ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DE L'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 120

Dimanche 16 octobre 2022 : 29ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 16 octobre 2022 :

29ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de l’Exode 17, 8-13

En ces jours-là,
le peuple d’Israël marchait à travers le désert.
8 Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim.
9 Moïse dit alors à Josué :
« Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites.
Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline,
le bâton de Dieu à la main. »
10 Josué fit ce que Moïse avait dit :
il mena le combat contre les Amalécites.
Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline.
11 Quand Moïse tenait la main levée,
Israël était le plus fort.
Quand il la laissait retomber,
Amalec était le plus fort.
12 Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ;
on prit une pierre, on la plaça derrière lui,
et il s’assit dessus.
Aaron et Hour lui soutenaient les mains,
l’un d’un côté, l’autre de l’autre.
Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes
jusqu’au coucher du soleil.
13 Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.

L’EPREUVE DE LA FOI
Les Amalécites étaient des tribus qui vivaient dans le désert du Négev : la Bible les cite de nombreuses fois, tout au long de l’histoire de l’installation du peuple élu en Palestine, et toujours comme des opposants à la pénétration des tribus israélites ; et leurs descendants seront encore de farouches ennemis au temps des rois Saül et David. Si bien que le nom même d’Amaleq est devenu le type de l’ennemi héréditaire.
Rien d’étonnant quand on sait que Amaleq lui-même, le père de la tribu, serait le petit-fils d’Esaü, le frère jumeau et rival de Jacob. La rivalité entre Jacob et Esaü1 (qu’on appelle aussi Edom) s’est reportée sur leurs descendants et, de génération en génération, en Israël, on se transmet la haine des Edomites, et surtout de ceux qui sont considérés comme les pires de tous, les Amalécites.
Voici donc, dès le livre de l’Exode, les Amalécites qui se présentent comme les premiers adversaires du peuple élu dans le désert. L’auteur ne donne pas beaucoup de détails sur cette première bataille : il dit simplement « Le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et l’attaquèrent à Rephidim. » Mais le livre du Deutéronome apporte quelques indications complémentaires : « Souviens-toi de ce que t’a fait subir Amalec, sur la route, quand vous êtes sortis d’Égypte. Il t’a rejoint sur la route et a massacré tous ceux qui traînaient à l’arrière, alors que tu étais fourbu, exténué. Il n’a pas craint Dieu ! » (Dt 25,17-18) traduisez : les Amalécites sont arrivés par surprise et se sont attaqués à ceux qui avaient le plus de mal à suivre. Alors Moïse dit à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites ». C’est donc une histoire de légitime défense. Nous n’aurons pas d’autres détails sur le déroulement du combat ou les mouvements de troupes ; en revanche, le récit se concentre sur la relation entre le peuple et son Dieu à l’occasion de cette première bataille : c’est l’épreuve du feu, mais c’est surtout l’épreuve de la foi d’Israël. Il va combattre pour survivre, mais son Dieu sera avec lui.
Nous sommes à Rephidim : au fait, ce nom, nous le connaissons déjà, car dans les versets qui précèdent ce passage, c’est le fameux épisode de Massa et Meriba ; nous en avons reparlé tout récemment à l’occasion du psaume 94/95. Massa et Meriba, cela se passait justement à Rephidim et le surnom Massa et Meriba (qui veut dire contestation et querelle) signifie que, là, le peuple a gravement douté de Dieu. Et, désormais, quand on sera tenté de douter de la protection de Dieu, on se souviendra de Massa et Meriba : « Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa, dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ». (Ps 94/95,7-8).
Massa et Meriba, c’était l’épreuve de la soif, une épreuve si dure que le peuple a été jusqu’à penser que Dieu l’avait abandonné… mais non, et l’eau a coulé du rocher, et le peuple a retrouvé confiance en son Dieu. Cette fois, et toujours à Rephidim, le voici affronté à l’attaque des Amalécites. Il va falloir lutter pour sa survie. Et aussitôt Moïse ne doute pas que Dieu viendra à son secours pour le délivrer.
LES MAINS LEVEES VERS LE CIEL
Il dit à Josué : « Moi, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main ». Et c’est ce bâton, en quelque sorte, qui tient le premier rôle dans ce récit. Ce bâton n’est pas magique par lui-même, mais il rend visible l’œuvre  de Dieu. C’est par lui que Moïse a accompli des quantités de prodiges aux yeux du Pharaon et de la cour d’Egypte, qu’il a écarté les eaux de la Mer des Joncs, qu’il a fait couler l’eau du rocher, à Massa et Meriba, justement. Encore une fois, ce bâton n’est pas magique par lui-même, la preuve, c’est que Moïse se met en prière, mais ce bâton levé est devenu un symbole : il rappelle à tous que c’est Dieu qui agit. Si la bataille est à peine décrite, si le bâton est au centre du récit, c’est précisément pour bien montrer où est l’essentiel.
L’essentiel, c’est la présence de Dieu qui accompagne son peuple, comme il l’avait promis dès le début en révélant son nom à Moïse, ce fameux nom qui dit la présence de Dieu. Le texte est très sobre et en même temps très suggestif. Moïse, Aaron et Hour sont au sommet de la colline, pendant que le peuple se bat sous la direction de Josué dans la plaine. Josué se bat de toute son âme, et Moïse prie de toute son âme. Le combattant et le priant se complètent. Si Moïse abandonne son poste de prière, Josué perd ses moyens. On ne peut pas dire plus clairement que c’est Dieu qui agit, mais qu’il y faut notre participation. Les mains levées de Moïse sont le symbole de toute la prière humaine. Elles disent la confiance, la certitude du croyant que son Dieu ne l’abandonne jamais. Récemment, nous l’avons lu dans la lettre à Timothée, Paul disait : « Je recommande que partout les hommes prient les mains levées vers le ciel… » C’est Dieu qui agit : ces mains levées le disent bien puisqu’elles restent immobiles et qu’elles semblent renvoyer la responsabilité vers le ciel ; mais en même temps, elles sont levées : le croyant ne baisse pas les bras ; les mains du combattant, les mains levées du priant sont notre petite participation à l’œuvre  de Dieu.
Mais il arrive que le priant, exténué, physiquement ou moralement, n’ait plus la force de « lever les mains » vers le ciel : alors il est bon de trouver des frères pour soutenir nos mains défaillantes ; normalement, c’est le rôle de nos communautés.
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Note
1 – On se souvient des deux fils d’Isaac, les frères jumeaux et en même temps rivaux Esaü et Jacob ; Esaü aurait dû être l’héritier des promesses divines, mais Jacob avait réussi à tromper son père aveugle en se faisant passer pour son frère et avait usurpé la place.
Complément
– De tout temps, de hommes et des femmes ont consacré leur vie à la prière ; ce texte vient nous révéler que la prière n’est pas passivité ou inaction ; bien au contraire, mystérieusement, la prière de quelques-uns est source de force pour tous. Elle est un rappel vivant de la Présence de Dieu sans cesse agissant au milieu de nous.

PSAUME – 120 (121)

1 Je lève les yeux vers les montagnes :
D’où le secours me viendra-t-il ?
2 Le secours me viendra du SEIGNEUR
qui a fait le ciel et la terre.

3 Qu’il empêche ton pied de glisser,
qu’il ne dorme pas, ton gardien.
4 Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
le gardien d’Israël.

5 Le SEIGNEUR, ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage,
se tient près de toi.
6 Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
ni la lune, durant la nuit.

7 Le SEIGNEUR te gardera de tout mal,
il gardera ta vie.
8 Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour,
maintenant, à jamais.

LA LONGUE MARCHE D’ISRAEL
On sait que les psaumes sont avant tout la prière du peuple d’Israël tout entier, ce peuple en marche vers son Dieu depuis l’aube de son histoire. Lorsque le psaume dit « JE », il faut entendre le NOUS » collectif du peuple élu. Cette longue marche était vécue de manière plus intense encore à l’occasion des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Ils faisaient partie des commandements de Dieu et représentaient un temps fort pour tous les participants, c’est-à-dire normalement tous les hommes en bonne santé. Les femmes et les enfants suivaient s’ils le pouvaient.
Quinze psaumes ont été composés spécialement pour accompagner cette démarche : ce sont les psaumes 119 à 133 dans la liturgie, c’est-à-dire 120 à 134 dans nos Bibles. On les appelait les « Psaumes des montées » car le verbe « monter » était le mot consacré pour parler des pèlerinages ; pour deux raisons au moins : tout simplement, d’abord, parce que Jérusalem est sur la hauteur, ensuite sur un plan symbolique, parce que la démarche du pèlerinage représente, pour le croyant, une réelle montée spirituelle.
Ces quinze psaumes ont donc des points communs : ils comparent tous l’histoire du peuple d’Israël à un long pèlerinage. Pour cette raison, on y entend de nombreuses allusions à la réalité concrète du pèlerinage : la fatigue et la prière du pèlerin, la soif d’arriver, l’amour du Temple, l’amour de Jérusalem. Et surtout la joie profonde, la confiance qui habitent le peuple croyant.
Notre psaume d’aujourd’hui est donc l’un de ceux-là : un pèlerin prend le chemin de Jérusalem : il a déjà le cœur  et les yeux tournés vers la colline du Temple (« je lève les yeux vers les montagnes »), mais il sait que ce long chemin vers Jérusalem est semé d’embûches de toutes sortes ; les pistes ne sont pas nos routes goudronnées d’aujourd’hui, elles sont parfois glissantes ou pierreuses, le pied peut glisser ; on peut aussi affronter de bien plus grands dangers : les bêtes sauvages ou, plus redoutables encore, les bandes de brigands. Si Jésus a pu situer dans ce décor la parabole du Bon Samaritain, c’est-à-dire l’histoire d’un homme dépouillé et roué de coups par des bandits, c’est que cela arrivait régulièrement. « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie » : ceux qui restent au pays rassurent celui qui prend la route.
LE SEIGNEUR TE GARDERA, AU DEPART, COMME AU RETOUR
Un autre danger, que nous imaginons mal ici, c’est le soleil pendant le jour, la lune pendant la nuit. En plein jour, il faut marcher des heures sous le soleil brûlant ; la nuit, si on dort à la belle étoile, les rayons de lune sont nocifs. Là encore, on encourage le pèlerin : « Le SEIGNEUR, ton gardien, ton ombrage, se tient près de toi. Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper, ni la lune, durant la nuit ». Tous ces dangers, il faudra les affronter tout autant au retour qu’à l’aller : mais « Le SEIGNEUR te gardera, au départ, comme au retour ». On peut compter sur lui, car il est le maître du monde : c’est lui et lui seul qui a fait le ciel et la terre. « Le secours me vient du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre » : dans ce verset, il y a une pointe contre les faux dieux ; ils ne sont que statues inertes de bois ou de pierre ; ils ne peuvent rien pour l’homme. Ils dorment d’un sommeil éternel, puisqu’ils ne sont que des objets façonnés de main d’homme. Tandis que, lui, le SEIGNEUR, veille sans cesse : « Non, il ne dort pas, il ne sommeille pas, le gardien d’Israël ».
Quand il prend la route de Jérusalem, le croyant se met en marche vers son Dieu et vers lui seul : il se détourne résolument des idoles. C’est cela qu’on appelle la conversion.
On voit bien comment cette comparaison du peuple à un groupe de pèlerins est suggestive. Chaque jour, depuis des millénaires, Israël, comme un pèlerin, prend la route en décidant de placer sa confiance résolument en Dieu seul : « Je lève les yeux, vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? »… « Le secours me viendra du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre. » Ce n’est pas un hasard si Dieu est appelé dans ce psaume « le gardien d’Israël ». Car ce peuple a reçu la Révélation du Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, et a fait l’expérience de sa présence. Le nom même de Dieu, le fameux nom en quatre lettres, (YHVH) dit justement que Dieu est sans cesse présent à son peuple. Une présence très intime, inséparable qui est exprimée très fortement en hébreu. Notre traduction dit « Le SEIGNEUR ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage, se tient près de toi » : en hébreu, près de toi est dit « à ta main droite » et André Chouraqui commentait : « le SEIGNEUR est uni à toi comme tu l’es à ton être même ».
On se rappelle la colonne qui accompagnait la marche du peuple dans le désert ; colonne de nuée pendant le jour, pour abriter du soleil, colonne de feu pendant la nuit pour guider la marche.
Jésus-Christ, à son tour, a pu chanter ce psaume en toute vérité. Alors qu’il prenait résolument le chemin de Jérusalem, comme dit Saint Luc, il se répétait : « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie. Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour, maintenant, à jamais. » Depuis le matin de Pâques, ce retour dont parle le psaume, nous l’appelons « Résurrection ».

DEUXIEME LECTURE – deuxième lettre de Saint Paul à Timothée 3, 14 – 4, 2

Bien-aimé,
3,14 demeure ferme dans ce que tu as appris :
de cela tu as acquis la certitude,
sachant bien de qui tu l’as appris.
3,15 Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures :
elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse,
en vue du salut par la foi
que nous avons en Jésus Christ.
3,16 Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ;
elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal,
redresser, éduquer dans la justice ;
3,17 grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli,
équipé pour faire toute sorte de bien.

4,1 Devant Dieu,
et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts,
je t’en conjure,
au nom de sa Manifestation et de son Règne :
4,2 proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps,
dénonce le mal,
fais des reproches, encourage,
toujours avec patience et souci d’instruire.

L’ECRITURE, NOTRE SOURCE
Dimanche dernier, nous lisions dans la deuxième lettre à Timothée une Hymne en l’honneur du Christ : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ».  Aujourd’hui, on pourrait dire que nous lisons une hymne en l’honneur de l’Ecriture. Entendons-nous bien, ce que Saint Paul appelle l’Ecriture, c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Plusieurs fois, déjà, dans les lettres à Timothée, nous avons deviné un conflit persistant dans la communauté d’Ephèse où se trouve Timothée ; et c’est même à cause de ce conflit que Paul avait demandé à Timothée de rester à Ephèse ; il faut pouvoir compter sur de fidèles gardiens de la Parole.
Les premières lignes du texte d’aujourd’hui, « Demeure ferme dans ce que tu as appris » sous-entendent que d’autres ne sont pas restés fidèles à l’enseignement reçu et qu’ils fourvoient les autres. Si bien qu’on peut résumer ce passage en trois phrases : premièrement, il faut se ressourcer dans l’Ecriture. Deuxièmement, il faut proclamer la Parole. Troisièmement, cette proclamation doit se faire dans le souci d’édifier la communauté.
Premièrement, il faut se ressourcer dans l’Ecriture, au vrai sens du mot « ressourcer » : l’Ecriture est pour nous une source. L’expression « Demeure dans ce que tu as appris » dit bien que la foi n’est pas un objet qu’on possède mais un milieu vital, une « demeure » au sens de Saint Jean. Timothée a puisé dans cette source de l’Ecriture depuis son enfance : son père était grec et païen, mais sa mère, Eunice, et sa grand-mère maternelle, Loïs, étaient Juives : elles l’ont introduit dans l’Ancien Testament ; et quand sa mère s’est convertie au Christianisme, elle n’a pas cessé bien sûr de fréquenter l’Ecriture. D’autres maîtres encore ont initié Timothée, et Paul insiste sur cet aspect communautaire de l’accès à l’Ecriture. On ne découvre pas l’Ecriture tout seul mais en Eglise. Une fois de plus, nous retrouvons chez Paul le thème de la transmission de la foi, ce qu’on appelle en théologie la « Tradition » : tradere, en latin, veut dire « transmettre » : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis » (sous-entendu je n’ai rien inventé) dit Paul dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 11,23) ; l’apôtre est un envoyé au service d’une Parole qui n’est pas la sienne. Dans la foi, aucun de nous n’est un fondateur, un innovateur, nous sommes les maillons d’une chaîne. Evidemment, il est vital que cette transmission soit fidèle. Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul a dit à Timothée : « Ce que tu m’as entendu dire en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes dignes de foi qui seront capables de l’enseigner aux autres, à leur tour. » (2 Tm 2,2).
OSER PROCLAMER LA PAROLE
Je reviens à notre texte ; La phrase suivante est très importante : Paul affirme : « Les Saintes Ecritures ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. » : il veut dire par là que l’Ancien Testament mène tout droit à Jésus-Christ. Pour Paul, comme pour les premiers apôtres, recrutés par Jésus parmi les Juifs, c’était une évidence. On se souvient qu’au cours de son procès à Jérusalem, Paul soutenait que c’était précisément parce qu’il était Juif qu’il était devenu Chrétien.
Paul continue : « Toute l’Ecriture est inspirée par Dieu » ; avant d’être un dogme affirmé par l’Eglise, cette phrase était donc déjà la foi d’Israël. Ce qui explique le respect dont sont entourés depuis toujours les Livres sacrés dans toutes les synagogues. « Grâce à elle (l’Ecriture), l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien. » Voilà donc l’équipement du Chrétien : l’Ecriture dans la fidélité à l’enseignement reçu : « Demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. »  L’équipement du Chrétien, c’est donc l’Ecriture ET la tradition pour être capable de transmettre à son tour.
Pour transmettre, et c’est le deuxième conseil de Paul à Timothée, il faut oser proclamer la Parole ; voilà la première peut-être même la seule tâche d’un responsable d’Eglise. L’enjeu est grave et Paul emploie une formule presque étonnante : « Devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa manifestation et de son règne : proclame la Parole… »
Une fois de plus, Paul fait référence à la manifestation du Christ, et à son Règne : l’accomplissement du projet de Dieu est vraiment l’horizon que Paul ne quitte jamais des yeux. Et d’ailleurs en grec, Paul dit « Proclame le Logos », le mot qui, chez Jean, désigne le Verbe, Jésus lui-même. Traduisez, si nous prenons au sérieux la Manifestation et le Règne du Christ, nous devons inlassablement proclamer la Parole. Toute la vie de Paul, depuis sa conversion, a été consacrée à cette tâche : « Annoncer l’Evangile est une nécessité qui s’impose à moi : malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile ! » (1 Co 9,16).
Mais il faut du courage pour proclamer la Parole, il faut accepter d’être mal reçu : « Interviens à temps et à contre-temps, dénonce le mal ; fais des reproches, encourage » ; c’est-à-dire n’hésite pas à juger ce que tu vois… Il termine en disant dans quel climat on doit le faire (et c’est le troisième point) : avec patience et souci d’instruire. Là encore nous retrouvons une insistance toujours présente chez Paul, le souci de ce qui édifie la communauté ; c’est la seule chose qui compte.

EVANGILE – selon Saint Luc 18, 1-8

En ce temps-là,
1 Jésus disait à ses disciples une parabole
sur la nécessité pour eux
de toujours prier sans se décourager :
2 « Il y avait dans une ville
un juge qui ne craignait pas Dieu
et ne respectait pas les hommes.
3 Dans cette même ville,
il y avait une veuve qui venait lui demander :
‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’
4 Longtemps il refusa ;
puis il se dit :
‘Même si je ne crains pas Dieu
et ne respecte personne,
comme cette veuve commence à m’ennuyer,
5 je vais lui rendre justice
pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ »
6 Le Seigneur ajouta :
« Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus,
qui crient vers lui jour et nuit ?
Les fait-il attendre ?
8 Je vous le déclare :
bien vite, il leur fera justice.
Cependant, le Fils de l’homme,
quand il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

QUAND LE FILS DE L’HOMME VIENDRA
Tout ceci se passe dans une ambiance qu’on pourrait qualifier de fin du monde ! Luc nous a dit un peu plus haut que Jésus est sur le « chemin de Jérusalem » : il marche vers sa Passion, sa mort et sa Résurrection ; les disciples ne savent pas très bien ce qui va se passer à Jérusalem, mais ils pressentent un dénouement tragique et mystérieux. Peu de temps auparavant, ils ont imploré Jésus « Augmente en nous la foi », ce qui traduisait bien leur détresse. Et juste avant cette parabole d’aujourd’hui, Jésus a parlé longuement de la venue du Fils de l’homme.
Le Fils de l’homme, c’est celui qu’on attend justement pour la fin du monde ; on connaît l’origine de cette expression : dans le livre de Daniel (au chapitre 7), le prophète raconte qu’il a eu la vision d’un homme (qu’il appelle un « fils d’homme ») qui vient sur les nuées du ciel ; il est admis près du trône de Dieu et il reçoit la royauté sur toute la création ; une royauté éternelle et universelle. Daniel précise que ce « fils d’homme » est en réalité un être collectif, un peuple qu’il appelle « le peuple des Saints du Très-Haut ». Les lecteurs de Daniel ont compris que cette vision se réalisera à la fin du monde. Dieu règnera enfin sur toute la création et le Fils de l’homme règnera avec lui.
Jésus se présente souvent dans les évangiles comme le Fils de l’homme ; cela intrigue forcément ses interlocuteurs qui savent que le Fils de l’homme est un être collectif, le peuple des Saints du Très-Haut, enfin installé dans la gloire de Dieu ; ils ne savent peut-être pas quoi penser quand Jésus parle ainsi, mais ils entendent ce message de victoire définitive. Or, depuis qu’il a annoncé ouvertement sa Passion, Jésus multiplie l’usage de cette expression, le Fils de l’homme, toujours en parlant de lui, comme pour les rassurer sur l’issue des événements. Ce qui prouve au passage qu’ils avaient bien besoin d’être rassurés.
On est donc dans une atmosphère de fin du monde ; d’ailleurs le thème du jugement (« Dieu fera justice à ses élus ») est bien dans la même note ; maintenant, si nous allons regarder, dans l’évangile de Luc, le contexte de cette parabole, nous trouvons l’évangile de la guérison des dix lépreux que nous avions lu dimanche dernier : la guérison des dix était le signe que le Règne de Dieu était déjà commencé ; en même temps, les disciples avaient touché du doigt le mystère du salut rejeté par ceux auxquels il était offert en premier (ici les neuf lépreux qui n’avaient pas reconnu le Christ) : le mystère de la Croix se profilait déjà à l’horizon ; mais la conversion du Samaritain (le seul lépreux revenu se prosterner devant Jésus) préfigurait l’entrée de tous, même des païens, dans ce royaume.
Les Pharisiens ont fort bien compris tous ces enjeux puisque, aussitôt après la guérison des dix lépreux, ils ont demandé à Jésus quand donc viendrait le Royaume de Dieu, et Jésus a répondu par tout un discours sur la venue du Fils de l’homme.
TOUJOURS PRIER SANS SE DECOURAGER
Et voilà que Jésus a quitté ce ton grave pour raconter ce qui semble à première vue une petite histoire : l’histoire de cette veuve qui poursuit le juge de ses réclamations jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle attend ;  et pourtant elle aurait toutes les raisons de se décourager : sa cause semble bien perdue d’avance, puisqu’elle a eu la malchance de tomber sur un juge qui se moque éperdument de la justice. Mais elle s’obstine parce que sa cause est juste, elle n’en doute pas un instant. C’est elle que Jésus nous donne en exemple ; l’exemple de l’humilité d’abord : si elle importune le juge, c’est parce qu’elle est dans le besoin ; la première condition pour participer au Royaume de Dieu, c’est de reconnaître notre pauvreté ; on retrouve là la première béatitude : « Heureux, vous  les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Luc 6) ; l’exemple de la persévérance ensuite : dans notre attente du Royaume, à nous d’être aussi tenaces que cette veuve obstinée. Notre cause est encore plus juste que celle de la veuve puisque c’est la cause même de Dieu.
Le rapprochement avec la première lecture de ce dimanche est très suggestif : dans la plaine Josué livrait un combat difficile contre les Amalécites qui avaient attaqué le peuple par surprise ; pendant ce temps, au sommet de la colline, Moïse, obstinément priait, sûr d’obtenir le secours de Dieu ; et soutenu par ses aides, il  avait tenu bon jusqu’au coucher du soleil. La force de Moïse était dans sa certitude que Dieu voulait le salut de son peuple.
Des siècles plus tard, les premiers Chrétiens affrontés à des difficultés et des persécutions trouvent le Royaume bien long à venir ; ils sont tentés par le découragement ; eux aussi doivent se souvenir que Dieu veut leur salut. Luc leur rappelle cette parabole dans laquelle Jésus avait fait l’éloge de l’obstination.
Croire, c’est refuser de baisser les bras ; et la dernière phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » est une mise en garde, valable pour tous les Chrétiens de tous les temps : ‘Attention, si vous n’êtes pas vigilants, vous aurez cessé de croire’.
Les Chrétiens, ceux du temps du Christ, comme ceux d’aujourd’hui, sont donc invités à ‘ne pas baisser les bras’. Jésus sait bien que, dès le matin de sa Résurrection, ce premier matin de la venue du Fils de l’homme et jusqu’à sa venue totale et définitive, la foi sera toujours un combat, une épreuve d’endurance. Il ne manquera pas d’oiseaux de malheur pour semer le doute, il ne manquera pas de maîtres du soupçon. Cette attente du Royaume paraît tellement interminable… Dieu est-il vraiment au milieu de nous ? L’exemple de cette pauvre veuve vient à point nommé : nous sommes aussi démunis qu’elle ; tâchons d’être aussi obstinés.
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Complément
– Luc écrirait-il à une communauté menacée par le découragement ? On pourrait le croire, à entendre la dernière phrase « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Curieuse phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra », c’est une affirmation, une certitude ; mais la deuxième partie de la phrase « trouvera-t-il la foi sur la terre ? » qui semble a priori bien pessimiste est en fait une mise en garde, un appel à la vigilance. Il est clair en tout cas que ce texte est une leçon sur la foi : puisque la dernière phrase pose cette question sur la foi et que la première phrase dit justement en quoi consiste la foi : « Il faut toujours prier sans se décourager ». On a donc là une inclusion ; et entre les deux, l’exemple qui nous est proposé est celui d’une veuve traitée injustement, mais qui ne lâche pas prise.

ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE DE MARC, FETE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST, LETTRE AUX HEBREUX, LIVRE DE L'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 115

Dimanche 6 juin 2021 : Fête du Corps et du Sang du Christ : lectures et commentaires

Dimanche 6 juin 2021 : Fête du Corps et du Sang du Christ

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Exode 24,3-8

En ces jours-là,
3 Moïse vint rapporter au peuple
toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes ses ordonnances.
Tout le peuple répondit d’une seule voix :
« Toutes ces paroles que le SEIGNEUR a dites,
nous les mettrons en pratique. »
4 Moïse écrivit toutes les paroles du SEIGNEUR.
Il se leva de bon matin et il bâtit un autel au pied de la montagne,
et il dressa douze pierres pour les douze tribus d’Israël.
5 Puis il chargea quelques jeunes garçons parmi les fils d’Israël
d’offrir des holocaustes,
et d’immoler au SEIGNEUR des taureaux
en sacrifice de paix.
6 Moïse prit la moitié du sang et la mit dans des coupes ;
puis il aspergea l’autel avec le reste du sang.
7 Il prit le livre de l’Alliance et en fit la lecture au peuple.
Celui-ci répondit :
« Tout ce que le SEIGNEUR a dit,
nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. »
8 Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit :
« Voici le sang de l’Alliance
que, sur la base de toutes ces paroles,
le SEIGNEUR a conclue avec vous. »

 

L’ALLIANCE CONCLUE AU SINAI
Il y en a des choses surprenantes dans ce texte ! Ces usages bien loin des nôtres, d’abord, et puis l’insistance sur le sang, avec une expression que nous connaissons très bien, évidemment, « le sang de l’Alliance ».

Mais, si les usages qui sont rapportés ici nous surprennent, n’oublions pas que Moïse a vécu vers 1250 av. J.C. Ces coutumes sont donc vieilles de trois mille ans et même plus, car Moïse ne les a pas inventées ; elles étaient courantes dans beaucoup d’autres peuples à cette époque. Elles subsistent d’ailleurs encore aujourd’hui, au vingt-et-unième siècle, dans certains peuples dont l’histoire a évolué moins vite. Le texte biblique nous décrit ici le cérémonial habituellement utilisé pour un contrat d’Alliance entre deux peuples jusque-là ennemis. Mais, cette fois, les contractants sont Dieu lui-même… et un tout petit peuple.
Et, surtout, ce qui est intéressant, c’est de voir comment Moïse a repris un rite habituel mais en lui donnant un sens tout-à-fait neuf ! Si on y regarde bien, les deux réalités, le rite ancien, d’une part, le nouveau sens donné par Moïse, d’autre part, sont imbriquées dans ce texte de manière extrêmement serrée : ce qui vient de la tradition ancienne, ce sont les usages des pierres dressées, de l’immolation des animaux, de l’aspersion du sang sur un autel qui représente la divinité et également de l’aspersion de sang sur le peuple. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la notion même d’Alliance proposée par Dieu, c’est le don de la Loi par Dieu, et enfin, l’engagement du peuple d’obéir à cette loi.
Il suffit de relire le texte dans l’ordre pour voir à quel point tous ces éléments sont imbriqués :
« En descendant du Sinaï, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et tous ses commandements. Le peuple répondit d’une seule voix : Toutes ces paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique.  Moïse écrivit toutes les paroles du SEIGNEUR… »
Le récit commence donc par le plus important, la parole de Dieu. Quand les descendants de Moïse, des siècles plus tard, relisent ce passage, ils comprennent tout de suite le message : ce n’est pas le sacrifice en lui-même qui compte ; le plus important c’est l’Alliance, la fidélité à la Parole de Dieu.

Puis le récit décrit les rites du sacrifice lui-même : l’autel au pied de la montagne, les douze pierres qui représentent les douze tribus d’Israël, c’est-à-dire l’ensemble du peuple. Le mot « peuple » revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans le texte ; car c’est bien avec un peuple et non avec un individu ou même des individus que l’Alliance est conclue ! Les douze pierres dressées signifient que le peuple entier est concerné et que son unité se fera autour de cette Alliance. Là encore, il y a un message pour les futurs lecteurs : il a peut-être été bien utile, parfois, de rappeler aux douze tribus ce qui les unissait et depuis si longtemps, puisque cela remonte au tout début de la sortie d’Egypte.
Quelques jeunes gens sacrifient les taureaux : soit dit en passant, cette fonction n’est donc pas encore réservée aux prêtres. Puis c’est le rite du sang : tout d’abord, Moïse asperge l’autel qui représente Dieu, et aussitôt il reprend le livre de l’Alliance et il lit au peuple les paroles de Dieu et le peuple s’engage à obéir.
« Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. »

LE SACRIFICE, GESTE D’ALLIANCE
Enfin, Moïse asperge le peuple : ce rite du sang signifie que l’Alliance devient « vitale » pour les contractants ; manière de dire que désormais, le nouveau lien ainsi créé entre Dieu et le peuple l’est « à la vie à la mort ». Et aussitôt, Moïse rappelle que ceci n’a de sens que référé à l’Alliance que Dieu vient de sceller avec son peuple : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le SEIGNEUR a conclue avec vous. » Ce qui est premier, donc, ce n’est pas le sacrifice pour le sacrifice, c’est l’Alliance, formulée dans cette Parole de Dieu.

Pour le dire autrement, le sacrifice n’est jamais un but en soi : il ne vaut que par l’engagement d’amour et de fidélité qu’il instaure et couronne entre Dieu et son peuple.
Avec Moïse, une étape essentielle est donc franchie : le sacrifice n’est plus un rite magique, il est tissé de la parole d’un engagement réciproque, il devient mystère de foi.
Mais la confiance ne naît pas toute seule : l’amour filial ne peut naître qu’en réponse à un amour paternel ;
Moïse précise bien que c’est Dieu qui a pris l’initiative : il dit « L’Alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous » ; ce n’est pas Israël qui a essayé d’atteindre ce Dieu dont il n’avait même pas idée, c’est Dieu lui-même qui est venu le chercher, lui proposer l’Alliance et se révéler peu à peu comme le Dieu qui libère et qui fait vivre. Une des grandes particularités de la foi du peuple juif est d’avoir compris que toute l’initiative vient de Dieu ; tout ce que fait l’homme, prière, sacrifice, offrande ne vient qu’en réponse à l’amour de Dieu qui est premier.
Alors le peuple peut s’engager sur la voie de l’obéissance (« Tout ce que Dieu a dit, nous y obéirons ») parce qu’il a fait l’expérience très concrète de l’œuvre  de Dieu en sa faveur. Le don de la loi se situe par hypothèse après la sortie d’Egypte, donc après la libération de l’esclavage. Le peuple est devenu un peuple libre grâce à l’initiative de Dieu ; il peut donc désormais croire que l’obéissance qui lui est demandée maintenant s’inscrit en droite ligne de cette œuvre  de libération. C’est ce que Saint-Paul appelle « l’obéissance de la foi », c’est-à-dire la confiance tout simplement.
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Complément
« Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. » (verset 7). Ne nous y trompons pas, ce n’est pas à Dieu que notre obéissance profite. Si Dieu nous donne des commandements, c’est parce que nous ne pouvons pas trouver notre bonheur hors d’un certain mode de vie. Quand nous désobéissons aux commandements, c’est à nous que nous faisons du mal, c’est notre propre malheur que nous construisons. Notre faute à l’égard de Dieu, c’est de ne pas lui faire confiance pour diriger notre vie. Quand l’enfant se brûle au feu que nous lui avions interdit d’approcher, c’est lui qui est brûlé. A notre égard, sa seule faute est de n’avoir pas écouté, par orgueil ou manque de confiance en nous.

 

PSAUME – 115 (116),12-13.15-16ac.17-18

12 Comment rendrai-je au SEIGNEUR
tout le bien qu’il m’a fait ?
13 J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du SEIGNEUR.

15 Il en coûte au SEIGNEUR
de voir mourir les siens !
16 Ne suis-je pas, SEIGNEUR, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

17 Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du SEIGNEUR.
18 Je tiendrai mes promesses au SEIGNEUR,
oui, devant tout son peuple.

EN SOUVENIR DE LA LIBERATION D’EGYPTE
Nous retrouvons dans ce psaume tous les éléments importants de la première lecture de cette fête du Corps et du Sang du Christ : en tout premier, l’œuvre  libératrice de Dieu, puis la reconnaissance par les croyants de cette initiative de Dieu, et enfin l’engagement d’obéissance. « Moi dont tu brisas les chaînes », voilà l’œuvre  de Dieu ; et on sait bien à quelles chaînes le psalmiste pense : il s’agit d’abord de la libération d’Egypte ; chaque année, spécialement au moment de la Pâque, les descendants de ceux qui furent esclaves en Egypte revivent les grandes étapes de leur libération : la vocation de Moïse, ses multiples tentatives pour obtenir de Pharaon la permission de partir, sans avoir toute l’armée à leurs trousses, l’obstination du roi… et les interventions répétées de Dieu pour encourager Moïse à persévérer malgré tout dans son entreprise. Pour finir, le peuple a pu s’enfuir et survivre miraculeusement alors que l’endurcissement du Pharaon a causé sa perte.
Quand on chante ce psaume, des siècles plus tard, au Temple de Jérusalem, cette étape de la sortie d’Egypte est franchie depuis longtemps, mais elle n’est qu’une étape justement ; on sait bien qu’il ne suffit pas d’avoir quitté l’Egypte pour être vraiment un peuple libre ; que d’esclavages individuels ou collectifs sévissent encore à la surface de la terre ! Esclavage de la pauvreté, voire de la misère sous tant de formes ; esclavage de la maladie et de la déchéance physique ; esclavage de l’idéologie, du racisme, de la domination sous toutes ses formes… L’Egypte de la Bible a pris au long des siècles et prend encore aujourd’hui quantité de visages sous toutes les latitudes : mais on sait aussi que, inlassablement, Dieu soutient nos efforts pour briser nos chaînes.
Car l’histoire humaine qui nous donne, hélas, mille exemples d’esclavages, nous montre aussi (et c’est magnifique) la soif de liberté qui est inscrite au plus profond du cœur  de l’homme, et qui résiste à toutes les tentatives pour l’étouffer. Cette soif de liberté, les croyants savent bien qui l’a insufflée dans l’homme ; ils l’appellent l’Esprit. Notre psaume sait « qu’il en coûte au SEIGNEUR de voir mourir les siens ! » et qu’il lui en coûte tellement qu’Il est à l’origine de tous les combats pour la vie et pour la liberté de tout homme, quel qu’il soit.

LE LIBRE CHOIX DU SERVICE
A ce Dieu qui a fait ses preuves, si l’on peut dire, on peut faire confiance. Ce n’est pas lui qui nous enchaînera, il est bien trop jaloux de notre liberté ! Et, alors, librement, on se met à sa suite, on l’écoute : « Ne suis-je pas, SEIGNEUR, ton serviteur, moi dont tu brisas les chaînes ? » ; le mot « serviteur » ici, peut s’entendre plutôt comme disciple. Dans la Bible, il ne s’agit pas de « servir » Dieu dans le sens où il aurait besoin de serviteurs…
Cela est valable pour les idoles, les dieux que l’homme s’est inventés : curieusement, quand nous imaginons des dieux, nous croyons qu’ils ont besoin de notre encens, de nos louanges, de nos compliments, de nos services.
Au contraire, le Dieu d’Israël, le Dieu libérateur n’a nul besoin d’esclaves à ses pieds, il nous demande seulement d’être ses disciples parce que lui seul peut nous faire avancer sur le difficile chemin de la liberté. Et l’expérience d’Israël, comme la nôtre, montre que dès qu’on cesse de se laisser mener par ce Dieu-là et par sa parole, on retombe très vite dans quantité de pièges, de déviations, de fausses pistes.
C’est pour cela que le psaume affirme si fort : « J’invoquerai le nom du SEIGNEUR » : résolution affirmée deux fois en quelques versets ; c’est une véritable résolution, effectivement, celle de ne pas invoquer d’autres dieux, donc de tourner le dos définitivement à l’idolâtrie. « J’invoquerai le nom du SEIGNEUR », cela revient à dire « je m’engage à ne pas en invoquer d’autre ! » Et on sait que les prophètes ont dû lutter pendant de nombreux siècles contre l’idolâtrie.
Il faut dire que la fidélité à cette résolution exigeait une grande confiance en Dieu, mais aussi bien souvent un immense courage face au polythéisme des peuples voisins. Pendant la domination grecque sur la Palestine, par exemple, et ceci se passe très tardivement dans la Bible, peu avant la venue du Christ, les Juifs ont dû affronter l’effroyable persécution d’Antiochus IV Epiphane : rester fidèle à la promesse contenue dans cette phrase « J’invoquerai le nom du SEIGNEUR » revenait à signer son propre arrêt de mort.
Cette résolution « J’invoquerai le nom du SEIGNEUR » est associée à des rites : « J’élèverai la coupe du salut »… « Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce. » Nous retrouvons ici, comme dans le livre de l’Exode que nous lisons en première lecture, la transformation radicale apportée par Moïse : désormais, les gestes du culte ne sont plus des rites magiques, ils sont l’expression de l’Alliance, reconnaissance de l’œuvre  de Dieu pour l’homme. La coupe s’appelle désormais « coupe du salut » ; le sacrifice, désormais, est toujours sacrifice d’action de grâce parce que l’attitude croyante n’est que reconnaissance.
Enfin, ce psaume 115/116 fait partie d’un petit ensemble qu’on appelle les psaumes du Hallel, qui sont une sorte de grand Alleluia, et qui étaient chantés lors des trois grandes fêtes annuelles, la Pâque, la Pentecôte et la fête des Tentes.
Lors de sa dernière Pâque à Jérusalem, Jésus lui-même a donc chanté ces psaumes du Hallel et en particulier notre psaume d’aujourd’hui, le soir du Jeudi Saint, alors qu’avec ses disciples, il venait d’élever une dernière fois la coupe du salut, alors qu’il allait offrir sa propre vie en sacrifice d’action de grâce : du coup, pour nous, ce psaume devient encore plus parlant ; nous savons que c’est Jésus-Christ qui délivre définitivement l’humanité de ses chaînes. A sa suite, et même avec lui, nous pouvons chanter : « Comment rendrai-je au SEIGNEUR tout le bien qu’il m’a fait ? ».

 

DEUXIEME LECTURE – lettre aux Hébreux 9,11-15

Frères,
11 le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir.
Par la tente plus grande et plus parfaite,
celle qui n’est pas œuvre de mains humaines
et n’appartient pas à cette création,
12 il est entré une fois pour toutes
dans le sanctuaire,
en répandant, non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux,
mais son propre sang.
De cette manière, il a obtenu une libération définitive.
13 S’il est vrai qu’une simple aspersion
avec le sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse,
sanctifie ceux qui sont souillés,
leur rendant la pureté de la chair,
14 le sang du Christ fait bien davantage,
car le Christ, poussé par l’Esprit éternel,
s’est offert lui-même à Dieu
comme une victime sans défaut ;
son sang purifiera donc notre conscience
des actes qui mènent à la mort
pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant.
15 Voilà pourquoi il est le médiateur d’une Alliance nouvelle,
d’un testament nouveau :
puisque sa mort a permis le rachat des transgressions
commises sous le premier Testament,
ceux qui sont appelés
peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis.

DE L’ANCIEN AU NOUVEAU TESTAMENT
La lettre aux Hébreux s’adresse à des Chrétiens qui connaissent parfaitement bien la religion juive et l’Ancien Testament ; c’est d’ailleurs ce qui la rend un peu difficile pour nous parce qu’elle parle abondamment de tous les rites juifs que nous ne connaissons pas toujours très bien ! Ici, par exemple, il est question de prêtre, de temple, de sacrifice, de victime, de sang versé : tous ces mots appartiennent à l’Ancien Testament : nous les connaissons, nous les utilisons, nous aussi, en Christianisme, mais nous serions parfois bien en peine de dire quelles réalités ils recouvrent, pour les Juifs, d’une part, pour les Chrétiens, de l’autre, et s’il s’agit bien de la même chose !
L’objectif clairement avoué de la lettre aux Hébreux est de nous dire : les mots sont ceux de l’Ancien Testament mais la réalité qu’ils recouvrent est totalement nouvelle : parce que, avant Jésus-Christ, on était dans le régime de la première Alliance, alors que, désormais, nous sommes dans le régime de la Nouvelle Alliance.
Nous avons déjà eu souvent l’occasion de déchiffrer au long de l’histoire biblique un changement radical d’orientation, de compréhension, une conversion du sens de certains mots (la crainte de Dieu par exemple) ou de certains gestes : rappelons-nous l’évolution des sacrifices. Tout récemment, nous avons vu comment a évolué la foi au Dieu unique jusqu’à ce qu’on puisse enfin entendre la Révélation du Dieu-Trinité.
En lisant la lettre aux Hébreux, il est plus que jamais indispensable de se rappeler que Dieu a déployé auprès de son peuple une pédagogie très lente, très patiente ; au départ, quand Dieu a choisi les Hébreux pour en faire son peuple, ils avaient une religion semblable à celle de leurs voisins, inspirée par une certaine idée de Dieu : au fur et à mesure que Dieu se révélait à eux tel qu’il est et non tel qu’on se l’imaginait, inévitablement, l’attitude de l’homme changeait ; les gestes religieux étaient épurés, convertis, transformés.
Avec la venue du Christ, sa vie terrestre, sa Passion, sa mort et sa Résurrection, tout ce qui a précédé est considéré par les Chrétiens comme une étape nécessaire, mais révolue ; et donc, c’est volontairement que l’auteur de la lettre aux Hébreux accumule les références aux usages de l’Ancien Testament pour annoncer haut et fort qu’ils sont caducs.
Mais, pour comprendre le nouveau sens des mots, il faut refaire le chemin qu’ont fait les hommes de l’Ancien Testament, comprendre quelle logique animait tout le culte juif avant Jésus-Christ. Au départ, tout reposait sur l’idée d’un Dieu lointain, tout-puissant, qui tenait entre ses mains le sort de l’humanité. Tout-Autre que l’homme, il demeurait dans des horizons inaccessibles : aucun homme ne pouvait l’atteindre, ni même l’apercevoir : pour l’atteindre, il aurait presque fallu n’être plus un homme ; or il fallait bien l’atteindre pour qu’il entende les prières des hommes et qu’il répande sur eux tous les bienfaits dont lui seul avait le secret.

UN SACERDOCE NOUVEAU
De là est née l’institution du sacerdoce : certains hommes étaient mis à part, séparés des autres, pour être réservés (on disait « consacrés ») au rôle d’intermédiaires entre Dieu et le reste du peuple. Pour accéder au domaine de Dieu, le domaine du « sacré », il leur fallait quitter définitivement le domaine des autres hommes, qu’on appelait le domaine profane. Concrètement, c’était la tribu des lévites qui avait été mise à part, de façon définitive, et, à l’intérieur de cette tribu, une famille précise était consacrée de manière particulière. Pris dans cette famille, le prêtre devait encore être consacré par des rites précis (bains rituels, onction, aspersion, sacrifices de consécration) ; il portait des vêtements spéciaux et il devait observer des règles de pureté très sévères pour être en permanence maintenu dans la sphère du sacré. Il y avait donc tout un système de séparations successives entre les hommes du sacré et le peuple.
Le prêtre ne pouvait pas non plus entrer en contact avec Dieu n’importe où, n’importe comment : d’où l’institution du Temple, et l’organisation extrêmement précise du culte. Le Temple étant le lieu du sacré, il ne pouvait être question d’y laisser pénétrer des profanes ; ce qui explique la série d’enceintes successives à l’intérieur du Temple de Jérusalem, qui reproduisait le même système de séparations que dans la société : seuls les prêtres pouvaient entrer dans le domaine de Dieu, et seul le grand prêtre pouvait accéder jusqu’au Saint des Saints, là où réside la Présence de Dieu. Toutes ces précautions prises, que faire pour être sûr d’entrer en contact avec Dieu, pour offrir à ce Maître de la Vie un présent digne de lui ? On n’a rien trouvé de mieux que de lui offrir un être vivant, dont le sang répandu est le symbole de la vie qui circulait en lui. Le Dieu d’Israël a fait savoir dès le début qu’il ne voulait à aucun prix de sacrifice humain, mais il n’a pas refusé tout de suite les sacrifices d’animaux : une pédagogie ne peut se faire que par étapes.
Jésus est venu faire franchir à l’humanité le pas décisif : parce que Dieu est tout proche de l’homme, tout l’ancien système de séparation des prêtres devient caduc ; Jésus n’est pas de la tribu de Lévi, ce n’est plus nécessaire ; plus besoin de temple non plus, puisque le lieu de rencontre entre Dieu et l’homme c’est le Dieu fait homme ; plus besoin de sacrifices sanglants : le Dieu de la Vie nous demande de consacrer notre vie à servir nos frères, ce que Jésus a fait et nous donne désormais la force de faire.

 

EVANGILE – selon Saint Marc 14,12-16.22-26

12 Le premier jour de la fête des pains sans levain,
où l’on immolait l’agneau pascal,
les disciples de Jésus lui disent :
« Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs
pour que tu manges la Pâque ? »
13 Il envoie deux de ses disciples en leur disant :
« Allez à la ville ;
un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre.
Suivez-le,
14 et là où il entrera, dites au propriétaire :
Le Maître te fait dire : Où est la salle
où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?
15 Il vous indiquera, à l’étage,
une grande pièce aménagée et prête pour un repas.
Faites-y pour nous les préparatifs. »
16 Les disciples partirent, allèrent à la ville ;
ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit,
et ils préparèrent la Pâque.
22 Pendant le repas,
Jésus, ayant pris du pain,
et prononcé la bénédiction, le rompit,
le leur donna,  et dit :
« Prenez, ceci est mon Corps. »
23 Puis, ayant pris une coupe,
et ayant rendu grâce, il la leur donna,
et ils en burent tous.
24 Et il leur dit :
« Ceci est mon Sang,
le sang de l’Alliance,
versé pour la multitude.
25 Amen, je vous le dis :
je ne boirai plus du fruit de la vigne,
jusqu’au jour où je le boirai, nouveau,
dans le royaume de Dieu. »
26 Après avoir chanté les Psaumes,
ils partirent pour le mont des Oliviers.

LA PAQUE JUIVE
On imagine bien dans quelle ambiance Jésus a célébré ce dernier repas : dans tout Jérusalem, on préparait la Pâque ; d’innombrables agneaux étaient égorgés au Temple pour être ensuite partagés en famille ; dans les maisons, c’était le premier jour de la fête des pains sans levain (on disait des « azymes »), les femmes débarrassaient méticuleusement la maison de toute trace du levain de l’année écoulée pour accueillir le levain nouveau, huit jours plus tard.
Depuis des siècles, ces deux rites commémoraient la libération d’Egypte, au temps de Moïse : ce jour-là, Dieu était « passé » parmi son peuple pour en faire un peuple libre ; puis, au Sinaï, il avait fait Alliance avec ce peuple et le peuple s’était engagé dans cette Alliance, « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous y obéirons » (nous l’avons entendu dans la première lecture) parce qu’il faisait confiance à la Parole du Dieu libérateur ; et le psaume 115/116 répétait en écho « Je suis, SEIGNEUR, ton serviteur, moi dont tu brisas les chaînes ».
Désormais, pour toutes les générations suivantes, célébrer la Pâque, c’était entrer à son tour dans cette Alliance, vivre d’une manière nouvelle, débarrassée des vieux ferments, libérée de toute chaîne. Car faire mémoire, ce n’est pas seulement égrener des souvenirs, c’est vivre aujourd’hui de l’œuvre  inlassable de Dieu qui fait de nous des hommes libres.
Il est clair, dans cet évangile, que Jésus a choisi d’inscrire ses derniers instants dans cette perspective-là, perspective d’Alliance, perspective de vie libérée : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude. » Ce soir-là, il ne fait aucun doute pour personne qu’il parle de sa mort et de son sang qui va être répandu ; mais voilà qu’il donne à sa mort le sens d’un Sacrifice d’Alliance avec Dieu, dans la ligne de celui de Moïse au Sinaï. Le problème, c’est qu’il ne pouvait être question pour aucun Juif, même pas pour les disciples, d’envisager le moins du monde la Passion du Christ comme un sacrifice : Jésus n’est pas prêtre, il n’est pas de la tribu de Lévi, et surtout son exécution s’est déroulée hors du Temple, hors même des murs de Jérusalem ; or seul un prêtre pouvait offrir des sacrifices à Dieu et ce ne pouvait être que dans le Temple de Jérusalem. Enfin, et c’est beaucoup plus grave, il n’était pas possible en Israël d’envisager la mort d’un homme comme un sacrifice susceptible de plaire à Dieu : il y avait des siècles qu’on savait cela. Ceux qui ont exécuté Jésus n’ont jamais eu l’intention d’accomplir un sacrifice : ils ont cru se débarrasser purement et simplement d’un mauvais Juif qui, à leurs yeux, troublait la vie et la religion du peuple d’Israël.

UN SACRIFICE NOUVEAU POUR UNE ALLIANCE NOUVELLE
Pourtant, c’est clair, Jésus, lui, donne à sa mort le sens d’un sacrifice, le sacrifice de l’Alliance nouvelle : mais en donnant désormais un tout autre sens au mot « sacrifice ». Là, il est dans la droite ligne du prophète Osée qui avait bien dit : « Je veux la fidélité, non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6,6). A bien comprendre Osée, le vrai sens du mot « sacrifier » (sacrum facere, en latin, faire sacré) c’est tout simplement connaître Dieu et lui ressembler en faisant oeuvre de miséricorde ; les deux vont ensemble, c’est clair. Jésus est venu nous montrer jusqu’où va cette miséricorde de Dieu : elle va jusqu’à pardonner à ceux qui tuent le maître de la Vie. Désormais, ceux qui veulent bien regarder vers le Crucifié, et y reconnaître le vrai visage de Dieu, sont frères du Christ : ils connaissent, tel qu’il est vraiment, le Dieu de tendresse et de pitié, et, à leur tour, ils peuvent vivre,  dans la tendresse et la pitié. Finalement, c’est cela, être des hommes libres. Parce que nos pires chaînes sont celles que nous dressons entre nous.
Voilà la vie nouvelle à laquelle nous sommes invités et qui est symbolisée par le pain sans levain, le pain azyme : c’est la raison pour laquelle notre Eglise est restée fermement attachée à la tradition des pains azymes pour fabriquer les hosties ; quand Jésus a dit  « Ceci est mon Corps », il avait entre les mains un morceau de pain sans levain, une « matsah » : il annonçait ainsi une nouvelle manière d’être homme, pure, c’est-à-dire libre. Il nous invitait, comme dit la lettre aux Ephésiens, à « nous revêtir de l’homme nouveau, créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité. » (Ep 4,24).
Dans ce sens-là, Jésus peut bien être comparé à l’agneau pascal : non pas qu’il serait une victime égorgée pour plaire à Dieu, mais parce que le sang de l’agneau pascal signait l’Alliance entre le Dieu libérateur et son peuple ; le nouvel agneau pascal, parce qu’il dévoile enfin aux yeux des hommes le Vrai Visage de Dieu libère les hommes de toutes leurs fausses images de Dieu et alors l’Alliance est possible. C’est parce qu’il est en lui-même l’incarnation de l’Alliance qu’il peut vivre tous ces événements en homme libre « Ma vie, on ne me la prend pas, c’est moi qui la donne. »
L’acceptation libre, volontaire de sa mort, est bien le summum de la liberté ; il en a la force parce que, pas un instant, il ne doute de son Père. C’est sur ce chemin-là qu’il nous entraîne.
Désormais, pour participer aux « biens à venir » (deuxième lecture), nous accomplissons ce que Jésus nous a dit de faire « en mémoire de lui ». Ces « biens à venir », c’est l’humanité enfin rassemblée dans l’amour autour de lui au point de ne faire qu’un seul Corps ; pour être en union avec Dieu, il nous suffit désormais d’être en communion avec Jésus-Christ.
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Compléments
Voici l’une des prières qui est dite pendant le repas pascal juif : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi du monde, qui fais sortir le pain de la terre. Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi du monde, qui nous as sanctifiés par tes ordonnances, et nous ordonnas de manger le pain azyme. »
Saint Paul : « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute la pâte ? Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain. Car le Christ, notre Pâque, a été immolé. Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain, ni avec du levain de méchanceté et de perversité, mais avec des pains sans levain : dans la pureté et dans la vérité. » (1 Co 5,6-8).

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LIVRE DE L'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 18

Dimanche 7 mars 2021 : 3ème dimanche du Temps de Carême : Lectures et commentaires

 

Dimanche 7 mars 2021 :

3ème dimanche du Temps de Carême

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
 

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – livre de l’Exode 20, 1 – 17

En ces jours-là, sur le Sinaï,
1 Dieu prononça toutes les paroles que voici :
2 « Je suis le SEIGNEUR ton Dieu,
qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage.
3 Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.
4 Tu ne feras aucune idole,
aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux,
ou en-bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre.
5 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux,
pour leur rendre un culte.
Car moi, le SEIGNEUR ton Dieu, je suis un Dieu jaloux :
chez ceux qui me haïssent,
je punis la faute des pères sur les fils,
jusqu’à la troisième et la quatrième génération ;
6 mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements,
je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération.
7 Tu n’invoqueras pas en vain le nom du SEIGNEUR ton Dieu,
car le SEIGNEUR ne laissera pas impuni
celui qui invoque en vain son nom.
8 Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier.
9 Pendant six jours tu travailleras
et tu feras tout ton ouvrage ;
10 mais le septième jour est le jour du repos,
sabbat en l’honneur du SEIGNEUR ton Dieu :
tu ne feras aucun ouvrage,
ni toi, ni ton fils, ni ta fille,
ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes,
ni l’immigré qui est dans ta ville.
11 Car en six jours le SEIGNEUR a fait le ciel,
la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent,
mais il s’est reposé le septième jour.
C’est pourquoi le SEIGNEUR a béni le jour du sabbat
et l’a sanctifié.
12 Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie
sur la terre que te donne le SEIGNEUR ton Dieu.
13 Tu ne commettras pas de meurtre.
14 Tu ne commettras pas d’adultère.
15 Tu ne commettras pas de vol.
16 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ;
tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain,
ni son serviteur, ni sa servante,
ni son bœuf , ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »

 

JE SUIS LE SEIGNEUR QUI T’AI FAIT SORTIR D’EGYPTE
Nos frères juifs appellent ce texte « les Dix Paroles », et non pas « les dix commandements », car la première parole n’est pas un commandement. Or elle est la plus importante !
« Je suis le SEIGNEUR ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage. » Ce verset constitue le prologue, et les commandements suivent ; c’est ce préambule qui justifie tout le reste, qui donne sens à tout le reste. L’originalité de la Loi en Israël, ce n’est pas son contenu, c’est d’abord son fondement : la libération d’Egypte. Israël sait pour toujours que le Dieu libérateur donne la Loi comme un chemin d’apprentissage de la liberté.
Voici ce que dit le livre du Deutéronome qui est une méditation théologique a posteriori sur les événements de l’Exode et les exigences de l’Alliance avec Dieu : « C’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours. » (Dt 4,39-40).
On peut donc lire chacun des commandements comme une entreprise de libération de l’homme, de la part de Dieu, ou si vous préférez, une méthode d’apprentissage de la liberté pour l’homme. C’est le sens, pour commencer de l’interdiction de l’idolâtrie : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ». Et, tout au long de l’Ancien Testament, les prophètes, les uns après les autres, se feront les champions de la lutte contre toute idolâtrie. Et ils auront bien du mal.
Aujourd’hui encore, ils auraient bien du mal, peut-être ; parce que, finalement, la définition d’une idole, c’est ce qui nous occupe au point de faire de nous ses esclaves : ce peut être une secte, mais aussi l’argent, le sexe, une drogue ou une autre, la télévision, ou toute autre occupation qui finit par remplir le champ de nos pensées au point de nous faire oublier le reste.
« Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre » : toute image de Dieu est interdite, car toute image serait fausse ; d’autre part, on ne peut posséder Dieu ; Dieu est le Tout-Autre, l’Inaccessible. C’est par pure grâce (gratuitement) qu’il se fait proche de nous.
NE PAS RETOMBER D’UN ESCLAVAGE DANS UN AUTRE
« Tu ne te prosterneras pas devant ces images pour leur rendre un culte. Car moi, le SEIGNEUR, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. » Le vocabulaire employé est un vocabulaire amoureux. C’est donc dire cet amour passionné, exigeant de Dieu qui veut son peuple libre et heureux. Un amour qui ne supporte pas de rivaux : Dieu n’est pas jaloux de nous, mais de notre liberté ; il veut nous préserver de nous engager sur de fausses pistes.
« Chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération » ; dans la mentalité de l’époque, on ne pouvait pas concevoir un Dieu qui ne punirait pas ; mais le texte affirme déjà beaucoup plus fortement la fidélité perpétuelle promise par Dieu à ceux qui sont en train de contracter l’Alliance avec lui.
« Tu n’invoqueras pas en vain le Nom du SEIGNEUR ton Dieu » (verset 7) : Dieu a révélé son Nom à l’homme : c’est-à-dire en langage biblique « Dieu s’est fait connaître à l’homme ». Ce serait monstrueux de tenter d’utiliser ce don merveilleux pour le mal. Et comme Dieu n’a aucun contact avec le mal, ce serait se couper de Dieu, se condamner soi-même. C’est le sens de l’expression : « Car le SEIGNEUR ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom ».2
Les premiers commandements concernaient notre relation à Dieu. Viennent ensuite les commandements concernant notre relation à autrui, les parents, en premier lieu, puis tous les autres. « Honore ton père et ta mère… Tu ne porteras pas de témoignage contre ton prochain… » Car relation à Dieu et relation aux autres sont étroitement liées. Les derniers commandements sont en forme négative : simples balises pour une vie en société ; à nous d’inventer leur traduction concrète, positive, dans le quotidien. Chacun de ces commandements, à sa manière, fait œuvre  de libération pour nous-mêmes et pour les autres. En particulier, il libère notre regard : ne pas convoiter ce qui ne nous appartient pas, est bien l’un des chemins de la liberté intérieure.
————————–
Notes
1 – Le bonheur promis à ceux qui observent la Loi est l’une des grandes insistances du Deutéronome : « Et demain, quand ton fils te demandera : Pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le SEIGNEUR notre Dieu vous a prescrites ? Alors, tu diras à ton fils : Nous étions esclaves du Pharaon en Egypte, mais, d’une main forte, le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Egypte… Le SEIGNEUR nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le SEIGNEUR notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours, et qu’il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd’hui » (Dt 6,20…25).
2 – D’après André Chouraqui, ce commandement s’inscrit dans le contexte judiciaire : il s’agit de faux serment prononcé pour se disculper. Au tribunal, les serments étaient toujours prononcés au nom de Dieu : le seul fait d’accepter de prêter serment d’innocence était considéré comme une preuve de non-culpabilité ; eh bien, un coupable qui jurerait (au nom de Dieu) d’être innocent ne peut espérer être acquitté par Dieu.

 

PSAUME – 18 (19), 8-9. 10-11

8 La loi du SEIGNEUR est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du SEIGNEUR est sûre,
qui rend sages les simples.

9  Les préceptes du SEIGNEUR sont droits,
ils réjouissent le cœur  ;
le commandement du SEIGNEUR est limpide,
il clarifie le regard.

10 La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du SEIGNEUR sont justes
et vraiment équitables :

11 plus désirables que l’or,
qu’une masse d’or fin,
plus savoureuses que le miel
qui coule des rayons.

 

LA LOI, CADEAU DU SEIGNEUR
On est toujours étonnés de découvrir à quel point le peuple d’Israël aime la Loi parce qu’il la considère comme un cadeau de Dieu, le SEIGNEUR du Sinaï, Celui qui a révélé son Nom à Moïse, Celui qui a choisi ce peuple parmi tous les peuples de la terre, et l’a libéré… Celui qui a proposé à ce peuple son Alliance pour l’accompagner dans toute son existence… Celui, enfin, qui poursuit son oeuvre de libération en proposant sa Loi…
Il ne faut jamais oublier qu’avant toute autre chose, le peuple juif a expérimenté la libération apportée par son Dieu. Et les « commandements » sont dans la droite ligne de la sortie d’Egypte : ils sont une entreprise de libération. Dieu a « fait sortir » (c’est l’expression consacrée) son peuple des chaînes de l’esclavage, il le fera sortir de toutes les autres chaînes qui empêchent l’homme d’être heureux. C’est cela l’Alliance Eternelle.
L’Exode était route vers la Terre Promise ; l’obéissance à la Loi est cheminement vers la véritable Terre Promise, la Patrie future de l’humanité. C’est dans le Livre du Deutéronome qu’on trouve les plus belles méditations sur la Loi ; par exemple : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?… A toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui… Reconnais-le aujourd’hui et réfléchis : c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours. » (Dt 4,32… 40). Ou tout simplement, « Puisses-tu écouter Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux » (Dt 6,3). Notre psaume répond en écho : « Les préceptes du SEIGNEUR sont droits, ils réjouissent le cœur  ».
LE CODE DE LA ROUTE DE LA LIBERTE
La grande certitude acquise au long de l’histoire biblique, c’est que Dieu veut l’homme heureux, et il lui en donne le moyen, un moyen bien simple : il suffit d’écouter la Parole de Dieu inscrite dans la Loi. Le chemin est balisé, les commandements sont comme des poteaux indicateurs sur le bord de la route, pour alerter notre regard sur un danger éventuel : « Le commandement du SEIGNEUR est limpide, il clarifie le regard ». Au jour le jour, la Loi est notre maître, elle nous enseigne : la racine du mot « Torah » en hébreu signifie d’abord « enseigner ». « La charte du SEIGNEUR est sûre, qui rend sages les simples ».
Le mot « simples » ici, n’est pas péjoratif ; il ne veut pas dire « les simples d’esprit », on signifie plutôt « les humbles » ; ce sont ceux qui acceptent tout humblement de se laisser enseigner par Dieu, ceux qui cherchent de tout leur cœur à suivre la Loi de Dieu. Celui qui prie dans ce psaume est bien dans cet état d’esprit puisqu’un peu plus loin, il supplie Dieu de l’aider à persévérer dans l’humilité : « Préserve ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché»
C’est à ces humbles que s’adresse le livre du Deutéronome : « Et maintenant, Israël, qu’est-ce que le SEIGNEUR ton Dieu attend de toi ? Il attend seulement que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu en suivant tous ses chemins, en aimant et en servant le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur , de tout ton être, en gardant les commandements du SEIGNEUR et les lois que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur ». (Dt 10,12-13). Et le prophète Michée reprend en écho : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu ». (Mi 6,8). Il n’y a pas d’autre exigence, il n’y a pas non plus d’autre chemin pour être heureux.
Pour dire le bonheur que construisent les croyants jour après jour, lorsqu’ils suivent tout simplement, mais fidèlement, la Loi de Dieu, l’auteur de notre psaume nous propose deux images : « Les décisions du SEIGNEUR sont justes et vraiment équitables, plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » Manière de dire, la vraie richesse de vos vies, le vrai bonheur, c’est l’Alliance avec Dieu.
Ce fut la grande expérience spirituelle d’Israël, pendant l’Exode dans le désert du Sinaï : expérience paradoxale puisque le désert, justement, est un lieu de pauvreté. Mais c’est là, précisément, que l’on a expérimenté la plus grande richesse du monde, la présence de Dieu. Le livre du Deutéronome, quand il rappelle au peuple toute la sollicitude que Dieu lui a prodiguée pendant l’Exode, dit : « Il rencontre son peuple au pays du désert, Il lui fait sucer le miel dans le creux des pierres » (Dt 32,13). La manne, aussi, parce qu’elle est douce et parce qu’elle est cadeau de Dieu, est comparée à du miel : « C’était comme de la graine de coriandre, c’était blanc, avec un goût de beignets au miel » (Ex 16,31). Désormais on parlera des oignons d’Egypte, mais du miel de Canaan : il y a pourtant du miel aussi en Egypte, mais, quand les descendants de Jacob étaient en Egypte, ils n’avaient pas encore fait l’expérience de l’Exode et de la Présence de Dieu.

 

DEUXIEME LECTURE –

première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 1, 22-25

Frères,
22 alors que les Juifs réclament des signes miraculeux,
et que les Grecs recherchent une sagesse,
23 nous, nous proclamons un Messie crucifié,
scandale pour les Juifs,
folie pour les nations païennes.
24 Mais pour ceux que Dieu appelle,
qu’ils soient Juifs ou Grecs,
ce Messie, ce Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes,
et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

 

UN CRUCIFIE PEUT-IL ETRE LE MESSIE ?
On sait bien que Paul a consacré toutes ses énergies à annoncer à ses contemporains que Jésus de Nazareth était le Messie. On sait également qu’il s’adressait à des Juifs et à des non-Juifs, ceux qu’il appelle tantôt « Grecs » tantôt « païens ». Or, par ses origines, il connaissait bien le monde juif, et les Ecritures ; en même temps, parce qu’il avait vécu une grande partie de sa jeunesse avec sa famille à Tarse, c’est-à-dire hors d’Israël, il connaissait bien le monde grec. Pour ces raisons, il était mieux placé que personne pour comprendre les difficultés des uns et des autres à entendre sa prédication : « Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs ».
Commençons par les Juifs : pour eux, il était littéralement scandaleux de prétendre que Jésus de Nazareth, le crucifié puisse être le Messie. On peut les comprendre : depuis plusieurs siècles, l’Ancien Testament promettait le Messie ; et sa venue devait être accompagnée de signes bien précis : la restauration de la dynastie de David sur le trône de Jérusalem et l’instauration d’une paix générale et définitive. Sur ce point, Jésus les a plutôt déçus ! Plus grave encore, il est mort crucifié ; or tout le monde connaissait par cœur une certaine phrase du livre du Deutéronome ; voici ce qu’elle disait : quand un homme a été condamné à mort au nom de la Loi, quand il a été exécuté, et qu’on a suspendu son corps à un arbre (c’était une manière de faire un exemple), alors il est maudit de Dieu. (Dt 21,22-23). Or c’est très exactement ce qui est arrivé à Jésus, donc il est maudit de Dieu, donc il n’est pas le Messie. Tout cela est parfaitement logique et c’est bien avec ce raisonnement que Paul a commencé par s’opposer de très bonne foi aux tout premiers chrétiens.
Quant aux païens, ils ne pouvaient pas non plus prendre au sérieux le personnage de Jésus : « Le monde grec recherche une sagesse », nous dit Paul. Or Jésus ne se situait pas sur ce terrain-là. Il parlait d’amour et de respect des autres, d’humilité et de confiance en Dieu. Rien à voir avec les discours philosophiques. A Athènes, par exemple, on n’a pas écouté longtemps ce qu’ils ont appelé les balivernes de Paul !
Mais depuis le chemin de Damas, Paul était bien obligé de se rendre à l’évidence : Christ est ressuscité, donc il est bien l’envoyé de Dieu. Que cela nous surprenne (comme les Grecs) ou nous scandalise (comme les Juifs) ne change rien à l’affaire ! Paul s’est donc trouvé confronté à une question terrible : Jésus était bien l’envoyé de Dieu et pourtant de bonne foi les hommes l’ont éliminé ! Comment les hommes ont-ils pu se tromper à ce point ? Et comment ce crucifié peut-il être le Messie ? Ce sont les deux questions qui l’ont habité certainement très longtemps. Et on voit bien que le mystère et même le scandale de ce Messie inattendu est au cœur  de toutes ses lettres.
UN AMOUR QUI VA JUSQU’A LA CROIX
A force de relire les Ecritures et de méditer sur le scandale de la croix du Christ, il a découvert ce que personne n’avait imaginé : non seulement, la croix ne doit pas nous scandaliser, au contraire, elle doit nous émerveiller ! Car la croix est justement le lieu où Dieu se révèle !!! Et c’est en cela qu’elle nous délivre ! Car, enfin, nous connaissons Dieu tel qu’il est !!! Car la croix est le lieu de la révélation du plus grand amour ! Un amour capable d’aller jusque-là.
En définitive, Paul ira jusqu’à dire que la croix du Christ est le plus beau titre de gloire des Chrétiens. Il dit par exemple, dans la lettre aux Galates : (je ne veux) « pour moi, pas d’autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. » (Ga 6,14) ; non seulement Jésus n’est pas un pécheur qui mérite d’être maudit mais il a accepté de souffrir pour ouvrir nos cœurs  à l’incroyable amour de Dieu pour l’humanité. Et la phrase de pardon qu’il a prononcée sur la croix nous fait découvrir jusqu’où va l’amour de Dieu pour les hommes.
Quant à ceux qui trouvent les manières de Dieu non conformes à la raison humaine, Paul n’a qu’une réponse, dans cette même lettre aux Corinthiens : « Puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. » (1 Co 1,21) et un peu plus bas : « Que personne ne s’abuse : si quelqu’un parmi vous se croit sage à la manière de ce monde, qu’il devienne fou pour être sage ; car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » (1 Co 3,13). Jésus l’avait déjà dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11,25). Notre témoignage ne peut que s’offrir sans défense : tous nos beaux raisonnements ne mèneront jamais personne à la foi ; devant le mystère de Dieu qui se manifeste dans le visage défiguré du Christ en croix entre deux bandits, tous nos édifices intellectuels s’écroulent comme des châteaux de cartes. Bienheureuse insuffisance qui peut rassurer tous les piètres prédicateurs que nous sommes… quand nous essayons de tout notre cœur  de convaincre quelqu’un de la foi chrétienne, ne nous inquiétons pas de notre insuffisance ! Elle est structurelle, parce que ce mystère de Dieu ne peut que nous échapper. Ce n’est pas pour rien qu’au beau milieu de l’Eucharistie, au moment du récit de la Pâque, justement, nous disons « Il est grand, le mystère   de la foi » !

 

EVANGILE – selon saint Jean 2, 13-25

13 Comme la Pâque juive était proche,
Jésus monta à Jérusalem.
14 Dans le Temple, il trouva installés
les marchands de bœufs, de brebis et de colombes,
et les changeurs.
15 Il fit un fouet avec des cordes,
et les chassa tous du Temple ainsi que les brebis et les bœufs ,
il jeta par terre la monnaie des changeurs,
renversa leurs comptoirs,
16 et dit aux marchands de colombes :
« Enlevez cela d’ici.
Cessez de faire de la maison de mon Père
une maison de commerce. »
17 Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit :
L’amour de ta maison fera mon tourment.
18 Des Juifs l’interpellèrent :
« Quel signe peux-tu nous donner
pour agir ainsi ? »
19 Jésus leur répondit :
« Détruisez ce sanctuaire,
et en trois jours je le relèverai ! »
20 Les Juifs lui répliquèrent :
« Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire,
et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
21 Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
22 Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts,
ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ;
ils crurent à l’Ecriture
et à la parole que Jésus avait dite.
23 Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque,
beaucoup crurent en son nom,
à la vue des signes qu’il accomplissait.
24 Jésus, lui, ne se fiait pas à eux,
parce qu’il les connaissait tous
25 et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ;
lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

 

LA COLERE DU PROPHETE
Mettons-nous à la place de ceux qui ont assisté à cette colère de Jésus : il y a longtemps qu’on trouve sur l’esplanade du Temple des marchands d’animaux ; quand on vient en pèlerinage à Jérusalem, parfois de très loin, on s’attend bien à trouver sur place des bêtes à acheter pour les offrir en sacrifice. Quant aux changeurs de monnaie, on en a besoin aussi : on est sous occupation romaine, et les pièces frappées à l’effigie de l’empereur sont indignes de figurer à la quête ! Et pourtant, en ville, elles sont indispensables. Donc, en arrivant au Temple, on change ce qu’il faut contre de la monnaie juive. Alors, qu’est-ce qui le prend ?
Comme souvent, il agit d’abord, il explique ensuite, mais on ne comprend pas bien, ou pas du tout. On comprendra plus tard : « Quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite ». (verset 22). Et encore, tout le monde ne comprendra pas…
Pour l’instant, la violence de Jésus est inattendue, ses paroles encore plus ! Et le reproche qu’il fait aux vendeurs (« Ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de trafic ») laisse entendre qu’il se prend pour un prophète ; Jérémie avait lancé : « Cette Maison sur laquelle mon Nom a été proclamé, la prenez-vous donc pour une caverne de bandits ? » (Jr 7,11). Mieux, il se prend carrément pour le Messie : car le prophète  Zacharie avait annoncé : « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur le tout-puissant en ce jour-là » (sous-entendu le jour de la venue du Messie ; Za 14,10). Et, pire encore peut-être, en parlant du Temple de Jérusalem, il ose dire « la maison de mon Père ».
Devant cette prétention, il y a deux attitudes possibles : ouvrir grand ses oreilles pour essayer de comprendre (c’est ce que font les disciples), ou bien remettre ce prétentieux, ce faux messie à sa place (c’est l’attitude de ceux que Jean appelle « les Juifs »). En réalité, Juifs, ils le sont tous. Mais certains ont déjà vu Jésus à l’œuvre   : et depuis le Baptême au bord du Jourdain, depuis les noces de Cana, ils ont pressenti plusieurs fois que Jésus était bien le Messie ; alors ils sont préparés à reconnaître dans l’attitude de Jésus un geste prophétique.
D’autant plus qu’à vrai dire, tout le monde sait que les animaux des sacrifices ne devraient pas être là : normalement, les marchands de bestiaux auraient dû se trouver dans la vallée du Cédron et sur les pentes du mont des Oliviers. Peu à peu, ils se sont rapprochés du temple jusqu’à s’installer sur l’esplanade ! C’est cela que Jésus leur reproche, à juste titre.
Alors une phrase du psaume 68/69 revient à la mémoire des disciples : « Le zèle de ta maison m’a dévoré ». C’est la plainte de quelqu’un qui est persécuté à cause de sa foi : « Dieu d’Israël, c’est à cause de toi que je supporte l’insulte… Oui, le zèle pour ta maison m’a dévoré ; ils t’insultent et leurs insultes retombent sur moi. » (Ps 68/69, 8-10). Le psaume parle au passé : « Le zèle pour ta maison m’a dévoré », alors que Jean reprend cette phrase au futur : « Le zèle de ta maison me dévorera » (verset 17). Manière d’annoncer la persécution qui attend Jésus et qui commence déjà d’ailleurs ! Nous sommes encore au tout début de l’évangile de Jean, mais le procès de Jésus est déjà esquissé. A lui, bientôt, s’appliquera pleinement la plainte des persécutés pour la justice : « L’amour de ta maison fera mon tourment ».
DETRUISEZ CE TEMPLE, ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI
Car ceux que Jean appelle les « Juifs » n’ont pas, à son égard, la même bienveillance que les disciples. Pour eux, il n’est rien : un Galiléen (et peut-il sortir quelque chose de bon de par là-bas ?) et il se permet de critiquer les pratiques habituelles du Temple. Soyons justes : ils n’ont pas forcément tort de lui demander de se justifier… « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? » La réponse de Jésus deviendra lumineuse pour les croyants après la Résurrection : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ». Pour l’instant, c’est le quiproquo total : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple1, et toi, en trois jours, tu le relèverais » ; en bonne logique, on ne peut pas leur donner tort. Un homme tout seul ne peut évidemment pas entreprendre des travaux pareils ! Il ne peut y arriver ni en trois jours, ni en quarante-six ans, ni en toute une vie !
Ce Temple magnifique, respecté de tous, parce qu’il est le signe manifeste de la présence de Dieu au milieu de son peuple, ce Temple n’attend rien du charpentier de Nazareth. Avec son histoire de trois jours, il est un peu court…
Encore que… pour un Juif, habitué de l’Ecriture, trois jours c’était un chiffre dont on parlait souvent : c’était habituellement une manière symbolique d’affirmer « Dieu interviendra certainement » ; on lit cela dans le livre d’Osée, par exemple (Os 6) ; or, le livre d’Osée, nos Juifs le connaissaient sur le bout du doigt, sûrement ! Oui, mais… les prophètes, on a l’habitude qu’ils parlent comme cela, de façon énigmatique, symbolique… mais lui, à leurs yeux, ce n’est pas un prophète !
Tout le problème est là, d’après Jean : et s’il a placé cet épisode du Temple au début du ministère public de Jésus alors que les trois autres évangiles le placent au contraire tout à la fin, c’est peut-être pour nous alerter : il y a des a priori qui empêchent Dieu de parler. Les disciples n’avaient pas de ces a priori, ils ont pu accompagner Jésus pas à pas et le découvrir peu à peu ; au contraire, ses opposants se sont enfermés dans leurs certitudes ; ils sont, du coup, passés à côté de cette révélation extraordinaire, qu’ils attendaient pourtant de tout leur cœur : désormais, la Présence de Dieu n’est pas dans une construction de pierre, mais au cœur  même de l’humanité, dans le corps du Ressuscité.
—————————
Note
1 – Quand ils comptent quarante-six ans, les Juifs ne parlent pas de la construction du Temple à partir de rien ! Ils parlent des travaux de restauration entrepris par Hérode : ces travaux d’agrandissement et de décoration avaient débuté en 19 av. J. C. ; donc, nous sommes probablement en 27 de notre ère. 

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DE L'EXODE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 120

Dimanche 20 octobre 2019 : 28ème dimanche du Temps Ordinaire : textes et commentaires

Dimanche 20 octobre

287è dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre de l’Exode 17, 8-13

En ces jours-là,
le peuple d’Israël marchait à travers le désert.
8 Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim.
9 Moïse dit alors à Josué :
« Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites.
Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline,
le bâton de Dieu à la main. »
10 Josué fit ce que Moïse avait dit :
il mena le combat contre les Amalécites.
Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline.
11 Quand Moïse tenait la main levée,
Israël était le plus fort.
Quand il la laissait retomber,
Amalec était le plus fort.
12 Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ;
on prit une pierre, on la plaça derrière lui,
et il s’assit dessus.
Aaron et Hour lui soutenaient les mains,
l’un d’un côté, l’autre de l’autre.
Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes
jusqu’au coucher du soleil.
13 Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.

Les Amalécites étaient des tribus qui vivaient dans le désert du Négev : la Bible les cite de nombreuses fois, tout au long de l’histoire de l’installation du peuple élu en Palestine, et toujours comme des opposants à la pénétration des tribus israélites ; et leurs descendants seront encore de farouches ennemis au temps des rois Saül et David. Si bien que le nom même d’Amaleq est devenu le type de l’ennemi héréditaire.
Rien d’étonnant quand on sait que Amaleq lui-même, le père de la tribu, serait le petit-fils d’Esaü, le frère jumeau et rival de Jacob. La rivalité entre Jacob et Esaü1 (qu’on appelle aussi Edom) s’est reportée sur leurs descendants et, de génération en génération, en Israël, on se transmet la haine des Edomites, et surtout de ceux qui sont considérés comme les pires de tous, les Amalécites.
Voici donc, dès le livre de l’Exode, les Amalécites qui se présentent comme les premiers adversaires du peuple élu dans le désert. L’auteur ne donne pas beaucoup de détails sur cette première bataille : il dit simplement « Le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et l’attaquèrent à Rephidim. » Mais le livre du Deutéronome apporte quelques indications complémentaires : « Souviens-toi de ce qu’Amaleq t’a fait sur votre route, à la sortie d’Egypte, lui qui est venu à ta rencontre sur la route et a détruit à l’arrière de ta colonne, tous ceux qui traînaient, alors que tu étais épuisé et fourbu. » (Dt 25,17-19) traduisez : les Amalécites sont arrivés par surprise et se sont attaqués à ceux qui avaient le plus de mal à suivre. Alors Moïse dit à Josué : « Choisis des hommes et va combattre les Amalécites ». C’est donc une histoire de légitime défense. Nous n’aurons pas d’autres détails sur le déroulement du combat ou les mouvements de troupes ; en revanche, le récit se concentre sur la relation entre le peuple et son Dieu à l’occasion de cette première bataille : c’est l’épreuve du feu, mais c’est surtout l’épreuve de la foi d’Israël. Il va combattre pour survivre, mais son Dieu sera avec lui.
Nous sommes à Rephidim : au fait, ce nom, nous le connaissons déjà, car dans les versets qui précèdent ce passage, c’est le fameux épisode de Massa et Meriba ; nous en avons reparlé tout récemment à l’occasion du psaume 94/95. Massa et Meriba, cela se passait justement à Rephidim et le surnom Massa et Meriba (qui veut dire contestation et querelle) signifie que, là, le peuple a gravement douté de Dieu. Et, désormais, quand on sera tenté de douter de la protection de Dieu, on se souviendra de Massa et Meriba : « Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa, dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ». (Ps 94/95,7-8).
Massa et Meriba, c’était l’épreuve de la soif, une épreuve si dure que le peuple a été jusqu’à penser que Dieu l’avait abandonné… mais non, et l’eau a coulé du rocher, et le peuple a retrouvé confiance en son Dieu. Cette fois, et toujours à Rephidim, le voici affronté à l’attaque des Amalécites. Il va falloir lutter pour sa survie. Et aussitôt Moïse ne doute pas que Dieu viendra à son secours pour le délivrer.
Il dit à Josué : « Moi, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main ». Et c’est ce bâton, en quelque sorte, qui tient le premier rôle dans ce récit. Ce bâton n’est pas magique par lui-même, mais il rend visible l’oeuvre de Dieu. C’est par lui que Moïse a accompli des quantités de prodiges aux yeux du Pharaon et de la cour d’Egypte, qu’il a écarté les eaux de la Mer des Joncs, qu’il a fait couler l’eau du rocher, à Massa et Meriba, justement. Encore une fois, ce bâton n’est pas magique par lui-même, la preuve, c’est que Moïse se met en prière, mais ce bâton levé est devenu un symbole : il rappelle à tous que c’est Dieu qui agit. Si la bataille est à peine décrite, si le bâton est au centre du récit, c’est précisément pour bien montrer où est l’essentiel.
L’essentiel, c’est la présence de Dieu qui accompagne son peuple, comme il l’avait promis dès le début en révélant son nom à Moïse, ce fameux nom qui dit la présence de Dieu. Le texte est très sobre et en même temps très suggestif. Moïse, Aaron et Hour sont au sommet de la colline, pendant que le peuple se bat sous la direction de Josué dans la plaine. Josué se bat de toute son âme, et Moïse prie de toute son âme. Le combattant et le priant se complètent. Si Moïse abandonne son poste de prière, Josué perd ses moyens. On ne peut pas dire plus clairement que c’est Dieu qui agit, mais qu’il y faut notre participation. Les mains levées de Moïse sont le symbole de toute la prière humaine. Elles disent la confiance, la certitude du croyant que son Dieu ne l’abandonne jamais. Récemment, nous l’avons lu dans la lettre à Timothée, Paul disait : « Je recommande que partout les hommes prient les mains levées vers le ciel… » C’est Dieu qui agit : ces mains levées le disent bien puisqu’elles restent immobiles et qu’elles semblent renvoyer la responsabilité vers le ciel ; mais en même temps, elles sont levées : le croyant ne baisse pas les bras ; les mains du combattant, les mains levées du priant sont notre petite participation à l’oeuvre de Dieu.
Mais il arrive que le priant, exténué, physiquement ou moralement, n’ait plus la force de « lever les mains » vers le ciel : alors il est bon de trouver des frères pour soutenir nos mains défaillantes ; normalement, c’est le rôle de nos communautés.
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Note
1 – On se souvient des deux fils d’Isaac, les frères jumeaux et en même temps rivaux Esaü et Jacob ; Esaü aurait dû être l’héritier des promesses divines, mais Jacob avait réussi à tromper son père aveugle en se faisant passer pour son frère et avait usurpé la place.
Complément
– De tout temps, de hommes et des femmes ont consacré leur vie à la prière ; ce texte vient nous révéler que la prière n’est pas passivité ou inaction ; bien au contraire, mystérieusement, la prière de quelques-uns est source de force pour tous. Elle est un rappel vivant de la Présence de Dieu sans cesse agissant au milieu de nous.

 

PSAUME – 120 (121)

1 Je lève les yeux vers les montagnes :
D’où le secours me viendra-t-il ?
2 Le secours me viendra du SEIGNEUR
qui a fait le ciel et la terre.

3 Qu’il empêche ton pied de glisser,
qu’il ne dorme pas, ton gardien.
4 Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
le gardien d’Israël.

5 Le SEIGNEUR, ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage,
se tient près de toi.
6 Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
ni la lune, durant la nuit.

7 Le SEIGNEUR te gardera de tout mal,
il gardera ta vie.
8 Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour,
maintenant, à jamais.

On sait que les psaumes sont avant tout la prière du peuple d’Israël tout entier, ce peuple en marche vers son Dieu depuis l’aube de son histoire. Lorsque le psaume dit « JE », il faut entendre le NOUS » collectif du peuple élu. Cette longue marche était vécue de manière plus intense encore à l’occasion des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Ils faisaient partie des commandements de Dieu et représentaient un temps fort pour tous les participants, c’est-à-dire normalement tous les hommes en bonne santé. Les femmes et les enfants suivaient s’ils le pouvaient.
Quinze psaumes ont été composés spécialement pour accompagner cette démarche : ce sont les psaumes 119 à 133 dans la liturgie, c’est-à-dire 120 à 134 dans nos Bibles. On les appelait les « Psaumes des montées » car le verbe « monter » était le mot consacré pour parler des pèlerinages ; pour deux raisons au moins : tout simplement, d’abord, parce que Jérusalem est sur la hauteur, ensuite sur un plan symbolique, parce que la démarche du pèlerinage représente, pour le croyant, une réelle montée spirituelle.
Ces quinze psaumes ont donc des points communs : ils comparent tous l’histoire du peuple d’Israël à un long pèlerinage. Pour cette raison, on y entend de nombreuses allusions à la réalité concrète du pèlerinage : la fatigue et la prière du pèlerin, la soif d’arriver, l’amour du Temple, l’amour de Jérusalem. Et surtout la joie profonde, la confiance qui habitent le peuple croyant.
Notre psaume d’aujourd’hui est donc l’un de ceux-là : un pèlerin prend le chemin de Jérusalem : il a déjà le coeur et les yeux tournés vers la colline du Temple (« je lève les yeux vers les montagnes »), mais il sait que ce long chemin vers Jérusalem est semé d’embûches de toutes sortes ; les pistes ne sont pas nos routes goudronnées d’aujourd’hui, elles sont parfois glissantes ou pierreuses, le pied peut glisser ; on peut aussi affronter de bien plus grands dangers : les bêtes sauvages ou, plus redoutables encore, les bandes de brigands. Si Jésus a pu situer dans ce décor la parabole du Bon Samaritain, c’est-à-dire l’histoire d’un homme dépouillé et roué de coups par des bandits, c’est que cela arrivait régulièrement. « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie » : ceux qui restent au pays rassurent celui qui prend la route.
Un autre danger, que nous imaginons mal ici, c’est le soleil pendant le jour, la lune pendant la nuit. En plein jour, il faut marcher des heures sous le soleil brûlant ; la nuit, si on dort à la belle étoile, les rayons de lune sont nocifs. Là encore, on encourage le pèlerin : « Le SEIGNEUR, ton gardien, ton ombrage, se tient près de toi. Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper, ni la lune, durant la nuit ». Tous ces dangers, il faudra les affronter tout autant au retour qu’à l’aller : mais « Le SEIGNEUR te gardera, au départ, comme au retour ». On peut compter sur lui, car il est le maître du monde : c’est lui et lui seul qui a fait le ciel et la terre. « Le secours me vient du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre » : dans ce verset, il y a une pointe contre les faux dieux ; ils ne sont que statues inertes de bois ou de pierre ; ils ne peuvent rien pour l’homme. Ils dorment d’un sommeil éternel, puisqu’ils ne sont que des objets façonnés de main d’homme. Tandis que, lui, le SEIGNEUR, veille sans cesse : « Non, il ne dort pas, il ne sommeille pas, le gardien d’Israël ».
Quand il prend la route de Jérusalem, le croyant se met en marche vers son Dieu et vers lui seul : il se détourne résolument des idoles. C’est cela qu’on appelle la conversion.
On voit bien comment cette comparaison du peuple à un groupe de pèlerins est suggestive. Chaque jour, depuis des millénaires, Israël, comme un pèlerin, prend la route en décidant de placer sa confiance résolument en Dieu seul : « Je lève les yeux, vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? »… « Le secours me viendra du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre. » Ce n’est pas un hasard si Dieu est appelé dans ce psaume « le gardien d’Israël ». Car ce peuple a reçu la Révélation du Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, et a fait l’expérience de sa présence. Le nom même de Dieu, le fameux nom en quatre lettres, (YHVH) dit justement que Dieu est sans cesse présent à son peuple. Une présence très intime, inséparable qui est exprimée très fortement en hébreu. Notre traduction dit « Le SEIGNEUR ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage, se tient près de toi » : en hébreu, près de toi est dit « à ta main droite » et André Chouraqui commentait : « le SEIGNEUR est uni à toi comme tu l’es à ton être même ».
On se rappelle la colonne qui accompagnait la marche du peuple dans le désert ; colonne de nuée pendant le jour, pour abriter du soleil, colonne de feu pendant la nuit pour guider la marche.
Jésus-Christ, à son tour, a pu chanter ce psaume en toute vérité. Alors qu’il prenait résolument le chemin de Jérusalem, comme dit Saint Luc, il se répétait : « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie. Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour, maintenant, à jamais. » Depuis le matin de Pâques, ce retour dont parle le psaume, nous l’appelons « Résurrection ».

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul à Timothée 3, 14 – 4, 2

Bien-aimé,
3,14 demeure ferme dans ce que tu as appris :
de cela tu as acquis la certitude,
sachant bien de qui tu l’as appris.
3,15 Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures :
elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse,
en vue du salut par la foi
que nous avons en Jésus Christ.
3,16 Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ;
elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal,
redresser, éduquer dans la justice ;
3,17 grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli,
équipé pour faire toute sorte de bien.

4,1 Devant Dieu,
et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts,
je t’en conjure,
au nom de sa Manifestation et de son Règne :
4,2 proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps,
dénonce le mal,
fais des reproches, encourage,
toujours avec patience et souci d’instruire.

Dimanche dernier, nous lisions dans la deuxième lettre à Timothée une Hymne en l’honneur du Christ : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ». Aujourd’hui, on pourrait dire que nous lisons une hymne en l’honneur de l’Ecriture. Entendons-nous bien, ce que Saint Paul appelle l’Ecriture, c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Plusieurs fois, déjà, dans les lettres à Timothée, nous avons deviné un conflit persistant dans la communauté d’Ephèse où se trouve Timothée ; et c’est même à cause de ce conflit que Paul avait demandé à Timothée de rester à Ephèse ; il faut pouvoir compter sur de fidèles gardiens de la Parole.
Les premières lignes du texte d’aujourd’hui, « Demeure ferme dans ce que tu as appris » sous-entendent que d’autres ne sont pas restés fidèles à l’enseignement reçu et qu’ils fourvoient les autres.
Si bien qu’on peut résumer ce passage en trois phrases : premièrement, il faut se ressourcer dans l’Ecriture. Deuxièmement, il faut proclamer la Parole. Troisièmement, cette proclamation doit se faire dans le souci d’édifier la communauté. Premièrement, il faut se ressourcer dans l’Ecriture, au vrai sens du mot « ressourcer » : l’Ecriture est pour nous une source.
L’expression « Demeure dans ce que tu as appris » dit bien que la foi n’est pas un objet qu’on possède mais un milieu vital, une « demeure » au sens de Saint Jean.
Timothée a puisé dans cette source de l’Ecriture depuis son enfance : son père était grec et païen, mais sa mère, Eunice, et sa grand-mère maternelle, Loïs, étaient Juives : elles l’ont introduit dans l’Ancien Testament ; et quand sa mère s’est convertie au Christianisme, elle n’a pas cessé bien sûr de fréquenter l’Ecriture. D’autres maîtres encore ont initié Timothée, et Paul insiste sur cet aspect communautaire de l’accès à l’Ecriture. On ne découvre pas l’Ecriture tout seul mais en Eglise. Une fois de plus, nous retrouvons chez Paul le thème de la transmission de la foi, ce qu’on appelle en théologie la « Tradition » : tradere, en latin, veut dire « transmettre » : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu » (sous-entendu je n’ai rien inventé) dit Paul dans la première lettre aux Corinthiens ; l’apôtre est un envoyé au service d’une Parole qui n’est pas la sienne. Dans la foi, aucun de nous n’est un fondateur, un innovateur, nous sommes les maillons d’une chaîne. Evidemment, il est vital que cette transmission soit fidèle. Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul a dit à Timothée : « Ce que tu as appris de moi en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes fidèles qui seront eux-mêmes capables de l’enseigner encore à d’autres. » (2 Tm 2,2).
La phrase suivante est très importante : Paul affirme : « Les Saintes Ecritures ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus-Christ » : il veut dire par là que l’Ancien Testament mène tout droit à Jésus-Christ. Pour Paul, comme pour les premiers apôtres, recrutés par Jésus parmi les Juifs, c’était une évidence. On se souvient qu’au cours de son procès à Jérusalem, Paul soutenait que c’était précisément parce qu’il était Juif qu’il était devenu Chrétien.
Paul continue : « Toute l’Ecriture est inspirée par Dieu » ; avant d’être un dogme affirmé par l’Eglise, cette phrase était donc déjà la foi d’Israël. Ce qui explique le respect dont sont entourés depuis toujours les Livres sacrés dans toutes les synagogues. « Grâce à l’Ecriture, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien. » Voilà donc l’équipement du Chrétien : l’Ecriture dans la fidélité à l’enseignement reçu : « Demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. » L’équipement du Chrétien, c’est donc l’Ecriture ET la tradition pour être capable de transmettre à son tour.
Pour transmettre, et c’est le deuxième conseil de Paul à Timothée, il faut oser proclamer la Parole ; voilà la première peut-être même la seule tâche d’un responsable d’Eglise. L’enjeu est grave et Paul emploie une formule presque étonnante : « Devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa manifestation et de son règne : proclame la Parole… »
Une fois de plus, Paul fait référence à la manifestation du Christ, et à son Règne : l’accomplissement du projet de Dieu est vraiment l’horizon que Paul ne quitte jamais des yeux. Et d’ailleurs en grec, Paul dit « Proclame le Logos », le mot qui, chez Jean, désigne le Verbe, Jésus lui-même. Traduisez, si nous prenons au sérieux la Manifestation et le Règne du Christ, nous devons inlassablement proclamer la Parole. Toute la vie de Paul, depuis sa conversion, a été consacrée à cette tâche : « Annoncer l’Evangile est une nécessité qui s’impose à moi : malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! » (1 Co 9,16).
Mais il faut du courage pour proclamer la Parole, il faut accepter d’être mal reçu : « Interviens à temps et à contre-temps, dénonce le mal ; fais des reproches, encourage » ; c’est-à-dire n’hésite pas à juger ce que tu vois… Il termine en disant dans quel climat on doit le faire (et c’est le troisième point) : avec patience et souci d’instruire. Là encore nous retrouvons une insistance toujours présente chez Paul, le souci de ce qui édifie la communauté ; c’est la seule chose qui compte.

 

EVANGILE – selon Saint Luc 18, 1-8

En ce temps-là,
1 Jésus disait à ses disciples une parabole
sur la nécessité pour eux
de toujours prier sans se décourager :
2 « Il y avait dans une ville
un juge qui ne craignait pas Dieu
et ne respectait pas les hommes.
3 Dans cette même ville,
il y avait une veuve qui venait lui demander :
‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’
4 Longtemps il refusa ;
puis il se dit :
‘Même si je ne crains pas Dieu
et ne respecte personne,
comme cette veuve commence à m’ennuyer,
5 je vais lui rendre justice
pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ »
6 Le Seigneur ajouta :
« Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus,
qui crient vers lui jour et nuit ?
Les fait-il attendre ?
8 Je vous le déclare :
bien vite, il leur fera justice.
Cependant, le Fils de l’homme,
quand il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Tout ceci se passe dans une ambiance qu’on pourrait qualifier de fin du monde ! Luc nous a dit un peu plus haut que Jésus est sur le « chemin de Jérusalem » : il marche vers sa Passion, sa mort et sa Résurrection ; les disciples ne savent pas très bien ce qui va se passer à Jérusalem, mais ils pressentent un dénouement tragique et mystérieux. Peu de temps auparavant, ils ont imploré Jésus « Augmente en nous la foi », ce qui traduisait bien leur détresse. Et juste avant cette parabole d’aujourd’hui, Jésus a parlé longuement de la venue du Fils de l’homme.
Le Fils de l’homme, c’est celui qu’on attend justement pour la fin du monde ; on connaît l’origine de cette expression : dans le livre de Daniel (au chapitre 7), le prophète raconte qu’il a eu la vision d’un homme (qu’il appelle un « fils d’homme ») qui vient sur les nuées du ciel ; il est admis près du trône de Dieu et il reçoit la royauté sur toute la création ; une royauté éternelle et universelle. Daniel précise que ce « fils d’homme » est en réalité un être collectif, un peuple qu’il appelle « le peuple des Saints du Très-Haut ». Les lecteurs de Daniel ont compris que cette vision se réalisera à la fin du monde. Dieu règnera enfin sur toute la création et le Fils de l’homme règnera avec lui.
Jésus se présente souvent dans les évangiles comme le Fils de l’homme ; cela intrigue forcément ses interlocuteurs qui savent que le Fils de l’homme est un être collectif, le peuple des Saints du Très-Haut, enfin installé dans la gloire de Dieu ; ils ne savent peut-être pas quoi penser quand Jésus parle ainsi, mais ils entendent ce message de victoire définitive. Or, depuis qu’il a annoncé ouvertement sa Passion, Jésus multiplie l’usage de cette expression, le Fils de l’homme, toujours en parlant de lui, comme pour les rassurer sur l’issue des événements. Ce qui prouve au passage qu’ils avaient bien besoin d’être rassurés.
On est donc dans une atmosphère de fin du monde ; d’ailleurs le thème du jugement (« Dieu fera justice à ses élus ») est bien dans la même note ; maintenant, si nous allons regarder, dans l’évangile de Luc, le contexte de cette parabole, nous trouvons l’évangile de la guérison des dix lépreux que nous avions lu dimanche dernier : la guérison des dix était le signe que le Règne de Dieu était déjà commencé ; en même temps, les disciples avaient touché du doigt le mystère du salut rejeté par ceux auxquels il était offert en premier (ici les neuf lépreux qui n’avaient pas reconnu le Christ) : le mystère de la Croix se profilait déjà à l’horizon ; mais la conversion du Samaritain (le seul lépreux revenu se prosterner devant Jésus) préfigurait l’entrée de tous, même des païens, dans ce royaume.
Les Pharisiens ont fort bien compris tous ces enjeux puisque, aussitôt après la guérison des dix lépreux, ils ont demandé à Jésus : « Quand donc vient le Royaume de Dieu ? » et Jésus a répondu par tout un discours sur la venue du Fils de l’homme.
Et voilà que Jésus a quitté ce ton grave pour raconter ce qui semble à première vue une petite histoire : l’histoire de cette veuve qui poursuit le juge de ses réclamations jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle attend ; et pourtant elle aurait toutes les raisons de se décourager : sa cause semble bien perdue d’avance, puisqu’elle a eu la malchance de tomber sur un juge qui se moque éperdument de la justice. Mais elle s’obstine parce que sa cause est juste, elle n’en doute pas un instant. C’est elle que Jésus nous donne en exemple ; l’exemple de l’humilité d’abord : si elle importune le juge, c’est parce qu’elle est dans le besoin ; la première condition pour participer au Royaume de Dieu, c’est de reconnaître notre pauvreté ; on retrouve là la première béatitude : « Heureux, vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Luc, 6) ; l’exemple de la persévérance ensuite : dans notre attente du Royaume, à nous d’être aussi tenaces que cette veuve obstinée. Notre cause est encore plus juste que celle de la veuve puisque c’est la cause même de Dieu.
Le rapprochement avec la première lecture de ce dimanche est très suggestif : dans la plaine Josué livrait un combat difficile contre les Amalécites qui avaient attaqué le peuple par surprise ; pendant ce temps, au sommet de la colline, Moïse, obstinément priait, sûr d’obtenir le secours de Dieu ; et soutenu par ses aides, il avait tenu bon jusqu’au coucher du soleil. La force de Moïse était dans sa certitude que Dieu voulait le salut de son peuple.
Des siècles plus tard, les premiers Chrétiens affrontés à des difficultés et des persécutions trouvent le Royaume bien long à venir ; ils sont tentés par le découragement ; eux aussi doivent se souvenir que Dieu veut leur salut. Luc leur rappelle cette parabole dans laquelle Jésus avait fait l’éloge de l’obstination.
Croire, c’est refuser de baisser les bras ; et la dernière phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » est une mise en garde, valable pour tous les Chrétiens de tous les temps : « Attention, si vous n’êtes pas vigilants, vous aurez cessé de croire ».
Les Chrétiens, ceux du temps du Christ, comme ceux d’aujourd’hui, sont donc invités à « ne pas baisser les bras ». Jésus sait bien que, dès le matin de sa Résurrection, ce premier matin de la venue du Fils de l’homme et jusqu’à sa venue totale et définitive, la foi sera toujours un combat, une épreuve d’endurance. Il ne manquera pas d’oiseaux de malheur pour semer le doute, il ne manquera pas de maîtres du soupçon. Cette attente du Royaume paraît tellement interminable… Dieu est-il vraiment au milieu de nous ? L’exemple de cette pauvre veuve vient à point nommé : nous sommes aussi démunis qu’elle ; tâchons d’être aussi obstinés.
—————————-
Complément
– Luc écrirait-il à une communauté menacée par le découragement ? On pourrait le croire, à entendre la dernière phrase « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Curieuse phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra », c’est une affirmation, une certitude ; mais la deuxième partie de la phrase « trouvera-t-il la foi sur terre ? » qui semble a priori bien pessimiste est en fait une mise en garde, valable pour tous les Chrétiens de tous les temps, un appel à la vigilance. Il est clair en tout cas que ce texte est une leçon sur la foi : puisque la dernière phrase pose cette question sur la foi et que la première phrase dit justement en quoi consiste la foi : « Il faut toujours prier sans se décourager ». On a donc là une inclusion ; et entre les deux, l’exemple qui nous est proposé est celui d’une veuve traitée injustement, mais qui ne lâche pas prise.

EUCHARISTIE, EVANGILE SELON SAINT JEAN, EVANGILE SELON SAINT LUC, JEUDI SAINT, LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE DE L'APOCALYPSE, LIVRE DE L'EXODE, PSAUME 115, PSAUME 88

Jeudi Saint : Messe chrismale, lavement des pieds et institution de la Cène

18 AVRIL 2019

Jeudi Saint — 

 

MESSE CHRISMALE

messe-chris

PREMIÈRE LECTURE

Le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, et leur donner l’huile de joie

Lecture du livre du prophète Isaïe (61, 1-3a.8b-9)

L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
proclamer aux captifs leur délivrance,
aux prisonniers leur libération,
proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur,
et un jour de vengeance pour notre Dieu,
consoler tous ceux qui sont en deuil,
ceux qui sont en deuil dans Sion,
mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre,
l’huile de joie au lieu du deuil,
un habit de fête au lieu d’un esprit abattu.
Vous serez appelés « Prêtres du Seigneur » ;
on vous dira « Servants de notre Dieu ».
Loyalement, je vous donnerai la récompense,
je conclurai avec vous une alliance éternelle.
Vos descendants seront connus parmi les nations,
et votre postérité, au milieu des peuples.
Qui les verra pourra reconnaître
la descendance bénie du Seigneur.

  

PSAUME

(88 (89), 20ab.21, 22.25, 27.29)

Autrefois, tu as parlé à tes amis,
dans une vision tu leur as dit :
« J’ai trouvé David, mon serviteur,
je l’ai sacré avec mon huile sainte.

« Ma main sera pour toujours avec lui,
mon bras fortifiera son courage.
Mon amour et ma fidélité sont avec lui,
mon nom accroît sa vigueur.

« Il me dira : “Tu es mon Père,
mon Dieu, mon roc et mon salut !”
Sans fin je lui garderai mon amour,
mon alliance avec lui sera fidèle. »

  

DEUXIÈME LECTURE

« Il a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père »

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean (1, 5-8)

Que la grâce et la paix vous soient données
de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle,
le premier-né des morts,
le prince des rois de la terre.

À lui qui nous aime,
qui nous a délivrés de nos péchés par son sang,
qui a fait de nous un royaume
et des prêtres pour son Dieu et Père,
à lui, la gloire et la souveraineté
pour les siècles des siècles. Amen.
Voici qu’il vient avec les nuées,
tout œil le verra,
ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ;
et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre.
Oui ! Amen !

Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga,
dit le Seigneur Dieu,
Celui qui est, qui était et qui vient,
le Souverain de l’univers.

  

ÉVANGILE

« L’Esprit du Seigneur est sur moi ; il m’a consacré par l’onction »

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (4, 16-21)

En ce temps-là,
Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé.
Selon son habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat,
et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.

Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture
que vous venez d’entendre. »

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MESSE DU SOIR

jeudi_10

PREMIÈRE LECTURE

Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode (12, 1-8.11-14)

En ces jours-là, dans le pays d’Égypte,
le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron :
« Ce mois-ci
sera pour vous le premier des mois,
il marquera pour vous le commencement de l’année.
Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël :
le dix de ce mois,
que l’on prenne un agneau par famille,
un agneau par maison.
Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau,
elle le prendra avec son voisin le plus proche,
selon le nombre des personnes.
Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger.
Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année.
Vous prendrez un agneau ou un chevreau.
Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois.
Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël,
on l’immolera au coucher du soleil.
On prendra du sang,
que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau
des maisons où on le mangera.
On mangera sa chair cette nuit-là,
on la mangera rôtie au feu,
avec des pains sans levain et des herbes amères.
Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins,
les sandales aux pieds,
le bâton à la main.
Vous mangerez en toute hâte :
c’est la Pâque du Seigneur.
Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ;
je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte,
depuis les hommes jusqu’au bétail.
Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements :
Je suis le Seigneur.
Le sang sera pour vous un signe,
sur les maisons où vous serez.
Je verrai le sang, et je passerai :
vous ne serez pas atteints par le fléau
dont je frapperai le pays d’Égypte.

Ce jour-là
sera pour vous un mémorial.
Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage.
C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

  

PSAUME

(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

  

DEUXIÈME LECTURE

« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur »

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (11, 23-26)

Frères,
moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur,
et je vous l’ai transmis :
la nuit où il était livré,
le Seigneur Jésus prit du pain,
puis, ayant rendu grâce,
il le rompit, et dit :
« Ceci est mon corps, qui est pour vous.
Faites cela en mémoire de moi. »
Après le repas, il fit de même avec la coupe,
en disant :
« Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang.
Chaque fois que vous en boirez,
faites cela en mémoire de moi. »

Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain
et que vous buvez cette coupe,
vous proclamez la mort du Seigneur,
jusqu’à ce qu’il vienne.

  

ÉVANGILE

« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (13, 1-15)

Avant la fête de la Pâque,
sachant que l’heure était venue pour lui
de passer de ce monde à son Père,
Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde,
les aima jusqu’au bout.

Au cours du repas,
alors que le diable
a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote,
l’intention de le livrer,
Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains,
qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu,
se lève de table, dépose son vêtement,
et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ;
puis il verse de l’eau dans un bassin.
Alors il se mit à laver les pieds des disciples
et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre,
qui lui dit :
« C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit :
« Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ;
plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit :
« Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Jésus lui répondit :
« Si je ne te lave pas,
tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre
lui dit :
« Alors, Seigneur, pas seulement les pieds,
mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit :
« Quand on vient de prendre un bain,
on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds :
on est pur tout entier.
Vous-mêmes,
vous êtes purs,
mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ;
et c’est pourquoi il disait :
« Vous n’êtes pas tous purs. »

Quand il leur eut lavé les pieds,
il reprit son vêtement, se remit à table
et leur dit :
« Comprenez-vous
ce que je viens de faire pour vous ?
Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”,
et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître,
je vous ai lavé les pieds,
vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné
afin que vous fassiez, vous aussi,
comme j’ai fait pour vous. »

CAREME, LIVRE DE L'EXODE, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 102

Troisième dimanche de Carême : Lectures et commentaires

figuier-deseche

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 24 mars 2019

3éme dimanche du Carême

1ère lecture

2ème lecture

Psaume

Evangile

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PREMIERE LECTURE – Livre de l’Exode 3, 1-8a. 10. 13-15

En ces jours-là,
1 Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro,
prêtre de Madiane.
Il mena le troupeau au-delà du désert
et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb,.
2 L’Ange du SEIGNEUR lui apparut
dans la flamme d’un buisson en feu.
Moïse regarda : le buisson brûlait
sans se consumer.
3 Moïse se dit alors :
« Je vais faire un détour
pour voir cette chose extraordinaire :
pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? »
4 Le SEIGNEUR vit qu’il avait fait un détour pour voir,
et Dieu l’appela du milieu du buisson :
« Moïse ! Moïse ! »
Il dit : « Me voici ! »
5 Dieu dit alors :
« N’approche pas d’ici !
Retire les sandales de tes pieds,
car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »
6 Et il déclara :
« Je suis le Dieu de ton père,
le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. »
Moïse se voila le visage
car il craignait de porter son regard sur Dieu.
7 Le SEIGNEUR dit :
« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple
qui est en Egypte,
et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants.
Oui, je connais ses souffrances.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens
et le faire monter de ce pays
vers un beau et vaste pays,
vers un pays ruisselant de lait et de miel.

10 Maintenant donc, va !
Je t’envoie chez Pharaon :
tu feras sortir d’Egypte mon peuple, les fils d’Israël. »

13 Moïse répondit à Dieu :
« J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai :
Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.
Ils vont me demander quel est son nom ;
que leur répondrai-je ? »
14 Dieu dit à Moïse :
« Je suis qui je suis.
Tu parleras ainsi aux fils d’Israël :
Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est JE-SUIS. »
15 Dieu dit encore à Moïse :
« Tu parleras ainsi aux fils d’Israël :
Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est le SEIGNEUR,
le Dieu de vos pères,
le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.
C’est là mon nom pour toujours,
c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en âge. »

Ce récit magnifique est capital pour la foi d’Israël et donc aussi pour la nôtre : c’est la première fois que l’humanité découvrait qu’elle était aimée de Dieu ; au point qu’il voit, qu’il entend, qu’il connaît nos souffrances. Seul, le peuple élu pouvait accéder à cette découverte, parce que personne au monde n’y a pensé tout seul, il a fallu la Révélation. C’est sur ce socle, cette conviction désormais inébranlable que s’est construite la foi d’Israël, et donc, encore une fois, la nôtre. Il faut entendre la force du texte biblique. Notre traduction liturgique est presque trop faible ; quand nous lisons « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple », le texte hébreu est beaucoup plus insistant ; il faudrait traduire « pour voir, j’ai vu » ou « vraiment j’ai vu, oui, j’ai vu » la misère de mon peuple en Egypte.
Cette misère du peuple était bien réelle, effectivement. L’immigration des Hébreux avait eu lieu des siècles plus tôt, à l’occasion d’une famine, et au début les choses allaient bien ; mais au fil des siècles, ces Hébreux s’étaient multipliés et au moment de la naissance de Moïse, ils commençaient à inquiéter le pouvoir. On les gardait parce que c’était une main-d’œuvre  à bon marché, mais on venait de décider de les empêcher de se reproduire ; un bon moyen, tout bébé garçon serait tué par la sage-femme dès sa naissance. On sait comment Moïse avait échappé miraculeusement à cette mort programmée et comment il avait finalement été adopté par la fille du Pharaon et élevé à la cour. Mais il n’avait pas oublié ses origines : il était sans cesse écartelé entre sa famille adoptive et ses frères de race, réduits à l’impuissance et à la révolte.
Un jour, il prit parti : témoin des violences des Egyptiens contre les Hébreux, il tua un Egyptien. Consciemment ou non, il venait de choisir son camp. Le lendemain, voyant deux Hébreux s’empoigner, il leur avait fait la morale ; mais il avait essuyé une fin de non-recevoir ; on l’avait accusé de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Ce qui signifiait que personne n’était prêt à lui confier la responsabilité de mener une quelconque révolte contre le Pharaon. En même temps, il avait entendu dire que le Pharaon avait décidé de le châtier pour le meurtre de l’Egyptien. Finie la vie à la cour, il fut obligé de s’exiler pour échapper aux représailles. Il s’enfuit dans le désert du Sinaï, il y rencontra et épousa une Madianite, Cippora, la fille de Jéthro.
C’est là que commence notre texte d’aujourd’hui : « Moïse gardait le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à l’Horeb, la montagne de Dieu. » Moïse, est certainement à ce moment-là dans les meilleures conditions qui soient pour rencontrer Dieu et recevoir sa vocation : il est sensible à la misère de ses frères, puisqu’il a pris des risques pour s’engager à leurs côtés, en tuant un Egyptien pour sauver un Hébreu ; mais en même temps, il a pris la mesure de son impuissance : le seul geste qu’il ait osé est un échec ; il est un paria désormais, et même ses frères de race ne lui reconnaissent aucune autorité. C’est cet homme pauvre qui s’approche d’un étrange buisson en feu.
Je ferai deux remarques : tout d’abord, Dieu se révèle en même temps comme le Tout-Autre et comme le Tout-proche ; Il est le Tout-Autre, celui qu’on ne peut approcher qu’avec crainte et respect ET en même temps, il est le Tout Proche, celui qui voit la misère de son peuple et lui suscite un libérateur. Commençons par les expressions qui manifestent la sainteté de Dieu et l’immense respect de l’homme qui se trouve en sa présence : la phrase « L’Ange du SEIGNEUR lui apparut au milieu d’un feu qui sortait d’un buisson », par exemple, est caractéristique ; pour dire la présence de Dieu lui-même dans le buisson, on prend une circonlocution ; l’expression « L’Ange du SEIGNEUR » est une manière pudique de parler de Dieu. Ou encore, des expressions comme « N’approche pas d’ici ! Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte ! » Ou enfin « Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. » En même temps, Dieu se révèle comme le Tout Proche des hommes, celui qui se penche sur leur malheur.
Deuxième remarque, il faut retenir l’articulation de l’intervention de Dieu. Il voit la souffrance des hommes, donc il intervient, donc il envoie Moïse : l’action de Dieu suppose la collaboration de celui que Dieu appelle… Encore faut-il que celui que Dieu appelle accepte de répondre à cet appel… Encore faut-il que celui qui souffre accepte d’être secouru.

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PSAUME – 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

6 Le SEIGNEUR fait œuvre  de justice,
il défend le droit des opprimés.
7 Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour.
11 Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.

La première lecture, avec le récit du buisson ardent (extrait du livre de l’Exode au chapitre 3) a révélé le Nom de Dieu : « JE SUIS » sous-entendu « avec vous » au plus profond de vos souffrances et de vos révoltes. En écho, notre psaume chante : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint. » Ces deux formulations du Mystère de Dieu (« JE SUIS » et « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié ») se complètent mutuellement.
Revenons d’abord à l’épisode du Buisson Ardent : on sait bien qu’il ne faut pas entendre l’expression « JE SUIS » ou « Je suis qui je suis » comme une définition, comme en philosophie on cherche à définir un concept ; la répétition du verbe « Je suis » est une tournure de la langue hébraïque, pour dire l’intensité. Dieu a commencé par rappeler la longue histoire d’Alliance avec les Pères : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Ce qui voulait déjà dire la fidélité de Dieu à son peuple depuis des siècles et à travers toute l’épaisseur d’une histoire. Puis il a dit sa compassion pour le peuple humilié, réduit à l’esclavage en Egypte ; enfin seulement il révèle son Nom « JE SUIS ». La première découverte que Moïse a faite au Sinaï, c’est donc cette Présence intense de Dieu au cœur  de la détresse des hommes. Il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante : « J’ai vu, (dit Dieu) oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups de ses surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer… » Moïse l’a tellement bien retenue qu’il a puisé là l’incroyable énergie qui a fait d’un homme seul, exilé, rejeté par tous, le meneur infatigable que l’on sait et le libérateur de son peuple.
Quand le peuple d’Israël se souvient de cette aventure inouïe, il sait bien que son premier libérateur, c’est Dieu, Moïse n’en est que l’instrument. Le « Me voici » de Moïse (comme celui d’Abraham, comme celui de tant d’autres depuis) est la réponse qui permet à Dieu de réaliser sa grande œuvre  de libération de l’humanité. Et, désormais, quand on dit « LE SEIGNEUR », qui est la traduction française des quatre lettres (YHVH) du Nom de Dieu, on pense à cette Présence libératrice.
La vision de Moïse qui accompagnait cette révélation du Nom permet de mieux entrer dans ce mystère de la Présence de Dieu ; rappelons-nous le début du récit du Buisson Ardent : « L’Ange du SEIGNEUR apparut à Moïse au milieu d’un feu qui sortait d’un buisson. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. » (Ex 3, 2).
Dieu se révèle donc de deux manières à la fois : dans cette vision et dans la parole qui dit son Nom. Devant cette flamme qui jaillit d’un buisson sans le consumer, Moïse est invité à comprendre que Dieu, comparé à un feu, est au milieu de son peuple (le buisson). Et cette Présence de Dieu au milieu de son peuple ne le détruit pas, ne le consume pas. Moïse, dont le premier réflexe a été de se voiler le visage, comprend alors qu’il n’y a pas à avoir peur. Du coup, la vocation du peuple est dite en même temps : il est le lieu choisi par Dieu pour manifester sa Présence ; et, désormais, le peuple choisi témoignera au milieu du monde que Dieu est au milieu des hommes et que ceux-ci n’ont rien à craindre.
Dans le psaume d’aujourd’hui, ce Nom de Dieu est explicité par la formule que nous connaissons bien « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié ». C’est la reprise exacte d’une autre révélation de Dieu à Moïse (Ex 34, 6). Ces deux révélations n’en font qu’une et le psaume développe : « Le SEIGNEUR fait œuvre  de justice, il défend le droit des opprimés. Il révèle ses desseins à Moïse, aux enfants d’Israël ses hauts faits. » Il s’agit de l’Exode, bien sûr. Mais Dieu est toujours le même, de toujours à toujours, il est cette Présence, cette flamme, au milieu de nous, feu de tendresse et de pitié.
Et c’est de cela que nous avons à témoigner ; si Dieu a choisi un peuple pour être son témoin au milieu du monde, c’est d’abord parce que le monde a besoin de ce témoignage : les hommes meurent de ne pas connaître cette flamme ; mais aussi, parce que seul le témoignage d’un peuple qui vit de cette flamme pourra la faire connaître. D’où la prédication des prophètes sur ces deux aspects de la vocation d’Israël : premièrement, oser témoigner de sa foi, de la révélation dont il est porteur ; deuxièmement, à l’image de son SEIGNEUR, faire oeuvre de justice et défendre le droit des opprimés.
Sur le premier point, celui du témoignage, c’est la lutte opiniâtre des prophètes contre l’idolâtrie : le peuple qui a expérimenté dans son histoire la présence du Dieu qui voit ses souffrances, et qui entend ses cris, ne peut plus se confier à des idoles de bois ou de pierre : « elles ont des yeux, et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n’entendent pas… » comme dit le psaume 115 (113B), 5-6. Dans la même veine, le prophète   Isaïe raille ceux qui coupent un morceau de bois en deux pour se chauffer avec l’un des morceaux et de l’autre faire une statue devant laquelle ensuite ils se prosterneront. (Is 44, 12-18). Et il ajoute « Qu’un homme crie vers ce dieu, il ne lui répond pas, de sa détresse il ne le sauve pas. » (Is 46, 7).
Sur le deuxième point, les prophètes sont tout aussi catégoriques ; témoin, par exemple, ce passage d’Isaïe que nous réentendons chaque année pendant le Carême : « Le jeûne   que je préfère (dit le SEIGNEUR), n’est-ce pas ceci ? Dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras ; devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. » (Is 58, 6-7). A ce prix seulement, nous serons à l’image et à la ressemblance du Dieu de tendresse et de pitié.

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DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul aux Corinthiens 10, 1-6. 10-12

1 Frères,
je ne voudrais pas vous laisser ignorer
que, lors de la sortie d’Egypte,
nos pères étaient tous sous la protection de la nuée,
et que tous ont passé à travers la mer.
2 Tous, ils ont été unis à Moïse
par un baptême dans la nuée et dans la mer ;
3 tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ;
4 tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ;
car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait,
et ce rocher, c’était le Christ.
5 Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu :
leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert.
6 Ces événements devaient nous servir d’exemple,
pour nous empêcher de désirer ce qui est mal
comme l’ont fait ces gens-là.

10 Cessez de récriminer
comme l’ont fait certains d’entre eux :
ils ont été exterminés.
11 Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple,
et l’Ecriture l’a raconté pour nous avertir,
nous qui nous trouvons à la fin des temps.
12 Ainsi donc, celui qui se croit solide,
qu’il fasse attention à ne pas tomber.

Apparemment, la communauté de Corinthe n’était pas à l’abri des tentations : dans les premiers chapitres de sa lettre, Paul a traité de quelques cas bien concrets : il a nommé les débauchés, les idolâtres, les adultères, les voleurs, les accapareurs, les ivrognes, les calomniateurs et les filous. Ici, de nouveau, Paul avertit ses lecteurs : la leçon qu’il va développer est grave ; il commence solennellement par la phrase « Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer ce qui s’est passé lors de la sortie d’Egypte… » et il termine par « celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber ». Pour le dire autrement, ne vous surestimez pas, personne n’est à l’abri de la tentation.
Pour appuyer ces conseils d’humilité, il nous propose une lecture de toute l’histoire du peuple d’Israël pendant l’Exode : histoire faite des dons de Dieu, d’une part, mais histoire faite aussi de la versatilité de l’homme : Dieu s’est montré comme il l’avait dit à Moïse… le Dieu fidèle, le Dieu présent à son peuple dans son difficile chemin vers la liberté, à travers le désert du Sinaï. En réponse, il n’a rencontré bien souvent qu’ingratitude : à de multiples reprises, le peuple a trahi l’Alliance.
Reprenons les diverses étapes de l’Exode, telles que Paul les relit ; dès le départ des fuyards, avant même le passage de la Mer Rouge, le livre de l’Exode note que Dieu avait pris lui-même la direction des opérations : « Le SEIGNEUR lui-même marchait à leur tête. Colonne de nuée le jour, pour leur ouvrir la route – colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et nuit. Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni la nuit, la colonne de feu. » (Ex 13, 21-22). Mais, dès le premier campement, le peuple reprend peur en voyant les Egyptiens à leur poursuite, et se révolte contre Moïse : « Les fils d’Israël eurent grand-peur et crièrent vers le SEIGNEUR. Ils dirent à Moïse : L’Egypte manquait-elle de tombeaux pour que tu nous aies emmenés mourir au désert ? Que nous as-tu fait là, en nous faisant sortir d’Egypte ? Ne te l’avions-nous pas déjà dit en Egypte : Laisse-nous servir les Egyptiens ! Mieux vaut pour nous servir les Egyptiens que mourir au désert. » (Ex 14, 10-11).
Et la même histoire va se répéter à chaque nouvelle difficulté : le chemin de la liberté est semé d’embûches et la tentation est grande de retomber dans son ancien esclavage. C’est exactement le message que Paul adresse aux Corinthiens : traduisez « Christ vous a libérés, mais vous êtes bien souvent tentés de retomber dans vos errances antérieures, sans vous apercevoir que toutes ces mauvaises conduites font de vous des esclaves. Le chemin du Christ vous paraît rude, mais faites-lui confiance, lui seul est libérateur. »
L’étape suivante de l’Exode, ce fut le passage de la mer : la situation était désespérée ; quelques fuyards acculés à la mer, et derrière eux, une armée bien équipée et décidée à les rattraper. C’est alors que Dieu intervient : « L’ange de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël partit et passa sur leur arrière. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. Elle s’inséra entre le camp des Egyptiens et le camp d’Israël. » Ainsi protégé, le peuple put traverser la mer qui s’écarta pour les laisser passer : « Le SEIGNEUR refoula la mer toute la nuit par un vent d’Est puissant et il mit la mer à sec. » (Ex 14, 19-21).
Mais les épreuves n’étaient pas finies pour autant et à bien des reprises les Israélites ont eu tout loisir de regretter la sécurité de l’Egypte : ils étaient libres, certes, mais dans ce désert, on manquait de tout et les dangers, eux, ne manquaient pas. Ils ont connu la faim, ils ont connu la soif ; mais à chaque nouvelle difficulté, au lieu de faire confiance, de savoir d’avance que Dieu interviendrait, le peuple a commencé par se plaindre et se révolter. L’épisode qui résume le mieux ce problème sans cesse renaissant, c’est celui du manque d’eau et du Rocher, justement. Quand le peuple a commencé à ressentir vraiment la soif, les récriminations ont commencé et Moïse a eu bien peur d’être lapidé. Mais à travers lui, c’est Dieu lui-même qu’on accusait : « Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d’Egypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? » C’est là que Moïse a frappé le Rocher et il en est sorti de l’eau. Ensuite il a baptisé ce lieu Massa et Meriba, qui veut dire « Epreuve et Querelle » car, disait-il, « ici, le peuple mit le SEIGNEUR à l’épreuve en disant Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17, 3-7).
Les problèmes qui se posent aux Corinthiens ne sont plus les mêmes, évidemment ; mais il existe d’autres Egyptes, d’autres esclavages ; pour ces nouveaux Chrétiens, il y a des choix à faire au nom de leur Baptême, il y a des conduites qu’on ne peut plus tenir. Et ces choix peuvent être douloureux ; pensez par exemple aux exigences du catéchuménat pour les premiers Chrétiens : elles signifiaient de vrais renoncements à des comportements, à des relations, à un métier, parfois ; renoncements auxquels on ne peut consentir que si on met toute sa confiance en Jésus-Christ. Dans la société mélangée et particulièrement laxiste de Corinthe, afficher un comportement chrétien relevait du courage. Mais ce qui semble folie pour les hommes est véritable sagesse aux yeux de Dieu.
Ce n’est peut-être pas un hasard si, pendant le temps du Carême, l’Eglise nous donne à méditer ce texte de Paul fait à la fois d’exigence pour nous-mêmes et de confiance en Dieu.

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EVANGILE  selon Saint Luc, 13, 1-9

1 Un jour, des gens rapportèrent à Jésus
l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer
mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
2 Jésus leur répondit :
« Pensez-vous que ces Galiléens
étaient de plus grands pécheurs
que tous les autres Galiléens,
pour avoir subi un tel sort ?
3 Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même.
4 Et ces dix-huit personnes
tuées par la chute de la tour de Siloé,
pensez-vous qu’elles étaient plus coupables
que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5 Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même. »
6 Jésus disait encore cette parabole :
« Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.
Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
et n’en trouva pas.
7 Il dit alors à son vigneron :
Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier,
et je n’en trouve pas.
Coupe-le.
A quoi bon le laisser épuiser le sol ?
8 Mais le vigneron lui répondit :
Maître, laisse-le encore cette année,
le temps que je bêche autour
pour y mettre du fumier.
9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir.
Sinon, tu le couperas. »

Voilà bien un texte étonnant ! Il rassemble deux « faits divers », un commentaire de Jésus et la parabole du figuier. A première vue, ce rapprochement nous surprend, mais si Luc nous le propose, c’est certainement intentionnel ! Et alors on peut penser que la parabole est là pour nous faire comprendre ce dont il est question dans le commentaire de Jésus sur les deux faits divers.
Premier fait divers, l’affaire des Galiléens : en soi, il n’a rien de surprenant, la cruauté de Pilate était connue ; l’hypothèse la plus vraisemblable, c’est que des Galiléens venus en pèlerinage à Jérusalem ont été accusés (à tort ou à raison ?) d’être des opposants au pouvoir politique romain ; on sait que l’occupation romaine était très mal tolérée par une grande partie du peuple juif, et c’est bien de Galilée qu’à l’époque de la naissance de Jésus était partie la révolte de Judas, le Galiléen. Ces pèlerins auraient donc été massacrés sur ordre de Pilate au moment où ils étaient rassemblés dans le Temple de Jérusalem pour offrir un sacrifice. Quant à l’écroulement de la tour de Siloé, deuxième fait divers, c’était une catastrophe comme il en arrive tous les jours.
D’après la réponse de Jésus, on devine la question qui est sur les lèvres de ses disciples : elle devait ressembler à celle que nous formulons souvent dans des occasions semblables : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive ceci ou cela ? »
C’est l’éternelle question de l’origine de la souffrance, le problème jamais résolu ! Dans la Bible, c’est le livre de Job qui pose ce problème de la manière la plus aiguë et il énumère toutes les explications que les hommes inventent depuis que le monde est monde. Parmi les explications avancées par l’entourage de Job accablé par toutes les souffrances possibles, la plus fréquente était que la souffrance serait la punition du péché. J’ai bien dit « serait » ! Car la conclusion du livre de Job est très claire : la souffrance n’est pas la punition du péché  ! A la fin du livre, d’ailleurs, c’est Dieu lui-même qui parle : il ne nous donne aucune explication et déclare nulles toutes celles que les hommes ont inventées ; Dieu vient seulement demander à Job de reconnaître deux choses : premièrement, que la maîtrise des événements lui échappe et deuxièmement, qu’il lui faut les vivre sans jamais perdre confiance en son Créateur.
Devant l’horreur du massacre des Galiléens et de la catastrophe de la tour de Siloé, Jésus est sommé de répondre à son tour ; la question du mal se pose évidemment et les disciples n’échappent pas à la tentative d’explication : l’idée d’une relation avec le péché semble être venue spontanément à leur esprit. La réponse de Jésus est catégorique : il n’y a pas de lien direct entre la souffrance et le péché. Non, ces Galiléens n’étaient pas plus pécheurs que les autres… non, les dix-huit personnes écrasées par la tour de Siloé n’étaient pas plus coupables que les autres habitants de Jérusalem. Là Jésus reprend exactement la même position que la conclusion du Livre de Job.
Mais il poursuit et à partir de ces deux faits, il va inviter ses apôtres à une véritable conversion. Il le fait avec énergie et il insiste sur l’urgence de la conversion. Là, on croit entendre les prophètes comme Amos ou Isaïe, ou tant d’autres.
Mais il ajoute aussitôt la parabole du figuier qui vient tempérer la rudesse apparente de ses propos. Elle nous dit combien les mœurs  divines sont différentes des mœurs  humaines, car elle nous révèle un Dieu plein de patience et d’indulgence ! A vues humaines, un figuier stérile qui épuise inutilement le sol de la vigne, il n’y a qu’une chose à faire, c’est le couper ! Traduisez, « si on était Dieu, les pécheurs, on les éliminerait ! » Mais les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes ! « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive » disait déjà Ezéchiel (Ez 18, 23 ; 33, 11). La conversion que Jésus demande à ses disciples ne porte donc pas d’abord sur des comportements ; ce qu’il faut changer de toute urgence, c’est notre représentation d’un Dieu punisseur.
Bien plus, c’est en face du mal justement, qu’il faut nous rappeler que Dieu est « tendresse et pitié » comme dit le psaume de ce dimanche ; qu’il est « miséricordieux », c’est-à-dire penché sur nos misères. La conversion qui nous est demandée ne serait-ce pas tout simplement celle-ci ? A savoir nous mettre une fois pour toutes à croire à l’infinie patience et miséricorde de Dieu ? Et là encore, Jésus reprend bien à son compte les conclusions du livre de Job : ne cherchez pas à expliquer la souffrance ni par le péché, ni par autre chose, mais vivez dans la confiance en Dieu.
Alors les deux phrases « si vous ne vous convertissez pas… vous périrez de la même manière » voudraient dire quelque chose comme : L’humanité court à sa perte parce qu’elle ne fait pas confiance à Dieu. C’est toujours la même histoire : nous sommes comme le peuple d’Israël au désert, dont Paul rappelait l’aventure dans la deuxième lecture ; notre liberté doit choisir entre la confiance en Dieu et le soupçon : choisir la confiance, c’est croire une fois pour toutes que le dessein de Dieu est bienveillant ; ce simple retournement de nos cœurs  changerait la face du monde !