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Dimanche 1er janvier 2023 : Fête de Marie, mère de Dieu : lectures et commentaires

Dimanche 1er janvier 2023 :

Fête de sainte Marie, mère de Dieu

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre des nombres, 6, 22-27

22 Le Seigneur parla à Moïse. Il dit :
23 « Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras :
Voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël :
24 “Que le Seigneur te bénisse et te garde !
25 Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage,
qu’il te prenne en grâce !
26 Que le Seigneur tourne vers toi son visage,
qu’il t’apporte la paix !”
27 Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël,
et moi, je les bénirai. »

Voici donc comment les prêtres d’Israël, depuis Aaron et ses fils, bénissaient le peuple au cours des cérémonies liturgiques au Temple de Jérusalem… Formule qui fait partie du patrimoine chrétien désormais : puisque cette phrase du livre des Nombres figure parmi les bénédictions solennelles proposées pour la fin de la Messe. Vous avez remarqué la phrase : « Mon nom sera prononcé sur les enfants d’Israël » ; c’est une façon de parler, puisque, précisément, là-bas, on ne dit jamais le nom de Dieu, pour marquer le respect qu’on lui porte.
On sait à quel point, dans ce monde-là, le nom représente la personne elle-même. Prononcer le nom est un acte juridique marquant une prise de possession, mais aussi un engagement de protection. Quand un guerrier conquiert une ville, par exemple, on dit qu’il prononce son nom sur elle ; et le jour du mariage, le nom du mari est prononcé sur sa femme ; là encore, cela implique appartenance et promesse de vigilance. (A noter que la femme ne porte pas le nom de son mari pour autant).
Quand Dieu révèle son nom à son peuple, il se rend accessible à sa prière. Réciproquement, l’invocation du nom de Dieu constitue normalement un gage de bénédiction. Par voie de conséquence, les atteintes portées au peuple ou au temple de Dieu constituent un blasphème contre son nom, une insulte personnelle. Du coup, nous comprenons mieux la phrase de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Sur toutes les personnes que nous rencontrerons cette année, nous pourrons nous dire que Dieu a posé son nom ! Voilà qui nous incitera à les regarder d’un œil  neuf !

Revenons sur la bénédiction du Livre des Nombres. Je vous propose quatre remarques :

Première remarque : la formule des prêtres est au singulier : « Que le SEIGNEUR te bénisse » et non pas : « Que le SEIGNEUR vous bénisse » ; mais, en réalité, il s’agit bien d’Israël tout entier : c’est un singulier collectif. Et, plus tard, le peuple d’Israël a bien compris que cette protection de Dieu ne lui est pas réservée, qu’elle est offerte à l’humanité tout entière.

Deuxième remarque : « Que le SEIGNEUR te bénisse » (v. 24) est au subjonctif ; curieuse expression quand on y réfléchit : est-ce que le Seigneur pourrait ne pas nous bénir ? « Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage… Que le SEIGNEUR se penche vers toi… » De la même manière : « Ils invoqueront ainsi mon Nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. » (v. 27). On a envie de demander : sinon il ne les bénirait pas ? Lui qui « fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants », c’est-à-dire sur tous les hommes, Lui qui nous dit d’aimer même nos ennemis… ? Bien sûr, nous connaissons la réponse : nous savons bien que Dieu nous bénit sans cesse, que Dieu nous accompagne, qu’il est avec nous en toutes circonstances.
Et pourtant ce subjonctif, comme tous les subjonctifs, exprime un souhait : mais c’est de nous qu’il s’agit : Dieu nous bénit sans cesse, mais nous sommes libres de ne pas accueillir sa bénédiction… comme le soleil brille en permanence même quand nous recherchons l’ombre… nous sommes libres de rechercher l’ombre… de la même manière, nous sommes libres d’échapper à cette action bienfaisante de Dieu… Celui ou celle qui se met à l’abri du soleil, perd toute chance de bronzer… ce ne sera pas la faute du soleil !
Alors, la formule « que Dieu vous bénisse » est le souhait que nous nous mettions sous la bénédiction de Dieu… On pourrait dire : Dieu nous propose sa bénédiction (sous-entendu : libre à nous de nous laisser faire ou pas). Ce subjonctif, justement, est là pour manifester notre liberté.

Troisième remarque, en forme de question : En quoi consiste la « bénédiction » de Dieu ? Que se passe-t-il pour nous ? Bénir est un mot latin : « bene dicere », « dire du bien »… Dieu dit du bien de nous. Ne nous étonnons pas que Dieu « dise du bien » de nous ! Puisqu’il nous aime… Il pense du bien de nous, il dit du bien de nous… Il ne voit en nous que ce qui est bien. Or la Parole de Dieu est acte : « Il dit et cela fut » (Gn 1). Donc quand Dieu dit du bien de nous, sa Parole agit en nous, elle nous transforme, elle nous fait du bien. Quand nous demandons la bénédiction de Dieu, nous nous offrons à son action transformante.

Quatrième remarque : ce n’est pas pour autant un coup de baguette magique ! Etre « béni », c’est être dans la grâce de Dieu, vivre en harmonie avec Dieu, vivre dans l’Alliance. Cela ne nous épargnera pas pour autant les difficultés, les épreuves comme tout le monde ! Mais celui qui vit dans la bénédiction de Dieu, traversera les épreuves en « tenant la main de Dieu ». « Béni tu le seras, plus qu’aucun autre peuple » promettait Moïse au peuple d’Israël (Dt 7, 14). Le peuple d’Israël est béni, cela ne l’a pas empêché de traverser des périodes terribles, mais au sein de ses épreuves le croyant sait que Dieu l’accompagne.
En cette fête de Marie, mère de Dieu, tout ceci prend un sens particulier. Lorsque l’ange Gabriel envoyé à Marie pour lui annoncer la naissance de Jésus l’a saluée, il lui a dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu ; elle est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé, celle qui reste sous cette très douce protection : « Tu es bénie entre toutes les femmes… »
Cinquième remarque : Malheureusement, le texte français ne nous délivre pas toute la richesse de la formule originelle en hébreu ; cela pour deux raisons. Tout d’abord, le nom de Dieu, YHVH transcrit ici par « le SEIGNEUR », est celui que Dieu a révélé lui-même à Moïse. A lui tout seul, il est une promesse de présence protectrice, celle-là même qui a accompagné les fils d’Israël depuis leur sortie d’Egypte.
Ensuite, la traduction des verbes hébreux par un subjonctif en français est un indéniable appauvrissement. Car le système verbal en hébreu est très différent du français : pour être complet, il faudrait traduire « Le SEIGNEUR te bénit et te garde depuis toujours, il te bénit et te garde en ce moment, et il te bénira et te gardera à jamais. » Telle est bien notre foi !

PSAUME – 66 (67)

2 Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
3 et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

5 Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.

6 Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ;
qu’ils te rendent grâce, tous ensemble !
8 Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

On ne pouvait pas trouver de plus belle réponse que ce psaume 66 en écho à la première lecture qui nous offrait la superbe formule de bénédiction rapportée par le livre des Nombres : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde ! Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage, Qu’il te prenne en grâce ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » Notre psaume est bien dans la même tonalité.

Je vous propose cinq remarques :

Première remarque : sur le sens même du mot « bénédiction » pour commencer. On trouve chez le prophète Zacharie cette phrase : « En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un Juif par le pan de son vêtement en déclarant : « Nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : Dieu est avec vous. » (Za 8, 23). Voilà une très belle définition de la « bénédiction » : dire que Dieu nous bénit, c’est dire que Dieu nous accompagne, que Dieu est avec nous. C’était, d’ailleurs, le Nom même de Dieu révélé au Sinaï : YHVH, ce Nom imprononçable1 que l’on traduit par « SEIGNEUR ». On ne sait pas le traduire mais nos frères juifs le comprennent comme une promesse de présence permanente de Dieu auprès de son peuple.

Deuxième remarque : Cette fois, c’est le peuple qui appelle sur lui, qui demande la bénédiction de Dieu : « Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse » ; à propos de la formule des prêtres (la bénédiction du livre des Nombres), j’avais insisté sur le fait que nous sommes assurés en permanence de la bénédiction de Dieu, mais que nous sommes libres de ne pas l’accueillir ; quand le prêtre dit « Que le Seigneur vous bénisse », il n’exprime pas le souhait que Dieu veuille bien nous bénir… comme si Dieu pouvait tout d’un coup cesser de nous bénir ! Le prêtre exprime le souhait que nous ouvrions notre cœur  à cette bénédiction de Dieu qui peut, si nous le désirons, agir en nous et nous transformer. La fin de ce psaume le dit très bien : « Dieu, notre Dieu, nous bénit. Que Dieu nous bénisse … » Ces deux phrases ne sont pas contradictoires : Dieu nous bénit sans cesse, c’est une certitude (c’est la première phrase : « Dieu, notre Dieu, nous bénit ») ; pour nous ouvrir à son action, il suffit que nous le désirions (c’est la deuxième phrase : « Que Dieu nous bénisse »).

Troisième remarque : Cette certitude d’être exaucé avant même de formuler une demande est caractéristique de toute prière en Israël. Le croyant sait qu’il baigne en permanence dans la bénédiction, la présence bienfaisante de Dieu. « Je sais que tu m’exauces toujours » disait Jésus (Jn 11).

Quatrième remarque : Le peuple d’Israël ne demande pas cette bénédiction pour lui seul. Car cette bénédiction prononcée sur Israël rayonnera, rejaillira sur les autres : « Béni (est) celui qui te bénit », avait dit Dieu à Abraham ; et il avait ajouté : « A travers toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12, 3). Dans ce psaume, on retrouve, comme toujours, les deux thèmes entrelacés : d’une part ce qu’on appelle l’élection d’Israël, de l’autre l’universalisme du projet de Dieu ; l’œuvre du salut de l’humanité passe à travers l’élection d’Israël.
L’élection d’Israël est bien présente dans l’expression « Dieu, notre Dieu », qui à elle seule est un rappel de l’Alliance que Dieu a conclue avec le peuple qu’il a choisi. L’universalisme du projet de Dieu est aussi très clairement affirmé : « Ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations », ou encore « Que les nations chantent leur joie ». Et d’ailleurs, vous aurez remarqué le refrain répété deux fois qui appelle le jour où tous les peuples, enfin, accueilleront la bénédiction de Dieu : « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce, tous ensemble ! »
Israël sait qu’il est choisi pour être le peuple témoin : la lumière qui brille sur lui est le reflet de Celui qu’il doit faire connaître au monde. A vrai dire, cette compréhension de l’élection d’Israël comme une vocation n’a pas été immédiate pour les hommes de la Bible. Et c’est bien compréhensible : au tout début de l’histoire biblique, chaque peuple s’imaginait que les divinités régnaient sur des territoires : il y avait les divinités de Babylone et les divinités de l’Egypte et celles de tous les autres pays. C’est seulement au sixième siècle, probablement, que le peuple d’Israël a compris que son Dieu avec lequel avait été conclue l’Alliance du Sinaï, était le Dieu de tout l’univers ; l’élection d’Israël n’était pas abolie pour autant, mais elle prenait un sens nouveau. Le texte de Zacharie, que nous lisions tout à l’heure, est écrit dans cette nouvelle perspective. (« En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un Juif par le pan de son vêtement en déclarant : « Nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : Dieu est avec vous. » (Za 8, 23)
A notre tour, nous sommes un peuple témoin : chaque fois que nous recevons la bénédiction de Dieu, c’est pour devenir dans le monde les reflets de sa lumière. Voilà un magnifique souhait que nous pouvons formuler les uns pour les autres en ce début d’année : être des vecteurs de la lumière de Dieu pour tous ceux qu’elle n’éblouit pas encore.

Cinquième remarque : « La terre a donné son fruit ; Dieu, notre Dieu, nous bénit. » Parce que la Parole de Dieu est acte, elle produit du fruit. Dieu avait promis une terre fertile où couleraient le lait et le miel. Et Dieu a tenu promesse. A plus forte raison, les Chrétiens relisent ce psaume en pensant à la naissance du Sauveur : quand les temps furent accomplis, la terre a porté son fruit.
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Note
Par respect pour le Nom de Dieu (YHVH, ce que l’on appelle le Tétragramme), et en fidélité à la récente directive romaine, chaque fois que je le rencontre dans un texte de l’Ancien Testament, je le transcris systématiquement en français par le mot « SEIGNEUR » en majuscules.

DEUXIEME LECTURE – Lettre de saint Paul apôtre aux Galates, 4, 4-7

Frères,
4 lorsqu’est venue la plénitude des temps,
Dieu a envoyé son Fils,
né d’une femme
et soumis à la loi de Moïse,
5 afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi
et pour que nous soyons adoptés comme fils.
6 Et voici la preuve que vous êtes des fils :
Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs,
et cet Esprit crie
« Abba ! », c’est-à-dire : Père !
7 Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils,
et puisque tu es fils, tu es aussi héritier :
c’est l’œuvre de Dieu.

Je prends le texte tout simplement en suivant
« Lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils » : nous retrouvons ici un thème très cher à Paul : le thème de l’accomplissement du projet de Dieu. Pour les croyants juifs, puis chrétiens, c’est un élément très important de notre foi : l’histoire n’est pas un perpétuel recommencement, elle est une marche progressive de l’humanité vers son accomplissement, vers la réalisation du « dessein bienveillant de Dieu ». C’est un thème très important dans les lettres de Saint Paul ; et il est, je crois, une bonne clé de lecture pour aborder les lettres de Paul, mais pas lui seulement : en fait, c’est une clé de lecture pour toute la Bible, dès l’Ancien Testament.
Je m’arrête un peu sur ce point : les auteurs du Nouveau Testament prennent bien soin de préciser à plusieurs reprises que la vie, la passion, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth accomplissent les Ecritures. Paul, par exemple, affirme à ses juges : « Moïse et les prophètes ont prédit ce qui devait arriver et je ne dis rien de plus. » (Ac 26, 22). Et Matthieu en particulier aime dire « Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète… ». Une question nous vient immédiatement à l’esprit : tout était-il donc écrit d’avance ? En fait, c’est sur le mot « pour » qu’il faut bien s’entendre car il peut avoir deux sens : ou bien un sens de finalité, ou bien seulement un sens de conséquence. Si l’on optait pour le sens de finalité, alors, les événements se seraient produits selon un plan bien défini, prédéterminé. Si on opte pour le sens de conséquence (et c’est, je crois, ce qu’il faut faire), les événements se sont produits de telle ou telle manière et, après coup, nous comprenons comment, à travers ces événements, Dieu a accompli son projet.
Celui-ci n’est donc pas un programme, comme si le rôle de tout un chacun était déjà déterminé par avance. Dieu prend le risque de notre liberté ; et, au long des siècles, les hommes ont bien souvent contrecarré le beau projet. Alors on a pu entendre les prophètes se lamenter ; mais ils n’ont jamais perdu l’espérance ; bien au contraire, ils ont promis à maintes reprises que Dieu ne se lassait pas. Isaïe, par exemple, annonçait de la part de Dieu : « Je dis : Mon dessein subsistera et tout ce qui me plaît, je l’exécuterai. » (Is 46, 10). Et Jérémie n’était pas en reste : « Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet – oracle du SEIGNEUR -, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29, 11). Ce que les auteurs du Nouveau Testament contemplent inlassablement, c’est l’accomplissement par Jésus des promesses de Dieu.
« Dieu a envoyé son Fils : né d’une femme, et soumis à la Loi de Moïse » : en quelques mots Paul nous dit tout le mystère de la personne de Jésus : Fils de Dieu, homme comme tous les autres, Juif comme tous les Juifs. L’expression « né d’une femme », pour commencer, est courante dans la Bible ; elle veut dire tout simplement « un homme comme les autres » ; il arrive par exemple que, pour ne pas répéter dans une même phrase le mot « hommes », on le remplace par « ceux qui naissent des femmes » (Si 10, 18 ; Jb 15, 14 ; Jb 25, 4). Jésus lui-même l’a employée en parlant de Jean-Baptiste : « En vérité, je vous le déclare : parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste. » (Mt 11, 11 ; Lc 7, 28).1 Quant à l’expression « soumis à la Loi de Moïse », elle signifie qu’il a accepté la condition des hommes de son peuple.
Paul continue « Afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et faire de nous des fils ». Nous avons déjà rencontré de nombreuses fois le mot « racheter » : nous savons qu’il signifie « libérer », « affranchir ». Dans l’Ancien Testament, le « racheteur » était précisément celui qui affranchissait l’esclave. Ce n’est donc pas la même chose d’être sous la domination de la Loi et d’être fils… Il y a un passage à faire : le sujet de la Loi, c’est celui qui se soumet à des ordres ; il se conduit en esclave. Le fils, c’est celui qui vit dans l’amour et la confiance : il peut « obéir » à son père ; c’est-à-dire mettre son oreille sous la parole du père parce qu’il fait confiance à son père, il sait que la parole du père n’est dictée que par l’amour. Ce qui veut dire que nous passons de la domination de la Loi à l’obéissance des fils.
Ce passage à une attitude filiale, confiante, nous pouvons le faire parce que « L’Esprit du Fils est dans nos cœurs , et il crie vers le Père en l’appelant Abba ! » ce qui veut dire « Père ». Le seul cri qui nous sauve, en toutes circonstances, c’est ce mot « Abba », Père, qui est le cri du petit enfant. Etre sûr, quoi qu’il arrive, que Dieu est un Père pour nous, qu’il n’est que bienveillant à notre égard, c’est l’attitude filiale que le Christ est venu vivre parmi nous, en notre nom. Paul continue : « Tu n’es plus esclave, mais fils, et comme fils, tu es héritier ». Il faut prendre le mot au sens fort ; « héritier », cela veut dire que ce qui est à Lui nous est promis ; seulement, il faut oser le croire… et c’est là notre problème.
Quand Jésus nous traite « d’hommes de peu de foi », peut-être est-ce cela qu’il veut dire : nous n’osons pas croire que l’Esprit de Dieu est en nous, nous n’osons pas croire que sa force est en nous, nous n’osons pas croire que tout ce qui est à lui est à nous ; c’est-à-dire que sa capacité d’amour est en nous.
Sans oublier que nous n’y avons aucun mérite ! Si nous sommes héritiers, c’est par la grâce de Dieu : alors nous commençons à comprendre pourquoi on peut dire que « tout est grâce ».
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Note
Paul pensait peut-être à ce que le livre de la Sagesse fait dire à Salomon : « Je suis, moi aussi, un homme mortel, égal à tous, descendant du premier qui fut modelé de terre. Dans le ventre d’une mère, j’ai été sculpté en chair. » (Sg 6-7, 1).

EVANGILE – selon Saint Luc, 2, 16-21

En ce temps-là,
16 les bergers se hâtèrent d’aller à Bethléem,
et ils découvrirent Marie et Joseph,
avec le nouveau-né
couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu,
ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé
au sujet de cet enfant.
18 Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient
de ce que leur racontaient les bergers.
19 Marie, cependant, retenait tous ces événements
et les méditait dans son cœur.
20 Les bergers repartirent ;
ils glorifiaient et louaient Dieu
pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu,
selon ce qui leur avait été annoncé.
21 Quand fut arrivé le huitième jour,
celui de la circoncision,
l’enfant reçut le nom de Jésus,
le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.

Ce récit apparemment anecdotique est en réalité profondément « théologique ». Ce qui veut dire que tous les détails comptent. Je vous propose de les relire un à un dans l’ordre du texte.
Les bergers, tout d’abord : c’étaient des gens peu recommandables, des marginaux, car leur métier les empêchait de fréquenter les synagogues et de respecter le sabbat. Or ce sont eux qui sont les premiers prévenus de l’événement qui vient de bouleverser l’histoire de l’humanité ! Et ils deviennent de ce fait les premiers apôtres, les premiers témoins : ils racontent, on les écoute, ils étonnent ! Ils racontent cette annonce étrange dont ils ont bénéficié en pleine nuit ; voici le récit de Luc pour cette fameuse nuit : « Dans les environs se trouvaient des bergers qui passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’Ange du Seigneur s’approcha, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte, mais l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmaillotté et couché dans une mangeoire. Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime. » (sous-entendu parce que Dieu les aime). Ils racontent tout cela, avec leurs mots à eux ; et on ne peut s’empêcher de penser à une fameuse phrase de Jésus, une trentaine d’années plus tard : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Lc 10, 21-22 ; Mt 11, 25). Cela a commencé dès le début de sa vie.
Tout ceci se passe dans le petit village de Bethléem : tout le monde le savait à l’époque, c’est la ville qui devait voir naître le Messie, dans la descendance de David. Bethléem, c’est aussi la ville dont le nom signifie littéralement « la maison du pain » et le nouveau-né est couché dans une mangeoire : belle image pour celui qui vient se donner en nourriture pour l’humanité.
« Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur. » A l’inverse des bergers que l’événement rend bavards, Marie contemple et médite dans son cœur ; Luc veut-il faire ici un rapprochement avec la vision du fils de l’homme chez le prophète Daniel ? Après cette vision, Daniel avoue : « Mes réflexions me tourmentèrent… et je gardai la chose dans mon cœur . » (Dn 7, 28). Ce serait pour Luc une manière de profiler déjà devant nous le destin grandiose de ce nourrisson. On sait, premièrement, que le livre de Daniel était bien connu au temps de Jésus, et, deuxièmement, qu’il annonçait un Messie-Roi triomphant de tous les ennemis d’Israël.
Le nom de l’enfant, déjà, révèle son mystère : « Jésus » signifie « Dieu sauve » et si (à l’inverse de Matthieu) Luc ne précise pas cette étymologie, il a, quelques versets plus haut, rapporté la phrase de l’ange « Il vous est né un Sauveur » (Lc 2, 11).
En même temps, il vit à fond la solidarité avec son peuple : comme tout enfant juif, il est circoncis le huitième jour ; « il a été sous la domination de la Loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi », dit Paul dans la lettre aux Galates (Ga 4, 4 : notre deuxième lecture). Les trois autres évangiles ne parlent pas de la circoncision de Jésus, tellement la chose allait de soi. « Ce sera le signe de l’Alliance entre moi et vous… Mon Alliance deviendra dans votre chair une alliance perpétuelle », avait dit Dieu à Abraham (Gn 17). Et le Livre du Lévitique en avait tiré une loi selon laquelle tout garçon devait être circoncis le huitième jour. Joseph et Marie n’ont fait que s’y conformer : pour tout Juif de l’époque, obéir à la Loi de Moïse était le meilleur moyen, pensait-on, de faire la volonté de Dieu. Le plus surprenant pour nous n’est donc pas le fait même de la circoncision de Jésus, mais l’insistance de cet évangéliste : visiblement, Saint Luc a souhaité marquer la volonté du jeune couple de se conformer en tous points à la Loi de Moïse.
Il y revient quelques lignes plus tard, pour raconter la présentation de l’enfant au Temple : « Quand arriva le jour fixé par la Loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi… Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la Loi du Seigneur. » (Lc 2, 22-24). Plus que la bonne volonté d’un couple fervent, sans doute Luc veut-il nous faire entrevoir l’entière solidarité de Jésus avec son peuple ; le dernier soir, Jésus lui-même l’a revendiquée : « Il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Ecriture : Il a été compté avec les pécheurs » (Lc 22, 37).
Enfin, dernière remarque, on ne peut s’empêcher de remarquer (et cela est valable pour les quatre lectures de cette fête) la discrétion du personnage de Marie, alors même que cette liturgie lui est dédiée sous le vocable de « Marie, Mère de Dieu ». (Luc dit seulement : « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur . » A l’inverse des bergers que l’événement rend bavards, Marie contemple et médite dans son coeur ; ) peut-être ce silence même de Marie est-il un message pour nous : la gloire de Marie, c’est justement d’avoir tout simplement accepté d’être la mère de Dieu, d’avoir su se mettre tout entière, humblement, au service de l’accomplissement du projet de salut de Dieu ; elle n’est pas le centre du projet ; le centre du projet, c’est Jésus, celui dont le nom signifie « Dieu sauve ».

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Dimanche 3 juillet 2022 : 14ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 3 juillet 2022 :

14ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Isaïe 66, 10-14

10 Réjouissez-vous avec Jérusalem !
Exultez en elle, vous tous qui l’aimez !
Avec elle, soyez pleins d’allégresse,
vous tous qui la pleuriez !
11 Alors, vous serez nourris de son lait,
rassasiés de ses consolations ;
alors, vous goûterez avec délices
à l’abondance de sa gloire.
12 Car le SEIGNEUR le déclare :
« Voici que je dirige vers elle
la paix comme un fleuve
et, comme un torrent qui déborde,
la gloire des nations. »
Vous serez nourris, portés sur la hanche ;
vous serez choyés sur ses genoux.
13 Comme un enfant que sa mère console,
ainsi, je vous consolerai.
Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés.
14 Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ;
et vos os revivront comme l’herbe reverdit.
Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs.

AU CREUX DE LA VAGUE, CONTINUER D’ESPERER
Quand un prophète parle autant de consolation, on peut se poser des questions ! Vous avez entendu : « Comme un enfant que sa mère console, ainsi je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem vous serez consolés » et un peu plus haut « vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ».
Cela veut dire pour le moins que tout allait mal et qu’on avait grand besoin d’être consolés ! Nous avons vu souvent que le prophète est celui qui, dans les moments de détresse, sait réveiller l’espoir. Car un prophète, c’est quelqu’un qui se refuse à écouter les voix découragées qui s’élèvent pour dire que Dieu lui-même ne peut rien contre la mauvaise volonté, l’instinct de puissance, les rivalités, les guerres…
Effectivement, ce texte que nous lisons ici a été écrit dans un moment difficile : l’auteur (que nous appelons le Troisième Isaïe), est un des lointains disciples du grand Isaïe, (ses paroles ont été annexées plus tard au livre du grand prophète Isaïe). Il prêche juste au retour de l’Exil à Babylone, vers 535 av. J.C. Les exilés sont revenus au pays, mais ce retour tant espéré s’est révélé décevant à tous les égards : Jérusalem, pour commencer, la ville bien-aimée, porte encore les cicatrices de la catastrophe de 587 (sa destruction par les armées de Nabuchodonosor). Le Temple est en ruines, une partie de la ville également. Pour le reste, ceux qui revenaient n’ont pas reçu l’accueil triomphal qu’ils avaient imaginé de loin : comme toujours dans ces circonstances, ceux qui sont partis ont bien souvent été oubliés, remplacés… surtout pour une captivité de cinquante ans !
Voilà pourquoi, bien que les exilés soient de retour à Jérusalem, le prophète parle de deuil et de consolation.  Mais, face au découragement qui s’installe, le prophète ne se contente pas de paroles de réconfort, il ose un discours presque triomphal : « Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! » On peut se demander d’où lui vient son bel optimisme ? C’est bien simple, sa foi, ou plutôt l’expérience d’Israël ! Le seul argument du peuple d’Israël, pour continuer à espérer, c’est toujours le même à toutes les époques de son histoire, c’est la présence de Dieu, la puissance de Dieu. C’est quand tout paraît perdu qu’il faut à tout prix se souvenir que rien n’est impossible à Dieu ; comme l’Ange du Seigneur l’avait dit à Abraham et Sara : « Y a-t-il une merveille que le SEIGNEUR ne puisse accomplir ? » (Gn 18,14) ; comme le Seigneur lui-même l’avait dit à Moïse, un jour de découragement, pendant l’Exode : « La main du SEIGNEUR serait-elle trop courte ? » (Nb 11,23) ; c’est une image que nous connaissons : nous entendons parfois dire qu’une personne a « le bras long » ! On retrouve à plusieurs reprises la même image dans le livre d’Isaïe ; par exemple, pendant l’Exil quand on perdait espoir d’être libérés un jour, le deuxième Isaïe l’avait employée : « Ma main serait-elle trop courte pour racheter ? »  (Is 50,2).
Plus tard, après le retour, en période de découragement, le troisième Isaïe, celui que nous lisons aujourd’hui, reprend deux fois le même discours. Au chapitre 59, il a affirmé : « Non, le bras du SEIGNEUR n’est pas trop court pour sauver, ni son oreille, trop dure pour entendre. » (Is 59,1). Et dans le dernier verset de notre texte d’aujourd’hui, nous avons lu : « Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs » ; c’est la traduction liturgique ; mais le texte hébreu dit : « Le SEIGNEUR fera connaître sa main à ses serviteurs. »
C’est donc un appel à l’espérance, celui-là même dont ce peuple a besoin dans cette période de découragement. Dieu a libéré son peuple à maintes reprises dans le passé, il ne l’abandonnera pas. A lui seul, le mot « main » est une allusion à la sortie d’Egypte, car on aime dire que, à ce moment-là, Dieu est intervenu « à main forte et à bras étendu ».
L’expression « Vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations » est, elle aussi, un rappel de l’Exode : au cours de sa marche au désert, le peuple avait connu la faim et la soif et cela avait été pour lui une terrible épreuve pour sa foi. Et Dieu lui a toujours procuré le nécessaire. Désormais, ce sera la surabondance : « Vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire ».
AIDE-TOI, LE CIEL T’AIDERA
Ce rappel de l’Exode comporte deux leçons : d’une part, Dieu nous veut libres et soutient tous nos efforts pour instaurer la justice et la liberté ; mais d’autre part, il y faut nos efforts. Le peuple est sorti d’Egypte grâce à l’intervention de Dieu, on ne l’oublie jamais, mais il a fallu marcher, et parfois péniblement, vers la terre promise. Quand Isaïe promet de la part de Dieu : « Je dirige vers Jérusalem la paix comme un fleuve », cela ne veut pas dire que la paix s’instaurera magiquement un beau jour ! Il y faudra une vraie volonté et un effort soutenu des hommes, on ne le sait que trop. Mais cet effort et cette volonté ne pourront se maintenir et aboutir que si nous nous raccrochons résolument à la conviction que « rien n’est impossible à Dieu ».
Dans sa deuxième lettre, saint Pierre dit exactement la même chose : à des Chrétiens qui trouvent que le royaume de Dieu se fait attendre, il répond :
« Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour… Ce que nous attendons selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. » (2 Pi 3,8.13). Et il ajoute : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, mais il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion ». (2 Pi 3,9). Saint Pierre rappelle bien ici les deux leçons de l’Exode dont je parlais il y a un instant : premièrement, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, c’est-à-dire, accrochez-vous à la conviction de sa présence permanente et agissante à vos côtés, mais, deuxièmement, vos efforts sont indispensables, la paix, la justice, le bonheur ne s’instaureront pas un beau jour par un coup de baguette magique : « Il prend patience envers vous ». Moralité, à nous de jouer, il y a urgence !
—————–
Compléments
– « Comme un enfant que sa mère console, ainsi je vous consolerai. » (verset 13) : n’en déduisons pas que Dieu serait féminin ! Vouloir dire que Dieu est masculin ou féminin, c’est certainement un abus de langage, c’est concevoir un Dieu à notre image. Or Dieu n’est pas à notre image, c’est nous qui sommes à son image et ressemblance. Mais la tendresse du Dieu créateur est souvent comparée au frémissement des entrailles maternelles : c’est la plus belle image que l’humanité ait trouvée dans son expérience pour parler de l’amour de Dieu pour ses enfants.

PSAUME – 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20

1 Acclamez Dieu, toute la terre ;
2 fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
3 Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4 Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
5 Venez et voyez les hauts-faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6 Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
7 Il règne à jamais par sa puissance.

16 Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ;
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
20 Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

IL CHANGEA LA MER EN TERRE FERME
Comme bien souvent, le dernier verset donne le sens du psaume tout entier : « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. » Il suffit de regarder le vocabulaire employé pour voir que ce psaume est un chant d’action de grâce : « Acclamez, fêtez, glorifiez Dieu… se prosterner, chanter, venez, écoutez… je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme. »  Très certainement, il a été composé pour accompagner des sacrifices d’action de grâce au Temple de Jérusalem. Et celui qui parle ici n’est pas un individu, c’est le peuple tout entier qui rend grâce à son Dieu.
Ce qui est au centre de l’action de grâce d’Israël, et ce n’est pas pour nous surprendre, c’est comme toujours la libération d’Egypte ; les allusions sont particulièrement claires : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ». Ou encore « Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. » L’expression « Les hauts faits de Dieu », dans la Bible, désigne toujours la libération d’Egypte. On est frappés d’ailleurs des correspondances entre ce psaume et le cantique de Moïse après le passage de la Mer Rouge (je vous en cite quelques lignes) :
« Je chanterai pour le SEIGNEUR ! Eclatante est sa gloire :  il a jeté dans la mer cheval et cavalier ! Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR : il est pour moi le salut. Il est mon Dieu, je le célèbre ; j’exalte le Dieu de mon père… Qui est comme toi parmi les dieux, SEIGNEUR ? Qui est comme toi, magnifique en sainteté, terrible en ses exploits, auteur de prodiges ? » (Ex 15,1-2.11).
Depuis cette délivrance première, toute l’histoire d’Israël est éclairée par cet événement fondamental : Dieu veut des hommes libres et son oeuvre au milieu de son peuple n’a pas d’autre but. Et donc, quand tout va mal, on est sûrs que Dieu interviendra pour nous libérer ! C’est bien le sens du chapitre 66 d’Isaïe que nous lisons ce dimanche en première lecture : à une époque très noire de l’histoire de Jérusalem, Isaïe disait : Dieu vous consolera ! Le prophète écrivait donc au sixième siècle av. J.C. après le retour de l’Exil à Babylone ; peut-être notre psaume d’aujourd’hui a-t-il été composé à la même époque, une fois le Temple restauré ? En tout cas, le cadre est le même : notre psaume, par hypothèse, est écrit pour être chanté au Temple de Jérusalem et les fidèles qui affluent pour le pèlerinage préfigurent l’humanité tout entière qui montera à Jérusalem à la fin des temps. Le texte d’Isaïe annonce justement la Jérusalem nouvelle où afflueront toutes les nations : « Je dirige vers Jérusalem la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » disait Isaïe ; le psaume répond : « Acclamez Dieu toute la terre »… et encore « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. » Ce sera jour de joie et d’allégresse, nous dit Isaïe.
L’AMOUR DE DIEU AURA LE DERNIER MOT
La joie promise est bien le thème majeur de ces deux textes : quand les temps sont durs, il est vital de se rappeler que Dieu ne veut rien d’autre que la joie de l’homme et qu’un jour la joie envahira toute la terre, toute l’humanité ! Une joie débordante, exultante et pourtant bien concrète, réaliste, enracinée dans nos besoins les plus élémentaires : être nourris, rassasiés, consolés, bercés… Isaïe disait : « Vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations… Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux… » ; le psaume 65/66 répond en écho : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme (c’est-à-dire pour moi). Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. »
Dernière remarque : ces deux textes, celui du prophète et celui du psalmiste, baignent bien dans la même atmosphère, mais ils ne sont pas sur le même registre : le prophète exprime la Révélation de Dieu, alors que le psaume est la prière de l’homme.
Quand c’est Dieu qui parle, (par la bouche du prophète) il ne s’occupe que de la gloire et du bonheur de Jérusalem ; c’est Dieu qui agit, bien sûr, le prophète le dit clairement : « je vous consolerai », mais Dieu ne se préoccupe que de la joie de son peuple (représenté par la Ville Sainte). « Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! »
Réciproquement, quand c’est le peuple qui parle, (par la bouche du psalmiste), il ne s’y trompe pas et rend à Dieu la gloire qui lui revient à lui seul : « Acclamez Dieu, toute la terre, fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! Toute la terre se prosterne pour toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. » Notons au passage que le mot « redoutables » fait partie du vocabulaire royal ; c’est le règne de Dieu qui est dit là. Un règne qui est celui de l’amour : le psaume se termine précisément par ce mot-là et c’est Israël tout entier encore qui parle ici : « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. »
Belle manière de dire que c’est l’amour qui aura le dernier mot !

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul apôtre aux Galates 6, 14-18

Frères,
14 pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ
reste ma seule fierté.
Par elle, le monde est crucifié pour moi,
et moi pour le monde.
15 Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
c’est d’être une création nouvelle.
16 Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie
et pour l’Israël de Dieu,
paix et miséricorde.
17 Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter,
car je porte dans mon corps
les marques des souffrances de Jésus.
18 Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ
soit avec votre esprit. Amen.

LE JOUR OU L’HISTOIRE DU MONDE A BASCULE
Je reprends la première phrase : « Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. » Cette insistance sur le mot « seul » laisse deviner qu’il y a un problème. Effectivement, Paul avait commencé sa lettre aux Galates par un reproche sévère : « Je m’étonne que vous abandonniez si vite celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, et que vous passiez à un Evangile différent. » Et il expliquait : « Il y a des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent changer l’Evangile du Christ ». Ceux qui jetaient le trouble parmi les Chrétiens de Galatie, c’étaient des Juifs devenus chrétiens (on les appelle judéo-chrétiens) qui voulaient obliger tous les membres de leurs communautés à pratiquer toutes les règles de la religion juive, y compris la circoncision.
Paul écrit alors à ces communautés pour les mettre en garde ; (aux yeux de Paul) ce qui se cache derrière cette discussion pour ou contre la circoncision, c’est une véritable hérésie : c’est la foi au Christ, et elle seule qui nous sauve, la foi au Christ concrétisée par le Baptême ; imposer la circoncision reviendrait à le nier, à laisser entendre que la croix du Christ ne suffit pas. Ce sont des « faux frères » dit Paul, ces gens qui peuvent soutenir des thèses pareilles.
Il rappelle aux Galates que leur seule fierté est la croix du Christ. Mais, pour comprendre Paul, il faut bien préciser que, pour lui, la croix n’est pas un objet, pas même un objet de vénération… c’est un événement. Quand Paul parle de la croix du Christ, il ne se livre pas à une contemplation de ses douleurs, au rappel de ses souffrances ; pour lui, la croix du Christ est un événement historique, c’est même l’événement central de l’histoire du monde, l’événement qui a opéré une fois pour toutes la réconciliation entre Dieu et l’humanité d’une part, la réconciliation entre les hommes, d’autre part.
Quand Paul dit « Par la croix du Christ, le monde est crucifié pour moi », je crois que la formule « par la croix » signifie « depuis l’événement de la croix » et « le monde est à jamais crucifié » signifie « le monde est définitivement transformé ». C’est un événement décisif : plus rien ne sera jamais comme avant. Comme le dit la lettre aux Colossiens : « Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. » (Col 1,19-20).
La preuve que la croix est l’événement décisif de l’histoire du monde, c’est que la mort est vaincue pour la première fois : Christ est ressuscité. Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu » (1 Co 15,14). Pour Paul, la croix et la Résurrection sont indissociables : il s’agit d’un seul et même événement.
Par la croix est née la « création nouvelle » par opposition au « monde ancien ». Au début de cette même lettre aux Galates, il dit : « A vous, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ, qui s’est donné pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde mauvais… » (Ga 1,3-4). Et cette expression « A vous, la grâce et la paix » ce n’est pas une formule toute faite ! Réellement grâce et paix sont acquises désormais aux Chrétiens, c’est cela que Paul veut dire.
Tout au long de cette lettre, il a opposé le régime ancien qui était le régime de la loi et le régime nouveau qui est celui de la foi ; la vie selon la chair et la vie selon l’esprit ; l’esclavage ancien et notre liberté acquise par Jésus-Christ ; désormais, par la foi, par notre adhésion à Jésus-Christ, nous sommes des hommes libres de vivre selon l’Esprit.
FAIRE LE SIGNE DE LA CROIX, C’EST S’ENGAGER
Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il dit quelque chose d’analogue : « Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17). Le monde ancien, c’est le monde en guerre, l’humanité en révolte contre Dieu, le monde qui soupçonne Dieu de ne pas être amour et bienveillance ; du coup il désobéit aux commandements de Dieu et ce sont les rivalités entre les hommes, les guerres, les luttes pour le pouvoir ou pour l’argent. La création nouvelle, au contraire, c’est l’obéissance du Fils, sa confiance jusqu’au bout, son pardon pour ses bourreaux, sa joue tendue à ceux qui lui arrachent la barbe, comme dit Isaïe. La Passion du Christ a été un paroxysme de haine et d’injustice commis au nom de Dieu ; le Christ en a fait un paroxysme de non-violence, de douceur, de pardon. Et nous, à notre tour, parce que nous sommes greffés sur le Fils, nous sommes rendus capables de la même obéissance, du même amour : capables d’abandonner le mode de vie selon le monde, pour choisir le mode de vie selon le Christ. Ce retournement extraordinaire qui est l’œuvre  de l’Esprit de Dieu inspire à Paul une formule particulièrement frappante : « Par la croix, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. » Traduisez « la manière de vivre selon le monde est abolie, désormais, nous vivons selon l’Esprit ». Une telle transformation est bien un sujet de fierté pour les Chrétiens : réellement, comme dit Paul « la croix de notre Seigneur Jésus Christ est notre seule fierté ». C’est bien la raison d’être des crucifix qui ornent les murs de nos maisons ou de nos églises.
Pour cette annonce de la croix du Christ, Paul a déjà payé de sa personne. Quand il dit que désormais nous sommes dans la grâce et la paix, cela ne veut pas dire que tout ira forcément tout seul ! Logiquement, si nous annonçons vraiment l’Evangile, nous devrions rencontrer des oppositions semblables à celles que le Christ a rencontrées et que Paul rencontre à son tour. Quand il dit « je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus », il fait certainement allusion aux persécutions qu’il a lui-même subies pour avoir annoncé l’Evangile. Chaque fois que nous faisons le signe de la croix, nous manifestons que nous sommes dans cette création nouvelle où toute parole est dite, où tout geste est accompli au nom du Père et du Fils et de l’Esprit ; et en même temps nous nous engageons à témoigner de la transformation que l’Esprit d’amour est seul capable d’opérer.
———————-
Complément
– On peut se demander si notre proclamation de l’Evangile est vraiment conforme, si elle n’est pas un peu édulcorée, un peu trop conforme à l’esprit du monde, quand elle ne rencontre plus aucune opposition ?

EVANGILE – selon Saint Luc 10, 1… 20

En ce temps-là,
parmi les disciples,
1 le Seigneur en désigna encore soixante-douze,
et il les envoya deux par deux, en avant de lui,
en toute ville et localité
où lui-même allait se rendre.
2 Il leur dit :
« La moisson est abondante,
mais les ouvriers sont peu nombreux.
Priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
3 Allez ! Voici que je vous envoie
comme des agneaux au milieu des loups.
4 Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales,
et ne saluez personne en chemin.
5 Mais dans toute maison où vous entrerez,
dites d’abord :
‘Paix à cette maison.’
6 S’il y a là un ami de la paix,
votre paix ira reposer sur lui ;
sinon, elle reviendra sur vous.
7 Restez dans cette maison,
mangeant et buvant ce que l’on vous sert ;
car l’ouvrier mérite son salaire.
Ne passez pas de maison en maison.
8 Dans toute ville où vous entrerez
et où vous serez accueillis,
mangez ce qui vous est présenté.
9 Guérissez les malades qui s’y trouvent
et dites-leur :
‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ »
10 Mais dans toute ville où vous entrerez
et où vous ne serez pas accueillis,
allez sur les places et dites :
11 ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds,
nous l’enlevons pour vous la laisser.
Toutefois, sachez-le :
le règne de Dieu s’est approché.’
12 Je vous le déclare :
au dernier jour,
Sodome sera mieux traitée que cette ville. »

17 Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux,
en disant :
« Seigneur, même les démons
nous sont soumis en ton nom. »
18 Jésus leur dit :
« Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
19 Voici que je vous ai donné le pouvoir
d’écraser serpents et scorpions,
et sur toute la puissance de l’Ennemi :
absolument rien ne pourra vous nuire.
20 Toutefois, ne vous réjouissez pas
parce que les esprits vous sont soumis ;
mais réjouissez-vous
parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

COMME DES AGNEAUX AU MILIEU DES LOUPS
Cet évangile suit immédiatement celui de dimanche dernier : nous avions vu Jésus aux prises avec les arrachements que sa mission a exigés de lui : accepter l’insécurité, sans avoir rien pour reposer la tête, laisser les morts enterrer leurs morts, c’est-à-dire savoir faire des choix crucifiants, mettre la main à la charrue sans regarder en arrière, accepter d’affronter la mort en prenant résolument le chemin de Jérusalem. On devine les tentations qui se profilent à chaque fois derrière les décisions qu’il a dû prendre. Luc nous le montre sur la route de Jérusalem : Jésus a surmonté pour son propre compte toutes les tentations ; le prince de ce monde est déjà vaincu.
Il lui reste à transmettre le flambeau : il envoie ses disciples en mission à leur tour. Il est urgent de les préparer puisque son départ à lui approche. Et il leur donne tous les conseils nécessaires pour les préparer à affronter les tentations qu’il connaît bien : eux aussi seront affrontés aux mêmes tentations.
Eux aussi connaîtront le refus : comme Jésus avait essuyé le refus d’un village de Samarie, ils doivent se préparer à essuyer des refus ; mais que cela ne les arrête pas. Quand ils devront quitter un village, qu’ils disent quand même en partant le message pour lequel ils étaient venus : « Sachez-le : le règne de Dieu s’est approché. » Mais pour bien montrer que leur démarche était totalement désintéressée, et que les bénéficiaires du message restent toujours libres de le refuser, ils ajouteront : « Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. »
Eux aussi connaîtront la haine : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Ils devront quand même inlassablement annoncer et apporter la paix : « Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord Paix à cette maison. S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui. » Il faut à tout prix croire à la contagion de la paix : quand nous souhaitons vraiment de tout cœur  la paix à quelqu’un, réellement la paix grandit. On le sait d’expérience. Encore faut-il que notre interlocuteur soit lui aussi ami de la paix ; s’il ne l’est pas, Jésus leur dit « Secouez la poussière de vos pieds », c’est-à-dire ne vous laissez pas alourdir par les échecs, les refus… Que rien ne vous fasse « traîner les pieds », en quelque sorte !
Eux aussi connaîtront l’insécurité : Jésus, lui-même, n’avait « pas d’endroit où reposer la tête » ; si l’on comprend bien, il en sera de même de ses disciples : « N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales. » Eux aussi devront apprendre à vivre au jour le jour sans se soucier du lendemain, se contentant de « manger et boire ce qu’on leur servira », tout comme le peuple au désert ne pouvait ramasser la manne que pour le jour même.
L’URGENCE DE LA MISSION
Eux aussi auront des choix à faire, parfois crucifiants, à cause de l’urgence de la mission : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu » (Lc 9,60) était une phrase exigeante pour dire que les devoirs les plus sacrés à nos yeux s’effacent devant l’urgence du Royaume de Dieu. « Ne saluez personne en chemin » est une phrase du même ordre : pour ses disciples qui étaient des orientaux, les longues salutations étaient un véritable devoir.
Eux aussi devront résister à la tentation du succès : « Ne passez pas de maison en maison. » Eux aussi devront apprendre à souhaiter transmettre le flambeau à leur tour : la mission est trop grave, trop précieuse, pour qu’on l’accapare : elle ne nous appartient pas ; car l’une des tentations les plus subtiles est sans doute de ne pas souhaiter vraiment d’autres ouvriers à nos côtés. « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » : il ne s’agit pas d’instruire Dieu de quelque chose qu’il ne saurait pas, à savoir que nous avons besoin d’aide. Il le sait mieux que nous ! Il s’agit pour nous, en priant, de nous laisser éclairer par Lui. La prière ne vise jamais à informer Dieu : ce serait bien prétentieux de notre part ! Elle nous prépare à nous laisser transformer, nous.
Dernière tentation : la gloriole de nos réussites. « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux » : il faut croire que, de tout temps, le vedettariat guette les disciples : les véritables apôtres ne sont peut-être pas forcément les plus célèbres.
On peut penser que les soixante-douze disciples ont surmonté toutes ces tentations puisque, à leur retour, Jésus pourra leur dire : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. » Jésus qui entreprend sa dernière marche vers Jérusalem puise là certainement un grand réconfort ; puisque aussitôt après Luc nous dit « A l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : ‘Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.’ » (Lc 10,21).

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LETTRE DE SAINT PAUL AUX GALATES, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIER LIVRE DES ROIS, PSAUME 15

Dimanche 26 juin 2022 : 13ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 26 juin 2022 : 13ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – PREMIER LIVRE DES ROIS   19,16b.19-21

En ces jours-là, Le SEIGNEUR avait dit au prophète Elie :
16 « Tu consacreras Elisée, fils de Shafath,
comme prophète pour te succéder. »

19 Elie s’en alla.
Il trouva Elisée, fils de Shafath, en train de labourer.
Il avait à labourer douze arpents,
et il en était au douzième.
Elie passa près de lui et jeta vers lui son manteau.
20 Alors Elisée quitta ses bœufs , courut derrière Elie,
et lui dit :
« Laisse-moi embrasser mon père et ma mère,
puis je te suivrai. »
Elie répondit :
« Va-t’en, retourne là-bas !
Je n’ai rien fait. »
21  Alors Elisée s’en retourna ;
mais il prit la paire de bœufs  pour les immoler,
les fit cuire avec le bois de l’attelage,
et les donna à manger aux gens.
Puis il se leva, partit à la suite d’Elie
et se mit à son service.

LA VOCATION DU PROPHETE ELISEE
Elisée et Elie, son prédécesseur, sont deux très grands prophètes de l’Ancien Testament : leur prédication nous est rapportée par les deux livres des Rois ; quelques mots d’abord sur ces livres des Rois pour nous replonger dans le contexte : ils font partie de ce que nous appelons les « livres historiques » et cette classification risque de nous tromper un peu ; en apparence, effectivement, ce sont des livres d’histoire : sur cinq siècles, du dixième au sixième siècles avant J.C., ils décrivent deux histoires parallèles, deux dynasties, celle du Nord et celle du Sud, puisque, dès la mort de Salomon, en 933, le territoire a été divisé en deux royaumes distincts ; le royaume du Nord garde le nom d’Israël, le royaume du Sud s’appellera Juda.
Mais, en réalité, les livres des Rois ne sont pas des manuels d’histoire comme on en écrirait aujourd’hui, avec un souci de rigueur et d’objectivité : visiblement, les auteurs ont sélectionné leurs matériaux avec des intentions bien précises pour que nous retenions la leçon, ce que nous appelons la « morale de l’histoire ». Leur but est toujours d’ordre théologique ; la grande leçon sous-jacente à tout cet ensemble est simple : seule, la fidélité à l’Alliance proposée par Dieu peut assurer le bonheur du peuple élu. Et, si ces livres y insistent tant, c’est que ce rappel n’est pas superflu ! Précisément, sur toute la période de la royauté dans les deux royaumes d’Israël et de Juda, les auteurs n’ont que trop d’occasions de rapporter les infidélités du peuple mal guidé par ses rois, l’idolâtrie permanente, mais aussi les malheurs incessants : guerres, rivalités, injustices criantes. Et ceci explique cela : respecter les commandements de Dieu, c’est semer la paix et la justice. A l’inverse, oublier Dieu, c’est oublier sa Loi, rechercher le pouvoir et l’argent, mentir, voler, tuer… Et, inexorablement, semer l’injustice et la haine, donc la violence… Et, malheureusement, pendant toute cette période, l’exemple vient de haut.
Les deux prophètes Elie et Elisée, qui se succèdent au neuvième siècle, se font donc les champions de la fidélité au Dieu unique et ils consacrent leur vie et toutes leurs énergies (et Dieu sait qu’ils n’en manquent pas !) à ramener le peuple au seul vrai Dieu. Ce dimanche, nous lisons le récit de la vocation d’Elisée : « Le SEIGNEUR avait dit au prophète Elie : Tu consacreras Elisée, fils de Shafath, comme prophète pour te succéder ». L’intention du texte est claire : il s’agit d’affirmer que c’est Dieu lui-même qui a choisi Elisée, et Elie ne fait que lui transmettre l’appel de Dieu. Il s’agit de bien montrer que, par choix de Dieu, Elisée est le digne successeur d’Elie, son fils spirituel.
Elisée était en train de labourer : première remarque, c’est au sein de sa vie quotidienne que l’appel retentit. Jusqu’ici, il était agriculteur ; quand on fait la liste des personnages bibliques, on constate qu’ils sont recrutés dans des milieux et des métiers très divers. Et que l’appel de Dieu retentit quand on ne s’y attend pas, au milieu des occupations quotidiennes. Moïse, David et Amos gardaient leurs moutons, Gédéon battait le blé, Samuel dormait en pleine nuit, Saül rentrait des champs derrière ses bœufs ; même chose pour les appelés du Nouveau Testament : Matthieu était à sa table de douane, et les premiers disciples étaient à la pêche.
Le texte continue : «Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième » : toujours, dans la Bible, ce chiffre douze est signe de plénitude, d’accomplissement parfait ; Elisée en est au douzième arpent : il a donc fini sa tâche ; son ancienne mission, son ancienne vie est terminée ; une nouvelle vie commence.
TOUT QUITTER POUR REPONDRE A L’APPEL
« Elie passa près de lui et jeta vers lui son manteau » : il faut croire que ce geste était très parlant puisqu’Elisée a tout de suite compris ce qu’Elie voulait dire ; en jetant son manteau sur les épaules d’Elisée, Elie l’invitait à participer à sa mission. Alors Elisée quitte ses bœufs  et court derrière Elie pour lui dire en substance : ‘Laisse-moi seulement le temps de faire mes adieux chez moi et je te suivrai’. Il a donc très bien compris l’appel mais il prend le temps d’accomplir ce qu’il considère comme son devoir : embrasser son père et sa mère, manger une dernière fois avec eux.
Elie répond : « Va-t’en, retourne là-bas ! Je n’ai rien fait ». Cette phrase d’Elie nous surprend peut-être et certains y voient un geste d’humeur. Mais, en fait Elie n’a pas repris son manteau : on sait bien que les dons de Dieu sont sans repentance. Elie rappelle seulement à Elisée qu’il est libre ; en même temps il veut lui faire comprendre que cette vocation, s’il l’accepte, implique un choix radical, une rupture : il lui faut se tourner résolument vers l’avenir, tout quitter.
Là encore, le texte est étonnant de sobriété : quelques mots seulement, des gestes qui parlent, et visiblement les deux interlocuteurs se sont parfaitement compris ! C’est en toute liberté qu’Elisée retourne faire ses adieux ; et son geste est très significatif : il tue les deux bœufs  de son attelage, brûle l’attelage lui-même pour faire cuire les bœufs  et fait un repas d’adieu pour toute la maison. Geste définitif : désormais, plus rien ne le retient, il ne possède plus rien, il est totalement libre pour se mettre au service d’Elie pour la mission que Dieu voudra. C’est bien une rupture définitive, radicale, avec son ancienne vie. La mission à laquelle il est appelé exige cette radicalité ; mais sans violence pour sa famille et ses proches ; il prend le temps de leur dire adieu.
Plus tard, quand Elie sera enlevé au ciel, Elisée ramassera son manteau. Il sera alors « habillé » en quelque sorte de la mission d’Elie : saint Paul a repris exactement cette symbolique du vêtement pour parler du Baptême et nous faire comprendre que nous participons à notre tour à la mission du Christ : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ».

 

PSAUME – 15 (16),1-2a.5,7-8.9-10.2b.11

1 Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
2a J’ai dit au SEIGNEUR : « Tu es mon Dieu !
5 SEIGNEUR, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille :
même la nuit, mon cœur  m’avertit.
8 Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ;
il est à ma droite, je suis inébranlable.

9 Mon cœur  exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
10 tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

2b Je n’ai pas d’autre bonheur que toi.
11 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
A ta droite, éternité de délices !

LE BONHEUR DU LEVITE AU SERVICE DE DIEU
L’expression « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » est une allusion au statut très particulier des lévites : au moment du partage de la Palestine entre les tribus des descendants de Jacob,  (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n’avaient pas reçu de territoire : leur part c’était la Maison de Dieu, le service de Dieu… Leur vie tout entière était consacrée au culte et ils n’avaient donc aucune source de revenus ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier de l’Eglise » de l’époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice.
Et d’ailleurs, un autre verset de ce psaume que nous ne lisons pas ce dimanche fait également allusion au statut un peu spécial des lévites : « La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage » ; c’est l’origine du fameux « negro spiritual » : « Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , Tu es mon héritage, En Toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, Toi, mon seul partage » qui n’est autre que ce psaume 15/16.
Autres allusions aux lévites, les phrases « Même la nuit mon coeur m’avertit », ou encore « Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche » car ils gardaient le Temple de Jérusalem jour et nuit, à tour de rôle.
On voit bien comment ce statut spécial, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une métaphore du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations. Mais si on le redit avec tant d’insistance, c’est parce que ce n’est pas si simple ! Etre conscient du privilège de l’élection d’Israël est une chose : en vivre au jour le jour toutes les exigences en est une autre. Le peuple choisi par Dieu a dû faire des choix et résister à de multiples tentations pour rester fidèle à l’Alliance. Si Elie et Elisée se sont tant battus, c’est bien parce que la fidélité au Dieu d’Israël n’allait pas de soi. Rappelez-vous la guerre implacable d’Elie contre le culte des Baals.
Peut-être, pour comprendre la gravité du problème, faut-il nous remettre dans la mentalité de l’époque : pour nous, aujourd’hui, c’est une évidence que Dieu est Unique ; mais que ce soit au temps de Moïse, ou même au temps d’Elie et Elisée, personne, même en Israël, n’envisage un Dieu Unique : on ne peut pas encore parler de « monothéisme ». Au contraire, on s’imagine que chaque territoire est gouverné par des dieux qui protègent ses habitants. Dans cette optique, lorsqu’on émigre, il est normal de changer de religion. Par exemple, lorsque le peuple a pris pied sur la terre de Canaan, il a été tenté de servir les dieux que révéraient les Cananéens, les Baals. Ceux-ci n’étaient-ils pas les maîtres des lieux ?
Plus tard, lorsque les fils d’Israël ont été déportés à Babylone, ils ont été tentés de prier les dieux des Mésopotamiens. La victoire de ces derniers n’était-elle pas la preuve de leur supériorité ?
D’autre part, sur le plan politique, on pratique des alliances avec les rois voisins ; ces alliances prennent la forme de mariages, bien souvent, avec des princesses étrangères ; dans leur corbeille de noces, elles apportent leurs statues, leurs pratiques et dans leur suite, il peut y avoir des prêtres et des prophètes des Baals ; c’est l’histoire d’Achab, roi d’Israël, épousant Jézabel, fille du roi de Sidon.
LE COMBAT DE LA FIDELITE
Depuis l’Alliance du Sinaï, pendant l’Exode, tout culte de cet ordre est interdit au peuple conduit par Moïse. Car le Dieu d’Israël n’est pas attaché à un territoire mais à un peuple qu’il accompagne à chaque instant de son histoire et en chacun de ses déplacements, y compris en Canaan et plus tard jusqu’à Babylone. Ce Dieu d’Israël est très exigeant : il promet à son peuple liberté et bonheur, mais en contrepartie, il donne une loi qui interdit tout autre culte, toute image de divinité, toute statue.
Dans une première étape de la révélation, les prophètes ne partent pas en guerre contre les dieux des pays voisins, mais ils mènent une lutte acharnée pour qu’Israël reste fidèle à son Dieu à lui. Le psaume 15/16 traduit ce combat parfois terrible de la fidélité à la vraie foi qui a été le lot d’Israël depuis le début. Il résonne comme une résolution : « J’ai dit au SEIGNEUR : Tu es mon Dieu ! SEIGNEUR, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort… Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ; il est à ma droite, je suis inébranlable. » Sous-entendu : nous n’irons pas chercher du secours ailleurs. Nos prières n’iront qu’à lui : « Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge. »
En contrepartie, on se rappelle les promesses de Dieu, ses bénédictions ; car on sait bien que les exigences de Dieu sont celles de l’amour. Si Dieu a donné cette loi contraignante, c’est parce qu’elle est le chemin du bonheur et de la vraie liberté. Cela, on ne l’a jamais oublié : « Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. »
Je reprends la phrase : « Tu m’apprends le chemin de la vie ». Cela veut dire que le peuple élu est assuré de survivre à toutes les vicissitudes de son histoire, parce que Dieu le lui a promis, tout simplement. C’est le sens des derniers versets : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption… Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »
C’est le peuple qui parle comme toujours dans les psaumes. Il n’est pas question, ici, de résurrection individuelle : quand ce psaume a été composé, elle était absolument inconcevable. On sait que la foi en la résurrection est née très tardivement en Israël, seulement vers 165 av. J.C. Le premier sens de ces versets concerne donc l’ensemble du peuple que Dieu ne laissera jamais s’éteindre. Bien sûr, aujourd’hui, après des siècles encore de Révélation et surtout depuis la Résurrection de Jésus-Christ, nous pouvons redire ces derniers versets dans le sens d’une affirmation pleine d’allégresse et d’espérance pour chacun de nous : « Tu ne peux m’abandonner à la mort… Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »
—————
Complément
Le véritable « monothéisme » est donc une conquête tardive de la Révélation. On découvrira alors que le Dieu d’Israël est aussi celui des autres peuples : c’est le sens du livre de Jonas, par exemple ; mais au début, c’était inconcevable. En attendant, en ce qui concerne Israël, on parle de « monolâtrie » ou « d’hénothéisme » (« enos » en grec signifie « un »).

 

DEUXIEME LECTURE –

LETTRE DE SAINT PAUL APOTRE AUX GALATES   5,1.13-18

Frères,
1 c’est pour que nous soyons libres
que le Christ nous a libérés.
Alors tenez bon,
ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage.
13 Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté.
Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte
pour votre égoïsme ;
au contraire, mettez-vous, par amour,
au service les uns des autres.
14 Car toute la Loi est accomplie
dans l’unique parole que voici :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
15Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres,
prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres.
16 Je vous le dis :
marchez sous la conduite de l’Esprit Saint,
et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair.
17 Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit,
et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair.
En effet, il y a là un affrontement
qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez.
18 Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit,
vous n’êtes pas soumis à la Loi.

LE CHRIST FAIT DE NOUS DES HOMMES LIBRES
Pour comprendre la première et la dernière phrase du texte d’aujourd’hui : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés »… « Si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi », il faut connaître le contexte.
Lorsque Paul écrit cette lettre aux Galates, la communauté chrétienne est en pleine querelle. Je m’explique : certains membres sont d’origine juive, d’autres sont d’anciens païens convertis. Toute la question est de savoir si des païens, des non-juifs peuvent devenir chrétiens : ne devrait-on pas leur imposer d’abord la circoncision et toutes les pratiques juives ?
Ceci par souci de fidélité au plan de Dieu : il a choisi le peuple juif pour être son ambassadeur dans le monde et Jésus lui-même et tous ses apôtres étaient juifs. Donc, il faut peut-être ne baptiser que des Juifs ? On sait que cette querelle a traversé toutes les premières communautés chrétiennes. Elle a été tranchée à ce qui ressembla à un premier Concile vers l’an 50.
Mais, visiblement, lorsque Paul écrit aux Galates, la querelle n’est pas calmée. Paul entreprend donc de répondre : pour lui, lorsque des païens veulent recevoir le Baptême, leur imposer au préalable d’adhérer au Judaïsme, ce serait faire d’eux les esclaves d’une loi désormais dépassée. La loi juive fut une pédagogie de Dieu pour préparer son peuple à accueillir le Messie. Depuis la venue du Christ, on est entrés dans une deuxième étape de l’histoire humaine : tout homme, juif ou non juif, peut être baptisé et devenir membre du Corps du Christ.
Ce premier développement de la réponse de Paul, nous ne l’avons pas lu aujourd’hui : ce que nous avons lu, c’est la deuxième partie du développement de Paul. Il y aborde un deuxième aspect de la question. Il y rappelle que la liberté apportée par le Christ, ce n’est pas seulement une affaire de pratiques rituelles, c’est plus encore une affaire de comportement. Un homme libre peut parfaitement se conduire comme un esclave : esclave de soi-même et de son égoïsme par exemple.
Si nous avions un papier et un crayon, nous pourrions, comme souvent chez Paul, écrire son texte en deux colonnes : d’un côté, la colonne de la liberté, de l’autre côté, la colonne de l’esclavage ; du côté « esclavage », on écrirait « satisfaire votre égoïsme »… Du côté « liberté », il y a « mettez-vous par amour au service les uns des autres »…
LA VERITABLE LIBERTE N’EST PEUT-ETRE PAS CE QUE L’ON CROIT
On est un peu surpris quand même que l’égoïsme soit du côté de l’esclavage et que le service des autres soit du côté de la liberté …!  Parfois, nous sommes tentés de penser l’inverse ; quand quelqu’un nous demande un service, il nous arrive de nous dire qu’il nous prend pour son esclave… et, à l’inverse, nous avons bien l’impression d’être enfin libres quand nous pouvons ne penser qu’à nous ! Mais si j’en crois Paul, la vraie liberté n’est pas ce qu’on croit ! Car le service, pour Paul, héritier de l’Ancien Testament, est un choix d’homme libre, un choix résolu comme le choix du Serviteur d’Isaïe, comme celui du Christ. Les quatre évangélistes ont noté l’insistance de Jésus sur ce point : « Le Père m’aime parce que je donne ma vie… Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même » (Jn 10,17-18)… « Le Fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour servir… (Mc 10,45).
Saint Paul sait bien que ce n’est pas si simple puisqu’il parle de notre liberté tantôt comme d’une réalité, « le Christ nous a libérés… (donc c’est fait, c’est acquis)… tantôt comme d’un idéal, une vocation, un appel : POUR que nous soyons vraiment libres… » (ce n’est donc pas complètement réalisé)… ou bien encore « vous avez été appelés à la liberté… » Et il ajoute « ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage ».
Paul n’hésite pas à utiliser des images fortes pour fustiger l’égoïsme : « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, vous allez vous détruire les uns les autres ». Pourquoi ? Parce que nous sommes faits pour aimer et que nous ne nous construisons nous-mêmes que dans l’amour. Paul nous représente nos vies concrètes comme un lieu d’affrontement permanent entre deux manières de vivre ; il nous dit : « Ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage ». Ce « Tenez bon ! » est valable pour toute notre vie : il n’y a pas parmi nous ceux qui, une fois pour toutes, sont passés du côté de la liberté et ceux qui se conduisent encore comme des esclaves ; chacun de nous doit sans cesse refaire ce passage ; un passage qui n’est jamais acquis une fois pour toutes ; avant que l’esprit de service soit devenu pour nous comme une seconde nature, il faut bien de longues années d’apprentissage ! Comprenons bien les expressions de Paul : la vie égoïste, c’est ce que Paul appelle « vivre selon la chair » (selon notre pente naturelle, si vous préférez) et la vie de service, c’est ce qu’il appelle « vivre selon l’esprit » (sous-entendu l’Esprit de Dieu, l’Esprit d’amour). Et cela, depuis la résurrection du Christ et la Pentecôte, nous en sommes devenus capables.
—————-
Compléments
Esclavage et liberté
Saint Paul est Juif, et donc habité par l’idéal de liberté qui est celui de toute la Bible ; la grande expérience de l’Exode, méditée depuis des siècles par le peuple juif, est celle de la libération d’Egypte. Dieu a libéré son peuple de l’esclavage en Egypte pour lui faire découvrir la grandeur de la liberté et du service librement consenti. Et toute la période de l’Exode dans le désert est interprétée comme un temps d’apprentissage nécessaire pour passer de l’esclavage en Egypte, sous la botte des Pharaons, à la libre décision de servir le Dieu de l’Alliance. Et puis, après des siècles de méditation, on a compris que la meilleure manière de servir Dieu, c’est de servir les hommes, et donc que l’homme accompli dans sa plénitude serait celui qui se met librement au service de ses frères. C’est le sens des textes qu’on appelle les chants du Serviteur chez Isaïe.
Mais, dans cette lettre aux Chrétiens de Galatie, Paul écrit à une communauté du monde grec dans lequel l’esclavage existe encore : c’est-à-dire que le serviteur est réellement un objet pour son maître, il est sa propriété, il lui appartient comme aujourd’hui notre poste de radio, notre voiture, notre maison ou n’importe quelle machine nous appartient ; si la télévision vous ennuie, vous n’avez qu’à l’éteindre ou changer de chaîne ! Au temps de Paul, si mon esclave ne me convient plus, j’en dispose comme je veux, je le vends à quelqu’un d’autre… Saint Paul s’appuie donc sur cette expérience de l’esclavage qui est très parlante pour son temps et tout le texte que nous venons de lire est bâti sur l’opposition entre : être libre ou être esclave. Pour lui, le Christ est l’exemple même de l’homme libre et le chrétien, à la suite du Christ, est un homme libre, ou plus exactement un homme libéré par le Christ, « affranchi » par le Christ.
Le Christ, homme libre
Les quatre évangélistes, tout au long de la Passion, s’ingénient à nous montrer que le Christ condamné, maltraité, enchaîné est pleinement libre alors que ses bourreaux sont le jouet de leur aveuglement, donc finalement esclaves, d’une certaine manière.
Chrétiens d’origine juive face à des Chrétiens d’origine païenne
« Vous n’êtes plus sujets de la Loi » : on perçoit ici le contexte d’affrontements récurrents dans les communautés chrétiennes du premier siècle, certains Chrétiens d’origine juive voulant imposer l’ensemble des pratiques juives aux Chrétiens d’origine païenne.

 

EVANGILE – SAINT LUC  9, 51-62

51 Comme s’accomplissait le temps
où il allait être enlevé au ciel,
Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem.
52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ;
ceux-ci se mirent en route
et entrèrent dans un village de Samaritains
pour préparer sa venue.
53 Mais on refusa de le recevoir,
parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
54 Voyant cela,
les disciples Jacques et Jean dirent :
« Seigneur, veux-tu que nous ordonnions
qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? »
55 Mais Jésus, se retournant, les réprimanda.
56Puis ils partirent pour un autre village.
57 En cours de route, un homme dit à Jésus :
« Je te suivrai partout où tu iras. »
58Jésus lui déclara :
« Les renards ont des terriers,
les oiseaux du ciel ont des nids ;
mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
59 Il dit à un autre :
« Suis-moi. »
L’homme répondit :
« Seigneur, permets-moi d’aller d’abord
enterrer mon père. »
60 Mais Jésus répliqua :
« Laisse les morts enterrer leurs morts.
Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
61 Un autre encore lui dit :
« Je te suivrai, Seigneur ;
mais laisse-moi d’abord faire mes adieux
aux gens de ma maison. »
Jésus lui répondit :
62 « Quiconque met la main à la charrue,
puis regarde en arrière,
n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »

JESUS EN MARCHE VERS SA PASSION
« Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem » ; notre traduction dit « le visage déterminé », en fait, si l’on suit le texte grec, il faut traduire : « il durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem ». Or Luc n’a pas choisi ces mots par hasard car cette expression « il durcit sa face » est un rappel du troisième chant du Serviteur (Is 50,7) : face à la persécution, le Serviteur dont parle Isaïe dit « Je ne me suis pas dérobé… j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu ». « Dur comme pierre » veut dire la détermination parce qu’il sait que Dieu ne l’abandonnera pas. « Dieu ne peut m’abandonner à la mort, dit le psaume 15/16 (psaume de ce dimanche), ni laisser son ami voir la corruption ». A un moment ou à un autre, Jésus a eu à prendre la décision de ne pas se dérober, comme dit Isaïe. On peut donc lire ce récit de Luc comme la présentation du véritable serviteur de Dieu.
Son attitude en Samarie, par exemple, est révélatrice : un village refuse de les accueillir pour la simple raison qu’ils ont annoncé leur intention de se rendre à Jérusalem ; (on connaît l’hostilité qui règne depuis des siècles entre les Samaritains et les habitants de Jérusalem). Et les disciples, alors, ont le réflexe de vouloir infliger un châtiment sévère à ce village : ils se souviennent du prophète Elie appelant le feu du ciel sur d’autres hérétiques, les prophètes de Baal. Ils ont devant eux plus grand qu’Elie ; et donc le feu du ciel leur paraît tout indiqué. Mais justement, parce qu’il est plus grand qu’Elie, parce qu’il est l’amour même, Jésus ne peut envisager des solutions de violence et de pouvoir. Voilà ce qu’est le serviteur de Dieu.
LA FIDELITE A NOTRE BAPTEME EXIGE CERTAINS RENONCEMENTS
Suivent les trois rencontres qui nous valent trois phrases particulièrement exigeantes de Jésus : exigeantes pour lui d’abord ; ces trois phrases dévoilent le combat qu’il mène lui-même. Première rencontre : « Un homme lui dit : je te suivrai partout où tu iras. » Il lui répond : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête ». Là on est devant une énorme contradiction : le Fils de l’homme, c’est dans le livre de Daniel un personnage glorieux qui vient sur les nuées du ciel et à qui Dieu donne la royauté universelle ; Jésus s’attribue ce titre qui dit déjà sa victoire ; et en même temps il mène cette vie humble, pauvre, voire rejetée comme ici par les habitants de ce village de Samarie ; aujourd’hui on le traiterait de « Sans domicile fixe » ! On retrouve ici un écho des Tentations au désert : l’Ecriture annonce déjà sa victoire mais sa vie terrestre se déroule sous le signe de la pauvreté et de l’humilité.
Deuxième rencontre : celle qui nous vaut l’une des phrases les plus surprenantes ! Il dit à quelqu’un « Suis-moi » et l’homme répond « Permets-moi d’abord d’aller enterrer mon père ». Et Jésus reprend : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le Règne de Dieu ». Pour lui, habituellement respectueux de la loi juive, cette phrase est scandaleuse ; le respect des parents et en particulier l’ensevelissement est très important dans la loi juive. Peut-être Jésus trahit-il ici les choix terribles qu’il a dû faire pour son propre compte ; annoncer le royaume de Dieu a exigé de lui une détermination sans faille. Or, sur les trois hommes dont on nous parle, celui-ci est le seul qui ne se propose pas lui-même : c’est Jésus qui l’appelle. S’il l’appelle, c’est par amour et il l’appelle à aimer ; tout amour exige des renoncements terribles ; Jésus le sait d’expérience. En même temps, sa phrase est libératrice, en quelque sorte, elle nous déculpabilise : lorsque deux devoirs nous paraissent contradictoires, le critère de choix devra être l’accomplissement de la mission. Lorsque celle-ci l’exige, il ne faut pas se sentir coupables de devoir manquer à d’autres obligations.
Enfin, troisième rencontre : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Cette dernière phrase nous fait penser à l’histoire d’Elisée : lui aussi voulait bien suivre le prophète Elie, mais auparavant, il voulait faire ses adieux à sa famille. Elie l’avait laissé faire, mais il lui avait fait comprendre qu’ensuite il lui faudrait savoir rompre les amarres, s’engager sans retour. Le cas ici est un peu semblable : un auditeur bien intentionné, voudrait bien suivre Jésus, mais il demande un délai. Et Jésus lui dit cette phrase un peu terrible « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu »… On trouve dans la littérature antique des maximes de ce genre : par exemple, l’auteur romain Pline dit que pour tracer correctement un sillon, il ne faut pas se détourner. Jésus radicalise ce proverbe ; là encore il nous fait une confidence, il avoue les renoncements sans retour que sa mission a exigés à tout instant : n’oublions pas que ceci se passe au moment où il vient de prendre résolument la route de Jérusalem, c’est-à-dire de la Passion et de la Croix : du confort de la maison familiale de Nazareth à la montée à Jérusalem, Jésus a vécu dans sa chair de multiples arrachements.
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Complément
Jésus « réprimande » ses disciples, tentés par le pouvoir ou la violence. Y a-t-il là pour lui-même une tentation à combattre ?

DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LETTRE DE SAINT PAUL AUX GALATES, LIVRE D'ISAÎE, PSAUME 65

Quatorzième dimanche du temps ordinaire : lectures et commentaires

 

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Quatorzième dimanche du Temps Ordinaire

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 7 juillet 2019

 

1ère lecture

Psaumes

2ème lecture

EVANGILE

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PREMIERE LECTURE – Isaïe 66, 10-14

 

10 Réjouissez-vous avec Jérusalem !
Exultez en elle, vous tous qui l’aimez !
Avec elle, soyez pleins d’allégresse,
vous tous qui la pleuriez !
11 Alors, vous serez nourris de son lait,
rassasiés de ses consolations ;
alors, vous goûterez avec délices
à l’abondance de sa gloire.
12 Car le SEIGNEUR le déclare :
« Voici que je dirige vers elle
la paix comme un fleuve
et, comme un torrent qui déborde,
la gloire des nations. »
Vous serez nourris, portés sur la hanche ;
vous serez choyés sur ses genoux.
13 Comme un enfant que sa mère console,
ainsi, je vous consolerai.
Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés.
14 Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ;
et vos os revivront comme l’herbe reverdit.
Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs.

 

Quand un Prophète parle autant de consolation, on peut se poser des questions ! Vous avez entendu : « De même qu’une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai, dans Jérusalem vous serez consolés » et un peu plus haut « vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations ».
Cela veut dire que tout allait mal et qu’on avait grand besoin d’être consolés ! Nous avons vu souvent que le prophète est celui qui, dans les moments de détresse, sait réveiller l’espoir. Car un prophète, c’est quelqu’un qui se refuse à écouter les voix découragées qui s’élèvent pour dire que Dieu lui-même ne peut rien contre la mauvaise volonté, l’instinct de puissance, les rivalités, les guerres…
Effectivement, ce texte que nous lisons ici a été écrit dans un moment difficile : l’auteur (que nous appelons le Troisième Isaïe), est un des lointains disciples du grand Isaïe, (ses paroles ont été annexées plus tard au livre du grand prophète Isaïe). Il prêche juste au retour de l’Exil à Babylone, vers 535 av. J.C. Les exilés sont revenus au pays, mais ce retour tant espéré s’est révélé décevant à tous les égards : Jérusalem, pour commencer, la ville bien-aimée, porte encore les cicatrices de la catastrophe de 587 (sa destruction par les armées de Nabuchodonosor). Le Temple est en ruines, une partie de la ville également. Pour le reste, ceux qui revenaient n’ont pas reçu l’accueil triomphal qu’ils avaient imaginé de loin : comme toujours dans ces circonstances, ceux qui sont partis ont bien souvent été oubliés, remplacés… surtout pour une captivité de cinquante ans !
Voilà pourquoi, bien qu’ils soient de retour à Jérusalem, le prophète parle de deuil et de consolation. Mais, face au découragement qui s’installe, le prophète  ne se contente pas de paroles de réconfort, il ose un discours presque triomphal : « Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! » On peut se demander d’où lui vient son bel optimisme ? C’est bien simple, sa foi, ou plutôt l’expérience d’Israël ! Le seul argument du peuple d’Israël, pour continuer à espérer, c’est toujours le même à toutes les époques de son histoire, c’est la présence de Dieu, la puissance de Dieu. C’est quand tout paraît perdu qu’il faut à tout prix se souvenir que rien n’est impossible à Dieu ; comme l’Ange du Seigneur l’avait dit à Abraham et Sara : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? » (Gn 18, 14) ; comme le Seigneur lui-même l’avait dit à Moïse, un jour de découragement, pendant l’Exode : « Crois-tu que j’aie le bras trop court ? » (Nb 11, 23) ; c’est une image que nous connaissons : nous entendons parfois dire qu’une personne a « le bras long » ! On retrouve à plusieurs reprises la même image dans le livre d’Isaïe ; par exemple, pendant l’Exil quand on perdait espoir d’être libérés un jour, le deuxième Isaïe l’avait employée : « Est-ce que ma main serait courte, trop courte pour affranchir ? » (Is 50, 2).
Plus tard, après le retour, en période de découragement, le troisième Isaïe, celui que nous lisons aujourd’hui, reprend deux fois le même discours. Au chapitre 59, il a affirmé : « Non, la main du SEIGNEUR n’est pas trop courte pour sauver, son oreille n’est pas trop dure pour entendre! » (Is 59, 1). Et dans le dernier verset de notre texte d’aujourd’hui, nous avons lu : « Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs » ; c’est la traduction liturgique ; mais le texte hébreu dit : « Le SEIGNEUR fera connaître sa main à ses serviteurs. »
C’est donc un appel à l’espérance, celui-là même dont ce peuple a besoin dans cette période de découragement. Dieu a libéré son peuple à maintes reprises dans le passé, il ne l’abandonnera pas. A lui seul, le mot « main » est une allusion à la sortie d’Egypte, car on aime dire que, à ce moment-là, Dieu est intervenu « à main forte et à bras étendu ».
L’expression « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations » est, elle aussi, un rappel de l’Exode : au cours de sa marche au désert, le peuple avait connu la faim et la soif et cela avait été pour lui une terrible épreuve pour sa foi. Et Dieu lui a toujours procuré le nécessaire. Désormais, ce sera la surabondance : « Vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire ».
Ce rappel de l’Exode comporte deux leçons : d’une part, Dieu nous veut libres et soutient tous nos efforts pour instaurer la justice et la liberté ; mais d’autre part, il y faut nos efforts. Le peuple est sorti d’Egypte grâce à l’intervention de Dieu, on ne l’oublie jamais, mais il a fallu marcher, et parfois péniblement, vers la terre promise. Quand Isaïe promet de la part de Dieu : « Je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve », cela ne veut pas dire que la paix s’instaurera magiquement un beau jour ! Il y faudra une vraie volonté et un effort soutenu des hommes, on ne le sait que trop. Mais cet effort et cette volonté ne pourront se maintenir et aboutir que si nous nous raccrochons résolument à la conviction que « rien n’est impossible à Dieu ».
Dans sa deuxième lettre, saint Pierre dit exactement la même chose : à des Chrétiens qui trouvent que le royaume de Dieu se fait attendre, il répond : « Il y a une chose en tout cas que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour… Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » Et il ajoute : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais que tous parviennent à la conversion ». Saint Pierre rappelle bien ici les deux leçons de l’Exode dont je parlais il y a un instant : premièrement, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, c’est-à-dire, accrochez-vous à la conviction de sa présence permanente et agissante à vos côtés, mais, deuxièmement, vos efforts sont indispensables, la paix, la justice, le bonheur ne s’instaureront pas un beau jour par un coup de baguette magique : « c’est pour vous qu’il patiente ». Moralité, à nous de jouer, il y a urgence !
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Compléments
– « De même qu’une mère console son enfant » (verset 13) : n’en déduisons pas que Dieu serait féminin ! Vouloir dire que Dieu est masculin ou féminin, c’est certainement un abus de langage, c’est concevoir un Dieu à notre image. Or Dieu n’est pas à notre image, c’est nous qui sommes à son image et ressemblance. Mais la tendresse du Dieu créateur est souvent comparée au frémissement des entrailles maternelles : c’est la plus belle image que l’humanité ait trouvée dans son expérience pour parler de l’amour de Dieu pour ses enfants.

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PSAUME – 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20

1 Acclamez Dieu, toute la terre ;
2 fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
3 Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4 Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
5 Venez et voyez les hauts-faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6 Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
7 Il règne à jamais par sa puissance.

16 Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ;
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
20 Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

 

Comme bien souvent, le dernier verset donne le sens du psaume tout entier : « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. » Il suffit de regarder le vocabulaire employé pour voir que ce psaume est un chant d’action de grâce : « Acclamez, fêtez, glorifiez Dieu… se prosterner, chanter, venez, écoutez… je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme. » Très certainement, il a été composé pour accompagner des sacrifices d’action de grâce au Temple de Jérusalem. Et celui qui parle ici n’est pas un individu, c’est le peuple tout entier qui rend grâce à son Dieu.
Ce qui est au centre de l’action de grâce d’Israël, et ce n’est pas pour nous surprendre, c’est comme toujours la libération d’Egypte ; les allusions sont particulièrement claires : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ». Ou encore « Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. » L’expression « Les hauts faits de Dieu », dans la Bible, désigne toujours la libération d’Egypte. On est frappés d’ailleurs des correspondances entre ce psaume et le cantique de Moïse après le passage de la Mer Rouge (je vous en cite quelques lignes) : « Je veux chanter le SEIGNEUR, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta. Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR. Il a été pour moi le salut. C’est lui mon Dieu, je le louerai ; le Dieu de mon père, je l’exalterai… Qui est comme toi parmi les dieux ? Qui est comme toi, éclatant de sainteté, redoutable en ses exploits ? Opérant des merveilles ? » (Ex 15).
Depuis cette délivrance première, toute l’histoire d’Israël est éclairée par cet événement fondamental : Dieu veut des hommes libres et son œuvre  au milieu de son peuple n’a pas d’autre but. Et donc, quand tout va mal, on est sûrs que Dieu interviendra pour nous libérer ! C’est bien le sens du chapitre 66 d’Isaïe que nous lisons ce dimanche en première lecture : à une époque très noire de l’histoire de Jérusalem, Isaïe disait : Dieu vous consolera ! Le prophète écrivait au sixième siècle av. J.C. après le retour de l’Exil à Babylone ; peut-être notre psaume d’aujourd’hui a-t-il été composé à la même époque, une fois le Temple restauré ? En tout cas, le cadre est le même : notre psaume, par hypothèse, est écrit pour être chanté au Temple de Jérusalem et les fidèles qui affluent pour le pèlerinage préfigurent l’humanité tout entière qui montera à Jérusalem à la fin des temps. Le texte d’Isaïe annonce justement la Jérusalem nouvelle où afflueront toutes les nations : « Je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve et la gloire des nations comme un torrent qui déborde » disait Isaïe ; le psaume répond : « Acclamez Dieu toute la terre »… et encore « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. » Ce sera jour de joie et d’allégresse, nous dit Isaïe.
La joie promise est bien le thème majeur de ces deux textes : quand les temps sont durs, il est vital de se rappeler que Dieu ne veut rien d’autre que la joie de l’homme et qu’un jour la joie envahira toute la terre, toute l’humanité ! Une joie débordante, exultante et pourtant bien concrète, réaliste, enracinée dans nos besoins les plus élémentaires : être nourris, rassasiés, consolés, bercés… Isaïe disait : « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations… Vous serez comme des nourrissons que l’on porte sur son bras… » ; le psaume 65/66 répond en écho : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme (c’est-à-dire pour moi). Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. »
Dernière remarque : ces deux textes, celui du prophète et celui du psalmiste, baignent bien dans la même atmosphère, mais ils ne sont pas sur le même registre : le prophète exprime la Révélation de Dieu, alors que le psaume est la prière de l’homme.
Quand c’est Dieu qui parle, (par la bouche du prophète) il ne s’occupe que de la gloire et du bonheur de Jérusalem ; c’est Dieu qui agit, bien sûr, le prophète le dit clairement : « Moi-même je vous consolerai », mais Dieu ne se préoccupe que de la joie de son peuple (représenté par la Ville Sainte). « Réjouissez-vous à cause de Jérusalem, exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ! »
Réciproquement, quand c’est le peuple qui parle, (par la bouche du psalmiste), il ne s’y trompe pas et rend à Dieu la gloire qui lui revient à lui seul : « Acclamez Dieu, toute la terre, fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! Toute la terre se prosterne pour toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. » Notons au passage que le mot « redoutables » fait partie du vocabulaire royal ; c’est le règne de Dieu qui est dit là. Un règne qui est celui de l’amour : le psaume se termine précisément par ce mot-là et c’est Israël tout entier encore qui parle ici : « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. »
Belle manière de dire que c’est l’amour qui aura le dernier mot !

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DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul apôtre aux Galates 6, 14-18

 

Frères,
14 pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ
reste ma seule fierté.
Par elle, le monde est crucifié pour moi,
et moi pour le monde.
15 Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
c’est d’être une création nouvelle.
16 Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie
et pour l’Israël de Dieu,
paix et miséricorde.
17 Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter,
car je porte dans mon corps
les marques des souffrances de Jésus.
18 Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ
soit avec votre esprit. Amen.

 

Je reprends la première phrase : « Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. » Cette insistance sur le mot « seul » laisse deviner qu’il y a un problème. Effectivement, Paul avait commencé sa lettre aux Galates par un reproche sévère : « J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un autre Evangile». Et il expliquait : « Il y a des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Evangile du Christ ». Ceux qui jetaient le trouble parmi les Chrétiens de Galatie, c’étaient des Juifs devenus chrétiens (des judéo-chrétiens) qui voulaient obliger tous les membres de leurs communautés à pratiquer toutes les règles de la religion juive, y compris la circoncision.
Paul écrit alors à ces communautés pour les mettre en garde ; (aux yeux de Paul) ce qui se cache derrière cette discussion pour ou contre la circoncision, c’est une véritable hérésie : c’est la foi au Christ, et elle seule qui nous sauve, la foi au Christ concrétisée par le Baptême ; imposer la circoncision reviendrait à le nier, à laisser entendre que la croix du Christ ne suffit pas. Ce sont des « faux frères » dit Paul, ces gens qui peuvent soutenir des thèses pareilles.
Il rappelle aux Galates que leur seule fierté est la croix du Christ. Mais, pour comprendre Paul, il faut bien préciser que, pour lui, la croix n’est pas un objet, pas même un objet de vénération… c’est un événement. Quand Paul parle de la croix du Christ, il ne se livre pas à une contemplation de ses douleurs, au rappel de ses souffrances ; pour lui, la croix du Christ est un événement historique, c’est même l’événement central de l’histoire du monde, l’événement qui a opéré une fois pour toutes la réconciliation entre Dieu et l’humanité d’une part, la réconciliation   entre les hommes, d’autre part.
Quand Paul dit « Par la croix du Christ, le monde est crucifié pour moi », je crois que la formule « par la croix » signifie « depuis l’événement de la croix » et « le monde est à jamais crucifié » signifie « le monde est définitivement transformé ».
C’est un événement décisif : plus rien ne sera jamais comme avant. Comme le dit la lettre aux Colossiens : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 19-20).
La preuve que la croix est l’événement décisif de l’histoire du monde, c’est que la mort est vaincue pour la première fois : Christ est ressuscité. Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi est votre foi ». Pour Paul, la croix et la Résurrection sont indissociables : il s’agit d’un seul et même événement.
Par la croix est née la « création nouvelle » par opposition au « monde ancien ». Au début de cette même lettre aux Galates, il dit : « A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, qui s’est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde mauvais… » Et cette expression « à vous grâce et paix » ce n’est pas une formule toute faite ! Réellement grâce et paix sont acquises désormais aux Chrétiens, c’est cela que Paul veut dire.
Tout au long de cette lettre, il a opposé le régime ancien qui était le régime de la loi et le régime nouveau qui est celui de la foi ; la vie selon la chair et la vie selon l’esprit ; l’esclavage ancien et notre liberté acquise par Jésus-Christ ; désormais, par la foi, par notre adhésion à Jésus-Christ, nous sommes des hommes libres de vivre selon l’Esprit.
Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il dit quelque chose d’analogue : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né ». Le monde ancien, c’est le monde en guerre, l’humanité en révolte contre Dieu, le monde qui soupçonne Dieu de ne pas être amour et bienveillance ; du coup il désobéit aux commandements de Dieu et ce sont les rivalités entre les hommes, les guerres, les luttes pour le pouvoir ou pour l’argent. La création nouvelle, au contraire, c’est l’obéissance du Fils, sa confiance jusqu’au bout, son pardon pour ses bourreaux, sa joue tendue à ceux qui lui arrachent la barbe, comme dit Isaïe. La Passion du Christ a été un paroxysme de haine et d’injustice commis au nom de Dieu ; le Christ en a fait un paroxysme de non-violence, de douceur, de pardon. Et nous, à notre tour, parce que nous sommes greffés sur le Fils, nous sommes rendus capables de la même obéissance, du même amour : capables d’abandonner le mode de vie selon le monde, pour choisir le mode de vie selon le Christ. Ce retournement extraordinaire qui est l’oeuvre de l’Esprit de Dieu inspire à Paul une formule particulièrement frappante : « Par la croix, le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde. » Traduisez « la manière de vivre selon le monde est abolie, désormais, nous vivons selon l’Esprit ». Une telle transformation est bien un sujet de fierté pour les Chrétiens : réellement, comme dit Paul « la croix de notre Seigneur Jésus Christ est notre seule fierté ». C’est bien la raison d’être des crucifix qui ornent les murs de nos maisons ou de nos églises.
Pour cette annonce de la croix du Christ, Paul a déjà payé de sa personne. Quand il dit que désormais nous sommes dans la grâce et la paix, cela ne veut pas dire que tout ira forcément tout seul ! Logiquement, si nous annonçons vraiment l’Evangile, nous devrions rencontrer des oppositions semblables à celles que le Christ a rencontrées et que Paul rencontre à son tour. Quand il dit « je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus », il fait certainement allusion aux persécutions qu’il a lui-même subies pour avoir annoncé l’Evangile.Chaque fois que nous faisons le signe de la croix, nous manifestons que nous sommes dans cette création nouvelle où toute parole est dite, où tout geste est accompli au nom du Père et du Fils et de l’Esprit ; et en même temps nous nous engageons à témoigner de la transformation que l’Esprit d’amour est seul capable d’opérer.
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Complément
– On peut se demander si notre proclamation de l’Evangile est vraiment conforme, si elle n’est pas un peu édulcorée, un peu trop conforme à l’esprit du monde, quand elle ne rencontre plus aucune opposition …?

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EVANGILE selon Saint Luc 10, 1… 20

En ce temps-là,
parmi les disciples,
1 le Seigneur en désigna encore soixante-douze,
et il les envoya deux par deux, en avant de lui,
en toute ville et localité
où lui-même allait se rendre.
2 Il leur dit :
« La moisson est abondante,
mais les ouvriers sont peu nombreux.
Priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
3 Allez ! Voici que je vous envoie
comme des agneaux au milieu des loups.
4 Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales,
et ne saluez personne en chemin.
5 Mais dans toute maison où vous entrerez,
dites d’abord :
‘Paix à cette maison.’
6 S’il y a là un ami de la paix,
votre paix ira reposer sur lui ;
sinon, elle reviendra sur vous.
7 Restez dans cette maison,
mangeant et buvant ce que l’on vous sert ;
car l’ouvrier mérite son salaire.
Ne passez pas de maison en maison.
8 Dans toute ville où vous entrerez
et où vous serez accueillis,
mangez ce qui vous est présenté.
9 Guérissez les malades qui s’y trouvent
et dites-leur :
‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ »
10 Mais dans toute ville où vous entrerez
et où vous ne serez pas accueillis,
allez sur les places et dites :
11 ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds,
nous l’enlevons pour vous la laisser.
Toutefois, sachez-le :
le règne de Dieu s’est approché.’
12 Je vous le déclare :
au dernier jour,
Sodome sera mieux traitée que cette ville. »

17 Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux,
en disant :
« Seigneur, même les démons
nous sont soumis en ton nom. »
18 Jésus leur dit :
« Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
19 Voici que je vous ai donné le pouvoir
d’écraser serpents et scorpions,
et sur toute la puissance de l’Ennemi :
absolument rien ne pourra vous nuire.
20 Toutefois, ne vous réjouissez pas
parce que les esprits vous sont soumis ;
mais réjouissez-vous
parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

 

Cet évangile suit immédiatement celui de dimanche dernier : nous avions vu Jésus aux prises avec les arrachements que sa mission a exigés de lui : accepter l’insécurité, sans avoir rien pour reposer la tête, laisser les morts enterrer leurs morts, c’est-à-dire savoir faire des choix crucifiants, mettre la main à la charrue sans regarder en arrière, accepter d’affronter la mort en prenant résolument le chemin de Jérusalem. On devine les tentations qui se profilent à chaque fois derrière les décisions qu’il a dû prendre. Luc nous le montre sur la route de Jérusalem : Jésus a surmonté pour son propre compte toutes les tentations ; le prince de ce monde est déjà vaincu.
Il lui reste à transmettre le flambeau : il envoie ses disciples en mission à leur tour. Il est urgent de les préparer puisque son départ à lui approche. Et il leur donne tous les conseils nécessaires pour les préparer à affronter les tentations qu’il connaît bien : eux aussi seront affrontés aux mêmes tentations.
Eux aussi connaîtront le refus : comme Jésus avait essuyé le refus d’un village de Samarie, ils doivent se préparer à essuyer des refus ; mais que cela ne les arrête pas. Quand ils devront quitter un village, qu’ils disent quand même en partant le message pour lequel ils étaient venus : « Sachez-le : le règne de Dieu est tout proche. » Mais pour bien montrer que leur démarche était totalement désintéressée, et que les bénéficiaires du message restent toujours libres de le refuser, ils ajouteront : « Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. »
Eux aussi connaîtront la haine : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Ils devront quand même inlassablement annoncer et apporter la paix : « Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord Paix à cette maison. S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui. » Il faut à tout prix croire à la contagion de la paix : quand nous souhaitons vraiment de tout cœur  la paix à quelqu’un, réellement la paix grandit. On le sait d’expérience. Encore faut-il que notre interlocuteur soit lui aussi ami de la paix ; s’il ne l’est pas, Jésus leur dit « Secouez la poussière de vos pieds », c’est-à-dire ne vous laissez pas alourdir par les échecs, les refus… Que rien ne vous fasse « traîner les pieds », en quelque sorte !
Eux aussi connaîtront l’insécurité : Jésus, lui-même, n’avait « pas d’endroit où reposer la tête » ; si l’on comprend bien, il en sera de même de ses disciples : « N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales. »
Eux aussi devront apprendre à vivre au jour le jour sans se soucier du lendemain, se contentant de « manger et boire ce qu’on leur servira », tout comme le peuple au désert ne pouvait ramasser la manne que pour le jour même.
Eux aussi auront des choix à faire, parfois crucifiants, à cause de l’urgence de la mission : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu » (Lc 9, 60) était une phrase exigeante pour dire que les devoirs les plus sacrés à nos yeux s’effacent devant l’urgence du Royaume de Dieu. « Ne saluez personne en chemin » est une phrase du même ordre : pour ses disciples qui étaient des orientaux, les longues salutations étaient un véritable devoir.
Eux aussi devront résister à la tentation du succès : « Ne passez pas de maison en maison. »
Eux aussi devront apprendre à souhaiter transmettre le flambeau à leur tour : la mission est trop grave, trop précieuse, pour qu’on l’accapare : elle ne nous appartient pas ; car l’une des tentations les plus subtiles est sans doute de ne pas souhaiter vraiment d’autres ouvriers à nos côtés. « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » : il ne s’agit pas d’instruire Dieu de quelque chose qu’il ne saurait pas, à savoir que nous avons besoin d’aide. Il le sait mieux que nous ! Il s’agit pour nous, en priant, de nous laisser éclairer par Lui. La prière ne vise jamais à informer Dieu : ce serait bien prétentieux de notre part ! Elle nous prépare à nous laisser transformer, nous.
Dernière tentation : la gloriole de nos réussites. « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux » : il faut croire que, de tout temps, le vedettariat guette les disciples : les véritables apôtres ne sont peut-être pas forcément les plus célèbres.
On peut penser que les soixante-douze disciples ont surmonté toutes ces tentations puisque, à leur retour, Jésus pourra leur dire : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. » Jésus qui entreprend sa dernière marche vers Jérusalem puise là certainement un grand réconfort ; puisque aussitôt après Luc nous dit « A l’instant même, il exulta sous l’inspiration de l’Esprit-Saint et dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. »

EVANGILE SELON SAINT LUC, LETTRE DE SAINT PAUL AUX GALATES, PREMIER LIVRE DES ROIS

Dimanche 30 juin 2019 : lectures et commentaires

Dimanche 30 juin 2019.

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 30 juin 2019

13éme dimanche du Temps Ordinaire

Ière lecture

Psaume

2ème lecture

Psaume

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EMIERE LECTURE – premier livre des Rois 19,16b.19-21

En ces jours-là, Le SEIGNEUR avait dit au prophète Elie :
16 « Tu consacreras Elisée, fils de Shafate,
comme prophète pour te succéder. »

19 Elie s’en alla.
Il trouva Elisée, fils de Shafate, en train de labourer.
Il avait à labourer douze arpents,
et il en était au douzième.
Elie passa près de lui et jeta vers lui son manteau.
20 Alors Elisée quitta ses bœufs , courut derrière Elie,
et lui dit :
« Laisse-moi embrasser mon père et ma mère,
puis je te suivrai. »
Elie répondit :
« Va-t’en, retourne là-bas !
Je n’ai rien fait. »
21 Alors Elisée s’en retourna ;
mais il prit la paire de bœufs  pour les immoler,
les fit cuire avec le bois de l’attelage,
et les donna à manger aux gens.
Puis il se leva, partit à la suite d’Elie
et se mit à son service.

Elie et Elisée sont deux très grands prophètes de l’Ancien Testament : leur prédication nous est rapportée par les deux livres des Rois ; quelques mots d’abord sur ces livres des Rois pour nous replonger dans le contexte : ils font partie de ce que nous appelons les « livres historiques » et cette classification risque de nous tromper un peu ; en apparence, effectivement, ce sont des livres d’histoire : sur cinq siècles, du dixième au sixième siècles avant J.C., ils décrivent deux histoires parallèles, deux dynasties, celle du Nord et celle du Sud, puisque, dès la mort de Salomon, en 933, le territoire a été divisé en deux royaumes distincts ; le royaume du Nord garde le nom d’Israël, le royaume du Sud s’appellera Juda.
Mais, en réalité, les livres des Rois ne sont pas des manuels d’histoire comme on en écrirait aujourd’hui, avec un souci de rigueur et d’objectivité : visiblement, les auteurs ont sélectionné leurs matériaux avec des intentions bien précises pour que nous retenions la leçon, ce que nous appelons la « morale de l’histoire ». Leur but est toujours d’ordre théologique ; la grande leçon sous-jacente à tout cet ensemble est simple : seule, la fidélité à l’Alliance proposée par Dieu peut assurer le bonheur du peuple élu. Et, si ces livres y insistent tant, c’est que ce rappel n’est pas superflu ! Précisément, sur toute la période de la royauté dans les deux royaumes d’Israël et de Juda, les auteurs n’ont que trop d’occasions de rapporter les infidélités du peuple mal guidé par ses rois, l’idolâtrie permanente, mais aussi les malheurs incessants : guerres, rivalités, injustices criantes. Et ceci explique cela : respecter les commandements de Dieu, c’est semer la paix et la justice. A l’inverse, oublier Dieu, c’est oublier sa Loi, rechercher le pouvoir et l’argent, mentir, voler, tuer… Et, inexorablement, semer l’injustice et la haine, donc la violence… Et, malheureusement, pendant toute cette période, l’exemple vient de haut.
Les deux prophètes Elie et Elisée, qui se succèdent au neuvième siècle, se font donc les champions de la fidélité au Dieu unique et ils consacrent leur vie et toutes leurs énergies (et Dieu sait qu’ils n’en manquent pas !) à ramener le peuple au seul vrai Dieu. Ce dimanche, nous lisons le récit de la vocation d’Elisée : « Le SEIGNEUR avait dit au prophète Elie : Tu consacreras Elisée, fils de Shafate, comme prophète pour te succéder ». L’intention du texte est claire : il s’agit d’affirmer que c’est Dieu lui-même qui a choisi Elisée, et Elie ne fait que lui transmettre l’appel de Dieu. Il s’agit de bien montrer que, par choix de Dieu, Elisée est le digne successeur d’Elie, son fils spirituel.
Elisée était en train de labourer : première remarque, c’est au sein de sa vie quotidienne que l’appel retentit. Jusqu’ici, il était agriculteur ; quand on fait la liste des personnages bibliques, on constate qu’ils sont recrutés dans des milieux et des métiers très divers. Et que l’appel de Dieu retentit quand on ne s’y attend pas, au milieu des occupations quotidiennes. Moïse, David et Amos gardaient leurs moutons, Gédéon battait le blé, Samuel dormait en pleine nuit, Saül rentrait des champs derrière ses bœufs  ; même chose pour les appelés du Nouveau Testament : Matthieu était à sa table de douane, et les premiers disciples étaient à la pêche.
Le texte continue : « Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième » : toujours, dans la Bible, ce chiffre douze est signe de plénitude, d’accomplissement parfait ; Elisée en est au douzième arpent : il a donc fini sa tâche ; son ancienne mission, son ancienne vie est terminée ; une nouvelle vie commence. « Elie passa près de lui et lui jeta son manteau » : il faut croire que ce geste était très parlant puisqu’Elisée a tout de suite compris ce qu’Elie voulait dire ; en jetant son manteau sur les épaules d’Elisée, Elie l’invitait à participer à sa mission. Alors Elisée quitte ses bœufs  et court derrière Elie pour lui dire : « Laisse-moi seulement le temps de faire mes adieux chez moi et je te suivrai ». Il a donc très bien compris l’appel mais il prend le temps d’accomplir ce qu’il considère comme son devoir : embrasser son père et sa mère, manger une dernière fois avec eux.
Elie répond : « Va-t’en, retourne là-bas ! Je n’ai rien fait ». Cette phrase d’Elie nous surprend peut-être et certains y voient un geste d’humeur. Mais, en fait Elie n’a pas repris son manteau : on sait bien que les dons de Dieu sont sans repentance. Elie rappelle seulement à Elisée qu’il est libre ; en même temps il veut lui faire comprendre que cette vocation, s’il l’accepte, implique un choix radical, une rupture : il lui faut se tourner résolument vers l’avenir, tout quitter.
Là encore, le texte est étonnant de sobriété : quelques mots seulement, des gestes qui parlent, et visiblement les deux interlocuteurs se sont parfaitement compris ! C’est en toute liberté qu’Elisée retourne faire ses adieux ; et son geste est très significatif : il tue les deux bœufs  de son attelage, brûle l’attelage lui-même pour faire cuire les bœufs  et fait un repas d’adieu pour toute la maison. Geste définitif : désormais, plus rien ne le retient, il ne possède plus rien, il est totalement libre pour se mettre au service d’Elie pour la mission que Dieu voudra. C’est bien une rupture définitive, radicale avec son ancienne vie. La mission à laquelle il est appelé exige cette radicalité ; mais sans violence pour sa famille et ses proches ; il prend le temps de leur dire adieu.
Plus tard, quand Elie sera enlevé au ciel, Elisée ramassera son manteau. Il sera alors « habillé » en quelque sorte de la mission d’Elie : Saint Paul a repris exactement cette symbolique du vêtement pour parler du Baptême et nous faire comprendre que nous participons à notre tour à la mission du Christ : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ».

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PSAUME – 15 (16),1-2a.5,7-8,9-10,2b.11

1 Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
2a J’ai dit au SEIGNEUR : « Tu es mon Dieu !
5 SEIGNEUR, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille :
même la nuit, mon cœur  m’avertit.
8 Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ;
il est à ma droite, je suis inébranlable.

9 Mon cœur  exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
10 tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

2b Je n’ai pas d’autre bonheur que toi.
11 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
A ta droite, éternité de délices !

L’expression « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » est une allusion au statut très particulier des lévites : au moment du partage de la Palestine entre les tribus des descendants de Jacob, (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n’avaient pas reçu de territoire : leur part c’était la Maison de Dieu, le service de Dieu… Leur vie tout entière était consacrée au culte et ils n’avaient donc aucune source de revenus ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier de l’Eglise » de l’époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice.
Et d’ailleurs, un autre verset de ce psaume que nous ne lisons pas ce dimanche fait également allusion au statut un peu spécial des lévites : « La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage » ; c’est l’origine du fameux « negro spiritual » : « Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , Tu es mon héritage, En Toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, Toi, mon seul partage » qui n’est autre que ce psaume 15/16.
Autres allusions aux lévites, les phrases « Même la nuit mon cœur  m’avertit », ou encore « Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche » car ils gardaient le Temple de Jérusalem jour et nuit, à tour de rôle.
On voit bien comment ce statut spécial, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une métaphore du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations. Mais si on le redit avec tant d’insistance, c’est parce que ce n’est pas si simple ! Etre conscient du privilège de l’élection d’Israël est une chose : en vivre au jour le jour toutes les exigences en est une autre. Le peuple choisi par Dieu a dû faire des choix et résister à de multiples tentations pour rester fidèle à l’Alliance. Si Elie et Elisée se sont tant battus, c’est bien parce que la fidélité au Dieu d’Israël n’allait pas de soi. Rappelez-vous la guerre implacable d’Elie contre le culte des Baals.
Peut-être, pour comprendre la gravité du problème, faut-il nous remettre dans la mentalité de l’époque : pour nous, aujourd’hui, c’est une évidence que Dieu est Unique ; mais que ce soit au temps de Moïse, ou même au temps d’Elie et Elisée, personne, même en Israël, n’envisage un Dieu Unique : on ne peut pas encore parler de « monothéisme ». Au contraire, on s’imagine que chaque territoire est gouverné par des dieux qui protègent ses habitants. Dans cette optique, lorsqu’on émigre, il est normal de changer de religion. Par exemple, lorsque le peuple a pris pied sur la terre de Canaan, il a été tenté de servir les dieux que révéraient les Cananéens, les Baals. Ceux-ci n’étaient-ils pas les maîtres des lieux ?
Plus tard, lorsque les fils d’Israël ont été déportés à Babylone, ils ont été tentés de prier les dieux des Mésopotamiens. La victoire de ces derniers n’était-elle pas la preuve de leur supériorité ?
D’autre part, sur le plan politique, on pratique des alliances avec les rois voisins ; ces alliances prennent la forme de mariages, bien souvent, avec des princesses étrangères ; dans leur corbeille de noces, elles apportent leurs statues, leurs pratiques et dans leur suite, il peut y avoir des prêtres et des prophètes des Baals ; c’est l’histoire d’Achab, roi d’Israël, épousant Jézabel, fille du roi de Sidon.
Depuis l’Alliance du Sinaï, pendant l’Exode, tout culte de cet ordre est interdit au peuple conduit par Moïse. Car le Dieu d’Israël n’est pas attaché à un territoire mais à un peuple qu’il accompagne à chaque instant de son histoire et en chacun de ses déplacements, y compris en Canaan et plus tard jusqu’à Babylone. Ce Dieu d’Israël est très exigeant : il promet à son peuple liberté et bonheur, mais en contrepartie, il donne une loi qui interdit tout autre culte, toute image de divinité, toute statue.
Dans une première étape de la révélation, les prophètes ne partent pas en guerre contre les dieux des pays voisins, mais ils mènent une lutte acharnée pour qu’Israël reste fidèle à son Dieu à lui. Le psaume 15/16 traduit ce combat parfois terrible de la fidélité à la vraie foi qui a été le lot d’Israël depuis le début. Il résonne comme une résolution : « J’ai dit au SEIGNEUR : Tu es mon Dieu ! SEIGNEUR, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort… Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ; il est à ma droite, je suis inébranlable. » Sous-entendu : nous n’irons pas chercher du secours ailleurs. Nos prières n’iront qu’à lui : « Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge. »
En contrepartie, on se rappelle les promesses de Dieu, ses bénédictions ; car on sait bien que les exigences de Dieu sont celles de l’amour. Si Dieu a donné cette loi contraignante, c’est parce qu’elle est le chemin du bonheur et de la vraie liberté. Cela, on ne l’a jamais oublié : « Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi.
Je reprends la phrase : « Tu m’apprends le chemin de la vie ». Cela veut dire que le peuple élu est assuré de survivre à toutes les vicissitudes de son histoire, parce que Dieu le lui a promis, tout simplement. C’est le sens des derniers versets : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption… Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »
C’est le peuple qui parle comme toujours dans les psaumes. Il n’est pas question, ici, de résurrection individuelle : quand ce psaume a été composé, elle était absolument inconcevable. On sait que la foi en la résurrection est née très tardivement en Israël, seulement vers 165 av. J.-C. Le premier sens de ces versets concerne donc l’ensemble du peuple que Dieu ne laissera jamais s’éteindre. Bien sûr, aujourd’hui, après des siècles encore de Révélation et surtout depuis la Résurrection de Jésus-Christ, nous pouvons redire ces derniers versets dans le sens d’une affirmation pleine d’allégresse et d’espérance pour chacun de nous : « Tu ne peux m’abandonner à la mort… Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »
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Complément
Le véritable « monothéisme » est donc une conquête tardive de la Révélation. On découvrira alors que le Dieu d’Israël est aussi celui des autres peuples : c’est le sens du livre de Jonas, par exemple ; mais au début, c’était inconcevable. En attendant, en ce qui concerne Israël, on parle de « monolâtrie » ou « d’hénothéisme » (« enos » en grec signifie « un »).

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EUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul apôtre aux Galates 5, 1.13-18

Frères,
1 c’est pour que nous soyons libres
que le Christ nous a libérés.
Alors tenez bon,
ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage.
13 Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté.
Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte
pour votre égoïsme ;
au contraire, mettez-vous, par amour,
au service les uns des autres.
14 Car toute la Loi est accomplie
dans l’unique parole que voici :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
15 Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres,
prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres.
16 Je vous le dis :
marchez sous la conduite de l’Esprit-Saint,
et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair.
17 Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit,
et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair.
En effet, il y a là un affrontement
qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez.
18 Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit,
vous n’êtes pas soumis à la Loi.

Pour comprendre la première et la dernière phrase du texte d’aujourd’hui : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés »… « Si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi », il faut connaître le contexte.
Lorsque Paul écrit cette lettre aux Galates, la communauté chrétienne est en pleine querelle. Je m’explique : certains membres sont d’origine juive, d’autres sont d’anciens païens convertis. Toute la question est de savoir si des païens, des non-juifs peuvent devenir chrétiens : ne devrait-on pas leur imposer d’abord la circoncision et toutes les pratiques juives ?
Ceci par souci de fidélité au plan de Dieu : il a choisi le peuple juif pour être son ambassadeur dans le monde et Jésus lui-même et tous ses apôtres étaient juifs. Donc, il faut peut-être ne baptiser que des Juifs ? On sait que cette querelle a traversé toutes les premières communautés chrétiennes. Elle a été tranchée à ce qui ressembla à un premier Concile vers l’an 50.
Mais, visiblement, lorsque Paul écrit aux Galates, la querelle n’est pas calmée. Paul entreprend donc de répondre : pour lui, lorsque des païens veulent recevoir le Baptême, leur imposer au préalable d’adhérer au Judaïsme, ce serait faire d’eux les esclaves d’une loi désormais dépassée. La loi juive fut une pédagogie de Dieu pour préparer son peuple à accueillir le Messie. Depuis la venue du Christ, on est entrés dans une deuxième étape de l’histoire humaine : tout homme, juif ou non juif, peut être baptisé et devenir membre du Corps du Christ.
Ce premier développement de la réponse de Paul, nous ne l’avons pas lu aujourd’hui : ce que nous avons lu, c’est la deuxième partie du développement de Paul. Il y aborde un deuxième aspect de la question. Il y rappelle que la liberté apportée par le Christ, ce n’est pas seulement une affaire de pratiques rituelles, c’est plus encore une affaire de comportement. Un homme libre peut parfaitement se conduire comme un esclave : esclave de soi-même et de son égoïsme par exemple.
Si nous avions un papier et un crayon, nous pourrions, comme souvent chez Paul, écrire son texte en deux colonnes : d’un côté, la colonne de la liberté, de l’autre côté, la colonne de l’esclavage ; du côté « esclavage », on écrirait « satisfaire votre égoïsme »… Du côté « liberté », il y a « mettez-vous par amour au service les uns des autres »…
On est un peu surpris quand même que l’égoïsme soit du côté de l’esclavage et que le service des autres soit du côté de la liberté …! Parfois, nous sommes tentés de penser l’inverse ; quand quelqu’un nous demande un service, il nous arrive de nous dire qu’il nous prend pour son esclave… et, à l’inverse, nous avons bien l’impression d’être enfin libres quand nous pouvons ne penser qu’à nous ! Mais si j’en crois Paul, la vraie liberté n’est pas ce qu’on croit ! Car le service, pour Paul, héritier de l’Ancien Testament, est un choix d’homme libre, un choix résolu comme le choix du Serviteur d’Isaïe, comme celui du Christ. Les quatre évangélistes ont noté l’insistance de Jésus sur ce point : « Ma vie, on ne me la prend pas, c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18)… « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir… (Mc 10, 45).
Saint Paul sait bien que ce n’est pas si simple puisqu’il parle de notre liberté tantôt comme d’une réalité, « le Christ nous a libérés… (donc c’est fait, c’est acquis)… tantôt comme d’un idéal, une vocation, un appel : « vous avez été appelés à la liberté… »
Paul n’hésite pas à utiliser des images fortes pour fustiger l’égoïsme : « Si vous vous mordez les uns les autres et vous dévorez les uns les autres, vous allez vous détruire vous-mêmes ». Pourquoi ? Parce que nous sommes faits pour aimer et que nous ne nous construisons nous-mêmes que dans l’amour. Paul nous représente nos vies concrètes comme un lieu d’affrontement permanent entre deux manières de vivre ; il nous dit : « Ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage ». Ce « Tenez bon ! » est valable pour toute notre vie : il n’y a pas parmi nous ceux qui, une fois pour toutes, sont passés du côté de la liberté et ceux qui se conduisent encore comme des esclaves ; chacun de nous doit sans cesse refaire ce passage ; un passage qui n’est jamais acquis une fois pour toutes ; avant que l’esprit de service soit devenu pour nous comme une seconde nature, il faut bien de longues années d’apprentissage ! Comprenons bien les expressions de Paul : la vie égoïste, c’est ce que Paul appelle « vivre selon la chair » (selon notre pente naturelle, si vous préférez) et la vie de service, c’est ce qu’il appelle « vivre selon l’esprit » (sous-entendu l’Esprit de Dieu, l’Esprit d’amour). Et cela, depuis la résurrection du Christ et la Pentecôte, nous en sommes devenus capables.
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Compléments
– Les quatre évangélistes, tout au long de la Passion, s’ingénient à nous montrer que le Christ condamné, maltraité, enchaîné est pleinement libre alors que ses bourreaux sont le jouet de leur aveuglement, donc finalement esclaves, d’une certaine manière.
– « Vous n’êtes plus sujets de la Loi » : on perçoit ici le contexte d’affrontements récurrents dans les communautés chrétiennes du premier siècle, certains Chrétiens d’origine juive voulant imposer l’ensemble des pratiques juives aux Chrétiens d’origine païenne.

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EVANGILE selon Saint Luc 9, 51-62

51 Comme s’accomplissait le temps
où il allait être enlevé au ciel,
Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem.
52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ;
ceux-ci se mirent en route
et entrèrent dans un village de Samaritains
pour préparer sa venue.
53 Mais on refusa de le recevoir,
parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
54 Voyant cela,
les disciples Jacques et Jean dirent :
« Seigneur, veux-tu que nous ordonnions
qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? »
55 Mais Jésus, se retournant, les réprimanda.
56 Puis ils partirent pour un autre village.
57 En cours de route, un homme dit à Jésus :
« Je te suivrai partout où tu iras. »
58 Jésus lui déclara :
« Les renards ont des terriers,
les oiseaux du ciel ont des nids ;
mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
59 Il dit à un autre :
« Suis-moi. »
L’homme répondit :
« Seigneur, permets-moi d’aller d’abord
enterrer mon père. »
60 Mais Jésus répliqua :
« Laisse les morts enterrer leurs morts.
Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
61 Un autre encore lui dit :
« Je te suivrai, Seigneur ;
mais laisse-moi d’abord faire mes adieux
aux gens de ma maison. »
Jésus lui répondit :
62 « Quiconque met la main à la charrue,
puis regarde en arrière,
n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »

« Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem » ; notre traduction dit « le visage déterminé », en fait, si l’on suit le texte grec, il faut traduire : « il durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem ». Or Luc n’a pas choisi ces mots par hasard car cette expression « il durcit sa face » est un rappel du troisième chant du Serviteur (Is 50, 7) : face à la persécution, le Serviteur dont parle Isaïe dit « Je ne me suis pas dérobé… j’ai rendu mon visage dur comme pierre, je sais que je ne serai pas confondu ». « Dur comme pierre » veut dire la détermination parce qu’il sait que Dieu ne l’abandonnera pas. « Dieu ne peut m’abandonner à la mort, dit le psaume 15/16 (psaume de ce dimanche), ni laisser son ami voir la corruption ». A un moment ou à un autre, Jésus a eu à prendre la décision de ne pas se dérober, comme dit Isaïe. On peut donc lire ce récit de Luc comme la présentation du véritable serviteur de Dieu.
Son attitude en Samarie, par exemple, est révélatrice : un village refuse de les accueillir pour la simple raison qu’ils ont annoncé leur intention de se rendre à Jérusalem ; (on connaît l’hostilité qui règne depuis des siècles entre les Samaritains et les habitants de Jérusalem). Et les disciples, alors, ont le réflexe de vouloir infliger un châtiment sévère à ce village : ils se souviennent du prophète Elie appelant le feu du ciel sur d’autres hérétiques, les prophètes de Baal. Ils ont devant eux plus grand qu’Elie ; et donc le feu du ciel leur paraît tout indiqué. Mais justement, parce qu’il est plus grand qu’Elie, parce qu’il est l’amour même, Jésus ne peut envisager des solutions de violence et de pouvoir. Voilà ce qu’est le serviteur de Dieu.
Suivent les trois rencontres qui nous valent trois phrases particulièrement exigeantes de Jésus : exigeantes pour lui d’abord ; ces trois phrases dévoilent le combat qu’il mène lui-même. Première rencontre : « Un homme lui dit : je te suivrai partout où tu iras. Il lui répond : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête ». Là on est devant une énorme contradiction : le Fils de l’homme, c’est dans le livre de Daniel un personnage glorieux qui vient sur les nuées du ciel et à qui Dieu donne la royauté universelle ; Jésus s’attribue ce titre qui dit déjà sa victoire ; et en même temps il mène cette vie humble, pauvre, voire rejetée comme ici par les habitants de ce village de Samarie ; aujourd’hui on le traiterait de « Sans domicile fixe » ! On retrouve ici un écho des Tentations au désert : l’Ecriture annonce déjà sa victoire mais sa vie terrestre se déroule sous le signe de la pauvreté et de l’humilité.
Deuxième rencontre : celle qui nous vaut l’une des phrases les plus surprenantes ! Il dit à quelqu’un « Suis-moi » et l’homme répond « Permets-moi d’abord d’aller enterrer mon père ». Et Jésus reprend : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le Règne de Dieu ». Pour lui, habituellement respectueux de la loi juive, cette phrase est scandaleuse ; le respect des parents et en particulier l’ensevelissement est très important dans la loi juive. Peut-être Jésus trahit-il ici les choix terribles qu’il a dû faire pour son propre compte ; annoncer le royaume de vie a exigé de lui une détermination sans faille. Or, sur les trois hommes dont on nous parle, celui-ci est le seul qui ne se propose pas lui-même : c’est Jésus qui l’appelle. S’il l’appelle, c’est par amour et il l’appelle à aimer ; tout amour exige des renoncements terribles ; Jésus le sait d’expérience. En même temps, sa phrase est libératrice, en quelque sorte, elle nous déculpabilise : lorsque deux devoirs nous paraissent contradictoires, le critère de choix devra être l’accomplissement de la mission. Lorsque celle-ci l’exige, il ne faut pas se sentir coupables de devoir manquer à d’autres obligations.
Enfin, troisième rencontre : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Cette dernière phrase nous fait penser à l’histoire d’Elisée : lui aussi voulait bien suivre le prophète Elie, mais auparavant, il voulait faire ses adieux à sa famille. Elie l’avait laissé faire, mais il lui avait fait comprendre qu’ensuite il lui faudrait savoir rompre les amarres, s’engager sans retour. Le cas ici est un peu semblable : un auditeur bien intentionné, voudrait bien suivre Jésus, mais il demande un délai. Et Jésus lui dit cette phrase un peu terrible « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu »… On trouve dans la littérature antique des maximes de ce genre : par exemple, l’auteur romain Pline dit que pour tracer correctement un sillon, il ne faut pas se détourner. Jésus radicalise ce proverbe ; là encore il nous fait une confidence, il avoue les renoncements sans retour que sa mission a exigés à tout instant : n’oublions pas que ceci se passe au moment où il vient de prendre résolument la route de Jérusalem, c’est-à-dire de la Passion et de la Croix : du confort de la maison familiale de Nazareth à la montée à Jérusalem, Jésus a vécu dans sa chair de multiples arrachements.