L’Eglise à la maison : histoire des première communautés chrétiennes Ier-IIIè siècle
Marie-Françoise Baslez
Paris, Salvator, 2021. 202 pages
Quatrième de couverture
Et si c’est par là que tout avait commencé ? Les églises « domestiques » ou de « maisonnées » (en d’autres termes « l’Église à la maison ») ne sont-elles pas à l’origine de l’essaimage et de la croissance du christianisme durant les trois premiers siècles de notre ère ? Ne constituent-elles pas le vecteur d’une foi qui va se répandre sans rester cantonnée à quelques communautés isolées ? À partir de leurs modes de vie et d’action, mieux perçus désormais par l’évolution générale de l’histoire antique, Marie-Françoise Baslez rejoint au plus concret la condition des chrétiens de cette période. Ni cachés, ni confinés, ceux-ci portent des questions qui sont parfois aussi les nôtres : l’émergence de l’individu, la place des femmes, la condition d’immigré ou d’esclave, la synodalité, le sens de la mission… À leur manière, ils témoignent déjà de l’annonce de la foi dans un milieu hostile ou indifférent. Loin des idées reçues ou des inévitables anachronismes, Marie-Françoise Baslez met en évidence avec force la dynamique de la christianisation à l’oeuvre à l’époque, celle qui permet à « l’Église à la maison » de s’ouvrir à la dimension de l’universel.
AUTEUR
Marie-Françoise Baslez est professeur émérite d’histoire des religions de l’Antiquité à Paris IV. Elle a notamment publié Comment notre monde est devenu chrétien (Seuil, coll. « Points-Histoire », 2015) et Jésus : dictionnaire historique des Évangiles (Tallandier, coll. « Texto », 2020).
CRITIQUES
« Ce livre innovant permet de voir comment des groupes chrétiens particuliers, très divers, enracinés dans un cadre communautaire local, se sont organisés en réseau dans l’Église universelle.
Marie-Françoise Baslez, historienne reconnue des religions de l’Antiquité et en particulier des premiers temps de la religion chrétienne, développe dans cet ouvrage ses recherches sur la dynamique missionnaire de l’Église sous l’Empire romain, en particulier lors des trois premiers siècles.
S’appuyant sur les écrits du Nouveau Testament, sur des sources non canoniques et sur les œuvres des Pères de l’Église, mais aussi sur les documents officiels du monde gréco-romain, elle s’intéresse au rôle joué par la famille et la maisonnée comme composante essentielle de l’organisation de la société et à ce qui a pu favoriser l’essaimage d’Églises de maisonnées urbaines dans le territoire rural.
Elle réfléchit à partir des données que sont, aux premiers siècles, les Églises domestiques ou de maisonnée pour ensuite aborder des questions qui intéressent l’individu (place des femmes, vie et rôle des esclaves) et la communauté chrétienne (les associations chrétiennes dans la cité, l’Église domiciliée, l’Église en réseaux).
L’Église de la maisonnée ne s’est pas construite sur des rapports de domination, car les communautés chrétiennes réfléchirent à l’idée de service mutuel et s’inscrivirent dans le cadre des associations caritatives tolérées par le droit romain.
Au-delà de l’égalité des hommes et des femmes devant Dieu, ces Églises ont affirmé la liberté comme droit de la personne face à la communauté collective, familiale, civique et ethnique – ce qui a été déterminant dans la pratique des maisonnées et dans la vie ecclésiale. Ce livre innovant permet de voir comment des groupes chrétiens particuliers, très divers, enracinés dans un cadre communautaire local, se sont organisés en réseau dans l’Église universelle.
revue-etudes.com/article/l-egli…
Le rassemblement des Églises en maisonnée pendant près de trois siècles a été déterminant pour la diffusion et la croissance du christianisme naissant.

L’une de toutes premières représentations du Christ. Marbre du IIIe siècle.
Musée archéologique d’Ostia (Italie).LEEMAGE VIA AFP
Ce livre aux dimensions modestes est tout simplement passionnant. Marie-Françoise Baslez, spécialiste de l’Antiquité chrétienne, mobilise les connaissances amassées durant toute une vie, pour faire découvrir à son lecteur que depuis ses origines – comme en témoigne déjà la littérature paulinienne – et jusqu’au tournant constantinien, les premières communautés chrétiennes se sont retrouvées dans des maisonnées, qui étaient les « cellules de base de la vie communautaire ».
Ces lieux où l’on se rassemblait pour le culte étaient aussi des petits laboratoires où s’est expérimentée peu à peu l’organisation de la vie des premiers chrétiens, souligne l’historienne.
Brassage social
Une telle configuration a permis autant un réel brassage social, avec la participation des esclaves, qu’une émancipation non négligeable des femmes, qu’elles soient mariées ou bien vierges ou veuves. Marie-Françoise Baslez consacre d’ailleurs un chapitre à chacune de ces deux réalités, battant en brèche bien des idées reçues.
Pareillement, elle use, tranquillement mais fermement, de son autorité pour tailler en pièces un mythe pourtant bien enraciné jusqu’à nos jours, celui des Églises cachées dans les catacombes : « L’Église souterraine est un fantasme romantique, nourri au XIXe siècle par des réminiscences de messes clandestines et de prêtres cachés, issues de la Révolution française. »
Églises-sœurs
Ces premières Églises réunies dans des (grandes) maisons n’étaient pas pour autant repliées sur elles-mêmes. Déjà, elles avaient été fondées autour d’axes de circulation déjà existants empruntés par les commerçants et les voyageurs. Elles fonctionnaient plutôt en réseaux, au maillage souple qui pouvait être étendu, où l’échange épistolaire entre elles fut décisif pour leur développement.
L’étude fouillée de la vie des communautés chrétiennes primitives montre aussi la mise en place d’Églises métropoles et d’une « multipolarisation générale ». L’autrice n’hésite pas à parler d’Églises-sœurs fonctionnant de façon synodale.
Elle montre également que le tournant constantinien, au début du IVe siècle, va accélérer le passage de l’Église des maisonnées vers un bâtiment propre à usage collectif – une évolution amorcée bien auparavant. Le fait que durant presque trois siècles les chrétiens se sont réunis dans des maisons particulières ne saurait être oublié, et peut certainement inspirer les chrétiens d’aujourd’hui dans leurs manières de concevoir et de vivre l’Église…
Fiche de l’Observatoire Foi et culture du mercredi 19 janvier 2021 à propos de l’ouvrage de Marie-Françoise Baslez sur L’histoire des premières communautés chrétiennes au 1er et au 3e siècle.
À partir de sources plurielles, Marie-Françoise Baslez nous offre une histoire des premiers chrétiens, du 1er au IIIème siècle. Les écrits du Nouveau Testament, les textes des Pères de l’Église, l’apport récent de l’archéologie, les apocryphes, les Actes des martyrs sont autant de données documentaires précieuses pour comprendre les débuts du christianisme. Le risque est pourtant « d’écrire une histoire rétrospective et anachronique en remontant le temps et en projetant sur le passé le regard et les exigences du présent » (p. 7). L’objectif de ce livre est de classer toute une documentation disponible et de montrer le rôle joué par la famille et la maisonnée, cellule de base de la société dans l’Antiquité.
Marie-Françoise Baslez essaie de donner un contenu sociologique au concept d’Église domestique, d’Église de maisonnée. « Replacer la première mission chrétienne dans son cadre authentique conduit à inventorier les potentialités de la maisonnée antique, avec toujours le même souci d’éviter les anachronismes » (p. 14).
Agrégée d’histoire, Marie-Françoise Baslez a travaillé sur le christianisme ancien, les romans grecs et l’histoire du judaïsme de langue grecque. Elle est spécialisée dans les questions sociales des périodes hellénistique et romaine. Elle s’applique notamment à l’analyse des relations entre hellénisme et judaïsme, depuis la traduction de la Septante jusqu’à l’émergence du christianisme.
Au fil des pages de nouvel essai, elle fait particulièrement référence à l’expérience de Paul qui a réinterprété des notions empruntées au monde gréco-romain en développant une réflexion qui lui est propre. Dans le Nouveau Testament, l’évangéliste Luc présente l’Église de maisonnée comme un lieu de la convivialité, le lieu de la fraction du pain après le dernier repas de Jésus et le lieu de l’enseignement. La toute première communauté, dans les Actes des Apôtres est décrite comme un idéal d’unanimité. La maison est aussi le lieu des professions de foi et des conversions qui aboutissent à un baptême familial collectif (cf. La conversion du centurion Romain en Ac 10). La prédication de Paul se déroule rarement en public, mais plutôt dans une maison. Elle vise la fondation de communautés stables comme c’est le cas avec le baptême de la maisonnée de Lydia, ou encore avec celui du gardien de la prison de Philippes.
Parmi les thématiques abordées par Marie-Françoise Baslez, il y a celui de la maison, espace privé, fonctionnant comme un refuge naturel lorsque les chrétiens rencontraient l’hostilité. La maisonnée était-elle devenue un lieu caché et confiné imposé par les circonstances ou par le choix de préserver l’identité chrétienne ? L’archéologie récente a mis fin au mythe des catacombes. Celles-ci ne furent pas une invention des chrétiens pourchassés, qui s’y seraient frileusement réunis pour célébrer l’eucharistie, y tenir leurs réunions d’Église. Les catacombes n’ont jamais eu le rôle de cachettes : « L’Église souterraine est un fantasme romantique, nourri au XIXème par des réminiscences de messes clandestines et de prêtres cachés issus de la Révolution française » (p. 46). Il est vrai cependant que les chrétiens se réunissaient dans les cimetières pour y honorer leurs morts.
La place de la femme dans la maisonnée et son influence dans l’Église au cours des trois premiers siècles est à remarquer. Le travail domestique fournissait aux femmes une certaine indépendance économique. Parmi les femmes ayant eu une certaine autorité, il faut citer Lydia (Ac 16, 14-15), Phoibè (Rm 16, 1-2), Chloé (1Co 1,11).
Le modèle du couple n’existe pas dans les évangiles à l’exception de la Sainte famille. En revanche, Paul présente plusieurs couples engagés dans l’évangélisation : Philémon et Apphia (Phm 1, 2), Aquilas et Prisca (Ac 18, 1), Andromicos et Junia (Rm 16, 7).
Quant aux esclaves, ils sont associés à la vie de la maisonnée qui leur assure protection et attachement. Les premières communautés chrétiennes ont développé une réflexion sur l’esclavage en mettant en valeur l’idée de service et la notion de rachat. « Engagés dans un processus d’identification au Christ depuis leur baptême, les chrétiens ont le devoir de racheter ceux des leurs qui ont perdu leur liberté… » (p. 81). L’Église de maisonnée ne s’est pas uniquement construite sur des rapports de domination.
Après un chapitre sur l’évangélisation portée par des réseaux marchands et commerciaux, par des figures d’intellectuels itinérants (cf. l’introduction du christianisme à Lyon par Irénée), et aussi par des familles de soldats, Marie-Françoise Baslez expose comment les échanges épistolaires ont permis une organisation de la communication chrétienne. La capacité des Églises à faire des réseaux est ainsi démontrée au IIIème siècle. Apparaissent aussi les synodes pour examiner des questions théologiques et structurer l’Église au niveau « catholique » et régional. Marie-Françoise Baslez met en évidence la dynamique de christianisation à l’œuvre au cours des trois premiers siècles. Elle montre comme « l’Église à la maison » s’est ouverte peu à peu à la dimension de l’universel.
Cette recherche historique peut être utile pour comprendre certains aspects de l’évangélisation et l’expérience de synodalité que les chrétiens sont appelés à vivre aujourd’hui.