COMMUNAUTE DES ETATS INDEPENDANTS, EUROPE, EX-UNION SOVIETIQUE, HISTOIRE, HISTOIRE DE L'EUROPE, HISTOIRE DU XXè SIECLE, LA RUSSIE : DE L'URSS A LA COMMUNAUTE DES ETTAS INDEPENDANTS, RUSSIE, UNION SOVIETIQUE

La Russie : de l’URSS à la Communauté des Etats indépendants

Russie et CEI

15 Républiques de l’URSS à la CEI

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L’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) est décédée le 21 décembre 1991, après une très brève existence, laissant la place à une évanescente CEI (Communauté des États indépendants).

Cette structure regroupant les anciennes républiques membres de l’URSS, à l’exception des pays baltes et de la Géorgie, a été fondée à Alma-Ata (Kazakhstan) par les représentants de onze anciennes républiques. En 1993, la Géorgie céda aux pressions de Moscou et rejoignit la CEI. Celle-ci n’a réussi ni à se doter d’institutions solides, ni à mettre en place une politique de sécurité commune, ni à organiser les échanges commerciaux au sein de la zone. Elle constitue une coquille vide visant à préserver l’influence de la Russie sur les anciennes républiques de l’URSS.

Voici les quinze Républiques issues de la décomposition de l’URSS en 1990-1991 :

  

La Fédération de Russie

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La Fédération de Russie issue en 1991 de l’éclatement de l’Union soviétique demeure le plus vaste pays de la planète (17 millions de km2) mais aussi l’un des moins denses (7 habitants au km2) ! Sa population s’élevait en 2007 à 140 millions d’habitants. Son sous-sol est riche en hydrocarbures comme en minerais (charbon, fer, nickel…).

La Russie est aussi une Fédération très hétérogène, souvenir des conquêtes tsaristes, entamées dès le XVIe siècle à partir de Moscou vers les quatre points cardinaux, jusqu’à l’océan Pacifique. Elle comporte aujourd’hui 89 « entités territoriales » aux statuts variables, Républiques, régions, territoires autonomes, villes (Moscou et Saint-Pétersbourg).

Bien que 80% de la population se définisse au début du XXIe siècle comme orthodoxe, la Russie regroupe des populations ethniquement et religieusement très diverses ; on peut estimer le nombre de « nationalités » fédérées à plus de 120. La région du Nord Caucase, comprenant l’Ingouchie, le Daguestan et la Tchétchénie, est musulmane et partage une tradition d’islam confrérique. Il existe également des minorités juives, bouddhistes, catholiques et protestantes. Parmi les ethnies minoritaires, on compte des Tatars (origine turco-mongole), des Iakoutes ou encore des Ukrainiens.

 Les autres États slaves

– L’Ukraine

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Vaste pays d’Europe de l’Est (600.000 km2), l’Ukraine partage ses frontières avec la Russie, la Biélorussie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Moldavie. En 2014, elle compte 45 millions d’habitants. Le pays s’étend sur les fertiles « terres noires » (tchernoziom). Le sous-sol ukrainien renferme d’importants gisements de fer.

C’est en Ukraine, autour de Kiev, qu’est né au IXe siècle un premier État russe. Sa fondation est due aux Varègues, envahisseurs originaires de Scandinavie et cousins des Normands ! Il est devenu chrétien suite à la conversion du prince Vladimir en 988 selon le rite byzantin. L’une de ses descendantes, Anne de Kiev (ou de Russie), est devenue reine de France en épousant le roi capétien Henri Ier. Cette Russie embryonnaire, avec une paysannerie prospère et des activités marchandes en plein essor, n’avait rien à envier à l’Occident. Mais vers 1240, elle fut ruinée par les invasions mongoles et les paysans retombèrent dans le servage le plus vil. La région ne s’est jamais complètement remise de cette catastrophe.

Au cours des siècles suivants, elle tomba sous l’influence de la Pologne et de la Lituanie. En 1667, elle fut partagée entre la Pologne et la Russie, par le traité d’Androussovo. La partie orientale de l’Ukraine devint l’État autonome des Cosaques, placé sous protectorat des tsars. À la fin du XVIIIe siècle, le partage de la Pologne fit tomber sous domination autrichienne une vaste portion de l’Ukraine actuelle.

Au début des années 1920, l’Ukraine fut brutalement intégrée à l’Union soviétique. Des millions d’Ukrainiens périrent dans les grandes famines des années 1920 et 1930, planifiées par le régime soviétique. Comme si cela ne suffisait pas, les nazis imposèrent au pays un régime d’occupation très dur de 1941 à 1945.

En 1991, l’Ukraine proclama son indépendance puis adhéra à la CEI. Elle abrite cependant toujours une forte minorité russophone, dans sa partie orientale et en Crimée. La grande péninsule de la mer Noire, rattachée à l’Ukraine en 1954 à l’initiative de Krouchtchev, a été réannexée unilatéralement par la Russie soixante ans plus tard. Pour des raisons stratégiques et plus encore historiques et sentimentales, le grand voisin de l’Ukraine tient à garder dans sa zone d’influence ce pays qu’il considère comme son berceau.

– Le Bélarus, ou Biélorussie

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Le Bélarus, anciennement appelé Biélorussie (en russe : « Russie blanche ») est enclavé entre les pays baltes, la Pologne, l’Ukraine et la Russie. Entre les IXe et XIIIe siècles, ce territoire faisait partie de la « Rus », prototype de la Russie constitué autour de Kiev. Il subit ensuite une forte influence polonaise. À la fin du XVIIIe siècle, le partage de la Pologne le fit tomber dans l’escarcelle russe. Dans les années 1920, la Biélorussie devint une des républiques de l’URSS.

Indépendant depuis 1991 sans avoir l’avoir été auparavant, le Bélarus est dirigé sans partage depuis 1994 par le président Loukachenko. Dernière dictature d’Europe, il entretient des liens très étroits avec la Russie et est le seul pays d’Europe à ne pas solliciter une adhésion à l’Union Européenne.

 

L’Asie centrale

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Cette région d’Asie centrale serait le berceau du peuple turc. Carrefour entre l’Asie, le Moyen-Orient et l’Europe, elle a toujours vu cohabiter une grande diversité de populations. En 1918 fut créée une éphémère République du Turkestan, rattachée à la Russie, qui englobait l’Asie centrale à l’exception des steppes du Kazakhstan.
Entre 1924 et 1936, les frontières de l’Asie centrale furent redessinées et cinq républiques soviétiques créées sur des bases ethniques et géographiques : le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Elles acquirent toutes leur indépendance en 1991, à la dislocation de l’URSS, sans que leurs peuples en aient clairement manifesté le désir.

Dans ces cinq États, la religion sunnite est majoritaire, mais le poids des minorités ethniques et religieuses varie d’un État à l’autre, bien que la tendance semble être partout à l’ethnicisation de la vie politique, au bénéfice des groupes majoritaires.

– Le Kazakhstan

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Le Kazakhstan, vaste et peu peuplé (environ 16 millions d’habitants pour 2,7 millions de km2), compte une forte minorité russe et chrétienne dans les « terres vierges » du nord (il s’agit de steppes défrichées et mises en culture dans les années 1950). Les Slaves constituent environ un tiers de la population face à une moitié de Kazakhs turcophones et traditionnellement nomades. La région fut islamisée au IXe siècle et ravagée par les Mongols de Gengis Khan au XIIIe siècle. Intégrée à l’empire russe au cours du XIXe siècle, elle fut utilisée comme terre de déportation par Staline.

– L’Ouzbékistan

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Plus peuplé que son grand voisin et riche en pétrole et gaz naturel, l’Ouzbékistan conserve à Samarcande et Boukhara le souvenir de Tamerlan et de la civilisation irano-mongole. Le pays constituait une étape importante sur la route de la soie, entre Chine et Europe. Depuis l’indépendance du pays, en 1991, le président Islam Karimov y accapare le pouvoir.

– Le Tadjikistan

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Constitué de plateaux peu fertiles, le Tadjikistan a été séparé de l’Ouzbékistan en 1929 pour former une république fédérée de l’URSS à part entière. Cette création a coupé le pays de Samarcande et Boukhara, les anciens grands centres de la culture persane en Asie centrale, alors que le Tadjikistan est peuplé d’une majorité de Tadjiks, musulmans de langue iranienne, par opposition aux Turkmènes, Ouzbeks, Kazakhs et Kirghizes de langues turques. Entre 1992 et 1996, une guerre civile pour l’accès au pouvoir a déchiré le pays, entre pouvoir néo-communiste, démocrates et islamistes.

– Le Turkménistan

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Le Turkménistan compte environ 5 millions d’habitants, dont 75% de Turkmènes. Le désert de Karakoum couvre les trois quarts de sa superficie. Sur la scène internationale, il a choisi d’adopter une posture de « neutralité perpétuelle » après son accession à l’indépendance, tandis qu’à l’intérieur le pays est passé du régime soviétique à un système présidentiel autoritaire à parti unique, dirigé par le président Niazov.

– Le Kirghizistan

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Le Kirghizistan, peuplé d’une faible majorité de Kirghizes et d’un tiers de Russes, est un pays montagneux qui a même parfois été surnommé «  la Suisse d’Asie centrale  ». C’est également le pays qui a le mieux résisté à la pente autoritaire après l’effondrement de l’URSS.

 

La Moldavie

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Petit État d’Europe de l’Est coincé entre la Roumanie et l’Ukraine (33.000 km2, 4 millions d’habitants), la Moldavie est peuplé de deux tiers de Moldaves « de souche » (cousins très proches des Roumains) et de minorités ukrainienne, russe et gagaouze (turcophone).

Territoire des Daces comme l’actuelle Roumanie, la Moldavie est conquise par l’empereur Trajan au début du IIe siècle après JC. Au milieu du XIVe siècle, le roi de Hongrie Louis Ier d’Anjou crée la marche de Moldavie, une région tampon destinée à protéger la Transylvanie des incursions des Tatars. La Moldavie s’émancipe de la tutelle hongroise sous le règne du roi Bogdan mais tombe au milieu du XVIe siècle sous la domination de l’empire ottoman, dont elle devient un État vassal. À partir de la fin du XVIIe siècle elle se trouve sous un double protectorat ottoman et russe. La Russie tsariste s’approprie notamment le territoire de Bessarabie.

En 1924, les Soviétiques donnent naissance à une république de Moldavie, rattachée à l’Ukraine. De 1941 à 1944, elle est occupée par la Roumanie, alliée de l’Allemagne nazie. Récupéré par l’URSS, le territoire subit une intense « russification », avec l’installation de nombreux Russes et Ukrainiens.

En 1989, le réveil du sentiment national entraîne de grandes manifestations dont les revendications se focalisent sur la défense de la langue et de l’identité culturelle moldaves. En 1991, la Moldavie proclame son indépendance. Les russophones proclament leur propre État, la « République du Dniestr », en Transnistrie, à l’Est du pays. L’armée moldave échoue à en reprendre le contrôle. Depuis 1991, cette république sécessionniste protégée par l’armée russe incarne la volonté de Moscou de préserver sa zone d’influence dans la région.

 

 

Les pays du Caucase

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Le Caucase, chaîne de montagnes qui s’étend entre la mer Noire et la mer Caspienne, est partagé entre diverses entités de la Fédération russe et trois pays de l’ancienne URSS : la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ces derniers, bien que très différents les uns des autres par leur histoire et leur culture, ont été intégrés de 1920 à 1936 dans une éphémère République soviétique de Transcaucasie.

Cette région, qui forme presque un isthme entre deux mers, a toujours été convoitée par les empires, qu’ils soient perse, romain, ottoman, iranien ou russe. Depuis le XIXe siècle, les rivalités dans la région ont été attisées par une poussé de fièvre entourant les gisements de pétrole de la mer Caspienne (environ 5% des réserves mondiales).

– L’Arménie

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Cet État du Caucase au territoire accidenté abrite environ 3 millions d’habitants. A l’étranger, une diaspora au moins aussi importante numériquement reste attachée à ce pays à l’histoire et la culture plurimillénaires. L’Arménie actuelle couvre un territoire beaucoup plus limité que l’Arménie historique qui s’étendait sur des terres aujourd’hui turques et iraniennes.

Dès la période des IXe à VIe siècles avant notre ère, l’Arménie, sous la forme du royaume de Van ou Ourartou, constituait une civilisation avancée, pourvue d’une écriture, de forteresses, d’un système d’irrigation et d’artisans travaillant avec talent l’or, l’argent et le bronze.
La région fut convertie au christianisme dès la fin du IIIe siècle et fut le premier Etat à l’adopter comme religion officielle. Elle fut successivement envahie par les Romains, les Arabes, les Parthes, les Turcs et les Mongols.

À partir du XIVe siècle elle tomba sous domination ottomane. En 1915, le génocide perpétré par le pouvoir turc coûta la vie à environ 1,5 million d’Arméniens. La république indépendante d’Arménie proclamée en 1918 ne fut que de courte durée : en 1922, l’Arménie était intégrée à l’URSS. Elle n’accéda à nouveau à l’indépendance qu’en 1991, au moment de la dissolution de l’URSS.

La question du statut de la région du Haut-Karabakh, peuplée majoritairement d’Arméniens mais rattachée à l’Azerbaïdjan dans les années 1920 et contrôlée par l’Arménie depuis 1994, continue à empoisonner ses relations avec son voisin oriental.

– L’Azerbaïdjan

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Ce petit pays du Caucase, sur la mer Caspienne, abrite environ 8,5 millions d’habitants (2008), dont 80% d’Azéris. Ces musulmans parlent une langue proche du turc et sont majoritairement chiites. Son sous-sol est riche en pétrole et en gaz.

Intégré en 1828 à l’empire russe, l’Azerbaïdjan devient brièvement une république indépendante en 1918. En 1922, il est intégré à la Fédération transcaucasienne et à l’URSS. La région autonome du Haut-Karabakh, peuplée majoritairement d’Arméniens, lui est rattachée.

Dans les années 1980, la politique de glasnost menée par Gorbatchev encourage les Arméniens à demander le rattachement du Haut-Karabakh à l’Arménie. Le gouvernement soviétique refuse cette perspective mais des pogroms anti-arméniens, alimentés par le réveil du nationalisme azéri, secouent l’Azerbaïdjan et sa capitale Bakou. En 1990, l’Arménie proclame le rattachement du Haut-Karabakh à son territoire. L’Azerbaïdjan est à nouveau embrasé par une flambée de violence anti-arménienne. L’Armée Rouge intervient brutalement à Bakou pour rétablir l’ordre (« janvier noir »).

En 1991, prenant acte de la dislocation de l’URSS, le Soviet suprême d’Azerbaïdjan déclare l’indépendance du pays qui adhère à la CEI. En 1994, les Arméniens prennent le contrôle du Haut-Karabakh. Depuis, un statu quo précaire prévaut, emblématique des « conflits gelés » qui fragilisent les pays post-soviétiques.

– La Géorgie

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Enclavée à l’ouest du Caucase, au bord de la mer Noire, aux confins de l’Europe et de l’Asie, la Géorgie est un petit pays de 70.000 km2 et 4 millions d’habitants dont l’histoire remonte à plus de 3000 ans. Les Grecs, qui la connaissaient sous le nom de Colchide, y situent l’aventure de Jason et des Argonautes en quête de la Toison d’Or…

En tentant maladroitement de restaurer sa souveraineté sur le territoire sécessionniste d’Ossétie du Sud, en août 2008, la Géorgie est retombée sous la tutelle russe.

 

 

Les États baltes

– La Lituanie

La Lituanie est le plus peuplé des États baltes (environ 3,5 millions d’habitants) partage ses frontières avec la Lettonie, la Pologne, la Biélorussie et la Russie (enclave de Kaliningrad). Elle dispose également d’une façade maritime, sur la mer baltique. Sa population est composée de plus de 80% de Lituaniens de souche et de minorités de Polonais et de Russes.

– La Lettonie

Petit État donnant sur la mer baltique, la Lettonie dispose pour principale ressource naturelle de ses forêts qui ont permis le développement d’une industrie du bois et de la papeterie. Aujourd’hui, le pays est néanmoins très urbanisé et industrialisé.

La Lettonie abrite une forte minorité russe, représentant environ un tiers de la population. La religion luthérienne y est majoritaire, bien que les catholiques et les orthodoxes soient également nombreux. La région était occupée par un peuple d’origine finno-ougrienne depuis le IIIe millénaire avant J.-C. En 1158, les marchands allemands de la ligue hanséatique créèrent le comptoir de Riga, à l’embouchure de la rivière Daugava. Au cours des XIIe et XIIIe siècles, les chevaliers Porte-Glaive envahirent le pays et y introduisirent le christianisme… sans douceur excessive.

Au début du XVIIe siècle, la Suède protestante et la Pologne-Lituanie catholique se disputèrent le territoire de la Lettonie. La victoire revint à la Suède, mais elle n’empêcha pas la région d’être intégrée à l’empire russe un siècle plus tard, à la suite des conquêtes de Pierre Ier. La Lettonie proclama son indépendance en 1918 mais fut annexée par l’URSS en 1940, puis occupée par l’Allemagne nazie après la rupture du pacte germano-soviétique. Redevenue république soviétique en 1944, elle proclama à nouveau son indépendance en 1991.

– L’Estonie

Peuplée à 60% d’Estoniens de souche et à 30% de Russes, l’Estonie est proche de la Finlande dont elle n’est séparée que par un étroit bras de mer et avec laquelle elle partage la souche linguistique finno-ougrienne.

La région se trouva d’abord sur les routes commerciales des Vikings, en direction de l’empire byzantin et de la Russie, puis sur celles de la ligue hanséatique allemande. Elle fut conquise par les chevaliers Porte-Glaive allemands, puis passa sous domination suédoise (début du XVIIe siècle), avant d’être intégrée à l’empire russe.

Comme ses voisins lettons et lituaniens, elle fut annexée par l’URSS en 1940, en vertu du pacte germano-soviétique, puis occupée par l’Allemagne jusqu’en 1944. République soviétique de 1944 à 1991, elle accéda à nouveau à l’indépendance lors de l’effondrement de l’URSS. À l’instar de la Lettonie et de la Lituanie, elle est membre de l’Union Européenne depuis mai 2004.

EUROPE, HISTOIRE, HISTOIRE DE L'EUROPE, HISTOIRE DU XXè SIECLE, RUSSIE, RUSSIE SOVIETIQUE, UKRAINE, UKRIANE : UNE HISTOIRE TOURMENTEE

L’Ukraine : une histoire tourmentée

L’Ukraine : une histoire tourmentée 

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Avant l’arrivée des Slaves, le territoire de l’Ukraine était habité par des peuples indo-iraniens venus du Sud, d’abord les Scythes, puis les Sarmates. Ces peuples vécurent dans la région entre le VIIe et le IIIe siècle avant notre ère. Si les Sarmates sont restés au nord de la mer Noire, là où est située l’Ukraine aujourd’hui, les Scythes se sont installés jusqu’à l’est de la mer Caspienne dans les steppes eurasiennes. Plus au sud se trouvaient les Parthes, une importante puissance politique et culturelle iranienne dans la Perse antique (aujourd’hui l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan).  Les Scythes et les Sarmates finirent par être absorbés par des peuples germaniques, notamment les Alains et les Goths.

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À la suite des invasions germaniques dans l’Empire romain, la région de l’actuelle Ukraine subit plusieurs vagues d’immigrations germaniques jusqu’au moment où les Varèques, un peuple scandinave associé aux Vikings, s’y installèrent pour fonder en 862 la principauté de Kiev, qui devint la capitale du premier État organisé de cette région, laquelle comprend aujourd’hui l’Ukraine, la Biélorussie et une partie de la Russie.

À partir de 912, la principauté de Kiev se mit à accroître son influence sur de nouvelles tribus slaves. Le grand-duc de Kiev, Sviatoslav Ier (945-972), instaura un État puissant au nord des steppes de la mer Noire; après 972, son aire d’influence s’étendit vers le sud et vers l’est, jusqu’à la mer Caspienne. La principauté fut ainsi le premier État slave à s’imposer dans la région, ce qui éveilla l’intérêt de l’Empire byzantin situé plus au sud.

L’État kiévien devint à ce moment-là pour Byzance un important partenaire commercial, et aussi un précieux allié militaire.

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Le traité d’Androussovo (1667), appelé aussi «trêve d’Androussovo», signé entre la République des Deux-Nations et la Russie, entérinait le partage de l’Ukraine entre la Pologne et la Russie. Le traité mettait fin à l’occupation russe, mais Moscou prenait possession de la rive orientale du Dniepr, y compris Kiev, tandis que la Pologne conservait la rive occidentale. Autrement dit, l’ouest de l’Ukraine, appelée aussi «Ukraine de la rive gauche», et la Biélorussie revenaient à la Pologne. Tout le sud de l’Ukraine actuelle, y compris la Crimée, demeurait sous occupation ottomane. La trêve de 1667 fut renouvelée en 1678 et aboutit au traité de Paix éternelle de 1686, dix-neuf ans plus tard.

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C’est dès 1667, sous le règne du tsar de Russie, Alexis Ier (1645-1676), que l’Ukraine commença à subir l’influence de la langue russe. Le tsar instaura dans l’Empire russe, y compris en Ukraine orientale, un État de plus en plus policier. Il poursuivit la colonisation de la Sibérie jusqu’au Pacifique. C’est à partir de cette époque que les Ukrainiens de l’Est commencèrent à se russifier, alors que les Ukrainiens de l’Ouest, devenus polonais, conservaient leur langue tout en l’imprégnant fortement de mots polonais. La Pologne avait accordé à l’Ukraine un statut de territoire autonome, tout en demeurant dans le giron polonais. Au milieu du XVIIe siècle, il y avait déjà d’énormes différences entre le russe et l’ukrainien: alors que le russe était parlé autour de Moscou, les territoires ukrainiens étaient déchirés entre plusieurs pays (comme l’Empire austro-hongrois et le régime de la Rzeczpospolita, l’ancêtre de la Pologne moderne).

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En 1720, le tsar Pierre II, qui régna de 1727 à 1730, ordonna de réécrire en russe tous les décrets et documents juridiques rédigés en ukrainien.  En 1763, un décret de Catherine II (1762-1796) interdit l’enseignement de la langue ukrainienne à l’Académie de Kiev-Mohyla.

En 1772 eut lieu un premier partage après plusieurs victoires successives de la Russie contre l’Empire ottoman. À la suite d’un accord entre la Prusse et la Russie, un second partage se fit en 1793. Les territoires situés à l’ouest du Dniepr restèrent dans l’orbite de Varsovie (Pologne) jusqu’en 1793-1795. Les guerres entre la Russie, la Prusse et l’Autriche se terminèrent par le démembrement du reste de la Pologne en janvier 1795. La Russie s’appropria l’est de la Pologne, la Prusse prit l’ouest et l’Autriche acquit le Sud-Ouest (Galicie)

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Le tsar Alexandre III (de 1881à 1894) poursuivit la même politique de russification que ses prédécesseurs, mais en y ajoutant une nouvelle «trouvaille» : l’interdiction de choisir un nom de baptême en ukrainien pour tout nouveau-né. C’est ainsi que les Piotr russes (Pierre en français) remplacèrent les Petro ukrainiens. Sous Alexandre III, les interdictions se succédèrent sans relâche. En 1881, l’ukrainien fut interdit dans les sermons à l’église; en 1884, ce fut à nouveau la prolongation de son interdiction dans les théâtres et dans les oblasts (régions); puis, en 1895, l’interdiction fut étendue à la publication de livres pour enfants en ukrainien. Alexandre III étendit même la russification en Pologne, dans les pays baltes et en Finlande. L’Empire russe multiethnique devait être de langue russe et de religion orthodoxe.

Sous Nicolas II (1894-1917), le gouvernement russe proscrivit en 1901 l’usage du mot «Ukraine» et imposa la dénomination de la «Malorossiia» («Petite Russie»), par opposition à la Grande Russie (Russie centrale européenne) et à la Russie blanche (Russie de l’Est ou Biélorussie). C’est pourquoi on disait que le tsar était «le souverain de toutes les Russies: la Grande, la Petite et la Blanche». Les Ukrainiens furent officiellement appelés les «Petits Russes». On attribue au tsar Nicolas II cette phrase: «Il n’y a pas de langue ukrainienne, juste des paysans analphabètes parlant peu le russe.»

 

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Au cours de la Première Guerre mondiale, à la suite de la Révolution bolchevique de 1917, appelée «Grande Révolution socialiste d’octobre», l’Ukraine proclama son indépendance. Au même moment, en Galicie, en Bucovine et en Ruthénie subcarpatique, les Ukrainiens sous domination autrichienne s’affranchirent, puis fondèrent en 1918 leur propre république en Galicie orientale. Celle-ci ne tarda pas à rejoindre l’Ukraine «russe»(par opposition à la Galicie polonaise) pour former une fédération sous le nom de République populaire d’Ukraine occidentale comprenant la Galicie ukrainienne, la Ruthénie subcarpathique et la Bucovine. Cette période d’indépendance permit de prendre des mesures favorisant la langue ukrainienne.

 

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Proclamée en novembre 1917, la République populaire d’Ukraine occidentale dut affronter la République soviétique d’Ukraine soutenue par les bolcheviques. La Russie soviétique créa en 1922 la République socialiste soviétique d’Ukraine. L’Ukraine de l’Ouest et l’Ukraine du Sud-Est furent réunies à nouveau et annexées à l’URSS. Par sa population, la République socialiste soviétique d’Ukraine était la deuxième république fédérée de l’URSS et, par sa superficie, elle était la troisième (3 % de sa superficie et 18 % de sa population).

Au moment où naissait l’Union soviétique, en octobre 1917, les différences entre le russe et l’ukrainien étaient au niveau qu’elles sont aujourd’hui: des langues différentes au même titre que le sont, par exemple, l’espagnol et le français ou l’allemand et l’anglais.

 

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Les réformes commencées en 1985 par Mikhaïl Gorbatchev, le dernier président en exercice de l’URSS, donnèrent un nouvel élan aux mouvements des nationalités au sein de l’URSS. Le 16 juillet 1990, alors que l’URSS existait encore, le Rada (Conseil) suprême de l’Ukraine adopta une Déclaration sur la souveraineté nationale de l’Ukraine:

 

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Ukraine : histoire

 

  1. DE L’ÉTAT DE KIEV À LA DOMINATION POLONO-LITUANIENNE

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L’État de Kiev

Les régions où se développa la nationalité ukrainienne à partir des XIIIè-XIVè  siècles ont fait partie de l’État de Kiev (IXè-XIIè siècles) dont l’ensemble des territoires formait la « Rous », la « terre russe ». Ces régions constituent après le démembrement de l’État de Kiev au XIIIè siècle les principautés de Kiev, de Galicie et de Volhynie sur la rive droite du Dniepr, celles de Pereïaslav, Tchernigov et Novgorod-Severski sur la rive gauche.

Les attaques incessantes des Polovtses (ou Coumans) à partir du milieu du xie siècle poussent les habitants des régions de Kiev et de Pereïaslav à abandonner leurs terres et à gagner le Nord-Est (régions de Rostov-Souzdal), ou à chercher refuge dans les forêts de Polésie et de Volhynie, dans le bassin du Boug, en Galicie et sur les pentes des Carpates. Dans ces régions marginales, trois courants colonisateurs se rencontrent, celui des Slaves de l’Est que l’afflux des réfugiés vient renforcer, celui des Polonais et celui des Hongrois, maîtres du versant méridional des Carpates et qui s’emparent au xie siècle de la Transcarpatie (qui portera le nom d’Ukraine subcarpatique). La Galicie, réunie à la Volhynie en 1199, recueille une bonne partie de l’élite de la société kievienne et connaît un grand essor. La région de Kiev est définitivement ruinée par les dévastations de la conquête mongole (1238-1240). En marge des territoires contrôlés par les Mongols, la Galicie, qui reconnaît leur suzeraineté, devient un foyer de civilisation slave et orthodoxe, ukrainien déjà par la langue parlée, ouvert aux influences occidentales qui pénètrent par la Pologne et la Hongrie.

Les territoires ukrainiens du Sud, ravagés et dépeuplés, sont annexés par le grand-duché de Lituanie dans les années 1350-1360, tandis que la Galicie-Volhynie est conquise par la Pologne (1348-1366). L’Ukraine occidentale est dès lors soumise à un processus de polonisation qui conduira à la disparition des catégories supérieures du peuple ukrainien. L’Ukraine orientale subit aussi l’influence polonaise après l’union des couronnes de Lituanie et de Pologne (Krewo, 1385). Les populations du grand-duché de Lituanie recherchent la protection de la Moscovie et de la Pologne contre les raids des Tatars de Crimée à partir du milieu du xve siècle. L’État moscovite annexe en 1500-1503 la majeure partie de la région de Tchernigov, tandis que les possessions ukrainiennes du grand-duché de Lituanie sont rattachées à la Couronne de Pologne par l’Union de Lublin (1569). Ainsi la majeure partie de l’Ukraine dépend-elle d’un État catholique. Le métropolite orthodoxe de Kiev et une partie du clergé ukrainien reconnaissent l’autorité du pape par l’Union de Brest (1596). La noblesse polonaise colonise les terres ukrainiennes, sur lesquelles s’établissent également des communautés juives.

 

 

  1. DES LIBERTÉS COSAQUES À L’INTÉGRATION AUX EMPIRES RUSSE ET AUTRICHIEN (XVIe-XVIIIeSIÈCLES)

Les cosaques jouent à partir du XVIè  siècle un rôle déterminant dans l’histoire de l’Ukraine, et notamment dans la région du Dniepr. Ils appuient les résistances des paysans qui, pour fuir les contraintes imposées par les nobles polonais, gagnent les steppes méridionales et orientales. Certains s’établissent à l’intérieur des frontières moscovites et mettent en valeur la région où est fondée la forteresse cosaque de Kharkov vers 1655-1656 et qui portera le nom d’Ukraine Slobidska. Les cosaques se font aussi les champions de l’orthodoxie, à laquelle est restée fidèle la masse paysanne, et favorisent la résistance aux influences uniates.

À l’issue de plusieurs guerres entre cosaques et Polonais (1625-1637 ; 1648-1654), l’hetman Bogdan Khmelnitski se place sous la protection du tsar de Moscou (traité de Pereïaslav, 1654), suivant ainsi les tendances de la population à s’écarter de la Pologne. Désormais la population non cosaque de l’Ukraine orientale dépend de l’administration russe et le clergé ukrainien du patriarcat de Moscou. En 1667, le traité d’Androussovo entérine le partage de l’Ukraine entre la Pologne et la Russie, qui conserve la rive gauche du Dniepr et la région de Kiev. L’Ukraine de la rive droite du Dniepr subit les attaques des Ottomans, qui occupent la Podolie de 1672 à 1699 et conservent la Bucovine du Nord jusqu’en 1774. Elle se dépeuple au profit de l’Ukraine orientale où l’administration russe maintient la paix et où la settch des cosaques Zaporogues attire les fugitifs.

L’Ukraine orientale, gouvernée par un hetman, est peu à peu assimilée par l’État russe. La tentative de Mazeppa de constituer une Ukraine réunifiée et indépendante avec l’appui de la Pologne et de la Suède se solde par la défaite de Poltava (1709). Pierre le Grand crée en 1722 le collège de Petite-Russie pour contrôler les activités de l’hetman et de la starchina (c’est-à-dire des autorités cosaques). L’hetmanat est définitivement supprimé en 1764 ; la setch des Zaporogues est liquidée en 1775. Catherine II parachève l’assimilation administrative (création dans les années 1780 des gouvernements de Kiev, Tchernigov, Novgorod-Severski, Kharkov et Iekaterinoslav). Elle étend le servage à la majeure partie de l’Ukraine en 1783 et concède à la starchina les privilèges de la noblesse russe (1785).

À l’issue des partages de la Pologne de 1793 et de 1795, l’Ukraine est partagée entre l’Empire russe, qui annexe la rive droite du Dniepr, la Podolie et la Volhynie, et l’Empire autrichien, dont dépendent la Galicie, la Bucovine et l’Ukraine subcarpartique.

 

 L’ESSOR ÉCONOMIQUE ET LE PROBLÈME NATIONAL (XIXe-DÉBUT DU XXeSIÈCLE)

 

L’établissement des Russes sur la mer Noire après la signature du traité de Kutchuk-Kaïnardji (1774) et l’annexion de la Crimée (1783) va permettre la mise en valeur de l’Ukraine méridionale, appelée « Nouvelle-Russie ».

L’Ukraine connaît au XIXè siècle un développement remarquable de la culture du blé (que l’Empire russe exporte par les ports qu’il a fondés sur la mer Noire) et de la betterave à sucre, ainsi que, à partir de 1835-1840, des industries alimentaires, celle du sucre en particulier. L’essor rapide de l’extraction minière (houille du Donets, fer de Krivoï-Rog) et de l’industrie métallurgique à partir de 1870, grâce aux investissements des capitalistes étrangers, français, belges ou allemands, transforme l’Ukraine en la région industrielle la plus importante de l’Empire. Le développement économique de la fin du XIXè siècle entraîne un brassage de populations dans les villes, où la langue dominante est le russe alors que la campagne demeure ukrainienne. D’importantes communautés juives se sont développées malgré les massacres de 1648-1649, et elles constituent, au recensement de 1897, 30 % de la population des villes et des bourgs. Elles sont les victimes de pogroms particulièrement nombreux de 1881 à 1884, de 1903 à 1906 et de 1917 à 1921.

La première moitié du XIXè siècle est décisive pour le développement d’une conscience nationale dans l’Ukraine orientale. L’intelligentsia ukrainienne entreprend l’étude du folklore, du langage populaire et de l’histoire du pays. Elle participe aux mouvements d’opposition à l’absolutisme tsariste (complot décabriste, panslavisme libéral, populisme, organisation de gromada dans les villes). La première organisation ouvrière ukrainienne, l’union des ouvriers du sud de la Russie, est fondée à Odessa en 1875. Le gouvernement russe, proscrivant le terme d’Ukraine au profit de celui de Petite-Russie, adopte une attitude particulièrement répressive après l’insurrection polonaise de 1863. L’oukase d’Ems (1876), qui interdit d’imprimer des ouvrages en ukrainien, restera en vigueur jusqu’à la révolution de 1905.

Les Ukrainiens de Galicie conservent un certain nombre de libertés inconnues en Ukraine russe, tel l’emploi de la langue ukrainienne dans les écoles primaires. Mais, en dépit de la Constitution de 1860 et du statut de 1867, qui garantissent aux Ukrainiens des droits égaux à ceux des autres nationalités de l’Empire austro-hongrois, la Galicie orientale demeure dominée par une riche aristocratie polonaise et par une bourgeoisie urbaine polonaise ou juive.

L’Ukraine participe au mouvement révolutionnaire qui se développe dans l’Empire russe : troubles agraires de 1902, grèves ouvrières de 1900-1903 et révolution de 1905. Les libertés accordées en 1905 permettent au mouvement national ukrainien de se renforcer. Mais les tensions entre les Empires centraux et la Russie entraînent un durcissement du gouvernement russe. Lorsque les troupes russes occupent la Galicie orientale à l’automne 1914, elles lui infligent une brutale russification.

  

  1. LA GUERRE CIVILE (1917-1920)

Après le déclenchement de la révolution russe à Petrograd et la chute du tsarisme, une Rada centrale est créée à Kiev en mars 1917 sous la présidence de Grouchevski. En désaccord avec le gouvernement provisoire, elle déclare en juin que l’Ukraine tout entière jouira d’un statut autonome sans se séparer de la Russie. Réprouvant la prise en pouvoir par les bolcheviks, la Rada centrale proclame à Kiev la « République populaire d’Ukraine » le 7 (20) novembre 1917. Les bolcheviks, qui ne sont solidement implantés que dans les villes industrielles de l’Est et du Sud, proclament à Kharkov la « République soviétique d’Ukraine » (11 [24] décembre 1917). La Rada riposte en déclarant l’indépendance de l’Ukraine (9 [22] janvier 1918), mais les troupes bolcheviks occupent toutes les grandes villes du pays en janvier-février 1918 et l’obligent à se réfugier à Jitomir.

La Rada envoie une délégation à Brest-Litovsk, qui signe le 26 janvier (8 février) 1918 une paix séparée avec l’Allemagne. Les Allemands occupent l’Ukraine en avril et, après y avoir dissous la Rada, restaurent l’hetmanat au profit de P.P. Skoropadski. La défaite de l’Allemagne entraîne la chute de l’hetmanat (décembre 1918) et permet le rétablissement à Kiev d’un gouvernement indépendant ukrainien présidé par Petlioura. À la même époque est proclamée à Lvov la République d’Ukraine occidentale, qui affirme son union au reste de l’Ukraine. Son territoire sera occupé en juillet 1919 par les troupes polonaises. La Bucovine du Nord a été annexée en novembre 1918 par la Roumanie. Durant les années 1919-1920, l’Ukraine orientale est le théâtre d’âpres combats entre les forces de Denikine, soutenues par l’Entente, l’Armée rouge, les forces nationales ukrainiennes, les bandes anarchistes de Makhno, les troupes polonaises, qui l’envahissent en mai 1920, et l’armée Wrangel, refoulée des régions méridionales et de la Crimée par les bolcheviks en octobre-novembre 1920.

 

 L’UKRAINE SOVIÉTIQUE

 

La République soviétique d’Ukraine, proclamée en décembre 1917 à Kharkov, est liée à la Russie soviétique par un accord militaire et politique conclu en juin 1919. Reconnue par la Pologne au traité de Riga (mars 1921), elle adhère à l’Union soviétique en tant que république fédérée en décembre 1922.

Jusqu’au début des années 1930, les dirigeants bolcheviks y mettent en œuvre une politique d’« ukrainisation » destinée à faciliter la construction du socialisme. Cette politique repose sur l’usage officiel de la langue ukrainienne dans l’enseignement et dans l’administration et sur la promotion sociale du peuple. Le parti communiste de l’URSS impose une centralisation et un contrôle rigoureux de la vie politique et économique, tout en réfrénant le « chauvinisme de nation dominante » grand-russien et le nationalisme ukrainien. Au prix d’une collectivisation forcée de l’agriculture mise en œuvre en 1929 et d’une famine orchestrée par Staline en 1933 – qui fait 6 millions de morts –, le gouvernement soviétique impose les transformations sociales et économiques prévues par les premiers plans quinquennaux et fait ainsi avancer l’unification. Il s’oppose au développement du nationalisme en éliminant les cadres soviétiques ukrainiens lors des purges staliniennes de 1937-1938.

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L’Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale

Conformément aux clauses du pacte germano-soviétique (août 1939), l’URSS annexe les territoires polonais peuplés d’Ukrainiens, ainsi que la Bucovine et la Bessarabie (1940), réalisant ainsi le rassemblement de la quasi-totalité de la nation ukrainienne. L’Ukraine est soumise à partir de 1941 à un régime d’occupation nazie très dur, dont les armées soviétiques la libèrent en 1943-1944. Durant la guerre, elle perd 4 millions d’hommes. L’Ukraine subcarpatique lui est cédée en 1945 par la Tchécoslovaquie et l’oblast de Crimée lui sera rattaché en 1954. L’Ukraine fait partie, en 1945, des membres fondateurs de l’Organisation des nations unies (ONU). L’après-guerre est marqué par une vague d’épurations touchant les anciens « collaborateurs », les « traîtres à la patrie », le clergé uniate, les nationalistes des régions récemment acquises par l’Ukraine (membres de l’UPA, l’armée insurrectionnelle ukrainienne), et partisans de Stepan Bandera. Les troubles persistent jusqu’en 1950.

Le rôle important joué par les Ukrainiens au niveau de la fédération soviétique s’accompagne d’une russification qui touche particulièrement les Ukrainiens vivant en dehors de leur territoire national. Dès 1986, la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl – accélère le réveil national, qui se cristallise autour de la question de l’enseignement de l’ukrainien. Le Mouvement populaire pour la perestroïka (Roukh), fondé en 1989, obtient très vite une forte audience dans l’ouest du pays, qui reste le moins russifié et dont l’Église est majoritairement uniate. Les communistes remportent toutefois les élections du Soviet suprême de mars 1990, qui élit un apparatchik, Leonid Kravtchouk, à la présidence, en remplacement de Vladimir Chtcherbitski. L’échec du putsch de Moscou, les 19 et 21 août 1991, accélère l’histoire : trois jours plus tard, l’Ukraine, souveraine depuis juillet 1990, proclame son indépendance.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Ukraine_histoire/187635#:~:text=La%20R%C3%A9publique%20sovi%C3%A9tique%20d’Ukraine,r%C3%A9publique%20f%C3%A9d%C3%A9r%C3%A9e%20en%20d%C3%A9cembre%201922.

 

La guerre rebat les cartes de l’orthodoxie ukrainienne 

 

La question de l’orthodoxie tient une place centrale dans la justification par Vladimir Poutine de l’invasion de l’Ukraine. Paradoxalement, la guerre pourrait contribuer à renforcer l’Église autocéphale d’Ukraine.

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Une religieuse prie sur la place de l’Indépendance, à Kiev, le 24 février.DANIEL LEAL/AFP

 

Pour justifier l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine a invoqué, le 21 février, la défense des orthodoxes ukrainiens rattachés au Patriarcat de Moscou, contre lesquels Kiev préparait selon lui des « représailles ». Un argument que les observateurs qualifient de « prétexte ». Le président russe, pour qui la religion sert avant tout l’ordre social, joue sur une corde qu’il sait sensible chez ses concitoyens.

Car même si le Patriarcat de Moscou est de loin le premier numériquement (150 millions de fidèles, sur 250 millions d’orthodoxes dans le monde), et que la grande majorité de ses fidèles vivent en Russie, l’Ukraine contribue largement à son prestige. Kiev s’apparente à la « Jérusalem » de l’orthodoxie slave. C’est là, dans les eaux du Dniepr, que la population de la ville fut collectivement baptisée en 988 à la suite du prince Vladimir, et que l’État médiéval de la Rus’adopta le christianisme byzantin.

Pour le Patriarcat de Moscou, l’Ukraine représente encore des ressources humaines et matérielles non négligeables. Avant 2018, elle regroupait environ le tiers de ses fidèles, et deux des plus grands monastères du Patriarcat de Moscou y sont situés : la laure des Grottes de Kiev et Saint-Job de Potchaïv.

 Très proche idéologiquement de Vladimir Poutine, le patriarche Kirill de Moscou est « l’un des principaux théoriciens du “monde russe”, invoqué par le président russe pour envahir l’Ukraine », souligne l’historien Antoine Arjakovsky. La conformité entre l’idéologie du Kremlin et celle du Patriarcat de Moscou s’est encore illustrée par une homélie très politique de Kirill, le 27 février. Il semblait alors approuver la vision de Poutine sur l’unité entre Russie et Ukraine, et justifier l’invasion militaire.

► Quel est le panorama des Églises en Ukraine ?

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Avec environ 30 millions de fidèles (sur 42 millions d’habitants), l’Ukraine abrite la troisième communauté orthodoxe du monde, derrière la Russie et l’Éthiopie. Mais contrairement à la Russie, elle ne dispose pas d’une « grande Église » unique.

Jusqu’à fin 2018, il comptait trois Églises orthodoxes principales, dont une seule, celle rattachée au Patriarcat de Moscou (l’Église orthodoxe ukrainienne), bénéficiait de la reconnaissance canonique du monde orthodoxe. Jusqu’à ce que le Patriarcat de Constantinople décide d’octroyer l’autocéphalie à une nouvelle Église constituée (l’Église orthodoxe d’Ukraine). Affront insupportable pour le Patriarcat de Moscou, qui a suspendu tout lien avec Constantinople le 15 octobre 2018, provoquant une fracture majeure au sein du monde orthodoxe.

L’Église liée au Patriarcat de Moscou contrôle encore la majorité des paroisses en Ukraine. « En janvier 2021, elle disposait de 12 406 églises, contre 7 188 pour sa concurrente », dénombre Jivko Panev, fondateur du site orthodoxie.com, citant les statistiques officielles du gouvernement ukrainien.

Mais la nouvelle Église autocéphale, reconnue à ce jour par quatre des quatorze Églises orthodoxes jouissant d’une autonomie complète, attire un nombre croissant de fidèles. En novembre 2021, selon un sondage du Centre Razoumkov, 40 % des Ukrainiens orthodoxes se revendiquaient de cette nouvelle Église, et 22 % de celle liée au Patriarcat de Moscou.

Des catholiques sont aussi présents dans ce pays des confins des mondes orthodoxe et latin. L’Église gréco-catholique, interdite sous l’Union soviétique et bien implantée dans l’ouest du pays, représente près de 9 % de la population. Les images de prêtres gréco-catholiques célébrant la messe dans des sous-sols et des abris anti-bombes ont fait le tour du monde.

 

► L’Église ukrainienne rattachée au Patriarcat de Moscou suit-elle son patriarche, Kirill ?

Ces derniers jours, le gouffre n’a cessé de se creuser entre l’épiscopat de l’Église ukrainienne rattachée au Patriarcat de Moscou et son chef spirituel, Kirill. Une prise de distance marquée par plusieurs signaux majeurs, dont la virulente opposition du métropolite de Kiev, Onufrij, à l’invasion russe.

Le 24 février, ce dernier l’a qualifiée de « répétition du péché de Caïn tuant son propre frère », arguant qu’une telle guerre « ne (pouvait)avoir de justification devant Dieu et devant les hommes ». Le 28 février, le saint-synode de son Église a encore exhorté Kirill à intervenir auprès des dirigeants russes pour l’arrêt immédiat d’un conflit « menaçant de se transformer en guerre mondiale ».

Depuis ce jour-là, quatre diocèses ont indiqué leur décision de ne plus faire référence au « patriarche de Moscou pendant les offices ». Pour Kathy Rousselet, chercheuse à Sciences Po, « rien ne permet d’affirmer qu’ils veulent pour autant quitter le giron de Moscou, mais tout peut changer d’un jour à l’autre ».

« Dans la capitale ukrainienne, certaines paroisses – dont l’emblématique laure des Grottes de Kiev – auraient aussi cessé d’en faire mention », précise Antoine Nivière, professeur à l’université de Lorraine et spécialiste de l’histoire religieuse russe. Selon des sources non officielles qu’il rapporte, 12 évêques – sur les 53 que compte l’Église orthodoxe ukrainienne – suivraient ce mouvement.

Mercredi 2 mars, la dissidence a gravi un échelon supérieur, avec l’appel lancé par 236 prêtres et diacres au métropolite Onufrij pour la convocation d’un nouveau synode pour entériner officiellement une séparation avec le Patriarcat de Moscou. « On s’achemine ainsi vers un renforcement de l’Église autocéphale, abonde un fin spécialiste du dossier. Finalement, Vladimir Poutine aura peut-être, malgré lui, réussi par cette guerre à contribuer à réunifier le monde orthodoxe ukrainien… »

 

► Comment réagissent les orthodoxes de Russie ?

Bien que très minoritaires, plusieurs voix se sont élevées ces derniers jours au sein de l’Église orthodoxe russe pour contester la prise de position de Kirill. Mardi 1er mars, 26 responsables du clergé local ont ainsi publié une lettre ouverte réclamant l’arrêt des hostilités.

 « Nous appelons toutes les parties belligérantes au dialogue (…). Seule la capacité d’entendre l’autre peut donner l’espoir d’une sortie de l’abîme dans lequel nos pays ont été précipités (…)», exhortaient les signataires, dont l’higoumène Arseni Sokolov, représentant du Patriarcat de Moscou auprès du Patriarcat d’Antioche. « Leur voix ne touche pas la masse des fidèles. Kirill continue de bénéficier d’une réelle autorité spirituelle », tempère Antoine Nivière.

À quoi s’exposent donc ces religieux en s’érigeant contre leur chef ? « Le moindre individu sortant avec un panneau “non à la guerre” peut être emmené au poste. On peut s’attendre à ce qu’ils soient sanctionnés, à un moment ou à un autre », souligne Antoine Nivière. Et certains autres d’évoquer une suspension temporaire, voire même un risque de « réduction à l’état laïc »…

https://www.la-croix.com/Religion/guerre-rebat-cartes-lorthodoxie-ukrainienne-2022-03-03-1201203117

ESPAGNE, HISTOIRE, HISTOIRE DE L'ESPAGNE, HISTOIRE DU XXè SIECLE, JUAN CARLOS IER (roi d'Espagne ; 1938-....)

Juan Carlos Ier, roi d’Espagne (1975-2014)

Juan Carlos Ier

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Juan Carlos Ier, né le 5 janvier 1938 à Rome, est un homme d’Etat espagnol, roi d’Espagne du 22 novembre 1975 au 18 juin 2014.   Fils du prince Juan de Borbón, comte de Barcelone, et de María de las Mercedes de Borbón y Orleans, il est un petit-fils du roi Alphonse XIII   et un membre de la branche espagnole de la maison de Bourbon. Il abdique le 18 juin 2014 en faveur de son fils, le prince Felipe.

Très populaire au début de son règne, notamment pour sa contribution à la consolidation de la démocratie, par son opposition au coup d’État de 1981, il connaît par la suite une fin de règne compliquée, entachée par la révélation, en 2012, de sa fracture de la hanche, contractée à la suite d’un accident de chasse lors d’un safari au Botswana, alors que l’Espagne est plongée dans une grave crise économique.

Son image est à nouveau écornée à la suite de révélations en 2019 et 2020 sur des dizaines de millions d’euros de commissions occultes que l’ancien monarque aurait perçus. Le 3 août 2020, soupçonné de corruption et sous le coup d’une enquête de la Cour suprême espagnole, il annonce sa décision de s’exiler.

Jeunesse

Enfance et prince héritier

Juan Carlos naît à Rome en 1938, où sa famille est exilée. Son grand-père paternel, Alphonse XIII, a été écarté du pouvoir par la Deuxième République puis par l’avènement au pouvoir de Francisco Franco. Celui-ci désignera Juan Carlos comme futur roi après qu’il eut été formé dans des écoles militaires espagnoles réputées. Le 29 mars 1956, il tue accidentellement son frère cadet Alfonso d’une balle de pistolet en plein front, dans la résidence de ses parents à Estoril, au Portugal, les rumeurs et hypothèses abondant pour expliquer la cause exacte du drame: le pistolet avait été offert quelques semaines auparavant par Franco.. Pendant la dictature en 1969, Franco crée le titre de prince d’Espagne (plutôt que prince des Asturies) pour Juan Carlos. Il épouse la princesse Sophie de Grèce et le couple occupe le palais de la Zarzuela. Il est nommé capitaine général des forces armées dès 1975, le grade le plus élevé, avant de prêter serment le lendemain de la mort de Franco (mais il ne prendra ses fonctions que le jour suivant). Il s’applique alors à démocratiser le système espagnol et apporte une certaine modernité à son pays. Il parvient également à unifier l’armée et les différentes régions d’Espagne, soutenant Felipe González.

Il a étudié à l’Institut Le Rosey (Suisse).

 

Roi d’Espagne

Transition démocratique

Durant les périodes de maladie de Franco en 1974 et 1975, Juan Carlos est nommé chef de l’État par intérim. Proche de la mort, Franco avoua le 30 octobre 1975 qu’il était trop malade pour gouverner, mais ce ne sera que deux jours après la mort du dictateur, survenue le 20 novembre 1975, que Juan Carlos sera proclamé roi d’Espagne. Les manifestations et les grèves se multiplient à travers le pays, malgré la répression sanglante. Face à la résistance armée d’ETA et des communistes du Front révolutionnaire antifasciste patriotique (FRAP) et des Groupes de résistance antifasciste du premier octobre (GRAPO), le roi d’Espagne prend conscience que le maintien du franquisme est impossible et que le changement est inévitable. Ainsi, Juan Carlos promulgue des réformes démocratiques, au grand dam des éléments conservateurs, notamment les forces armées, qui s’attendaient à ce qu’il maintînt l’État franquiste (mais ce sur quoi Franco lui-même ne nourrissait aucune illusion, se considérant comme une sorte de régent, à l’instar de l’amiral Horthy en Hongrie). Juan Carlos nomme pourtant Adolfo Suárez, ancien chef du Mouvement national, au poste du président du gouvernement. La pièce maîtresse des réformes démocratiques est la loi pour la réforme politique (Ley para la Reforma Política) présentée par le gouvernement Suárez, adoptée par le Parlement le 18 novembre 1976 et par le peuple espagnol lors du référendum du 15 décembre 1976 (94,2 % de oui). Cette loi, de rang constitutionnel (« loi fondamentale », selon la terminologie franquiste), crée les bases juridiques nécessaires à la réforme des institutions franquistes depuis l’intérieur et permet que se déroulent le 15 juin 1977 les premières élections démocratiques depuis l’instauration de la dictature. Le Congrès des députés (Congreso de los Diputados) et le Sénat (Senado) issus de ces élections seront chargés d’élaborer, notamment, la nouvelle Constitution démocratique que le roi approuvera au cours d’une session conjointe des deux Chambres le 27 décembre 1978.

En 1977, le père du roi, Juan de Borbón, est obligé par son fils à renoncer à ses prétentions au trône ; Juan Carlos le dédommagera en officialisant le titre de comte de Barcelone, titre suzerain appartenant à la couronne espagnole, que Juan de Borbón s’était donné comme titre de courtoisie pendant son exil. Dans son article 57 al. 1, la Constitution de 1978 désigne Juan Carlos comme l’« héritier légitime de la dynastie historique », alors que les droits de la branche aînée (infant Jacques et sa descendance) n’ont jamais été abolis par le Parlement. A fortiori, Franco ayant déclaré que la nouvelle monarchie était une instauration, non une restauration, la légitimité de Juan Carlos Ier ne pouvait s’établir sur l’histoire, mais sur sa nomination comme prince d’Espagne en 1969, puis sur le suffrage universel en 1978.

La Constitution de 1978

L’Espagne a été un pays sans Constitution de 1936 à 1978. Après la prise du pouvoir, le général Franco légiférait à coups de Fuero de los españoles, de lois organiques et de lois de succession.

Point d’orgue de l’idéal consensuel de la transition, l’élaboration du texte constitutionnel repose sur un esprit de tolérance prôné conjointement par le parti au pouvoir et les formations de l’opposition. Celles-ci — PSOE et PCE notamment — acceptent la voie ouverte par la « loi de réforme politique » et finissent par conserver le seul héritage qui leur paraît acceptable : le système monarchique, signe que le seul dilemme d’actualité se réduit désormais à l’alternative entre monarchie parlementaire et monarchie absolue, et non plus, comme en 1931, à l’alternative république-monarchie.

Le 25 juillet 1977, la nomination de la Commission des affaires constitutionnelles et les libertés publiques, présidée par le centriste Emilio Atard ouvre la période constituante. De cette première émane un groupe de sept personnalités qui constituent la Ponencia Constitucional : Manuel Fraga Iribarne, Gabriel Cisneros Laborda, Miguel Herrero, Gregorio Peces Barba, José Pedro Pérez Llorca, Miquel Roca et Jordi Solé Tura. Après quatre mois de travail, les « Pères de la Constitution » achèvent la rédaction de l’avant-projet qui sera modifié par près de 2 000 amendements présentés par les députés et les sénateurs. Enfin, le 31 juillet 1978, le texte est adopté par les parlementaires. Au Congrès des Députés, l’approbation est écrasante : 94,2 % sont favorables au « oui » (UCD, PSOE, PCE et la plupart des députés d’Alliance populaire — dont Manuel Fraga Iribarne et une partie du groupe mixte). Au Sénat, les résultats sont identiques : 94,5 % de « oui ». Le corps électoral apparaît cependant un peu moins motivé que ne l’est la classe politique, un tiers des électeurs ne prenant pas part au référendum du 6 décembre. Près de 88 % se prononcent en faveur du texte.

Finalement le 27 décembre 1978, le roi d’Espagne se présente devant le Parlement — députés et sénateurs réunis — pour ratifier la Constitution.

Le roi règne en tant que monarque constitutionnel, sans exercer de réel pouvoir sur la politique du pays. Il est considéré comme un symbole essentiel de l’unité du pays, et ses interventions et points de vue sont écoutés respectueusement par des politiciens de tous les côtés. Son discours annuel la veille de Noël est diffusé par la plupart des chaines de télévision espagnoles. Étant le chef suprême des forces armées espagnoles, son anniversaire est une fête militaire.

Coup d’État du 23 février 1981

Une tentative de coup d’État militaire surprend le Congrès des députés le 23 février 1981. Des officiers, avec à leur tête le lieutenant-colonel Tejero, tirent des coups de feu dans la Chambre parlementaire durant une session retransmise en direct à la télévision. On craint alors la déroute du processus démocratique, jusqu’à ce que le roi étonne la nation par une allocution télévisée exigeant que l’armée apporte son soutien inconditionnel au gouvernement démocratique légitime. Le roi avait auparavant appelé plusieurs chefs de l’armée pour leur ordonner en tant que commandant en chef de défendre la démocratie.

Lors de sa prestation de serment devant les Cortes Generales (le Parlement), un chef communiste, Santiago Carrillo, lui avait donné le sobriquet « Juan Carlos el Breve », prédisant qu’il se trouverait rapidement écarté avec les autres restes du fascisme. Après l’échec du coup d’État du 23 février 1981, ce même homme politique, ému, dira aux médias : Dieu protège le Roi ! Si les démocrates et les partis de gauche s’étaient jusque-là montrés réservés, après l’échec du coup d’État, leur soutien deviendra inconditionnel, un ancien chef de la IIe République déclarera : « Nous sommes tous des monarchistes maintenant ». Néanmoins, une expression courante dit que les Espagnols ne sont pas des monarchistes, mais des « juancarlistes ».

Plus tard, une tentative d’assassinat par des membres du groupe séparatiste basque ETA avortera à Majorque, lieu de villégiature de la famille royale.

Fin de règne contestée et abdication

Le roi Juan Carlos Ier et, plus généralement, la famille royale espagnole sont ébranlés à la suite de plusieurs scandales dus à leur train de vie et à des affaires d’infidélités et de corruption.

En avril 2012, Juan Carlos Ier est victime d’une fracture de la hanche lors d’une chasse aux trophées d’éléphant au Botswana. Beaucoup se sont scandalisés de ce voyage qui a coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros aux contribuables espagnols alors que le pays traversait une grave crise économique et subissait une politique d’austérité. Le roi dut présenter ses excuses à la nation le 18 avril 2012 : « Je suis profondément désolé. J’ai commis une erreur et cela ne se reproduira pas ».

L’affaire Nóos met en évidence le détournement de 6,5 millions d’euros de fonds publics et choque les Espagnols, car elle semble impliquer le gendre du roi, Iñaki Urdangarin, et peut-être l’infante Cristina elle-même.

Le 2 juin 2014, le président du gouvernement, Mariano Rajoy, déclare, lors d’une conférence de presse, que le roi Juan Carlos a décidé d’abdiquer en faveur de son fils Felipe, prince des Asturies. Le même jour, le monarque s’exprime pour justifier sa décision. Le 18 juin, l’abdication est effective et son fils Felipe devient roi le lendemain, au moment de la publication de la loi organique d’abdication au bulletin officiel sous le nom de Felipe VI.

Après l’abdication

Le roi émérite continue d’exercer des fonctions de représentation au nom de son fils, notamment lors des prises de fonctions des chefs d’État d’Amérique latine, jusqu’en 2019 où il annonce qu’il se retire définitivement de la vie publique à compter du 2 juin de la même année.

Présomption de fraude fiscale et de corruption

D’après des enregistrements de Corinna Larsen, ancienne aristocrate allemande et ex-maîtresse de Juan Carlos, diffusés par la presse, ce dernier l’aurait utilisée afin de cacher des fonds considérables en Suisse. D’après ces révélations, le monarque espagnol aurait touché de très importantes commissions sur des marchés d’État, dont en particulier 80 millions d’euros pour la construction d’un train rapide en Arabie saoudite. Juan Carlos aurait profité de l’amnistie fiscale décrétée en 2012 par Mariano Rajoy   pour rapatrier, et au passage blanchir, la majeure partie de ce capital.

Un communiqué du roi Felipe VI annonce en mars 2020 que ce dernier renonce à l’héritage de Juan Carlos, son père, à la suite de nouvelles révélations sur sa fortune cachée, et qu’il lui retire sa dotation de 195 000 euros par an. L’ancien monarque détiendrait notamment un compte au Panama abritant 100 millions d’euros et un autre au Liechtenstein de 10 millions d’euros, qui auraient été alimentés par des pots-de-vin durant ses années de règne.

Après son départ d’Espagne

Le 3 août 2020, soupçonné de corruption et sous le coup d’une enquête du Tribunal suprême, l’ex-roi Juan Carlos annonce sa décision de quitter le pays dans une lettre adressée à son fils, le roi Felipe VI, citée par la Maison royale. Le quotidien El País révèle, dans son édition du 5 août 2020, que le roi Felipe VI et son père se sont rencontrés et sont convenus de cet « exil provisoire », avec l’aval du gouvernement de Pedro Sánchez. Ce dernier apporte son soutien à la monarchie constitutionnelle, affirmant qu’« on juge des personnes et non des institutions » et que l’ex-roi se mettra à la disposition de la justice.

Coût de la monarchie espagnole

La monarchie espagnole perçoit de l’État environ 10 millions d’euros par an. Selon le quotidien espagnol El Economista, son coût réel est de 25 millions d’euros si l’on inclut l’entretien des édifices royaux, celui du yacht et du parc automobile du roi Juan Carlos, ainsi que les 5,8 millions d’euros versés aux 130 fonctionnaires à son service. Selon La Dépêche du Midi : « Le roi, Juan Carlos Ier, perçoit 266 436 euros par an, soit quatre fois plus que le chef du gouvernement. Le prince Felipe, 45 ans, touche 127 636 euros annuels »

À titre de comparaison, en 2006, le député socialiste René Dosière estimait le coût de la présidence de la République française à 90 millions d’euros annuels.  Mais celle-ci abrite le véritable chef de l’exécutif contrairement à la reine Élisabeth II du Royaume-Uni, qui est dans une situation constitutionnelle comparable au roi d’Espagne et qui percevait, en 2013, 42,5 millions d’euros annuels.

La fortune du roi était estimée, en 2013, à 300 millions d’euros.

Autres activités

Passionné de voile depuis sa jeunesse, le roi Juan Carlos participe régulièrement à des régates. Début 2018, il remporte le championnat du monde de voile dans la catégorie des 6 mètres JI.

L’indicatif radioamateur du roi est EA0JC.

Il est membre honoraire du Club de Rome.

En tant que pilote professionnel, il a participé à un vol d’essai de l’A400M.

Amateur de chasse au gros gibier, le roi s’est rendu plusieurs fois au Botswana pour y chasser légalement l’éléphant, une espèce menacée. La chasse à l’éléphant coûte en moyenne 37 000 euros par animal tué.

Famille

Juan Carlos de Borbón épouse, le 14 mai 1962, d’après les rites orthodoxe et catholique, la princesse Sophie de Grèce (1938), fille du roi Paul de Grèce (1901-1964) et de la princesse Frederika de Hanovre (1917-1981).  De cette union naissent trois enfants portant le prédicat d’altesse royale :

Elena de Borbón y Grecia (1963), infante d’Espagne, duchesse de Lugo, qui épouse en 1995 Jaime de Marichalar y Sáenz de Tejada (1963), dont elle divorce en 2010, d’où deux enfants portant le prédicat d’excellence :

Felipe de Marichalar y Borbón (1998) ;

Victoria de Marichalar y de Borbón (2000) ;

Cristina de Borbón y Grecia (1965), infante d’Espagne, qui épouse en 1997 Iñaki Urdangarin Liebaert (1968), d’où quatre enfants portant le prédicat d’excellence :

Juan Valentín Urdangarin y de Borbón (1999) ;

Pablo Nicolás Urdangarin y de Borbón (2000) ;

Miguel Urdangarin y de Borbón (2002) ;

Irene Urdangarin y de Borbón (2005) ;

Felipe de Borbón y Grecia (1968), prince des Asturies, devenu Felipe VI, qui épouse en 2004 Letizia Ortiz Rocasolano (1972), d’où deux enfants portant le prédicat d’altesse royale :

Leonor de Borbón y Ortiz (2005), princesse des Asturies ;

Sofía de Borbón y Ortiz (2007), infante d’Espagne.

Titres, honneurs et armoiries

 

Titulature officielle

21 juillet 1969 – 22 novembre 1975 : Son Altesse royale le prince d’Espagne ;

22 novembre 1975 – 18 juin 2014 : Sa Majesté le roi d’Espagne

depuis le 18 juin 2014 : Sa Majesté le roi Juan Carlos.

Après son abdication, Juan Carlos continue de porter à vie le titre honorifique de roi et la qualification de majesté.

Conformément à la Constitution espagnole, Juan Carlos a porté légalement le titre de roi d’Espagne et a pu utiliser « les autres titres qui reviennent à la Couronne » (deuxième alinéa de l’article 56 du titre II « De la Couronne »), sans pour autant les spécifier. En outre, le décret royal 1368/1987, promulgué le 6 novembre 1987 en  Conseil des ministres, confère au titulaire de la Couronne (le roi ou la reine d’Espagne) le prédicat de majesté et lui donne la possibilité d’utiliser les « autres titres qui correspondent à la Couronne ». L’ensemble de ces titres, qui forment la titulature traditionnelle des souverains espagnols, contient une liste d’une vingtaine de royaumes  faisant aujourd’hui partie d’États souverains, ce qui fait qu’il n’est utilisé ni par les agences de l’État espagnol ni par la diplomatie du royaume. La titulature espagnole complète a été officiellement utilisée avant l’instauration de la Constitution de 1837, sous le règne d’Isabelle II d’Espagne. Elle est la suivante :

« Sa Majesté catholique [nom de règne], roi d’Espagne, de Castille, de Léon, d’Aragon, des Deux-Siciles, de Jérusalem, de Navarre, de Grenade, de Tolède, de Valence, de Galice, de Majorque, de Minorque, de Séville, de Sardaigne, de Cordoue, de Corse, de Murcie, de Jaén, des Algarves, d’Algésiras, de Gibraltar (es), des îles Canaries, des Indes orientales et occidentales, de l’Inde et du continent océanien, de la terre ferme et des îles des mers océanes, archiduc d’Autriche, duc de Bourgogne, de Brabant, de Milan, d’Athènes, de Néopatrie, comte de Habsbourg, de Flandre, de Tyrol et de Barcelone, seigneur de Biscaye et de Molina (es), marquis d’Oristan et de Gozianos, etc. »

Titulature de courtoisie

5 janvier 1938 – 8 mars 1941 : Son Altesse royale Juan Carlos de Borbón y Borbón-Dos Sicilias, infant d’Espagne

8 mars 1941 – 21 juillet 1969 : Son Altesse royale le prince des Asturies

Alors que le 5 février 1941 le roi Alphonse XIII abdique ses droits à la Couronne en faveur de son fils cadet, l’infant Juan, qu’il s’était choisi pour héritier, ce dernier devient prétendant au trône d’Espagne et prend le titre de courtoisie de comte de Barcelone. Juan Carlos, son fils, reçoit par la suite la Toison d’or, ce qui le désigne comme le successeur potentiel du comte de Barcelone. Ainsi, il est désigné par les partisans de son père par le titre de courtoisie de prince des Asturies (non reconnu par le régime franquiste ni par les autres prétendants au trône d’Espagne), avec la qualification d’altesse royale.

Pour les légitimistes français, il est « petit-fils de France » en tant que fils de Juan de Borbón, comte de Barcelone, fils cadet d’Alphonse XIII (ou « Alphonse Ier » pour les légitimistes) et frère de Jacques-Henri de Bourbon (prétendant au trône de France sous le nom de « Henri VI »). Juan Carlos occuperait la 4e place dans l’ordre de succession derrière Henri de Bourbon, duc de Touraine et devant son fils, le prince Felipe, premier prince du sang.

Ascendance

Juan Carlos descend de la branche espagnole de la maison de Bourbon, ayant pour auteur le roi Philippe V d’Espagne (1683-1748), né Philippe de France, fils de France, duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Le roi Juan Carlos est aussi l’arrière-arrière-petit-fils de la reine Victoria, par sa petite-fille Victoire-Eugénie de Battenberg (1887-1969), l’épouse d’Alphonse XIII d’Espagne (1886-1941). Au travers de différents ascendants, et notamment par son arrière-grand-mère Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (de la branche de Teschen), épouse d’Alphonse XII, il descend de la maison de Habsbourg-Lorraine fondée par le mariage de Marie-Thérèse d’Autriche avec François de Lorraine.

 

Bibliographie

Laurence Debray, Juan Carlos d’Espagne, Paris, Éditions Perrin, 2013, 410 p.

Chantal de Badts de Cugnac et Guy Coutant de Saisseval, Le Petit Gotha, Paris, Éditions Le Petit Gotha, coll. « Petit Gotha », 2002 (1re éd. 1993), 989 p.  p. 361 et seq. (section « Maison royale d’Espagne »)

Christian Cannuyer (préf. Roland Mousnier), Les maisons royales et souveraines d’Europe : la grande famille couronnée qui fit notre vieux continent, Paris, Brepols, 1989, 274 p.

Guy Coutant de Saisseval, Les Maisons impériales et royales d’Europe, Paris, Éditions du Palais-Royal, 1966, 588 p.

Gauthier Guy, Don Juan Carlos Ier, les Bourbons d’Espagne d’Alphonse XIII à Philippe VI, Editions L’Harmattan, 2016.

Philippe Nourry, Juan Carlos, un roi pour les Républicains Centurio, 1986. Nouvelle édition mise à jour : Juan Carlos, Taillandier, 2011.

Philippe Nourry, Histoire de l’Espagne, Taillandier 2011 et Texto, 2015.

CHINE, HISTOIRE DE LA CHINE, HISTOIRE DU XXè SIECLE, MASSACRE DE LA PLACE TIEN NAN MEN (4 juin 1989), PLACE TIEN AN MEN

Place Tien An Men : 4 juin 1989

L’armée massacre les étudiants sur la place Tien An Men

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Le 4 juin 1989, à Pékin, l’armée chinoise massacre avec des chars et des armes lourdes les milliers d’étudiants rassemblés sur la place Tien An Men, dont certains depuis le 18 avril précédent ! Ce massacre dit du 4/6 (en chinois : « Liu Si ») met un terme brutal au « printemps de Pékin ».

En ce haut lieu du pouvoir et de la vie politique, face à la Cité interdite, d’autres étudiants avaient déjà manifesté 70 ans plus tôt et donné naissance au Mouvement du 4-Mai, fer de lance de la démocratisation de la Chine. Cette fois, le mouvement étudiant surgit en opposition à la dictature du Parti Communiste chinois (PCC), ressentie comme de plus en plus insupportable à mesure que le pays se modernise et s’ouvre sur l’extérieur.

 

Des communistes à la peine

Peu après la mort de Mao-Zedong (1976), le Parti a été pris en main par Deng Xiaoping. Il a entrepris de libéraliser l’économie tout en maintenant la dictature du Parti dans le respect des « quatre principes fondamentaux : la voie socialiste, la dictature du prolétariat, la direction du PCC et le marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong ».

Mais les troubles sociaux et les aspirations démocratiques des classes moyennes mettent à mal le pouvoir communiste. En novembre 1987, le conservateur Li Peng accède à la tête du gouvernement et interrompt le processus de réforme. La tension monte.

Le 15 avril 1989, est annoncée la mort mystérieuse de Hu Yaobang, un hiérarque réputé intègre et révoqué deux ans plus tôt de ses fonctions de secrétaire général du PCC. Elle soulève une grande émotion dans le camp réformateur.

On annonce par ailleurs la visite de Mikhaïl Gorbatchev le mois suivant à Pékin. Cette visite du secrétaire général du Parti Communiste d’URSS est perçue comme un encouragement à la démocratisation.

 

Montée de la tension

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Les étudiants commencent à se rassembler sur la place Tien An Men (ou « place de la paix céleste ») dès le 27 avril dans la perspective de la commémoration du 4 mai 1919. On en comptera dans les semaines suivantes jusqu’à un million.

Le rassemblement tourne à la manifestation contre le gouvernement et en faveur de la démocratie.

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Les étudiants des Beaux-Arts érigent une copie en plâtre de la statue de la Liberté de New York, baptisée « déesse de la Démocratie », au milieu de la place Tien An Men. Le 13 mai, beaucoup entament une grève de la faim. Dans les provinces et une partie de l’armée, d’aucuns expriment leur sympathie pour les étudiants. Le 17 mai, les dirigeants chinois sont obligés d’annuler la visite de Gorbatchev à la Cité interdite. Humiliation.

Deux jours plus tard, le secrétaire général du PCC Zhao Ziyang se rend sur la place et tente de dissuader les étudiants de poursuivre leur grève de la faim. Mais ce dirigeant libéral, qui aurait voulu profiter du mouvement pour démocratiser le régime, échoue dans sa médiation.

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Loi martiale

C’est finalement l’habile Deng Xiaoping (85 ans) qui aura le dernier mot. Celui que l’on surnomme le « petit Timonier », en raison de sa taille et par opposition avec le « grand Timonier » (Mao Zedong), continue de tirer les ficelles avec la simple fonction de président de la commission des affaires militaires du PCC.

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Le 20 mai, il obtient du Premier ministre Li Peng qu’il instaure la loi martiale. Le Premier ministre ne se fait pas prier. Il fait appel à l’armée pour dégager la place mais celle-ci est bloquée aux entrées de la ville par la foule ! Le monde entier, sidéré, voit sur les écrans de télévision un jeune homme seul au milieu de la chaussée, défiant une colonne de chars. Nouvelle humiliation.

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Lasse de tergiverser, l’armée nettoie brutalement la place Tien An Men dans la nuit du 3 au 4 juin. Elle tire à balles réelles sur la foule paniquée et les chars font le reste. Les cadavres sont déblayés au bulldozer et incinérés. On évalue le nombre de victimes à environ 1800 morts (peut-être bien davantage) et des dizaines de milliers de blessés. Après plusieurs heures d’horreur, sur les instances du professeur Liu Xiaobao, futur Prix Nobel de la Paix, les militaires laissent les survivants quitter la place, en pleurs.

Une brutale répression s’abat sur les démocrates dans toutes les grandes villes du pays. Le leader ouvrier Han Dongfang (26 ans), activement recherché, n’a d’autre solution que de se rendre à la police. Torturé, il est extradé au bout de vingt-deux mois vers les États-Unis.

C’en est fini du « printemps de Pékin » et l’on peut croire que la Chine communiste va replonger dans les ornières du passé. Mais Deng Xiaoping voit dans les émeutes étudiantes un signal pour aller de l’avant. Décidé à moderniser la Chine, il use de son influence pour installer au secrétariat général du parti communiste chinois un libéral de vingt ans son cadet, Jiang Zemin.

En 1992, il fait entériner par le bureau politique du parti la décision d’« accélérer le rythme de la réforme et de l’ouverture » et la mise en place d’une « économie socialiste de marché ». Cet oxymoron (rapprochement de deux termes contradictoires) est inscrit dans le préambule de la nouvelle Constitution en mars 1993. C’est ainsi qu’en l’espace d’une décennie, la Chine va changer de visage et entrer de plain-pied dans la cour des Grands, jusqu’à concourir pour la première place (celle qui était la sienne jusqu’au début du XIXe siècle).

 Un régime qui dure

À la grande surprise des sinologues patentés et des démocrates occidentaux, ce bouleversement historique se produit sans que chancelle le régime issu de la révolution communiste de 1949. Au contraire, celui-ci s’adapte à la nouvelle donne économique et sociale avec une remarquable aisance, compte tenu du poids des défis ; la Chine populaire, avec ses 1,3 milliards d’habitants (2010), est à comparer en effet à un État qui réunirait l’Europe et la Russie, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, avec les mêmes écarts de niveaux de vie et de développement.

Le régime s’est adapté en particulier en intégrant au sein du parti communiste les nouvelles élites : intellectuels aisés et entrepreneurs aisés. Elles représentent désormais 70% de ses effectifs et sont de la sorte associées au fonctionnement de la machine gouvernementale.

Un autre facteur de stabilité tient à ce que les cinq cent millions de citadins sont devenus au début du XXIe siècle propriétaires de leur logement, précédemment propriété de l’État. De la même façon, les paysans ont pu acquérir la propriété de leurs terres.

Le talon d’Achille du régime réside dans la corruption de plus en plus massive des potentats locaux. Indifférents à l’intérêt général, ceux-ci profitent de l’absence de contrôle démocratique et de la malléabilité du pouvoir judiciaire pour pressurer les classes populaires. Ainsi ne s’embarrassent-ils pas de précaution lorsqu’il y a lieu d’exproprier des terres ou des immeubles au profit d’un ami haut placé.

À défaut de mieux, les ressentiments des victimes s’expriment sur Internet. Ils n’atteignent pas encore le pouvoir central. Celui-ci a conscience du danger et peine à y répondre.

https://www.herodote.net/4_juin_1989-evenement-19890604.php

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Tiananmen, le coup d’arrêt

Laurence Badel dans mensuel L’Histoire 459
daté mai 2019 – 3439 mots 

Au début de l’année 1989, alors qu’en Europe le glacis soviétique se fissure, les étudiants chinois se rassemblent un peu partout dans le pays pour réclamer, eux aussi, un État de droit. A Pékin, sur la place Tiananmen, ils sont plus de 200 000. Mais, dans la nuit du 3 au 4 juin, l’armée intervient. Comment la communauté internationale a-t-elle réagi ?

Trente ans après les événements de la place Tiananmen du printemps 1989, leur évocation demeure un sujet tabou dans la République populaire de Chine (RPC). La censure s’est abattue sur les manuels scolaires, sur Internet et sur les réseaux sociaux qui mentionnent les mots pouvant évoquer la répression comme « Li Peng » ou « Zhao Ziyang », deux figures politiques clés du mouvement, « tank », ou encore « Tank Man », le surnom donné à l’homme en chemise blanche, portant un sac en plastique, petite silhouette fragile face à une colonne de chars sur l’avenue Changan. Les mémoires occidentales en ont gardé l’image immortalisée, entre autres, par le photographe de l’Associated Press Jeff Widener, le 5 juin. Aujourd’hui, comme l’écrit la journaliste Louisa Lim dans un ouvrage fondé sur des témoignages d’acteurs (1), « les dirigeants chinois ont réussi à transformer le site de la honte nationale en un lieu de fierté nationale » en y organisant « la cérémonie quotidienne de levée des drapeaux qui est devenue une célébration solennelle de l’identité nationale de la Chine » depuis 1991.

Le retentissement mondial des manifestations puis de leur répression a longtemps conduit à minorer, voire à ignorer ou à oublier les « autres Tiananmen » qui eurent lieu en dehors de la capitale, comme la répression dans la ville de Chengdu, dans le centre-ouest de la Chine. Pourtant les observateurs présents sur place eurent immédiatement conscience de l’ampleur nationale de la contestation qui gagna les villes provinciales de Chengdu, Xian, ou Changsha. Depuis trente ans, les événements nous sont mieux connus grâce aux sources diplomatiques désormais accessibles, en particulier en France, grâce aussi aux témoignages des acteurs de l’époque.

Le trouble de Gorbatchev

Si Tiananmen continue à obséder les mémoires occidentales, c’est qu’il s’inscrivit dans la conjoncture exceptionnelle de l’année 1989, marquée par le bicentenaire de la Révolution française, la chute du mur de Berlin et le renversement de l’un des derniers régimes communistes en Europe, la Roumanie de Ceausescu.

Homme-passerelle entre cette Europe en mouvement et l’Asie : Mikhaïl Gorbatchev. Quatre ans plus tôt, il a été nommé secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Avec lui, c’est une équipe formée dans la période khrouchtchévienne qui accède au pouvoir, entend réformer le pays et modifier les grandes orientations de la politique extérieure. Il est attendu en Chine depuis février 1989. La visite promet d’être historique : la première depuis celle de Nikita Khrouchtchev en septembre 1959 et la rupture des relations entre les deux grands États communistes en 1960.

A son arrivée à Pékin le 15 mai, les manifestations qui ont pris leur essor un mois auparavant sur la place Tiananmen entrent dans une phase nouvelle : deux jours plus tôt, les étudiants ont débuté une grève de la faim. Une lettre avec 6 000 signatures a été remise à l’ambassade soviétique, demandant au nouveau dirigeant soviétique de partager son expérience de réformateur socialiste. Les manifestants en appellent à une « perestroïka chinoise ». Les deux parties, chinoise et soviétique, peinent à dissimuler leur trouble aux journalistes présents. « Je ne veux pas que la place Rouge ressemble à la place Tiananmen », murmure Gorbatchev. Comment en est-on arrivé là ?

Un mois plus tôt, le 15 avril 1989, la mort de Hu Yaobang d’une crise cardiaque, en pleine réunion du bureau politique, a déclenché une crise politique. Ce vétéran de la Longue Marche, proche de Deng Xiaoping depuis les années 1930, avait orchestré la démaoïsation après la disgrâce de Hua Guofeng, successeur éphémère de Mao. Hu a dirigé le Parti communiste chinois (PCC )de 1981 à janvier 1987, date de son limogeage qui suscita déjà des manifestations étudiantes de grande ampleur. Deng avait confié la poursuite du mouvement de réformes à Zhao Ziyang, nouveau secrétaire général du PCC, et Li Peng avait alors succédé à Zhao comme Premier ministre. Le chef de l’État était Yang Shangkun tandis que Deng continuait à présider la Commission militaire centrale de l’État. A ce poste, il est en réalité le véritable numéro un du régime, sans être ni chef du Parti ni chef de l’État.

A l’annonce de la mort de Hu Yaobang, les étudiants de l’université de Beida commencent à se rassembler devant le monument aux héros du peuple sur la place Tiananmen. L’émotion qu’ils manifestent n’est pas sans rappeler celle qui s’empara des Chinois à la suite du décès de l’ancien Premier ministre Zhou Enlai en janvier 1976. Comme en écho, les étudiants de Pékin dressent des couronnes funéraires à Hu en ce printemps 1989, des messages parviennent des universités de Shanghai et de Tianjin. Le 19 avril, les élèves de l’Institut des beaux-arts accrochent un portrait géant de Hu sur le monument, face au portrait de Mao. Ils apostrophent Li Peng et, lors des harangues, les changements en cours en Pologne et en Union soviétique sont publiquement évoqués.

Le mouvement prend de l’ampleur : dans la nuit du 21 au 22 avril, la place Tiananmen est occupée par 200 000 étudiants. Charles Malo, ambassadeur de France, observe qu’« un jeune assistant à Beida appelait à une réflexion sur les évolutions constatées en Europe de l’Est et citait les élections directes en Union soviétique, la légalisation de Solidarité en Pologne et les ébauches de multipartisme. D’autres acclament le nom de Mikhaïl Gorbatchev, attendu à Pékin dans quelques semaines ».

Les funérailles de Hu Yaobang ont lieu le samedi 22 avril 1989. Elles sont suivies d’émeutes violentes à Xian (Shaanxi) et Changsha (Hunan) : policiers blessés, voitures et immeubles incendiés, magasins pillés attestent l’exacerbation des tensions. Pour le pouvoir, l’urgence est de couper court à la contestation à la veille du 70e anniversaire du « mouvement du 4 mai ». En effet, le 4 mai 1919, au moment où se tenait, à l’autre bout du continent, la Conférence de la paix de Paris, 3 000 étudiants avaient, déjà, manifesté à Pékin, sur la place Tiananmen. Ce mouvement avait alors été perçu, en partie, comme l’expression de l’émergence en Chine d’une conscience patriotique opposée aux Occidentaux comme aux Japonais.

Les ferments de la crise

Comment expliquer la nouvelle crise ? Tout d’abord, il existe des ferments d’instabilité au sein de la société chinoise avivés par le processus de modernisation enclenché en 1978, fondé sur l’ouverture du pays à l’Occident et à ses entreprises. Les réformes économiques suscitent d’importants mouvements migratoires de populations rurales. Elles proviennent des provinces intérieures du Hunan, du Sichuan, du Henan et du Guangxi et se dirigent vers les grands centres urbains et régions côtières en expansion. La réforme a été très brutale pour les laissés-pour-compte : petits paysans, citadins, et aussi intellectuels, étudiants, professeurs, fonctionnaires, dont les conditions de vie n’ont cessé de se détériorer. La corruption et la spéculation avivent les tensions.

En outre, on assiste, au printemps 1989, à un nouvel essor de la contestation démocratique, après le mouvement avorté de novembre 1978 du « mur de la démocratie », marqué par le dazibao (affiche à grands caractères) de Wei Jingsheng réclamant la « cinquième modernisation : la démocratie ». Les intellectuels exigent la libération des porte-parole de ce mouvement détenus depuis dix ans, à commencer par Wei, condamné à quinze ans de prison en octobre 1979, et, d’une façon générale, la libéralisation du régime, en s’appuyant sur l’exemple donné par Gorbatchev.

Parmi les militants les plus ardents, l’astrophysicien chinois Fang Lizhi, exclu du Parti début 1987, avait fait paraître une lettre ouverte le 6 janvier, demandant l’amnistie politique « à l’occasion du 40e anniversaire de la fondation de la République populaire, du 70e anniversaire du mouvement du 4 mai 1919 et aussi du bicentenaire de la Révolution française ». Tous ne sont pas des dissidents de longue date, mais le mouvement du printemps 1989 fédère le mécontentement des anciens activistes du « mouvement démocratique » de l’hiver 1978-1979 et les anciens étudiants qui avaient manifesté à l’hiver 1986.

Le pouvoir est également stupéfait de voir, pour la première fois sur une échelle significative, la presse officielle se retourner contre lui : à partir du 4 mai, Le Quotidien du Peuple, rejoint par l’agence Chine nouvelle et des centaines d’autres journalistes, s’associe aux étudiants pour réclamer le droit de « dire la vérité ».

Avant même la visite du dirigeant soviétique, une autre rencontre, moins médiatisée, a lieu à Pékin, le 9 mai : celle du président de la République islamique d’Iran Ali Khamenei. Elle est la première visite jamais rendue par un chef d’État iranien à la République populaire de Chine et elle marque l’essor de la coopération militaire entre les deux États. Mais elle montre aussi que la contestation est étendue aux musulmans (14 millions de musulmans chinois, dont la majorité vit dans l’extrême nord-ouest de la Chine). En marge de cette rencontre, les étudiants ouïgours réclament au pouvoir la liberté religieuse.

Dans ce contexte de libération de la parole, les étudiants entament une grève de la faim le 13 mai. Les autorités paraissent d’abord un peu désorientées. La crise fait éclater au grand jour le débat entre les réformistes (Hu Yaobang, Zhao Ziyang) et les caciques (Li Peng, Yao Yilin) qui perdurait depuis la victoire de Deng Xiaoping sur le successeur désigné de Mao, Hua Guofeng, et que le limogeage de Hu Yaobang avait aggravé. Elle révèle que la contestation s’est installée au coeur du régime. La révolte se manifeste à l’intérieur du système, conduite par des jeunes gens dont beaucoup sont fils ou filles de l’élite dirigeante, et en cela s’inscrit dans une tradition spécifique. Comme le souligne le sinologue Jean-Philippe Béja (2), la plupart des animateurs des mouvements d’opposition sont soit des membres du Parti, soit des personnalités qui en étaient proches.

La crise du printemps 1989 se cristallise sur le débat qui oppose Zhao Ziyang et Li Peng. Les deux hommes acceptent encore de se rendre ensemble dans un hôpital, le 18 mai, pour rencontrer de jeunes grévistes hospitalisés, puis le lendemain directement sur la place. Le visage de Zhao en larmes déclarant « Nous arrivons trop tard » révèle alors les tensions internes du Parti.

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La « méthode Jaruzelski »

Dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 mai, le Premier ministre chinois Li Peng recourt à ce que l’on appelle alors la « méthode Jaruzelski », du nom du dernier dirigeant du régime communiste polonais : la manifestation d’une force militaire massive assortie d’un décret instaurant la loi martiale à partir du samedi 20, à 10 heures à Pékin. Interdiction est faite aux journalistes chinois et étrangers de couvrir les événements. Zhao semble avoir disparu de la scène politique. Dernier acte de défi : le 29 mai, une Déesse de la démocratie, que les diplomates français saluent comme la réplique de la statue de la Liberté de New York, commence à être érigée sur la place, face à la Cité interdite, par les étudiants des Beaux-Arts.

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Mais, dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, les troupes du régime s’emparent de la place, sous l’égide de la 27e armée, une unité commandée par le fils du chef de l’État, secondées par des troupes venues de Mongolie, de Mandchourie, du Sichuan et du Shandong, et encore de Tianjin et Nankin. « La farce a pris fin, écrit Charles Malo. C’est une nuit tragique que Pékin vient de vivre. Utilisant des chars, des véhicules blindés, de l’artillerie, des lance-flammes et des armes automatiques, l’armée, après avoir fait sauter les barrages, a nettoyé dans la nuit la place Tiananmen et fait disparaître la fameuse statue de la Liberté érigée par les étudiants. »

Dès le 4 juin, la presse officielle est placée sous haute surveillance. La presse de province est aussi mise au pas. « Une journaliste de la chaîne centrale de télévision s’est habillée de noir pour présenter le journal télévisé avant de disparaître totalement du petit écran », raconte Jean-Marie Schuh, conseiller de presse à l’ambassade de France.

Le 9 juin Deng, qui avait disparu au lendemain du départ de Gorbatchev, réapparaît. Les journalistes ont été assignés à résidence ou envoyés dans des « unités de travail ». La censure s’abat aussi sur la presse étrangère. Les relations du service de presse de l’ambassade de France avec les journalistes chinois se sont considérablement réduites. Parmi les correspondants de presse permanents français, le chef de poste de l’AFP a dû écrire une autocritique pour récupérer sa carte de résident confisquée, le correspondant des Dernières Nouvelles d’Alsace a été critiqué publiquement pour fabrication de rumeurs...

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Enfin, les premières exécutions sommaires ont lieu à la mi-juin : le 21 juin, trois ouvriers de Shanghai sont exécutés après avoir été reconnus coupables de « sabotage des moyens de transport et d’équipement », c’est-à-dire d’avoir incendié un train qui avançait sur des manifestants bloquant la voie. A coups de publications et de reportages télévisés spectaculaires, montrant les corps suppliciés par les manifestants de soldats chinois, le pouvoir donne sa propre version des événements. Zhao est destitué lors d’une réunion du PCC les 23-24 juin à Pékin et remplacé par Jiang Zemin.

Le monde stupéfait

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Au lendemain de la répression, les opinions publiques sont stupéfaites. Les journaux consacrent leur première page à l’écrasement par l’armée des manifestations étudiantes. En France, l’éditorial d’André Fontaine, dans Le Monde du 6 juin, dénonce « la logique du despotisme »« Communistes ou pas, chinois ou pas, écrivait-il, on ne compte pas les gouvernements qui ont fait tirer sur une foule désarmée. Mais à Pékin, à la différence de Budapest 1956 ou de Prague 1968, nul pouvoir étranger ne s’en est mêlé : les étudiants et le peuple de la capitale ont été massacrés par une armée qui, jusque dans son nom, « Armée populaire de libération », se prétend leur émanation. »

Dès le 4 juin, les États occidentaux, à commencer par la France, condamnent haut et fort la répression. François Mitterrand appelle au dialogue et proclame : « Un régime qui pour survivre en est réduit à faire tirer sur la jeunesse qu’il a formée et qui se dresse contre lui au nom de la liberté n’a pas d’avenir. » Dans l’Europe socialiste, les réactions divergent. Tandis que la République démocratique allemande maintient une solidarité sans faille avec la RPC, le gouvernement hongrois est sans doute le plus solidaire des étudiants chinois. La télévision hongroise condamne sans équivoque la répression.

Le Conseil européen de Madrid adopte le 27 juin 1989 une Déclaration sur la Chine condamnant la répression brutale et mettant l’accent sur le respect des droits de l’homme, au coeur du soutien apporté par la Communauté européenne à la politique d’ouverture. Il adopte une série de sanctions diplomatiques et économiques, demandant aussi l’ajournement de l’examen de nouvelles demandes d’assurance-crédit et de nouveaux prêts par la Banque mondiale. La relation des autorités chinoises avec les États occidentaux se tend, même si Deng communique rapidement sur le maintien de l’« ouverture » de la Chine.

Cependant, dans le secret des échanges diplomatiques, les prises de position des Européens sont nettement plus nuancées. L’Allemagne en particulier, qui a posé dans les années 1980 les fondements d’une relation privilégiée avec la RPC, prône des mesures équilibrées. Le secrétaire d’État à l’Auswärtiges Amt (Affaires étrangères), Helmut Schäfer, se prononce contre des sanctions qui aggraveraient les tensions : il estime qu’il ne faut pas fermer l’Institut Goethe à Pékin, ni cesser la coopération scientifique et technique avec la Chine. Le ministère de l’Économie se place en retrait : pour lui, les entreprises allemandes doivent définir elles-mêmes leur stratégie à l’égard de la Chine.

La France, très en pointe dans la défense des droits de l’homme, est divisée quant à l’adoption de mesures punitives. Elle est notamment tenue par l’agenda diplomatique et la Conférence internationale sur le Cambodge qu’elle organise. Il s’agit donc prioritairement de « préserver, sur ce dossier, un dialogue franco-chinois discret, à Paris et à Pékin ». La future affaire des frégates de Taïwan se noue. Les milieux industriels de l’armement poussent à entrer en relation avec Taïwan avec le soutien d’une partie des pouvoirs publics français, suscitant le mécontentement du Quai d’Orsay. En outre, en France et encore plus en Allemagne et en Europe centrale, on craint la contamination contre-révolutionnaire et le recours à la force par des régimes communistes de plus en plus contestés par leurs peuples en ce printemps 1989.

La France a aussi été l’un des pays où la société civile a été très mobilisée. Le consulat général de France à Hongkong est chargé, le 7 juin 1989, d’examiner favorablement les possibles demandes d’asile de dissidents chinois ou de personnalités importantes de l’opposition. Mouvement associatif et pouvoirs publics convergent alors vers un soutien aux dissidents, mais divergent sur les modalités de ce soutien.

Le 10 juin, le consulat doit faire face à une initiative unilatérale de Médecins sans frontières (MSF), montée avec le Nouvel Observateur et SOS RacismeL’ONG a affrété un avion-cargo de la British Airways qui doit arriver le 11 juin avec à son bord 20 tonnes de médicaments non périssables et de petit matériel chirurgical destinés à être acheminés à Pékin. On attend aussi une dizaine de membres de MSF dont son responsable Rony Brauman. Le consulat redoute que la dimension médiatique de l’opération et son amateurisme ne nuisent aux dissidents. L’Avion de la Vie affrété par MSF arrive pourtant le 12 juin et le consulat organise une réunion informelle. La réexpédition vers la Chine continentale semble très compromise. En définitive, sur 24 tonnes de médicaments et matériels divers, 6 tonnes sont délivrées à Shanghai et 1 tonne à Canton à des institutions hospitalo-universitaires, mais les 17 autres, destinées à Pékin, et qui étaient bien arrivées dans cette ville, n’ont pu y être écoulées et sont réexpédiées vers la France.

En France même, les associations se mobilisent. Le Comité international contre la répression en Chine, dont Gilles Hertzog assume le secrétariat, envoie le 22 juin une pétition au Quai d’Orsay, signée, entre autres, par Pierre Bergé, Lucien Bodard, Henri Cartier-Bresson, Bernard-Henri Lévy, Philippe Sollers ou encore Michelangelo Antonioni et Steven Spielberg.

Surtout, autorités françaises et associations sont à la manoeuvre pour exfiltrer, en toute discrétion cette fois-ci, les principaux dirigeants du mouvement étudiant de Chine. L’opération Yellow Bird est montée avec le soutien de Paul Jean-Ortiz, conseiller d’Edwige Avice, et de Claude Martin, directeur d’Asie au Quai d’Orsay. La France accueille nombre de dissidents, à commencer par l’un des leaders étudiants les plus charismatiques de ce printemps chinois, l’Ouïgour Wuer Kaixi, qui avait marqué l’opinion par son porte-voix, d’où sortait sa voix toujours plus enrouée. Exfiltré vers Hongkong lors de l’opération Yellow Bird et accueilli par le consul général adjoint français Jean-Pierre Montagne, il fonde à Paris la Fédération pour la démocratie en Chine (FDC) le 24 septembre.

Liu Xiaobo n’a pas cette chance. Le futur prix Nobel de la paix, décédé en 2017, fait partie des étudiants grévistes de la faim et il est arrêté le 6 juin et inculpé le 24 novembre 1990 aux côtés de Wang Dan et de quatre autres opposants. A Hongkong, les événements de la place Tiananmen ont eu un énorme retentissement et ont contribué à la naissance d’un sentiment identitaire inédit, un « sentiment d’intimité avec le continent, ou plutôt la mère patrie », comme l’expriment les diplomates français.

Tiananmen a marqué une étape dans le débat sur la conception universelle des droits de l’homme. Les critiques qui se sont exprimées depuis 1945, dans le cadre de la guerre froide, sur la primauté accordée aux droits civils et politiques sur les droits économiques et sociaux (et qui ont conduit à la reconnaissance de ces derniers en 1966 par l’ONU) sont reprises, à partir des années 1990, par les États asiatiques, en premier lieu Singapour, gouverné d’une main de fer par Lee Kuan Yew, et la RPC. Ces deux régimes dictatoriaux ne reposent pas sur la même idéologie mais affirment la singularité des « valeurs asiatiques ». Au lendemain de la répression de Tiananmen, cette conception est défendue par les dirigeants chinois dans les grandes enceintes internationales et dans les rencontres avec les représentants occidentaux. La Commission des droits de l’homme de l’ONU est un lieu privilégié par la diplomatie chinoise pour cet exercice.

Dans ce contexte, deux États comme la Chine et l’Iran, qui se reconnaissent un même passé de grandeur, puis d’oppression coloniale par l’Occident, se rapprochent dans le même refus d’adhérer aux valeurs et institutions occidentales. Le soutien apporté par l’Iran à la Chine au moment de la répression de Tiananmen s’inscrit dans la cimentation plus générale et quasi immédiate d’un ordre alternatif au Nouvel Ordre mondial que les Occidentaux, et en particulier les États-Unis du président George H. W. Bush, dans son discours au Congrès du 11 septembre 1990, entendent reconstruire à la suite de la chute de l’empire soviétique. L’ordre international se recompose et la Chine entend y tenir toute sa place.

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Notes

  1. L. Lim, The People’s Republic of Amnesia. Tiananmen Revisited, Oxford, Oxford University Press, 2014.
  2. J.-P. Béja (dir.), The Impact of China’s 1989 Tian’anmen Massacre, Londres-New York, Routledge, 2010.

Image : La place Tiananmen, 11 mars 2004.
Yo Hibino from Lafayette IN, United States [CC BY 2.0] via Wikimedia Commons.

L’AUTEURE

Professeure d’histoire des relations internationales à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, Laurence Badel a notamment codirigé avec Claude Hauser, Pierre Journoud et Pierre Singaravélou, « Le dialogue Asie-Europe, XIXe-XXIe siècle », Relations internationales n° 167-168 (PUF, 2016). Ses travaux en cours portent sur l’évolution des pratiques diplomatiques européennes depuis deux siècles.

 

Dazibao

Affiche placardée et rédigée à la main par un citoyen. Tradition impériale, les dazibaos refont leur apparition en 1957, puis lors de la Révolution culturelle, où ils suffisent à mettre fin à une carrière. Utilisés illégalement pour le débat, ils contribuent à véhiculer une information non officielle. En 1978, un « mur de la démocratie » s’érige à Pékin. Malgré la répression, cette pratique n’a pas disparu.

 

LE BILAN DE LA RÉPRESSION

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Le débat sur les chiffres des victimes de la répression du printemps chinois a été relancé par la publication, sur le site du news website HK01 le 22 décembre 2017, d’un télégramme adressé le 5 juin 1989 par Alan Donald, ambassadeur du Royaume-Uni à Pékin, à son gouvernement et qui se conclut ainsi : « Estimation minimale des morts civils 10 000. » Sa source aurait été un membre du Conseil d’État chinois. A l’époque, le gouvernement chinois parla d’environ 200 morts civils. Le Quai d’Orsay fit état le 6 juin de 1 500 tués et de plus de 10 000 blessés. Un rapport de MSF de novembre 1989 évoqua les bruits faisant état de 10 000 morts et de 30 000 blessés. Trente ans après, les chiffres exacts de la répression demeurent inconnus. Ci-dessus : une capture d’écran de la télévision d’État chinoise du 1er juin 1989 montre l’arrestation d’un manifestant, emmené en procès. L. B.

 

DANS LE TEXTE

Tiananmen, 19 mai 1989

La grève de la faim venait de se terminer mais des milliers de Pékinois continuaient d’occuper la place qui, pour nous tous, appartenait au peuple. […] Par endroits, des tentes improvisées formaient des campements spontanés. On criait, on discutait, certains même chantaient. […] On savait que le gouvernement pouvait d’un instant à l’autre prononcer la loi martiale mais, en même temps, les gens étaient très déterminés à poursuivre longtemps le mouvement. »

Cai Chongguo, J’étais à Tiananmen, L’Esprit du temps, 2009, p. 38.

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BATAILLE D'AMIENS (AOUT 1918), GUERRE MONDIALE 1914-1918, HISTOIRE DE FRANCE, HISTOIRE DU XXè SIECLE

La bataille d’Amiens (août 1918)

Bataille d’Amiens (1918)

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La bataille d’Amiens ou bataille de Montdidier eut lieu du 8 au 11 août 1918, pendant la 3e bataille de Picardie sur le front occidental, en France. Après les victoires allemandes du printemps, elle fut la suite de la seconde bataille de la Marne qui marqua, en juillet, le renversement décisif de la guerre sur le front ouest. Les troupes alliées pour la première fois depuis 1914 commencèrent à prendre un ascendant décisif sur les troupes allemandes. Ce fut la première des batailles victorieuses qui se succédèrent rapidement dans ce qui fut plus tard nommé « l’offensive des Cent Jours », jusqu’à l’armistice.

 

Contexte historique

La signature du traité de Brest-Litovsk avec la Russie permit aux Allemands de transférer des centaines de milliers d’hommes vers le front occidental. Hindenburg et Ludendorff prévoyaient de lancer plusieurs offensives concrétisant cet avantage et de le transformer en victoire avant l’arrivée en ligne des troupes américaines.

Le 21 mars 1918, l’Empire allemand lança l’opération Michael , la première d’une série d’attaques par lesquelles il espérait percer les lignes alliées en plusieurs endroits du front occidental.

L’opération Michael avait pour but de couper le front en deux en perçant l’aile droite de la Force expéditionnaire britannique pour repousser ces derniers vers les ports du Pas-de-Calais et les troupes françaises vers Paris. Après des succès initiaux, l’offensive s’enlisa devant Arras.

Un dernier effort fut tenté contre la ville d’Amiens, nœud ferroviaire vital, mais l’avance allemande fut arrêtée à Villers-Bretonneux le 4 avril par les Australiens, appuyés par toutes les unités disponibles amenées La bataille du Haamel du 4 juillet 1918 avait montré la supériorité des Alliés.

À l’issue de l’offensive Marne-Reims, les Allemands perdirent leur supériorité en effectifs et leurs troupes étaient épuisées. Foch qui commandait en chef les troupes alliées, ordonna une contre-offensive qui aboutit à la deuxième bataille de la Marne. Les Allemands, se rendant compte que leur position était intenable, se retirèrent de la Marne vers le nord. Foch décida alors de faire passer les Alliés à l’offensive.

 

Champ de bataille

Le champ de bataille s’étendait de la ville d’Albert à la ville de Montdidier de part et d’autre de la Somme.

Les troupes anglaises se trouvaient entre la ville d’Albert et le canal de la Somme reliant Amiens à Péronne. La IVe armée britannique du général sir Henry Rawlinson était répartie sur 25 km de front, elle était formée de 7 divisions et de 4 divisions de réserve. La IIe armée du général Georg von der Marwitz était déployée entre la ville d’Albert et le canal de la Somme, elle était formée de 10 divisions et de 4 divisions de réserve.

Au sud du canal était placée la XVIIIe armée allemande du général Oskar von Hutier formée de 12 divisions et de 4 divisions de réserve.

Entre le canal et la ligne de chemin de fer Amiens-Laon se trouvaient les Australiens du lieutenant-général John  Monash et les Canadiens.

Au sud de la ligne de chemin de fer se trouvait la Ière armée française du général Eugène Debeney, elle était formée de 8 divisions et de 4 divisions de réserve.

 

Déroulement de la bataille

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Le corps expéditionnaire britannique du maréchal sir Douglas Haig dirigeait l’offensive appelée bataille d’Amiens. L’attaque était destinée à libérer une large partie de la ligne de chemin de fer entre Paris et Amiens, occupée par les Allemands depuis l’opération Michael menée au mois de mars.

L’offensive fut déclenchée à 4 h 20 du matin et put avancer méthodiquement sur un front de 25 km. L’attaque précédée par un bref tir de barrage et plus de 400 tanks, survolés par de nombreux avions, ouvrait l’avancée des 11 divisions britanniques engagées dans la première phase de l’assaut. Du côté français, les moyens mis en œuvre étaient plus faibles, la 1re armée française déclencha une préparation d’artillerie de 45 minutes avant le début de l’attaque.

Le comportement de l’armée allemande donnait des signes de faiblesse, certaines unités en première ligne fuirent les combats sans opposer beaucoup de résistance, d’autres, quelque 15 000 soldats, se rendirent rapidement et 2 000 pièces d’artillerie furent capturées. Le lendemain, de nombreux autres soldats allemands furent faits prisonniers. Quand la nouvelle parvint au général Ludendorff, chef d’état major général adjoint, il qualifia le 8 août de « jour de deuil de l’armée allemande ».

Le 10 août, la bataille d’Amiens-Montdidier évolua vers le sud du saillant tenu par les Allemands. La Ière armée française, avec à sa droite la 3e armée (Humbert) en direction de Lassigny, se dirigea sur Montidier, elle força les Allemands à abandonner la ville et permit la réouverture de la ligne de chemin de fer Amiens-Paris..

 

Bilan

L’attaque franco-britannique fut un succès. Au soir du 8 août, les Canadiens avaient avancé de treize kilomètres, ils s’illustrèrent notamment lors de la prise du village du Quesnel ; les Australiens avancèrent de onze kilomètres ; les Français, de huit kilomètres ; et les Britanniques, de trois. La nouvelle ligne de front passait par les villages de Chipilly, Harbonnières et Beaucourt-en-Santerre   soit 12 km plus à l’est. Les troupes françaises quant à elles avaient progressé de 8 km à l’intérieur des lignes allemandes et atteignaient les villages de Villiers-aux-Erables et La Neuville-Sire-Bernard.

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Cependant, les résultats de la bataille d’Amiens du 8 août étaient les plus importants depuis le début de la guerre pour les Alliés : la

défaite allemande était nette. Les pertes allemandes s’élevaient à 40 000 hommes mis hors de combat et 33 000 prisonniers ;

les pertes françaises et britanniques totalisaient 46 000 soldats.

À partir du 12 août, la résistance allemande se fit de plus en plus forte, la première phase de l’offensive arrivait à son terme.

 

Opération du mois de septembre

La bataille d’Amiens terminée, les Alliés déclenchèrent la seconde bataille de la Somme.

30 août-2 septembre

Le repli des troupes allemandes du saillant à l’est d’Amiens était menacé par les attaques répétées des forces franco-britanniques. Les troupes australiennes et néo-zélandaises qui parvenaient à traverser la Somme prirent Péronne et Saint-Quentin. Plus tard, la prise de Quéant obligea les Allemands à abandonner la ligne Hindenburg  , d’où ils avaient lancé leur offensive du printemps début mars.

 

3-10 septembre

Poursuivis de près par les forces franco-britanniques, les Allemands achevèrent leur repli d’Amiens et occupèrent à nouveau la ligne Hindenburg. Les Britanniques ne purent plus poursuivre leur attaque en raison d’un manque de réserves. La bataille d’Amiens prit donc fin.

Les Britanniques et les Français subirent quelques 42 000 pertes, mais les Allemands perdirent plus de 100 000 soldats, dont 30 000 prisonniers. Le général Erich Ludendorff, chef d’état major général adjoint allemand, acquit la conviction que l’Allemagne ne pouvait plus gagner la guerre.

 

Décoration

MONTDIDIER 1918 est inscrit sur le drapeau des régiments cités lors de cette bataille.

Source : Wikipédia

AFFICHE ROUGE, GROUPE MANOUCHIAN, GUERRE MONDIALE 1939-1945, HISTOIRE DU XXè SIECLE, RESISTANCE FRANÇAISE

L’Affiche rouge et le groupe Manouchian

L’Affiche rouge

Paris+–+1944+Centre+de+propagande+antibolchevique

L’Affiche rouge est une affiche de propagande placardée en France à plus de 15 000 exemplaires par le régime de Vichy et l’occupant allemand, dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans-Main-d’œuvre –Immigrée (FTP*MOI), résistants MOI), résistants de la région parisienne, suivie de leur exécution, le 21 février 1844.

 

L’affiche rouge

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

 

Histoire

Description

L’affiche comprend :

une phrase d’accroche : « Des libérateurs ? La Libération par l’armée du crime ! » ;

les photos, les noms et les actions menées par dix résistants du groupe Manouchian :

« Grywaczz – Juif polonais, 2 attentats » ;

« Elek – Juif hongrois, 8 déraillements » ;

«Wasjbrot (Wajsbrot)  – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements » ;

« Witchitz– Juif hongrois, 15 attentats » ;

«Fingerweig  – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements » ;

«Boczov   – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats » ;

«Fontanp (Fontano)  – Communiste italien, 12 attentats » ;

« Alfonso– Espagnol rouge, 7 attentats » ;

« Rajman– Juif polonais, 13 attentats » ;

« Manouchian – Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés » ;

six photos d’attentats ou de destructions, représentant des actions qui leur sont reprochées.

Cette affiche a été créée par le service de propagande allemande en France. La mise en page marque une volonté d’assimiler ces dix résistants à des terroristes : la couleur rouge et le triangle formé par les portraits apportent de l’agressivité ; les six photos en bas, pointées par le triangle, soulignent leurs aspects criminels.

La Bibliothèque nationale de France   conserve trois exemplaires de cette affiche dans deux formats : 152 × 130 cm, et 118 × 75 cm.

L‘affichage partout dans Paris fut accompagné par la diffusion large d’un tract reproduisant :

au recto, une réduction de l’affiche rouge ;

au verso, un paragraphe de commentaire fustigeant « l’Armée du crime contre la France ».

Les dimensions de ce tract sont de 22 × 26 cm3.

 

Le réseau Manouchian

Le réseau Manouchian était constitué de 23 résistants communistes, dont 20 étrangers et une femme, des Espagnols rescapés de Franco, enfermés dans les camps français des Pyrénées,   des Italiens résistant au fascisme, Arméniens, Juifs surtout échappés à la rafle du d’Hiv de juillet 1942 et dirigé par un Arménien, Missak Manouchian. Il faisait partie des Francs-tireurs et partisans-Main d’œuvre immigrée..

Ils sont arrêtés en novembre 1943 et jugés en février 1944, condamnés à mort le 21 février 1944. Les 22 hommes sont fusillés le même jour au fort du Mont-Valérien. La plupart d’entre eux sont enterrés dans le cimetière d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où une stèle a été érigée en leur mémoire. Olga Bancic, la seule femme du groupe, est décapitée le 10 mai de la même année à Stugart, en application du manuel de droit criminel de la Wermacht interdisant alors de fusiller les femmes.

Bien des années après, en 1985, Stéphane Courtois et Mosco Boucault réalisent un documentaire, Des terroriste à la retraite. Ce long métrage accuse la direction de l’époque du Parti communiste français (PCF) d’avoir lâché voire vendu le groupe Manouchian.

Un documentaire diffusé sur France 2 (mars 2007 veut contredire cette thèse, en suivant l’historien Denis Peschanski  , lequel s’appuie sur de nouveaux documents dans les archives russes, françaises (aux Archives nationales et à la préfecture de police) et allemandes. D’après ces documents d’archives ouverts récemment, la chute du réseau est le fruit du travail de la seule police française. Parmi les deux branches créées par les Renseignements généraux, la brigade spéciale BS 2 fit un travail de filatures pendant des mois. Lorsque Marcel Rayman commit avec Léo Kneler et Celestino Alfonso l’attentat du 28 septembre 1943, il abat le SS standartenfûhrer Julis Ritter délégué de Fritz Saukel pour la France et le superviseur du Service du travail obligatoire. Il était déjà suivi, depuis deux mois, et ce n’est que plus tard, à force de recoupements et au fil des arrestations, dont celle de Joseph Davidovitch   qui avoua sous la torture et fut libéré, que le groupe fut démantelé.

 

Production et diffusion

L’affiche sert à la propagande nazie qui stigmatisera l’origine étrangère de la plupart des membres de ce groupe, principalement des Arméniens, et des Juifs de l’Europe de l’Est. Elle aurait été placardée au moment du procès des 23 membres du groupe Manouchian,   affilié aux Main-d’œuvre-immigrée.  Pour Stéphane Courtois, Denis Pescanski et Adam Rayski, , elle est placardée avant l’ouverture du procès, entre le 10 et le 15 février 1944, mais pour Michel Wlassikoff, elle est placardée à partir du lendemain de l’exécution, le 22 février.

Pour Adam Rayski, l’existence d’un procès public, et l’allégation selon laquelle les accusés auraient comparu dans une salle d’audience dans un grand hôtel parisien, est un « énorme mensonge de la propagande allemande et vichyssoise ».

La chronologie proposée par Philippe Ganier-Raymond est tout autre : pour lui la séance de photographies et de tournage cinématographique à partir de laquelle a été constituée l’affiche a eu lieu le matin du 21 février et l’affiche est parue « un mois plus tard », c’est-à-dire « dans les premiers jours d’avril 1944 ». Mais cette chronologie est plus difficile à concilier avec la date du 11 février 1944, que l’Institut national de l’audiovisuel donne au document cinématographique « Deuil et appel à la répression après des attentats « terroristes »/ Obsèques de trois gardes du GMR », ainsi qu’avec les parutions clandestines qui mentionnent explicitement l’affiche rouge relativement tôt : le no 14 de mars 1944 des Lettres françaises et le tract publié par l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) en mars 1944.

L’éditeur de l’affiche, non mentionné explicitement sur celle-ci, serait, d’après Michel Wlassikoff, le Centre d’études antibolchéviques (CEA), affilié au Comité d’action antibolchévique (CAA) organisme français créé dans le sillage de la LVF en juin-juillet 1941 « épaulé par les publicistes des mouvements ultra et ceux du ministère de l’Information  de Vichy ». Cependant, le film Les Faits d’armes de la semaine, réalisé par la société Busdac en 1944, qui contient sous forme cinématographique les mêmes images des hommes de l’affiche rouge dans la cour de la prison de Fresnes, appartient, pour Jean-Pierre Bertin-Maghit, à la catégorie des « films documentaires allemands », et non à celle des « films commandités par le gouvernement de Vichy ».

L’affiche a été vue à Paris, à Nantes et à Lyon.. Certains auteurs parlent d’une diffusion dans toute la France, par exemple Philippe Ganier-Raymond écrit en 1975 que « les murs de France se couvraient de quinze mille affiches »,  Claude Lévy, en 1979, que l’affiche « apparaissait sur les murs des plus petits villages de France » et la plaquette de l’exposition Manouchian tenue à Ivry en 2004, affirme que celle-ci fut « largement placardée sur les murs des villes et des villages français », ce qui n’est guère différent du tract de mars 1944 de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide qui parle d’un affichage « sur les murs de toutes les villes et villages de France », mais qui, pris à la lettre, constituerait un tirage supérieur à 15 000 exemplaires.

 

Réception et influence

Les visages des résistants suscitent la sympathie et l’admiration4. De nombreux anonymes déposent des fleurs au pied des affiches et collent des bandeaux sur lesquels on peut lire : « Oui, l’armée de la résistance », « Morts pour la France », ou « Des martyrs ».

Témoignage de Simone de Beauvoir : « À Paris, les occupants ne collaient plus d’« Avis » aux murs; cependant ils affichèrent les photographies des « terroristes étrangers » qu’ils condamnèrent à mort le 18 février et dont vingt-deux furent exécutés le 4 mars : malgré la grossièreté des clichés, tous ces visages qu’on proposait à notre haine étaient émouvants et même beaux ; je les regardai longtemps, sous les voûtes du métro, pensant avec tristesse que je les oublierai. » (La Force de l’âge, p. 649)

 

Liste des membres du groupe Manouchian exécutés

La liste suivante des 23 membres du groupe Manouchian exécutés par les Allemands signale par la mention (AR) les dix membres que les Allemands ont fait figurer sur l’affiche rouge :

Celestino-Alfonso (AR), Espagnol, 27 ans

Olga Bancic, Roumaine, 32 ans (seule femme du groupe, décapitée en Allemagne le 10 mai 1944)

József Boczor; Wolff Ferenc (AR), Hongrois, 38 ans – Ingénieur chimiste

Georges Cloarec, Français, 20 ans

Rino Della-Negra, Italien, 19 ans

Elek Tamás (AR), Hongrois, 18 ans – Étudiant

Maurice Fingercwajq (AR), Polonais, 19 ans

Spartaco-Fontano (AR), Italien, 22 ans

Jonas Geduldig, Polonais, 26 ans

Békés (Glass) Imre, Hongrois, 42 ans – Ouvrier métallurgiste

Léon Goldberg, Polonais, 19 ans

Szlama-Grzywacz (AR), Polonais, 34 ans

Stanisla Kubacki, Polonais, 36 ans

Cesare-Luccarini, Italien, 22 ans

Missak Manouchian (AR), Arménien, 37 ans

Armenak-Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans

Marcel Rajman (AR), Polonais, 21 ans

Roger Rouxel, Français, 18 ans

Antoine Salvadori, Italien, 24 ans

Willy Shapiro, Polonais, 29 ans

Amédéo Usséglio, Italien, 32 ans

Wolf Wajsbrot (AR), Polonais, 18 ans

Robert Witchitz (AR), Français, 19 ans

 

 

Postérité

Le Journal officiel, du 13 juillet 1947, rend public un décret signé le 31 mars 1947 attribuant la Médaille de la résistance à titre posthume à Olga Bancic, Joseph Boczov, Georges Gloarek (sic), Thomas Elex (sic), Roger Rouxel, Antoine Salvadori, Salomon-Wolf Schapira (sic), Wolf Wajsbrot, Robert Witschitz, Amédéo Usseglio et Rino Della Negra.

En s’inspirant de la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme avant son exécution, Louis Aragon écrit le poème Strophes pour se souvenir en 1955, à l’occasion de l’inauguration de la rue du Groupe-Manouchain (20ème arrondissement de Paris).. Ce poème est mis en musique et chanté par Léo Ferré en 1959.. Depuis il a très souvent été repris par d’autres chanteurs. À l’initiative de Robert Badinter, une proposition de loi, votée le 22 octobre 1997 décide de l’édification d’un monument à la mémoire de tous les résistants et otages fusillés au fort du Mont-Valérien entre 1940 et 1944. Un monument, réalisé par le sculpteur et plasticien Pascal Convert, à la mémoire de ces 1 006 fusillés est inauguré le 20 septembre 2003.

 

Bibliographie

Monique Lise-Cohen, Jean-Louis Dufour (dir.) Les Juifs dans la Résistance, Éditions Tirésisas, 2001

Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski. Le Sang de l’étranger – Les Immigrés de la M.O.I. dans la Résistance, Fayard, 1989

Simon Cukier., David Diamant, Juifs révolutionnaires, éditions Messidor

Jean-Emmanuel Ducoin. (dir.), Groupe Manouchian – Fusillés le 21 février 1944 – Des héros, à la vie, à la mort, SIEP, Hors-série de l’Humanité, février 2007, Paris, 50 p. (avec le DVD La Traque de l’Affiche rouge et la reproduction de l’Affiche en poster : Groupe-Manouchian – Fusillés le 21 février 1944 – Des héros, à la vie, à la mort.

Guy Krivopissko (dir.), La Vie à en mourir – Lettres des fusillés, 1941-1944, éditions Taillandier, Paris, 2003

Philippe Garnier-Raymond. L’Affiche rouge, Fayard, Paris, 1975

Gaston Laroche. On les nommait des étrangers, Les éditeurs français réunis, Paris, 1965

Deni Pschanski. Des étrangers dans la résistance, l’Atelier, Paris, 2002

Jacques Ravine. La Résistance organisée des Juifs en France (1940-1944), Julliard, Paris, 1973

Adam Rayski. L’Affiche rouge, Mairie de Paris, 2003, 80 p. (Version originale : Immigranten und Judeninder französischen Résistance, Verlag Schwarze Risse, Berlin, 1994

Benoit Rayski., L’Affiche rouge, 21 février 1944 – Ils n’étaient que des enfants…, Le Félin, Dijon, 2004, 121 p.

Arsène Tchakarian, Les Francs-tireurs de l’Affiche rouge, Paris, 1986

Boris Holban. Testament – Après quarante-cinq ans de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle, Calmann-Lévy, 1989 

HISTOIRE DU XXè SIECLE, LITTERATURE BRITANNIQUE, LIVRES - RECENSION, RETOUR A KILLYBEGGS, SORJ CHALANDON (1952-....)

Retour à Killibeggs de Sorj Chalandon

Retour à Killibeggs

Sorj Chalandon

Paris, Grasset, 2011.  388 pages.

9782253164562-001-T

 

« Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L’IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n’ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j’en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j’enrage. N’écoutez rien de ce qu’ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m’avoir connu. Personne n’a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd’hui, c’est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu’après moi, j’espère le silence. »

Après avoir écrit Mon traitre Sorj Chalandon revient sur l’un des personnages de l’histoire d’Irlande durant la guerre qui oppose les irlandais catholiques  regroupés dans l’IRA (Armée Républicaine Irlandaise)  et le gouvernement britannique. On y retrouve tous les ingrédients de ce qui fait une lutte de civils contre un gouvernement considéré comme un « corps étranger » : attentats, action contre les intérêts britanniques, vie clandestine des membres de l’IRA.

A travers le personnage de Tyrone Meehan c’est l’histoire de Denis Donaldson qui est au cœur de ce roman. L’on suit avec sympathie ces terroristes qui luttent pour leur indépendance contre les britanniques, contre les unionistes protestants. Chassés de partout,  vivant tant bien que mal ils entrent dans l’IRA comme on entre en religion. Toutes ses années de luttes, de clandestinité  avec ses membres dans les prisons anglaises, ses morts, ses martyrs (surtout quand est évoqué la mort des prisonniers irlandais dans les prisons britanniques – comme Bobby Sands sous le gouvernement  de Margaret Thatcher après une longue grève de la faim.

Pourtant tout n’est ni tout noir ni tout blanc. Et tout comme Denis Donaldson Tyrone Meehan sera « retourné » par les services secrets britanniques quand ceux-ci découvriront qu’il a tué accidentellement l’un de ses chefs et amis. Pendant vingt années il va mentir à ses amis, jouer double-jeu en renseignant  les britanniques sur les activités de l’IRA. Au moment des accords de paix qui mettent fin officiellement à cette lutte en 1998 sous le mandat de Tony Blair il avoue tout : sa trahison, son double-jeu. Il se sait alors condamné par ses anciens amis qui ne lui pardonneront jamais sa trahison. Alors il retourne en Killibegg le village de son enfance ;  il y retourne avec ses souvenirs : souvenirs d’un père violent mais fier d’être irlandais, souvenirs de la misère après la mort du père, souvenirs de ses premières armes dans cette armée, souvenirs des attentats, souvenirs aussi des années de prisons.

Tyrone Meehan « le traitre » sera finalement assassiné en 2007 par un commando qui l’avait condamné à mort.C’est la vie et la mort d’un homme usé par tant de luttes et qui est las : « Je  n’en pouvais plus de cette guerre, de ces héros, de cette communauté étouffante. J’étais fatigué. Fatigué de combattre, de manifester, fatigué de prison, fatigué de clandestinité et de silence, fatigué des prières répétées depuis l’enfance, fatigué de haine, de colère et de peur, fatigué de nos peaux terreuses, de nos chaussures percées, de nos manteaux de pluie mouillés à l’intérieur. »

 

 Né en 1952, Sorj Chalandon est un écrivain et journaliste français. Après avoir travaillé pendant 34 ans à Libération, il devient membre de la rédaction du Canard enchaîné. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui ont valu le prix Albert-Londres en 1988. Il est notamment l’auteur du Petit Bonzi, d’Une promesse (prix Médicis en 2006), de Mon traitre, de La Légende de nos pères, de Retour à Killyberg (prix Goncourt des lycéens en 2013 et prix des lecteurs du Livre de Poche en 2015.)

CONCILE VATICAN II, HISTOIRE DE L'EGLISE, HISTOIRE DU XXè SIECLE

L’EGLISE RECONNAIT LA LIBERTE DE CONSCIENCE

L’Église catholique fête 50 ans de liberté religieuse

« Dignitatis humanae » en six mots

Ce texte reconnaît la place de la conscience individuelle dans l’appropriation de la vérité enseignée par l’Église.

QUE DIT LA DÉCLARATION « DIGNITATIS HUMANAE »?

« La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance ». Approuvée le 7 décembre 1965, la veille de la clôture du Concile Vatican II, par 2 308 voix contre 70, la déclaration Dignitatis humanae proclame solennellement que« la personne humaine a droit à la liberté religieuse. »L’homme doit être « exempt de toute contrainte », de telle sorte que, « en matière religieuse », il ne soit pas « forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir (…) selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres ».

C’est « en vertu de leur dignité », « parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre », que les hommes doivent disposer de « la liberté psychologique » et de « l’exemption de toute contrainte » en matière religieuse (n° 2). Une liberté qui s’applique même à l’intérieur de la communauté ecclésiale, comme en témoigne cette formule (n°3): « La vérité doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale. »

COMMENT L’ÉGLISE EN EST-ELLE ARRIVÉE LÀ?

Lorsque s’ouvre le concile Vatican II, une cinquantaine de pays font déjà référence à la liberté de religion dans leur Constitution. En 1948, l’Assemblée générale des Nations unies l’a également mentionnée dans sa Déclaration universelle des droits de l’homme.

« Pourtant, cette décision était loin d’être évidente au vu de l’enseignement des papes », relève le jésuite Dominique Gonnet (1). Dans son Syllabus de 1864 – Recueil renfermant les principales erreurs de notre temps – Pie IX n’avait-il pas classé comme telle l’opinion selon laquelle « il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État »?

La déclaration Dignitatis humanae elle-même le reconnaît : « La Révélation n’affirme pas explicitement le droit » à la liberté religieuse. Ce qui n’empêche pas les pères conciliaires de trouver des correspondances entre leur argumentation – dignité de tout homme, distinction entre l’ordre du religieux et celui du politique – et l’Évangile, dont ils citent des passages.

« Loin du ’sola scriptura’, le Concile entre dans un rapport plus dialectique avec l’Écriture, en recherchant plutôt une convergence avec elle », note le P. Luc Forestier, oratorien. Directeur de l’Institut d’études religieuses à l’Institut catholique de Paris, ce spécialiste de la liberté religieuse constate d’ailleurs de profondes résonances entre cette déclaration et des Constitutions du concile comme Dei Verbum, mais aussi Gaudium et Spes. À ses yeux, cette affirmation, par l’Église, de la liberté religieuse pour tout homme est l’une de ces « aide(s) que l’Église reçoit du monde d’aujourd’hui mentionnée au paragraphe 44 ».

Au passage, la déclaration Dignitatis humanae reconnaît d’ailleurs qu’il y a « eu parfois dans la vie du peuple de Dieu (…) des manières d’agir moins conformes » ou « même contraires à l’esprit évangélique »…

– QUELS ENSEIGNEMENTS POUR AUJOURD’HUI ?

Finalement, alors qu’elles étaient censées avoir moins d’« autorité » que les constitutions et les décrets conciliaires, les deux déclarations (Dignitatis humanae, sur la liberté religieuse, etNostra aetate, sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes) ont eu « des effets considérables pour la réception de Vatican II », estime Luc Forestier, qui y voit même « des clés pour comprendre les autres textes ».

Avec cette déclaration, l’Église catholique ne revendique plus une position dominante vis-à-vis de l’État, ni son intervention pour protéger ses intérêts. Cette avancée déterminante dans la manière de situer l’Église dans la société, et donc dans la communauté internationale, aura permis, quelques semaines plus tôt, le 4 octobre 1965, au pape Paul VI de prononcer un discours à l’ONU… Elle permettra quelques années plus tard au Saint-Siège d’être associé à la rédaction des accords d’Helsinki signés en 1975.

Cette affirmation du Concile d’une liberté religieuse « pour toutes les religions » résonne de manière très forte aujourd’hui, dans un monde marqué par les discriminations et les persécutions religieuses de toutes sortes, comme un appel lancé aux catholiques à agir et à s’engager. Y compris en France. « Dans un contexte de raidissement autour de la laïcité, nous devrions, nous catholiques, être les fers de lance pour permettre à tous les croyants de pratiquer leur culte, avance le P. Forestier. Y compris pour les musulmans, et même si nous ne sommes pas d’accord avec eux ».

« Dignitatis humanae » en six mots

Pour mieux comprendre « Dignitatis humanae », la déclaration du concile Vatican II sur la liberté religieuse, votée en 1965 sous la présidence de Paul VI, petit lexique en forme de décryptage

VÉRITÉ

Dignitatishumanae formule pour la première fois un compromis entre la nécessaire protection de la vérité – « cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique » (préambule) – et la liberté de conscience. L’objectif est clair : tous les hommes sont « par leur nature même et par obligation morale » tenus de« chercher la vérité », et, « dès qu’ils la connaissent », de« régler toute leur vie selon ses exigences ». Mais « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance »(§1). 

Autrement dit, et comme le résume Rik Torfs, « la vérité existe donc, et il faut y adhérer, mais aucune contrainte ne peut être exercée ». Ou si contrainte il y a – l’homme « doit » chercher – elle ne se situe qu’au plan moral et non juridique. « L’enseignement ou l’éducation », mais aussi « l’échange et le dialogue » sont quelques-uns des moyens proposés par l’Église pour y accéder (n° 3).

DIGNITÉ

« La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l’objet d’une conscience toujours plus vive ; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l’homme la possibilité d’agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité. » C’est par ces mots – qui lui donnent son nom – que s’ouvre la déclaration Dignitatis humanae. Cette dignité de la personne humaine, rappelle la seconde partie du texte sur la Révélation, découle de sa création par Dieu (n° 9). Elle implique, pour l’homme, la possibilité de « se conduire selon son propre jugement et jouir de sa liberté ». Autrement dit, « en vertu de leur dignité », les hommes sont « doués de raison et de volonté libre et, par suite, pourvus d’une responsabilité personnelle » (n° 2).

LIBERTÉ

« Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres » (n° 2). « La réponse de foi donnée par l’homme à Dieu doit être libre » (n° 10). 

La définition que donne Dignitatis humanae de la liberté religieuse est donc « essentiellement de nature négative : il s’agit de l’immunité de toute contrainte », relève le canoniste Rik Torfs, professeur à Louvain ( Revue de droit canonique, Tome 52, Strasbourg 2002). Elle est à la fois individuelle et collective (liberté des « familles » et des « communautés religieuses »).

La question, dont ont âprement débattu les évêques au concile, était de savoir si cette liberté était un simple droit « positif » que les gouvernements doivent accorder aux citoyens, ou bien un droit propre de la personne humaine, fondé sur sa dignité. Cette seconde conception a prévalu :« Ce n’est donc pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse » (§2). 

Par conséquent, les athées n’en sont pas exclus. Au passage, Dignitatis humanae reconnaît également la liberté du fidèle « de chercher la vérité en matière religieuse », soit sa liberté à l’intérieur de l’Église. 

CONSCIENCE/LOI DIVINE

La liberté proclamée par Dignitatis humanae est double : liberté de ne pas agir contre sa conscience, et liberté de pouvoir agir selon sa conscience (n° 2). Mais qu’est-ce que la conscience ? C’est le lieu où s’exprime la loi divine, répondent deux textes fondamentaux du concile Vatican II. « C’est par sa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les injonctions de la loi divine, c’est elle qu’il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités, pour parvenir à sa fin qui est Dieu », souligne d’abord Dignitatis humanae (n° 3). 

La constitution Gaudium et spes est plus précise encore : « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : “Fais ceci, évite cela”. » (n° 16). 

Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle donc l’obligation qu’ont les fidèles de « former» leur conscience : au moyen de la Parole de Dieu, des « dons de l’Esprit Saint », ou encore du« témoignage ou des conseils d’autrui ».

ORDRE PUBLIC

L’ordre public est la seule limite reconnue par Dignitatis humanae à la liberté religieuse. Dans son paragraphe 7, intitulé « Limites de la liberté religieuse », elle reconnaît à la société civile « le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse » et donc « au pouvoir civil (…) d’assurer cette protection ». 

Encore faut-il que soient « justes » les « exigences de l’ordre public (n° 2, 3 et 4) ! Le pouvoir civil ne doit donc pas agir « arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique ».

Le principe, conclut donc Dignitatis humanae, est celui « de la pleine liberté dans la société », la restriction devant rester l’exception (n° 7).

BIEN COMMUN

C’est au nom du « bien commun » que l’Église catholique défend – entre autres – le droit à la liberté religieuse. Ce bien commun de la société que Dignitatis humanae définit (n° 6) comme « l’ensemble des conditions de vie sociale permettant à l’homme de parvenir plus pleinement et plus aisément à sa propre perfection ». 

Une définition très proche de celle posée par Gaudium et spes (n° 26), à ce détail près que cette dernière inclut la possibilité pour des « groupes » d’atteindre leur perfection. Le bien commun étant de la responsabilité de tous les membres d’une société, « le soin de veiller au droit à la liberté religieuse incombe tant aux citoyens qu’aux groupes sociaux, aux pouvoirs civils, à l’Église et aux autres communautés religieuses, de la manière propre à chacun, en fonction de ses devoirs envers le bien commun ».amities4

HISTOIRE DU XXè SIECLE

MEIN KAMPF DE ADOLF HITLER

Mein Kampf

Mein Kampf (ou Mon combat, en français) est un ouvrage rédigé par Adolf Hitler entre 1924 et 1925 pendant sa détention à la prison de Landsberg, détention consécutive au putsch de la Brasserie, coup d’État manqué. Il contient des éléments autobiographiques, l’idéologie totalitaire, hégémonique, belliqueuse, raciste et antisémite du nazisme, l’histoire des débuts du NSDAP et diverses réflexions sur la propagande ou l’art oratoire.

Rédaction
Lors de son emprisonnement, Hitler dicte son texte à plusieurs de ses camarades emprisonnés, dont Rudolf Hess et Emil Maurice. Originellement intitulé : Viereinhalb Jahre [des Kampfes] gegen Lüge, Dummheit und Feigheit (« Quatre ans et demi [de lutte] contre les mensonges, la stupidité et la couardise »), l’ouvrage prend son titre définitif : Mein Kampf. Eine Abrechnung (« Mon Combat. Un bilan ») sur une idée de l’éditeur Max Amann. Les premiers lecteurs furent les fidèles de Hitler ; le succès du livre auprès des siens encourage Adolf Hitler à rédiger un second tome.
Le texte d’origine a été remanié à plusieurs reprises par l’entourage de Hitler pour lui donner une forme plus cohérente et plus lisible.

Un succès de librairie tardif
Le premier volume est publié le 18 juillet 1925 ; le second le 11 décembre 1926 se termine avec une dédicace à son « professeur » Dietrich Eckart. À sa parution, le livre (qui coûtait le prix élevé, à l’époque, de douze reichsmarks) connait un succès modeste et, jusqu’en 1929, 23 000 exemplaires du premier volume et seulement 13 000 du second furent vendus. Après 1930, le tirage augmente fortement : jusqu’en 1935, il s’en vendra 1,5 million d’exemplaires. À partir de 1936, il devint le cadeau de mariage de l’État aux couples allemands. Ian Kershaw estime le tirage à environ 10 millions d’exemplaires en allemand jusqu’en 1945, ce qui représente près d’un foyer allemand sur deux.

Les revenus littéraires de Hitler lui permirent ainsi de renoncer à son traitement de chancelier en 1933, ce qui l’aida à légitimer davantage sa prise de pouvoir.
Le livre a été traduit en seize langues étrangères, dont une dizaine par l’éditeur officiel. Pour des raisons politiques, les versions traduites furent souvent expurgées, modifiées ou inexactes. Par conséquent, on retrouve de nombreuses divergences idéologiques et sémantiques, parfois même jusqu’à rendre certaines versions tout à fait incohérentes et illisibles. Du reste, Hitler lui-même ne tenait pas à ce que le public étranger, notamment français, ne devine ses véritables intentions et préférait une version expurgée de ses passages les plus virulents.
À partir de 1933, le livre devient une référence politique et est édité en plusieurs formats. On en fait notamment une version de luxe destinée aux dignitaires nazis. Une version en braille a également été publiée.
En 2008, les ventes totales de Mein Kampf depuis sa parution sont estimées à 80 000 000 d’exemplaires. Selon cette estimation, et d’après les estimations de Ian Kershaw plus haut mentionnées, 70 000 000 d’exemplaires auraient été autorisés après la chute du Troisième Reich.

En janvier 2014, le site d’investigation Vocativ publie une étude, « malheureusement non étayée par des chiffres indiscutables » d’après Bertrand Guyard du Figaro, indiquant que la version e-book de Mein Kampf serait en tête des ventes sur la libraire en ligne Amazon (où une centaine de titres sont recensés), ainsi que sur iTunes, la plus importante plate-forme de téléchargement, et ce souvent sans avertissement auprès du lecteur. L’auteur de l’enquête, Chris Faraone, fait remonter à 2008 la première version pour liseuse de Mein Kampf (toujours en version anglaise), mais date ce qu’il appelle le « grand comeback de Hitler » à 2013, au moment de la sortie d’une version Kindle du livre (en version anglaise) pour 99 centimes. Montecristo Editora, éditeur brésilien d’une version à succès de l’ouvrage, indique que ses ventes ont connu une croissance soudaine à la fin de l’année 2013 et que les acheteurs sont principalement américains et européens. Vocativ explique ces ventes par la crise économique, le goût de l’interdit et le format numérique lui-même, qui permet au lecteur de satisfaire sa curiosité en toute discrétion. Pour Hadrien Gardeur, co-fondateur de la librairie en ligne Feedbooks, cette augmentation vient de l’effet « papier kraft » encouragé par les e-books : « C’est un peu comme dans les pays où l’on n’a pas le droit de boire de l’alcool dans la rue. Les gens mettent du papier kraft autour de la bouteille ». Selon Elite Minds, autre éditeur de l’ouvrage, « sa popularité a augmenté à cause d’un intérêt académique important pour le sujet ». Pour Robert Singer, président du Congrès juif mondial, « l’augmentation des ventes en livre numérique vient des néonazis et skinheads qui idolâtrent le plus grand monstre de l’histoire ». En France, les Nouvelles Éditions latines, qui disposent de l’exclusivité des droits jusqu’en 2016, ne proposent pas de version numérique du livre.

Contenu
C’est tout à la fois un document autobiographique, le récit de la naissance et du premier développement du parti nazi, et un essai et manifeste politique qui énonce les bases idéologiques du programme politique de son auteur. Mein Kampf exprime plusieurs ambitions difficilement dissociables : le désir d’élimination des Juifs et des Tziganes au nom d’une théorie raciale, d’une militarisation expansionniste et d’un renouveau national allemand teinté de revanchisme.
Il annonce sans ambiguïté le programme du parti nazi, fondé notamment sur la volonté de réunification des territoires à population germanique (le pangermanisme) ainsi que la nécessité de s’assurer, en Europe de l’Est, un « espace vital » allemand. Il comporte des menaces précises, qui firent écrire au maréchal Hubert Lyautey : « Tout Français doit lire ce livre ». De même, Pie XII déclarait en 1929 : « Ou bien je me trompe vraiment beaucoup, ou bien tout cela ne se terminera pas bien. Cet être-là est entièrement possédé de lui-même : tout ce qu’il dit et écrit porte l’empreinte de son égoïsme ; c’est un homme à enjamber des cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin — je n’arrive pas à comprendre que tant de gens en Allemagne, même parmi les meilleurs, ne voient pas cela, ou du moins ne tirent aucune leçon de ce qu’il écrit et dit. — Qui parmi tous ces gens, a seulement lu ce livre à faire dresser les cheveux sur la tête qu’est Mein Kampf ? »
Selon Adolf Hitler la cartographie de l’Europe, issue du traité de Versailles (« Diktat de Versailles »), est inacceptable, car elle a pour conséquence immédiate l’éclatement des peuples de culture allemande.
L’Autriche et les minorités allemandes de Tchécoslovaquie et de Pologne doivent être rattachées à l’Allemagne en un seul espace géographique, le « Grand Empire » (Großdeutsches Reich) : « Une heureuse prédestination m’a fait naître à Braunau-am-Inn, bourgade située précisément à la frontière de ces deux États allemands dont la nouvelle fusion nous apparaît comme la tâche essentielle de notre vie, à poursuivre par tous les moyens. ».
Pour assurer l’épanouissement du peuple allemand réunifié, il préconise la voie des chevaliers teutoniques : « conquérir par l’épée allemande le sol où la charrue allemande devrait faire pousser le blé pour le pain quotidien de la nation ».
Cela nécessite de réarmer le pays et d’atteindre l’autosuffisance économique par une série de conquêtes territoriales.
Le nouvel essor de la nation allemande doit se faire notamment au détriment des territoires russes, des pays de l’Europe centrale et danubienne, mais aussi à l’ouest, au détriment de la France qu’il considère comme « inexorable et mortelle ennemie du peuple allemand ».

Les points suivants traités dans le livre
Hitler commence par rappeler qu’il est né à la frontière austro-allemande. Il y voit un signe du destin qu’il doit unifier les peuples de langue germanique, plus particulièrement qu’il doit « ramener l’Autriche allemande à la patrie allemande » (incarnée par le Reich allemand de Bismarck), selon le principe qu’« un même sang appartient à un même peuple». L’unification allemande est vue comme la condition préalable au développement d’une politique coloniale, elle-même condition de prospérité économique et démographique. « Lorsque le territoire du Reich contiendra tous les Allemands, s’il s’avère inapte à les nourrir, de la nécessité de ce peuple naîtra son droit moral d’acquérir des terres étrangères. La charrue fera alors place à l’épée, et les larmes de la guerre prépareront les moissons du monde futur ».
Lors d’une brève affectation à Berlin (à l’époque en pleine disette) à la fin 1916 il « découvre » que « Les bureaux étaient bondés de Juifs. Presque tous les secrétaires étaient Juifs, et tout Juif, secrétaire. Je m’étonnais de cette abondance d’embusqués du peuple élu et ne pouvais faire autrement que de comparer leur nombre à celui de leurs rares représentants sur le front ». Selon Hitler, les « Juifs » sont non seulement des « planqués », mais encore, ils exploitent économiquement le peuple allemand à leur seul profit et camouflent cette activité en tentant de susciter la discorde (Bavière contre Prusse, grève des munitions, etc.).
Il raconte la nuit où « la vérité se fit jour dans [son] esprit » et où il « comprit en pleurant jusqu’au matin que le peuple juif travaillait délibérément à la ruine de l’Europe, et de l’Allemagne en particulier ».
Il développe sa théorie de la chute des civilisations antérieures : la domination se traduit par l’extension territoriale, qui aboutit au métissage, qui à terme se traduit par une « dégénérescence de la race initiale », puis la décadence.
Il y développe aussi sa vision du racisme : d’après lui, les peuples « inférieurs » ne peuvent espérer survivre qu’en se métissant avec les peuples « supérieurs », en ont l’obsession, et parviennent à leurs fins quand ces derniers sont totalement métissés, et ne constituent plus un danger pour eux. C’est selon lui ce qui commence à se produire en Europe, y compris en Allemagne. C’est là une idée qui a pu être trouvée par exemple chez Gobineau.
« Le Parti national-socialiste des travailleurs allemands tire les caractères essentiels d’une conception raciste (völkisch) de l’univers».
Il annonce sa position sur les rapports relatifs du parti et de la propagande : plus la propagande est efficace et moins il y aura besoin d’avoir de membres dans le parti, ceux-ci étant du même coup à la fois plus sûrs et plus faciles aussi à surveiller.
Sur le plan organisationnel, il souligne les leçons à prendre de l’Église catholique : « sa force de résistance ne réside pas dans un accord plus ou moins parfait avec les résultats scientifiques du moment, résultats d’ailleurs jamais définitifs, mais dans son attachement inébranlable à des dogmes établis une fois pour toutes, et qui seuls confèrent à l’ensemble un caractère de foi ».

Selon son livre,
les individus handicapés doivent être éliminés (eugénisme actif) : anéantir avec une décision brutale les rejetons non améliorables
« L’Aryen est le Prométhée de l’humanité ; »
les peuples « inférieurs » doivent être asservis aux peuples « supérieurs » (dont le peuple allemand) ;
tout peuple « supérieur » autre que le peuple allemand, s’il en existe, doit lui aussi être éliminé sans délai, car il constitue un danger. Le métissage serait une autre façon de neutraliser leur danger à terme, mais ce serait au prix d’une perte d’identité de la « race ». Il faut interdire le métissage et il faut que le peuple menacé élimine l’autre.
La France est désignée comme un ennemi à abattre pour ses manœuvres anti-allemandes, considérées d’ailleurs comme logiques : « Je ne croirai jamais à une modification des projets que la France nourrit à notre égard ; car ils ne sont, au fond, que l’expression de l’instinct de conservation de la nation française. Si j’étais Français et si, par conséquent, la grandeur de la France m’était aussi chère que m’est sacrée celle de l’Allemagne, je ne pourrais et ne voudrais agir autrement que ne le fait, en fin de compte, un Clemenceau ».
Autre citation : « Notre objectif primordial est d’écraser la France. Il faut rassembler d’abord toute notre énergie contre ce peuple qui nous hait. Dans l’anéantissement de la France, l’Allemagne voit le moyen de donner à notre peuple sur un autre théâtre toute l’extension dont il est capable ».

Plan
NB – Plan de l’édition française (Nouvelles Éditions latines)

Tome I : bilan
Préface de l’auteur
La Maison familiale
Années d’études et de souffrance à Vienne
Considérations politiques générales touchant mon séjour à Vienne
Munich
La guerre mondiale
Propagande de guerre
La Révolution
Le commencement de mon activité politique
Le parti ouvrier allemand
Les causes de la débâcle
Le peuple et la race
La première phase du développement du parti ouvrier allemand national-socialiste

Tome II : le mouvement national-socialiste
Opinion philosophie et parti
L’État
Sujets de l’État et citoyens
La personnalité et la conception raciste de l’État
Conception philosophique et organisation
Lutte des premiers temps – L’importance de la parole
La lutte contre le front rouge
Le fort est plus fort quand il reste seul
Considérations sur le sens et l’organisation des sections d’assaut
Le fédéralisme n’est qu’un masque
Propagande et organisation
La question corporative
La politique allemande des alliances après la guerre
Orientation vers l’Est ou politique de l’Est
Le droit de légitime défense
Conclusion

L’édition française
Charles Maurras de l’Action française, parmi d’autres, souhaite disposer d’une traduction non expurgée de Mein Kampf, d’une part afin de démasquer qui, sur la scène politique française, était proche du nazisme, d’autre part pour cerner l’idéologie nazie. Il est très loin d’être le seul. En effet, le paradoxe de ce livre veut que la traduction intégrale soit voulue à la fois par ses émules et par ses contradicteurs. Tel est encore le cas aujourd’hui.
À l’automne 1933, le général Georges Jacques Lachèvre (Saint-Cyrien, général de brigade, grand officier de la Légion d’Honneur), actif au ministère des Anciens combattants, convoque André Calmettes, polytechnicien (promotion 1922) et germaniste, et lui remet les deux tomes de Mein Kampf en allemand ; il lui demande de lui dire ce qu’il penserait d’un extrait à l’usage du public français. André Calmettes conclut à une traduction intégrale. Avec une équipe de collaborateurs, il s’attelle à la traduction du texte en 5 mois (octobre 1933 / février 1934). Pour l’édition, Jacques Lachèvre contacte Fernand Sorlot qui accepte de s’engager dans le projet malgré le copyright de la maison d’édition allemande, Franz Eher Verlag. Le ministère des Anciens combattants n’est mentionné à aucun moment, de manière à ne pas compromettre directement le gouvernement.
La LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme), organisation de gauche fondée en 1927 par Bernard Lecache, noue une alliance secrète avec l’éditeur Fernand Sorlot qui appartient à un bord politique complètement opposé : préalablement à l’édition, elle lui verse une importante somme d’argent, 50 000 francs, correspondant à l’achat de 5000 exemplaires de l’ouvrage. 1 000 exemplaires doivent être écoulés par la LICA ; les 4 000 autres sont destinés à « tout ce qui compte dans la nation, professeurs de faculté, membres de l’Institut, chefs militaires, présidents des tribunaux, ecclésiastiques de toutes les religions, syndicats patronaux et ouvriers, cercles, légations etc.

En février 1934, la maison d’édition proche de l’Action française, les Nouvelles Éditions Latines — toutes nouvelles de fait, puisqu’elles ont été fondées en 1928 par Fernand Sorlot, proche de la droite maurassienne antihitlérienne — publie Mein Kampf en français. L’ouvrage est ramené à un seul volume de 688 pages sous-titré Mon Combat. Il est tiré à 8000 exemplaires.
Au printemps 1934, Hitler apprend la traduction intégrale et la publication de Mein Kampf en France. Il est furieux. En effet, proposer des traductions expurgées fait partie de son système de propagande qui prévoit des publications tenant compte des conditions particulières et des manières de voir qui règnent dans les pays auxquels il les destine : « Par cette méthode, on obtiendra ce résultat qu’une thèse, conforme aux intérêts de l’Allemagne, sur la question des minorités nationales en Europe, sera présentée, pour être publiée dans les différents pays, de façon à s’adapter aux différentes manières de voir ». Dans cette optique, il autorisera une traduction en 1938 aux Éditions Fayard. Elle est allégée, expurgée, voire carrément falsifiée. Une phrase comme : « […] la France nation impérialiste est l’ennemie mortelle de l’Allemagne […] » reste, mais par le biais d’une citation de l’un des discours rapportés, y devient quelques pages plus loin « La frontière entre l’Allemagne et la France est définitivement fixée. Les peuples français et allemands égaux en droit ne doivent plus se considérer comme ennemis héréditaires mais se respecter réciproquement. »
Il décide alors, via la maison d’édition Verlag Franz Eher à laquelle il a donné tous les droits de reproduction et de traduction, de poursuivre les Nouvelles Éditions Latines devant le Tribunal de Commerce de la Seine pour violation de droit d’auteur et contrefaçon. Il demande la mise au pilon de l’ouvrage, une amende de 1000 francs par exemplaire et des dommages et intérêts d’un montant de 10 000 francs.
Hitler était alors considéré en France comme un simple écrivain. Il saisit la Société des gens de lettres qui s’associe alors à sa plainte. Les juges pensaient alors que « cette œuvre [représentait] un effort de création ! ».
Lors de son procès, Fernand Sorlot est défendu par les avocats Louis Gallié et Philippe Lamour. Considérant qu’il s’agit d’Hitler auteur littéraire et non d’Hitler chancelier du Reich, Philippe Lamour récuse l’intervention de l’ambassade allemande et exige qu’Hitler constitue personnellement avoué auprès du Tribunal. Hitler s’y résout non sans avoir fait connaître son mécontentement au gouvernement français. Philippe Lamour profite de ce procès pour montrer le nazisme sous son vrai jour et fustiger les dangers de la politique exercée par les démocraties. Au grand dam des diplomates allemands présents, « le Tribunal considère qu’il n’y avait pas lieu à la destruction de l’ouvrage que tous les Français ont intérêt à connaître et accorde à son auteur un franc symbolique de dommages et intérêts pour solde de tout compte ».
L’éditeur, Fernand Sorlot, souligne à plusieurs reprises l’actualité du livre et l’intérêt vital pour les Français de connaître ce « qui doit devenir désormais la Bible du peuple allemand ». En exergue figure donc une phrase du maréchal Hubert Lyautey : « Tout Français doit lire ce livre ».
Dans l’« Avertissement des éditeurs », Sorlot relève les menaces très lourdes à l’endroit de la France et souligne que « [ce] livre qui, répandu en Allemagne à plus d’un million d’exemplaires, a eu sur l’orientation soudaine de tout un peuple une influence telle, qu’il faut, pour en trouver l’analogue, remonter au Coran. » Hitler ayant « obstinément refusé de laisser publier en français [… nous] avons pensé qu’il était de l’intérêt national de passer outre à ce refus, quelles que puissent être pour nous-mêmes et pour la jeune maison que nous avons fondée les conséquences de notre initiative. »
Indiquant que Hitler considère la France comme le principal obstacle à ses visées, il le cite : « Ces résultats ne seront atteints ni par des prières au Seigneur, ni par des discours, ni par des négociations à Genève. Ils doivent l’être par une guerre sanglante. » Il objecte encore : « Les paroles et les écrits publics d’un homme public appartiennent au public »et conclut : « M. Frick […] disait : « Pour les nationaux-socialistes, le droit c’est ce qui sert le peuple allemand. L’injustice, c’est ce qui lui porte dommage. » Nous avons simplement pris à notre compte cette vigoureuse définition. »
La traduction — issue de l’édition allemande de 1933 parue chez Franz Eher, à Munich — se donne pour intégrale et neutre, avec quelques notes éparses, mais sans commentaire. Dans le jugement rendu par le Tribunal de commerce de la Seine le 18 juin 1934, il est indiqué que la fidélité de la traduction n’est pas contestée

L’opinion du traducteur
Le 25 février 1934, le traducteur André Calmettes publie un article dans le Journal de l’École polytechnique dont il est issu : « Pourquoi j’ai traduit Mein Kampf ».
« Je n’ai pas traduit Mein Kampf sans but ni raison. Ce pensum de huit cent pages, je me le suis infligé de bon cœur pour les miens et pour mes amis, mais aussi pour tous les hommes et pour toutes les femmes de bonne volonté, surtout pour les jeunes.
Je n’ai pas l’intention d’indiquer ici les conclusions que chacun doit tirer du livre ; autrement je l’aurais analysé et commenté, non pas traduit. Mais il ne me convient pas de laisser à la critique seule le soin de présenter mon travail ; je ne veux pas de malentendu sur mes intentions, ni les choisir après parmi toutes celles que l’on me prêtera.
Certes, cet ouvrage qui fut livré au public allemand en 1926-1928 jette une clarté singulière sur la politique allemande de l’après-guerre. En l’ignorant, nous satisfaisant de manière bien facile de révélations au compte-gouttes, nous étions ridicules et stupides ; nous découvrions des fragments minimes d’une vérité que l’on nous jetait au visage en huit cents pages serrées. Certes aussi, les prophéties de cet ouvrage engagent l’avenir. La doctrine d’action politique, complaisamment développée, demeure actuelle. Le livre constitue le dogme du parti qui mène l’Allemagne actuelle, dogme d’une agissante majorité, dogme demain de l’Allemagne entière. Je dis bien dogme, et je pense au Coran.
Mais il faut bien se garder de restreindre la portée du présent ouvrage. Il ne faut pas suivre Hitler polémiste qui dit quelque part d’un livre qu’il juge révélateur de l’esprit des Juifs : « quand cet ouvrage sera devenu le livre de chevet d’un peuple, le péril juif sera conjuré ». Il ne faut pas lire Mein Kampf en se plaçant au point de vue d’un « péril allemand » ou au point de vue de notre seule mitoyenneté.
Il faut se mettre sur un plan largement humain. L’ouvrage même autorise à le faire. Il s’agit d’un document ample, tiré à près d’un million d’exemplaires en Allemagne, traduit dans plusieurs pays. Il a été écrit par un Allemand pour les Allemands, mais il touche des problèmes politiques, sociaux, et de morale, qui se posent à tous les peuples. La traduction en est intégrale : on n’a pas le droit, sur quinze ou sur cent versets du Coran, de parler de l’islamisme, ni, sur dix pages de Mein Kampf de parler de l’hitlérisme ; et la lecture des passages secondaires sera aussi féconde que celle des passages réputés essentiels.
Ainsi lu, cet ouvrage aidera à pénétrer la mentalité allemande, une des faces de cette mentalité anglo-saxonne que nous ne daignons pas étudier et comprendre, mais dont nous ne pouvons nous défendre de subir les manifestations ; attitude bornée et dangereuse : que l’on apprécie ce que nous a coûté depuis quinze ans notre incompréhension de l’Angleterre, des États-Unis, de l’Allemagne.
Mon travail aurait atteint son but dernier s’il tournait les Français vers ce problème. Mais on me parlera de la guerre : elle naît bien souvent de l’avidité de quelques-uns et de la peur d’une multitude ; elle ne saurait trouver de terrain plus favorable que celui de l’ignorance et de l’incompréhension mutuelles que j’ai voulu combattre. »
— André Calmettes, Journal de l’École polytechnique, 25 février 1934.

En février 1936, à l’occasion d’une interview, Bertrand de Jouvenel demanda à Hitler pourquoi il n’avait pas modifié les chapitres consacrés à la France avant chaque nouvelle édition :
« J’étais en prison quand j’ai écrit ce livre, les troupes françaises occupaient la Ruhr. C’était le moment de la plus grande tension entre les deux pays. Oui, nous étions ennemis ! Et j’étais avec mon pays, comme il sied, contre le vôtre. Comme j’ai été avec mon pays contre le vôtre durant quatre ans et demi dans les tranchées ! Je me mépriserais si je n’étais pas avant tout allemand quand vient le conflit… Mais aujourd’hui, il n’y a plus de conflit. Vous voulez que je fasse des corrections dans mon livre, comme un écrivain qui prépare une nouvelle édition de ses œuvres ? Mais je ne suis pas un écrivain, je suis un homme politique. Ma rectification ? Je l’apporte tous les jours dans ma politique extérieure toute tendue vers l’amitié avec la France… Ma rectification, je l’écrirai dans le grand livre de l’Histoire ! »

Rééditions
Après la guerre, Fernand Sorlot procède à la réédition de l’œuvre, considérant que ce ne sont pas seulement les Français des années 1930-1940 qui devaient connaître ce livre, mais également les jeunes, notamment ceux qui, à une enquête célèbre, répondaient : « Hitler ? Connais pas. » La LICA, en 1978, poursuit en justice Fernand Sorlot qu’auparavant elle acclamait pour avoir osé publier Mein Kampf. À l’issue du procès, la LICA obtient 80 000 francs de dommages et intérêts bien qu’elle n’ait pu justifier « d’aucun préjudice subi par elle, ou par ses adhérents, du fait de cette réédition».
Les éditions Fayard — déjà éditrices du livre en 1938 — ont annoncé le 14 octobre 2015 qu’elles publieront une réédition de Mein Kampf en janvier 2016, date à laquelle le livre d’Adolf Hitler tombe officiellement dans le domaine public. Cette nouvelle édition est traduite par Olivier Mannoni sous le contrôle d’un comité d’historiens français et étrangers qui établit depuis plusieurs années l’appareil critique. Dans une lettre ouverte adressée aux éditions Fayard, intitulée « Non ! Pas Mein Kampf quand il y a déjà Le Pen », Jean-Luc Mélenchon s’oppose à cette réédition du « texte principal du plus grand criminel de l’ère moderne » et « acte de condamnation à mort de six millions de personnes.

Statut juridique actuel

En Allemagne
Le Land de Bavière (qui a hérité de tous les biens de Hitler) détient les droits d’auteur internationaux du texte et les utilise pour empêcher la publication ou la diffusion d’éditions complètes et non commentées (Adolf Hitler étant mort en 1945, son ouvrage tombera dans le domaine public le 1er janvier 2016). Le Land de Bavière exerce ses droits d’auteurs, donnant avec condition (éditions partielles, ajouts de commentaires critiques) ou refusant aux éditeurs le droit de republier Mein Kampf.
La réédition du livre est ainsi interdite, seule est donc autorisée la vente des livres publiés avant 1945.
Cette situation est à l’origine de débats qui opposent la liberté d’expression à la lutte contre le racisme, ou dans lesquels on présente la diffusion de l’ouvrage comme un moyen de lutter contre le nazisme : diffuser le texte permettrait de mieux faire connaître le contenu de l’idéologie nazie, et donc de mieux lutter contre elle, voire de se prémunir contre les techniques déployées pour instaurer un régime totalitaire.

Au Québec
Au Québec, il est possible de se procurer Mein Kampf dans plusieurs librairies tant autonomes ou dans les chaînes. Il n’existe aucune loi limitant la vente de ce livre.

En France
En France, les Nouvelles Éditions Latines (N.E.L.) qui sont liées à la droite nationaliste française germanophobe sont propriétaires des droits de la traduction de 1934 et proposent cet ouvrage dans leur catalogue en ligne (2012).
En 1934, l’éditeur munichois de l’ouvrage engage une action en contrefaçon à l’encontre d’une édition française in extenso non autorisée, en exergue de laquelle le maréchal Lyautey écrit : « Tout Français doit lire ce livre ». Le tribunal de commerce de la Seine estime que « cette œuvre représente un effort de création » et donne gain de cause à l’éditeur d’Hitler
En 1979, la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) intente une action en justice afin que celle-ci tranche sur le statut de l’ouvrage : document historique, ou incitation à la haine raciale ? L’éditeur est condamné pour ce dernier motif en 1978, puis la cour d’appel de Paris tranche, dans un arrêt du 11 juillet 1979, en faveur de la première interprétation. Elle autorise donc la vente du livre, compte tenu de son intérêt historique et documentaire, mais assortit cette autorisation de l’insertion en tête d’ouvrage, juste après la couverture et avant les pages de garde, d’un texte de huit pages. Ce texte mettra en garde le lecteur, notamment en rappelant par quels aspects l’ouvrage « tombe sous le coup » de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 3 juillet 1972 et notamment de ce qui était à l’époque son article 23, l’alinéa 5 de l’article 24, l’alinéa 2 de l’article 32 et l’alinéa 3 de l’article 33 et en faisant suivre ce rappel des dispositions légales par un survol historique des méfaits du Troisième Reich.
Le texte Adolf Hitler : Mein Kampf, Mon Combat, présenté depuis 1934 par les N.E.L. comme la traduction « intégrale et neutre » du livre, ne tombera dans le domaine public qu’en 2054, date anniversaire du décès du second traducteur déclaré. Toutefois, Adolf Hitler étant mort en 1945, le texte original tombera dans le domaine public le 1er janvier 2016. Les N.E.L. ne seront alors plus en situation d’exclusivité et d’autres éditeurs pourront proposer de nouvelles traductions du texte.

Aux Pays-Bas
Aux Pays-Bas, la possession de Mein Kampf (Mijn Kamp en néerlandais) est autorisée, mais pas sa vente, interdite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et pénalement punissable depuis 1987.

En Russie
En Russie, les livres rédigés par les dirigeants de l’Allemagne nazie sont considérés comme des publications à caractère extrémiste, mais Mein Kampf n’était pas mentionné comme un ouvrage interdit jusqu’à fin mars 2010. En vente libre jusqu’alors, l’interdiction a été prise à la suite d’une décision de justice d’un tribunal à Oufa, dans l’Oural, qui l’a qualifié d’extrémiste. Le parquet général russe a depuis fait figurer Mein Kampf sur la liste des livres interdits.

En Suisse et dans les pays de l’Union européenne
En Suisse et dans la plupart des pays, la vente du livre n’est pas interdite légalement mais n’est pas en libre-service sur les rayons. Selon Me Philippe Kenel, président genevois de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) : « Même si la loi le permet, il s’agit d’une responsabilité morale. Je fais un appel à ces libraires pour le retirer. C’est une pratique irresponsable ». Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), a déclaré : « Ce n’est pas un ouvrage anodin. Je ne peux pas décemment imaginer qu’on le mette en accès libre. Le contenu est à vomir, ce n’est que de la curiosité macabre. Où se situe l’intérêt pédagogique de mettre ce ramassis d’immondices en librairie ? Les libraires doivent prendre leurs responsabilités »

Diffusion en arabe
Une traduction en arabe réalisée par le criminel de guerre nazi Luis al-Haj, originellement nommé Luis Heiden, qui avait fui en Égypte après la Seconde Guerre mondiale, fut publiée en 1963. En 1995, le livre, dont la couverture arbore une croix gammée et une photo d’Hitler, a été réédité par les Éditions du Bisan à Beyrouth : 2 500 exemplaires ont été vendus jusqu’en 1996. Le livre est également distribué par Al-Shourouq à Ramallah pour les Territoires palestiniens. Selon l’Agence France-Presse, le livre qui avait été interdit par Israël a été autorisé en 1999 par l’Autorité palestinienne. Il a atteint la 6e place dans la liste palestinienne des best-sellers. En 2007, il a été présenté à la Foire internationale du livre du Caire par une maison d’édition syro-égyptienne, al-Kitab al-Arabi, dont le représentant, Mahmoud Abdallah, a déclaré : « il [ce livre] représente une grande partie de notre succès, en particulier parmi le public des 18 à 25 ans».

Diffusion en manga
Mein Kampf a été publié en japonais sous forme de manga en l’an 2000 par les éditions East Press

Bibliographie

Éditions de Mein Kampf
Mon Combat / Traduction intégrale de Mein Kampf par J. Gaudefroy-Demonbynes et A. Calmettes. Paris : Nouvelles Éditions latines, 1934, 685 p.
Abrégé de Mein Kampf : pages choisies et commentées / par N. Marceau. Paris : Éditions du Comité Thaelmann, 1938, 96 p.
Mein Kampf, Mon combat, Extraits,, préf. de Georges Saint-Bonnet, éditions Vita, 1938.
Éclaircissements sur Mein Kampf d’Adolf Hitler : le livre qui a changé la face du monde, extraits commentés par Jacques Benoist-Méchin, Albin Michel, février 1939
Par les textes de Adolf Hitler. La Doctrine hitlérienne, Hitler et la France (« Mein Kampf ») / commentaires de C.-Louis Vignon. Paris : Gagey, 1962, 127 p.
Extraits de Mein Kampf (Mon combat) [par Adolf Hitler], accompagnés de commentaires. Paris : Les Éditions R.R., 1939, 157 p.
Extraits de « Mein Kampf » [par Adolf Hitler], accompagnés de commentaires / par E. L. Michel. Paris : Les Belles éditions, (s.d.), 187 p. 1938
Français, connaissez-vous Mein Kampf ? [Extraits de « Mein Kampf » d’A. Hitler, d’après la traduction de Gaudefroy-Demonbynes et A. Calmettes. Préface de Léon Mabille]. Paris : Impr. I.I.C., 1939, 32 p. (Collection Paix et Liberté ; 7).

Ouvrages critiques
James John Barnes. Hitler’s Mein Kampf in Britain and America: a publishing history, 1930-39. London ; New York ; Melbourne : Cambridge university press, 1980, XIII-157 p.
Linda Ellia. Notre combat / préf. Simone Veil. Paris : Seuil, 2007, 398 p. Livre d’artiste collectif réalisé à l’initiative de Linda Ellia ; les artistes sollicités ont réalisé chacun une œuvre sur une page de « Mein Kampf ».
Giorgio Fabre. Il contratto : Mussolini editore di Hitler. Bari : Éd. Dedalo, 2004, 236 p. (Nuova biblioteca Dedalo ; 274. Serie Nuovi saggi).
Thierry Féral. Le Combat hitlérien : éléments pour une lecture critique. Paris : la Pensée universelle, 1981, 160 p.
Hubert Hannoun. Le Nazisme, fausse éducation, véritable dressage : fondements idéologiques de la formation nazie. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 1997, 238 p. (Éducation et didactiques).
Eberhard Jäckel. Hitler idéologue / trad. Jacques Chavy. Paris : Gallimard, 1995, 174 p. (Collection Tel ; 256). Trad. de : Hitlers Weltanschauung.
Werner Maser. « Mein Kampf » d’Adolf Hitler / trad. André Vandevoorde. Paris : Plon, 1968, 379 p. (Les Grands documents Plon).
Othmar Plöckinger. Geschichte eines Buches : Adolf Hitlers « Mein Kampf » 1922-1945 : eine Veröffentlichung des Instituts für Zeitgeschichte. München : R. Oldenbourg, 2006, VIII-632 p.
Felicity J Rash. Language of violence: Adolf Hitler’s Mein Kampf. New York : P. Lang, 2006, X-263 p.
Julien Rousseau. « Mein Kampf » : la bible des monstres. Saint-Astier : J. Rousseau, 1991, 144 f.
Hans Staudinger. The Inner Nazi: a critical analysis of « Mein Kampf » / ed., with an introd. and a biogr. afterword, by Peter M. Rutkoff and William B. Scott. Baton Rouge, La London : Louisiana state university press, 1981, 153 p.
Antoine Vitkine, Mein Kampf : Histoire d’un livre, Paris : Flammarion, 2009
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BATAILLE DE GALLIPOLI (1915), GUERRE MONDIALE 1914-1918, HISTOIRE DU XXè SIECLE, PREMIERE GUERRE MONDIALE

BATAILLE DE GALLIPOLI (1915)

GALLIPOLI2dardanellesGALLIPOLI

 

C’est un matin d’hiver froid et radieux. Le ferry fend paresseusement les eaux du détroit des Dardanelles de Çanakkale vers Eceabat, dans la presqu’île de Gallipoli, sur la côte nord-ouest de l’actuelle Turquie. Le navire transporte quelques voitures, des cars, et quelques rares passagers qui contemplent la mer presque vide.

 

Le tableau est radicalement différent de celui d’un autre matin d’hiver, celui du 19 février 1915. Ce jour-là, les cuirassés britanniques et français commencèrent à bombarder les forts que l’Empire ottoman, allié des puissances centrales, avait établis de part et d’autre du détroit.

 

Les Alliés voulaient contrôler les Dardanelles et ouvrir la route vers Constantinople sur le Bosphore. Leur grande offensive navale aurait lieu un mois plus tard. Dix-huit cuirassés, escortés de croiseurs et de destroyers, cherchèrent à gagner la partie plus étroite de la passe. Bilan : trois cuirassés coulés et trois autres endommagés.

Les Alliés décidèrent alors d’attaquer par la terre. Le 25 avril, des troupes britanniques débarquèrent à l’extrême sud de la presqu’île. Des forces australiennes et néo-zélandaises, réunies sous le sigle anglais Anzac (Australian and New Zealand Army Corps), prirent pied, elles, sur une étroite plage de la côte ouest, qui sera baptisée Anzac Cove.

Près d’un siècle plus tard, en ce jour de décembre, la presqu’île de Gallipoli accueille le ferry entre froid et vent, dans un décor de petites plages escarpées  de chemins qui serpentent dans les collines recouvertes de pins. Et de tombes.

Pierres tombales blanches, petits monuments et imposants mémoriaux surgissent de part et d’autre des chemins, en lignes continues, pour former 32 cimetières dans lesquels reposent des soldats des forces alliées. S’ajoutent à ces tombes pas moins de 28 fosses communes, dans lesquelles les troupes ottomanes enterrèrent leurs propres soldats tombés au combat.

 

Le jour du débarquement, les Turcs parvinrent à résister aux assaillants mais, à Anzac Cove, ils se trouvèrent bientôt à court de munitions. Un lieutenant-colonel de 34 ans, Mustafa Kemal, harangua alors ses troupes en ces termes : « Je ne vous ordonne pas de combattre, je vous ordonne de mourir. Le temps que prendra notre mort permettra à d’autres soldats et à d’autres commandants d’avancer et de venir prendre notre place. » Ses hommes, armés de seules baïonnettes, se lancèrent à la rencontre des Australiens et des Néo-Zélandais, dont l’attaque fut contenue.

 

DATTES ET DOUCEURS CONTRE CORNED BEEF ET CIGARETTES

Au lendemain du conflit, Kemal devait conduire les Turcs dans leur guerre d’indépendance contre les Alliés. Et, en 1923, il deviendrait le fondateur de la République turque sous le nom d’Atatürk, ou « Père des Turcs ». Aujourd’hui, la Turquie commémore la défense ottomane de Gallipoli comme le moment-clé qui donna naissance à l’idée moderne de son actuelle République.

Pendant la campagne, une trêve permit aux Australiens et aux Néo-Zélandais de fraterniser avec les Turcs, nouant ce qui deviendrait l’amorce d’une amitié particulière. La souffrance partagée finit par entraîner des gestes de camaraderie entre combattants. Les Turcs lançaient des dattes et des douceurs de l’autre côté du no man’s land. Les Alliés répondaient en jetant des boîtes de corned beef et des cigarettes.

 

« La campagne de Gallipoli est devenue quelque chose de très important dans la psyché australienne alors que nous étions encore un pays jeune, désireux de montrer à la mère patrie que nous avions atteint la majorité », analyse Nicholas Segi, consul d’Australie à Çanakkale. Une impression qu’il étend à ses voisins néo-zélandais.

Çanakkale et la presqu’île de Gallipoli sont devenues des lieux de pèlerinage. Le 25 avril, jour du débarquement, est pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande le jour de l’Anzac, une fête nationale qui commémore la campagne et que l’on célèbre par des cérémonies officielles aussi à Gallipoli. La Turquie mais aussi les Océaniens font remonter à cette campagne la naissance de leurs nations respectives.

 

En 1915, vaincus par la résistance turque et l’âpreté des combats, les Alliés finirent par évacuer la presqu’île entre décembre et janvier. Bien que les chiffres exacts ne soient pas connus, on estime à quelque 250 000, de chaque côté, le nombre d’hommes tués au combat ou par la maladie. Au total, un demi-million de morts, dont 120 000 sont enterrés à Gallipoli.

« Vous les héros, qui avez versé votre sang et donné votre vie, vous êtes enterrés à jamais dans la terre d’un pays ami. Vous pouvez reposer en paix. Pour nous, il n’y a pas de différence entre les Johnny et les Mehmed qui reposent côte à côte dans ce pays qui est le nôtre », écrivit Atatürk, en 1934, pour commémorer la bataille.

 

La nuit est tombée. Le ferry est reparti vers Çanakkale. Une énorme inscription illuminée sur l’une des collines déchire l’obscurité. Ce sont les paroles du poète turc Necmettin Halil Onan :

« Arrête-toi, voyageur !

Tu foules une terre

Qui a vu la fin d’une ère. »

Traduit de l’espagnol par François Pleyber

Jose Miguel Calatayud (El Pais) 

site de la première guerre mondiale