LE TEMPS DES ÉGARÉS
Le temps des égarés
De Virginie Sauveur
Avec Claudia Tagbo, Biyouna, Jean-Pierre Lorit
Date de sortie mai 2018 (Arte)
Drame français
Salon-de-Provence le 9 février à 17h00 au Cinéma Les Arcades (Place Gambettta – Tarif 5 €)
Une ancienne réfugiée, devenue traductrice de l’OFPRA, extorque sans scrupules les demandeurs d’asile pour inventer les récits de leurs vies. Film proposé par la CIMADE. Débat avec la scénariste, Gaëlle Bellan, et Marie Hélène Desfours, avocate spécialisée en droits des étrangers.
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SYNOPSIS ET DÉTAILS
Ancienne réfugiée, Sira est traductrice pour l’OFRPA, l’organisme chargé de l’attribution du droit d’Asile en France. Sans aucun scrupule vis-à-vis des demandeurs, elle leur vend au prix fort des odyssées mensongères mais susceptibles de convaincre les autorités. Un enchaînement de rencontres qui vont avoir raison de son cynisme.
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=258776.html
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Sur Arte
“Le Temps des égarés”, un conte ultra-contemporain sur les réfugiés
Dans une fiction sur Arte, la réalisatrice Virginie Sauveur raconte avec humanité les épreuves qui attendent les migrants à leur arrivée en France. Et fustige ceux qui en profitent : en traductrice corrompue, la comique Claudia Tagbo se révèle impériale.
Ils sont un essaim, collés les uns aux autres dans la pénombre inconfortable d’un container. Ils sont une enfilade de silhouettes floues, courant à contre-jour vers l’eldorado qu’ils se sont imaginé. Un homme sort du lot qui s’éloigne et s’arrête. Dans son sac en plastique, le strict nécessaire : un bout de savon, une brosse à dents et un texte de Cyrano de Bergerac. Il commence une toilette de chat dans la mer, relève la tête, fixe la caméra. Maintenant, semble-t-il nous dire, regardez-moi dans les yeux et écoutez mon histoire.
Récits d’exilés à vendre
Ainsi commence Le Temps des égarés, sorte d’épopée contemporaine dans laquelle des héros venus de l’autre côté de la Méditerranée réussissent les exploits successifs de débarquer en France, de tracer leur chemin jusqu’à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et, le cas échéant, de convaincre ceux qui les écoutent qu’ils méritent le droit d’asile. C’est à ce dernier stade de leur parcours que, dans ce téléfilm réalisé par Virginie Sauveur (Virage Nord), tout se joue.
Aider les réfugiés à dire l’indicible
« Quand j’ai découvert que le récit délivré à l’Ofpra, à l’écrit et à l’oral, primait sur les éventuelles pièces matérielles[souvent manquantes ou sujettes à caution, ndlr], j’ai immédiatement pensé à ceux qui, traumatisés ou craignant encore des représailles, n’étaient pas capables de raconter leur histoire », explique la scénariste Gaëlle Bellan. Dans la réalité, il arrive que des escrocs profitent des détresses pour faire commerce de leurs récits, qui fonctionnent tant que leur répétition ne saute pas aux oreilles des agents qui les collectent.
Dans la fiction, une traductrice (Claudia Tagbo) sature de billets de banque son existence vide de sens en vendant aux réfugiés les mots qui leur serviront de sésame. Gare à celui qui pense pouvoir s’en passer : rien n’est moins contestable que la chronique d’une destinée…
La réalité rejoint la fiction
Née il y a une dizaine d’années, l’idée de cette fiction mettant en scène des réfugiés (un terme que Gaëlle Bellan préfère à celui de « migrants ») trouve son aboutissement au moment où la loi asile-immigration, fraîchement votée, durcit les conditions d’entrée en France. « Lors d’une première projection du film, en janvier, un spectateur a fait remarquer que la présence d’une petite fille dans un centre de rétention n’était pas réaliste, poursuit la scénariste. L’un des personnages précise d’ailleurs que celle-ci est arrivée là “par erreur”. Or, désormais, ce cas de figure est parfaitement possible. » Désireuse de proposer « un film documenté mais pas documentaire », elle a rencontré des anciens agents de protection de l’Ofpra, et assisté à des audiences de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour rendre chaque situation incontestable.
Loin pourtant d’asséner un propos, Le Temps des égarés ressemble plutôt à un conte, dissimulant derrière ses protagonistes mille pistes de réflexion. De la traductrice impénétrable à l’humaniste égoïste, tous ont de bonnes raisons d’agir comme ils le font ; tant pis s’ils se montrent cruels quand on attend de la bienveillance, ou vénaux quand on les espère moraux… Surtout, ils ne sont plus la masse indistincte qu’évoquent les journaux ou les textes de loi, mais des individus dotés de visages et confrontés à des dilemmes, qui suscitent réflexion et empathie.
A contre-emploi, l’humoriste Claudia Tagbo se révèle impériale dans un rôle marmoréen — une nouvelle fois, la réalisatrice Virginie Sauveur démontre qu’elle n’a pas sa pareille pour révéler les comédiens. C’est sans doute grâce à cette intégrité face au « sujet » et à ceux qui l’incarnent, mais aussi à la poésie dont il fait preuve parfois, que ce téléfilm délicat a reçu trois prix au dernier festival de Luchon (dont celui de la meilleure fiction) et le prix du public au Fipa.
Télérama du 25 mai 2018
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« Le temps des égarés »de Virginie Sauveur
Diffusé sur ARTE le vendredi 25 mai 2018, Le temps des égarés de Virginie Sauveur est un téléfilm sociétal fort et original sur le sujet polémique de l’accueil des migrants et réfugiés. L’avis et la critique de Bulles de Culture sur cette unitaire fiction coup de cœur, portée par une excellente Claudia Tagbo, ainsi que notre interview de l’équipe.
Synopsis :
Sira Diabate (Claudia Tagbo) travaille pour l’OFPRA, l’organisme chargé de l’attribution du droit d’asile en France. Elle-même issue de l’immigration mais sans aucun scrupule vis-à-vis des migrants, elle leur vend au prix fort des odyssées mensongères, mais susceptibles de convaincre les autorités. Solitaire, elle amasse compulsivement de l’argent pour combler le vide de son existence. Un enchaînement de rencontres va avoir raison de son cynisme. Pendant ce temps-là, Abdul Yassin (Amer Alwan), réfugié irakien rescapé de Daech, débarque en France où il va devoir apprendre à survivre.
Le temps des égarés : le sujet sensible de l’accueil des migrants
L’arrivée d’un groupe d’immigrés clandestins dans un container qu’on imagine décharger d’un cargo ouvre le téléfilm Le temps des égarés. Abdul Yassin en fait partie. Puis direction l’OFPRA (Office Français de la Protection des Réfugiés et des Apatrides) où entre en scène Sira Diabate, une interprète qui y travaille. Enfin une petite fille, sauvée d’une excision par son père en fuite, fait son apparition… L’unitaire fiction Le temps des égarés « est un projet que je porte depuis 2009, nous a confié Gaëlle Bellan (Engrenages), la coscénariste au départ du projet. A l’origine, ce qui m’a interpellé, c’est une conversation avec une amie qui travaillait autour de l’univers de l’OFPRA et qui m’a expliqué comment fonctionnait l’obtention du droit d’asile. Elle m’a dit que tout reposait sur le récit du requérant et que c’était la qualité du récit qui permettait de donner ou non le statut. Évidemment, comme je suis une scénariste et que le récit est au cœur de mes préoccupations quotidiennes, j’ai trouvé que c’était incroyable qu’il y ait un enjeu de vie et de mort autour du récit. Donc à l’origine, il ne s’agissait pas de parler des mouvements migratoires et du statut de réfugié en lui-même. C’est venu après ».
Et c’est l’approche originale et inédite du téléfilm Le temps des égarés qui en fait toute la force. Surtout que de nous jours, l’accueil des migrants et réfugiés est un sujet hautement sensible. A tel point que la production s’est heurtée à de nombreuses difficultés lors du tournage. Ainsi, malgré le soutien de la région Ile-de-France, de nombreuses villes ont refusé d’être associés à ce projet. Que ce soit pour le tournage dans la cité tranquille où vit Sira, ou pour l’ouverture du film où Abdul et un groupe de migrants arrivent en bateau — face au refus des ports de Calais, Dunkerque ou Marseille, la scène a finalement été tournée avec un container sur un parking privé. Même fin de non-recevoir pour la séquence de l’hôtel de marchand de sommeil où séjourne Abdul qui aurait dû se dérouler en fait dans un « camp » de migrants reconstitué sous le métro de Paris. C’est dire l’importance de traiter aujourd’hui un tel sujet, même en fiction.
Des êtres confrontés à un système défaillant
Dans l’unitaire fiction Le temps des égarés, la coscénariste et réalisatrice Virginie Sauveur (Virage Nord, Quelques jours entre nous) filme donc à hauteur d’homme plusieurs personnages confrontés à un système d’accueil de migrants et de réfugiés totalement défaillant. Il y a tout d’abord ceux qui le représentent et que le téléfilm, loin d’être à charge, n’oublie pas de souligner l’humanité mais aussi l’extrême désemparement face à des situations qui les dépassent complètement. C’est ainsi le cas d’Audrey, interprétée par la comédienne Géraldine Martineau (Le Nouveau, Petit Paysan), qui « est extrêmement désagréable mais on sent aussi que c’est une personne qui est tous les jours confrontés à la détresse, à des gens qui supplient, demandent… qui a une responsabilité inhumaine sur ses épaules, nous a expliqué la coscénariste et réalisatrice Virginie Sauveur. Cette personne est en charge de récupérer la parole mais en plus de décider aussi si oui ou non son interlocuteur peut rester ou pas en France ».
Il y a ensuite ceux qui arrivent avec plein d’illusions et qui vont se heurter à la dure réalité. C’est le cas d’Abdul Yassin, un professeur de français irakien d’une cinquantaine d’années qui a fui son pays pour trouver refuge en France. Interprété par l’acteur et réalisateur irakien Amer Alwan (Zaman, l’homme des roseaux), cet homme qui idéalise tant la France va se heurter à la dure réalité de l’accueil des immigrés dans le pays supposé des droits de l’Homme. « Le personnage d’Abdul a quelque chose en lui qui se brise. Il avait une image en lui un peu romanesque de la France, des droits de l’Homme, de la culture, nous a ainsi expliqué Virginie Sauveur.C’est vrai qu’il se drape un peu dans sa souffrance mais à un moment donné, il va accepter. Lui aussi, il fait un chemin. Il ne fait pas simplement le chemin d’Irak à Paris mais aussi dans sa tête. Malgré son âge, il grandit. Car il avait appris la France dans les livres, par un prisme littéraire, pas du tout par la réalité« .
Il y a enfin ceux qui acceptent le « game », comme le dit si bien son interprète Claudia Tagbo, métamorphosée dans le rôle de ce fascinant personnage qu’est Sira Diabate. Avec un jeu sobre et tout de colère rentrée, la comédienne, plus connue du grand public pour ses talents d’humoriste comme dans la série OCS Holly Weed, interprète avec brio cette interprète misanthrope et solitaire. Contrairement à Abdul, celle-ci ne se fait plus d’illusions depuis longtemps et monnaie chèrement sa capacité à parler six langues — l’actrice a d’ailleurs dû apprendre phonétiquement le kurde, le tamoul et le bambara pour le rôle — pour raconter les histoires les plus à même de faire obtenir l’asile à des immigrés méritant ou non ce statut.
Heureusement, pour contrebalancer ces trois regards pessimistes sur la situation actuelle, l’auteure-réalisatrice Virginie Sauveur et la coscénariste Gaëlle Bellan ont introduit également deux autres personnages plus porteurs d’optimisme. Il y a tout d’abord Assa, une enfant interprétée par la jeune comédienne Hadja Traore (9 ans) que Sira va accueillir chez elle et qui va apporter poésie — très belle scène notamment de conte en ombres chinoises raconté par Sira — et espoir dans le téléfilm. « Ce qui était intéressant, c’est cette petite fille qui rappelle aussi à Sira ce à quoi elle a réussi à échapper, nous a confirmé Virginie Sauveur. Il y a aussi une transmission de la parole et de la force. Quand la petite fille est confrontée à Abdul, celui-ci lui enseigne quelque chose de plus doux, altruiste et positif. Puis un autre personnage va lui dire totalement l’inverse : il ne faut rien laisser passer, rien accepter. Et du coup, cette petite fille prend de tout et ramène la parole d’Abdul à Sira et inversement. C’est une sorte de témoin-humain ». Il y a ensuite le personnage de la jeune avocate incarnée par Alice Belaïdi(Workingirls, Le Bureau des Légendes) qui laisse espérer que l’éloquence sera enfin au service des causes justes.
Un téléfilm fort et singulier sur un sujet contemporain
A l’image du personnage de Jean-Paul Miller, l’ami journaliste d’Abdul joué par Jean-Pierre Lorit (Ceux de 14, Sam), « on a envie d’aider tout le monde mais après concrètement, c’est plus compliqué, nous a glissé l’auteure-réalisatrice Virginie Sauveur. Et le téléfilm raconte ça aussi : concrètement, qu’est-ce qu’on fait nous aussi ? Pas grand chose finalement. Après il y a les lois qui nous empêchent d’aider… »
Coup de cœur de Bulles de Culture, le téléfilm Le temps des égarés offre donc un regard fort, singulier et actuel sur un sujet d’actualité qui nous concerne tous grâce à une réalisation juste et humaine ainsi que grâce à un casting où la comédienne Claudia Tagbo, telle une guerrière, crève l’écran. Et Virginie Sauveur de conclure : « J’aimerais qu’on est un regard plus doux sur les migrants (…) et les accueillir de manière plus digne ».
Source Programme TV de Bulles de Culture
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Ce mercredi était l’ultime jour du tournage du film « Le temps des égarés », une fiction de 90mn produite par Delante Productions avec Arte. Le tournage a débuté le 22 août dernier en région parisienne et les dernières scènes tournées à Provence Studio et sur une friche industrielle de Port-de-Bouc – on y voit des migrants s’échapper d’un container et se sauver dans le paysage industriel – correspondent au début du film, écrit et réalisé par Virginie Sauveur (à qui l’on doit « Virage Nord »).
Le synopsis : Sira (interprétée par Claudia Tagbo) est traductrice pour l’Ofpra, l’organisme chargé de l’attribution du droit d’asile en France. Sans aucun scrupule vis-à-vis des demandeurs, elle leur vend au prix fort des odyssées mensongères mais susceptibles de convaincre les autorités. Un enchaînement de rencontres va avoir raison de son cynisme.
Le film est ancré dans la réalité d’aujourd’hui. On retrouve dans le casting Biyouna, Jean-Pierre Lorit, Hadja Traore avec la participation d’Alice Belaïdi. Amer Alwan est aussi de la partie en tant qu’acteur, lui qui est aussi réalisateur. En vidéo.
https://www.maritima.info/depeches/culture/martigues/49821/encore-un-film-a-provence-studio.html
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Claudia Tagbo : « Et si »le Temps des égarés » permettait aux spectateurs d’ouvrir les yeux sur les migrants ? »
Claudia Tagbo (Séverine Brigeot/Arte France)
Dans « le Temps des égarés », prix de la meilleure fiction unitaire au Festival de Luchon, Claudia Tagbo joue une interprète de l’Ofpra sans scrupules qui abuse de la faiblesse des migrants
Viols, menace islamiste ou d’excision… Sira (Claudia Tagbo), interprète à l’Ofpra (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides), l’organisme chargé de l’attribution du droit d’asile en France, ficelle contre 500 euros l’odyssée inventée de toutes pièces de migrants qui jouent leur sort devant les fonctionnaires chargés de les écouter. Gaëlle Bellan, scénariste du “Temps des égarés” explique :
En enquêtant pendant près de huit ans sur le sujet, c’est leur récit, enjeu de vie ou de mort, qui m’a d’abord fascinée. Mais je me suis aussi rendu compte que la crise migratoire suscitait des métiers clandestins et pas très “réglos” comme celui de Sira. Ils “fonctionnent” un temps jusqu’à ce que l’Ofpra identifie les points de convergence des témoignages. »
Sira, elle-même exilée, misanthrope et pragmatique, « presque robotique « , selon l’actrice, s’est figée dans une colère et un cynisme doucement fissurés par l’irruption d’Assa (Hadja Traore), une gamine menacée d’expulsion. Tout au long de cette fiction chorale, où chacun – ami d’exilé d’abord accueillant puis démissionnaire, membre de l’Ofpra au bord du point de rupture, mais aussi assistantes sociales dévouées – fait ce qu’il peut, Assa trace les abscisses et les ordonnées de l’intrigue. Et noue le lien entre les personnages : Abdul (Amer Alwan), professeur irakien persécuté par Daech, lecteur de « Cyrano de Bergerac » et débarqué en container, qui a de la France une image romantique et subit à son arrivée ce que Virginie Sauveur, la réalisatrice, appelle un « choc thermique », Louise (Alice Belaïdi), avocate talentueuse appelée à découvrir sa vraie voie, et bien évidemment Sira.
Une nature électrique issue du stand-up
Cette Sira impassible au point que Claudia Tagbo devait se détendre les maxillaires entre chaque prise, la comédienne l’a aussitôt adoptée. « Quand j’ai lu le scénario avec Arte marqué dessus, et ça comptait , dit-elle, je me suis écriée “waouh”, avant de songer : “Pourvu que Sira n’existe pas. ” On vient en France parce qu’on a faim dans tous les sensdu terme. On a donné tout ce qu’on avait à des passeurs pour payer le voyage. On a risqué sa vie. Et le premier contact avec le sol français serait quelqu’un d’“officiel” qui monnaye ses services et vous extorque ce qu’il vous reste, vous épuise, vous écrase… Impensable. J’espère que, d’une manière générale, “le Temps des égarés” permettra aux spectateurs d’ouvrir les yeux ou, du moins, de soulever une paupière. Aujourd’hui, les Etats entassent les réfugiés derrière des grillages. Ils tentent d’organiser la misère. C’est d’une violence absolue. Si personne n’a la solution, l’empathie est à la portée de tous. La France, mon cher pays, est une terre d’accueil, peut-être pouvons-nous essayer de nous montrer à la hauteur des valeurs que le monde nous prête. »
Pour incarner Sira, cette nature électrique issue du stand-up et du Jamel Comedy Club à l’abattage considérable (qui ne l’a vue sur scène imiter Beyoncé, le sprinter américain Maurice Greene ou un vendeur de la Fnac tire-au-flanc a raté quelque chose) n’a pas cherché à se documenter :
A quoi bon ? On pourrait réaliser un film avec l’histoire de chaque migrant échoué en bas de chez nous. »
Elle s’est donc contentée du scénario, de la confiance qui la liait à Virginie Sauveur, et d’apprendre phonétiquement le kurde, le tamoul et le bambara (la langue du Mali). « Dans le script , se souvient la réalisatrice, une didascalie précisait : “Sira traverse un couloir avec quelque chose de guerrier et de frontal. ” Claudia m’est apparue comme une évidence totale. »
Les mots sont plus forts que les maux
Née à Abidjan – elle y regarde en boucle à la télé le feuilleton « Sandokan » et la série des « Sissi », qui lui a donné envie de devenir actrice -, Claudia Tagbo suit son père à Chanac, en Lozère, où, « s’il vous arrive de croiser un voisin, vous faites un vœu. Le paternel aimait ce pays et voulait donner une chance à ses enfants. En Côte d’Ivoire, nous n’allions plus à l’école à cause d’une grève longue de six mois. Mais je possédais la langue française, ce cadeau. » A 12 ans, elle découvre le froid, les cols roulés, les collants qui grattent, les épinards et l’existence de fromages plus goûteux que La Vache qui rit. A l’heure où des actrices comme Aïssa Maïga ou Sonia Rolland dénoncent dans un livre, « Noire n’est pas mon métier » (Seuil, 2018), le racisme latent au sein du cinéma français, Claudia Tagbo assure avoir réglé le problème depuis très longtemps. « J’ai subi des préjugés, connu les castings où je n’étais pas prise. On peut y arriver lumineuse en ayant appris son texte sur le bout des doigts, si le directeur de casting est mal luné, il vous dira non sans vous expliquer pourquoi. Mon père ne nous a jamais menti. Lorsque j’objectais : “Je suis noire”, il me rétorquait : “Et alors, tu l’es ou pas ? Il faut y croire, ne pas baisser les bras. ” Et puis, moi, je suis noire et ronde. Inutile de dire que je partais avec deux sacs de sable autour des chevilles dans les starting-blocks », s‘esclaffe-t-elle.
Aujourd’hui, son engagement passe par Léopold Sédar Senghor dont elle cite un poème dans « Lucky », son deuxième one-woman-show -« Cet homme avait oublié qu’il était noir, il était juste humain » -, mais aussi par le souvenir des attentats de Paris qui ont servi de genèse au même spectacle. « Dès le lendemain, je suis allée voir Patrick Timsit puis Elie Semoun sur scène, c’était la première fois qu’on fermait les grilles d’un théâtre derrière moi, mais je me disais : “Bouge, c’est ton lieu d’expression. ” Pour moi, les mots sont plus forts que les maux. »
Les mots, justement, tiennent une grande place dans ce « Temps des égarés » aux allures de conte où la vérité n’est pas forcément gage de passeport pour l’avenir. Où Sira lance des phrases que Claudia Tagbo a eu du mal à prononcer comme : « Dans la vie, il ne faut compter sur personne. » Où on peut avouer un traumatisme passé grâce à des ombres chinoises, avec une poésie qui rappelle celle de Michel Ocelot, le créateur de « Kirikou et la sorcière ». « Le Temps des égarés » n’a pas été simple à tourner. « La ville où nous avions domicilié Sira ne souhaitait pas forcément voir son nom accolé à une fiction sur cette question-là , explique Virginie Sauveur. Nous voulions aussi filmer un camp de migrants, que nous imaginions sous un métro aérien, mais il a fallu changer le décor et opter pour un squat. Nous n’avons, enfin, pas obtenu les autorisations pour faire des plans d’un homme sur un ferry, les ports nous ayant tous signifié leur refus. »
La fin de ce film exempt de sentimentalisme et soucieux de donner une voix à ceux qui n’en ont pas s’en est trouvée modifiée.
Publié dans le Nouvel observateur du 25 mai 23018