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Les racines juives de la messe

Les racines juives de la messe 

Jean-Baptiste Nadler ; préface de Haïm Koria

Editions de l’Emmanuel, 2015. 124 pages.

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Présentation

Ce petit livre est né d’une rencontre de l’auteur, prêtre spécialiste de la liturgie, avec la communauté et la synagogue de Tours. Il y montre l’influence de la liturgie juive du Temple sur les rites de la messe catholique. Il nous aide ainsi à comprendre et à vivre la messe en héritiers de nos frères aînés dans la foi. L’ouvrage du Père Jean-Baptiste Nadler nous rappelle ce que certains auraient malheureusement tendance à oublier, à savoir que tous les premiers Chrétiens étaient juifs, juifs pratiquants. Cette proximité explique cette autre vérité historique : la prenté entre les rites juifs et les rites chrétiens. Ce si grand patrimoine commun aux Chrétiens et aux Juifs n’empêche pas la différenciation entre les deux religions. C’est le propre de l’histoire humaine que chacun trouve son chemin propre. Mais c’est aussi la grandeur de l’homme de savoir trouver les points de convergence et de dépasser les différences afin de trouver l’espérance toujours partagée, comme le rameau sait trouver son ressourcement dans la sève de l’arbre dont il est l’une des ramifications.

Extrait de l’introduction

«Les rites manifesteront une noble simplicité, seront d’une brièveté remarquable et éviteront les répétitions inutiles ; ils seront adaptés à la capacité des fidèles et, en général, il n’y aura pas besoin de nombreuses explications pour les comprendre.»

Ces indications normatives données par le concile Vatican II pour son œuvre  de restauration de la liturgie rappellent que les rites de l’Église nécessitent quelques explications en vue de leur juste compréhension, même si ces rites sont simples et sobres. Car la liturgie est un langage composé de mots, de gestes, d’attitudes et de tout un ensemble de signes et de symboles. Ce langage est l’expression d’une pensée – celle de la foi – et donc d’une culture. Celui qui veut connaître une culture et entrer en dialogue avec elle doit en apprendre la langue. De même, celui qui veut pénétrer dans le vaste monde liturgique doit en apprendre le langage, la signification, l’histoire. Cela demande un effort et un apprentissage, en un mot, une éducation.

Sans cet effort, deux écueils menacent celui qui participe à la liturgie : le ritualisme et Ya-ritualisme. Le ritualisme est une application extrinsèque, vide et creuse des rites liturgiques, ce qui entraine souvent le relativisme («Si je fais tel geste sans en comprendre le sens, je pourrais tout aussi bien faire un autre geste à la place»). Nous trouvons une belle dénonciation de l’attitude ritualiste dans la bouche de Jésus, au début de l’évangile selon saint Matthieu : «Hypocrites ! Isaïe a bien prophétisé à votre sujet quand il a dit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur  est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte» (Mt 15, 6-9). L’a-ritualisme, quant à lui, est le mépris des rites matériels au nom d’une certaine conception de la pureté de la foi. Fruit d’un intellectualisme désincarné, il donne une prière sans chair. C’est précisément pour contrer ces deux erreurs que le concile Vatican II a voulu une réforme liturgique qui soit centrée sur la «participation pleine, consciente et active» des fidèles à la liturgie. Or, pour que notre participation soit «consciente», nous devons connaître la signification de rites qui s’expliquent en grande partie par leurs origines et leur histoire.

Mais une première question se pose : pourquoi avons-nous besoin de rites ? Et même, avons-nous encore besoin de rites ? La foi chrétienne n’est-elle pas un culte «en esprit et en vérité» et donc une libération des vieux réflexes religieux païens ? Bien au contraire ! Dans le christianisme, la prière est et doit être plus liturgique que dans n’importe quelle autre tradition religieuse. À quoi servent en effet les rites, sinon à nous approcher de Dieu ? Lorsqu’Isaïe reçoit la vision du Seigneur dans le Temple de Jérusalem, et que les séraphins se crient l’un à l’autre la terrible sainteté de Dieu : «Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers !», le prophète est désemparé. «Malheur à moi ! s’écrie-t-il, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures». Avec des instruments liturgiques – la pince et le charbon pris sur l’autel de l’encens -, l’un des séraphins apaise Isaïe (Is 6, 1-7). Cet épisode nous donne tous les éléments pour comprendre l’importance des rites. Dieu est saint, totalement autre, immensément transcendant et inaccessible à nos propres forces. Mais pour notre bonheur, il s’approche de nous, il se rend accessible jusqu’à se faire l’un de nous par l’Incarnation de JésusChrist. En lui, jamais Dieu n’a été aussi proche ! Hélas, à cause de la faiblesse de notre nature, soit nous nous habituons à Dieu au point d’oublier sa sainteté et de le réduire à une idole, une chose, un objet ; soit nous nous réveillons de notre torpeur, comme Isaïe, nous prenons peur face à l’immense majesté de Dieu et nous cherchons à fuir et à nous cacher loin de sa face. C’est précisément à ce moment que les rites de la liturgie prennent tout leur sens. Par leur majesté et leur sacralité, ils nous aident à nous déshabituer de Dieu et entretiennent en nous la «crainte filiale», c’est-à-dire le respect humble et amoureux devant la grandeur de Dieu, tout en nous permettant réellement de nous approcher de lui sans craindre d’offenser sa majesté : «Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce» (He 4, 16).

Pour bien comprendre le sens des rites et y participer d’une manière consciente et active, il est nécessaire d’en connaître l’histoire, particulièrement leur origine. Or la plupart des rites chrétiens, surtout ceux qui composent la célébration du mystère de l’Eucharistie,  s’ancrent dans les rites du peuple juif, tout en les menant à leur accomplissement. Le Christ, venu nom pour abolir mais pour accomplir, a donné son sens plénier à la liturgie de l’Ancienne Alliance, et les premier chrétiens, tous juifs, n’ont pas vécu leur foi nouvelle comme une rupture, mais comme une continuité dans la nouveauté de l’Evangile »

Analyse du Père Patrice Sabatier, c.m.

Il faut revenir en arrière, certainement sous le Pontificat de Pie XII, et les premiers écrits en 1962 de Jules Isaac sur « l’Enseignement du mépris » et de ceux d’André Neher pour vérifier le chemin parcouru par l’Eglise et, dans quelque autre mesure, par le judaïsme lui-même. Le 15 décembre 1959 à la Sorbonne, Jules Isaac prononce une conférence qu’il intitule : « Du redressement nécessaire de l’enseignement chrétien concernant Israël ». Cette dernière sera éditée par les Editions Fasquelle en 1960 sous le titre de « L’antisémitisme a-t-il des racines chrétiennes ? ». En 1948, déjà, le même historien avait publié « Jésus et Israël ». Ce travail long et patient est accompli de façon précise et définitive par Vatican II et les Déclarations conciliaires attachées au grand texte Nostra Aetate. Peu à peu, ce texte ainsi que les Dix points de Seelisberg se sont diffusés tant dans le christianisme que dans le judaïsme. Une nouvelle période de connaissance, de rencontres, de recherches, de débats et d’amitié allaient pouvoir commencer et perdurer.

Le livre du Père Jean-Baptiste NADLER – prêtre de l’Emmanuel -, préfacé par le Grand rabbin de France Haïm KORSIA, se situe justement à ce point de rencontre. L’ouvrage qu’il publie est d’ailleurs le fruit de rencontres multiples avec la communauté juive, et de présences soutenues à la synagogue de Tours. Il est beau de voir comment un homme – un chrétien et un prêtre – avec un cœur ouvert et aimable peut faire monter de cette présence amicale à la synagogue le fruit de son expérience…, et aussi de sa prière d’homme. Sans doute, ici, avons-nous plus qu’un livre sur la liturgie synagogale en ces rites et en ses intentions. En effet, ce serait davantage un témoignage au cœur d’une liturgie, au cœur d’un cheminement qui apprend à contempler et à regarder nos racines chrétiennes là où elles sont nées. Cependant, à aucun moment, le lecteur aura l’impression d’un quelconque syncrétisme ou d’une dilution faisant d’une religion l’antichambre de l’autre ou démontrant que l’une est supérieure à l’autre. L’auteur veut simplement mettre en lumière les traces de la liturgie du Temple dans nos rites chrétiens de la messe; et principalement ceux attachés à la Pâque juive – Pessah. L’auteur nous dit que « Jésus lui-même agit comme un rabbin, en faisant une relecture rabbinique d’interprétation de l’Ancien Testament. » Nous sommes bien là très loin du prêtre Marcion au IIème siècle voulant faire une coupure radicale avec la Première Alliance (Marcionisme) !

Deux grandes parties font le corps de l’étude ici présentée : Les origines juives des rites chrétiens et La liturgie de la messe accomplit les rites juifs. En suivant les Apôtres « assidus au Temple » et en entrant dans le Mystère d’Israël par le biais de la liturgie, le lecteur est appelé à renouveler sa compréhension de la messe, à la revisiter, à la vivre d’une autre manière en s’attachant aux mots, aux rites, aux symboles, aux mouvements et objets servant à la liturgie. On y perçoit, ainsi, l’influence de la liturgie juive du Temple sur les rites de la messe catholique.

Nous l’avons compris, ce livre court est didactique. Il se lit assez rapidement parce qu’il est pédagogique et va à l’essentiel. Les acteurs de la liturgie paroissiale, les catéchistes, les séminaristes, les délégués diocésains au dialogue avec le judaïsme… pourront se servir de ce petit livre au cœur de leurs responsabilités. Il renouvellera, sans aucun doute, aussi les prêtres et les évêques dans leurs pratiques liturgiques et dans la célébration de l’Eucharistie… Il peut être un bel outil de passage et de rencontres avec des communautés juives.

  1. Patrice SABATER, cm
    16 juin 2018

https://www.domuni.eu/fr/recherche/les-ressources-en-ligne/ressource/les-racines-juives-de-la-messe–651/