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Brève histoire de l’Inquisition en Espagne

BRÈVE HISTOIRE DE L’INQUISITION EN ESPAGNE

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PÉREZ Joseph,

Brève histoire de l’Inquisition en Espagne,

Paris : Éditions Fayard, « Le cours de l’histoire », 2002, 194 p.

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Le 27 septembre 1480, les rois catholiques Isabelle et Ferdinand d’Aragon nomment les premiers inquisiteurs, autorisés par le pape Sixte IV en 1478. La mission de ces inquisiteurs, qui s’installent à Séville, est d’obliger les conversos, dont beaucoup ont été convertis de force, à pratiquer réellement la foi chrétienne, et à abandonner entièrement les rites du judaïsme. Les juifs qui refusent l’assimilation au christianisme sont expulsés par le décret du 31 mars 1492.

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Thomas de Torquemada, premier Grand Inquisiteur d’Espagne (1420-1498)

La punition des hérétiques, idée fondamentale de l’Inquisition, trouve ici un sens précis : il s’agit d’extirper la religion juive des royaumes espagnols (ch. 1). L’aristocratie n’est pas toujours favorable au Tribunal du Saint-Office, comme le montre l’exemple de Séville en 1481, lorsque les inquisiteurs dominicains menacent les grands seigneurs s’ils continuent de protéger des conversos soupçonnés de judaïser. Sous la férule de l’inquisiteur général Thomas de Torquemada, des milliers de personnes sont arrêtés et plusieurs centaines sont exécutées la fin du XVe siècle, dont certains nouveaux convertis sont seulement ignorants des vérités de la foi catholique. On pourchasse également les morisques, mais aussi les disciples de Luther, dont certaines traductions effraient les autorités dès 1521 (ch. 2). Les luthériens sont le plus souvent étrangers, et les peines sont sévères. Afin de défendre la foi, des autodafés ont lieu en 1559 à Valladolid et à Séville, dont l’un est présidé par le roi Philippe II. « Cette persécution a eu définitivement raison du protestantisme dans la péninsule » (p. 63). L’Inquisition n’est abolie que le 15 juillet 1834, après plusieurs tentatives.

Le tribunal ecclésiastique du Saint-Office s’est appuyé sur un appareil administratif développé et placé sous l’autorité de l’État (ch. 3). Contrairement à l’Inquisition du XIIIe siècle, qui luttait contre les vaudois ou les cathares, l’Inquisition espagnole est contrôlée par le pouvoir civil. L’inquisiteur général est certes nommé par le pape, mais sur la proposition des rois de Castille, et les 45 titulaires, de 1480 à 1820, ont été choisis avec soin. En outre, le roi contrôle le conseil de l’Inquisition. Organisé en tribunal formé de deux inquisiteurs, de deux secrétaires, d’un accusateur public et d’un officier de police, le Saint-Office bénéficie de privilèges puissants et de finances autonomes à partir de 1559. Cela lui permet d’organiser des procès nombreux (ch. 4). La procédure inquisitoire permet au juge de se saisir d’office, y compris sur le simple fondement de la rumeur publique. Suite à une instruction secrète, qui peut comprendre la torture pour obtenir les aveux de l’accusé, un procès publique est nécessaire, puisque l’hérésie est non seulement un péché, mais encore un délit. Les peines s’échelonnent des pénitences spirituelles ou des amendes à l’autodafé.

Le poids de l’Inquisition, ses conséquences sur la société espagnole, ont fait l’objet de longs débats depuis le XIXe siècle au moins (ch. 5). La ruine de l’économie espagnole a été attribuée au Saint-Office, symbole de l’intolérance, bien que son influence réelle sur l’économie ait été accessoire. En revanche, « la politique de l’Inquisition a eu des conséquences graves » (p. 155) en matière de livres, d’imprimerie et plus généralement de culture. Le développement de la science a été entravé parce que l’on soupçonnait les opinions religieuses d’un auteur, comme le botaniste Fuchs, qui passait pour luthérien. Pour les mentalités d’Ancien Régime, l’unité de la foi est nécessaire à la cohésion du royaume (ch. 6). Tribunal mixte, à la fois ecclésiastique et temporel, l’Inquisition a servi le pouvoir politique espagnol, jusqu’à l’épuisement au début du XIXsiècle.

Plaque commémorative de 2009, de la ville de Rivadavia en Galice (Espagne) en hommage à ses citoyens condamnés par l’Inquisition il y a « 400 années à cause de leur croyance »

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Isabelle et Ferdinand : Rois catholiques d’Espagne par Joseph Pérez

Isabelle et Ferdinand : Rois catholiques d’Espagne 

Joseph Pérez

Paris, Tallandier, 2016. 544 pages

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De leur mariage qui unifie l Espagne en 1469 jusqu à la prise de Grenade en 1492 qui marque la fin définitive de la présence musulmane et le début de l expulsion des Juifs, les Rois Catholiques ont joué un rôle fondamental dans l histoire de la péninsule Ibérique et de l Europe. Joseph Pérez retrace le règne de Ferdinand d Aragon et d Isabelle de Castille, les Rois Catholiques qui ont su donner à la monarchie prestige et autorité et ont fait de l Espagne une puissance mondiale. Mais ce double règne a eu aussi ses limites telles que l Inquisition qui, en 1480, devient pour le pouvoir un instrument de contrôle de la société.

Biographie de l’auteur

Joseph Pérez, professeur émérite de civilisation de l Espagne et de l Amérique latine à l université de Bordeaux-III, est l auteur de nombreux ouvrages, en particulier Histoire de l Espagne (1996), Isabelle et Ferdinand (1988) et Thérèse d Avila (2007).

Isabelle I re la Catholique

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(Madrigal de las Altas Torres 1451-Medina del Campo 1504), reine de Castille (1474-1504).

Isabelle Ire de Castille et son époux Ferdinand II d’Aragon, dits les Rois Catholiques, mirent fin à la domination musulmane en Espagne avec la prise de Grenade. En cette même année 1492, la reine apporta sa protection personnelle au voyage de découverte de Christophe Colomb.

  1. LA REINE AUTOCRATE

Fille de Jean II Trastamare (1406-1454), roi de Castille, Isabelle, née le 2 avril 1451, monte sur le trône grâce à une loi dynastique qui n’en exclut pas les filles et à l’appui des grands du royaume, auxquels doit céder son demi-frère, le roi Henri IV, en déshéritant sa propre fille. Ayant choisi l’alliance avec l’Aragon à l’alliance avec le Portugal, dans l’espoir d’unifier la péninsule Ibérique sous domination castillane, Isabelle est mariée avec Ferdinand depuis 1469, lorsque, le 13 décembre 1474, deux jours après la mort d’Henri IV, elle se proclame d’autorité « reine et propriétaire de Castille ». Alphonse de Portugal riposte en attaquant la Castille en mai 1475, avec le soutien des nobles hostiles au renforcement du pouvoir royal. Isabelle et Ferdinand sortent vainqueurs de ce conflit difficile.

La reine peut alors restructurer l’État en concrétisant les efforts de ses prédécesseurs. En 1476, une milice efficace, la Santa Hermandad, est créée dans chaque commune pour faire régner l’ordre. La justice est réorganisée sous la direction d’une haute cour de justice, tandis que les villes abandonnent une partie de leur autonomie au profit de gouverneurs, les corregidores. L’aristocratie perd son pouvoir politique au Conseil royal et son pouvoir financier après l’annulation de nombreuses concessions de rentes et de terres.

  1. L’UNITÉ DE FOI, BASE DE L’ÉTAT

Afin d’occuper la noblesse tout en enthousiasmant le peuple, Isabelle et Ferdinand décident de mener à son terme la Reconquista, en s’emparant de l’émirat de Grenade. Ils y entrent effectivement le 2 janvier 1492. En reconnaissance, le pape Alexandre VI leur décernera en 1494 le titre de Rois Catholiques, qui les mettra à la hauteur du Roi Très Chrétien de France.

La reconquête intérieure se poursuit au moyen de l’implacable instrument qu’est l’Inquisition, installée en 1478 et confiée en 1483 aux soins du dominicain Tomás de Torquemada. C’est à l’instigation de ce dernier que les Rois Catholiques signent, le 31 mars 1492, le décret qui expulse tous les Juifs d’Espagne. En principe, cette mesure ne vise pas les conversos, les Juifs convertis après les persécutions antisémites de 1391, mais elle les concernera pour autant que la sincérité de leur conversion sera mise en cause. Il s’agit, en effet, de « purifier » le corps social en chassant d’Espagne tous ceux qui ne sont pas chrétiens. Les Juifs seront alors entre 50 000 et 100 000 à s’exiler au Portugal, dans les Flandres, en Italie, en Afrique du Nord et dans l’Empire ottoman, où ils fonderont les communautés séfarades d’Orient. Quant aux musulmans, ils sont également forcés de se convertir ou de s’exiler à partir de 1502. L’État espagnol en formation a désormais pour base l’unité de foi. Il rompt avec l’Espagne aux trois religions qui existait depuis l’invasion musulmane de 711.

  1. LA POLITIQUE D’EXPANSION

Les Rois Catholiques prennent une décision d’une portée insoupçonnée en acceptant le projet d’un marin génois qui veut établir une liaison directe avec l’Asie à travers l’océan Atlantique. Plusieurs fois débouté, Christophe Colomb a fini par emporter l’assentiment de la reine Isabelle en lui faisant valoir que la chrétienté avait tout à gagner dans l’aventure, qui devait permettre d’évangéliser de nouveaux peuples. La conquête de l’Amérique qui se prépare se fera au profit des souverains espagnols : en 1493, ceux-ci obtiendront l’investiture du pape sur les territoires découverts ou à découvrir, et, par le traité de Tordesillas (1494), ils arriveront à un compromis avec le Portugal sur le partage colonial.

L’expansion se fait aussi en direction de l’Afrique du Nord, où l’Espagne finit par occuper toute la rive sud de la Méditerranée, de Melilla à Bougie (aujourd’hui Béjaïa). En Europe, elle se rapproche de l’Angleterre et de l’empire des Habsbourg. La France est l’ennemi commun, qui menace les intérêts des Rois Catholiques dans les Pyrénées (Roussillon et Navarre) et dans le royaume de Naples. Ce dernier, après les défaites françaises, deviendra aragonais pour deux siècles. Enfin, des alliances matrimoniales décisives sont nouées, qui feront d’Isabelle la grand-mère de Marie Tudor et de Charles Quint. À la mort de la reine (26 novembre 1504), l’Espagne est devenue une grande puissance européenne.

  1. FERDINAND, L’ÉPOUX D’ISABELLE

Ferdinand II le Catholique

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Ferdinand, roi d’Aragon et de Castille, formait avec Isabelle un couple uni dans les symboles (que sont, respectivement, le joug et les flèches, ensemble figurant sur les monuments et les monnaies) comme dans les décisions politiques. L’Aragon et la Castille n’en restaient pas moins deux entités qui conservaient des institutions distinctes. Ni Ferdinand ni Isabelle n’était, en titre, le souverain de toute l’Espagne.

Cette formule originale fut menacée à la mort d’Isabelle, car Ferdinand n’était plus alors que roi d’Aragon. De plus, un problème dynastique se posa lorsque Jeanne, sa fille et héritière légitime, fut déchue de ses droits à la couronne pour cause de démence. Ferdinand voulut pour successeur le fils de Jeanne, le futur empereur Charles Quint, qui établit la suprématie des Habsbourg en Espagne.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Isabelle_I_re_la_Catholique/125202

Ferdinand II le Catholique

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(Sos, Saragosse, 1452-Madrigalejo, Cáceres, 1516), roi d’Aragon (1479-1516), roi (Ferdinand V) de Castille (1474-1504), roi (Ferdinand III) de Naples (ou Sicile péninsulaire) [1504-1516].

Fils de Jean II, roi d’Aragon, il épouse en 1469 l’infante Isabelle de Castille, unissant la Castille et l’Aragon et préparant l’unité espagnole. Avec Isabelle, il renforce l’autorité monarchique dans ses États (création de conseils spécialisés, soumission de la noblesse, fondation de la Santa Hermandad, contrôle des ordres militaires, etc.) et travaille à l’unité religieuse (création d’une nouvelle Inquisition, reconquête du royaume de Grenade [1492], expulsion des Juifs [1492] et des Maures [1502]), ce qui vaut au couple royal le titre de Rois Catholiques conféré par le pape Alexandre VI. À l’extérieur, Ferdinand constitue contre Charles VIII la Sainte Ligue (1495) et conquiert le royaume de Naples (1503). Nommé régent de Castille (1505 et 1506) après la mort d’Isabelle, il occupe la Navarre (1512). À sa mort, il lègue son royaume d’Aragon à son petit-fils, le futur Charles Quint.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ferdinand_II_le_Catholique/119279

la Reconquête ou la Reconquista

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  1. LES ÉTAPES DE LA RECONQUISTA

Au seuil du viiie siècle, l’invasion musulmane a recouvert l’ensemble de la péninsule Ibérique, à l’exception des vallées pyrénéennes qui abritent de petites principautés chrétiennes.

1.1. LES PRÉMICES DE LA RECONQUÊTE (IXe-Xe SIÈCLES)

N’attachons pas d’importance au combat de Covadonga, en 718, que l’histoire légendaire a transformé en point de départ de la Reconquista. En revanche, il faut retenir le rassemblement qui s’opère dans les vallées cantabriques au profit du royaume des Asturies : déjà des raids sont lancés sur les plateaux de León et de Burgos. En même temps, l’intervention de Charlemagne aboutit à la reprise de la Catalogne sur les musulmans.

Moins d’un siècle plus tard, Alphonse le Grand (866-910), roi des Asturies, profite des divisions de l’émirat de Cordoue pour reprendre la marche en avant. Mais déjà des divisions apparaissent : la Castille, autour de Burgos, se sépare des Asturies, tandis que, plus à l’est, s’affirme le royaume de Navarre.

À la fin du xe siècle, l’expansion chrétienne est bloquée par les succès d’Abd al-Rahman III et d’al-Mansour. La première phase de la Reconquista s’achève.

1.2. UNITÉ ET MORCELLEMENT DES PARTIS (XIe SIÈCLE)

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La Reconquête, XIe siècle

Dans la première moitié du xie siècle, le califat de Cordoue (l’émirat ayant été érigé en un califat totalement indépendant de Bagdad) disparaît, laissant la place à la multitude des royaumes musulmans des taifas, qui, souvent en querelle, dispersent leurs forces ; ceux de Tolède et de Badajoz résistent à la fois contre la chrétienté et contre le royaume de Séville.

Les chrétiens du Nord profitent de cette situation, interviennent dans les querelles des chefs musulmans (à l’exemple du Cid Campeador, véritable maître du royaume musulman de Valence), et surtout élargissent la reconquête. L’idée de l’union des chrétiens espagnols contre les « Maures » progresse et inspire des tentatives hégémoniques comme celle du roi Sanche de Navarre au début du xie siècle, ou celle d’Alphonse VI de Castille, qui se proclame « imperator » de toute l’Espagne, à la fin du xie siècle

Mais, dans les faits, l’œuvre de reconquête se plie mal à ces volontés d’hégémonie ; dans sa réalité quotidienne, elle est le fait de coups de main locaux. Tandis que les Catalans atteignent les bouches de l’Èbre, la Castille a le premier rôle : en 1085, la prise de Tolède, ancienne capitale wisigothique, a un fort retentissement. Tant et si bien que les Almoravides, venus d’Afrique du Nord, galvanisent l’Espagne musulmane et bloquent l’avancée castillanne.

1.3. L’ÉCARTEMENT DÉFINITIF DE LA PRÉSENCE MUSULMANE (XIIe-XIIIe SIÈCLES)

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La Reconquête, XIIIe siècle

L’Aragon, État pyrénéen issu du démembrement du royaume de Sanche de Navarre, prend l’initiative au xiie siècle : prise de Saragosse en 1118, frontière reportée sur le cours de l’Èbre. La reconquête marque à nouveau le pas dans le dernier tiers du xiie siècle avec l’arrivée des Almohades du Maroc qui renforce les musulmans.

Les rivalités des royaumes chrétiens s’accentuent, et le Portugal se sépare de la Castille ; enfin, l’Aragon uni à la Catalogne néglige la reconquête pour se tourner vers le commerce méditerranéen et les affaires dans le sud de la France.

Le péril devient si grand pour l’Espagne chrétienne que les royaumes sont contraints de s’unir : le 16 juillet 1212, la victoire de Las Navas de Tolosa ouvre aux chrétiens le sud du pays : les Portugais conquièrent l’Alentejo, les Castillans l’Andalousie (Cordoue, Séville, Cadix), l’Aragon, les Baléares, Valence, Murcie. Seul demeure aux mains des musulmans le royaume de Grenade.

1.4. LA CHUTE DU ROYAUME DE GRENADE (1492)

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Grenade

Le modeste et fragile royaume musulman de Grenade tient deux siècles. Son sursis est dû aux troubles qui agitent les royaumes chrétiens aux xive et xve siècles : anarchie et guerre civile, interventions étrangères ; en toile de fond, la montée d’une puissante aristocratie, riche des terres gagnées en Andalousie ou ailleurs, et qui n’est plus disciplinée par l’intérêt supérieur de la foi, puisque Grenade ne représente plus un danger. Cette aristocratie se heurte à la royauté et affaiblit le pouvoir monarchique.

Par ailleurs, d’autres intérêts surgissent : l’Aragon développe une grande politique méditerranéenne ; le Portugal se tourne vers l’Atlantique.

Seule la Castille, qui veut unifier l’Espagne, agite l’étendard catholique : la chute de Grenade en 1492 achève la Reconquista. Fidèle à son esprit reconquérant, la Castille se lance alors dans l’aventure coloniale. Mais, comme l’a fait remarquer l’historien Pierre Vilar, c’est « la conception territoriale et religieuse et non l’ambition commerciale et économique » qui l’emporte. Et cette conception a été façonnée par la Reconquista.

  1. L’ÉTAT D’ESPRIT RECONQUÉRANT

2.1. LA SOCIÉTÉ ESPAGNOLE

La reconquête chrétienne de la péninsule Ibérique a marqué d’autant plus profondément l’Espagne qu’elle s’est déroulée sur plusieurs siècles.

La Reconquista a façonné une société combattante qui connaissait, jusqu’au xiiie siècle, un certain équilibre : la grande noblesse est devenue puissante sans que ses intérêts la mettent en conflit avec la royauté ; la petite noblesse des hidalgos, très nombreuse, s’est forgée un idéal qui a survécu bien au-delà de la Reconquête ; la paysannerie libre, florissante, a donné à la reconquête sa dimension économique ; le paysan-soldat de la frontière a joué un rôle fondamental dans la mise en valeur et la défense des terres reconquises.

Aussi la société espagnole « reconquérante » présente-t-elle une originalité profonde avec ses chartes de peuplement et de franchises, ses traditions municipales, ses fueros, statuts particuliers de telle ou telle catégorie sociale ou religieuse.

2.2. LES PARTICULARISMES

Par son idéal – la Reconquista est une croisade –, une telle entreprise aurait dû favoriser l’unité nationale ; telle était bien l’ambition des rois des Asturies et de Castille. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit : les regroupements territoriaux, fruits du hasard et des mariages, se sont rapidement désagrégés, et l’union de la Castille et de l’Aragon (conséquence du mariage de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille) n’est acquise qu’au début du xvie siècle . La géographie, les conditions mêmes de la reconquête, le morcellement de l’Espagne musulmane expliquent en partie ce fait.

Mais, par ailleurs, la reconquête a fait naître un sentiment national très vif. Et cette contradiction entre le localisme et l’universel demeure aujourd’hui.

Enfin, la reconquête a fait naître, tardivement, le fanatisme religieux. Si au xiiie siècle, le roi saint Ferdinand s’est proclamé roi des trois religions (catholique, juive et musulmane), à la fin du xve siècle, les musulmans et les juifs ont été convertis de force, massacrés ou expulsés.

https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/la_Reconqu%C3%AAte/140502

"MA GUERRE" : RECIT D'UN ECRIVAIN UKRAINIEEN DEVENU SOLDAT, ARTEM CHAPEYE, EUROPE, GUERRE, GUERRE EN UKRAINE, GUERRES, HISTOIRE, HISTOIRE DE L'EUROPE, RUSSIE, UKRAINE

« Ma guerre » : récit d’une écrivain ukrainien devenu soldat

 « Ma guerre » : récit d’un écrivain ukrainien devenu soldat

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Il y a un an, la Russie envahissait l’Ukraine. Dès les premiers jours du conflit, Artem Chapeye décide de s’enrôler dans l’armée. Il nous raconte sa guerre, intime et insensée. Sans rien éluder de ses motivations, de ses cauchemars, de son nouveau rapport au monde.

Texte : Artem Chapeye, écrivain ; Traduction : Alla Lazareva ; Illustration : Baptiste Stephan, 

L’écrivain ukrainien Artem Chapeye, qui s’est enrôlé dans l’armée dès les premiers jours du conflit raconte sa guerre, intime et insensée.

Adolescent, j’étais impressionné par les intellectuels français du milieu du XXe siècle. C’était la fin des années 1990, l’électricité et le chauffage étaient régulièrement coupés en Ukraine. À l’époque, c’était en raison de la pauvreté. Aujourd’hui, l’électricité, le chauffage, l’eau et Internet sont constamment interrompus à cause des bombardements russes.

Lors de ma dernière année d’études secondaires, en 1998, j’ai passé tout l’hiver à la bibliothèque. Là, gardant ma veste et mon chapeau, j’ai lu L’Étranger d’Albert Camus, seulement disponible en traduction russe. C’était le seul exemplaire dans ma petite ville, et on n’avait pas le droit d’emprunter les ouvrages. J’ai ensuite découvert Jean-Paul Sartre. Je pense que c’est chez lui qu’un exemple de choix existentiel m’a profondément impressionné. La France est alors sous occupation nazie. Que choisir, personnellement : rester auprès de sa mère ou rejoindre la résistance ? Je ne sais pas qui je suis tant que je n’ai pas fait un choix. Je deviens réellement ce que je suis après avoir fait mon choix existentiel. L’existence précède l’essence.

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Artem Chapeye. / Source Artem Chapeye

Artem Chapeye, écrivain-soldat

Écrivain ukrainien parmi les plus brillants de sa génération, Artem Chapeye est le nom de plume d’Anton Vodyanyi. Né en 1981, il se montre un explorateur sensible de son pays et de ses compatriotes. Dans Loin d’ici, près de nulle part (1), son seul roman traduit en français, il décrivait en 2015 l’expérience de l’exil, racontait l’émigration économique vécue par beaucoup d’Ukrainiens dans les années 1990 et au début des années 2000, époque d’une Ukraine très pauvre, après la chute de l’Union soviétique. Son parcours peut sembler paradoxal. Cadet repenti d’une académie militaire, devenu pacifiste, il avait déjà renoué par la plume avec la chose militaire en écrivant, après 2014, des reportages sur la guerre du Donbass.

En juin 2022, nous l’avions interrogé sur les raisons de son engagement dans l’armée. Il avait commencé à nous raconter son pays quelques semaines après les débuts de l’invasion russe. Il nous expliquait alors ses choix et le secours qu’offre la littérature pour trouver du sens malgré la tragédie. Aujourd’hui, voici sous sa plume et en exclusivité pour La Croix L’Hebdo le récit de la guerre, de sa guerre. Saisissant.

(1) Éditions Bleu et Jaune.

Pensais-je alors, adolescent, qu’à l’âge de 40 ans je serais confronté à un dilemme similaire ? Mon pays a été envahi par un empire autoritaire. Que faire ? Rejoindre les forces de la résistance ou fuir, et rester avec ma famille ? M’engager ne correspondait pas à mes convictions sur la guerre, tirées de livres pacifistes. Ces livres parlent presque toujours de personnes très jeunes. Mais depuis l’invasion russe, on peut trouver dans l’armée ukrainienne un million de personnes de tous âges. Et ce n’est pas à propos du manque de sexe qu’on les entend râler (comme souvent chez les jeunes soldats), mais plutôt des douleurs de dos, à cause du gilet pare-balles. De nombreux militaires sont déjà pères de famille. Ils ont souvent, comme moi, des enfants en bas âge.

Je me souviens très bien de mon sentiment dominant dans les premiers jours où l’Obscurité est arrivée dans mon pays, par le nord. J’ai ressenti de l’amour. Un amour qui englobe tout. Et de la solidarité envers tout le monde. Ce sentiment est devenu ambivalent. Au début, il semblait que nous étions tous dans la même situation. Puis, des personnes ont commencé à faire des choix existentiels différents. Je dois dire que ce sentiment a changé depuis. Désormais, ma solidarité va davantage à ceux qui ont décidé de se battre. Mais nous y reviendrons.

Dans les premières heures de l’invasion, j’ai aimé tout le monde et tout ce qui m’entourait. J’ai ressenti de l’amour pour chaque personne rencontrée. De l’amour pour chaque brin d’herbe mort l’an dernier. Pour chaque brique sous le plâtre gris, humide et craquelé de mon vieil immeuble de neuf étages. J’ai ressenti de l’amour et de la compassion pour le petit chien brun attaché à la porte du magasin. Ce chien qui tremble en regardant son maître acheter en urgence du pain, des céréales, du sucre, des bougies. De l’amour pour le chat tigré et effronté qui dormait entre les pots de fleurs du rez-de-chaussée, juste devant la fenêtre de cette grand-mère qui me grondait parfois quand elle estimait que mon comportement n’était pas convenable « pour une personne aussi convenable ». De l’amour pour cette grand-mère grincheuse, maintenant silencieuse, qui essuie ses larmes avec son poignet, me regarde et me demande : « Comment c’est possible ? » Je la regarde avec de grands yeux douloureusement ouverts et je ne sais quoi répondre. Je ressens de l’amour pour la jeune mère aux taches de rousseur du cinquième étage qui se dépêche de porter jusqu’à sa voiture un berceau où dort son bébé. Elle est petite, mince et tendue, penchée à cause du poids de l’enfant. Elle sanglote.

La nuit, dans l’obscurité, dans notre appartement à Kyiv*, ma femme et moi avons été réveillés par des explosions. Les murs de l’immeuble de neuf étages ont tremblé. Ma femme a regardé dans l’obscurité et a dit : « Ça a commencé. »

Bien sûr, nous avions préparé une « valise d’urgence », comme le recommande le gouvernement. Plus précisément, il s’agissait d’un « sac à dos d’urgence » de la taille d’un sac de randonnée. Mais nous ne pensions pas vraiment en avoir besoin. Jusqu’au bout, nous avons refusé d’y croire. Dans l’Europe du XXIe siècle, un pays ne peut pas en envahir un autre. Il ne peut pas. Cela n’arrive pas.

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Baptiste Stephan

Cette nuit-là, les enfants ont dormi dans une tente. Nous avons – avions, aurons – cette tradition dans la famille. Parfois, si les enfants sont sages, je place une tente au milieu de la pièce et je m’y endors entre mes deux fils. Ils aiment beaucoup ce jeu. Et j’aime cela aussi. Ils s’endorment dans mes bras. Plus tard dans la nuit, bien sûr, je retourne auprès de ma femme, sur notre matelas orthopédique. L’âge auquel on peut dormir sur un tapis de randonnée, à même le sol, ne dure pas éternellement. J’ai mal au dos.

La veille de l’invasion, mes fils avaient été turbulents. Ma femme et moi avions cependant décidé de les « amnistier » et de monter la tente. Je reste heureux de cette décision. Comme il était bon que, cette dernière nuit de paix, mes deux fils s’endorment dans mes bras. Je pensais que je serais le seul à m’en souvenir pour le reste de ma vie. Mais non. Récemment, mon fils aîné m’a écrit de l’étranger : « Quand la guerre sera finie, je rêve de dormir à nouveau avec toi à la maison, dans une tente. Parce que je me souviens que lorsque la guerre a commencé, nous ne l’avons pas repliée. »

 « Les enfants, réveillez-vous. Je les avais sortis de la tente dans mes bras à cinq heures du matin. On va chez grand-mère.

– Maintenant ? L’aîné ne pouvait pas le croire.

– Oui, mes chatons. Votre grand-mère s’ennuie tellement de vous. Elle ne vous a pas vus depuis presque deux ans. »

Par crainte de les contaminer, nous n’avions pas emmené les enfants chez leurs grands-parents depuis le début de la pandémie de Covid. Mais, en Ukraine, la pandémie a pris fin du jour au lendemain, le 24 février 2022.

À ce propos, en Ukraine, on dit souvent simplement « le 24 », sans le mois ni l’année. Deux mondes, deux vies : « avant le 24 » ou « après le 24 ». Et tout le monde comprend.

Lorsqu’avec les enfants, écoutant la radio en silence, nous sommes arrivés en voiture dans le sud-ouest du pays, une demi-journée plus tard, tandis que le trajet prend habituellement deux heures, ma femme a montré du doigt le ciel uniformément gris et a dit : « La météo est assortie. Si le soleil brillait, ce serait quelque peu… »

Le monde semblait gris. Les bruits me parvenaient assourdis comme à travers de l’eau. Je n’avais pas peur. Tout était gelé au fond de moi. Je suis un écrivain professionnel et je ne parvenais pas à trouver les mots. Pas un seul. J’étais engourdi et mes pensées aussi. Nous formions un convoi de plusieurs voitures, pleines de gens que nous ne connaissions pas avant le 24. Une amie de ma femme avait emmené toute notre famille. Le reste du groupe était composé de parents et d’amis à elle. À l’heure du déjeuner, nous nous sommes arrêtés dans un village, chez le père de l’un d’entre eux. Ce paysan mince et moustachu, presque retraité, au regard bienveillant et à la poignée de main ferme, m’a semblé être l’incarnation vivante de cette « Ukraine profonde », indescriptible mais bien réelle, dont j’aime parler dans mes livres.

Le soir même, il a été mobilisé dans l’armée. À l’heure où j’écris, cet homme se trouve dans un hôpital militaire, blessé lors d’une bataille contre les Russes près de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine. C’est en partie grâce à lui que j’ai rejoint l’armée.

Je ne sais pas comment ce sentiment est appelé en France, mais en Ukraine, pour une raison quelconque, nous l’appelons « la honte espagnole ». Il s’agit de cette situation où le comportement d’une autre personne vous inspire de la honte. Le premier soir dans ce village, j’ai vu comment se comportait le fils adulte d’un père mobilisé. Vous souvenez-vous de la façon dont Winston Smith, le personnage principal du roman d’Orwell 1984, a finalement été brisé ? Il a commencé à crier : « Faites ça à Julia ! À Julia ! Pas à moi ! Je me fiche de ce que vous lui ferez ! (…) Ne me faites pas ça à moi ! »

C’est ainsi que le fils d’un père mobilisé s’est comporté. Au moins ce soir-là. Il est arrivé au village où il comptait se cacher. Lorsqu’il a appris par téléphone que son père et d’autres hommes avaient été alignés devant le conseil du village et qu’on leur avait distribué des fusils d’assaut, ce fils s’est couvert les yeux et s’est caché derrière les femmes. Et quand je lui ai demandé de nous conduire vers l’autoroute, il m’a répondu à voix basse qu’il ne voulait plus passer les checkpoints ukrainiens. C’est finalement une femme qui nous a aidés. Là, il m’est apparu clairement que la charge principale, comme toujours, retomberait sur les épaules de gens ordinaires – c’est-à-dire des paysans, des chauffeurs de bus, des ouvriers du bâtiment, des agents de sécurité travaillant au supermarché. L’Ukraine profonde, sur laquelle j’ai écrit. Les gens comme moi ou ce jeune homme – des personnes éduquées des grandes villes – à moins de se porter volontaires, peuvent facilement éviter la guerre. C’est ce soir-là que j’ai décidé d’être avec les gens ordinaires. Le lendemain, je me suis rendu au bureau d’enregistrement et je me suis enrôlé.

Jusqu’à ce jour, je me considérais comme un pacifiste, par principe. Depuis lors, j’appelle cette position de principe « pacifisme abstrait ». Le pacifisme abstrait est réservé à ceux qui ne sont pas confrontés à un choix existentiel et peuvent se permettre de théoriser. Aujourd’hui en Ukraine, il est inutile de rédiger une pétition contre les bombes et les missiles de croisière ; la résistance non violente ne fonctionne pas. Le Mahatma Gandhi, que j’ai traduit en ukrainien, a écrit des lettres à Adolf Hitler avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce ne sont pas ces lettres qui ont vaincu Hitler.

« Mieux vaut se battre malgré toutes les chances de perdre. »

 Poutine s’attendait à ce que l’Ukraine tombe en quelques jours ou quelques semaines. Comme beaucoup de gens en Occident d’ailleurs, et même de nombreux Ukrainiens. J’en étais. Et, puisque j’essaie d’être honnête, je vais vous le dire : je suis arrivé dans l’armée avec mon passeport et l’idée que je pourrais éventuellement fuir à l’étranger. Je pensais que nous allions perdre en quelques semaines ou quelques mois. Je nous imaginais alors devenir des partisans dans les forêts, armés de lance-missiles antichars Javelin. Tout le monde parlait de guérilla, car on s’attendait à ce que l’État s’effondre. Nous nous disions que cela nous donnerait le sentiment de ne pas être des victimes, mais des membres actifs de la résistance. Et que nous aurions au moins essayé.

Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Et c’est précisément en raison de ce choix. Mieux vaut courir vers les Ténèbres et résister, que fuir les Ténèbres et être une victime. Mieux vaut se battre malgré toutes les chances de perdre. C’est parce que des centaines de milliers de personnes ont fait ce choix existentiel que l’Ukraine n’a pas perdu. Et non seulement notre pays n’a pas été battu, mais les choses ont évolué de façon complètement différente. Il m’apparaît maintenant que le choix existentiel ne détermine pas seulement le sort des individus, mais aussi des communautés. Y compris des communautés imaginaires comme la nation. Je peux déjà constater comment notre perception de nous-mêmes a changé. Notre récit national, nos mythes, ont changé.

Mes enfants, à l’étranger, suivent le programme scolaire ukrainien, car nous avons l’intention de revenir. Il y a trente ans, j’ai moi-même appris « l’histoire du peuple ukrainien qui souffre depuis longtemps ». Il s’agissait essentiellement de la colonisation de l’Ukraine, d’abord par l’Empire russe, puis par son successeur, l’URSS. Au lieu de cela, dans la préface du nouveau manuel de mon fils, bricolé à la hâte, on parle de l’histoire du peuple ukrainien « héroïque et inébranlable ». Bien sûr, les deux visions sont des simplifications de pitoyables versions officielles, que j’ai longtemps essayé de déconstruire dans mes livres. Mais j’espère que cet exemple est clair : vous devenez ce que vous faites.

« Papa, je ne veux pas qu’on t’enrôle à la guerre.

– Ils ne m’enrôleront pas, mon amour, parce que je vais y aller de mon plein gré. »

C’est à mon fils aîné que j’ai d’abord annoncé ma décision. Je me souviens que j’avais moins peur de m’engager dans l’armée que d’en parler à ma compagne. Politiquement, nous sommes tous deux de gauche et féministes. J’étais probablement l’un des féministes masculins les plus connus du pays… Mais la guerre sépare toujours les rôles : l’homme part défendre le monde tandis que la femme reste auprès des enfants pour s’en occuper. Elle devient une réfugiée et une mère célibataire, par la force des choses. Cela continue de me mettre mal à l’aise. Il s’est produit la même chose que pour le pacifisme : pendant des décennies, on construit des coquilles « théoriquement correctes », et voici que l’histoire les balaye en une seule bourrasque. Je ne sais toujours pas quoi penser de tout cela. Je ferai des théories plus tard, quand j’aurai à nouveau ce privilège.

Ma femme est sociologue. À l’étranger, elle étudie les femmes qui, comme elle, à cause de la guerre, ont été contraintes de devenir des mères célibataires. Pendant mon temps libre, je transcris pour elle les enregistrements de ses entretiens. L’une des femmes interrogées, également féministe, a fui le pays à cause de ses enfants alors qu’elle aurait aimé rester en Ukraine pour rejoindre la lutte. Elle explique à ma femme : « J’ai une dissonance cognitive. Je n’avais pas prévu d’être à l’étranger, mais je réalise que je suis là et pour longtemps. Parce que j’ai des enfants. Mon identité de mère me lie à un endroit où je n’aurais peut-être pas choisi d’être dans d’autres circonstances. Vous pouvez être un professionnel de haut niveau, mais parce que vous avez des enfants, vous faites ce que vous devez faire, et c’est tout. Je pense que vous me comprenez parfaitement. »

« J’avais très peur de dire à ma femme que je partais à l’armée. »

Ma femme comprend. Et je comprends. Et peut-être que, moi non plus, je n’avais pas d’autre option. Et peut-être que Sartre avait partiellement tort. Avant le moment du choix existentiel, vous êtes partiellement déterminé par vos décisions antérieures, ainsi que par votre propre identité et par les circonstances. Par exemple, le caractère aléatoire du sexe et du lieu de naissance. Une de mes amies qui vit à Paris m’a écrit : « J’ai vu un type qui te ressemblait dans un café. Il buvait du vin et riait, et j’ai été envahie par un sentiment d’injustice. » Eh bien, j’ai le sentiment que nous luttons non seulement pour notre propre survie, mais aussi pour l’avenir de ce type et de ses enfants, à Paris. Nous le défendons contre un monde plus sombre dans lequel, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, certains pays pourront à nouveau en occuper d’autres et des millions de personnes seront obligées de choisir : fuir, se cacher ou rejoindre la résistance.

J’avais très peur de dire à ma femme que je partais à l’armée. Parce que si elle ne m’avait pas soutenu, peut-être que je n’y serais pas allé. Et peut-être que ce renoncement aurait lentement réduit notre relation. Le dernier film que j’ai regardé « avant le 24 » était Le Mépris de Jean-Luc Godard. Cependant, ma femme savait déjà ce que je ferais. Avant même que je ne le sache. Ma décision n’a pas non plus été une surprise pour mes parents, ni pour la plupart des personnes qui me connaissent. Alors que pendant des années j’ai prétendu être un pacifiste. Alors que le seul poème que j’ai écrit dans ma vie d’adulte commençait par le vers : « Quand la guerre viendra, je serai déserteur. »

Vos proches vous connaissent parfois mieux que vous-même. Ma femme m’a accompagné au bureau d’enrôlement militaire. Il y avait une longue file d’attente de volontaires.

Ma femme a dit aux enfants : « Ne vous inquiétez pas, papa sera juste envoyé à… et bien… garder des postes de contrôle. » Je ne sais pas pourquoi, mais pour l’instant, elle a plutôt visé juste. J’ai eu de la chance. J’ai été affecté à une compagnie de patrouille. Grâce à cela, je suis toujours en vie. La plupart des gens de cette petite ville qui se sont engagés dans l’armée ont fini dans la brigade de combat locale. Beaucoup d’entre eux ne sont plus parmi nous. Grâce à eux, grâce à tous ceux qui n’ont pas fui mais sont allés au front, nous sommes encore debout face aux Ténèbres. Grâce à eux, à ces personnes pour la plupart ordinaires, agriculteurs et ouvriers du bâtiment, le monde entier ne deviendra peut-être pas un endroit encore plus sombre.

J’ai eu, depuis, des moments de faiblesse. À chaque fois, ce sont les autres soldats qui m’ont soutenu. Le premier jour, dans une baraque du centre d’affectation, j’ai pleuré. Un jeune homme, lui aussi nouvellement mobilisé, s’est approché et m’a donné une couverture. J’ai été impressionné de voir comment une personne dans une telle situation a la force, contrairement à moi, de prendre soin de son prochain. Il s’est avéré que cet homme était séminariste. Il portait en lui une question qui lui faisait mal : « Si je dois tuer à la guerre, pourrai-je être ordonné prêtre ? »

Comme je ne me suis pas retrouvé dans des conditions vraiment dangereuses, le plus dur a été la séparation d’avec mes enfants et ma femme. Le premier mois, ils sont restés en Ukraine. Poutine menaçait alors d’utiliser ses armes nucléaires et nul ne savait quelle ville il pouvait choisir de raser. Chaque nuit, je rêvais que des enfants mouraient. Parfois, il s’agissait de mon jeune frère enfant. Parfois, un chaton tombait par la fenêtre. Parfois, un camion militaire écrasait notre chien. Tous ces cauchemars ont cessé le jour où ma femme et mes enfants sont partis à l’étranger.

Des rêves plus doux ont alors pris le relais. Contrairement aux cauchemars dont vous essayez de vous extraire de toutes vos forces, vous rêvez que vous serrez vos enfants dans vos bras. Tout est si beau, si lumineux et si ensoleillé que vous commencez à vous demander si ce n’est pas trop beau pour être vrai – et à cette pensée, les enfants commencent à se dissoudre dans l’air. Vous les prenez dans vos bras, les serrez contre vous pendant qu’ils fondent jusqu’à disparaître, et vous vous réveillez en larmes. Il n’y a pas d’enfants. Vous êtes en uniforme militaire, avec un fusil-mitrailleur, quelque part dans une caserne ou une voiture. Le cauchemar est bien réel, et vous vous détournez des autres soldats pour qu’ils ne vous entendent pas pleurer.

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Baptiste Stephan

Le jour de l’anniversaire de mon fils aîné – il allait avoir 10 ans, il était à mille kilomètres de moi et je ne savais pas quand je le reverrai ni même si je le reverrais –, j’ai dessiné un gâteau avec le chiffre 10. J’ai écrit « Je t’aime très fort » et j’ai demandé qu’on me prenne en photo avec cette image sur mon téléphone. « Artem, souris ! » m’a dit le soldat qui prenait les photos.

« J’avais très peur de la façon dont la guerre pourrait me changer. »

Je n’ai pas pu. Toute cette journée d’anniversaire de mon fils, j’ai marché et serré les dents. Pour que personne ne remarque mon état. Ça n’a pas marché.

 « Artem, tu ne vas pas déjeuner ? », m’a demandé l’officier de service.

J’ai secoué la tête et j’ai essayé de partir rapidement en disant : « Pas faim. » Mais l’officier m’a suivi : « Il t’est arrivé quelque chose ? Quelqu’un est mort ? » Ma vie est morte, ai-je pensé. Et j’ai fondu en larmes quand j’ai essayé de lui dire à quel point mes enfants me manquaient. Et lui, soldat avec une mitrailleuse, m’a serré dans ses bras : « Tu sais que la plupart des gens ici ressentent la même chose, n’est-ce pas ? »

J’avais très peur de la façon dont la guerre pourrait me changer. Je craignais qu’elle ne me rende plus dur. Pour contrer cela, je me suis efforcé de devenir encore plus sensible et prévenant. Par exemple, j’ai acheté des saucisses pour les chiens et les chats errants. Sur les photos, on voit souvent des militaires qui prennent soin des animaux. Ce n’est pas un hasard. Nous avons beaucoup de tendresse inemployée. En mai, j’ai même passé un mois entier à nourrir une fourmilière dans la forêt. J’apportais des morceaux de pomme et de chocolat, et j’observais les fourmis les récupérer.

Je ne crois pas être devenu plus dur. Mais la guerre a quand même commencé à me changer.

Ceux qui réfléchissent le moins détestent et déshumanisent les soldats russes. Dans les premiers mois de l’invasion, les militaires russes ont été comparés aux Orques des livres de Tolkien. Je n’aime pas cela, mais je peux comprendre. Ceux qui réfléchissent davantage sont plus enclins à prendre en pitié les Russes sans pitié. Je ne sais pas si une personne qui n’a pas connu la guerre peut comprendre ce sentiment, mais l’une des déclarations artistiques les plus fortes sur l’invasion russe, écrite dans le style d’une chanson folklorique, contient ces mots : « Oh, je suis désolé, mon petit ennemi, que tu aies choisi ce chemin. » Récemment, j’ai transcrit pour ma femme des entretiens de sociologues ukrainiens avec des membres de l’opposition russe. Ils racontent que les manifestations anti-guerre en Russie ont été rapidement réprimées. J’ai été frappé par l’histoire d’un homme qui se sentait isolé, désespéré et ne savait pas quoi faire. Il a mis le feu à la porte du bâtiment du FSB [les services de sécurité de la Fédération de Russie] et ne s’est même pas enfui. Il voulait que son action serve d’exemple. Mais les gens autour de lui ont détourné le regard. Il est resté seul jusqu’à ce que l’on vienne l’arrêter. Une triste dystopie.

Il n’y a pas de débat concernant nos sentiments envers l’envahisseur. En revanche, beaucoup de soldats que je connais ont des problèmes avec leurs vieux amis qui ont décidé de ne pas rejoindre la résistance.

Trois mois après le début de la guerre, j’ai eu, pour la première fois, une permission de deux jours dans ma petite ville natale, chez mes parents. J’ai retrouvé toutes ces personnes que je connais depuis l’enfance, et qui sont restés mes meilleurs amis… jusqu’au 24. Nous sommes amis depuis trente ans. Mais sommes-nous encore amis ? L’un d’eux m’a raconté comment, après l’invasion russe, il était devenu un « hyper-patriote » (à propos, je ne me suis moi-même jamais considéré comme un patriote et je ne le suis toujours pas). Une heure plus tard, après avoir bu deux ou trois bières, l’hyper-patriote a baissé la voix et m’a dit : « Si on reste tranquille, dans un coin, on peut rester comme ça jusqu’à la fin. »

Ce n’était que le premier de mes deux jours de permission, mais j’ai eu brutalement envie de me lever et de retourner dans mon unité militaire, auprès des personnes dont je me sentais solidaire. Par politesse, je ne l’ai pas fait et j’ai gardé le silence.

Plus tard, un autre ami m’a raconté au téléphone qu’il était assis dans un café de Kyiv, une ville qui a été défendue par d’autres : « Il faut juste profiter de la vie. » C’est vrai, ai-je d’abord pensé. Puis, j’ai réfléchi. Je comprends la peur ; je suis moi-même un grand lâche. Mais j’ai finalement estimé que cette attitude témoignait d’un certain égoïsme. Même si, quand j’y songe, je me dis que j’ai peut-être tort.

Une autre fois, un ami cherchait un appartement à Kyiv, devenu plus sûr après le repli des Russes. Il voulait louer un appartement pour lui et sa famille dans le quartier où je vivais avec la mienne avant la guerre. Je lui en ai soudain voulu, comme s’il allait vivre notre vie dans notre dos. Tant de gens ont laissé leurs enfants en s’engageant pour que lui puisse être avec les siens. Et des dizaines de milliers de personnes ont eu moins de chance que nous et sont mortes.

Tous ces ressentiments ne se déclenchent pas en même temps. Ils surgissent progressivement, en réaction à des centaines d’anecdotes similaires. Un mur se forme entre ceux qui s’engagent et ceux qui ne s’engagent pas. Même si on sait bien, comme le montre l’Histoire, que tout le monde ne prendra pas les armes. En France pendant l’occupation nazie, tous n’ont pas rejoint la Résistance. Et tous les Vietnamiens n’ont pas combattu l’invasion américaine. Ça ne marche pas comme ça.

Parfois, je croise le regard d’hommes en civil : certains ont de la honte dans les yeux, d’autres de l’aversion. J’attribue ces sentiments à ma présence et à la peur d’être « rattrapé » et mobilisé. Un jour de permission, le commandant de l’unité nous a donné, à moi et à un autre soldat, l’autorisation d’aller à la salle de sport. Quand nous sommes entrés dans le gymnase en uniforme, il était plein de culturistes. Pensant que nous étions de la commission de mobilisation, ils sont partis se cacher dans les coins.

De vieilles amitiés se dissolvent. Mes enfants sont en train de perdre leurs dents de lait. Je l’ai vu sur les photos que ma femme m’envoie. Le processus de dissolution des amitiés me rappelle la façon dont les dents de lait tombent après la dissolution des racines. Mais d’autres dents poussent à leur place. Des gens que j’ai rencontrés dans l’unité militaire, ou seulement en passant, deviennent des amis proches. Récemment, j’ai reçu un appel d’une connaissance avec laquelle j’avais peu de liens bien que nous ayons une admiration réciproque. Il est aujourd’hui l’une des personnes dont je me sens le plus proche. Il s’est également porté volontaire pour lutter contre l’invasion, même si ses motivations sont complètement différentes des miennes.

Il m’a dit au téléphone : « Comprends que tout le monde ne peut pas avoir assez de force. C’est comme si, à la salle de sport, on demandait à tous de soulever une barre d’haltères de cent kilos. »

Bien sûr, il a raison.

C’est un autre point de vue. Vous pouvez dire : « Mes amis se sont avérés être faibles. » Ou vous pouvez dire : « Maintenant, je suis parmi les plus forts. » Et, parmi ces plus forts, je me sens l’un des plus faibles. Et ces plus forts me soutiennent. Ainsi, un lieu commun de la littérature sur la guerre s’est révélé juste : la « fraternité » – ou la « sororité » pour les femmes – entre militaires existe.

Il y a des choses dont un soldat parlera d’abord avec un autre soldat, parce qu’il n’est pas sûr qu’un civil le comprendra. L’être détermine la conscience. Mais même ici, on peut faire des erreurs, comme j’en ai fait une récemment.

J’ai vu qu’il voulait me parler. Un homme d’une cinquantaine d’années avec une barbe pointue. Nous étions tous deux en uniforme parmi les civils. J’ai pu voir à son regard et à ses mouvements timides qu’il avait besoin de parler. On a d’abord échangé sur des choses générales : qui sert où, qui était où. Puis il a dit :

« Le plus dur, c’est quand il faut tirer la première fois sur une personne. J’ai vu ses yeux.

– Tu as dû en tuer beaucoup ?, ai-je demandé, et aussitôt je me suis mordu la langue.

– C’est une question stupide.

– Je suis désolé. C’est une question stupide. Je suis désolé. Je suis désolé. Désolé… Ses yeux se sont remplis de larmes. Je suis désolé.

 Ne demande jamais ça. Personne ne vous le dira. Il a mis du temps à se remettre de ma question stupide. Je n’ai pas dormi depuis un mois. Un mois. Seigneur, pardonne-moi, je suis un pécheur. Dès que je m’endors, je vois ses yeux. En vacances, à la maison… Un chat entre dans la pièce, je sursaute. Les gens comme nous… Il sanglote encore… On nous a jetés comme des chiens… Et si je ne l’ai pas tué ? Et alors ? Les autres gars devront le faire… ! Et puis, tu viens ici et on te demande ça : “Combien en as-tu eu ?” ! »

« Après une année de guerre, comme le premier jour, je ne rêve que d’enlever mon uniforme. »

 Tu es assis en face d’un homme qui a tué. Pourtant tu ne peux pas le considérer comme un « meurtrier ». C’est un homme qui a été obligé de tuer. Il est juste là, à deux mètres de toi. Tu sais qu’il a tué, et tu l’aimes plus que tout au monde, tu l’aimes tellement que tu sens le flux d’hormones, d’ocytocine ou autre, tu sens le flux d’énergie qui va de toi à lui, et tu veux le serrer dans tes bras, mais tu as peur, peur de le serrer, peur de le toucher. Parce que même un chat dans la nuit le fait sursauter.

Les gens posent parfois des questions sur « la fatigue de la guerre ». Je ne sais pas. Cela me semble aussi abstrait que le « pacifisme » face aux bombes et aux missiles. Les premiers jours, et encore aujourd’hui, mon plus grand rêve était que ce cauchemar se termine le plus vite possible. Après une année de guerre, comme le premier jour, je ne rêve que d’enlever mon uniforme. Et, surtout, que mes enfants n’aient pas à le porter quand ils seront grands. Une fois, alors que mon fils était encore en maternelle, il était censé jouer un soldat de plomb du conte d’Andersen pour Noël. En voyant mon enfant en uniforme, j’ai pensé : « Fils, j’espère que tu n’auras jamais à le porter dans la vraie vie. » Et c’est peut-être pour cette raison que je dois porter l’uniforme. J’ai également rencontré un volontaire de 50 ans qui s’est engagé dans l’armée afin d’empêcher la mobilisation de son fils de 25 ans.

Que signifie « la fatigue de la guerre » ? Quelles sont les autres options ?

Je ne veux pas me lancer dans un exposé de l’histoire de l’Ukraine pour les étrangers, mais les options sont simples. Soit se défendre ici et maintenant, avec des pertes, soit rester une colonie de l’empire russe pendant encore cent ans. Si nous nous rendons, ils pourront faire n’importe quoi de nous, tout comme le gouvernement chinois le fait avec les Ouïghours. Maintenant, au moins, on nous aide en nous donnant des armes. Si nous sommes vaincus, le monde ne pourra que « montrer une profonde inquiétude ». Récemment, le Parlement européen a enfin reconnu la famine artificielle en Ukraine, l’Holodomor de 1932-1933, comme un génocide. Bien sûr, il est difficile d’imaginer que dans l’Europe d’aujourd’hui, des millions de personnes puissent être à nouveau tuées. Mais jusqu’au 24, nous ne pouvions pas imaginer que dans l’Europe d’aujourd’hui, un pays puisse en envahir un autre.

Récemment, les services secrets britanniques ont rendu publics les plans initiaux de la Russie, qui, après l’occupation, envisageait de diviser l’Ukraine en quatre parties et liquider physiquement les « irréconciliables ». Dans les territoires actuellement occupés, nous pouvons déjà voir comment les enfants sont « reprogrammés » par les écoles pour devenir des « Russes ». Cela peut aussi être considéré comme une forme de génocide.

Soit vous vous battez avec le risque de mourir à cause des éclats de roquettes, soit vous ne vous battez pas et vous risquez encore de mourir avec un sac sur la tête, les mains attachées dans le dos, comme les civils à Boutcha. Vous pouvez être torturé à tout moment et pour n’importe quelle raison.

Fatigue ou pas, c’est une question de survie.

Après neuf mois de guerre, j’ai enfin pu aller à l’étranger pour rendre visite à mes enfants. C’est une situation exceptionnelle pour un militaire : j’étais invité à un festival littéraire, et ce déplacement a été approuvé par le commandant en chef des forces armées de l’Ukraine. La décision a été prise au dernier moment et dès le premier jour, j’ai été tourmenté par la sensation qu’il existe un fossé entre deux mondes : un après-midi, vous patrouillez encore dans le froid avec des armes dans une installation militaire, et deux heures plus tard, vous remettez vos armes, le commandant vous emmène prendre un bus. Moins d’un jour plus tard, vous vous promenez dans une ville européenne décorée d’illuminations de Noël.

J’ai traîné mes enfants aux événements littéraires pour ne pas manquer une seule heure avec eux. Je les ai accompagnés à l’école pendant plusieurs jours. Le soir, je ne les quittais pas, je les gardais dans mes bras, pour les caresser, les embrasser. J’ai dormi avec eux dans le même lit. J’étais heureux d’être avec eux et, en même temps, malheureux de voir tout ce que j’avais perdu. Il n’y aura pas de vie comme « avant le 24 » tant que ce cauchemar ne sera pas terminé. Même si j’enfreignais toutes les lois, que je m’enfuyais et restais en Europe, ce que, bien sûr, je n’envisage pas à ce stade.

En prenant le tram dans cette ville européenne, j’ai eu l’impression que tout qui s’y passait était comme plat, superficiel. Pas tout à fait réel. Un décor dessiné sur une feuille brillante en plastique coloré.

Une semaine plus tard, de retour en Ukraine, je me suis rendu à pied à l’unité militaire dans la petite ville où je suis maintenant en poste. C’était une soirée d’hiver. La ville était presque entièrement plongée dans le noir, à cause des bombardements russes sur les centrales électriques. Seuls ici et là, des générateurs diesel ronronnaient, certaines fenêtres étaient faiblement éclairées. J’ai marché dans l’obscurité et j’ai senti que pour moi, la véritable existence, avec toute la profondeur de l’être, se trouvait ici. Une existence qu’aucune personne normale pourtant ne choisirait volontairement.

* Bien que L’Hebdo utilise habituellement la graphie Kiev, tirée du russe, nous avons ici fait le choix, par respect pour l’auteur, de respecter la graphie ukrainienne.

 

 

 

https://www.la-croix.com/Monde/Ma-guerre-recit-dun-ecrivain-ukrainien-devenu-soldat-2023-02-18-1201255808

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Film Vaincre ou mourir

Guerre de Vendée : le film « Vaincre ou mourir »

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Le film du Puy du Fou « Vaincre ou mourir », qui raconte l’épopée de Charette durant la guerre de Vendée (1793-1796).

« Vaincre ou Mourir », le premier film du Puy du Fou réalisé en partenariat avec Canal +, sort ce mercredi 25 janvier dans toutes les salles de cinéma en France. Ce film au souffle épique​, dixit Nicolas de Villiers, le président du Puy du Fou, évoque la vie de Charette (1763-1796), le plus romanesque des chefs vendéens. Le film a été tourné à 80 % au Puy du Fou qui a mis à disposition des réalisateurs, Paul Mignot et Vincent Mottez, ses moyens humains, animaliers et ses décors. Le film a nécessité 60 000 costumes, 230 chevaux et des milliers de figurants.

Plusieurs historiens, dont l’Angevine Anne Rolland Boulestreau, ont été consultés en amont et interviennent au tout début pour donner la mesure de la véracité de l’histoire​, précise Nicolas de Villiers. C’est une œuvre artistique, ce n’est pas un travail scientifique mais tous les faits racontés sont exacts. Les dialogues, les sentiments, l’intimité des personnages ne nous sont pas donnés par l’histoire, c’est à ce moment-là que la fiction prend le relais, prévient Nicolas de Villiers.

Le rôle de Charette est tenu par Hugo Becker. Jean-Hugues Anglade et Constance Gay, entre autres, lui donnent la réplique.

Ouest-France

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« Vaincre ou Mourir »

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Le célèbre parc avait annoncé il y a quelques mois la production d’un long-métrage sur l’officier de Marine Charette. Ce dernier s’intitule « Vaincre ou Mourir », 

Après visionnage de la bande-annonce de « Vaincre ou Mourir », le seul sentiment qui s’en dégage, c’est que l’on a hâte d’être le 25 janvier prochain pour aller le découvrir sur grand écran.

  1. Voilàtrois ans que Charette, ancien officier de la Marine Royale, s’est retiré́ chez lui en Vendée. Dans le pays, la colère des paysans gronde : ils font appel au jeune retraité pour prendre le commandement de la rébellion. En quelques mois, le marin désœuvré devient un chef charismatique et un fin stratège, entrainant à sa suite paysans, femmes, vieillards et enfants, dont il fait une armée redoutable car insaisissable. Le combat pour la liberté ne fait que commencer…

 

Musique épiques, scènes impressionnantes

« Vaincre ou Mourir » nous emmènera donc dans un contexte de guerre civile à la suite de la mort du roi Louis XVI, tout en nous immergeant dans le récit, par le point de vue du personnage de Charette. Dans une bande-annonce impressionnante, le film produit par le « Puy du Fou » annonce le ton. Image sublime, décors et costumes magnifiques et musiques épiques, le film veut, tout comme le parc, impressionner par une dimension grandiose basée sur des faits majeurs de l’histoire de France, en plus d’être rattaché à la région vendéenne chère au « Puy du Fou ». 

Le spectateur peut ainsi s’attendre à des scènes de batailles spectaculaires, mêlant infanteries et cavaleries, le tout réalisé avec soin par Vincent Mottez et Paul Mignot. Parmi les acteurs, on retrouvera Hugo Becker dans le rôle de Charette, ainsi que Rod Paradot, Gilles Cohen, Grégory Fitoussi, et bien d’autres.

Le parc avait déjà réalisé un spectacle sur la vie de Charette intitulé « Le Dernier Panache », à couper le souffle et qui avait conquis sans difficulté 12 millions de spectateurs. Espérons pour la jeune production audiovisuelle que le succès sera également au rendez-vous avec ce long-métrage. Ainsi rendez-vous le 25 janvier 2023 dans les salles de cinéma pour découvrir le 1er long-métrage du studio qui, ne sera a priori que le premier d’une longue lignée. 

Famille Chrétienne

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François Charette (1763 – 1796)

Insoumis vendéen

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Le 11 mars 1793, les paysans du Bas-Poitou, au sud de Nantes et dans le département de la Vendée, refusent la levée en masse et prennent les armes contre la République. C’est le début des guerres de Vendée. Ancien lieutenant de vaisseau, François Charette est entraîné ainsi que d’autres officiers à la tête de l’insurrection, au nom de Dieu et du Roi.

Forte tête, Charette fait néanmoins bande à part. Il mène sa propre guerre contre les armées de la Convention, les « bleus » sans guère se solidariser des autres chefs vendéens. Au bout de deux ans de succès et surtout de revers, alors que Robespierre vient d’être renversé et que les périls extérieurs s’éloignent, la Convention le convainc de conclure une trêve mais celle-ci ne durera pas. Bien qu’isolé, Charette reprend le combat en Bretagne en 1795. Cette décision signe sa perte…

Un officier au service de la cause vendéenne

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François Athanase Charette de la Contrie naît le 2 mai 1763 à Couffé, non loin de Nantes. N’étant que le cadet d’une famille noble, il n’a droit qu’à une modeste part de l’héritage familial.

Après avoir étudié à l’école des Gardes de la Marine, il devient lieutenant de vaisseau en 1787 et participe à de nombreuses batailles dans le monde entier : en Russie, en Amérique, au Maghreb…

En 1790, il prend une retraite anticipée et revient au pays pour épouser la veuve de son cousin, qui a quatorze ans de plus que lui… et une belle dot ! Le couple s’installe en Vendée, dans le manoir de Fonteclose et Charette se fait une réputation de coureur de jupons qui ne le quittera pas.

Au début de la Révolution, en 1791, il rejoint les émigrés de Coblence, en Allemagne, d’après les dires de certains historiens. Quoi qu’il en soit, l’année suivante, on le retrouve en France.

Francois-Charette

1793 marque un tournant pour le jeune homme : le 27 mars, deux semaines après le début de l’insurrection, des paysans vendéens viennent le chercher chez lui. Ils lui demandent de devenir leur chef pour remplacer Louis-Marie de la Roche Saint-André, mort à Pornic en combattant l’armée républicaine.

Charette, loin d’être enchanté par cette offre, tente de se dérober en se cachant sous son lit ! Finalement, il accepte. Sa première démarche ? Reprendre Pornic aux républicains.

Suite à cette victoire, l’officier adopte sa célèbre devise « Combattu : souvent, battu : parfois, abattu : jamais ». Il la met en application dès le 30 avril en défendant la ville de Legé, puis en combattant vaillement à Saumur au mois de juin, soutenu par des déserteurs républicains.

Combatif mais farouchement indépendant

Après avoir folâtré pendant quelques semaines dans sa bonne ville de Legé, avec ses hommes… et quelques femmes de bonne compagnie comme la comtesse Marie Adélaïde de La Rochefoucauld, qui finira fusillée aux Sables d’Olonne, François Charette s’engage aux côtés de la « Grande Armée Catholique et Royale » de Jacques Cathelineau et du marquis de Lescure.

Mais leur tentative pour s’emparer de Nantes le 29 juin 1793 est un sévère échec. Charette et ses hommes, bloqués sur la rive gauche de la Loire, ne peuvent rien faire d’autre que canonner de loin la cité pendant que leurs alliés se font hacher menu sous les murailles.

Heureusement vient ensuite une réussite : la prise de Tiffauges le 19 septembre par Lescure et Charette.

En octobre 1793, n’obéissant pas aux consignes de ses alliés et partenaires, Charette s’empare de l’île de Noirmoutier en ne craignant pas de traverser à marée montante le gué qui sépare l’île du continent.

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Dans le même temps, l’Armée catholique et royale subit un terrible échec à Cholet. C’est le début de la fin. Les défaites se succèdent pendant que les « colonnes infernales » du général Louis-Marie Turreau ravagent la Vendée.

Suite à la chute de Robespierre et à la fin de la Terreur, la Convention demande aux  généraux Lazare Hoche et Jean-Baptiste-Camille de Canclaux de ramener la paix dans la région.

La soeur de Charette convainc celui-ci de négocier avec les nouveaux chefs républicains. Après plusieurs jours de négociations, un traité de paix est conclu au manoir de La Jaunaye, près de Nantes, le 17 février 1795.

Les Vendéens obtiennent le droit de pratiquer le culte catholique et sont dispensés de tout devoir militaire envers la République. On promet aussi de leur rendre les biens qui leur avaient été confisqués. Hoche doit veiller à l’application de ces mesures.

Dix jours plus tard, ceint de l’écharpe blanche des royalistes, Charette défile à Nantes avec quelques-uns de ses officiers ainsi qu’avec le général républicain Canclaux et le représentant en mission Ruelle. 

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Jusqu’auboutiste à Quiberon

Les paysans vendéens, qui ont retrouvé leurs églises et leurs curés, n’ont plus envie de se battre. Mais Charette, quant à lui, se prend au jeu. Peut-être ému par la mort du malheureux Louis XVII, l’enfant de Louis XVI, il noue à Belleville, le 25 juin 1795, une alliance secrète avec des représentants du comte de Provence, frère cadet de Louis XVI, futur Louis XVIII. Les Anglais lui offrent un appui intéressé.

C’est ainsi qu’une troupe de quelques centaines de royalistes armés venus d’Angleterre débarque deux jours plus tard à Carnac. Mais, alors que le général Hoche se prépare à les affronter, ses chefs se disputent sur la conduite à tenir.

Le 21 juillet, Hoche inflige aux royalistes une défaite à Quiberon. 750 prisonniers sont sommairement jugés à Auray et fusillés sur la plage malgré la promesse de leur rendre la vie sauve.

Il en faut davantage pouà.r décourager Charette. En dépit de son isolement volontaire, il se propose d’organiser un nouveau débarquement de royalistes avec à leur tête le comte d’Artois, futur Charles X.

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En octobre 1795, ce dernier atteint l’île d’Yeu mais, jugeant la situation trop dangereuse à son goût, il préfère rembarquer pour l’Angleterre. Apprenant cela, Charette dit à l’envoyé du prince : « C’est l’arrêt de ma mort que vous m’apportez. Aujourd’hui j’ai quinze mille hommes, demain je n’en aurai pas trois cents. Je n’ai plus qu’à me cacher ou à périr : je périrai. ».

Traqué dans le bocage vendéen, il tente de rejoindre Jean-Nicolas Stofflet, qui continue le combat en Anjou. Mais ce dernier est arrêté et fusillé le 25 février 1796.

Les républicains se mettent en quête du dernier fauteur de troubles : Charette. Ils l’arrêtent dans sa région natale, à Saint-Sulpice-le-Verdon, et le fusillent à Nantes quelques jours plus tard, le 29 mars 1796.

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Un monument a été érigé en sa mémoire dans le bois de la Chabotterie, à Saint-Sulpice-le-Verdon. De nombreuses rues de Vendée et de Loire-Atlantique portent aujourd’hui son nom, et un spectacle en son honneur a été créé au Puy du Fou.

Source : Hérodote.net

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 « Génocide » : un débat historique et juridique récent

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Vend%C3%A9e

 

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Définition de « génocide »

Le terme « génocide » est créé en 1944 par Raphaël Lemkin, professeur de droit américain d’origine juive polonaise, afin de tenter de définir les crimes d’extermination commis par l’Empire ottoman et le mouvement Jeune Turcs à l’encontre des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale et les massacres d’Assyriens en Irak en 1933, puis par extension aux crimes contre l’humanité perpétrés par les nazis contre les peuples juif et tzigane durant la Seconde Guerre mondiale. Il écrit : « De nouveaux concepts nécessitent de nouveaux mots. Par génocide, nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. » C’est un mot que Lemkin avait d’abord créé en polonais en 1943 : ludobójstwo (de lud, qui veut dire peuple, et zabójstwo, qui signifie meurtre). En 1944, il traduit le terme polonais en anglais par « genocide » (génocide), mot hybride composé de la racine grecque « genos », qui signifie race ou tribu, et du suffixe latin « cide » (de « caedere », qui signifie tuer).

Le terme est défini officiellement par l’assemblée générale des Nations unies dans l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948. La Charte de l’ONU et l’article 8 de la convention de Genève obligent la communauté internationale à intervenir pour « prévenir ou arrêter des actes de génocide ». Plus récemment, l’article 6 du statut de la Cour pénale internationale définit le crime de génocide, qui se distingue par l’intention d’extermination totale d’une population, d’une part, la mise en œuvre systématique (donc planifiée) de cette volonté, d’autre part. C’est souvent la contestation de l’un de ces éléments qui fait débat pour la reconnaissance officielle d’un crime en tant que génocide.

  

Le débat sur le « génocide vendéen »

Le débat autour du génocide vendéen est apparu dans la communauté universitaire dans les années 1980, en particulier avec les travaux engagés par Pierre Chaunu et Reynald Secher. Le caractère sanglant et massif de la répression de l’insurrection en Vendée n’est contesté par personne, même si les chiffres demeurent imprécis et discutés  et si les descriptions traditionnelles d’un massacre comme celui des Lucs-sur-Boulogne ont été remises en cause par la recherche historique. En tout état de cause, juridiquement, le nombre de victimes ne change pas la nature du crime, seules la nature des actes, l’intention et les moyens comptent. Les volontés délibérées d’extermination des populations vendéennes par les autorités républicaines, tout comme le caractère génocidaire des massacres commis par les agents qui exécutaient leurs ordres, font l’objet de contestations importantes. L’une des sources employées par les tenants de l’idée d’un génocide vendéen, en plus des directives et des ordres qui se trouvent aux archives du ministère de la Guerre, est un livre de Gracchus Babeuf.

  

Babeuf et le populicide

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Gracchus Babeuf, gravure de François Bonneville,
Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, 1794.

En 1794, sous la Convention thermidorienne, Babeuf publie un livre, Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier, dans lequel il dénonce les exactions commises par Jean-Baptiste Carrier lors de sa mission à Nantes, dont il affirme (dans le paragraphe IV) qu’elles renvoient à un système de dépopulation qu’il nomme «populicide», néologisme qui est créé pour évoquer une idée inédite. Employé sous la Révolution à la fois sous une forme nominale et adjectivale (la seule qui ait survécu à la période révolutionnaire, dans la langue française), « populicide » est utilisé pour désigner ce qui cause la mort ou la ruine du peuple. Le mot est formé de la racine latine populus (le peuple) et du suffixe latin cide. Comme le mot « génocide », forgé par Lemkin en 1944, il est employé pour désigner une forme de crime dont l’appréhension est inédite.

Dans son texte, le « système de dépopulation » concerne l’ensemble de la France, et non la seule population vendéenne. Dans son livre, Babeuf, reprenant les critiques des Enragés qui défendaient l’application immédiate de la constitution de l’an I, dénonce la Terreur, qu’il juge responsable des massacres commis en 1793-1794, et attaque (avec les modérés, les muscadins et les néohébertistes) les Montagnards et les Jacobins. Cette mise en accusation est appuyée sur la mise au jour, après Thermidor, des exécutions, des massacres et des destructions de la guerre civile et de la Terreur. Avec d’autres pamphlétaires, Babeuf reprend les accusations du journal La Feuille nantaise qui, dans son numéro du 5 brumaire an III, accuse l’Incorruptible d’avoir voulu « dépopuler » le pays. D’après ses assertions, les membres du comité de salut public, autour de Robespierre, visant l’établissement de la plus grande égalité possible en France (projet dont il se déclare par ailleurs solidaire), auraient planifié la mort d’un grand nombre de Français Leur analyse aurait été fondée, selon lui, sur les réflexions des philosophes politiques du xviiie siècle (comme Jean-Jacques Rousseau), qui considéraient que l’établissement de l’égalité nécessitait une population moindre que celle de la France de l’époque (en fait, pour ces philosophes, un gouvernement démocratique, fondé sur une certaine égalité des richesses, à l’exemple des cités-États de l’Antiquité, de Genève ou de Venise, réclamait non seulement un nombre de citoyens réduit, mais un territoire peu étendu). Suivant cette théorie, la guerre civile dans l’Ouest (avec la mort dans la bataille des Blancs et des Bleus) et la répression des insurrections fédéralistes et royalistes auraient été l’outil de ce programme de dépopulation de la France, dont Carrier, à Nantes, n’aurait été qu’un agent local. Les défaites des troupes républicaines face aux insurgés royalistes auraient été organisées par le comité de salut public afin d’envoyer à la mort des milliers de soldats républicains, puis il aurait mis en place un plan d’anéantissement des Vendéens, que Babeuf met en parallèle avec la répression de l’insurrection lyonnaise, attribuée au seul Collot-d’Herbois.

  

Les partisans de la thèse du génocide

 Chez les historiens

Le terme de « génocide vendéen » apparaît en 1969 dans un article de la revue du Souvenir vendéen rédigé par le médecin-général Adrien Carré, qui fait un parallèle assumé avec les crimes nazis de la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci introduit pour la première fois dans l’historiographie vendéenne les termes de « crimes de guerre », de « crimes contre l’humanité » et de « génocide ».

À partir de 1983-1984, l’historien Pierre Chaunu fait sortir la formule de « génocide vendéen » de la confidentialité et provoque les premiers débats entre historiens.

En 1986, Reynald Secher fait paraître La Vendée-Vengé, Le génocide franco-français, tirée de sa thèse de doctorat soutenue à Paris IV-Sorbonne, le 21 septembre 1985 et dont le jury était constitué de Jean Meyer, Pierre Chaunu, André Corvisier, Louis Bernard Mer, Yves Durand, Jean Tulard et Jean-Pierre Bardet. La thèse du génocide vendéen devient alors largement médiatisée dans le contexte des préparatifs du bicentenaire de la Révolution française. La polémique bat son plein entre 1986 et 1989, où partisans et opposants de la thèse du génocide s’opposent dans les médias et rallient à leur cause journalistes, parlementaires, généraux, politologues, juristes ou romanciers. Les thèses de Secher reçurent un certain écho. Il fut reçu dans Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot et le Figaro Magazine et le Canard enchaîné reprirent ses analyses. Pour Jean-Clément Martin, les travaux de Secher et de Chaunu arrivent au bout d’un processus de banalisation des comparaisons entre les crimes de la Révolution et ceux du régime nazie. La lecture de la guerre de Vendée à l’aune de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et des totalitarismes n’est donc pas neuve. Elle rencontre donc un certain échos dans une France se préparant à célébrer le Bicentenaire et dont les travaux de François Furet analysent déjà la Terreur comme un processus totalitaire.

D’autres historiens ont employé le terme de « génocide » pour qualifier les massacres commis pendant la guerre civile dans le camp républicain. On peut citer Jean Tulard, Emmanuel Le Roy Ladurie. Stéphane Courtois, directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’histoire du communisme explique quant à lui que Lénine a comparé « les Cosaques à la Vendée pendant la Révolution française et les a soumis avec plaisir à un programme que Gracchus Babeuf, l' »inventeur » du Communisme moderne, a qualifié en 1795 de « populicide » ».

 

 Autres disciplines: droit, philosophie et média

Les travaux de Reynald Secher ont également connu un certain retentissement hors du monde universitaire et ont été repris dans les médias. Le 28 janvier 2000, en conclusion du Stockholm International Forum of the Holocaust, Michael Naumann, délégué du Gouvernement fédéral allemand à la culture et aux médias de 1998 à 2000 et ancien rédacteur en chef de Die Zeit, affirme : « Le terme français « populicide » a été parfois employé avant que le terme de « génocide » ait été inventé. Il a été inventé par Gracchus Babeuf en 1795 et décrivait l’extermination de 117 000 fermiers de Vendée. Ce secteur fertile dans l’ouest de la France est en effet demeuré pratiquement inhabité pendant 25 années ».

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Jean-Lambert Tallien, gravure de François Bonneville, fin du xviiie siècle.

De même, l’écrivain Michel Ragon, dans 1793 l’insurrection vendéenne et les malentendus de la liberté (1992), dont l’argumentaire reprend largement les éléments mis en avant par Secher, s’est efforcé de démontrer la réalité de la programmation des massacres et d’intentions officielles d’extermination d’un peuple. Dans son livre, il s’attache à l’ensemble de la répression de l’insurrection vendéenne, dont les acteurs principaux, côté républicain, sont le général Turreau, organisateur des « colonnes infernales », d’une part, les envoyés en mission Carrier à Nantes, Hentz et Francastel à Angers, villes où sont entassés des milliers de prisonniers vendéens, d’autre part. D’autres régions de France ont vu le développement d’insurrections (royalistes ou fédéralistes) contre la Convention en 1793. Selon les cas, les envoyés en mission avaient une attitude conciliante (comme en Normandie) ou menaient une répression ponctuelle, d’autres avaient une attitude plus répressive. Certains se sont livrés à de vraies exactions, comme Barras et Fréron à Toulon, Collot d’Herbois et Fouché à Lyon ou Tallien à Bordeaux. Dans le cas de la guerre de Vendée, Michel Ragon tente de prouver que les exactions commises par les envoyés en mission correspondaient aux exigences du comité de salut public, et même de la Convention.

Pour ce faire, il puise dans les documents d’époque des passages tirés des discours, proclamations, lettres ou rapports laissés par plusieurs personnalités révolutionnaires, qu’il interprète comme l’aveu de volontés génocidaires. Ainsi une proclamation de Francastel affichée à Angers, le 24 décembre 1793, déclarant : « La Vendée sera dépeuplée, mais la République sera vengée et tranquille… Mes frères, que la Terreur ne cesse d’être à l’ordre du jour et tout ira bien. Salut et fraternité ». De même, une lettre de Carrier, du 12 décembre 1793, adressée au général Haxo qui lui a demandé des vivres pour la Vendée républicaine, dont il souligne les formules qui semblent justifier sa thèse : « Il est bien étonnant que la Vendée ose réclamer des subsides, après avoir déchiré la patrie par la guerre la plus sanglante et la plus cruelle. Il entre dans mes projets, et ce sont les ordres de la Convention nationale, d’enlever toutes les subsistances, les denrées, les fourrages, tout en un mot dans ce maudit pays, de livrer aux flammes tous les bâtiments, d’en exterminer tous les habitants… Oppose-toi de toutes tes forces à ce que la Vendée prenne ou garde un seul grain… En un mot, ne laisse rien à ce pays de proscription. »

En 2017, Jacques Villemain, diplomate et juriste ayant notamment travaillé pour la Cour internationale de justice à La Haye, publie un livre dans lequel il estime que si les massacres de la guerre de Vendée avaient lieu « aujourd’hui », le droit pénal international les qualifierait de « génocide ». Cependant, l’ouvrage est critiqué par Jean-Clément Martin, qui considère que la démarche de Villemain s’appuie sur une lecture biaisée des sources où la méthode historique est absente. Par exemple concernant la loi du 1er aout, Martin note que Villemain ne prend jamais en compte le contexte de sa promulgation. Il écrit : « Il ne suffit pas non plus de relever que la loi du 1er août a été prise dans la précipitation et dans l’emphase avec l’invocation de la nécessité de « détruire la Vendée » proclamée à plusieurs reprises par Barère, si l’analyse néglige la fonction que ce discours et ce texte jouent dans la lutte à mort engagée entre les factions révolutionnaires, Montagnards contre sans-culottes, mais aussi Montagnards au pouvoir et anciens girondins et anciens dantonistes qui peuplent les bancs de l’Assemblée, les instances administratives départementales et pour une partie les hauts grades militaires ». Surtout, Martin considère que le point de vue du juriste n’est en rien supérieur à celui de l’historien et que les outils juridiques mobilisés par Villemain, comme la notion de génocide ou celle de crimes contre l’humanité, ne permettent pas de mieux comprendre les crimes et les massacres qui ont lieu en Vendée.

 

Politisation du débat

 Le 21 février 2007, neuf députés français de droite, se fondant explicitement sur les travaux de Reynald Secher et de Michel Ragon, ont déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale visant à la « reconnaissance du génocide vendéen ». La proposition de loi est signée par Lionel Luca (UMP, Alpes-Maritimes), Hervé de Charette (UMP, Maine-et-Loire), Véronique Besse (MPF, Vendée), Louis Guédon (UMP, Vendée), Joël Sarlot (UMP, Vendée), Hélène Tanguy (UMP, Finistère), Bernard Carayon, (UMP, Tarn), Jacques Remiller (UMP, Isère) et Jérôme Rivière (UMP, Alpes-Maritimes). En 1987, Jean-Marie Le Pen avait déjà déposé un amendement visant à reconnaître un crime contre l’humanité dans les massacres de Vendéens.

Le 6 mars 2012 est déposée une proposition de loi similaire (« visant à reconnaître officiellement le génocide vendéen de 1793-1794 »), à nouveau par neuf députés de droite ; Lionel Luca (UMP, Alpes-Maritimes), Dominique Souchet (MPF, Vendée), Véronique Besse (MPF, Vendée), Bernard Carayon (UMP, Tarn), Hervé de Charette (NC, Maine-et-Loire), Nicolas Dhuicq (UMP, Aube), Marc Le Fur (UMP, Côtes-d’Armor), Jacques Remiller (UMP, Isère) et Jean Ueberschlag (UMP, Haut-Rhin).

Par ailleurs, le 23 février 2012, une proposition de loi « tendant à abroger les décrets du 1er août et du 1er octobre 1793 » a été déposée par 52 sénateurs de droite et du centre. Le 16 janvier 2013, Lionnel Luca dépose un texte, cosigné par Véronique Besse (MPF, Vendée), Dominique Tian (UMP, Bouches-du-Rhône), Alain Lebœuf (UMP, Vendée), Alain Marleix (UMP, Cantal), Yannick Moreau (UMP, Vendée), Philippe Vitel (UMP, Var) et Marion Maréchal-Le Pen (FN, Vaucluse). Il consiste en un article unique : « La République française reconnaît le génocide vendéen de 1793-1794 ». C’est la première fois qu’une proposition de loi est cosignée par des députés UMP et FN sous la XIVe législature. Cette proposition soulève des réactions surtout à gauche, comme celle du Secrétaire national du Parti de gauche Alexis Corbière, qui voit dans cette proposition de loi « un acte grossier de manipulation historique ». Pour lui, « ce vocabulaire inadapté est une vieille ruse idéologique de l’extrême droite pour calomnier la Révolution française et banaliser les génocides bien réels du xxe siècle ».

En février 2018, Emmanuelle Ménard et Marie-France Lorho, députées d’extrême droite, déposent une proposition de loi visant à la reconnaissance officielle comme crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide les exactions commises en Vendée entre 1793 et 1794.

 

Les adversaires de la thèse du génocide

 Dans le monde universitaire

À l’opposé, la thèse du « génocide vendéen » a été rejetée par la plus grande partie du monde universitaire, qui la considère comme la manifestation d’un passé qui ne passe pas.

En 1985, François Lebrun récuse la thèse du « génocide vendéen », alors défendue par Pierre Chaunu.

Par la suite, la thèse de Reynald Secher est critiquée par l’Australien Peter McPhee, professeur à l’université de Melbourne, spécialiste de l’histoire de la France contemporaine, qui revient sur l’influence de Chaunu dans l’affirmation d’un lien entre la Révolution française et le totalitarisme communiste, relève les faiblesses de l’analyse de Secher sur le nombre de victimes ou le regard des révolutionnaires sur l’insurrection vendéenne, remet en cause la « description des structures économiques, religieuses et sociales » de la Vendée prérévolutionnaire et des causes de l’insurrection par Secher, note le peu d’importance donné aux massacres de républicains par leurs voisins insurgés dans son livre ; en outre, il soutient que Reynald Secher, dans ses travaux suivants, n’a tenu aucun compte des travaux universitaires postérieurs nuançant ou contredisant ses analyses. Il note, en conclusion de son article sur la traduction de La Vendée-Vengé, le génocide franco-français :

« L’insurrection reste l’élément central dans l’identité collective de la population de l’ouest de la France, mais il est douteux qu’elle — ou la profession historique — ait été bien servie par la méthodologie grossière et la polémique peu convaincante de Secher. »

De même, parmi ceux qui ont refusé d’adhérer à la thèse du génocide, on compte le Gallois Julian Jackson, professeur d’histoire moderne à l’université de Londres, l’Américain Timothy Tackett, professeur à l’université de Californie, l’Irlandais Hugh Gough, professeur à l’université de Dublin, les Français François Lebrun, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Haute-Bretagne-Rennes-II, Claude Langlois, directeur d’études de l’École pratique des hautes études, directeur de l’Institut européen en sciences des religions et membre de l’Institut d’Histoire de la Révolution française, Paul Tallonneau, Claude Petitfrère, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Tours ou Jean-Clément Martin, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne.

Entre autres arguments, Jean-Clément Martin note que, dans son ouvrage, Reynald Secher, qui pratique « une écriture d’autorité, condamnant l’histoire qui ne se soucie pas de vérité absolue », ne commente ni ne discute le mot « génocide ». Or, pour lui, la question se pose « de savoir quelle est la nature de la répression mise en œuvre par les révolutionnaires ». Il explique, à la suite de Franck Chalk et de M. Prince que « sans l’intention idéologique appliquée à un groupe bien délimité, la notion de génocide n’a pas de sens. Or il n’est possible ni de trouver une identité « vendéenne » préexistante à la guerre, ni d’affirmer que c’est contre une entité particulière (religieuse, sociale… raciale) que la Révolution s’est acharnée ».

Il reprend la question du décret du 1er août 1793 prévoyant la « destruction de la Vendée », et le rapport de Barère qui affirme : « Détruisez la Vendée et Valenciennes ne sera plus au pouvoir des Autrichiens. Détruisez la Vendée et le Rhin sera délivré des Prussiens (…). La Vendée et encore la Vendée, voilà le chancre qui dévore le cœur de la République. C’est là qu’il faut frapper ». Il rappelle que l’un et l’autre excluent les femmes, les enfants et les vieillards (auxquels le décret du 1er octobre 1793 ajoute les hommes sans armes), qui doivent être protégés. De même, il note que « les révolutionnaires n’ont pas cherché à identifier un peuple pour le détruire », regardant simplement la Vendée comme « le symbole de toutes les oppositions à la Révolution », et conclut que « les atrocités commises par les troupes révolutionnaires en Vendée relèvent de ce qu’on appellerait aujourd’hui des crimes de guerre ».

Jean-Clément Martin indique qu’aucune loi n’a été prise dans le but d’exterminer une population désignée comme « vendéenne ». Il rappelle que l’utilisation du terme « brigands » de la Vendée utilisé dans les décrets provenait déjà de la monarchie et précise que « La population de la Vendée (département ou région imprécise) n’est pas vouée à la destruction en tant que telle par la Convention ».

Patrice Gueniffey, dans son ouvrage La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire 1789-1794, paru en 2000 aux éditions Gallimard, qualifie les exactions commises à l’encontre des vendéens de crime contre l’humanité : « Les souffrances infligées à la population vendéenne après la fin des combats et sans aucune relation avec les nécessités militaires constituent un crime sans équivalent dans l’histoire de la Révolution française, crime que l’on peut qualifier, aujourd’hui, de crime contre l’humanité et que la tradition républicaine, peu soucieuse de revendiquer cet épisode sans gloire de son moment inaugural, a longtemps occulté ou nié ».

Pour Martin, le discours de Barère et le décret « participent de la vision qui fait de la Contre-Révolution un bloc unique, une hydre menaçante, légitimant la pensée d’une « juste violence » et installant la guerre de Vendée dans des conditions particulièrement absurdes. Les administrateurs locaux ne cessent pas de se plaindre de l’absence de délimitation de la région-Vendée, de l’imprécision du terme « brigands » pour désigner les êtres voués à la destruction (puisque sont exclus les femmes, les enfants, les vieillards, les « hommes sans armes »). Dans le Maine-et-Loire, Henri Menuau n’arrive pas à faire préciser ce qui doit être détruit en « Vendée » ». Les soulèvements contre la conscription ne sont pas propres à la Vendée. En 1793, des soulèvements se produisirent également à Clermont-Ferrand, Bordeaux, Grenoble, Tournais, Angoulême ou Dunkerque. La Convention nationale était persuadée que la révolte en Vendée était un complot, venant notamment d’Angleterre contre la République. En effet, à la suite de la défaite de la Bataille de Pont-Charrault, le général Louis Henri François de Marcé qui commandait les troupes républicaines est condamné à mort, car il est considéré comme un traître à la patrie. Non seulement la Convention n’avalise pas les agissements des militaires et des représentants, qui s’opposent à ses décrets, mais, dans la région même, « la mobilisation de révolutionnaires locaux réussit à arrêter les violences injustifiées d’Angers ou du sud de la Vendée. Dans l’armée, des officiers refusent de suivre la politique de dévastation de leurs collègues, réussissant parfois à en traduire certains devant des tribunaux et à les faire exécuter ». Suivant son analyse, les atrocités commises pendant la guerre de Vendée s’expliquent, côté républicain, par la médiocrité de l’encadrement des soldats, qui sont « laissés à leur propre peur ». De l’autre côté, « les insurgés ont repris les habitudes anciennes des révoltes rurales, chassant et mettant à mort les représentants de l’État, pillant les bourgs, avant que leurs chefs ne réussissent à les détourner, pendant un temps, de ces pratiques qui ont un aspect de revanche et une dimension messianique ».

À ses yeux, ce n’est pas la violence d’un État fort qui s’abat sur sa population ; l’État est trop faible pour contrôler et empêcher la spirale de violence qui se déchaîne entre insurgés et patriotes, et ce jusqu’au printemps 1794.

Patrice Gueniffey, dans l’ouvrage cité ci-dessus, La politique de la Terreur, fait toutefois la remarque suivante : « Mais la Convention ne doit pas être absoute pour autant : le Comité de salut public semble avoir donné en octobre une plus grande extension au décret du 1er août, et au début 1794 il approuvera l’extermination ».

Dans son Gracchus Babeuf avec les Égaux, Jean-Marc Schiappa critique également la thèse du génocide présentée par Reynald Secher lors de la réédition du livre de Babeuf Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier : « Cette brochure a été récemment rééditée sous le titre La guerre de la Vendée et le système de dépopulation, Paris, 1987 ; si le texte de Babeuf est correctement reproduit, on ne peut que s’indigner de la présentation et des notes de R. Sécher et J.J. Brégeon ; sans parler des présupposés politiques sur le « génocide » de la Vendée, on est stupéfait par les erreurs, les contre-vérités, les à-peu-près et les contresens innombrables qui jalonnent ces pages ».

Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, Michel Vovelle s’est également positionné contre la thèse du génocide. Dans le texte « L’historiographie de la Révolution Française à la veille du bicentenaire », paru en 1987, il écrit :

« François Furet ne se reconnaît pas, et l’a dit, dans le réveil récent, provoqué pour partie depuis deux ou trois ans par l’approche du bicentenaire, d’une historiographie ouvertement contre-révolutionnaire. À vrai dire, avait-elle jamais disparu ? Elle avait gardé ses positions fortes, de tradition depuis le xixe siècle, à l’Académie française (dans le sillage de Pierre Gaxotte) ou dans les bibliothèques des gares. Vieille chanson un peu fatiguée, elle a connu tout récemment un regain de vitalité remarquable. Petite monnaie caricaturale des réflexions de François Furet, l’image d’une révolution totalitaire, antichambre du Goulag fait florès. La Révolution assimilée à la Terreur et au bain de sang devient le mal absolu. Toute une littérature se développe sur le thème du « génocide franco-français » à partir d’appréciations souvent audacieuses du nombre des morts de la guerre de Vendée 128 000, 400 000… et pourquoi pas 600 000 ? Certains historiens, sans être spécialistes de la question, ont mis, tel Pierre Chaunu, tout le poids de leur autorité morale, qui est grande, à développer ce discours de l’anathème, disqualifiant d’entrée toute tentative pour raison garder. Telle histoire tient beaucoup de place, en fonction des soutiens dont elle dispose, dans les médias comme dans une partie de la presse. Doit-elle nous cacher les aspects plus authentiques d’un chantier des études révolutionnaires aujourd’hui en plein réveil ?. »

En 2007, Michel Vovelle précise : « Cela ne justifie pas pour autant les massacres mais permet de les qualifier, en les inscrivant plutôt dans l’héritage de la guerre cruelle « d’ancien style », telle que la dévastation du Palatinat opérée un siècle plus tôt par Turenne pour la gloire du Roi-Soleil, dont les Rhénans ont gardé le souvenir. Villages brûlés, meurtres et viols… Récusons donc le terme de « génocide » et rendons à chaque époque la responsabilité historique des horreurs qui l’endeuillent, sans pour autant les minimiser ».

En 1998, Max Gallo s’est lui aussi déclaré contre l’hypothèse d’un « génocide vendéen » dans l’article « Guerre civile oui, génocide non ! » paru dans la revue Historia.

En 2013, l’historien Alain Gérard déclare : « J’emploie les termes de guerre civile, de massacres, d’extermination. Mais j’ai toujours récusé le terme de génocide pour les guerres de Vendée ». Il critique également les différentes propositions de lois déposées à l’Assemblée nationale portant sur la « reconnaissance du génocide vendéen ». Ainsi en 2013, il qualifie le texte déposé par le député Lionnel Luca de « lamentable » et « tissé de contradictions juridiques et de contrevérités historiques ». En 2018, après une nouvelle proposition de loi déposée par les députées Emmanuelle Ménard et Marie-France Lorho, il déclare : « Il est grand temps que notre République, gauche et droite confondues, cesse de laisser à des extrémistes la juste dénonciation des horreurs commises en Vendée en début 1794 ».

En 2007, Jacques Hussenet indique que le « débat ouvert autour des massacres et génocide n’est clos ni dans un sens ni dans l’autre ». Considérant que « le concept de génocide suscite un large éventail d’interprétation », que sa définition émane de juristes, et non d’historiens, et a été formalisée après des tractations entre États, il estime que « l’honnêteté intellectuelle interdit présentement de professer des certitudes et n’autorise à exprimer que des convictions ou une opinion ». Il indique cependant que sa position est la suivante : « les notions de « massacres » et de « crimes de guerre » conviennent pour qualifier ce qui s’est passé en Vendée militaire de décembre 1793 à juillet 1794. Point n’est besoin de céder à une surenchère de victimisation en réclamant le label « génocide ». Je trouve légitime de classer parmi les génocides l’extermination des Amérindiens et des Arméniens, mais je ne mettrai jamais à égalité l’élimination froidement organisée des juifs et les raids sanglants des colonnes infernales. À supposer qu’à terme le concept de génocide se banalise, au point d’y inclure les trop nombreux massacres de l’histoire, la guerre de Vendée ne représenterait, en fin de compte, qu’un génocide parmi beaucoup d’autres. Quel en serait le bénéfice moral et historique pour ses promoteurs? Nul ou presque ».

  

Des observations et analyses postérieures

 Historien du radicalisme, Samuel Tomei analyse les attaques récentes contre « les mystifications de la mémoire républicaine », au nom d’un « devoir de mémoire envers les peuples opprimés par une République colonisatrice amnésique » et « envers les peuples corsetés par une République jacobine. » Précisant le second point, il note :

« Après l’expansion au dehors, on incrimine le colonialisme intérieur. Un second exemple qui illustre bien l’utilisation du devoir de mémoire est, surtout depuis la célébration du bicentenaire de la Révolution française, cette propension à fustiger un certain jacobinisme républicain au nom de la mémoire des minorités régionales opprimées ; certains historiens allant jusqu’à parler, comme Pierre Chaunu, un peu provocateur sans doute, du « génocide » des Vendéens par la République : « Nous n’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barère et de Carnot relatifs à la Vendée. » Et le grand historien du Temps des Réformes d’honorer à sa façon la mémoire des victimes vendéennes : « D’ailleurs, à chaque fois que je passe devant le lycée Carnot, je crache par terre ». »

Dans le même ordre d’idées, dans le compte-rendu qu’il consacre au manuel La Révolution française d’Éric Anceau, Serge Bianchi, professeur à l’université Rennes-II, relève que « la présentation des Enragés, la personnalité complexe de Robespierre, la guerre de Vendée ne sont pas caricaturées. Pas question de dérapage, de tyran ou de « génocide », ni de « proconsuls » pour les représentants en mission… ».S’attachant à la question mise au programme des concours du CAPES et de l’agrégation d’histoire en 2005-2006, telle qu’elle a été traitée dans le manuel dirigé par Patrice Gueniffey, dans l’article « À propos des révoltes et révolutions de la fin du xviiie siècle. Essai d’un bilan historiographique », Guy Lemarchand, professeur à l’université de Rouen, distingue les différentes écoles historiques qui ont analysé la Révolution française, expliquant :

« Très minoritaire apparaît maintenant le courant d’origine légitimiste, ultra conservateur, autrefois de teinture royaliste, qui s’est fixé sur son terrain de prédilection dans les années 1980 : le « génocide » de la Vendée. On en retrouve des éléments dans le chapitre rédigé par A. Gérard (Poussou 2). L’auteur n’en est évidemment plus à la vision idyllique du régime seigneurial de la province selon les Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein, et il note lui aussi que les paysans de la province ont d’abord été favorables à la Révolution. Toutefois, selon lui et sans donner les preuves de l’affirmation, la Vendée aurait été non seulement une révolte de grande étendue, mais également un instrument entre les mains des Montagnards dans leur lutte contre les Girondins avant le 2 juin 1793. Ils se seraient abstenus de pousser la Convention à ordonner une répression rapide, de façon à compromettre les Girondins alors dominants, ce qui a facilité l’expansion du soulèvement. Puis, maîtres du gouvernement, ils se seraient livrés à la fureur purificatrice qui les caractérisait. Seconde idée originale, les Vendéens ne sont pas tombés dans la barbarie de leurs adversaires : ils libéraient leurs prisonniers quand les Bleus les fusillaient. Quant aux généraux et dirigeants politiques qui ont commandé les ravages des « colonnes infernales » et les noyades de Nantes, A. Gérard dégage Turreau d’une partie de ses responsabilités afin de charger le Comité de salut public et Carrier, émanation des Jacobins qui serait « l’archétype des révolutionnaires professionnels ». Il reprend ainsi sans distance critique le discours des thermidoriens à la recherche de boucs-émissaires afin de faire oublier leur propre orientation avant la chute de Robespierre, et de se débarrasser d’une partie des Montagnards devenus encombrants. »

De son côté, Guy-Marie Lenne a ouvert un nouveau champ d’études encore aujourd’hui incomplètement exploré, celui des réfugiés de la Vendée. Leur nombre (au moins plusieurs dizaines de milliers), leur orientation politique (aussi bien républicains, que neutres ou même soupçonnés de royalisme) n’a pas empêché la République (que ce soit les municipalités, les districts, les départements ou la Convention) de leur venir en aide, de les accueillir, les nourrir, parfois de leur fournir un travail. Selon lui, cette attitude est en contradiction complète avec l’hypothèse d’un génocide : on ne peut vouloir massacrer un peuple, et organiser l’évacuation et l’aide à une portion de ce même peuple. De façon plus anecdotique, mais révélatrice, on peut noter que même à l’échelon de la justice de paix, on s’attache à protéger les plus faibles : ainsi, les enfants mineurs de la famille Cathelineau du Pin-des-Mauges, qui a fourni un généralissime de l’armée vendéenne, et dont les trois autres frères sont morts dans les rangs de l’armée catholique et royale, sont protégés par un juge de paix qui nomme un conseil de famille pour administrer leurs biens, alors qu’ils seraient une cible de choix pour une persécution. De même, les juges de paix qui ont choisi le royalisme sont gardés en place.

Pour Didier Guyvarc’h, alors membre du Groupe de recherche en histoire immédiate (GRHI), l’étude du « lieu de mémoire » Vendée par Jean-Clément Martin met « en évidence les politiques de la mémoire et leurs enjeux. Si pour l’historien ce sont les Bleus qui, dès 1793, construisent l’image d’une Vendée symbole de la contre-révolution, ce sont les Blancs et leurs successeurs qui utilisent et retournent cette image aux xixe et xxe siècles pour asseoir une identité régionale. Cette identité est un outil de mobilisation sociale mais aussi un instrument politique contemporain. Le succès du spectacle du Puy-du-Fou, lancé en 1977 par Philippe de Villiers, résulte de la rencontre entre un milieu rendu réceptif par une pédagogie du souvenir de 150 ans et le souci d’un homme politique de se construire une image. L’exemple vendéen des années 1980 et du début des années 1990 illustre les défis nouveaux qui se posent à l’historien de la mémoire. Confronté à une mémoire vive et impérieuse, il est conduit à déconstruire mythe ou légende et à remettre ainsi en cause l’exploitation du passé par le présent. Dans le contexte du bicentenaire de 1789, puis de 1793, l’emploi du terme génocide est ainsi au centre d’un débat intense car il est un enjeu pour ceux qui veulent démontrer que « la révolution […] à toutes les époques et sous toutes les latitudes serait dévoreuse de libertés » ».

De même, en 2007, évoquant la mémoire persistante de la guerre de Vendée, marquée par le succès du Puy-du-Fou, Mona Ozouf et André Burguière notent : « Morceau de choix pendant longtemps dans le débat entre gauche et droite à propos de la Révolution, l’épisode vendéen ne faisait plus recette quand un essai publié à la veille du bicentenaire, qui n’apportait rien de neuf sinon l’accusation de « génocide », a rallumé la guerre entre historiens ; une guerre étrangement déphasée au moment où les célébrations se déroulaient dans un climat de consensus festif. Tout le monde aujourd’hui défend l’héritage des droits de l’homme. Personne ne regrette la royauté, mais nul ne condamnerait Louis XVI à mort. C’est cette France postmoderne respectueuse de toutes les mémoires, amoureuse de toutes les traditions, qui remonte le temps chaque été parmi les foules en costume du Puy-du-Fou ».

ANGERS (Maine-et-Loire), ANJOU, FRANCE, GUERRE DE CENT ANS (1337-1453), HISTOIRE, HISTOIRE DE FRANCE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, MOYEN AGE, PROVENCE, YOLANDE D'ARAGON (1381-1442), YOLANDE D'ARAGON, LA REINE OUBLIEE, YOLANDE D'ARAGON, LA REINE QUI A GAGNE LA GUERRE DE CENT ANS

Yolande d’Aragon, la reine oubliée

Yolande d’Aragon : la reine qui a gagné la Guerre de Cent Ans

Gérard de Senneville

Paris, Perrin, 2008. 384 pages.

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Résumé

Une des premières femmes politiques, figure emblématique de la guerre de Cent Ans.

Dans la fresque de la guerre de Cent Ans, deux figures féminines tiennent le premier plan : Jeanne d’Arc et Isabeau de Bavière, ou la lumière de la libération de la France contre les années honteuses de l’invasion et du traité de Troyes.
On oublie ainsi un personnage capital, à la fois ennemie implacable d’Isabeau pendant vingt-deux ans et soutien indispensable à l’aventure de Jeanne d’Arc : Yolande d’Aragon.
La fille de Jean d’Aragon fut une ravaudeuse de royaumes. En Anjou, en Provence, en Sicile et dans le royaume croupion qu’est devenue la France, elle agit en femme d’Etat, maniant l’argent, les promesses et la hache, mettant son habileté diplomatique au service de la paix contre la guerre, de la France rétablie contre une marqueterie de fiefs rivaux.

Gérard de Senneville, dont les biographies de Maxime Du Camp et de Théophile Gautier ont été remarquées, reconstitue avec talent l’action et la grandeur de cette princesse qui mérite autant que son gendre, Charles VII, le surnom de  » victorieuse « .

Critique

Cet ouvrage est une excellente biographie de la mère du roi René, Yolande d’Aragon. La Reine Yolande est pourtant restée dans l’ombre car elle fut éclipsée par la figure de Jeanne d’Arc dans l’historiographie française. En effet celle que l’on qualifia comme « le seul homme du Royaume » pour son rôle très actif pendant la Guerre de Cent Ans en soutenant, en dépit des circonstances, le futur Charles VII, réussit à tenir tête à la reine de France Isabeau de Bavière, à réconcilier les Armagnacs (fidèle au dauphin Charles réfugié à Bourges) et les Bourguignons (alliés du roi d’Angleterre) tout en s’occupant de ses terres d’Anjou et de Provence.

Il n’existe aucun portrait de cette reine exceptionnelle hormis un vitrail dans la cathédrale du Mans. Si le roi René bénéficie d’une aura bien supérieure à ses qualités d’homme d’Etat, tant en Anjou qu’en Provence, il n’en n’est pas de même pour Yolande d’Aragon : en effet aucune statue en Anjou ni en Provence ne rappelle la mémoire de celle qui par son intelligence politique et son courage à toute épreuve réussit à unir les Français pour mettre fin à la Guerre de Cent Ans au profit du roi Charles VII sans pour autant délaisser ses terres angevines et provençales.

Il est donc juste de rendre hommage à la Reine Yolande d’Aragon

©Claude Tricoire

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Yolande d’Aragon (morte en 1442)

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Yolande d’Aragon,
vitrail du bras nord du transept de la cathédrale Saint-Julien du Man

Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, née en 1381 à Saragosse et morte le 14 novembre 1442 près de Saumur, fille de Jean Ier, roi d’Aragon et de Yolande de Bar, fut duchesse d’Anjou, comtesse du Maine et de Provence, reine de Naples et Jérusalem titulaire et dame de Guise.

Famille

Yolande d’Aragon naît en 1381 à Saragosse. Elle est promise à l’héritier d’Anjou, Louis (qui avait accédé au trône de Naples sous le nom de Louis II de Naples un an plus tôt, à la suite de la conquête de Naples) en 1390 pour résoudre les revendications contestées sur le royaume de Sicile et Naples entre les maisons d’Anjou et d’Aragon, et se maria avec lui le 2 décembre 1400 en la cathédrale Saint-Trophime d’Arles :

Ils eurent six enfants :

Louis III (1403 † 1434) – duc d’Anjou, comte de Provence, roi titulaire de Naples

Marie (1404 † 1463) – épouse de Charles VII, roi de France avec qui elle eut quatorze enfants, dont l’aîné devint Louis XI de France

? (1406), une fille, morte en enfance

René (1409 † 1480) duc de Bar, duc de Lorraine, duc d’Anjou, comte de Provence, roi titulaire de Sicile, de Naples, de Jérusalem et d’Aragon; épouse Isabelle Ire, duchesse de Lorraine

Yolande (1412 † 1440), épouse de François Ier, duc de Bretagne

Charles (1414 † 1472), comte du Maine (ne fut jamais duc d’Anjou, mais son fils le fut)

 

Prétentions au trône d’Aragon

Yolande d’Aragon joua un rôle important dans la politique de l’« Empire » angevin, de la France et de l’Aragon, pendant la première moitié du xve siècle. Fille survivante du roi Jean Ier d’Aragon roi, qui n’avait pas de fils, elle réclama le trône d’Aragon après la mort de sa sœur aînée Jeanne, comtesse de Foix.

Pourtant, les lois de succession d’Aragon et de Barcelone n’étant pas claires, elles furent comprises en faveur des héritiers mâles : ainsi l’oncle de Yolande (frère cadet de Jean Ier), Martin Ier d’Aragon, hérita du trône d’Aragon. Martin mourut sans descendance en 1410, et après deux ans d’interrègne, les États d’Aragon élurent Ferdinand d’Antequera comme nouveau roi d’Aragon. Ferdinand était le second fils d’Éléonore d’Aragon, reine de Castille, sœur de Jean et de Martin.

Le candidat angevin était le fils aîné de Yolande, Louis III d’Anjou, duc de Calabre, dont la revendication reposait dans le Pacte de Caspe. Yolande et ses fils se considéraient comme héritiers prioritaires et commencèrent à utiliser le titre de « rois d’Aragon ». À cause de cet héritage, Yolande fut appelée « reine de quatre royaumes », ces royaumes étant probablement la Sicile, Jérusalem, Chypre et Aragon (une autre interprétation sépare Naples de la Sicile et exclut donc Chypre).

De toute façon, la réalité était que Yolande d’Aragon et sa famille ne possédèrent des territoires dans ces royaumes qu’à de très courts intervalles. Jérusalem n’a d’ailleurs jamais été en leur possession. Leur véritable royaume se réduisait aux fiefs d’Anjou en France : ils possédèrent sans conteste la Provence et l’Anjou, le Maine, la Touraine et le Valois.

René d’Anjou, fils aîné de Yolande d’Aragon, fut choisi comme héritier par le cardinal-duc de Bar et devint par mariage duc de Lorraine.

 La France et la maison d’Anjou

Issue d’un fils du roi de France Jean le Bon, la seconde maison d’Anjou-Provence constitue donc un rameau de la dynastie royale des Valois.

Dans la seconde période de la guerre de Cent Ans, Yolande d’Aragon prit parti pour la dynastie de Valois représentée par le roi de France, Charles VI, défendue par le parti des Armagnacs, durant la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons.

La reine Isabeau de Bavière, épouse du roi Charles VI, influencée par le duc de Bourgogne Jean sans Peur, combattit l’accession au trône du royaume de France de son dernier fils, le futur dauphin Charles de Ponthieu.

On dit que Yolande d’Aragon fut celle qui protégea l’adolescent de toutes sortes de machinations et tentatives d’empoisonnement et qu’elle joua le rôle de mère. Elle le fiança en 1413 à sa fille Marie d’Anjou . Pour éviter les menaces que faisaient peser les Bourguignons à Paris, elle emmena les jeunes fiancés âgés de dix ans, au début de 1414, dans ses duchés d’Anjou et de Provence.

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Yolande d’Aragon et deux de ses enfants en prière devant la Vierge à l’Enfant. Enluminure anonyme dans le Juratoire et livre des fondations de la chapelle royale du gué de Maulny dans le Maine, ms. 691, fo 16, Bibliothèque municipale, Le Mans.

Le 18 décembre 1415, le dauphin Louis de Guyenne, frère aîné de Charles de Ponthieu meurt. Il est suivi dans la mort le 4 avril 1417 par Jean duc de Touraine, son deuxième frère, devenu dauphin à son tour : ces deux frères aînés avaient été placés sous la protection de Jean sans Peur, ce dernier multipliant les intrigues pour accéder au pouvoir au conseil de régence, du fait de la carence du roi Charles VI, atteint de démence et de la jeunesse des dauphins.

Le 4 avril 1417, Charles de Ponthieu devient le nouveau dauphin de France. Le 29 avril 1417, Louis II d’Anjou meurt de maladie, laissant Yolande, alors âgée de 36 ans, responsable de la maison d’Anjou. Elle tient également le sort de la maison royale des Valois dans ses mains. Son futur gendre, le dauphin Charles est très vulnérable face aux desseins du roi d’Angleterre Henri V et de Jean sans Peur. Le dauphin Charles de Ponthieu ne peut compter que sur le support de la maison d’Anjou et du parti des Armagnacs .

Après l’assassinat de Jean sans Peur à Montereau en 1419, son fils Philippe le Bon devient duc de Bourgogne. Philippe le Bon et Henri V d’Angleterre imposent le traité de Troyes (21 mai 1420) au roi Charles VI. Le traité désigne le roi Henri d’Angleterre comme régent de France et héritier de la couronne de France: Le dauphin Charles de Ponthieu est donc déshérité par le biais de ce traité inique, mais il refuse de le ratifier et se déclare seul et unique héritier du trône de France.

Le 22 avril 1422, Marie d’Anjou, fille aînée de Yolande d’Aragon, se marie en la cathédrale de Bourges avec le dauphin Charles de Ponthieu.

Henri V et Charles VI meurent tous deux en 1422 (respectivement le 31 août et le 21 octobre). Charles, alors âgé de 19 ans, devient légitimement roi de France, sous le nom de Charles VII. Ce titre est contesté par les Anglais et leurs alliés bourguignons qui soutiennent la prétention au trône de France du jeune fils de feu Henri V, le roi Henri VI d’Angleterre âgé de neuf mois.

Bien que princes du sang, les ducs d’Anjou n’apportent pas nécessairement un soutien inconditionnel au roi Charles VII. D’une part, le duc Louis III d’Anjou se consacre à sa guerre italienne afin d’acquérir le titre de roi de Naples et de Sicile ; en conséquence, il confie le gouvernement du duché d’Anjou à sa mère Yolande d’Aragon, duchesse douairière, par un acte daté du 1er juillet 1423. D’autre part, en dépit d’une tradition présentant la belle-mère du roi de France comme « l’ange gardien » de son beau-fils et de Jeanne d’Arc, Philippe Contamine nuance la question en notant que la reine de Sicile « défendait prioritairement (…) ses intérêts et les intérêts de [l]a maison [d’Anjou] — des intérêts complexes et pas toujours convergents ; dans une large mesure, en raison des circonstances, ces intérêts, non sans nuance, recouvraient ceux de Charles VII. ».

 Conseillère du roi de France

Yolande joua un rôle important dans cette lutte, entourant le jeune roi de conseillers et domestiques de la maison d’Anjou. Elle manœuvra pour que le duc de Bretagne rompe son alliance avec l’Angleterre et fit nommer Arthur de Richemont, futur Arthur III de Bretagne, membre de la famille ducale bretonne, connétable de France en 1425. Le duc de Bourgogne Philippe le Bon avait mis comme condition formelle à l’admission de son beau-frère, le comte de Richemont, au connétablat de France, l’élimination de tous les conseillers du roi Charles VII ayant participé de près ou de loin à l’assassinat de Jean sans Peur sur le pont de Montereau en 1419. Avec l’aide du connétable de Richemont, Yolande applique donc le renvoi de plusieurs proches conseillers de Charles VII. Cette éviction ne provenait donc pas directement de la volonté de Yolande d’Aragon, mais des nécessités liées à la raison d’État. Les historiens rapportent que le roi s’en sépara à grand regret et qu’il conserva toute sa confiance et toute son amitié à ceux qui l’avaient bien servi, détruisant ainsi la légende de l’éviction de conseillers incapables répandue par les chroniqueurs bourguignons, auxquels succédèrent comme favoris, Pierre II de Giac (ex-bourguignon, rallié à Charles VII), et Le Camus de Beaulieu (tous deux mourront en 1427, à l’instigation du connétable de Richemont).

Dans le cadre géopolitique d’une diplomatie de stabilisation de la frontière commune entre les duchés d’Anjou et de Bretagne, Yolande d’Aragon cherche à marier son fils, le duc Louis III d’Anjou, à Isabelle, fille du duc Jean V de Bretagne. Parallèlement, la reine de Sicile tente d’imposer le principe de cette alliance à son gendre Charles VI.

Un contrat, rédigé à Angers le 3 juillet 1417, vise à entériner l’alliance entre les maisons de Bretagne et d’Anjou grâce à un projet d’union entre le duc Louis III d’Anjou, fils de Yolande d’Aragon, et Isabelle de Bretagne, fille du duc Jean V. Toutefois, les rapports diplomatiques se tendent lorsque l’engagement est finalement rompu par Louis III d’Anjou, désireux d’épouser Marguerite de Savoie pour affermir sa position dans le cadre de ses ambitions vis-à-vis du royaume de Naples. Conséquemment, Jean V de Bretagne marie sa fille Isabelle à Guy XIV de Laval en 1430, d’où une grave tension entre les deux duchés voisins.

Yolande d’Aragon se présente comme le « lieutenant général » de son fils Louis III retenu en Italie mais le duc d’Anjou — essentiellement préoccupé par sa couronne napolitaine — n’approuve pas systématiquement les démarches politiques de sa mère. Or la politique de Yolande d’Aragon finit par coïncider avec celle du grand chambellan Georges Ier de La Trémoille sur la question relative à la réconciliation entre le royaume de France et le duché de Bretagne. Déjà associé à une précédente tractation matrimoniale entre les lignées angevine et bretonne en 1425, Jean de Craon permet au grand chambellan d’organiser une rencontre avec le duc Jean V au château de Champtocé du 22 au 24 février 1431.

Lors de la rencontre au château de Champtocé le 24 février 1431, le comte Guy XIV de Laval — futur gendre du duc Jean V — se voit remettre une certaine somme par son suzerain breton afin d’amener des gens d’armes et de trait à Charles VII. Jean V de Bretagne paye également Xaintrailles — allié du grand chambellan — pour qu’il accompagne le comte de Laval auprès du roi en vue de poursuivre la guerre. Le médiéviste Philippe Contamine observe que « par des moyens obliques, il s’agissait donc de ramener le duc de Bretagne dans la guerre française. Or, nous savons que telle avait été l’idée de Jeanne d’Arc, l’année précédente. ».

En mai 1431, dans l’île de Béhuard près d’Angers, le duc de Bretagne et Yolande d’Aragon assistent au serment prêté par leurs fils respectifs, le comte François de Montfort et Charles d’Anjou, de se comporter en « frères d’armes. » Célébré en août 1431, le mariage entre Yolande († 1440), fille de Yolande d’Aragon, et François de Montfort, fils du duc Jean V de Bretagne, renforce les liens entre les deux lignages. Cette union est approuvée par Charles VII mais le souverain refuse toujours de voir Arthur de Richemont revenir aux affaires, bien qu’il consente à un compromis visant à aplanir les différends entre le grand chambellan et le connétable.

Le 3 juin 1433, l’arrestation et l’enlèvement du grand chambellan Georges de La Trémoille permet au « parti angevin » de retrouver son influence par le biais du jeune Charles IV du Maine, fils de Yolande d’Aragon et nouvel homme fort à la cour de Charles VII.

Le chroniqueur contemporain Jean Jouvenel des Ursins décrivit Yolande comme « la plus belle femme du royaume ». Charles de Bourdigné, chroniqueur de la maison d’Anjou, dit d’elle « Elle était considérée comme la plus sage et la plus belle princesse de la chrétienté ». Plus tard, le roi Louis XI affirma que sa grand-mère avait « un cœur d’homme dans un corps de femme ».

Yolande finit par se retirer à Angers puis à Saumur où elle meurt le 14 novembre 1442. Elle est inhumée dans le chœur de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers où elle rejoint son époux Louis II d’Anjou.

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Une fameuse rose pourpre lui a été dédiée par Vibert en 1843, baptisée ‘Yolande d’Aragon’.

Chronologie

1381 : le 11 août, Yolande naît à Saragosse, Aragon

1400 : en décembre, Yolande épouse Louis II d’Anjou à Arles

1410 : mort du roi Martin Ier d’Aragon

1412 : le fils de Yolande, Louis, conteste le trône d’Aragon, mais son parent Ferdinand Ier de Trastamare devient roi

1413 : Louis II d’Anjou rejoint la faction orléaniste contre les Bourguignons

1413 : fiançailles entre Marie d’Anjou et futur Charles VII

1414 : en février, Yolande emmène ces futurs époux en Anjou, sans laisser sa fille dans la capitale dangereuse, notamment menacée par les Bourguignons

1417 : Yolande devient veuve le 29 avril. Elle rejette la demande de la reine Isabeau de renvoyer Charles (devenu dauphin après la mort de ses frères) à la cour. On rapporte qu’elle répondit Nous n’avons pas nourri et chéri celui-là pour que vous le fassiez mourir comme ses frères, devenir fou comme son père ou devenir anglais comme vous. Je le garde près de moi. Venez le prendre si vous l’osez.

1417 : le 29 juin, Yolande obtient une audience de Charles VI et le pousse à signer le décret faisant de son fils le lieutenant-général du royaume. Isabeau ne peut ainsi plus prétendre à être régente. Yolande se retire en Provence.

1423 : Yolande revient de Provence. Elle met en route le premier traité avec la Bretagne.

1424-1427 : Yolande préside les États-généraux. Elle signe un traité avec le duc de Bretagne et engage le frère du duc, Arthur de Richemont à supporter la cause des Valois.

1427 : le régent anglais, le duc de Bedford, veut prendre le duché d’Anjou. Yolande riposte par une série de rencontres et d’accords de mariage entre plusieurs familles nobles, ce qui sape les initiatives anglaises et bourguignonnes et soutient la couronne. Des désaccords entre la Trémoïlle, un conseiller de Charles VII et le connétable Richemont conduisent au bannissement de Richemont.

1429 : Yolande est chargée d’une des enquêtes sur Jeanne d’Arc que soutient la duchesse. Yolande arrange le financement de l’armée de Jeanne qui part au secours d’Orléans.

1431 : Yolande réside à Saumur où Charles VII tient son assemblée. La plus jeune fille de Yolande épouse le prince héréditaire de Bretagne. Son fils hérite du duché de Lorraine mais est fait prisonnier à la bataille de Bulgnéville le 30 juin 1431.

1433 : Richemont qui était de retour à la cour depuis 1432 fait tomber La Trémoïlle. Le plus jeune fils de Yolande, Charles, comte du Maine, assume la position de conseiller en chef du roi Charles.

1434 : le fils de Yolande, Louis III d’Anjou, meurt et René devient duc d’Anjou et héritier en Sicile. La reine Jeanne de Sicile avait fait Louis III corégent et héritier.

1437 : René est libéré en échange d’une importante rançon. Il part pour l’Italie en 1438 et engage une guerre contre Alphonse d’Aragon pour le royaume de Naples. Il est forcé d’abandonner Naples durant l’été 1442.

1442 : le 14 novembre, Yolande meurt à Saumur en l’hôtel du seigneur de Tucé. Dans son testament, elle s’excuse [à ses serviteurs] de ne rien laisser, « ni or, ni objets précieux, ni vaisselle, ni meubles », après avoir dépensé tous ses biens, en faveur de ses enfants et surtout de son gendre Charles VII.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yolande_d%27Aragon_(morte_en_1442)

CULTURE ET SPORT : LES ARMES DES PAYS ARABES, EMIRATS ARABES, EUROPE, GEOPOLITIQUE, HISTOIRE, POLITIQUE, POLITIQUE EUROPENNE, QATAR

Culture et sport : les armes des pays arabes

La culture, le sport : l’arme de certains pays arabes

A quelques jours de l’ouverture du Mondial de foot 2022 organisé au Qatar et après l’annonce des Jeux olympiques d’hiver attribué à l’Arabie Saoudite en passant par une volonté de faire de leurs pays une vitrine culturelle il est bon de se pencher sur les véritables intentions de ces pays. 

Entre volonté de se faire une place dans le concert des nations et la pression des groupes islamistes quel est la stratégie de ces pays face à un Occident qui dépend de plus en plus du pétrole, et même parfois de l’argent des ces pays ? 

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Le Louvre d’Abu Dhabi

Nos très chers émirs 

Christian Chesnot, Georges Malbrunot

Paris, M. Lafont, 2016. 299 pagess.

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  • Ces pays financent-ils le terrorisme ? Le Qatar et le Koweït laissent encore des ONG ou des individus financer des groupes djihadistes comme Daech et le Front al-Nosra. Le Qatar abrite encore chez lui une demi-douzaine de ces financiers, réclamés par les États-Unis. Les auteurs en ont rencontré quelques-uns… L’Arabie officielle a considérablement renforcé sa surveillance sur ces financiers, mais il en reste, ainsi que des ONG qui utilisent notamment les pèlerinages à La Mecque pour faire passer des valises pleines d’argent aux djihadistes. Ce livre donne des exemples…
    • Quels sont leurs liens avec l’islam de France ? Le Qatar est une fois de plus montré du doigt, ayant voulu prendre le contrôle de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans. L’Arabie laisse encore des imams venir en France distribuer de l’argent aux mosquées salafistes. Des exemples là aussi. L’affaire de la mosquée de Nice est révélatrice.
    • Que penser des dirigeants français qui  » se couchent  » devant les responsables de ces monarchies pour obtenir des contrats ? Cette enquête révèle par exemple comment la France, sous la pression d’un de ces pays, a changé sa politique vis-à-vis de l’Égypte à l’été 2013. Elle montre également comment ces monarchies influent sur notre position en Syrie et au Yémen notamment, quitte à nous faire apparaître comme  » alliés  » de pays qui soutiennent des islamistes. Exemples concrets. Révélations aussi sur les relations du FN avec ces pays du Golfe.

    Le livre commence par une description de la vie à la cour des princes, l’argent qui coule à flots, les jeunes princesses qui vont faire leurs courses à Beverly Hills. Le témoignage de la nounou d’une de ces princesses de 14 ans est édifiant ! Mais les auteurs montrent également comment ces monarchies fonctionnent. Ils mettent l’accent en particulier sur le problème numéro un en Arabie, où jusqu’à la terminale on enseigne le wahhabisme, c’est-à-dire la version la plus rigoriste de l’islam, celle qui autorise les décapitations, les destructions de musées, etc. La France a d’ailleurs proposé sa coopération pour réformer le contenu des livres scolaires. Il faut savoir aussi que des centaines de jeunes Français sont égarés en Arabie dans les universités islamiques, au point que les autorités françaises envisagent d’ouvrir une école à La Mecque !

    Bref, ce livre se veut une contribution – aussi proche de la réalité que possible – au débat qui sera au centre de la campagne électorale présidentielle. Avec un peu de géopolitique pour comprendre ce que sont ces pays et leurs dirigeants, comment ils gèrent leur société, mais aussi beaucoup d’anecdotes tour à tour inquiétantes, sidérantes ou cocasses qui rendent cette enquête aussi pittoresque que passionnante sur le fond.

Qatar: les secrets du coffre-fort 

Christian Chesnot, Georges Malrunot

Paris, M. Laffont, 2013. 333 pages

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Résumé

Après avoir racheté le PSG, des palaces, des immeubles innombrables et des pans entiers de l’industrie française, le Qatar annonce avec fracas sa décision d’investir encore au moins 10 milliards d’euros en France. Jusqu’où ira ce petit pays qui a déjà réussi à prendre une place considérable dans le monde arabe, l’Afrique et l’Occident ? Ce livre montre comment le Qatar, à défaut d’élargir ses frontières pour consolider sa puissance, a choisi de se créer un empire, sans armes, sans guerre, en achetant le monde ! Et en menant grand train ! Des réserves gigantesques de pétrole et de gaz, des palais somptueux pour l’émir anticonformiste et très francophile Cheikh Hamad, ses 3 femmes et 25 enfants. Une deuxième épouse brillante et ambitieuse, Cheikha Moza, et un Premier ministre qui propose de régler financièrement les problèmes diplomatiques. Des replis partout en cas de coup d’État (un appartement de 4 000 m2 à Manhattan !). Mais aussi… les fantastiques moyens d’information d’Al Jazeera, un entrisme forcené dans les institutions internationales, des prises de participation dans les médias occidentaux. Et enfin… une véritable tête de pont dans les négociations secrètes des pays occidentaux avec les États islamistes, dont la France a déjà profité.

Biographie des auteurs

CHRISTIAN CHESNOT et GEORGES MALBRUNOT, grands reporters respectivement à France Inter et au Figaro, détenus pendant quatre mois en Irak en 2004, sont tous deux des spécialistes du Moyen-Orient et ont écrit ensemble plusieurs livres sur le conflit israélo-palestinien, al-Qaida et l’Irak.

CALENDRIER GREGORIEN, GREGOIRE XIII (pape ; 1502-1585), HISTOIRE, NAISSANCE DU CALENDRIER GREGORIEN : 15 OCTOBRE 1582

Naissance du calendrier grégorien : 15 octobre 1582

15 octobre 1582

Naissance du calendrier grégorien

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Les Romains, les Portugais et les Espagnols qui se couchèrent le soir du jeudi 4 octobre 1582 eurent le privilège de se réveiller le lendemain vendredi, non pas un 5 octobre mais un… 15 octobre 

La raison de cette anomalie est que le pape Grégoire XIII avait décidé de supprimer les dix jours suivant le 4 octobre 1582 pour rectifier une bonne fois pour toutes les erreurs du calendrier antérieur et permettre l’entrée en application de son propre calendrier.

Auparavant, les Européens s’en tenaient au calendrier julien, ainsi nommé d’après Jules César, premier grand ordonnateur de la mesure du temps. Depuis Bède le Vénérable, un moine de l’époque de Charlemagne, ils avaient pris par ailleurs l’habitude de compter les années à partir de la naissance du Christ.

 

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Ultimes ajustements

Vers la fin du Moyen Âge, des astronomes et des savants comme Robert Grosseteste ou Roger Bacon s’aperçoivent que l’année calendaire dépasse l’année solaire de… 11 minutes 14 secondes (il ne s’agit pas vraiment d’une découverte car le Grec Hipparque avait déjà mesuré la durée véritable de l’année solaire… un an avant la réforme de Jules César).

La Terre tourne autour du Soleil en 365 jours 5 heures 48 minutes et 46 secondes (environ) alors que l’année julienne compte 365 jours et 6 heures en tenant compte des années bissextiles.

Le cumul de cette avance conduit au XVIe siècle à un décalage de dix jours entre l’année solaire et l’année calendaire de sorte que le 1er janvier « julien » coïncide avec le véritable 11 janvier « solaire ».

Le décalage pose des problèmes aux savants de l’Église qui doivent établir chaque année le comput (ou calendrier des fêtes) et déterminer en particulier la date de Pâques, principale fête chrétienne (elle célèbre la résurrection de Jésus-Christ, trois jours après sa mort sur la croix). En conséquence, en 1563, le concile de Trente confie au Saint-Siège le soin de réformer le calendrier.

L’objectif est d’une part, de raccourcir les années calendaires pour les mettre en accord avec les années solaires, d’autre part, de supprimer l’avance prise par le calendrier sur les saisons depuis la réforme de Jules César.

  

La réforme de Grégoire XIII

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Né le 7 janvier 1502 à Bologne sous le nom de Hugo Boncompagni, monté sur le trône de Saint Pierre à 70 ans, le pape Grégoire XIII se rallie à l’avis des savants réunis en commission, notamment le médecin romain Aloisius Lilius, le jésuite Christophe Calvius de Bamberg, le théologien Vincenzo Laureo et le juriste Séraphin Olivier.

Il décide le 24 février 1582 de supprimer désormais trois années bissextiles sur cent afin de mettre le calendrier en concordance avec l’année solaire par une opération dite « métemptose » – ou équation solaire -.

Il attribue 365 jours, et non 366, à trois sur quatre des années de passage d’un siècle à l’autre. Les années en 00 ne sont pas bissextiles sauf les divisibles par 400 : 1600, 2000, 2400… De la sorte, les années 1700, 1800 et 1900 ont été privées du 29 février mais l’année 2000 l’a conservé. Cette modeste réforme ramène à 25,9 secondes l’écart avec l’année solaire (une broutille).

Par ailleurs, le pape décide de rattraper les dix jours de retard depuis la réforme de Jules César. Le rattrapage se produit dans la nuit du 4 au 15 octobre de la même année…

Mais nous sommes en pleine guerre de religion entre catholiques et protestants. Seuls les États acquis à la Contre-Réforme catholique adoptent le calendrier du pape. Ce sont les États pontificaux, l’Espagne et le Portugal.

La France y vient deux mois plus tard, dans la nuit du 9 au… 20 décembre 1582, l’Allemagne du sud et l’Autriche en 1584, la Prusse en 1610, l’Allemagne du nord en 1700. La Grande-Bretagne, qui préfère être « en désaccord avec le soleil plutôt que d’accord avec le pape » ne se résout à la réforme que le 2-12 septembre 1752. Le Japon et la Chine y viennent en 1911, la Russie en 1918, la Grèce en 1923, la Turquie en 1923…

Le 1er janvier 1622, le Saint-Siège complète l’aménagement du calendrier. Il décide que, partout dans le monde catholique, l’année calendaire commencera désormais ce jour-là, le 1er janvier. C’est un retour au choix de Jules César, délaissé à l’époque des barbares. L’empereur Charles Quint et le roi de France Charles IX avaient déjà mis en œuvre  cette mesure dans leurs domaines respectifs au cours du siècle précédent.

En 1793, les révolutionnaires français abolissent le calendrier grégorien auquel ils reprochent une trop forte connotation religieuse et tentent d’imposer un calendrier des Français.

Aujourd’hui, suite à l’expansion européenne des derniers siècles, le calendrier grégorien est reconnu dans le monde entier ou à peu près. Il a perdu par là même sa référence religieuse. À preuve le succès des célébrations de l’An 2000 sur toute la planète…

Conséquences du changement de calendrier

Les historiens datent les événements d’un pays quelconque d’après le calendrier en vigueur dans ce pays à ce moment-là. C’est ainsi que les deux révolutions russes de 1917 sont baptisées d’après le calendrier julien en vigueur dans l’ancienne Russie. La révolution démocratique dite Révolution de Février s’est déroulée en mars selon le calendrier grégorien et la révolution bolchevique, dite « Révolution d’Octobre », en novembre.
Il peut y avoir des discordances sur les dates. Par exemple, les traités d’Utrecht de 1712-1713 ne sont pas datés du même jour selon que l’on a affaire à un historien britannique ou à un historien français ou espagnol.
Enfin, on peut noter que Cervantès et Shakespeare sont morts à la même date, le 23 avril 1616, mais à dix jours d’intervalle. Shakespeare est mort le 23 avril 1616 selon le calendrier julien « old style » en vigueur à cette époque en Angleterre ; et le 3 mai 1616 selon le calendrier grégorien « new style ».

https://www.herodote.net/15_octobre_1582-evenement-15821015.php

ALLEMAGNE (histoire), AUSCHWITZ-BIRKENAU (camp de concentration), CAMPS DE CONCENTRATION, DEPORTATIONS, DITA KRAUS (1929-....), EUROPE, GUERRE MONDIALE 1939-1945, HISTOIRE, HISTOIRE DE L'EUROPE, LES ENFANTS DU CAMP DE BIRKENAU, OTTO KRAUS (1921-2000), SHOAH

Les enfants du camp de Birkenau

 

Les enfants dans le camp d’Auschwitz-Birkenau

Auschwitz II Birkenau (Pologne): camp de concentration - Bloc des Enfants: Bloc des Enfants: Peintures murales decoratives, un enfant jouant avec un manche a tete de cheval  - Juillet2007 -
OPA4357054 Auschwitz II Birkenau (Pologne): camp de concentration – Bloc des Enfants: Bloc des Enfants: Peintures murales decoratives, un enfant jouant avec un manche a tete de cheval – Juillet2007 – ; (add.info.: Auschwitz II Birkenau (Poland): concentration camp – Children’s block: Children’s block: Decorative murals, a child playing with a horse’s head – July 2007 -); Photo © Philippe Matsas/Opale .

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La Bibliothécaire d’Auschwitz 

Antonio G. Iturbe

Paris, Flammarion, 2020. 512 pages.

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Résumé :

A quatorze ans, Dita est une des nombreuses victimes du régime nazi. Avec ses parents, elle est arrachée au ghetto de Terezín, à Prague, pour être enfermée dans le camp d’Auschwitz. Là, elle tente malgré l’horreur de trouver un semblant de normalité. Quand Fredy Hirsch, un éducateur juif, lui propose de conserver les huit précieux volumes que les prisonniers ont réussi à dissimuler aux gardiens du camp, elle accepte.
Au péril de sa vie, Dita cache et protège un trésor. Elle devient la bibliothécaire d’Auschwitz.

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Le camp des enfants : Un roman basé sur l’histoire vraie du terrible bloc 31

Otto Kraus

City Edition, 2021. 287 pages.

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Résumé

Jour après jour, Alex tente de survivre dans le camp d’Auschwitz où il est prisonnier. Survivre au manque de nourriture, au froid, aux humiliations, à l’absence d’espoir. Pourtant, malgré les risques, le jeune homme a décidé de défier ses bourreaux : en secret, il fait la classe aux enfants du Bloc 31. Poésie, mathématiques, dessin… Ces leçons ne sont qu’un petit geste, mais témoignent du courage et de la résistance d’Alex. C’est aussi sa manière de protéger ses petits élèves de la terrible réalité du camp. Mais enseigner aux enfants n’est pas la seule activité interdite à laquelle Alex se livre… Il écrit aussi un journal dans lequel il raconte les minuscules moments de joie qui font oublier le cauchemar du quotidien. Un récit pour être plus fort que l’horreur du monde et pour que personne n’oublie rien, jamais.

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Otto Kraus

Le Mur de Lisa Pomnenka

Otto Kraus

Eiteur ARACHNEEN, 2013. 336 pages

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Résumé

En septembre 1943, en vue de démentir la rumeur de l’anéantissement des Juifs d’Europe, Adolf Eichmann invita la Croix-Rouge internationale à visiter le ghetto de Theresienstadt (Terezín en tchèque) et un « camp pénitentiaire » familial à Birkenau. En cet effet, il organisa le « nettoyage » du ghetto et déporta plusieurs milliers de ses détenus à Birkenau, où avait été créé un « camp des familles tchèques ». Terezín a été visitée le 23 juin 1944 ; la Croix-Rouge n’y a rien trouvé à redire. La visite à Birkenau, elle, n’eut pas lieu, et ce camp fut « liquide » le mois suivant. Le Mur de Lisa Pomnenka, roman et témoignage, transpose une histoire réelle dont l’auteur, l’écrivain tchèque Otto B. Kraus, fut à la fois le témoin, la victime et l’acteur : celle d’un groupe d’enfants et de jeunes gens juifs, tchèques pour la plupart, qui, Envoyé de Terezín au camp des familles de Birkenau en décembre 1943, vécurent six mois dans le « block des enfants » (Kinderblock), créé par un jeune juif d’origine allemande, Fredy Hirsch, avec l’approbation d’Adolf Eichmann et sous le contrôle direct de Josef Mengele. Les enfants y passaient leurs journées auprès de jeunes madrichim (« guides » en hébreu) ​​désignés parmi les détenus qui, tout en se sachant condamnés, leur proposaient des activités éducatives, sportives et artistiques. Otto B. Kraus fut l’un de ces éducateurs ; il fit partie du convoi venu de Terezín en décembre 1943. Le Mur de Lisa Pomnenka témoigne de cette expérience et porte sur les derniers mois du camp des familles avant sa liquidation en juillet 1944. Le roman mêle des personnages semi-fictifs et des événements réels, tels que la mort de Fredy Hirsch, l’envoi à la chambre à gaz en mars 1944 des déportés du premier convoi de septembre 1943, le soulèvement avorté, les expériences de Mengele… Sur ce fond d’horreur, le récit d’Otto B. Kraus raconte la survie des désirs et de l’espoir, et la tentative des éducateurs de faire du block un îlot de « faux-semblants » dans l’espoir de protéger les enfants de la hantise de la mort. Le Mur de Lisa Pomnenka est suivi d’un essai de Catherine Coquio qui remplace les événements du block des enfants dans la continuité de ceux du ghetto de Teresienstadt, en insistant sur la vie culturelle et sur le rôle décisif qu’y jouèrent les mouvements de jeunesse sionistes de gauche. À Birkenau comme à Theresienstadt les éducateurs engagèrent les enfants dans des jeux de fortune, des pièces de théâtre, des chants, des concours de poésie, des rudiments d’enseignement et des exercices physiques. Le mur peint de « Lisa Pomnenka », une jeune déportée, est à l’image de « la vraie vie introuvable qu’était devenue le monde humain ».Catherine Coquio dégage également du roman les ambiguïtés du « mensonge protecteur », les angoisses des éducateurs devant la voyance des enfants et à l’idée de leur sort dans le cas d’un soulèvement ; elle évoque la mutation des formes messianiques et politiques de l’espoir : toute projection dans l’avenir de venir impossible, c’est dans un pur présent que s’affirment les gestes de l’art et de la création, à la manière de rituels et de valeurs absolues. Les deux textes composent ainsi une méditation exceptionnelle sur le rapport différent des enfants et des adultes à la vérité, à l’espoir et à la mort.

Le Mur de Lisa Pomnenka est suivi d’un essai de Catherine Coquio qui replace les événements du block des enfants dans la continuité de ceux du ghetto de Teresienstadt, en insistant sur la vie culturelle et sur le rôle décisif qu’y jouèrent les mouvements de jeunesse sionistes de gauche. À Birkenau comme à Theresienstadt les éducateurs engagèrent les enfants dans des jeux de fortune, des pièces de théâtre, des chants, des concours de poésie, des rudiments d’enseignement et des exercices physiques. Le mur peint de « Lisa Pomnenka », une jeune déportée, est à l’image de «L la vraie vie introuvable qu’était devenu le monde humain ».

Catherine Coquio dégage également du roman les ambiguïtés du « mensonge protecteur », les angoisses des éducateurs devant la clairvoyance des enfants et à l’idée de leur sort dans le cas d’un soulèvement ; elle évoque la mutation des formes messianiques et politiques de l’espoir : toute projection dans l’avenir devenant impossible, c’est dans un pur présent que s’affirment les gestes de l’art et de la création, à la manière de rituels et de valeurs absolues.

Les deux textes composent ainsi une méditation exceptionnelle sur le rapport différent des enfants et des adultes à la vérité, à l’espoir et à la mort, sur les pouvoirs et les limites de l’idée d’« éducation », enfin sur le sens moral et la valeur pratique des gestes artistiques à l’échelle individuelle et collective.

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GRANDIR DANS UN CAMP DE LA MORT : LE CAMP DES FAMILLES DE BIRKENAU

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Paysages de la métropole de la mort. Réflexions sur la mémoire et l’imagination, suivi de Un ghetto dans un camp d’extermination. L’histoire sociale juive au temps de l’Holocauste et ses limites d’Otto Dov Kulka (trad. P.-E. Dauzat, Paris, Albin Michel, 2013) et Le mur de Lisa Pomnenka (trad. S. et N. Gailly), suivi de C. Coquio, Le leurre et l’espoir. De Theresienstadt au block des enfants de Birkenau, Paris, L’Arachnéen, 2013.

Deux livres bouleversants sont parus presque simultanément début 2013, Paysages de la métropole de la mort, d’Otto Dov Kulka, et Le mur de Lisa Pomnenka, d’Otto B. Kraus (suivi de l’essai Le Leurre et l’espoir, de Catherine Coquio). Il s’agit de deux documents exceptionnels sur un pan relativement peu connu de l’histoire de la Shoah, le camp des familles de Birkenau (officiellement appelé camp BIIb), un camp-vitrine installé à quelques centaines de mètres des chambres à gaz, destiné à leurrer d’éventuels visiteurs de la Croix Rouge internationale sur la réalité du traitement des Juifs déportés. Aucun des deux ouvrages ne relève vraiment du genre testimonial – du moins de ses formes attendues. Le premier explore la mythologie personnelle d’un survivant dont l’enfance s’est déroulée dans ce cadre hors-norme. Le second, également écrit des décennies plus tard par un rescapé, imagine le journal fictif d’un éducateur confronté aux dilemmes moraux quotidiens que constitue la présence des enfants en un tel lieu.

Les conditions de vie dans le camp BIIb sont effroyables, et le spectacle de la mort est quotidien. Les détenus souffrent de la promiscuité, du froid et de la faim. Mais relativement aux conditions du reste du camp, la vie des déportés du camp des familles apparaît comme presque privilégiée : les familles, venues du ghetto de Theresienstadt, ne sont pas sélectionnées à leur arrivée, ni séparées ; les détenus sont tatoués, mais ils peuvent conserver leurs cheveux, leurs vêtements, et maintenir les rudiments d’une vie sociale et culturelle : orchestre, jeux, spectacles, auxquels assistent souvent les SS et le responsable du camp des familles, le docteur Mengele. Très rapidement, la vie s’organise, notamment au Kinderblock (block des enfants), où des moniteurs s’attellent clandestinement à l’éducation des plus jeunes, s’efforçant de divertir les enfants de la réalité terrifiante qui les entoure, de leur apprendre à lire ou à dessiner, ou, comme l’écrit Otto Kraus, à « vivre avec la mort ».

Témoins de la sélection et de la disparition des milliers de Juifs descendus des convois de la mort, les familles du camp BIIb n’ont aucun moyen de comprendre ce qui leur vaut d’être épargnées par ce qu’Otto Kulka appelle plus d’un demi-siècle plus tard « la Grande Loi de la mort ». Ce statut d’exception devient plus incompréhensible encore lorsque l’intégralité des membres du premier convoi des familles tchèques, arrivé à Auschwitz en septembre 1943, est exterminée dans les chambres à gaz six mois plus tard, une nuit de mars 1944. Les très rares rescapés du massacre – dont fait partie Kulka, sauvé par un séjour à l’infirmerie – savent désormais, tout comme les membres des convois suivants, qu’ils seront tous voués à la mort au bout de six mois, sans même le mince espoir que représente, pour les autres détenus, le processus de sélection.

Comment continue-t-on à vivre en plein cœur d’un camp d’extermination ? Peut-on tomber amoureux, ou le rester, lorsqu’on sait précisément quel jour on doit mourir, et de quelle façon ? Quelle enfance, et quelle éducation, dans un lieu sans aucun avenir ? À quoi bon apprendre à lire à des enfants promis à la mort ? Pourquoi écrire des poèmes, tenir un journal, débattre d’un avenir politique promis à d’autres ? Ces questions sont au cœur de l’expérience des déportés du camp des familles, qui n’échappent initialement à la mort que pour subir en toute conscience, sans espoir aucun de s’y dérober, la loi de la cheminée. Double exception dans ce lieu d’exception qu’est le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau : la survie dans le camp de la mort, mais aussi la certitude du meurtre.

Lors de la liquidation du camp des familles, en juillet 1944, moins de 10% des déportés avaient survécu. Et pourtant, même après l’extermination intégrale du premier convoi, la vie du camp s’était maintenue : on continuait à entretenir des traditions juives, à célébrer des fêtes, à éduquer les enfants, à s’affronter sur le sionisme ou l’internationalisme. Racontant la préparation d’une révolte avortée, le roman d’Otto Kraus met en scène l’espoir d’une issue autre que l’extermination, mais il explore surtout une forme d’espérance désespérée, vidée de toute attente, suivant laquelle la seule chose sérieuse à faire, à l’approche et dans la proximité de la mort, serait de maintenir une forme de foi protestataire dans la vie, la « possibilité de vivre quelque chose de l’ordre d’un idéal au présent » (C. Coquio), faux semblant mais aussi vraie affirmation d’une résistance. Comme l’explique Otto Kulka, devenu plus tard historien en Israël, en se remémorant son premier contact avec l’enseignement de l’histoire dans le camp, les « valeurs et modes de vie historiques, fonctionnels et normatifs furent ici transformés en quelque chose de l’ordre de valeurs absolues ».

Les deux livres sont suivis d’un essai qui restitue l’histoire du camp et analyse les conditions de ce paradoxe : Otto Kulka publie, en contrepoint de son exploration intime, l’un des seuls articles qu’il a consacrés en tant qu’historien à l’expérience du camp des familles, où il essaye de comprendre ce cas extrême de survivance d’une vie culturelle au cœur d’un camp de la mort. Accompagnant le roman d’Otto Kraus, un essai passionnant de Catherine Coquio, qui avait déjà dirigé l’édition d’une anthologie de témoignages sur l’enfance pendant la Shoah1, revient de façon détaillée sur l’histoire des déportés du camp BIIb, du ghetto de Theresienstadt à la liquidation finale du camp, et analyse les quelques témoignages qui ont gardé la trace de cette histoire extraordinaire. À leur manière, extrêmement différente, Paysages de la métropole de la mort et Le mur de Lisa Pomnenka viennent enrichir l’héritage historique, poétique et éthique de la littérature des camps en pointant de façon extrêmement poignante l’énigme que put constituer l’expérience collective de l’art et la présence des enfants dans un lieu qui semblait vider l’art et l’enfance de tout sens.

↑1 C. Coquio et A/ Kalisky (textes réunis par), L’enfant et le génocide. Témoignages sur l’enfance pendant la Shoah, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2007

https://raison-publique.fr/1974/

Le camp des familles

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Dans la sombre histoire de la Shoah, il est une aberration dont on parle peu : celle du camp des familles, à Auschwitz, un camp dans le camp, qui voit les Juifs tchèques vivre des conditions de détention nettement différentes de celles des autres détenus raciaux. Retour sur une illusion à peine trompeuse.

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En décembre 1943 arrive à Auschwitz un convoi de Juifs tchèques, déportés du camp de Terezin en Bohême. Leur voyage, si l’on peut l’appeler ainsi, a duré deux jours et une nuit. Mais, à leur arrivée dans le camp de la mort, leur destin est différent de celui des autres Juifs : pas de rampe de sélection, pas de tonte des cheveux, pas de séparation entre parents et enfants.

Ces Juifs tchèques sont regroupés au sein du camp dit des familles, où ils rencontrent certains de leurs coreligionnaires également déportés de Terezin. Combien sont-ils ? Environ 4 000, peut être 4 500. Etrangement, ils connaissent des conditions de vie sans aucun rapport avec les autres détenus : ils sont mieux nourris, portent des vêtements civils au lieu de la tristement célèbre tenue à rayures bleues et blanches. Il y a même un théâtre et une école pour les enfants, visités régulièrement par les gardiens SS. Une véritable aberration ! A deux pas, c’est un enfer sans nom. Et pourtant, tous les membres du camp des familles seront finalement gazés.

Pourquoi ? L’irrationalité nazie est-elle suffisante pour comprendre ? Car jusqu’à aujourd’hui, personne ne s’explique vraiment l’existence puis la liquidation de ce camp des familles.

Il se pourrait bien que les motifs de ce camp dans le camp soient plus terre à terre. Disons-le franchement, il s’agit sans doute de politique. On sait que les nazis firent leur possible pour cacher leur crime, détruisant par exemple les chambres à gaz lors de leur retraite. Le temps de durée du camp des familles avait été officiellement fixé à 6 mois. Un document retrouvé à Auschwitz le prouve. Tout était donc préparé. Six mois, en fait le camp durera un peu plus… Cette période était sans doute jugée suffisante par les nazis pour prouver à qui voudrait l’entendre qu’Auschwitz était un camp de travail normal, voir pourquoi pas un camp humain.

Après tout, ils n’avaient pas fait autrement avec les malades mentaux euthanasiés en Allemagne. A leurs familles, ils envoyaient une simple lettre expliquant un décès accidentel. Le tout étant de rester dans les formes et de faire passer la pilule.

En mars 1944, le camp des familles est liquidé et ses habitants gazés, on y reviendra. Or, 3 mois après, Eichmann invite la Croix-Rouge à visiter le camp de Terezin, en Bohême, sur la demande du Danemark. Pour l’occasion, quelques retouches et mises en scènes semblent tromper les visiteurs.

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Freddy Hirsch

Bref, notre idée est bien que les Juifs tchèques, de Terezin à Auschwitz, ont servi de vitrine auprès de l’opinion internationale. Sans d’ailleurs pour autant qu’ils fussent épargnés. Mais revenons au camp des familles. Membre de la Résistance, détenu depuis 18 mois, Rudolf Vrba, un Juif slovaque, entre vite en contact avec le camp des familles. Il veut convaincre les hommes de le rejoindre dans le mouvement de résistance du camp. En fait, il a très vite compris que le camp des familles était condamné. Son interlocuteur auprès du camp est Fredy Hirsch, un Juif allemand émigré à Prague. Cet homme d’un peu plus de 30 ans est très proche des enfants du camp. Il en est personnellement responsable et apporte un soin particulier à leur éducation. Hirsch communiquera à Vrba le nombre d’hommes prêts à prêter main forte en cas de révolte.

D’autant plus que le temps presse. Fin février 1944, des bruits sur les préparatifs du gazage des familles filtrent. Kaminski, un des chefs de la Résistance au « commando spécial », veut avertir les Juifs du camp des familles, mais l’opération de gazage est repoussée de quelques jours, en fait juste un court sursis. Vrba tente encore une fois de persuader Hirsch d’organiser une révolte armée : sur le chemin de leur exécution, les hommes s’empareraient des armes de leurs gardiens et en tueraient un maximum. La fin était inéluctable alors pourquoi ne pas mourir les armes à la main ? Pour Hirsh, le principal obstacle, et la principale obsession, ce sont les enfants, qu’il considère comme les siens. Face à un choix insoluble, il tente de se suicider en s’empoisonnant.

Un matin, les SS viennent embarquer les familles dans des camions. Subterfuge classique pour une exécution calme, ils expliquent aux Juifs qu’ils seront transférés à Heydebreck. Mais le camion ne tourne pas à droite, vers la sortie du camp, il prend bien la direction des chambres à gaz. Une scène unique se produira alors : battus, forcés de rentrer dans la chambre, les Juifs entonnent l’hymne national tchèque puis la Hatikva, futur hymne d’Israël.

Rudolf Vrba, qui avait tenté de soulever le camp des familles, fera quant à lui partie des rares à avoir pu s’échapper d’Auschwitz. En avril 1944, il parvient à regagner la Slovaquie, avec un co-détenu, Alfred Wetzler. Ils rédigeront un rapport de 32 pages sur la réalité de l’extermination des Juifs, qu’ils enverront aux gouvernements anglais et américain. A cette date, on savait déjà l’essentiel. Mais ce document poussera les Alliés à faire pression sur les nazis dans le cadre de la déportation des Juifs hongrois, qui commence au même moment. Si 400 000 furent effectivement déportés, on estime à environ 100 000 le nombre de vies sauvées grâce à ce rapport.

https://francais.radio.cz/le-camp-des-familles-8600949

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La reine Elizabeth II d’Angleterre (1926-2022)

Mort d’Elizabeth II, reine éternelle des Britanniques

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Portrait 

Née le 21 avril 1926, la reine du Royaume-Uni et du Commonwealth, au pouvoir depuis 70 ans, s’est éteinte le 8 septembre à l’âge de 96 ans. Monarque la plus prestigieuse du monde, Elizabeth II a incarné la fonction royale avec une dignité qui lui vaut le respect de ses sujets britanniques et du Commonwealth, et, plus largement, l’admiration de bon nombre de républicains.

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Couronnement d’Elisabeth II d’Angleterre à l’abbaye de Westminster. Londres (Angleterre), 2 juin 1953.TOPFOTO / ROGER-VIOLLET

La reine Elizabeth, qui vient de mourir à l’âge de 96 ans, a impressionné tous ceux qui l’ont approchée par son maintien. Une façon de se tenir très droite, sans raideur pourtant, mais sans relâchement, jamais. Elle conférait à la personne de cette dame anglaise à chapeau, une autorité indiscutable, renforcée par un regard perçant et vif, de nature à établir immédiatement l’évidence d’une domination et d’une distance, impressionnant tout ceux qui l’ont rencontrée. Elle en aura fait preuve jusqu’au bout, de la tourmente du Brexit jusqu’à la perte en avril 2021 de son époux adoré, le prince Philip.

 De la dignité avant tout chose, aurait pu être sa devise, si la reine n’avait pas endossé celle de l’Angleterre, « Dieu et mon droit ». Jean-Paul II, avec sa perception pénétrante de la nature humaine, l’avait saluée en ces termes en 1982 : « Depuis de très nombreuses années et durant les changements de l’époque, vous avez régné avec une dignité et un sens du devoir qui ont édifié des millions de gens à travers le monde. »Benoît XVI, la visitant à son tour en septembre 2010, rendait, lui, hommage à la fermeté avec laquelle « la Grande-Bretagne et ses dirigeants ont combattu la tyrannie nazie qui cherchait à éliminer Dieu de la société ».

Une fillette consciente de ses prérogatives

Née le 21 avril 1926, Elizabeth Alexandra Mary n’était pourtant pas destinée, à ce moment-là, à régner. Mais l’abdication d’Edouard VIII, en 1936, fait de son père le duc d’York, le roi George VI, et place Elizabeth, à 10 ans, au premier rang de l’ordre de la succession. Lilibeth, comme on l’appelle alors, est l’aînée, sa sœur Margaret a quatre ans de moins qu’elle.

La future reine, une fillette sérieuse, consciente de ses prérogatives, passionnée par les chevaux – elle a reçu son premier poney à 3 ans – et les chiens, étudie les langues étrangères et l’histoire, se montre très faible en mathématiques, travaille les questions d’étiquette, son maintien, s’entraîne sans relâche à porter la traîne et les diadèmes qui la préparent aux couronnes, à donner audience…

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Elizabeth II à cheval, en surplomb du château de Balmoral (Écosse), l’une des résidences d’été favorites de la famille royale. La reine a toute sa vie été passionnée par les chevaux et les chiens. / Lichfield/Lichfield/Getty Images

À 13 ans, elle rencontre Philip Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glucksbourg, également appelé Philippe de Grèce, un cousin lointain de 19 ans, élève officier de marine, et en reste éblouie. La guerre éclate cette année-là, et la princesse Elizabeth s’installe avec sa famille au château de Windsor, près de Londres, en 1940. Alors que les bombardements du Blitz font rage, on pense à envoyer les princesses Elizabeth et Margaret à la campagne, comme la plupart des enfants de Londres, ou au Canada. La reine Elizabeth, leur mère, aurait alors déclaré : « Les enfants ne partiront pas sans moi ; je ne partirai pas sans le roi. Et le roi ne partira jamais. » On installe les ­princesses à Windsor, à l’ouest de Londres, jugé moins vulnérable que Buckingham.

Une reine et quatorze chefs de gouvernement

Le courage de la famille royale durant les années de guerre reste, sans doute, encore aujourd’hui la première source de légitimité des Windsor auprès de leurs sujets. Comme les autres membres de la famille royale, Elizabeth paie de sa personne. En 1940, en pleine bataille d’Angleterre, elle intervient à la radio dans « Children’s hour », pour remonter le moral des Anglais. Elle est nommée grenadier de la garde royale à 16 ans. Elle apprend à conduire pour être ambulancière à 18 ans, puis conductrice de camion de l’armée de réserve, en 1944.

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Dès la fin de la guerre, que son beau cousin, renommé Philip Mountbatten (un patronyme plus anglais), a faite dans la Navy, on annonce leurs fiançailles. Ils se marient le 20 novembre 1947, et il devient duc d’Édimbourg. Ils auront quatre enfants, Charles, prince de Galles, en 1948, Anne en 1950, Andrew en 1960 et Edward en 1964.

Partie faire le tour de ses sujets du Commonwealth, un voyage de plusieurs mois, Elizabeth apprend la mort de son père à la suite d’une embolie le 6 février 1952, au Kenya. Elle rentre aussitôt à Londres où Winston Churchill, 79 ans, en redingote noire, le premier de ses premiers ministres, l’attend sur le tarmac, entouré des personnalités du royaume.

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23 mars 1950 : le premier ministre Winston Churchill saluant la princesseElizabeth. Celle-ci débutera son règne sous les auspices de cet illustre mentor. / TopFoto/Roger-Viollet

Elle commence son règne sous les auspices de son mentor, elle qui connaîtra durant son règne, quinze chefs de gouvernement : Winston Churchill, Anthony Eden, Harold Macmilan, Alec Douglas-Home, Harold Wilson, Edward Heath, James Callaghan, Margaret Thatcher, John Major, Tony Blair, Gordon Brown David Cameron et Theresa May, Boris Johnson et Liz Truss.

« Pipolisation » de la famille royale

Le sacre d’Elizabeth II, le 2 juin 1953, dans l’abbaye de Westminster, est resté dans les mémoires, comme une cérémonie somptueuse et émouvante : la reine n’a que 27 ans. C’est aussi la première grande retransmission télévisée de portée mondiale, vue par 300 millions de téléspectateurs en Eurovision, sur la décision d’Elizabeth elle-même, contre l’avis de Winston Churchill et de l’archevêque de Cantorbéry, primat de l’Église d’Angleterre.

Rapprochant la monarchie du peuple, elle ouvre également la voie à la médiatisation mondiale de la famille royale, qui prendra, bien contre son gré, au cours de son règne, le tour outrancier de la « pipolisation ». Quand l’archevêque de Cantorbéry la couronne reine, et que retentissent les « God save the Queen », elle devient non seulement le chef de l’État du Royaume-Uni, mais aussi la présidente de la Fédération du Commonwealth (53 états membres aujourd’hui, dont 15 la reconnaissent comme leur souveraine), et également le gouverneur suprême de l’Église ­d’Angleterre.

Un long règne commence, avec ses rituels, comme celui du « discours de la reine », qui la voit tous les ans, dans la Chambre des lords, lire la liste des projets de loi que le gouvernement souhaite soumettre au vote des deux chambres durant la session parlementaire. Un texte qu’elle n’a pas écrit, et dont elle ne doit rien changer, mais auquel elle confère la solennité de son autorité. Une illustration parmi d’autres du rôle politique d’Elizabeth II, limité dans les faits, mais indispensable au bon fonctionnement de la démocratie britannique.

Une reine apolitique et politique

Apolitique, la reine se fait communiquer les documents ministériels, et se tient au courant des grands dossiers. Une fois par semaine, le mardi, elle reçoit le premier ministre du moment, qui la consulte avant de convoquer les élections, et qu’elle désigne toujours elle-même, respectant le verdict des urnes.

Politique, cependant, dans son incarnation du Royaume-Uni aux yeux du monde, elle se distingue sur la scène internationale. Ainsi, sa visite en Irlande, en mai 2011, la première d’un roi d’Angleterre depuis l’indépendance du pays en 1922, a été perçue comme une reconnaissance de l’apaisement entre les deux voisins, autrefois ennemis, aujourd’hui parvenus à un règlement conjoint du conflit nord-irlandais. Après le vote britannique du 23 juin 2016 en faveur d’une sortie de l’Union européenne, Elizabeth II devait encore avaliser ce Brexit auquel elle n’aurait pas été favorable, même si elle ne s’était pas exprimée sur le sujet.

Durant son règne, Elizabeth II a manifesté une résistance à la modernité qui a suscité à la fois les réserves et l’admiration de ses sujets. Des réserves quand, au nom de la raison d’État, elle force les membres de la famille royale à adopter les comportements qui lui paraissent nécessaires.

Ainsi, elle met fin en 1955 à la romance de sa jeune sœur avec Peter Townsend, elle arrange le mariage de son fils aîné avec Lady Diana Spencer. On lui reproche sa froideur, voire sa dureté envers la jeune princesse de Galles impulsive et populaire. Sa très grande maîtrise de soi, assimilée à de l’indifférence, lors de la mort de la princesse Diana à Paris en 1997, fait plonger sa popularité au plus bas. La presse anglaise lui reproche son manque de compassion et l’accuse d’avoir été plus émue par l’incendie du château de Windsor en 1992 que par la perte de son ex-belle-fille.

Un peuple attaché à sa reine

Une réputation qu’Elizabeth II a sérieusement améliorée aux yeux de son peuple, en encourageant le mariage de son petit-fils William, futur roi, avec la roturière Catherine Middleton, le 29 avril 2011, le 29 avril 2011, puis en se réjouissant de la naissance de leur premier enfant, le prince George, en 2013, premier de ses arrière-petits-enfants. De même, elle laisse le prince Harry, marié à Meghan Markle, prendre du champ.

La reine au train de vie fastueux, accepte les règles. Elle s’est soumise à partir de 1993 à l’impôt sur le revenu et a cédé au gouvernement en 2006 le contrôle des finances de ses palais.

Mais les sujets d’Elizabeth II n’ont, au fond, jamais cessé d’avoir de l’admiration pour leur souveraine. Au fil des années, ils se sont attachés sincèrement à cette femme stricte, au style de vie si anglais, avec ses chevaux et ses chiens, dont la droiture ne leur a jamais fait défaut. Sa dignité, en toutes circonstances, leur en a imposé. Comme elle en a imposé au monde entier.

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La vie d’Elizabeth II en dates

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21 avril 1926. Naissance de la princesse Elizabeth.

  1. Mort du roi George V, suivie de l’abdication de son fils aîné Edward VIII. George VI monte sur le trône.

20 novembre 1947. Élisabeth épouse le prince Philippe de Grèce et de Danemark.

  1. Naissance du prince Charles.
  2. Naissance de la princesse Anne.
  3. Mort du roi George VI. Sa fille aînée devient reine sous le nom d’Elizabeth II.

2 juin 1953. Couronnement à l’abbaye de Westminster.

  1. Naissance du prince Andrew.
  2. Naissance du prince Edward.
  3. Mort de Winston Churchill.
  4. Le prince Charles épouse lady Diana Spencer.
  5. Naissance du prince William.
  6. Naissance du prince Harry.
  7. « Annus horribilis » du fait des problèmes conjugaux entre son fils Charles et Diana, qui divorceront en 1996.
  8. Mort de Diana.
  9. Mort de sa sœur Margaret et de la reine mère.

29 avril 2011. Mariage de William avec Catherine Middleton.

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  1. Jubilé de diamant de la reine pour ses 60 ans de règne.
  2. Naissance du prince George, fils de William et Catherine.
  3. Naissance de Charlotte, fille de William et Catherine.
  4. Naissance de Louis, fils de William et Catherine. Mariage de Harry avec Meghan Markle.

6 mai 2019. Naissance d’Archie, fils de Harry et Meghan.

9 avril 2021. Mort du prince Philip.

4 juin 2021. Naissance de Lilibet Diana, fille de Harry et Meghan.

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Les liens entre la reine d’Angleterre et l’anglicanisme 

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Comprendre. Quelques semaines avant son mariage, ce samedi, avec le petit-fils de la reine d’Angleterre le prince Harry, l’actrice américaine Meghan Markle a été discrètement baptisée et confirmée dans l’Église d’Angleterre. Une église où la reine tient toujours un rôle symbolique.

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La reine Elizabeth arrive à l’abbaye de Westminster, accompagnée de l’archevêque de Cantorbéry,
pour inaugurer le Synode général de l’Église d’Angleterre, en 1995.BIG PICTURES/MAXPPP

Quelle est la place de la reine d’Angleterre dans l’anglicanisme ?

Comme tous les souverains britanniques depuis la Réforme, la reine Elizabeth II est « défenseur de la foi et gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre ». Le premier titre a été décerné en 1521 par le pape Léon X à Henry VIII qui avait vigoureusement pris la défense du catholicisme contre les positions de Luther. Cela ne l’empêchera pas de se séparer de Rome qui refusait d’annuler son mariage avec Catherine ­d’Aragon : en 1534, le Parlement anglais lui conférera le titre de « chef suprême de l’Église ­d’Angleterre », que rejettera sa fille Mary Ire, demeurée catholique. C’est ­Elizabeth Ire qui, en 1558, prendra définitivement le titre de « gouverneur suprême de l’Église ­d’Angleterre », passé depuis à tous ses successeurs.

Depuis lors, en effet, les monarques anglais promettent solennellement, lors de leur couronnement, de « maintenir et préserver de manière inviolable l’établissement de l’Église ­d’Angleterre et la doctrine, le culte, la discipline et le gouvernement de celle-ci, comme l’établit la loi en Angleterre ». Ainsi en 1953, ­Elizabeth II, établissant son autorité sur l’Église ­d’Angleterre, l’a fait seulement sur la branche anglaise de la Communion anglicane, dont le primat, l’archevêque de ­Cantorbéry, est toutefois nommé par elle.

En tant que reine d’Écosse, la souveraine britannique a aussi la charge de « maintenir l’Église d’Écosse ». Mais cette Église presbytérienne ne reconnaît que le Christ comme « roi et chef », et la reine ne peut donc être son « gouverneur suprême » : quand elle est à Balmoral, elle assiste donc aux offices comme « membre ordinaire » de l’Église d’Écosse. Elle est toutefois représentée à son assemblée générale par un lord haut-commissaire, nommé sur l’avis du premier ministre, mais qui n’a qu’un rôle honorifique.

Comment s’exprime ce rôle ?

C’est officiellement la reine qui nomme les archevêques, évêques et doyens de cathédrales de l’Église d’Angleterre. Comme les prêtres et diacres, ceux-ci lui doivent un serment d’allégeance, et ils ne peuvent démissionner sans son consentement. Dans les faits, c’est une Commission des nominations de la Couronne qui procède à la sélection des candidats, le premier ministre étant désormais obligé de choisir le premier de la liste pour le présenter à la nomination royale.

L’autorité suprême de l’Église d’Angleterre est désormais le ­Synode de l’Église d’Angleterre, présidé par les archevêques de Cantorbéry et York. Depuis les années 1970, la reine a néanmoins pris l’habitude d’en ouvrir la première session après l’élection des membres, tous les cinq ans. Symboliquement, les décisions du Synode doivent être validées par le Parlement et recevoir l’assentiment royal pour avoir force de loi. En matière liturgique et doctrinale, le Synode agit seul, mais il doit là encore recevoir l’assentiment de la reine après avis du ministre de l’intérieur.

Ces dispositions expliquent que, aujourd’hui encore, le monarque britannique doit obligatoirement être de confession anglicane. C’est ainsi que, en 2001, lord ­Nicholas Windsor, fils du duc de Kent et alors 37e dans l’ordre de succession au trône, a dû renoncer à ses droits lors de sa réception dans l’Église catholique.

Depuis 2013, et l’abolition des dispositions de l’Acte d’établissement de 1701, il n’est toutefois plus obligatoire que les membres de la famille royale épousent un anglican. Contrairement à Autumn Kelly, née catholique, qui avait ainsi dû devenir anglicane avant son mariage en 2008 avec Peter Phillips, petit-fils de la reine.

Quelle est la foi de la reine Elizabeth ?

« Pour la reine, la foi est très importante », relève Christopher Lamb, correspondant à Rome de l’hebdomadaire britannique The Tablet. Elle va ainsi régulièrement à la messe, où on sait qu’elle apprécie les homélies brèves. « Plus que tout, l’onction sainte qu’elle a reçue au jour de son couronnement est centrale pour elle, poursuit Christopher Lamb. Elle se voit comme un monarque sous le regard de Dieu et croit fermement à son rôle de reine dans une optique de service. C’est en grande partie de sa foi que lui vient la haute idée qu’elle se fait de son devoir. » Un devoir presque sacré pour elle.

Si elle ne s’est jamais exprimée sur le fonctionnement de l’Église d’Angleterre – elle ne serait pas très à l’aise avec l’idée des femmes évêques, même si elle a dû l’accepter –, elle a eu plusieurs fois l’occasion de parler de sa foi. Notamment dans ses messages télévisés de Noël, plus particulièrement depuis les années 2000, dans un contexte de sécularisation grandissante en Grande-­Bretagne. « Pour moi, Jésus-Christ, Prince de la paix, dont nous célébrons la naissance, est une inspiration et une ancre dans ma vie », a ainsi témoigné en 2015 celle dont la série télévisée The Crown a récemment rappelé combien l’évangéliste américain Billy Graham, qu’elle a plusieurs fois rencontré, l’avait aidée à approfondir sa foi.

Pour ce qui est du prince Charles, il serait, dans sa pratique, plus proche des anglo-catholiques, la branche de l’anglicanisme à la liturgie plus traditionnelle et plus marquée par le catholicisme. Le petit-fils de la princesse Alice de Grèce, devenue religieuse orthodoxe, a aussi été influencé par l’orthodoxie (il aurait fait des retraites au Mont Athos) et, très impliqué dans le dialogue interreligieux, il s’est intéressé à l’islam et au judaïsme comme aux religions orientales. L’héritier du trône a d’ailleurs expliqué envisager son futur rôle de défenseur de la foi plutôt comme celui de « défenseur de foi », afin d’« assurer que les autres fois puissent aussi être pratiquées, chacun, quelle que soit sa foi, faisant partie de l’ensemble ».

Quant à la génération la plus jeune, si elle pratique officiellement l’anglicanisme, elle n’a pas encore eu l’occasion de s’exprimer réellement sur sa foi. Néanmoins, et alors que cela n’est plus obligatoire, Meghan Markle d’origine protestante, élevée dans une école catholique mais jamais baptisée, a-t-elle été discrètement baptisée et confirmée le 6 mars dernier dans l’Église ­d’Angleterre, juste avant son mariage ce samedi avec le prince Harry. De même, Kate Middleton, baptisée enfant, avait-elle été confirmée peu avant son mariage avec le prince William.

https://www.la-croix.com/Journal/liens-entre-reine-dAngleterre-langlicanisme-2018-05-19-1100940221

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Le débarquement de Provence : 15 août 1944

15 août 1944

Le débarquement de Provence

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Le 15 août 1944, à 8h, les Alliés débarquent en Provence, sur dix-huit plages entre Toulon et Cannes. C’est le troisième débarquement après ceux de Sicile et de Normandie. Mais celui-ci comprend une majorité de Français à la différence des deux précédents, presque exclusivement constitués de Britanniques, Canadiens et Américains.  Sur un total de 350 000 hommes qui vont débarquer ce jour et les suivants, on compte en effet un puissant corps d’armée français de 260 000 hommes, y compris de nombreux soldats originaires des colonies.

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Le débarquement proprement dit se déroule plutôt bien, car une bonne partie des troupes allemandes ont été rappelées vers le front de Normandie, ouvert deux mois plus tôt. Toutefois, la prise de Marseille et de Toulon va se heurter à une forte résistance de l’occupant…

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Les troupes françaises remontant vers Toulon

Un soutien bienvenu à Overlord et à la libération de la France

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Alexander Patch

Baptisé Anvil (« Enclume ») puis Dragoon (« Dragon »), le débarquement de Provence a été évoqué une première fois à la conférence de Casablanca, les 14-24 janvier 1943, par les chefs alliés Roosevelt et Churchill, en même temps que l’opération Overlord.

Le Premier ministre britannique avait plaidé avec force pour un débarquement dans les Balkans afin de contrer au plus vite la progression des Soviétiques et arriver avant eux à Berlin. Mais le président américain avait imposé son choix de deux débarquements simultanés en France, en Normandie et en Provence…

En choisissant de rebaptiser l’opération Dragoon, le Premier ministre a voulu signifier qu’on l’a contraint, en anglais dragooned ! 

Finalement, le débarquement de Provence a été décalé de plus de deux mois car les Alliés ne disposaient pas d’assez de bateaux de transport pour les mener de front. À défaut de briser la résistance allemande, il va permettre de soutenir Overlord et d’approvisionner par la vallée du Rhône les troupes en marche vers l’Allemagne.

Sa direction est confiée au général Alexander Patch, qui commande la VIIe Armée américaine.

Et pour la première fois interviennent en masse les Français. Ceux-ci avaient été représentés par un commando de 177 hommes le 6 juin 1944, avant que ne débarque la 2e DB du général Leclerc le 1er août suivant.

Cette fois, c’est une véritable armée qui débarque sur les côtes françaises sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny.

Les Français à l’honneur

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Jean De Lattre de Tassigny (1889-1952)

Chef de guerre valeureux et charismatique, mais distant, aux manières de grand aristocrate, de Lattre s’est attiré le surnom de « roi Jean ».

Ayant rompu avec le régime de Vichy après l’occupation de la « zone libre », il a été emprisonné, s’est évadé et a rejoint enfin la France Libre et le général de Gaulle à l’automne 1943. C’est ainsi qu’il prend le commandement en Algérie de l’armée B, qui deviendra en septembre 1944 la 1ère Armée française.

Forte au total de 260 000 hommes, elle est constituée de volontaires de la France Libre et surtout d’anciens soldats de Vichy. Il s’agit de soldats qui appartiennent à l’ancienne Armée d’Afrique constituée par le général Weygand du temps où il était gouverneur général d’Algérie. Cette armée comprend en particulier des conscrits d’Afrique du Nord, soit 134 000 d’Algérie, 73 000 du Maroc et 26 000 de Tunisie. Dans ces effectifs, « pieds-noirs » et musulmans sont à peu près à part égale. L’armée de De Lattre compte  aussi vingt à trente mille ressortissants d’Afrique noire. Les uns et les autres n’ont encore jamais posé le pied en métropole pour la plupart.

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Joseph de Monsabert (1887-1981)

Au sein de l’armée B, les troupes du général Joseph de Goislard de Monsabert, dont en particulier la 3e division d’infanterie algérienne (DIA), occupent une place à part.

Elle sont constituées de goumiers algériens et de tabors marocains, des troupes d’élite réputées pour leur endurance (et leur férocité) qui se sont déjà illustrées dans les combats d’Italie et notamment à la bataille du Mont-Cassin (note).

Monsabert est un chef de guerre d’un abord simple, au tempérament opposé à celui de De Lattre, ce qui n’empêche pas les deux hommes de s’entendre à merveille. Surnommé le « gentilhomme gascon », il se signale toutefois par une piété à toute épreuve, sans rien à voir avec les anciens mousquetaires…

Sous le commandement de De Lattre, l’armée B, qui réconcilie la France collaborationniste « de Vichy » et la France résistante « de Londres », va donc débarquer par vagues successives sur les côtes de Provence, aux côtés des Anglo-Saxons.

Pendant que ces derniers s’engouffreront dans la vallée du Rhône, c’est elle qui va conduire l’assaut contre Toulon et Marseille. Le contrôle de ces ports en eau profonde est essentiel pour l’approvisionnement des armées alliées dans la suite des opérations. Un tiers du tonnage américain transitera ainsi par Marseille ! 

Une progression plus rapide que prévu

Comme tout le littoral européen, la côte provençale avait été dotée par les Allemands de solides fortifications : blockaus (casemates) et mines. Pas moins de 600 000 mines sur la seule côte du Var, où aura lieu le débarquement.

Mais ces obstacles ont été au préalable repérés par les Alliés grâce à des campagnes de prises de vues aériennes (Antoine de Saint-Exupéry y participa activement). D’autre part, dès le 27 mai 1944, l’aviation alliée a bombardé tous les sites stratégiques de la côte, comme la gare Saint-Charles de Marseille. Enfin, avantage non négligeable, les troupes de la Wehrmacht présentes sur place se réduisent à la XIXe armée, qui comprend une bonne moitié de non-Allemands peu motivés.

Comme en Normandie, les Alliés ont soigneusement préparé le débarquement. 

Le soir du 14 août, la BBC émet à l’intention de la Résistance intérieure les phrases codées qui indiquent l’imminence de l’opération : « Nancy a le torticolis »« Gaby va se coucher dans l’herbe »« Le chasseur est affamé ». Les résistants sapent sans attendre les voies de communication pour empêcher tout repli de l’occupant.

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  • Général Robert T. Frederick (1907-1970)

À minuit, les commandos français d’Afrique du colonel Bouvet et la 1st Special Service Force américaine du colonel Walker entrent en scène : après avoir sécurisé le cap Nègre, elles affrontent les défenses allemandes à Hyères.

Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, neuf mille parachutistes anglo-saxons sous les ordres du général américain Robert T. Frederick, sont largués dans l’arrière-pays, notamment dans la plaine du Muy, entre les massifs des Maures et de l’Estérel. Ils s’assurent le contrôle des routes et marchent sans attendre vers Cannes.

À l’aube enfin arrivent les premiers navires, avec une solide couverture aérienne qui permettra qu’aucun ne soit coulé. Ces navires sont partis pour certains dès le 4 août, d’Afrique du Nord ou d’Italie du Sud.

La première vague d’assaut compte trois divisions américaines renforcées par une unité française. Elle débarque sur la côte des Maures, hors de portée des batteries de Toulon, entre les îles d’Hyères, le cap Nègre et Le Troyas, des lieux paradisiaques aujourd’hui voués au tourisme.

En deux jours, 2200 bâtiments dont 850 navires de guerre amènent à terre 115 000 hommes. L’assaut aura été si rapide que les Allemands ont eu à peine le temps de réagir et l’on ne comptera que quelques dizaines de victimes parmi les Alliés.

Dès le 19 août 1944, les Allemands reçoivent de leur hiérarchie l’ordre de se replier, à l’exception des garnisons de Toulon et Marseille qui ont ordre de résister coûte que coûte.

Toulon et Marseille libérées

Les Américains du général Patch se dirigent à marches forcées vers la vallée du Rhône sans rencontrer de véritable résistance, atteignant Lyon dès le 3 septembre 1944. Ils font enfin leur jonction avec l’armée de Patton, venue de Normandie, le 12 septembre 1944, à la hauteur de Dijon.

Pour les Français, le plus dur reste à faire : libérer les ports de Toulon et surtout Marseille, indispensables au ravitaillement des troupes et à la poursuite des opérations.

  • À Toulon résistent dix-huit mille soldats de la Wehrmachtsous les ordres du contre-amiral Heinrich Ruhfuss. Ils vont tenir jusqu’à la dernière limite, notamment dans les forts qui ceinturent la ville, et ne se rendront que le 26 août 1944, en laissant une ville en ruines et en déplorant un millier de tués. 

Au terme de l’assaut, les Français sous les ordres du général Edgard de Larminat déplorent quant à eux 2 500 morts ou blessés sur un effectif total de 52 000 hommes.

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Le général de Monsabert quitte Notre-Dame de la Garde après un Te Deum célébré pour la libération de la ville (29 août 1944)

  • À Marseille, la population se soulève dès le 19 août 1944 et des milliers d’habitants marchent sur la Préfecture. Dès le 23 août, la 3e division d’infanterie algérienne, la 1ère division blindée du général Sudre et les 2e et 3e groupements de tabors marocains pénètrent aussi dans Marseille. Mais le général allemand Hans Schaeffer, qui tient la ville avec les 20 000 hommes de la 244e division, n’accepte pas pour autant de se rendre.

Il faudra en définitive que les tirailleurs ou goumiers algériens de Monsabert s’emparent à revers de la colline de Notre-Dame de la Garde, qui surplombe la cité, pour que les Allemands cessent toute résistance. Ce succès coûte la vie à 1 500 soldats français et 2 500 soldats de la Wehrmacht, ainsi qu’à une centaine de FFI (Forces françaises de l’intérieur). Le général Schaeffer capitule enfin le 28 août 1944 (c’est trois jours après la libération de Paris par les hommes du général Leclerc).

Les Français peuvent ainsi se féliciter d’avoir atteint leurs objectifs 13 jours après le débarquement alors que le commandement allié avait planifié 40 jours ! Dès le lendemain, le 29 août, le général de Monsabert, fervent catholique, fait célébrer un Te Deum devant la basilique de Notre-Dame de la Garde et salue la Vierge en ces termes : « C’est elle qui a tout fait ! ».

De Lattre, quant à lui, télégraphie au général de Gaulle un message plus prosaïque : « Aujourd’hui J+13, dans le secteur de mon armée, il ne reste plus un Allemand autre que mort ou captif. » Grâce à cette participation de l’armée française à la libération du continent, le général de Lattre ratifiera au nom de son pays la capitulation de l’Allemagne, le 8 mai 1945, à Berlin.

En attendant, son armée va poursuivre à bride abattue sa marche triomphale vers le Rhin. Rebaptisée 1ère Armée française le 1er septembre 1944, elle va au fil de son avancée accueillir dans ses rangs des combattants FFI et doubler ses effectifs jusqu’à atteindre 400 000 hommes. Dans le même temps, les soldats indigènes vont pour la plupart rentrer chez eux. L’Armée d’Afrique sera dès lors oubliée…

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Tabors marocains et goumiers algériens du général De Lattre défilant à Marseille

Sources documentaires

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Le débarquement de Provence a laissé peu de traces dans la littérature de la Seconde Guerre mondiale. Aussi cet article puise-t-il beaucoup dans l’excellent documentaire qu’a réalisé Christian Philibert pour FR3 : Provence, août 1944, l’autre débarquement (2014).

https://www.herodote.net/15_aout_1944-evenement-19440815.php