Cela lui permet d’organiser des procès nombreux (ch. 4). La procédure inquisitoire permet au juge de se saisir d’office, y compris sur le simple fondement de la rumeur publique. Suite à une instruction secrète, qui peut comprendre la torture pour obtenir les aveux de l’accusé, un procès publique est nécessaire, puisque l’hérésie est non seulement un péché, mais encore un délit. Les peines s’échelonnent des pénitences spirituelles ou des amendes à l’autodafé.

Le poids de l’Inquisition, ses conséquences sur la société espagnole, ont fait l’objet de longs débats depuis le XIXe siècle au moins (ch. 5). La ruine de l’économie espagnole a été attribuée au Saint-Office, symbole de l’intolérance, bien que son influence réelle sur l’économie ait été accessoire. En revanche, « la politique de l’Inquisition a eu des conséquences graves » (p. 155) en matière de livres, d’imprimerie et plus généralement de culture. Le développement de la science a été entravé parce que l’on soupçonnait les opinions religieuses d’un auteur, comme le botaniste Fuchs, qui passait pour luthérien. Pour les mentalités d’Ancien Régime, l’unité de la foi est nécessaire à la cohésion du royaume (ch. 6). Tribunal mixte, à la fois ecclésiastique et temporel, l’Inquisition a servi le pouvoir politique espagnol, jusqu’à l’épuisement au début du XIXsiècle.

Plaque commémorative de 2009, de la ville de Rivadavia en Galice (Espagne) en hommage à ses citoyens condamnés par l’Inquisition il y a « 400 années à cause de leur croyance »

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Isabelle et Ferdinand : Rois catholiques d’Espagne par Joseph Pérez

Isabelle et Ferdinand : Rois catholiques d’Espagne 

Joseph Pérez

Paris, Tallandier, 2016. 544 pages

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De leur mariage qui unifie l Espagne en 1469 jusqu à la prise de Grenade en 1492 qui marque la fin définitive de la présence musulmane et le début de l expulsion des Juifs, les Rois Catholiques ont joué un rôle fondamental dans l histoire de la péninsule Ibérique et de l Europe. Joseph Pérez retrace le règne de Ferdinand d Aragon et d Isabelle de Castille, les Rois Catholiques qui ont su donner à la monarchie prestige et autorité et ont fait de l Espagne une puissance mondiale. Mais ce double règne a eu aussi ses limites telles que l Inquisition qui, en 1480, devient pour le pouvoir un instrument de contrôle de la société.

Biographie de l’auteur

Joseph Pérez, professeur émérite de civilisation de l Espagne et de l Amérique latine à l université de Bordeaux-III, est l auteur de nombreux ouvrages, en particulier Histoire de l Espagne (1996), Isabelle et Ferdinand (1988) et Thérèse d Avila (2007).

Isabelle I re la Catholique

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(Madrigal de las Altas Torres 1451-Medina del Campo 1504), reine de Castille (1474-1504).

Isabelle Ire de Castille et son époux Ferdinand II d’Aragon, dits les Rois Catholiques, mirent fin à la domination musulmane en Espagne avec la prise de Grenade. En cette même année 1492, la reine apporta sa protection personnelle au voyage de découverte de Christophe Colomb.

  1. LA REINE AUTOCRATE

Fille de Jean II Trastamare (1406-1454), roi de Castille, Isabelle, née le 2 avril 1451, monte sur le trône grâce à une loi dynastique qui n’en exclut pas les filles et à l’appui des grands du royaume, auxquels doit céder son demi-frère, le roi Henri IV, en déshéritant sa propre fille. Ayant choisi l’alliance avec l’Aragon à l’alliance avec le Portugal, dans l’espoir d’unifier la péninsule Ibérique sous domination castillane, Isabelle est mariée avec Ferdinand depuis 1469, lorsque, le 13 décembre 1474, deux jours après la mort d’Henri IV, elle se proclame d’autorité « reine et propriétaire de Castille ». Alphonse de Portugal riposte en attaquant la Castille en mai 1475, avec le soutien des nobles hostiles au renforcement du pouvoir royal. Isabelle et Ferdinand sortent vainqueurs de ce conflit difficile.

La reine peut alors restructurer l’État en concrétisant les efforts de ses prédécesseurs. En 1476, une milice efficace, la Santa Hermandad, est créée dans chaque commune pour faire régner l’ordre. La justice est réorganisée sous la direction d’une haute cour de justice, tandis que les villes abandonnent une partie de leur autonomie au profit de gouverneurs, les corregidores. L’aristocratie perd son pouvoir politique au Conseil royal et son pouvoir financier après l’annulation de nombreuses concessions de rentes et de terres.

  1. L’UNITÉ DE FOI, BASE DE L’ÉTAT

Afin d’occuper la noblesse tout en enthousiasmant le peuple, Isabelle et Ferdinand décident de mener à son terme la Reconquista, en s’emparant de l’émirat de Grenade. Ils y entrent effectivement le 2 janvier 1492. En reconnaissance, le pape Alexandre VI leur décernera en 1494 le titre de Rois Catholiques, qui les mettra à la hauteur du Roi Très Chrétien de France.

La reconquête intérieure se poursuit au moyen de l’implacable instrument qu’est l’Inquisition, installée en 1478 et confiée en 1483 aux soins du dominicain Tomás de Torquemada. C’est à l’instigation de ce dernier que les Rois Catholiques signent, le 31 mars 1492, le décret qui expulse tous les Juifs d’Espagne. En principe, cette mesure ne vise pas les conversos, les Juifs convertis après les persécutions antisémites de 1391, mais elle les concernera pour autant que la sincérité de leur conversion sera mise en cause. Il s’agit, en effet, de « purifier » le corps social en chassant d’Espagne tous ceux qui ne sont pas chrétiens. Les Juifs seront alors entre 50 000 et 100 000 à s’exiler au Portugal, dans les Flandres, en Italie, en Afrique du Nord et dans l’Empire ottoman, où ils fonderont les communautés séfarades d’Orient. Quant aux musulmans, ils sont également forcés de se convertir ou de s’exiler à partir de 1502. L’État espagnol en formation a désormais pour base l’unité de foi. Il rompt avec l’Espagne aux trois religions qui existait depuis l’invasion musulmane de 711.

  1. LA POLITIQUE D’EXPANSION

Les Rois Catholiques prennent une décision d’une portée insoupçonnée en acceptant le projet d’un marin génois qui veut établir une liaison directe avec l’Asie à travers l’océan Atlantique. Plusieurs fois débouté, Christophe Colomb a fini par emporter l’assentiment de la reine Isabelle en lui faisant valoir que la chrétienté avait tout à gagner dans l’aventure, qui devait permettre d’évangéliser de nouveaux peuples. La conquête de l’Amérique qui se prépare se fera au profit des souverains espagnols : en 1493, ceux-ci obtiendront l’investiture du pape sur les territoires découverts ou à découvrir, et, par le traité de Tordesillas (1494), ils arriveront à un compromis avec le Portugal sur le partage colonial.

L’expansion se fait aussi en direction de l’Afrique du Nord, où l’Espagne finit par occuper toute la rive sud de la Méditerranée, de Melilla à Bougie (aujourd’hui Béjaïa). En Europe, elle se rapproche de l’Angleterre et de l’empire des Habsbourg. La France est l’ennemi commun, qui menace les intérêts des Rois Catholiques dans les Pyrénées (Roussillon et Navarre) et dans le royaume de Naples. Ce dernier, après les défaites françaises, deviendra aragonais pour deux siècles. Enfin, des alliances matrimoniales décisives sont nouées, qui feront d’Isabelle la grand-mère de Marie Tudor et de Charles Quint. À la mort de la reine (26 novembre 1504), l’Espagne est devenue une grande puissance européenne.

  1. FERDINAND, L’ÉPOUX D’ISABELLE

Ferdinand II le Catholique

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Ferdinand, roi d’Aragon et de Castille, formait avec Isabelle un couple uni dans les symboles (que sont, respectivement, le joug et les flèches, ensemble figurant sur les monuments et les monnaies) comme dans les décisions politiques. L’Aragon et la Castille n’en restaient pas moins deux entités qui conservaient des institutions distinctes. Ni Ferdinand ni Isabelle n’était, en titre, le souverain de toute l’Espagne.

Cette formule originale fut menacée à la mort d’Isabelle, car Ferdinand n’était plus alors que roi d’Aragon. De plus, un problème dynastique se posa lorsque Jeanne, sa fille et héritière légitime, fut déchue de ses droits à la couronne pour cause de démence. Ferdinand voulut pour successeur le fils de Jeanne, le futur empereur Charles Quint, qui établit la suprématie des Habsbourg en Espagne.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Isabelle_I_re_la_Catholique/125202

Ferdinand II le Catholique

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(Sos, Saragosse, 1452-Madrigalejo, Cáceres, 1516), roi d’Aragon (1479-1516), roi (Ferdinand V) de Castille (1474-1504), roi (Ferdinand III) de Naples (ou Sicile péninsulaire) [1504-1516].

Fils de Jean II, roi d’Aragon, il épouse en 1469 l’infante Isabelle de Castille, unissant la Castille et l’Aragon et préparant l’unité espagnole. Avec Isabelle, il renforce l’autorité monarchique dans ses États (création de conseils spécialisés, soumission de la noblesse, fondation de la Santa Hermandad, contrôle des ordres militaires, etc.) et travaille à l’unité religieuse (création d’une nouvelle Inquisition, reconquête du royaume de Grenade [1492], expulsion des Juifs [1492] et des Maures [1502]), ce qui vaut au couple royal le titre de Rois Catholiques conféré par le pape Alexandre VI. À l’extérieur, Ferdinand constitue contre Charles VIII la Sainte Ligue (1495) et conquiert le royaume de Naples (1503). Nommé régent de Castille (1505 et 1506) après la mort d’Isabelle, il occupe la Navarre (1512). À sa mort, il lègue son royaume d’Aragon à son petit-fils, le futur Charles Quint.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ferdinand_II_le_Catholique/119279

la Reconquête ou la Reconquista

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  1. LES ÉTAPES DE LA RECONQUISTA

Au seuil du viiie siècle, l’invasion musulmane a recouvert l’ensemble de la péninsule Ibérique, à l’exception des vallées pyrénéennes qui abritent de petites principautés chrétiennes.

1.1. LES PRÉMICES DE LA RECONQUÊTE (IXe-Xe SIÈCLES)

N’attachons pas d’importance au combat de Covadonga, en 718, que l’histoire légendaire a transformé en point de départ de la Reconquista. En revanche, il faut retenir le rassemblement qui s’opère dans les vallées cantabriques au profit du royaume des Asturies : déjà des raids sont lancés sur les plateaux de León et de Burgos. En même temps, l’intervention de Charlemagne aboutit à la reprise de la Catalogne sur les musulmans.

Moins d’un siècle plus tard, Alphonse le Grand (866-910), roi des Asturies, profite des divisions de l’émirat de Cordoue pour reprendre la marche en avant. Mais déjà des divisions apparaissent : la Castille, autour de Burgos, se sépare des Asturies, tandis que, plus à l’est, s’affirme le royaume de Navarre.

À la fin du xe siècle, l’expansion chrétienne est bloquée par les succès d’Abd al-Rahman III et d’al-Mansour. La première phase de la Reconquista s’achève.

1.2. UNITÉ ET MORCELLEMENT DES PARTIS (XIe SIÈCLE)

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La Reconquête, XIe siècle

Dans la première moitié du xie siècle, le califat de Cordoue (l’émirat ayant été érigé en un califat totalement indépendant de Bagdad) disparaît, laissant la place à la multitude des royaumes musulmans des taifas, qui, souvent en querelle, dispersent leurs forces ; ceux de Tolède et de Badajoz résistent à la fois contre la chrétienté et contre le royaume de Séville.

Les chrétiens du Nord profitent de cette situation, interviennent dans les querelles des chefs musulmans (à l’exemple du Cid Campeador, véritable maître du royaume musulman de Valence), et surtout élargissent la reconquête. L’idée de l’union des chrétiens espagnols contre les « Maures » progresse et inspire des tentatives hégémoniques comme celle du roi Sanche de Navarre au début du xie siècle, ou celle d’Alphonse VI de Castille, qui se proclame « imperator » de toute l’Espagne, à la fin du xie siècle

Mais, dans les faits, l’œuvre de reconquête se plie mal à ces volontés d’hégémonie ; dans sa réalité quotidienne, elle est le fait de coups de main locaux. Tandis que les Catalans atteignent les bouches de l’Èbre, la Castille a le premier rôle : en 1085, la prise de Tolède, ancienne capitale wisigothique, a un fort retentissement. Tant et si bien que les Almoravides, venus d’Afrique du Nord, galvanisent l’Espagne musulmane et bloquent l’avancée castillanne.

1.3. L’ÉCARTEMENT DÉFINITIF DE LA PRÉSENCE MUSULMANE (XIIe-XIIIe SIÈCLES)

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La Reconquête, XIIIe siècle

L’Aragon, État pyrénéen issu du démembrement du royaume de Sanche de Navarre, prend l’initiative au xiie siècle : prise de Saragosse en 1118, frontière reportée sur le cours de l’Èbre. La reconquête marque à nouveau le pas dans le dernier tiers du xiie siècle avec l’arrivée des Almohades du Maroc qui renforce les musulmans.

Les rivalités des royaumes chrétiens s’accentuent, et le Portugal se sépare de la Castille ; enfin, l’Aragon uni à la Catalogne néglige la reconquête pour se tourner vers le commerce méditerranéen et les affaires dans le sud de la France.

Le péril devient si grand pour l’Espagne chrétienne que les royaumes sont contraints de s’unir : le 16 juillet 1212, la victoire de Las Navas de Tolosa ouvre aux chrétiens le sud du pays : les Portugais conquièrent l’Alentejo, les Castillans l’Andalousie (Cordoue, Séville, Cadix), l’Aragon, les Baléares, Valence, Murcie. Seul demeure aux mains des musulmans le royaume de Grenade.

1.4. LA CHUTE DU ROYAUME DE GRENADE (1492)

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Grenade

Le modeste et fragile royaume musulman de Grenade tient deux siècles. Son sursis est dû aux troubles qui agitent les royaumes chrétiens aux xive et xve siècles : anarchie et guerre civile, interventions étrangères ; en toile de fond, la montée d’une puissante aristocratie, riche des terres gagnées en Andalousie ou ailleurs, et qui n’est plus disciplinée par l’intérêt supérieur de la foi, puisque Grenade ne représente plus un danger. Cette aristocratie se heurte à la royauté et affaiblit le pouvoir monarchique.

Par ailleurs, d’autres intérêts surgissent : l’Aragon développe une grande politique méditerranéenne ; le Portugal se tourne vers l’Atlantique.

Seule la Castille, qui veut unifier l’Espagne, agite l’étendard catholique : la chute de Grenade en 1492 achève la Reconquista. Fidèle à son esprit reconquérant, la Castille se lance alors dans l’aventure coloniale. Mais, comme l’a fait remarquer l’historien Pierre Vilar, c’est « la conception territoriale et religieuse et non l’ambition commerciale et économique » qui l’emporte. Et cette conception a été façonnée par la Reconquista.

  1. L’ÉTAT D’ESPRIT RECONQUÉRANT

2.1. LA SOCIÉTÉ ESPAGNOLE

La reconquête chrétienne de la péninsule Ibérique a marqué d’autant plus profondément l’Espagne qu’elle s’est déroulée sur plusieurs siècles.

La Reconquista a façonné une société combattante qui connaissait, jusqu’au xiiie siècle, un certain équilibre : la grande noblesse est devenue puissante sans que ses intérêts la mettent en conflit avec la royauté ; la petite noblesse des hidalgos, très nombreuse, s’est forgée un idéal qui a survécu bien au-delà de la Reconquête ; la paysannerie libre, florissante, a donné à la reconquête sa dimension économique ; le paysan-soldat de la frontière a joué un rôle fondamental dans la mise en valeur et la défense des terres reconquises.

Aussi la société espagnole « reconquérante » présente-t-elle une originalité profonde avec ses chartes de peuplement et de franchises, ses traditions municipales, ses fueros, statuts particuliers de telle ou telle catégorie sociale ou religieuse.

2.2. LES PARTICULARISMES

Par son idéal – la Reconquista est une croisade –, une telle entreprise aurait dû favoriser l’unité nationale ; telle était bien l’ambition des rois des Asturies et de Castille. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit : les regroupements territoriaux, fruits du hasard et des mariages, se sont rapidement désagrégés, et l’union de la Castille et de l’Aragon (conséquence du mariage de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille) n’est acquise qu’au début du xvie siècle . La géographie, les conditions mêmes de la reconquête, le morcellement de l’Espagne musulmane expliquent en partie ce fait.

Mais, par ailleurs, la reconquête a fait naître un sentiment national très vif. Et cette contradiction entre le localisme et l’universel demeure aujourd’hui.

Enfin, la reconquête a fait naître, tardivement, le fanatisme religieux. Si au xiiie siècle, le roi saint Ferdinand s’est proclamé roi des trois religions (catholique, juive et musulmane), à la fin du xve siècle, les musulmans et les juifs ont été convertis de force, massacrés ou expulsés.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/la_Reconqu%C3%AAte/140502

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Les secrets de Saint Jacques de Compostelle

Les secrets de Saint Jacques de Compostelle

Philippe Martin

Paris, La Librairie Vuibert, 2018. 319 pages.

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Résumé :

Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle reposerait-il sur un mythe ? Et si l’homme enterré là n’était pas l’apôtre Jacques, mort en Terre sainte, mais l’hérétique Priscillien ? Charlemagne est-il vraiment venu défendre le tombeau contre l’envahisseur musulman ? Les guides touristiques et les premiers papiers d’identité seraient-ils un héritage des pèlerins du Moyen Âge ?
Tout au long des siècles, les chrétiens ont marché vers Saint-Jacques-de-Compostelle, écrivant une histoire riche de mythes et de légendes, mais aussi de secrets bien gardés.
Philippe Martin, historien et marcheur, nous raconte, des origines à nos jours en passant par la Reconquista et les turbulences du XXe siècle, les multiples métamorphoses du légendaire Camino. Il nous entraîne sur les pas de millions de pèlerins d’hier et d’aujourd’hui, dont il peint le vivant portrait : qui sont-ils, comment voyagent-ils ? Quels sont leurs rites et les périls qui les guettent ? Quelle espérance les guide ?
Jamais le « chemin semé d’étoiles » n’aura paru aussi fascinant.

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Critique

Comment résumer en peu de mots cet ouvrage qui  s’attache à passer en revue les mythes et autres légendes urbaines du Camion, non pour les ridiculiser mais les resituer dans leur contexte : contexte social, contexte religieux et politique.La figure de l’apôtre saint Jacques qui n’a peut-être jamais mis les pieds en Espagne sert en effet des objectifs religieux (lutter contre les musulmans en Espagne et faire de ce pays une terre chrétienne), objectifs politiques pour asseoir la légitimité des souverains espagnols, puis du régime franquiste sur la péninsule ibérique Le tout est bien documenté pour nous faire comprendre comment la légende de saint Jacques est née puis s’est enrichie au fil des différentes époques et canalisée par l’Eglise

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Philippe Martin (professeur à l’Université de Lyon 2) passe également, avec de nombreux documents à l’appui,  en revue la diversité des pèlerins qui font le Camino pour rejoindre l’extrême Nord-Ouest du Chemin de Saint-Jacques :

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« Les marcheurs ne savent pas se définir, mais se devinent différents… Si la communauté existe vue de l’extérieur, vue de l’intérieur, est-elle homogène ? L’enquêteur est immédiatement marqué par la diversité des figures qu’il rencontre. Un couple de Coréens qui, avant un mariage arrangé par leurs familles, se découvrent sous le regard d’un chaperon qui a tant de mal à marcher. Des convertis de fraîche date qui croisent ces catholiques en quête de paix. Un quinquagénaire soufflant sur son vélo, transpirant avec force, pour remercier le saint de l’avoir guéri d’un cancer. Une horde de jeunes Espagnols repus de joie d’avoir réussi leurs examens. Ce Néerlandais longiligne qui avance de plus de 60 kilomètres par jour. Ces Brésiliens qui enchantent le Camino de leurs légendes et de leurs rires. Et tant d’autres. »

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Ainsi après l’esquisse du portrait de saint Jacques (exercice difficile tant les sources très nombreuses sont contradictoires. Mais cette enquête éclaire sur le sens que lui donnent les marcheurs et leurs motivations. Si le chemin de Compostelle a connu des périodes de déclin il est aujourd’hui un vrai phénomène de société. : 278 000 pèlerins pour l’année 2017 ayant accompli au moins les 100 derniers kilomètres de la « voie des étoiles ».

« Face à cette avalanche de doutes, l’historien doit avoir deux réflexes. le premier est de considérer que nombre de documents originaux ont disparu et que leurs copies doivent être analysées avec la plus grande prudence. le second est de ne pas commettre d’anachronisme. C’en serait un que de faire de nos auteurs des falsificateurs. Cette notion n’existe pas dans leur esprit : selon eux, pour qu’un légendaire survive, il doit s’actualiser, s’enrichir. le passé n’est pas une donnée figée, c’est une construction faite pour satisfaire les contemporains qui écoutent les histoires. Si nous utilisions un vocabulaire commercial, nous pourrions assurer qu’un pèlerinage – Compostelle ou un autre – est un « produit sacré ». À ce titre, on doit assurer sa promotion » !

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La marche à pied est l’un des nombreux mythes qui ne résiste pas devant la recherche historiographique de P. Martin : contrairement à ce qu’on croit aujourd’hui, le chemin préféré des pèlerins pour arriver au but était… la mer ! Les jaquets d’Europe centrale et du nord débarquaient à La Corogne (Galice) d’où il ne leur restait plus que 70 petits kilomètres à parcourir. Quant aux Italiens, Autrichiens et Croates, ils passaient volontiers par le détroit de Gibraltar pour débarquer en territoire lusophone.

Autre légende véhiculée depuis la « redécouverte » du Camino dans le dernier tiers du XXe siècle : la capillarité exercée par les principales et autoproclamées « Voies de Saint-Jacques » sur le flot des peregrinos: voies d’Arles au sud, du Puy pour les Suisses et les Lyonnais, de Vézelay pour les Allemands et les Scandinaves, de Tours pour les Parisiens et les Belges… Contrairement aux marcheurs du XXIe siècle, leurs prédécesseurs entre le Moyen-Âge et le Temps des Lumières prenaient  de grandes libertés avec les soi-disant itinéraires « officiels » : très souvent ils faisaient des détours pour visiter le tombeau d’un ou plusieurs saints dont ils voulaient vénérer les reliques. Si Saint-Jacques était la finem ultimum (le but à atteindre), cela n’empêchait nullement « la concurrence sainte » de mériter un crochet.
Idem pour la phrase souvent lue et entendue : « les pèlerins d’autrefois devaient revenir à pied de Galice. Ils parcouraient donc deux fois le chemin. » Selon les récits d’archive épluchés par l’universitaire lyonnais, il n’était pas rare que celui qui était venu plus ou moins à pied (« la triche » avec des tronçons franchis en calèche était courante !) rentrât chez lui en bateau depuis la Galice ou le Portugal !

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Aujourd’hui, en oubliant tout un pan de l’histoire du Camino, on a assiste à une simplification historique voulue par l’Europe dans un à la fois politique et idéologique :  « Les instances européennes ont tout intérêt à ce que le Camino existe : il sert à unifier des nations bien différentes ; il est la trace d’un passé d’échanges et de liens relativisant les guerres qui ont ravagé le continent. Même la figure de Jacques est transformée. Lui qui, pendant des siècles, a attiré des chevaliers participant à la croisade contre les musulmans, est désormais un pauvre qui chemine humblement à la rencontre d’autrui. le Chemin crée un sentiment d’identité, une identité vécue avec ces milliers de marcheurs, de cyclistes ou de cavaliers qui, tous les ans, lui donnent vie. »

© Claude Tricoire

30 juin 2022

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Extraits et citations

Nous nions la liberté des anciens pèlerins, leur faculté de se perdre en détours, de partir à l’aventure, de musarder et d’avancer à leur rythme ; nous refusons leur capacité à prendre leurs propres routes ; nous oublions leurs récits si différents les uns des autres pour nous réfugier entre les pages du récit unique d’Aimery Picaud, qui nous offre le confort d’une géographie linéaire.

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Quand un pays entre dans l’Union, de nouvelles cartes apparaissent. Aux quatre routes d’Aimery Picaud s’est substitué un écheveau complexe qui part de Pologne ou de Grèce. En actualisant sans cesse le Camino, l’Europe se crée des racines, un moule par lequel tous les peuples seraient passés, une expérience médiévale commune préfigurant l’actuelle construction politique.
Le phénomène, depuis plus de vingt ans, s’autogénère.
Jacques a été si populaire par le passé qu’il est facile de trouver, dans la moindre région du continent, une chapelle, une statue ou le souvenir d’une confrérie.
La tentation est grande de tracer des lignes entre ces points épars. Et voilà le Camino, vous assure-t-on, qui se concrétise ! Si ce n’est que nous sommes victimes d’une reconstruction, voire d’une invention historiographique. Nous confondons le culte de l’apôtre et la dévotion pèlerine ; nous mêlons dans un passé idéalisé et intemporel des éléments qui n’ont jamais existé ensemble et se sont étalés sur plus d’un millénaire…

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On ne le dira jamais assez : méfions-nous des a priori ! Aujourd’hui, penser au Camino, c’est penser à la marche à pied. L’image est tellement ancrée dans nos imaginaires que nul ne penserait à la remettre en cause. Et pourtant ! Pendant des siècles, la plus sûre route pour Compostelle est la mer. Depuis l’Antiquité, les côtes espagnoles sont fréquentées.
À partir du XIe siècle, avec l’affirmation de royaumes chrétiens dans le Nord de l’Espagne, les ports cantabriques prennent une importance majeure dans les échanges européens : le trafic maritime favorise celui des pèlerins dont le transport devient une activité à part entière. Anglais, Suisses, Français, Flamands ou Allemands se rendent donc en Galice en débarquant si possible à La Corogne ; de là, reste environ 70 kilomètres en terrain assez aisé.

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La joie de la rencontre va-t-elle survivre à la cohabitation ? Aux ronflements la nuit, à ce qui est interprété selon les cultures comme un manque de savoir-vivre, à la brutalité de certains propos, aux rythmes de marche différents ? Va-t-on partager la nourriture transportée ?
Va-t-on attendre celui qui boite ? Vivre avec l’autre est une des principales questions. Chacun développe sa stratégie : un tel dédaigne celui qui a un gros appareil photographique, car il le prend pour un touriste ; un autre fuit celui qui arbore une croix, le jugeant trop catholique ; un autre encore déguerpit devant le porteur d’un piolet, parce qu’il estime que cet esprit sportif n’est pas celui du chemin… En fait, chacun cherche son « semblable », cet inconnu qui saura avoir la même vision du Camino.
Inconsciemment se forge un adage : « Dis-moi comment tu marches, je te dirai si tu es un des miens. » Car le marcheur espère toujours à composer un groupe qui va l’épauler. Tout se construit en fonction de l’opposition pèlerin-touriste, qui cache le dualisme vrai-faux. Chacun se range bien sûr du côté du « véritable pèlerin », mais ceux qu’il méprise n’en pensent pas moins de leur côté. Ainsi se forment des exclusions, alors même que tout concourt à les rapprocher face à ceux qui ne marchent pas.

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Disons-le nettement, Le Chemin, cette route unique qui aurait drainé les foules européennes vers l’apôtre, n’a jamais existé. Si, aujourd’hui, se développe une mystique du chemin, la circulation réelle est plus complexe. Il y a des étapes obligatoires, imposées par la topographie, comme le col de Roncevaux pour traverser les Pyrénées, ou par les capacités d’accueil, à l’image de l’hôpital d’Aubrac.
Entre ces points, chacun tente de trouver la route qui lui convient : parce qu’elle est facile, parce qu’il y trouvera un gîte, parce qu’il souhaite voir une relique, parce qu’il espère trouver un petit travail capable de nourrir son pécule…

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ESPAGNE, HISTOIRE, HISTOIRE DE L'ESPAGNE, HISTOIRE DU XXè SIECLE, JUAN CARLOS IER (roi d'Espagne ; 1938-....)

Juan Carlos Ier, roi d’Espagne (1975-2014)

Juan Carlos Ier

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Juan Carlos Ier, né le 5 janvier 1938 à Rome, est un homme d’Etat espagnol, roi d’Espagne du 22 novembre 1975 au 18 juin 2014.   Fils du prince Juan de Borbón, comte de Barcelone, et de María de las Mercedes de Borbón y Orleans, il est un petit-fils du roi Alphonse XIII   et un membre de la branche espagnole de la maison de Bourbon. Il abdique le 18 juin 2014 en faveur de son fils, le prince Felipe.

Très populaire au début de son règne, notamment pour sa contribution à la consolidation de la démocratie, par son opposition au coup d’État de 1981, il connaît par la suite une fin de règne compliquée, entachée par la révélation, en 2012, de sa fracture de la hanche, contractée à la suite d’un accident de chasse lors d’un safari au Botswana, alors que l’Espagne est plongée dans une grave crise économique.

Son image est à nouveau écornée à la suite de révélations en 2019 et 2020 sur des dizaines de millions d’euros de commissions occultes que l’ancien monarque aurait perçus. Le 3 août 2020, soupçonné de corruption et sous le coup d’une enquête de la Cour suprême espagnole, il annonce sa décision de s’exiler.

Jeunesse

Enfance et prince héritier

Juan Carlos naît à Rome en 1938, où sa famille est exilée. Son grand-père paternel, Alphonse XIII, a été écarté du pouvoir par la Deuxième République puis par l’avènement au pouvoir de Francisco Franco. Celui-ci désignera Juan Carlos comme futur roi après qu’il eut été formé dans des écoles militaires espagnoles réputées. Le 29 mars 1956, il tue accidentellement son frère cadet Alfonso d’une balle de pistolet en plein front, dans la résidence de ses parents à Estoril, au Portugal, les rumeurs et hypothèses abondant pour expliquer la cause exacte du drame: le pistolet avait été offert quelques semaines auparavant par Franco.. Pendant la dictature en 1969, Franco crée le titre de prince d’Espagne (plutôt que prince des Asturies) pour Juan Carlos. Il épouse la princesse Sophie de Grèce et le couple occupe le palais de la Zarzuela. Il est nommé capitaine général des forces armées dès 1975, le grade le plus élevé, avant de prêter serment le lendemain de la mort de Franco (mais il ne prendra ses fonctions que le jour suivant). Il s’applique alors à démocratiser le système espagnol et apporte une certaine modernité à son pays. Il parvient également à unifier l’armée et les différentes régions d’Espagne, soutenant Felipe González.

Il a étudié à l’Institut Le Rosey (Suisse).

 

Roi d’Espagne

Transition démocratique

Durant les périodes de maladie de Franco en 1974 et 1975, Juan Carlos est nommé chef de l’État par intérim. Proche de la mort, Franco avoua le 30 octobre 1975 qu’il était trop malade pour gouverner, mais ce ne sera que deux jours après la mort du dictateur, survenue le 20 novembre 1975, que Juan Carlos sera proclamé roi d’Espagne. Les manifestations et les grèves se multiplient à travers le pays, malgré la répression sanglante. Face à la résistance armée d’ETA et des communistes du Front révolutionnaire antifasciste patriotique (FRAP) et des Groupes de résistance antifasciste du premier octobre (GRAPO), le roi d’Espagne prend conscience que le maintien du franquisme est impossible et que le changement est inévitable. Ainsi, Juan Carlos promulgue des réformes démocratiques, au grand dam des éléments conservateurs, notamment les forces armées, qui s’attendaient à ce qu’il maintînt l’État franquiste (mais ce sur quoi Franco lui-même ne nourrissait aucune illusion, se considérant comme une sorte de régent, à l’instar de l’amiral Horthy en Hongrie). Juan Carlos nomme pourtant Adolfo Suárez, ancien chef du Mouvement national, au poste du président du gouvernement. La pièce maîtresse des réformes démocratiques est la loi pour la réforme politique (Ley para la Reforma Política) présentée par le gouvernement Suárez, adoptée par le Parlement le 18 novembre 1976 et par le peuple espagnol lors du référendum du 15 décembre 1976 (94,2 % de oui). Cette loi, de rang constitutionnel (« loi fondamentale », selon la terminologie franquiste), crée les bases juridiques nécessaires à la réforme des institutions franquistes depuis l’intérieur et permet que se déroulent le 15 juin 1977 les premières élections démocratiques depuis l’instauration de la dictature. Le Congrès des députés (Congreso de los Diputados) et le Sénat (Senado) issus de ces élections seront chargés d’élaborer, notamment, la nouvelle Constitution démocratique que le roi approuvera au cours d’une session conjointe des deux Chambres le 27 décembre 1978.

En 1977, le père du roi, Juan de Borbón, est obligé par son fils à renoncer à ses prétentions au trône ; Juan Carlos le dédommagera en officialisant le titre de comte de Barcelone, titre suzerain appartenant à la couronne espagnole, que Juan de Borbón s’était donné comme titre de courtoisie pendant son exil. Dans son article 57 al. 1, la Constitution de 1978 désigne Juan Carlos comme l’« héritier légitime de la dynastie historique », alors que les droits de la branche aînée (infant Jacques et sa descendance) n’ont jamais été abolis par le Parlement. A fortiori, Franco ayant déclaré que la nouvelle monarchie était une instauration, non une restauration, la légitimité de Juan Carlos Ier ne pouvait s’établir sur l’histoire, mais sur sa nomination comme prince d’Espagne en 1969, puis sur le suffrage universel en 1978.

La Constitution de 1978

L’Espagne a été un pays sans Constitution de 1936 à 1978. Après la prise du pouvoir, le général Franco légiférait à coups de Fuero de los españoles, de lois organiques et de lois de succession.

Point d’orgue de l’idéal consensuel de la transition, l’élaboration du texte constitutionnel repose sur un esprit de tolérance prôné conjointement par le parti au pouvoir et les formations de l’opposition. Celles-ci — PSOE et PCE notamment — acceptent la voie ouverte par la « loi de réforme politique » et finissent par conserver le seul héritage qui leur paraît acceptable : le système monarchique, signe que le seul dilemme d’actualité se réduit désormais à l’alternative entre monarchie parlementaire et monarchie absolue, et non plus, comme en 1931, à l’alternative république-monarchie.

Le 25 juillet 1977, la nomination de la Commission des affaires constitutionnelles et les libertés publiques, présidée par le centriste Emilio Atard ouvre la période constituante. De cette première émane un groupe de sept personnalités qui constituent la Ponencia Constitucional : Manuel Fraga Iribarne, Gabriel Cisneros Laborda, Miguel Herrero, Gregorio Peces Barba, José Pedro Pérez Llorca, Miquel Roca et Jordi Solé Tura. Après quatre mois de travail, les « Pères de la Constitution » achèvent la rédaction de l’avant-projet qui sera modifié par près de 2 000 amendements présentés par les députés et les sénateurs. Enfin, le 31 juillet 1978, le texte est adopté par les parlementaires. Au Congrès des Députés, l’approbation est écrasante : 94,2 % sont favorables au « oui » (UCD, PSOE, PCE et la plupart des députés d’Alliance populaire — dont Manuel Fraga Iribarne et une partie du groupe mixte). Au Sénat, les résultats sont identiques : 94,5 % de « oui ». Le corps électoral apparaît cependant un peu moins motivé que ne l’est la classe politique, un tiers des électeurs ne prenant pas part au référendum du 6 décembre. Près de 88 % se prononcent en faveur du texte.

Finalement le 27 décembre 1978, le roi d’Espagne se présente devant le Parlement — députés et sénateurs réunis — pour ratifier la Constitution.

Le roi règne en tant que monarque constitutionnel, sans exercer de réel pouvoir sur la politique du pays. Il est considéré comme un symbole essentiel de l’unité du pays, et ses interventions et points de vue sont écoutés respectueusement par des politiciens de tous les côtés. Son discours annuel la veille de Noël est diffusé par la plupart des chaines de télévision espagnoles. Étant le chef suprême des forces armées espagnoles, son anniversaire est une fête militaire.

Coup d’État du 23 février 1981

Une tentative de coup d’État militaire surprend le Congrès des députés le 23 février 1981. Des officiers, avec à leur tête le lieutenant-colonel Tejero, tirent des coups de feu dans la Chambre parlementaire durant une session retransmise en direct à la télévision. On craint alors la déroute du processus démocratique, jusqu’à ce que le roi étonne la nation par une allocution télévisée exigeant que l’armée apporte son soutien inconditionnel au gouvernement démocratique légitime. Le roi avait auparavant appelé plusieurs chefs de l’armée pour leur ordonner en tant que commandant en chef de défendre la démocratie.

Lors de sa prestation de serment devant les Cortes Generales (le Parlement), un chef communiste, Santiago Carrillo, lui avait donné le sobriquet « Juan Carlos el Breve », prédisant qu’il se trouverait rapidement écarté avec les autres restes du fascisme. Après l’échec du coup d’État du 23 février 1981, ce même homme politique, ému, dira aux médias : Dieu protège le Roi ! Si les démocrates et les partis de gauche s’étaient jusque-là montrés réservés, après l’échec du coup d’État, leur soutien deviendra inconditionnel, un ancien chef de la IIe République déclarera : « Nous sommes tous des monarchistes maintenant ». Néanmoins, une expression courante dit que les Espagnols ne sont pas des monarchistes, mais des « juancarlistes ».

Plus tard, une tentative d’assassinat par des membres du groupe séparatiste basque ETA avortera à Majorque, lieu de villégiature de la famille royale.

Fin de règne contestée et abdication

Le roi Juan Carlos Ier et, plus généralement, la famille royale espagnole sont ébranlés à la suite de plusieurs scandales dus à leur train de vie et à des affaires d’infidélités et de corruption.

En avril 2012, Juan Carlos Ier est victime d’une fracture de la hanche lors d’une chasse aux trophées d’éléphant au Botswana. Beaucoup se sont scandalisés de ce voyage qui a coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros aux contribuables espagnols alors que le pays traversait une grave crise économique et subissait une politique d’austérité. Le roi dut présenter ses excuses à la nation le 18 avril 2012 : « Je suis profondément désolé. J’ai commis une erreur et cela ne se reproduira pas ».

L’affaire Nóos met en évidence le détournement de 6,5 millions d’euros de fonds publics et choque les Espagnols, car elle semble impliquer le gendre du roi, Iñaki Urdangarin, et peut-être l’infante Cristina elle-même.

Le 2 juin 2014, le président du gouvernement, Mariano Rajoy, déclare, lors d’une conférence de presse, que le roi Juan Carlos a décidé d’abdiquer en faveur de son fils Felipe, prince des Asturies. Le même jour, le monarque s’exprime pour justifier sa décision. Le 18 juin, l’abdication est effective et son fils Felipe devient roi le lendemain, au moment de la publication de la loi organique d’abdication au bulletin officiel sous le nom de Felipe VI.

Après l’abdication

Le roi émérite continue d’exercer des fonctions de représentation au nom de son fils, notamment lors des prises de fonctions des chefs d’État d’Amérique latine, jusqu’en 2019 où il annonce qu’il se retire définitivement de la vie publique à compter du 2 juin de la même année.

Présomption de fraude fiscale et de corruption

D’après des enregistrements de Corinna Larsen, ancienne aristocrate allemande et ex-maîtresse de Juan Carlos, diffusés par la presse, ce dernier l’aurait utilisée afin de cacher des fonds considérables en Suisse. D’après ces révélations, le monarque espagnol aurait touché de très importantes commissions sur des marchés d’État, dont en particulier 80 millions d’euros pour la construction d’un train rapide en Arabie saoudite. Juan Carlos aurait profité de l’amnistie fiscale décrétée en 2012 par Mariano Rajoy   pour rapatrier, et au passage blanchir, la majeure partie de ce capital.

Un communiqué du roi Felipe VI annonce en mars 2020 que ce dernier renonce à l’héritage de Juan Carlos, son père, à la suite de nouvelles révélations sur sa fortune cachée, et qu’il lui retire sa dotation de 195 000 euros par an. L’ancien monarque détiendrait notamment un compte au Panama abritant 100 millions d’euros et un autre au Liechtenstein de 10 millions d’euros, qui auraient été alimentés par des pots-de-vin durant ses années de règne.

Après son départ d’Espagne

Le 3 août 2020, soupçonné de corruption et sous le coup d’une enquête du Tribunal suprême, l’ex-roi Juan Carlos annonce sa décision de quitter le pays dans une lettre adressée à son fils, le roi Felipe VI, citée par la Maison royale. Le quotidien El País révèle, dans son édition du 5 août 2020, que le roi Felipe VI et son père se sont rencontrés et sont convenus de cet « exil provisoire », avec l’aval du gouvernement de Pedro Sánchez. Ce dernier apporte son soutien à la monarchie constitutionnelle, affirmant qu’« on juge des personnes et non des institutions » et que l’ex-roi se mettra à la disposition de la justice.

Coût de la monarchie espagnole

La monarchie espagnole perçoit de l’État environ 10 millions d’euros par an. Selon le quotidien espagnol El Economista, son coût réel est de 25 millions d’euros si l’on inclut l’entretien des édifices royaux, celui du yacht et du parc automobile du roi Juan Carlos, ainsi que les 5,8 millions d’euros versés aux 130 fonctionnaires à son service. Selon La Dépêche du Midi : « Le roi, Juan Carlos Ier, perçoit 266 436 euros par an, soit quatre fois plus que le chef du gouvernement. Le prince Felipe, 45 ans, touche 127 636 euros annuels »

À titre de comparaison, en 2006, le député socialiste René Dosière estimait le coût de la présidence de la République française à 90 millions d’euros annuels.  Mais celle-ci abrite le véritable chef de l’exécutif contrairement à la reine Élisabeth II du Royaume-Uni, qui est dans une situation constitutionnelle comparable au roi d’Espagne et qui percevait, en 2013, 42,5 millions d’euros annuels.

La fortune du roi était estimée, en 2013, à 300 millions d’euros.

Autres activités

Passionné de voile depuis sa jeunesse, le roi Juan Carlos participe régulièrement à des régates. Début 2018, il remporte le championnat du monde de voile dans la catégorie des 6 mètres JI.

L’indicatif radioamateur du roi est EA0JC.

Il est membre honoraire du Club de Rome.

En tant que pilote professionnel, il a participé à un vol d’essai de l’A400M.

Amateur de chasse au gros gibier, le roi s’est rendu plusieurs fois au Botswana pour y chasser légalement l’éléphant, une espèce menacée. La chasse à l’éléphant coûte en moyenne 37 000 euros par animal tué.

Famille

Juan Carlos de Borbón épouse, le 14 mai 1962, d’après les rites orthodoxe et catholique, la princesse Sophie de Grèce (1938), fille du roi Paul de Grèce (1901-1964) et de la princesse Frederika de Hanovre (1917-1981).  De cette union naissent trois enfants portant le prédicat d’altesse royale :

Elena de Borbón y Grecia (1963), infante d’Espagne, duchesse de Lugo, qui épouse en 1995 Jaime de Marichalar y Sáenz de Tejada (1963), dont elle divorce en 2010, d’où deux enfants portant le prédicat d’excellence :

Felipe de Marichalar y Borbón (1998) ;

Victoria de Marichalar y de Borbón (2000) ;

Cristina de Borbón y Grecia (1965), infante d’Espagne, qui épouse en 1997 Iñaki Urdangarin Liebaert (1968), d’où quatre enfants portant le prédicat d’excellence :

Juan Valentín Urdangarin y de Borbón (1999) ;

Pablo Nicolás Urdangarin y de Borbón (2000) ;

Miguel Urdangarin y de Borbón (2002) ;

Irene Urdangarin y de Borbón (2005) ;

Felipe de Borbón y Grecia (1968), prince des Asturies, devenu Felipe VI, qui épouse en 2004 Letizia Ortiz Rocasolano (1972), d’où deux enfants portant le prédicat d’altesse royale :

Leonor de Borbón y Ortiz (2005), princesse des Asturies ;

Sofía de Borbón y Ortiz (2007), infante d’Espagne.

Titres, honneurs et armoiries

 

Titulature officielle

21 juillet 1969 – 22 novembre 1975 : Son Altesse royale le prince d’Espagne ;

22 novembre 1975 – 18 juin 2014 : Sa Majesté le roi d’Espagne

depuis le 18 juin 2014 : Sa Majesté le roi Juan Carlos.

Après son abdication, Juan Carlos continue de porter à vie le titre honorifique de roi et la qualification de majesté.

Conformément à la Constitution espagnole, Juan Carlos a porté légalement le titre de roi d’Espagne et a pu utiliser « les autres titres qui reviennent à la Couronne » (deuxième alinéa de l’article 56 du titre II « De la Couronne »), sans pour autant les spécifier. En outre, le décret royal 1368/1987, promulgué le 6 novembre 1987 en  Conseil des ministres, confère au titulaire de la Couronne (le roi ou la reine d’Espagne) le prédicat de majesté et lui donne la possibilité d’utiliser les « autres titres qui correspondent à la Couronne ». L’ensemble de ces titres, qui forment la titulature traditionnelle des souverains espagnols, contient une liste d’une vingtaine de royaumes  faisant aujourd’hui partie d’États souverains, ce qui fait qu’il n’est utilisé ni par les agences de l’État espagnol ni par la diplomatie du royaume. La titulature espagnole complète a été officiellement utilisée avant l’instauration de la Constitution de 1837, sous le règne d’Isabelle II d’Espagne. Elle est la suivante :

« Sa Majesté catholique [nom de règne], roi d’Espagne, de Castille, de Léon, d’Aragon, des Deux-Siciles, de Jérusalem, de Navarre, de Grenade, de Tolède, de Valence, de Galice, de Majorque, de Minorque, de Séville, de Sardaigne, de Cordoue, de Corse, de Murcie, de Jaén, des Algarves, d’Algésiras, de Gibraltar (es), des îles Canaries, des Indes orientales et occidentales, de l’Inde et du continent océanien, de la terre ferme et des îles des mers océanes, archiduc d’Autriche, duc de Bourgogne, de Brabant, de Milan, d’Athènes, de Néopatrie, comte de Habsbourg, de Flandre, de Tyrol et de Barcelone, seigneur de Biscaye et de Molina (es), marquis d’Oristan et de Gozianos, etc. »

Titulature de courtoisie

5 janvier 1938 – 8 mars 1941 : Son Altesse royale Juan Carlos de Borbón y Borbón-Dos Sicilias, infant d’Espagne

8 mars 1941 – 21 juillet 1969 : Son Altesse royale le prince des Asturies

Alors que le 5 février 1941 le roi Alphonse XIII abdique ses droits à la Couronne en faveur de son fils cadet, l’infant Juan, qu’il s’était choisi pour héritier, ce dernier devient prétendant au trône d’Espagne et prend le titre de courtoisie de comte de Barcelone. Juan Carlos, son fils, reçoit par la suite la Toison d’or, ce qui le désigne comme le successeur potentiel du comte de Barcelone. Ainsi, il est désigné par les partisans de son père par le titre de courtoisie de prince des Asturies (non reconnu par le régime franquiste ni par les autres prétendants au trône d’Espagne), avec la qualification d’altesse royale.

Pour les légitimistes français, il est « petit-fils de France » en tant que fils de Juan de Borbón, comte de Barcelone, fils cadet d’Alphonse XIII (ou « Alphonse Ier » pour les légitimistes) et frère de Jacques-Henri de Bourbon (prétendant au trône de France sous le nom de « Henri VI »). Juan Carlos occuperait la 4e place dans l’ordre de succession derrière Henri de Bourbon, duc de Touraine et devant son fils, le prince Felipe, premier prince du sang.

Ascendance

Juan Carlos descend de la branche espagnole de la maison de Bourbon, ayant pour auteur le roi Philippe V d’Espagne (1683-1748), né Philippe de France, fils de France, duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Le roi Juan Carlos est aussi l’arrière-arrière-petit-fils de la reine Victoria, par sa petite-fille Victoire-Eugénie de Battenberg (1887-1969), l’épouse d’Alphonse XIII d’Espagne (1886-1941). Au travers de différents ascendants, et notamment par son arrière-grand-mère Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (de la branche de Teschen), épouse d’Alphonse XII, il descend de la maison de Habsbourg-Lorraine fondée par le mariage de Marie-Thérèse d’Autriche avec François de Lorraine.

 

Bibliographie

Laurence Debray, Juan Carlos d’Espagne, Paris, Éditions Perrin, 2013, 410 p.

Chantal de Badts de Cugnac et Guy Coutant de Saisseval, Le Petit Gotha, Paris, Éditions Le Petit Gotha, coll. « Petit Gotha », 2002 (1re éd. 1993), 989 p.  p. 361 et seq. (section « Maison royale d’Espagne »)

Christian Cannuyer (préf. Roland Mousnier), Les maisons royales et souveraines d’Europe : la grande famille couronnée qui fit notre vieux continent, Paris, Brepols, 1989, 274 p.

Guy Coutant de Saisseval, Les Maisons impériales et royales d’Europe, Paris, Éditions du Palais-Royal, 1966, 588 p.

Gauthier Guy, Don Juan Carlos Ier, les Bourbons d’Espagne d’Alphonse XIII à Philippe VI, Editions L’Harmattan, 2016.

Philippe Nourry, Juan Carlos, un roi pour les Républicains Centurio, 1986. Nouvelle édition mise à jour : Juan Carlos, Taillandier, 2011.

Philippe Nourry, Histoire de l’Espagne, Taillandier 2011 et Texto, 2015.