ECRIVAIN ANGLAIS, LES VERSETS SATANIQUES, LITTERATURE, LITTERATURE BRITANNIQUE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, ROMAN, ROMANS, SALMAN RUSHDIE (1947-....)

Les Versets sataniques de Salman Rushdie

Les versets sataniques

Salman Rushdie

Paris, Christian Bourgeois, 1989. 584 pages.

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Résumé :

Un jumbo jet explose au-dessus de la Manche. Au milieu de membres humains éparpillés et d’objets non identifiés, deux silhouettes improbables tombent du ciel : Gibreel Farishta, le légendaire acteur indien, et Saladin Chamcha, l’Homme aux Mille Voix. Agrippés l’un à l’autre, ils atterrissent sains et saufs sur une plage anglaise enneigée.
Gibreel et Saladin ont été choisis pour être les protagonistes de la lutte éternelle entre le Bien et le Mal. Mais par qui ? Les anges sont-ils des diables déguisés ? Tandis que les deux hommes rebondissent du passé au présent, se déroule un cycle extraordinaire de contes d’amour et de passion, de trahison et de foi avec, au centre, l’histoire de Mahound, prophète de Jahilia, la cité de sable – Mahound, frappé par une révélation où les versets sataniques se mêlent au divin.
Salman Rushdie nous embarque dans une épopée truculente, un voyage de larmes et de rires au pays du Bien et du Mal, si inséparablement liés dans le cœur des hommes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Versets_sataniques

Salman Rushdie

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Nationalité : Royaume-Uni
Né(e) à : Bombay , le 19/06/1947

Sir Ahmed Salman Rushdie est un essayiste et romancier britannique d’origine indienne. Salman Fredich Rushdie quitte son pays à l’âge de quatorze ans pour vivre au Royaume-Uni. Il y étudie à la Rugby School puis à King’s College.

Sa carrière d’écrivain débute avec Grimus, un conte fantastique, en partie de science-fiction qui sera ignoré de la critique littéraire. En 1981, il accède à la notoriété avec Les Enfants de minuit pour lequel il est récompensé du James Tait Black Memorial Prize et le Booker Prize. Les Enfants de minui  a été récompensé comme le meilleur roman ayant reçu le prix Booker au cours des 25 puis des 40 dernières années.

En 1988, la publication des Versets sataniques soulève une vague d’émotion. Par conséquent, il est objet d’une fatwa de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, et devient ainsi un symbole de la lutte pour la liberté d’expression.

En novembre 1993, à la suite d’une vague d’assassinats d’écrivains en Algérie, il fait partie des fondateurs du Parlement international des écrivains, une organisation consacrée à la protection de la liberté d’expression des écrivains dans le monde. L’organisation est dissoute en 2003 et remplacée par l’International Cities of Refuge.

En 2004, il s’est marié (pour la quatrième fois) avec la top-model et actrice indienne Padma Lakshmi. Après 3 ans de mariage, Salman Rushdie et Padma Lakshmi divorcent.

Salman Rushdie s’oppose au projet du gouvernement britannique d’introduire en droit le crime de haine raciale et religieuse, ce qu’il a exposé dans sa contribution La libre expression n’est pas une offense, un recueil d’essais publié en novembre 2005.

Il continue d’écrire et de publier des romans et des contes, comme Shalimar le clown en 2005, L’Enchanteresse de Florence en 2008 ou encore Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits en 2016. Il est l’auteur aussi, d’une autobiographie intitulée Joseph Anton (2012). Son style narratif, mêlant mythe et fantaisie avec la vie réelle, a été qualifié de réalisme magique.

Populaire mais discret en Grande Bretagne, il a été anobli par la Reine Elisabeth II

Le 11 août 2022, Salman Rushdie est blessé au couteau alors qu’il allait tenir une conférence à New York

https://fr.wikipedia.org/wiki/Salman_Rushdie

ECRIVAIN CHRETIEN, LITTERATURE CHRETIENNE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, LUC WEIZMANN (1957-....), SIMONE PACOT (1924-2017), SIMONE PACOT : PASSANTE DE VIE, SPIRITUALITE

Simone Pacot : passante de vie

Simone Pacot : passante de vie

Luc Weizmann

Paris, Salvator, 2022. 306 pages.

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C’est grâce à plusieurs ouvrages de spiritualité, notamment L’évangélisation des profondeurs, que Simone Pacot (1924-2017) a connu la célébrité. Elle a su proposer un trajet de restauration de l’être, lors de sessions assurées par les équipes de l’association Bethasda, toujours très active. Luc Weizmann nous propose de découvrir son parcours de vie et l’essentiel de son message, articulant foi chrétienne et approche psychologique. Avant son engagement dans un domaine où elle a été pionnière, Simone Pacot fut avocate, investie dans le combat contre le racisme et pour les relations entre juifs, chrétiens et musulmans, compagne de la Communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, militante à l’Action civique non-violente et juriste spécialisée dans le droit de la famille. Dès sa retraite professionnelle, elle se consacrera entièrement à l’accompagnement spirituel et à la diffusion d’un message fondé sur la parole de Dieu. Profondément oecuménique, elle révélera en filigrane de la Bible cinq « lois de vie » intimement constitutives de la personne humaine. Pour une invitation à la libération intérieure proposée par le Christ. AUTEUR Luc Weizmann est architecte, membre de l’Académie d’architecture et auteur de plusieurs ouvrages. Filleul et ami proche de Simone Pacot, il connaît particulièrement bien sa vie et son enseignement spirituel.

 

 

Critique

 

 « Simone Pacot », de Luc Weizmann : portrait d’une femme des profondeurs 

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Cet ouvrage d’un proche permet de découvrir le parcours de vie et les nombreux engagements d’une femme qui a su articuler foi chrétienne et approche psychologique.

Parue en 1997, L’Évangélisation des profondeurs de Simone Pacot a marqué durablement de nombreux lecteurs. Mais peu savent précisément qui est cette autrice née en 1924 et décédée en 2017. Luc Weizmann, son filleul et ami, comble donc un manque avec cet ouvrage bien informé qui, sans éviter quelques pointes hagiographiques, parvient à dresser un portrait nuancé de sa marraine, présentant toutes les richesses et les complexités d’une forte personnalité qui a été une aide pour de nombreuses personnes tout au long de son existence.

Une jeunesse heureuse

Fille d’un avocat en vue de Casablanca, Simone Pacot, qui resta toujours célibataire, vécut une jeunesse heureuse sous le soleil marocain. Jeune avocate au cabinet de son père, elle quitte le Maroc à la fin du protectorat et, en France à partir de 1957, s’engage à fond (comme tout ce qu’elle fit !) dans la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, à Bollène, puis sur le Larzac, avant de retourner dans le sud de son pays natal, à Tata, dans une petite fraternité au service des plus pauvres, en particulier des femmes berbères.

En 1969, nouvelle rupture dans une longue existence qui en comptera un certain nombre, elle revient en France et s’engage dans le cabinet d’avocats Ornano où le patron « souhaita(it) unifier exercice professionnel et engagement de vie ». C’est durant cette période que sa foi se renouvela complètement, où elle se rapprocha du Christ par une véritable consécration personnelle et vécut une guérison intérieure qui la marqua définitivement.

 Après de gros soucis de santé, qui la handicapèrent à vie, et sa retraite professionnelle en 1987, Simone Pacot s’engage dans la communauté Béthanie, fondée entre autres par le jésuite Étienne Garin et alliant spiritualité ignatienne, psychologie et dynamisme du mouvement charismatique alors naissant. Elle emménagera d’ailleurs à Vanves pour se rapprocher de la Maison de Lazare, installée à proximité depuis 1985 « en vue de l’écoute et de l’accompagnement de détresses manifestes ou secrètes ».

Fondatrice des sessions Bethasda

Mais les choses se gâtèrent pour cette femme que son biographe n’hésite pas à décrire comme « excessive dans les éloges et les critiques », et elle dut quitter Béthanie. Cette rupture lui laissa « une blessure (qui) resta longtemps ouverte », mais lui permit aussi de voler de ses propres ailes et de déployer ses intuitions personnelles, tout en acceptant de se confronter à d’autres, comme le père Xavier Thévenot. Et bien qu’elle s’en défendît souvent, elle fit alors œuvre de fondatrice avec les sessions Bethasda, qui, de plus en plus nombreuses, attirèrent toujours davantage de participants qui y trouvèrent un grand profit.

 L’Évangélisation des profondeurs et les trois autres ouvrages qu’elle écrivit dans la décennie suivante contribuèrent à élargir son audience en France et à l’étranger. « Les écrits de Simone Pacot ouvrent des portes. Ils se sont imposés comme une référence incontournable dans les milieux d’Église, même s’ils demeurent un peu inclassables sur les étagères des librairies et des bibliothèques », explique Luc Weizmann, qui décrit avec précision et nuances la pensée originale et parfois dérangeante de sa chère marraine.

« Ancrée dans l’apport précieux des sciences humaines et dans le terreau de la tradition juive et chrétienne, Simone a découvert la vie psychique, puis cherché pas à pas sa juste articulation avec la vie spirituelle. Elle n’a eu de cesse d’explorer les confins de ses profondeurs en visitant sa vulnérabilité dans l’énergie du Souffle », écrit-il.

Atteinte par l’âge, elle doit quitter son appartement de Vanves. Celle qui avait été marquée plus jeune par la communauté protestante des sœurs de Grandchamp en Suisse et par son amitié avec sœur Minke, termine sa longue existence dans une maison de retraite des sœurs diaconesses de Reuilly. L’auteur, tout en restant pudique, n’occulte pas ces dernières années, marquées à la fois par les difficultés de la dépendance physique de plus en plus grande et le soutien d’une foi toujours plus intériorisée.

https://www.la-croix.com/Culture/Simone-Pacot-Luc-Weizmann-femme-profondeurs-2022-07-06-1201223718

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Simone Pacot

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27 janvier 2004: Simone PACOT, avocate honoraire à la Cour d’appel de Paris, anime depuis de nombreuses années des sessions avec l’équipe de l’association Bethasda, Issy les Moulineaux (92), France.

Simone Pacot, née le 14 novembre 1924 à Casablanca et morte le 28 avril 2017 à Paris, est une ancienne avocate à la cour d’appel de Paris, engagée dans le combat contre le racisme et dans les relations entre musulmans, juifs et chrétiens, qui s’est lancée, une fois retraitée, dans la mise en place d’un parcours de guérison intérieure.

 

Biographie

En 1961, alors militante de l’Action civique non-violente et secrétaire de son journal, elle est condamnée à une peine de six mois de prison avec sursis pour « provocation de militaires à la désobéissance ».

Elle est cofondatrice avec une équipe œcuménique de l’association « Bethasda » qui organise depuis plusieurs années des sessions intitulées « Évangélisation des profondeurs »  dans différentes villes de France, en Suisse, en Belgique et au Canada.

Elle a également fait partie d’une équipe de juristes bénévoles au sein du groupe d’information et de soutien des immigrés, une association à but non lucratif de défense et d’aide juridique des étrangers en France.

 

Approche spirituelle

Simone Pacot identifie cinq paroles de Dieu qui sont, selon elle « lois de vies »  : Il faut renoncer à la connivence avec la mort (« Choisis la vie », Dt 30,19), il faut accepter sa condition humaine (« interdiction de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », Gn 2, 16)7, il faut rechercher l’unité de son être (« tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de tout ton esprit », Dt 6, 5), il faut déployer son identité propre (« va vers toi », Gn 12, 1), et il faut accueillir sa fécondité (« soyez féconds », Gn 1, 28).

 

Parcours « Bethasda »

Le nom du parcours, « Bethasda », est tiré du nom de la piscine de Bethesda, où Jésus guérit un paralysé (Jn 5, 1-18). Il articule foi chrétienne et approche psychologique et s’appuie sur les propres expériences de Simone Pacot.

Simone Pacot forma divers laïcs, prêtres catholiques et pasteurs protestants à sa pédagogie et coanima avec eux les sessions « Bethasda ». Lors de celles-ci, on repérait la transgression de ces cinq lois qui conduisent vers des chemins de mort, en travaillant successivement sur l’événement blessant (que m’est-il arrivé ?), la racine de la fausse route (comment ai-je réagi ?), la Parole de Dieu (que me dit-elle ?), la repentance issue de cette Parole (à quel mouvement intérieur m’amène-t-elle ?) et la conversion (quel pas puis-je poser ?).

 

Ouvrages

Elle a écrit une trilogie, publiée aux éditions du Cerf, sur le thème de l’évangélisation des profondeurs :

L’Évangélisation des profondeurs, 1997

Reviens à la vie !, 2002

Ose la vie nouvelle! 2003

Ouvrir la porte à l’Esprit, 2007

Elle a coécrit :

Itinéraires : Des chrétiens témoignent (2000) en collaboration avec Jean Boissonnat, Jacques Poujol et Frédéric de Coninck, éd. Empreinte Temps Présent

 

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Les secrets de Saint Jacques de Compostelle

Les secrets de Saint Jacques de Compostelle

Philippe Martin

Paris, La Librairie Vuibert, 2018. 319 pages.

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Résumé :

Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle reposerait-il sur un mythe ? Et si l’homme enterré là n’était pas l’apôtre Jacques, mort en Terre sainte, mais l’hérétique Priscillien ? Charlemagne est-il vraiment venu défendre le tombeau contre l’envahisseur musulman ? Les guides touristiques et les premiers papiers d’identité seraient-ils un héritage des pèlerins du Moyen Âge ?
Tout au long des siècles, les chrétiens ont marché vers Saint-Jacques-de-Compostelle, écrivant une histoire riche de mythes et de légendes, mais aussi de secrets bien gardés.
Philippe Martin, historien et marcheur, nous raconte, des origines à nos jours en passant par la Reconquista et les turbulences du XXe siècle, les multiples métamorphoses du légendaire Camino. Il nous entraîne sur les pas de millions de pèlerins d’hier et d’aujourd’hui, dont il peint le vivant portrait : qui sont-ils, comment voyagent-ils ? Quels sont leurs rites et les périls qui les guettent ? Quelle espérance les guide ?
Jamais le « chemin semé d’étoiles » n’aura paru aussi fascinant.

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Critique

Comment résumer en peu de mots cet ouvrage qui  s’attache à passer en revue les mythes et autres légendes urbaines du Camion, non pour les ridiculiser mais les resituer dans leur contexte : contexte social, contexte religieux et politique.La figure de l’apôtre saint Jacques qui n’a peut-être jamais mis les pieds en Espagne sert en effet des objectifs religieux (lutter contre les musulmans en Espagne et faire de ce pays une terre chrétienne), objectifs politiques pour asseoir la légitimité des souverains espagnols, puis du régime franquiste sur la péninsule ibérique Le tout est bien documenté pour nous faire comprendre comment la légende de saint Jacques est née puis s’est enrichie au fil des différentes époques et canalisée par l’Eglise

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Philippe Martin (professeur à l’Université de Lyon 2) passe également, avec de nombreux documents à l’appui,  en revue la diversité des pèlerins qui font le Camino pour rejoindre l’extrême Nord-Ouest du Chemin de Saint-Jacques :

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« Les marcheurs ne savent pas se définir, mais se devinent différents… Si la communauté existe vue de l’extérieur, vue de l’intérieur, est-elle homogène ? L’enquêteur est immédiatement marqué par la diversité des figures qu’il rencontre. Un couple de Coréens qui, avant un mariage arrangé par leurs familles, se découvrent sous le regard d’un chaperon qui a tant de mal à marcher. Des convertis de fraîche date qui croisent ces catholiques en quête de paix. Un quinquagénaire soufflant sur son vélo, transpirant avec force, pour remercier le saint de l’avoir guéri d’un cancer. Une horde de jeunes Espagnols repus de joie d’avoir réussi leurs examens. Ce Néerlandais longiligne qui avance de plus de 60 kilomètres par jour. Ces Brésiliens qui enchantent le Camino de leurs légendes et de leurs rires. Et tant d’autres. »

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Ainsi après l’esquisse du portrait de saint Jacques (exercice difficile tant les sources très nombreuses sont contradictoires. Mais cette enquête éclaire sur le sens que lui donnent les marcheurs et leurs motivations. Si le chemin de Compostelle a connu des périodes de déclin il est aujourd’hui un vrai phénomène de société. : 278 000 pèlerins pour l’année 2017 ayant accompli au moins les 100 derniers kilomètres de la « voie des étoiles ».

« Face à cette avalanche de doutes, l’historien doit avoir deux réflexes. le premier est de considérer que nombre de documents originaux ont disparu et que leurs copies doivent être analysées avec la plus grande prudence. le second est de ne pas commettre d’anachronisme. C’en serait un que de faire de nos auteurs des falsificateurs. Cette notion n’existe pas dans leur esprit : selon eux, pour qu’un légendaire survive, il doit s’actualiser, s’enrichir. le passé n’est pas une donnée figée, c’est une construction faite pour satisfaire les contemporains qui écoutent les histoires. Si nous utilisions un vocabulaire commercial, nous pourrions assurer qu’un pèlerinage – Compostelle ou un autre – est un « produit sacré ». À ce titre, on doit assurer sa promotion » !

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La marche à pied est l’un des nombreux mythes qui ne résiste pas devant la recherche historiographique de P. Martin : contrairement à ce qu’on croit aujourd’hui, le chemin préféré des pèlerins pour arriver au but était… la mer ! Les jaquets d’Europe centrale et du nord débarquaient à La Corogne (Galice) d’où il ne leur restait plus que 70 petits kilomètres à parcourir. Quant aux Italiens, Autrichiens et Croates, ils passaient volontiers par le détroit de Gibraltar pour débarquer en territoire lusophone.

Autre légende véhiculée depuis la « redécouverte » du Camino dans le dernier tiers du XXe siècle : la capillarité exercée par les principales et autoproclamées « Voies de Saint-Jacques » sur le flot des peregrinos: voies d’Arles au sud, du Puy pour les Suisses et les Lyonnais, de Vézelay pour les Allemands et les Scandinaves, de Tours pour les Parisiens et les Belges… Contrairement aux marcheurs du XXIe siècle, leurs prédécesseurs entre le Moyen-Âge et le Temps des Lumières prenaient  de grandes libertés avec les soi-disant itinéraires « officiels » : très souvent ils faisaient des détours pour visiter le tombeau d’un ou plusieurs saints dont ils voulaient vénérer les reliques. Si Saint-Jacques était la finem ultimum (le but à atteindre), cela n’empêchait nullement « la concurrence sainte » de mériter un crochet.
Idem pour la phrase souvent lue et entendue : « les pèlerins d’autrefois devaient revenir à pied de Galice. Ils parcouraient donc deux fois le chemin. » Selon les récits d’archive épluchés par l’universitaire lyonnais, il n’était pas rare que celui qui était venu plus ou moins à pied (« la triche » avec des tronçons franchis en calèche était courante !) rentrât chez lui en bateau depuis la Galice ou le Portugal !

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Aujourd’hui, en oubliant tout un pan de l’histoire du Camino, on a assiste à une simplification historique voulue par l’Europe dans un à la fois politique et idéologique :  « Les instances européennes ont tout intérêt à ce que le Camino existe : il sert à unifier des nations bien différentes ; il est la trace d’un passé d’échanges et de liens relativisant les guerres qui ont ravagé le continent. Même la figure de Jacques est transformée. Lui qui, pendant des siècles, a attiré des chevaliers participant à la croisade contre les musulmans, est désormais un pauvre qui chemine humblement à la rencontre d’autrui. le Chemin crée un sentiment d’identité, une identité vécue avec ces milliers de marcheurs, de cyclistes ou de cavaliers qui, tous les ans, lui donnent vie. »

© Claude Tricoire

30 juin 2022

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Extraits et citations

Nous nions la liberté des anciens pèlerins, leur faculté de se perdre en détours, de partir à l’aventure, de musarder et d’avancer à leur rythme ; nous refusons leur capacité à prendre leurs propres routes ; nous oublions leurs récits si différents les uns des autres pour nous réfugier entre les pages du récit unique d’Aimery Picaud, qui nous offre le confort d’une géographie linéaire.

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Quand un pays entre dans l’Union, de nouvelles cartes apparaissent. Aux quatre routes d’Aimery Picaud s’est substitué un écheveau complexe qui part de Pologne ou de Grèce. En actualisant sans cesse le Camino, l’Europe se crée des racines, un moule par lequel tous les peuples seraient passés, une expérience médiévale commune préfigurant l’actuelle construction politique.
Le phénomène, depuis plus de vingt ans, s’autogénère.
Jacques a été si populaire par le passé qu’il est facile de trouver, dans la moindre région du continent, une chapelle, une statue ou le souvenir d’une confrérie.
La tentation est grande de tracer des lignes entre ces points épars. Et voilà le Camino, vous assure-t-on, qui se concrétise ! Si ce n’est que nous sommes victimes d’une reconstruction, voire d’une invention historiographique. Nous confondons le culte de l’apôtre et la dévotion pèlerine ; nous mêlons dans un passé idéalisé et intemporel des éléments qui n’ont jamais existé ensemble et se sont étalés sur plus d’un millénaire…

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On ne le dira jamais assez : méfions-nous des a priori ! Aujourd’hui, penser au Camino, c’est penser à la marche à pied. L’image est tellement ancrée dans nos imaginaires que nul ne penserait à la remettre en cause. Et pourtant ! Pendant des siècles, la plus sûre route pour Compostelle est la mer. Depuis l’Antiquité, les côtes espagnoles sont fréquentées.
À partir du XIe siècle, avec l’affirmation de royaumes chrétiens dans le Nord de l’Espagne, les ports cantabriques prennent une importance majeure dans les échanges européens : le trafic maritime favorise celui des pèlerins dont le transport devient une activité à part entière. Anglais, Suisses, Français, Flamands ou Allemands se rendent donc en Galice en débarquant si possible à La Corogne ; de là, reste environ 70 kilomètres en terrain assez aisé.

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La joie de la rencontre va-t-elle survivre à la cohabitation ? Aux ronflements la nuit, à ce qui est interprété selon les cultures comme un manque de savoir-vivre, à la brutalité de certains propos, aux rythmes de marche différents ? Va-t-on partager la nourriture transportée ?
Va-t-on attendre celui qui boite ? Vivre avec l’autre est une des principales questions. Chacun développe sa stratégie : un tel dédaigne celui qui a un gros appareil photographique, car il le prend pour un touriste ; un autre fuit celui qui arbore une croix, le jugeant trop catholique ; un autre encore déguerpit devant le porteur d’un piolet, parce qu’il estime que cet esprit sportif n’est pas celui du chemin… En fait, chacun cherche son « semblable », cet inconnu qui saura avoir la même vision du Camino.
Inconsciemment se forge un adage : « Dis-moi comment tu marches, je te dirai si tu es un des miens. » Car le marcheur espère toujours à composer un groupe qui va l’épauler. Tout se construit en fonction de l’opposition pèlerin-touriste, qui cache le dualisme vrai-faux. Chacun se range bien sûr du côté du « véritable pèlerin », mais ceux qu’il méprise n’en pensent pas moins de leur côté. Ainsi se forment des exclusions, alors même que tout concourt à les rapprocher face à ceux qui ne marchent pas.

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Disons-le nettement, Le Chemin, cette route unique qui aurait drainé les foules européennes vers l’apôtre, n’a jamais existé. Si, aujourd’hui, se développe une mystique du chemin, la circulation réelle est plus complexe. Il y a des étapes obligatoires, imposées par la topographie, comme le col de Roncevaux pour traverser les Pyrénées, ou par les capacités d’accueil, à l’image de l’hôpital d’Aubrac.
Entre ces points, chacun tente de trouver la route qui lui convient : parce qu’elle est facile, parce qu’il y trouvera un gîte, parce qu’il souhaite voir une relique, parce qu’il espère trouver un petit travail capable de nourrir son pécule…

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ETE 2022, ETE 2022 : IDEES DE LECTURES POUR JEUNES, LECTURES, LITTERATURE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION

Eté 2022 : idées de lectures pour jeunes

Été 2022 : 10 idées de livres pour les ados à lire en vacances

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Le plus inspirant : « La Reine Soleil »

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Dédié aux « filles ambitieuses d’hier, d’aujourd’hui et demain », cet épais roman entremêle le parcours de la première femme pharaon, Hatchepsout, et celui d’Idalie, une fille de fermiers dans la France contemporaine. Même si des siècles et des kilomètres les séparent, toutes deux ont beaucoup en commun. Quand la première lutte pour conquérir et conserver un pouvoir réservé aux hommes, la seconde apprend à s’affirmer pour échapper au harcèlement scolaire et à un destin tracé : devenir comptable pour l’exploitation familiale, alors qu’elle se passionne pour l’égyptologie. Ce roman fort documenté restitue, par ses descriptions d’odeurs, de paysages et de scènes de la vie quotidienne, la magie enivrante de l’Égypte ancienne.

De Florence Thinard, Éd. Thierry Magnier, 400 p., 15,90 €. 12 ans et plus.

 

 

Le plus original : « Âmes libres »

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Dans un quartier mal famé des États-Unis, Jada habite seule avec son frère, membre d’un gang. Depuis le départ de leur mère, elle se débat pour survivre et continuer ses études. Non loin de chez elle, Queen, la lionne au regard d’ambre, est prisonnière d’un organisateur de combats d’animaux clandestins. Ce livre à l’écriture nerveuse croise le destin de ces deux êtres abîmés par la vie mais dotés d’un puissant caractère. Toute l’originalité du roman réside dans la façon dont Charlotte Bousquet épouse tour à tour les points de vue de l’adolescente et de la lionne qui vont, au fil des pages, apprendre à s’apprivoiser et à s’épauler. C’est la caractéristique de la nouvelle collection « Faune », qui renverse notre regard en donnant la parole aux animaux, chevaux, ours ou corbeaux.

De Charlotte Bousquet, Scrineo, 176 p., 12,90 €. 12 ans et plus.

 

 

Le plus effrayant : « Portrait au couteau »

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En 1910, un petit rat de l’Opéra qui posait pour un peintre montmartrois est sauvagement assassiné de plusieurs coups de couteau en plein cœur. Le meurtrier n’est jamais retrouvé et le fait divers tombe dans l’oubli. Un siècle plus tard, une jeune modèle aux Beaux-Arts porte d’étranges cicatrices, semblables à celles de la victime, et deux étudiants découvrent au Musée d’Orsay un tableau représentant la scène de crime. Ce récit envoûtant s’inscrit dans la grande tradition du roman fantastique, façon Portrait de Dorian Gray : pinceau qui prend le contrôle de la main de l’artiste, tableau qui change d’aspect… Pris par la mécanique bien huilée de l’intrigue, on s’interroge sur la réalité des événements étranges qui surviennent et on frémit avec délice.

De Malika Ferdjoukh, Bayard Jeunesse, 192 p., 13,90 €. 12 ans et plus.

 

 

Le plus envoûtant : « Djoliba, la vengeance aux masques d’ivoire »

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Djoliba est l’ancien nom du fleuve Niger, celui employé par les Bozos qui vivaient sur ses berges au XIVe siècle. Ce roman captivant nous entraîne dans les pas d’un fils de pêcheur qui quitte sa famille pour entrer au service d’un érudit égyptien parti sur les traces d’un redoutable assassin. Méprisé par son père à cause de son handicap (il boite), Tiamballé va s’inventer un nouveau destin, celui de détective en herbe et de griot, dans un monde peuplé de génies, de guérisseurs et de forces invisibles. Grand connaisseur de l’Afrique, où il a passé son enfance, Gaël Bordet offre une plongée passionnante dans les croyances et les traditions du Mali médiéval, tout en tenant en haleine par une enquête policière bien ficelée.

De Gaël Bordet, Hélium, 240 p., 15,90 €. 13 ans et plus.

 

 

Le plus amusant : « Londinium »

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La cité (imaginaire) de Londinium attire les animaux du monde entier, en quête d’une vie meilleure : les humains ont interdiction de les manger ou de les mettre en cage. Mais l’équilibre fragile de la cohabitation menace de s’effondrer lorsque débute cette nouvelle série fantastique. Des voix s’élèvent pour dénoncer l’immigration incontrôlée, les agressions qui se multiplient… Arsène, le lapin détective, élégant et futé comme Sherlock Holmes, en est le témoin impuissant alors qu’il enquête sur la disparition d’une jolie loutre. Mêlant polar et uchronie (réécriture de l’histoire à partir de la modification d’un événement passé), cette fable animalière à l’humour piquant fait réfléchir à la question du vivre-ensemble et à la manipulation des foules.

D’Agnès Mathieu-Daudé, L’École des loisirs, collection « Médium », 208 p., 14,50 €. 13 ans et plus.

 

 

Le plus rocambolesque : « Alecto »

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Dans le Paris de la Belle Époque, Sidonie, une orpheline de 17 ans, vit de l’écriture à la chaîne de romans à l’eau de rose, tout en rêvant de publier un ambitieux récit d’aventures. Elle s’accommode plutôt bien de la solitude lorsqu’une comtesse russe aux allures de cosaque fait soudain irruption chez elle, affirmant être une tutrice mandatée par son grand-père juste avant sa mort. Mais pourquoi disparaît-elle des après-midi entiers et à quoi sont destinées les armes cachées dans ses bagages ? Autour de ces deux héroïnes bien campées, Yann Fastier joue avec les codes du roman populaire du début du XXe siècle. Des bas-fonds aux quartiers chic, péripéties et mystères se succèdent dans un tourbillon enivrant.

De Yann Fastier, Talents hauts, 208 p., 16 €. 13 ans et plus.

 

 

Le plus humaniste : « Des sauvages et des hommes »

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En 1931, en marge de l’Exposition coloniale sur les merveilles de l’Empire français, une centaine de Kanaks sont exhibés au Jardin d’acclimatation, dans un enclos à côté des crocodiles. Ce roman choral retrace la préparation en coulisses de ce « zoo humain » et les conséquences que ce séjour a eues sur ces hommes, alphabétisés et élevés dans la religion catholique, contraints de jouer les sauvages cannibales. Dépeignant avec un humour grinçant le cynisme des organisateurs, Annelise Heurtier raconte aussi la solidarité dont firent preuve certains Parisiens, révoltés contre cette mascarade. La belle amitié née entre le Kanak Edou et Victor, un fils de bonne famille, enseigne que l’on peut toujours dépasser ses préjugés.

D’Annelise Heurtier, Casterman, 288 p., 14,90 €. 13 ans et plus

Le plus captivant : « Polar vert. Tome 1, Les Algues assassines »

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Un matin, Klervi, 17 ans, retrouve sur une plage de Bretagne son frère jumeau et son cheval, empoisonnés par les vapeurs toxiques des algues vertes. Sur le sable, elle reconnaît les traces du quad de son petit ami, Lucas, dont la famille a fait du trafic de civelle, une espèce protégée, un business juteux. Lucas est-il impliqué dans l’accident ? Klervi va-t-elle collaborer avec la gendarmerie qui cherche à coincer les trafiquants ? Spécialiste du grand banditisme, l’auteur de cette nouvelle série happe d’emblée le lecteur par son écriture vive, sa narration efficace et ses personnages complexes. Il puise dans les crimes écologiques la matière d’un thriller prenant.

Texte de Thierry Colombié, illustrations de Jeff Östberg, Milan, 256 p., 14,90 €. 14 ans et plus.

 

 

Le plus mordant : « Terre promise »

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Quand, en 1870, Jim Lockheart débarque à New Hope, hameau poussiéreux du Kansas planté comme une mauvaise herbe le long du chemin de fer, il n’a qu’une idée en tête : retrouver l’esclave en fuite responsable du drame qui a détruit sa famille. Mais les préjugés racistes et sexistes du planteur sudiste vont bientôt être battus en brèche par sa rencontre avec une femme shérif et un barman noir. Au fil des retours dans le passé, les parcours personnels de ces trois personnages cabossés, leur douloureux chemin vers la liberté ou la rédemption, composent la trame vibrante de ce beau roman choral. Fin psychologue, Philippe Arnaud dresse, par petites touches, le portrait âpre d’une Amérique meurtrie par l’esclavagisme, le massacre des Indiens et la guerre de Sécession.

De Philippe Arnaud, Sarbacane, 304 p., 17 €. 14 ans et plus.

 

 

Le plus surprenant : « Nos jours brûlés »

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Nous sommes en 2049. Dans un monde plongé dans une nuit éternelle à la suite d’une catastrophe, une adolescente et sa mère partent sur les traces d’une cité mythique, à la recherche de mystérieux « éclaireurs » qui pourraient livrer des explications et peut-être rétablir la lumière sur la Terre. Écrite par une toute jeune autrice à la plume imaginative, cette dystopie puise dans les mythes africains pour déployer un univers riche et fascinant, où la faune et la flore se sont adaptées à la pénombre mais où rôdent des monstres terrifiants. Ce premier opus, porté par des personnages attachants, inaugure une série romanesque prometteuse.

De Laure Nsafou, Albin Michel, 320 p., 16,90 €. 14 ans et plus.

https://www.la-croix.com/Culture/10-idees-livre-ado-adolescent-jeunesse-ete-vacances-selection-2022-07-06-1201223694

CEUX DE 14, ECRIVAIN FRANÇAIS, FRANCE, GUERRE MONDIALE 1914-1918, HENRI BARBASSE (1873-1935), HISTOIRE DE FRANCE, JEAN-YVES LE NAOUR, LA GLOIRE ET L'OUBLI, MAURICE GENEVOIX ET HENRI BARBUSSE, LE FEU, LITTERATURE FRANÇAISE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, MAURICE GENEVOIX (1890-1980), TEMOIGNAGES DE LA PREMIERE GUERRE (1914-1918)

La gloire et l’oubli : Maurice Genevoix et Henri Barbusse, témoins de la Grande Guerre

La gloire et l’oubli : Maurice Genevoix et Henri Barbusse, témoins de la Grande Guerre 

Jean-Yves Le Naour

Paris, Michalon, 2020. 284 pages.

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Au sortir de la Première Guerre mondiale, Maurice Genevoix est loin d’être considéré comme le représentant des Poilus. À l’époque, et durant tout l’entre-deux-guerres, c’est Henri Barbusse, l’auteur du « Feu », qui incarne le rôle de porte-parole des combattants. Prix Goncourt 1916, scandale littéraire ayant soulevé des passions contraires, « Le Feu » est un choc, un livre suffocant qui, pour la première fois, raconte le quotidien des tranchées sans rien dissimuler des souffrances des soldats. Profitant de cette exposition, Barbusse s’engage en politique, embrasse les combats du pacifisme et du communisme, suscite critiques ou admiration. Genevoix, lui, enfermé dans l’étiquette régionaliste, se tient pour sa part à l’écart du tumulte du monde, préfère les parties de pêche et les promenades au bord de la Loire et construit sa réputation littéraire en dehors du témoignage, avec notamment « Raboliot ». Pourtant, aujourd’hui, la fortune de la gloire littéraire s’inverse : avec ses cinq ouvrages de souvenirs rassemblés dans Ceux de 14 et sa panthéonisation, Genevoix prend sa revanche sur Barbusse, le prophète découronné. Comment cela a-t-il été possible ? Maurice Genevoix et Henri Barbusse : leur histoire raconte un siècle d’affrontement littéraire autour du témoignage et de la mémoire de la guerre, entre roman et récit, héroïsation et victimisation – deux regards sur la Grande Guerre, deux visions de la vérité.

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Frères d’armes, rivaux de plume

Par Jean-Yves Le Naour dans Historia mensuel 887

Tous deux découvrent la guerre en 1914. Ils en tireront des livres qui, pour la première fois dans l’histoire de la littérature, décrivent la violence du conflit. Mais l’un entre au Panthéon ce 11 novembre, l’autre pas…

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Visuels: le jeune Genevoix (à g. ©Famille Genevoix) et le quadragénaire Barbusse (à dr.©Rue des Archives/Tallandier.) offrent deux regards sur la Grande Guerre, entre remords et espoir, nourris par leur expérience des combats et leur volonté de témoigner du sacrifice de leurs camarades.

Henri Barbusse et Maurice Genevoix n’appartiennent pas à la même génération. À 41 ans, une situation faite dans le milieu du journalisme et un pied dans le domaine de l’édition, le premier n’a que peu de rapport avec le jeune provincial monté à Paris, major de l’École normale supérieure et qui, à 24 ans, n’a encore rien écrit mais lorgne l’agrégation en attendant de trouver sa voie. Pourtant, Barbusse comme Genevoix partagent une fascination pour l’écriture et sans doute une ambition commune, même s’ils ont des références différentes : l’un se réfère à Zola, l’autre à Maupassant. Bien entendu, Barbusse a déjà publié ; il fréquente les Rostand, Mallarmé et autres Courteline, mais on sent chez lui le regret d’une carrière éditoriale alimentaire qui ne peut combler ce romancier qui voudrait tant être reconnu. Pour tous deux, la guerre sera le moment de la révélation.

Politiquement, Genevoix et Barbusse sont encore plus éloignés. Le Ligérien est un modéré qui fera preuve, dans sa littérature, d’une défiance permanente envers la ville et la modernité, censées détruire la nature. Lecteur de Barrès, c’est un patriote convaincu. De toute façon, la politique ne l’intéresse guère. Quand les normaliens de gauche s’affrontent avec les camelots du roi de l’Action française, l’étudiant préfère monter sur le toit de l’établissement et arroser tout le monde avec une lance à incendie ! Genevoix, au-dessus des passions nationales ?

Barbusse, 41 ans, choisit de s’engager

Barbusse, lui, est un socialiste dreyfusard dont le premier engagement public vient justement avec la guerre. Lui qui, âgé de 41 ans et doté d’une santé fragile, devrait être réformé, fait le choix de signer un engagement volontaire. Il s’en explique le 3 août 1914, avec le ton du socialisme patriotique, à la façon d’un Péguy, qui confiait partir « pour le désarmement général et la dernière des guerres » : « Cette guerre est une guerre sociale qui fera faire un grand pas à notre cause. Elle est dirigée contre nos vieux ennemis infâmes de toujours : le militarisme et l’impérialisme, le Sabre, la Botte, et j’ajouterai : la Couronne. » Pour lui, c’est la Révolution française qui se rejoue : gare aux trônes ! Voici l’irruption définitive des peuples et de la démocratie. Demain, il n’y aura plus que des républiques soeurs.

Le 21 septembre 1914, Genevoix est envoyé sur le front de la Meuse, au nord de Verdun, à deux pas du bois de Saint-Rémy, où, le lendemain, Alain-Fournier disparaît au combat. Barbusse, lui, est dirigé sur Soissons, puis en Artois et en Champagne. Les deux hommes partent armés de carnets, bien décidés à puiser dans la guerre matière à littérature. La fatigue et la lassitude leur font cependant perdre la régularité sinon l’envie d’écrire.

Genevoix est blessé sur le front des Éparges, le 25 avril 1915

Genevoix est le plus méthodique : il couche sur un premier carnet quelques lignes pour résumer la journée à grands traits, puis, quand il a plus de temps, il détaille ses notes sur un autre cahier. « Vouloir écrire, ne serait-ce pas déjà être sauf ? » écrit le jeune homme. Les notes de Barbusse sont plus désordonnées. Ce bourgeois, mêlé pour la première fois aux classes populaires, s’intéresse particulièrement à l’argot du soldat. Il recense les bons mots avec gourmandise, se promettant de faire parler ses personnages comme ses camarades de tranchées.

Pour l’un comme pour l’autre, la guerre tourne court : Genevoix est blessé sur le front des Éparges, le 25 avril 1915, avec deux balles dans le bras gauche et une dans l’épaule. Quelques jours plus tôt, Louis Pergaud, l’auteur de La Guerre des boutons, disparaissait sur les mêmes lieux. Quant à Barbusse, il repousse à quatre reprises la proposition de passer caporal – par hostilité aux grades – et refuse son transfert dans la territoriale, qui regroupe les soldats les plus âgés. Il doit écrire à l’état-major pour obtenir de rester soldat parmi les troupes du front. Titulaire de la croix de guerre, deux fois cité, il tombe malade en juin 1915. Bien que placé parmi les brancardiers, un poste moins exposé, il multiplie les séjours à l’hôpital jusqu’à sa réforme définitive le 1er juin 1917. À cette date, ce grand échalas efflanqué est devenu une célébrité, et Genevoix a été remarqué.

Car tous deux inaugurent un nouveau genre de littérature : le témoignage. Il ne s’agit plus de fiction pure et simple, d’« inventer le vrai », comme disait Balzac, mais de raconter, de dire la « vérité », de déposer devant l’Histoire et devant les hommes. Il faut que l’on sache l’horreur de cette guerre que les menteurs de l’arrière décrivent comme une formidable épopée. Dès lors, l’écriture devient pédagogique et édifiante. Il faut que les survivants se transforment en « crieurs », selon le mot de Barbusse, pour que les morts ne meurent pas une seconde fois, avec pour tout linceul l’injure de l’oubli ou le mépris de l’indifférence ; il faut se souvenir pour haïr la guerre, la repousser pour toujours. « On vous a tués et c’est le plus grand des crimes », s’insurge Genevoix en conclusion des Éparges, le dernier volume de sa pentalogie, rassemblée en 1949 sous le titre Ceux de 14.

À nouvelle littérature, nouveau style. Pour trouver le ton de sincérité qui convient, Genevoix décrit ainsi sa méthode : « Je tenais sur toute chose à éviter que des préoccupations d’écriture ne vinssent altérer […] le témoignage que j’ai voulu porter. […] Je me suis interdit tout arrangement fabulateur, toute licence d’imagination après-coup. J’ai cru alors, je crois toujours qu’il s’agit là d’une réalité si particulière, si intense et dominatrice qu’elle impose au chroniqueur ses lois propres et ses exigences. » Barbusse brouillait un peu plus les repères en présentant Le Feu comme un roman vrai, et en le sous-titrant Journal d’une escouade. Était-ce alors un roman ou un journal ? Et lui aussi repoussait l’invention pour se vanter d’écrire le vrai, rien que le vrai : « Je me suis donné à ce genre de besogne dont la dignité est d’exclure toute effusion de l’imagination et de représenter non pas des histoires que j’ai inventées, mais des épisodes réels que j’ai pêchés tout vifs dans la Grande Guerre et qui correspondent à ce que j’ai vu ou entendu. »

Cela tombe bien. En ces temps de malheur, le public ne jure que par le récit. De 1914 à 1918, le genre romanesque ne représente pas plus de 11 % de l’ensemble des publications de guerre. « Qui est celui de nous qui aurait le cœur  d’écrire, lorsque la patrie souffre, et que ses frères meurent, un drame ou un roman ? » questionne Romain Rolland dans Au-dessus de la mêlée. Le premier roman de guerre, Gaspard, couronné par le prix Goncourt 1915, est pourtant le premier best-seller du conflit. En dépit de l’ineptie de l’histoire et de la description fantaisiste des soldats, toujours de bonne humeur – comme le public de l’arrière se les imaginait alors -, il s’écoula 150 000 exemplaires de cette farce grotesque.

Un Goncourt porte-parole des soldats

C’est pourquoi Sous Verdun de Genevoix et Le Feu de Barbusse bouleversent. Voilà pour la première fois des récits qui ne cachent ni la misère des poilus ni l’horreur de la guerre. L’héroïsme guerrier en prend un coup fatal. Publié en avril 1916, Sous Verdun, premier volume des souvenirs de guerre du Ligérien, est salué par la critique. « C’est du Maupassant de « derrière les tranchées », s’enthousiasme le Journal des débats. On voit la guerre, dans son horreur et sa vérité, toute frémissante. » On lui promet le prix Goncourt 1916, mais Le Feu, publié d’abord en feuilleton dans L’Œuvre puis chez Flammarion, lui vole la vedette. Succès d’estime pour Genevoix, qui voit son premier ouvrage flirter avec les 10 000 exemplaires, mais succès stratosphérique pour Barbusse : en quelques mois, Le Feu dépasse 200 000 exemplaires, et atteint aujourd’hui le million. Lauréat du Goncourt 1916, ce n’est plus un livre, c’est un phénomène ! Les poilus écrivent à l’auteur pour le féliciter et le considèrent comme leur porte-parole.

Pourtant, aujourd’hui, c’est Genevoix, et non pas Barbusse, qui entre au Panthéon comme le représentant des écrivains de 14-18. Quelle est donc la raison de ce retournement de fortune ? La polémique, tout d’abord. À la différence de Genevoix, qui entend rester neutre, Barbusse n’a jamais dissimulé ses convictions. Attaqué par la presse conservatrice en 1917, il est accusé de pacifisme – et donc de démoraliser les poilus avec un récit terrifiant et faux. Barbusse se défend en rappelant qu’il n’a rapporté que le vrai, mais tout change dans l’après-guerre quand il embrasse le communisme. Dès lors, il endosse le titre d’écrivain révolutionnaire, donnant au Feu une coloration qu’il n’avait pas à l’origine. Cet intellectuel engagé n’est plus consensuel. En entrant en politique, il est sorti de la littérature.

Genevoix, lui, connaît une trajectoire inverse. Retiré sur la Loire, indifférent aux désordres du monde, il délaisse le récit de guerre pour embrasser le roman. Contemplatif, admirant la nature, il se fait connaître par des récits de chasse et de pêche, notamment avec l’histoire du braconnier Raboliot (Goncourt 1925). Ce n’est qu’à partir des années 1960, la légitimité du titre d’académicien en plus, qu’il revient à 14-18. Sa longévité en fait bientôt pour les médias le poilu exemplaire et médiatique, et les historiens qui redécouvrent le témoignage portent aux nues Ceux de 14. Inversement, l’étoile de Barbusse s’éteint avec le déclin du parti communiste, qui entretenait la ferveur autour de son grand témoin.

En réalité, Genevoix n’est pas plus neutre que Barbusse, mais il parle à notre époque de victimisation en se contentant de dénoncer la guerre sans se demander pourquoi elle a eu lieu ni qui en sont les bourreaux. Du pathologique, pas de politique. Genevoix entre donc au Panthéon et Barbusse tombe dans l’oubli. Sa maison dans l’Oise menace ruine, mais les pouvoirs publics ne se pressent pas pour la rénover. La gloire et l’oubli ont vraiment changé de camp…

https://www.historia.fr/fr%C3%A8res-darmes-rivaux-de-plume#:~:text=Tous%20deux%20d%C3%A9couvrent%20la%20guerre,l’autre%20pas

Jean-Yves Le Naour

La Gloire et l’Oubli. M. Genevoix et H. Barbusse, témoins de la Grande GuerreJean-Yves Le Naour (Michalon, 2020)

http://jeanyveslenaour.com/la-gloire-et-loubli-maurice-genevoix-et-henri-barbusse-temoins-de-la-grande-guerre

EN CAMPAGNE POUR LE PANTHÉON

La panthéonisation de Genevoix n’est pas le fruit d’un plébiscite populaire mais d’un intense lobbying. En 2011, la fille de l’écrivain, Sylvie Genevoix, influente personnalité du monde de l’édition et de la télévision, aidée de son mari, le médiatique économiste Bernard Maris, fondent l’association « Je me souviens de Ceux de 14 ». La perspective du centenaire devant eux, ils militent pour la double panthéonisation de l’écrivain : celle, physique, de sa dépouille mortelle, et celle, symbolique, de son entrée dans la prestigieuse « Pléiade ». Un travail d’influence qui fonctionne : Bernard Maris intègre ainsi le conseil scientifique de la mission Centenaire, qui participe à de nombreux projets mettant en valeur Ceux de 14. Si la mort de Sylvie Genevoix (2012) et celle, dramatique, de Bernard Maris (2015), viennent donner un coup d’arrêt au projet, la panthéonisation se heurte surtout à un argument de taille : pourquoi honorer un écrivain, quand le Soldat inconnu incarne déjà la grande épreuve nationale ? Emmanuel Macron, qui prend finalement la décision, au cours de son « itinérance mémorielle » de novembre 2018, contourne le problème en annonçant la panthéonisation globale des Français de 14-18 à travers celle de Genevoix. Prévue pour le 11 novembre 2019, la cérémonie est repoussée à l’année suivante pour coïncider avec les 100 ans de la translation des cendres du Soldat inconnu sous l’arc de triomphe de l’Étoile. J.-Y. L. N.

 

Maurice Genevoix (1890-1980)

Maurice Genevoix est un romancier et poète français.

Il fut élève au lycée d’Orléans, puis au lycée Lakanal à Sceaux (1908-1911), avant d’entrer à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Mobilisé en 1914, il dut interrompre ses études pour rejoindre le front comme officier d’infanterie. Très grièvement blessé, il devait tirer de l’épreuve terrible que fut la guerre des tranchées la matière des cinq volumes de « Ceux de 14 » : Sous Verdun (1916), Nuits de guerre (1917), Au seuil des guitounes (1918), La Boue, (1921), Les Éparges (1923), œuvre qui prit place parmi les grands témoignages de la Première Guerre mondiale.

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La paix revenue, Maurice Genevoix devait renoncer à sa carrière universitaire pour se retirer en Sologne et se consacrer à la littérature. Son œuvre abondante a souvent pour cadre la nature du Val-de-Loire dans laquelle évoluent en harmonie hommes et bêtes.

Il est surtout connu pour ses livres régionalistes comme son roman Raboliot, qui lui valut une reconnaissance avec le prix Goncourt 1925.

Il a cependant dépassé le simple roman du terroir par son sobre talent poétique qui, associé à sa profonde connaissance de la nature, a donné des romans-poèmes admirés comme la Dernière Harde (1938) ou La Forêt perdue (1967).

Il s’est aussi penché plus largement et plus intimement sur sa vie en écrivant une autobiographie : Trente mille jours, publiée en 1980.

Plusieurs romans de Maurice Genevoix ont été portés au grand ou au petit écran dont Raboliot (2007), film télévisé de Jean-Daniel Verhaeghe, avec Thierry Frémont dans le rôle principal.

Élu sans concurrent à l’Académie française le 24 octobre 1946, Maurice Genevoix assuma pendant quinze ans, de 1958 à 1973, la charge de secrétaire perpétuel .

Source : http://www.academie-francaise.fr

 

 

Henri Barbusse

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Écrivain français, Henri Barbusse est né à Asnières, près de Paris, le 17 mai 1873.

Au terme d’études au collège Rollin où il a pour maîtres Stéphane Mallarmé, Pierre Janet et Henri Bergson, il est bachelier, puis licencié ès lettres. Lauréat d’un concours poétique organisé par L’Écho de Paris, il rencontre Marcel Schwob et Catulle Mendès (son futur beau-père), qui l’introduisent dans les cercles symbolistes.

Barbusse fait ses véritables débuts littéraires avec Pleureuses (1895), recueil poétique intimiste où s’exprime déjà sa pitié pour les déshérités. Son premier roman, Les Suppliants (1903), retrace, à travers le personnage de Maximilien, sa propre vie intérieure d’enfant et sa quête d’absolu. L’Enfer (1908), roman naturaliste jugé pessimiste et scandaleux, lui assure la notoriété: dans une chambre d’hôtel, un homme épie ses voisins de passage et dépeint, en une suite de tableaux, la tragédie de leur existence, leurs méditations, leurs querelles, leur agonie, leurs amours.

Au moment où éclate la Première Guerre mondiale, Henri Barbusse, bien qu’antimilitariste, décide de s’engager comme simple soldat. Sur le front, jour après jour, de décembre 1914 à novembre 1915, il note ses faits et gestes et ceux de ses camarades. Il obtient deux citations au combat, avant d’être évacué pour maladie et réformé. Profondément choqué par ce qu’il a vécu, il écrit Le Feu, qui suscite de vives protestations car il peint la guerre dans toute son horreur. Ce Journal d’une escouade (sous-titre du livre), récit brutal et émouvant des journées passées dans les tranchées, dans la boue et la saleté ou sous les bombardements, offre un témoignage irremplaçable sur le cauchemar d’une génération sacrifiée. Le Feu inaugure le genre du roman de guerre, obtient le prix Goncourt 1916 et assure à Barbusse une renommée mondiale. Sa vie et son œuvre seront désormais consacrées à la dénonciation du bellicisme et à la défense des victimes de l’histoire.

En 1917, il fonde l’Association républicaine des anciens combattants. Son roman Clarté (1919), nouveau récit de guerre, est orienté dans une perspective plus militante. Simon Paulin, personnage médiocre et falot, est révélé à lui-même et à la pitié, par l’épreuve de la guerre; il comprend aussi que cette folie meurtrière n’est que le fruit de la société bourgeoise, et la nouvelle clarté du socialisme guide ses pas.

Dans le journal, puis la revue Clarté (qu’il dirige de 1919 à 1923), Barbusse s’interroge sur le rôle politique de l’écrivain, le sens social de son œuvre et la possibilité d’une littérature révolutionnaire. Le mouvement Clarté vise à rassembler tous ceux qui sont épris de progrès et de paix (voir La Lueur dans l’abîme: ce que veut le groupe Clarté, 1920). De Paroles d’un combattant (recueil d’articles et de discours pacifistes de 1917 à 1920) au Couteau entre les dents (1921), Barbusse, solidaire de la Révolution russe, évolue rapidement en direction du parti communiste, auquel il adhère en 1923.

Son œuvre se situe désormais dans un engagement idéologique de plus en plus affirmé. Elle se poursuit par des nouvelles: L’Illusion (1919), L’Étrangère (1920), Quelques coins du cœur (1921), Force (1926), Faits divers (1928), Ce qui fut sera (1930), et par une fresque romanesque, Les Enchaînements (1925-1926), qui évoque les grands drames humains de l’histoire et la nécessité de changements sociaux fondamentaux.

À la suite d’un reportage en Roumanie et en Bulgarie en proie à la répression fasciste, il publie Les Bourreaux (1926) et crée un Comité de défense des victimes de la Terreur blanche. Directeur littéraire à L’Humanité (1926-1929), il précise alors: « Notre tâche sera ici […] de susciter l’art révolutionnaire, parallèle à la révolution. » Il entreprend cependant une trilogie: Jésus (1927), Les Judas de Jésus (1927), Jésus contre Dieu (posthume, Moscou, 1971), où se dresse la figure d’un Christ pathétique et contestataire, qui ne laisse pas de déconcerter ou d’irriter ses amis.

Sa revue Monde (1928-1935) prend le relais de Clarté, dans le souci de rassembler les intellectuels communistes et les écrivains prolétariens (Henri Poulaille, Louis Guilloux, etc.), tous ceux qui croient à « un art de masse aux perspectives collectives et panhumaines ». Défenseur d’une littérature populaire, mais se défiant d’une conception ouvriériste et sectaire, et privilégiant la qualité de l’écrivain, il voit ses conceptions condamnées au congrès de Kharkov (novembre 1930), pour « éclectisme » et « déviationnisme ». Son soutien à la patrie du socialisme reste cependant inconditionnel: Voici ce qu ‘on a fait de la Géorgie ( 1929), Russie ( 1930) et Staline, un monde nouveau vu à travers un homme (1935), portrait élogieux du Petit Père des peuples. Après Elévation (1930), il rend un vibrant hommage à Émile Zola en qui il reconnaît un maître (Zola, 1932).

La « ligne Barbusse » l’emporte à partir de 1932. La nouvelle politique culturelle d’ouverture du parti communiste (prélude idéologique à la politique de front populaire) se traduit par la fondation de l’AEAR (Association des écrivains et artistes révolutionnaires), qui rassemble des écrivains communistes, prolétariens ou « bourgeois ». L’organisation se dote d’une revue: Commune (1933-1939), dont le comité directeur est composé de Henri Barbusse, André Gide et Romain Rolland.

Infatigable pèlerin de la paix et de l’antifascisme, il est à l’initiative du Congrès mondial contre la guerre (Amsterdam, août 1932) et du Congrès européen contre le fascisme (Paris, avril 1933), qui aboutissent au Mouvement Amsterdam-Pleyel. Président du Comité mondial contre la guerre impérialiste, il multiplie les interventions en Espagne, au Danemark, aux États-Unis, en URSS. Il préside encore le Congrès pour la défense de la culture (juin 1935) et assiste à un grand rassemblement antifasciste (14 juillet 1935) avant de partir pour Moscou.

Atteint d’une pneumonie, il est hospitalisé à l’hôpital du Kremlin. Henri Barbusse meurt le 30 août 1935, en lançant un dernier appel: Il faut sauver le monde. » Le 7 septembre, sa dépouille est accompagnée jusqu’au cimetière du Père-Lachaise par le peuple de Paris.

ACADEMIE GONCOURT, ECRIVAIN FRANÇAIS, EDMOND DE GONCOURT (1822-1896), JULES DE GONCOURT (1830-1870), LES FRERES GONCOURT, LES INFREQUENTABLES FRERES GONCOURT, LITTERATURE FRANÇAISE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, PIERRE MENARD, PRIX GONCOURT

Les infréquentables frères Goncourt

Les Infréquentables Frères Goncourt 

Pierre Ménard

Paris, Tallandier, 2020. 416 pages

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Edmond et Jules de Goncourt sont comme écrasés par leur nom. Si nul n’ignore le prix qu’ils ont fondé, l’oubli a frappé la vie et l’œuvre de ces deux frères qui se sont attaqués pendant près d’un demi-siècle à tous les genres littéraires, et plus encore au genre humain. Suivre les Goncourt, c’est courtiser la princesse Mathilde, dîner avec Zola, survivre à la Commune, passer des salons des Rothschild aux soupentes sordides et recevoir toute l’avant-garde artistique dans leur Grenier de la Villa Montmorency. Pamphlétaires incisifs, romanciers fondateurs du naturalisme, dramaturges à scandale, collectionneurs impénitents, ces langues de vipère ont légué à la postérité un cadeau empoisonné : un Journal secret qui fait d’eux les meilleurs chroniqueurs du XIXe siècle. Seule la méchanceté est gratuite, aussi les deux écrivains la dépensent-ils sans compter. Chaque page laisse éclater leur détestation des femmes, des parvenus, des Juifs, des artistes et de leurs familiers. On découvre Baudelaire ouvrant sa porte pour offrir aux voisins le spectacle du génie au travail, Flaubert invitant ses amis à déguster des « cervelles de bourgeois », les demi-mondaines étalant un luxe tapageur ou Napoléon III entouré d’une cour servile qui met en bouteilles l’eau de son bain… Réactionnaires ne jurant que par la révolution en art, aristocrates se piquant de faire entrer le bas peuple dans la littérature, les Goncourt offrent un regard aiguisé sur un monde en plein bouleversement, où, de guerres en révolutions, le paysan fait place à l’ouvrier, la bougie à l’ampoule et le cheval à l’automobile.

Pierre Ménard est diplômé d’HEC. Le Français qui possédait l’Amérique est son quatrième ouvrage.

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Critique

Tout le monde connait le nom du Prix Goncourt et son influence dans le monde littéraire. Mais le « Prix Goncourt » s’il doit son nom aux frères Goncourt, deux écrivains du XIXè siècle, a éclipsé la vie et l’oeuvre de leur géniteur. Aujourd’hui leur oeuvre est méconnue, mise à part peut-être le Journal, tenu au jour le jour où il dépeigne avec férocité les moeurs de leur époque, et où l’on retrouve tous les ragots sur les écrivains contemporains.

Géniaux touche à tout, collectionneurs de renom, pamphlétaires incisifs, romanciers fondateurs du mouvement naturaliste, dramaturges à scandale, antisémites invétérés, ces frères inséparables laissèrent à la postérité, en plus de leur Académie, un cadeau empoisonné. Leur vie durant, ces amoureux du XVIIIe siècle, croquaient la société dans un Journal secret, médisant et savoureux, qui ferait d’eux les meilleurs chroniqueurs du XIXe siècle. Suivre les Goncourt, c’est dîner chez Magny avec Flaubert, Zola et George Sand, courtiser la princesse Mathilde, survivre à la Commune de Paris, entrer chez les Rothschild comme dans les soupentes infâmes et recevoir, dans leur Grenier, toute l’avant-garde littéraire et artistique. Dans leur sillage se dessine une société changeante, fêtant les rois et les empereurs avant de proclamer la république ; un monde où le paysan fait place à l’ouvrier, le campagnard au citadin, le cheval à l’automobile. Seule la méchanceté est gratuite en ce bas monde aussi, fort prodigues, la dépensent-ils sans compter. Chaque page laisse éclater leur détestation des femmes, des parvenus, des juifs, des artistes et de leurs familiers. On découvre ainsi Baudelaire laissant sa porte ouverte pour donner aux voisins le spectacle du génie au travail, Flaubert rendu fou par l’écriture, invitant ses amis à déguster « des cervelles de bourgeois », ou Napoléon III, entouré d’une cour servile vendant en bouteilles l’eau de son bain…

A la fin de l’ouvrage on ne sait si l’on doit admirer les deux écrivains ou les détester pour leur Journal tant il montre toute la vacuité de deux hommes qui voulaient accéder à la gloire et qui semblaient détester leurs semblables. Seul trouve grâce à leurs yeux que le XVIIIè siècle. Toutefois on trouve toute la galerie de ce monde littéraire du XIXè siècle. Le Journal est féroce mais néanmoins utile pour nous faire revivre le foisonnement intellectuel de cette époque dont bien des noms sont tombés dans l’oubli.

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Les huit premiers membres de l’académie Goncourt : Alphonse Daudet, Gustave Geffroy, Paul Margueritte, Joris-Karl Huysmans, Léon Hennique, J.-H. Rosny aîné, J.-H. Rosny jeune et Octave Mirbeau. L’Illustration, 1er août 1896.

Jules de Goncourt

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Jules Huot de Goncourt, né le 17 décembre 1830 à Paris où il est mort le 20 juin 1870, est un écrivain français, à l’origine de l’académie Goncourt qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre fut écrite en collaboration avec son frère, Edmond de Goncourt. Les ouvrages des frères Goncourt appartiennent au courant du naturalisme.

 Biographie

La famille de Jules Huot de Goncourt est originaire de Goncourt dans la Haute-Marne. Son père Marc-Pierre Huot de Goncourt (fils de Jean Antoine Huot de Goncourt et de Marguerite Rose Diez), ancien officier de Napoléon, faisait vivre la famille du revenu de ses terres, et sa mère était née Annette Cécile Guerin. Il étudia au lycée Condorcet. Il est le frère d’Edmond de Goncourt, son aîné, avec lequel il collabora pour une partie de son œuvre.

Il meurt au 53, boulevard de Montmorency des suites d’une paralysie générale progressive, consécutive à une syphilis contractée au Havre en 1850. Il est inhumé, au cimetière de Montmartre, où le rejoindra, vingt-six ans plus tard, son frère Edmond, à sa mort, en 1896. Les deux médaillons sur le tombeau, sont les œuvres du sculpteur Alfred-Charles Lenoir.

 

 

Ouvrages

Avec Edmond de Goncourt

Sœur Philomène, Paris, A. Bourdilliat, 1861.

Renée Mauperin, Paris, Charpentier, 1864.

Germinie Lacerteux, Paris, Charpentier, 1865.

Idées et sensations, Paris, A. Lacroix, 1866.

Manette Salomon, Paris, A. Lacroix, 1867.

Madame Gervaisais, Paris, A. Lacroix, 1869.

Journal, écrit d’abord par Jules et Edmond, puis par Edmond seul après la mort de Jules. Le Journal des Goncourt a été publié en plusieurs volumes, les premiers du vivant des auteurs, et les derniers après la mort d’Edmond.

Edmond de Goncourt

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Œuvres principales

Germinie Lacerteux (en roman, 1865 et au théâtre, 1888),

Manette Salomon (1867),

Madame Gervaisais (1869),

Les Frères Zemganno (en roman, 1879 et au théâtre, 1890).

Edmond Huot de Goncourt né à Nancy le 26 mai 1822 et mort à Champrosay (Seine-et-Oise) le 16 juillet 1896 est un écrivain français.

Il est le fondateur de l’Académie Goncourt qui décerne chaque année le prix homonyme. Une partie de son œuvre est écrite en collaboration avec son frère, Jules de Goncourt. Les ouvrages des frères Goncourt appartiennent au courant du naturalisme.

 Biographie

Issu d’une famille originaire de Goncourt dans la Haute-Marne par ses parents Marc-Pierre Huot de Goncourt (fils de Jean Antoine Huot de Goncourt et de Marguerite Rose Diez) et Annette Cécile Guerin, Edmond de Goncourt est né à Nancy le 26 mai 1822 dans la maison familiale au 33 rue des Carmes.

Il étudie, à Paris, au lycée Condorcet. Il est, avec son frère cadet Jules de Goncourt, l’ami d’Ivan Tourgueniev, de Paul Gavarni, Gustave Flaubert, Alphonse Daudet, Émile Zola, Guy de Maupassant et Théodore de Banville, entre autres.

Il anime avec son frère un salon littéraire informel tous les dimanches baptisés le « Grenier » où se réunissent notamment Maurice Barrès, Alphonse et Léon Daudet, Gustave Geffroy, Roger Marx, Octave Mirbeau, Auguste Rodin, Émile Zola, au 67, boulevard de Montmorency dans le 16e arrondissement de Paris. Eugène Carrière (1849-1906), présenté par Gustave Geffroy à Edmond de Goncourt, fréquente ce salon. Il lui a laissé au moins sept portraits d’Edmond, qui lui rend visite dans son atelier des Batignolles (Pontoise, musée Tavet-Delacour).

Edmond de Goncourt meurt d’une embolie pulmonaire fulgurante dans la villa de Draveil, de son ami, Alphonse Daudet, puis est inhumé auprès de son frère cadet Jules à Paris au cimetière de Montmartre (13e division). Les deux médaillons ornant le tombeau sont les œuvres du sculpteur Alfred-Charles Lenoir.

 

Le Journal

Alors que l’œuvre de fiction des Goncourt est relativement peu lue aujourd’hui, le Journal reste un témoignage intéressant sur la deuxième partie du xixe siècle.

Jusqu’à sa mort en 1870, Jules est le principal auteur du Journal, poursuivi ensuite par Edmond, resté seul. Sous-titré Mémoires de la vie littéraire, il se compose d’un ensemble de notes, généralement brèves, prises au jour le jour. On y trouve, en désordre, au fil des dates :

des observations sur la santé des deux auteurs, et de leurs amis : en particulier, pendant l’année 1870, la maladie de Jules, la syphilis, qui doit aboutir à sa mort, est décrite avec soin par Edmond. Cette minutie dans la description de la déchéance de son frère n’exclut pas sa profonde douleur ;

le récit des démêlés des auteurs avec les commissions de censure, aussi virulentes et bornées sous la Troisième République que sous le Second Empire ;

les rapports des auteurs avec la critique, souvent sévère, voire insultante : les romans des deux frères, comme ceux d’Émile Zola, ont souvent choqué leurs contemporains et les critiques pudibonds ;

le récit du succès ou des échecs des livres, et surtout des pièces de théâtre — la plupart des romans des auteurs ayant été adaptés pour la scène, comme il est d’usage à cette époque — : il est difficile de savoir à l’avance si une pièce va faire un triomphe ou être sifflée ;

des « on dit » plus ou moins médisants entendus à droite et à gauche ;

des observations politiques, où les auteurs se révèlent anti-républicains et laissent libre cours à leur antisémitisme (Édouard Drumont est l’ami d’Edmond) : ceci est en particulier visible sous la plume d’Edmond, sous la Troisième République ;

des propos, entendus dans les dîners mondains et les salons, sur des célébrités (écrivains, artistes, scientifiques, philosophes, hommes politiques) sous un jour souvent inattendu : la publication de ces propos a souvent amené des brouilles entre les Goncourt et leurs connaissances, qui leur reprochent leurs indiscrétions ; Edmond affirme toutefois n’avoir jamais rien inventé ni déformé dans les propos qu’il prête à ses connaissances ;

les rapports avec Guy de Maupassant, qu’Edmond de Goncourt n’aime pas.

Les Goncourt ont créé l’« écriture artiste » : ils préfèrent les tableaux à la nature.

Après la Semaine sanglante, Edmond de Goncourt estime qu’« il est bon qu’il n’y ait eu ni conciliation ni négociation […] une telle purge, en tuant la partie combative de la population, reporte la prochaine révolution pour toute une génération».

 

Avec Jules de Goncourt

Histoire de la société française pendant la Révolution, 1854.

Portraits intimes du xviiie siècle, 1857.

Histoire de Marie-Antoinette, 1858.

L’art du dix-huitième siècle, 1859-1870.

Charles Demailly, 1860.

Sœur Philomène, 1861.

Renée Mauperin, 1864.

Germinie Lacerteux, 1865.

Idées et sensations, 1866.

Manette Salomon, 1867.

Madame Gervaisais, 1869.

La Du Barry, 1878.

La Duchesse de Châteauroux et ses sœurs, 1879.

La Femme au dix-huitième siècle, Édition illustrée par Dujardin, 1887.

Madame de Pompadour, Édition illustrée par Dujardin, 1888.

Il faut ajouter à cette liste le Journal, écrit d’abord par Jules et Edmond, puis par Edmond seul après la mort de Jules. Le journal des Goncourt a été publié en plusieurs volumes, les premiers du vivant des auteurs, et les derniers après la mort d’Edmond.

Seul

La Fille Élisa, 1877, dont s’est inspiré Roger Richebé pour le film Élisa.

Les Frères Zemganno, Paris, Nelson Éditeurs, 1921. L’édition originale a paru en 1879.

La Maison d’un Artiste, tome 1, 1881.

La Maison d’un Artiste, tome 2, 1881.

La Maison d’un artiste, la collection d’art japonais et chinois, réédition commentée par Geneviève Lacambre, Éditions À Propos, 2018, 320 p. .

La Faustin, 1882.

La Saint-Huberty d’après sa correspondance et ses papiers de famille, Édouard Dentu, Paris, 1882.

Chérie, 1884, qui dépeint une jeune femme dont le talent artistique s’exprime dans la mode, peut être lu comme une exploration littéraire de l’art.

Monographies

Outamaro, le peintre des maisons vertes, Paris, Charpentier, 1891 ; rééd. d’après E. de Goncourt, New York, Parkstone International, 2008.

Hokousaï : l’art japonais au xviiie siècle, Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle, 1896 ; rééd. Paris, Larousse, 2014.

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FRANCE, JEAN-LAURENT CASSELY, LA FRANCE SOUS NOS YEUX, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, SOCIETE FRANÇAISE, SOCIOLOGIE

La France sous nos yeux

La France sous nos yeux. Economie, paysages, nouveaux modes de vie 

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely

Paris, Le Seuil, 2021. 496 pages.

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Qu’ont donc en commun les plateformes logistiques d’Amazon, les émissions de Stéphane Plaza, les restaurants de kebabs, les villages de néo-ruraux dans la Drôme, l’univers des coaches et les boulangeries de rond-point ? Rien, bien sûr, sinon que chacune de ces réalités économiques, culturelles et sociales occupe le quotidien ou nourrit l’imaginaire d’un segment de la France contemporaine. Or, nul atlas ne permet de se repérer dans cette France nouvelle où chacun ignore ce que fait l’autre. L’écart entre la réalité du pays et les représentations dont nous avons hérité est dès lors abyssal, et, près d’un demi-siècle après l’achèvement des Trente glorieuses, nous continuons à parler de la France comme si elle venait d’en sortir. Pourtant, depuis le milieu des années 1980, notre société s’est métamorphosée en profondeur, entrant pleinement dans l’univers des services, de la mobilité, de la consommation, de l’image et des loisirs. C’est de la vie quotidienne dans cette France nouvelle et ignorée d’elle-même que ce livre entend rendre compte à hauteur d’hommes et de territoires.
Le lecteur ne s’étonnera donc pas d’être invité à prendre le temps d’explorer telle réalité de terrain, telle singularité de paysage ou telle pratique culturelle, au fil d’un récit soutenu par une cartographie originale (réalisée par Mathieu Garnier et Sylvain Manternach) et des statistiques établies avec soin. Qu’ils fassent étape dans un parc d’attraction, nous plongent dans les origines de la danse country, dressent l’inventaire des influences culinaires revisitées, invoquent de grandes figures intellectuelles ou des célébrités de la culture populaire, les auteurs ne dévient jamais de leur projet : faire en sorte qu’une fois l’ouvrage refermé, le lecteur porte un regard nouveau sur cette France recomposée.

Jérôme Fourquet, auteur de L’Archipel français (Seuil, 2019), est analyste politique, expert en géographie électorale, directeur du département Opinion à l’IFOP.
Jean-Laurent Cassely est journaliste (Slate.fr, L’Express) et essayiste, spécialiste des modes de vie et des questions territoriales.

Critique

Les auteurs nous y décrivent tout ce qui a évolué, changé, disparu, en France, des années 1980 à nos jours, en s’appuyant entre autres sur des graphiques, des cartes, etc.. C’est clair, argumenté, ultra vérifié et le fait de mettre tout en exposition, presque sur le même plan, fait surgir le portrait d’une France qu’on ne voyait peut- être pas comme ça.
Dans cet ouvrage Jérôme Fourquet continue son exploration de la société française (L’Archipel français, En Immersion) : c’est dans le droit chemin de son analyse sur la France, une France entre le monde d’avant et le monde d’après dont l’avenir est encore incertain.Au fil des chapitres on est plongé dans une société que l’on a vu changer au fil des au fil des années et à un rythme accéléré : nouveaux modèles économiques / urbanisation/ campagnes/ tourisme / religion /classes moyennes/ Gilets jaunes / ( nouveaux ) métiers /culture/ nourriture / loisirs / vacances l’on pourrait encore continuer cette liste.

Impossible pour les plus de trente ans de ne pas se rendre compte que la France bouge. Qu’elle soit mieux ou moins bien qu’avant n’est pas le propos des auteurs. C’est juste un constat, comme une photographie prise en instantané d’une France dont on ne voit les changements qu’à travers le prisme des médias et non dans sa réalité crue.

Ce qui ressort de cette enquête, des graphiques c’est le portrait non pas d’une France mais le portrait de plusieurs France et donc d’un pays fracturée en de multiples mondes qui ne se connaissent pas et ne se côtoient pas

A côté de cette réalité il y a les politiques qui parlent d’une France éternelle comme si elle était dans un îlot à l’abri des changements imposés par la mondialisation, il y a ceux qui fantasment sur un passé révolu quand d’autres sont déjà dans un autre monde !

A méditer, si c’est déjà fait, en cette période post-électorale

© Claude Tricoire

21 juin 2022

AFGHANISTAN, KABOUL (Afghanistan), KHALED HOSSEINI, LES CERFS-VOLANTS DE KABOU, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, ROMAN, ROMANS

Les cerfs-volants de Kaboul

Les cerfs-volants de Kaboul

Khaled Hosseini

Paris, Le Livre de Poche, 2006. 416 pages.

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Quatrième de couverture :

Extrait

Décembre 2001

Je suis devenu ce que je suis aujourd’hui à l’âge de douze ans, par un jour glacial et nuageux de l’hiver 1975. Je revois encore cet instant précis où, tapi derrière le mur de terre à demi éboulé, j’ai jeté un regard furtif dans l’impasse située près du ruisseau gelé. La scène date d’il y a longtemps mais, je le sais maintenant, c’est une erreur d’affirmer que l’on peut enterrer le passé : il s’accroche tant et si bien qu’il remonte toujours à la surface. Quand je regarde en arrière, je me rends compte que je n’ai cessé de fixer cette ruelle déserte depuis vingt-six ans.
L’été dernier, mon ami Rahim khan m’a téléphoné du Pakistan pour me demander de venir le voir. Le combiné collé à l’oreille, dans la cuisine, j’ai compris que je n’avais pas affaire seulement à lui. Mes fautes inexpiées se rappelaient à moi, elles aussi. Après avoir raccroché, je suis allé marcher au bord du lac Spreckels, à la limite nord du Golden Gâte Park. Le soleil du début d’après-midi faisait miroiter des reflets dans l’eau où voguaient des douzaines de bateaux miniatures poussés par un petit vent vif. Levant la tête, j’ai aperçu deux cerfs-volants rouges dotés d’une longue queue bleue qui volaient haut dans le ciel. Bien au-dessus des arbres et des moulins à vent, à l’extré­mité ouest du parc, ils dansaient et flottaient côte à côte, semblables à deux yeux rivés sur San Francisco, la ville où je me sens maintenant chez moi. Soudain, la voix d’Hassan a résonné en moi : Pour vous, un millier de fois, me chuchotait-elle. Hassan, l’enfant aux cerfs-volants affligé d’un bec-de-lièvre.
Je me suis assis sur un banc, près d’un saule, pour réfléchir aux paroles que Rahim khan avait prononcées juste avant de raccrocher, un peu comme une idée qui lui serait venue sur le moment. Il existe un moyen de te racheter

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Biographie de l’auteur

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Khaled Hosseini est né à Kaboul, en Afghanistan, en 1965. Fils de diplomate, il a obtenu avec sa famille le droit d’asile aux États-Unis en 1980. Son premier roman, Les Cerfs-volants de Kaboul, a bénéficié d’un extraordinaire bouche à oreille. Acclamé par la critique, il est resté de nombreuses semaines en tête des listes aux États-Unis, où il est devenu un livre-culte. Il a reçu le prix RFI et le prix des lectrices de Elle en 2006, et a été adapté au cinéma en 2008 par Marc Forster. Après Mille soleils splendides, il signe aux éditions Belfond son nouveau roman Ainsi résonne l’écho infini des montagnes

Analyse et critique

Dans les années 60, à Kaboul. Amir et Hassan grandissent ensemble. Hassan est le fils du serviteur chiite (un Hazara – un groupe méprisé dans l’Afghanistan sunnite) de la maison et Amir le fils bien aimé, mais les deux garçons ont été élevés côte-à côte, partageant même la même nourrice. Au fil des années, une complicité particulière s’est créée entre eux, complicité que leurs différences ne semble pas altérer. Et pourtant si le dévouement d’Assan envers Amir est absolu, le jeune homme étant prêt à se sacrifier et à défendre bec et ongles celui qu’il considère comme son ami contre ses ennemis, les sentiments d’Amir sont plus ambivalents. Lors d’une scène marquante (l’agression de Hassan par un groupe de jeunes de Kaboul), ces sentiments contrastés éclateront et résonneront jusqu’au fond du cœur  et de l’âme des deux garçons jusqu’à la rupture. 

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Dans les années 1960

Plusieurs années plus tard, en 2001, se présentera pour Amir l’occasion de se racheter… A cette occasion il découvrira le secret de la naissance de Hassan, le lien particulier qui les unit. C’est aussi l’occasion de voir ce pays au mains des talibans : l’Afghanistan des années 1960 a disparu : l’ordre d’un islam rigoriste qui fait régné la terreur et interdit tout ce qui n’est pas conforme à leur vision de l’Islam (la musique, les livres dits licencieux, l’alcool sans oublier l’enfermement des femmes )

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Ce roman foisonnant parcoure plusieurs années de l’histoire de l’Afghanistan, des premières secousses politiques et de l’occupation russe en passant par les luttes raciales, pour finir par  la prise de pouvoir des talibans et le régime sanguinaire qui s’ensuivit. Amir et son père seront contraints d’émigrer aux Etats-Unis, et ce n’est que bien plus tard qu’Amir ramené à revenir dans Kaboul en découvrira les changements. 

Le contraste entre deux époques bien dissemblables est prégnant. L’enfance des enfants reste dorée, rythmée par des concours de cerfs volants, des promenades et des lectures passionnées. 

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« Le ciel bleu s’étalait à l’infini, les habits étendus sur les fils à linge chatoyaient au soleil. En se concentrant on captait même les cris du marchand de fruits qui sillonnait Wazir-Akbar-Khan avec son âne : « Cerises ! Abricots ! Raisins ! » Et en fin d’après-midi, on entendait l’azan, l’appel à la prière entonné par le muezzin depuis la mosquée de Shar-e-Nau. » 

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La violence s’immisce peu à peu dans leur univers, jusqu’à atteindre son paroxysme avec les exactions des talibans, le viol des enfants, les femmes fouettées parce qu’elles mettent des chaussures à talons, lapidées si elles trompent leurs maris, ou encore le massacre des Hazaras. Il n’en reste pas moins qu’Amir, comme tout exilé,  est profondément attaché à ses racines afghanes qu’il continue de célébrer en idéalisant son passé. 

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L’auteur s’attache également à mettre en valeur les contradictions d’un homme rongé par la jalousie et le remords pour ses lâchetés. Amir aurait aimé être au centre de l’univers paternel, mais sa personnalité ne semble pas correspondre à ce que son « Baba » attend de lui. Ces déceptions incessantes créent un gouffre en lui, et même si la rédemption est au bout du chemin, celle-ci se fera au prix d’une remise en question et du devoir de s’affronter à son passé.

 Les cerfs-volants de Kaboul sort en 2003 aux Etats-Unis et bénéficie d’un extraordinaire bouche à oreille. Traduit dans plus de 70 pays, vendu à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde, acclamé par la critique et adapté au cinéma en 2007, ce roman ne tarde pas à devenir un véritable phénomène international. Il paraît en 2005 en France et reçoit ici aussi un beau succès, récompensé par le prix RFI et le grand prix des lectrices de Elle en 2006.

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Vers l’implosion ? : entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme

Vers l’implosion ?: Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme 

Jean-Louis Schlegel, Danièle Hervieu-Léger

Paris, Le Seuil, 2022. 373 pages.

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Résumé

La crise des abus sexuels et spirituels révélés depuis une trentaine d’années fait vaciller l’Église catholique. Parce qu’elle vient de l’intérieur du catholicisme, et même de ses « meilleurs serviteurs », prêtres ou laïcs, mais aussi parce qu’elle est universelle et systémique. Très affaiblie par une sécularisation intense due aux changements sociétaux de la seconde moitié du XXe siècle, l’Église apparaît, faute de réformes conséquentes, de plus en plus expulsée de la culture commune, et délégitimée. Dans ces entretiens passionnants, Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel diagnostiquent les raisons multiples de cet effondrement sans précédent, encore confirmé par l’épreuve des confinements liés au Covid-19. Certains y discernent l’entrée dans une sorte de stade terminal du catholicisme en quelques régions du monde. Ce n’est pas l’avis des auteurs : ce qui s’annonce, c’est un « catholicisme éclaté », où les liens affinitaires seront essentiels. Cette « Église catholique plurielle » ne signifie pas nécessairement sa fin, mais c’est un cataclysme pour une institution obsédée par l’unité.

Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions, directrice d’études à l’EHESS, est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de la place du religieux dans les sociétés occidentales contemporaines, dont certains sont devenus des classiques, notamment Le pèlerin et le converti (Flammarion, 2001), et Catholicisme, la fin d’un monde (Bayard, 2003).Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions, ancien directeur de la revue Esprit, a notamment publié La Loi de Dieu contre la liberté des hommes (Seuil, 2011), et codirigé À la gauche du Christ (Seuil, 2012)

Analyse et critique

Spécialiste des religions, la sociologue Danièle Hervieu-Léger a théorisé, voici vingt ans déjà, l’exculturation du catholicisme en France comme perte définitive de son emprise sur la société. Plus récemment le rapport de la Ciase sur la pédocriminalité dans l’Église et les divisions autour des restrictions du culte liées au Covid19 lui paraissent avoir accéléré une forme de dérégulation institutionnelle devenue irréversible. Dans un livre d’entretiens avec le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel, sorti le 13 mai en librairie, elle précise sa vision d’un catholicisme devenu non seulement minoritaire, mais pluriel et éclaté. Un catholicisme qu’elle croit condamné à une forme de diaspora d’où il pourrait, néanmoins, tirer une nouvelle présence sociale sous forme de « catholicisme hospitalier ». À la condition de se réformer en profondeur, non seulement en France, mais au plus haut sommet de la hiérarchie. Une thèse qui, n’en doutons pas, fera débat, sinon polémique. Et que j’interroge, pour une part, dans cette recension.

L’intérêt de ces « entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme » (1) tient bien sûr à l’expertise reconnue et à la notoriété de la sociologue Danièle Hervieu-Léger, mais également à la fine connaissance de l’institution catholique de son interlocuteur. Jean-Louis Schlegel est lui-même sociologue des religions, auteur, traducteur, éditeur et directeur de la rédaction de la revue Esprit. « Le projet de ce livre, écrit-il en introduction, est lié au sentiment, basé sur des “signes des temps“ nombreux et des arguments de taille, qu’une longue phase historique se termine pour le catholicisme européen et français. »

  

Le virage décisif des années 1970

L’intuition n’est pas nouvelle dans le monde de la sociologie religieuse. Et l’état des lieux que propose l’ouvrage est l’occasion pour Danièle Hervieu-Léger de revenir sur ce qu’elle nomme l’exculturation du catholicisme Français. Elle la décrivait dès 2003 (2) comme « déliaison silencieuse entre culture catholique et culture commune. » Du recul du catholicisme en France on connaît les symptômes : crise des vocations et vieillissement du clergé dès 1950, effondrement de la pratique dominicale et de la catéchisation à partir des années 1970, érosion parallèle du nombre de baptêmes, mariages voire même obsèques religieux, recul – de sondage en sondage – de l’appartenance au catholicisme désormais minoritaire et montée simultanée de l’indifférentisme. 

Reste à en analyser les causes. Pour la sociologue il faut les chercher dans la prétention de l’Église au « monopole universel de la vérité » dans un monde depuis longtemps marqué par le pluralisme, le désir d’autonomie des personnes et la revendication démocratique. Le virage décisif se situerait dans les années soixante-dix. L’Église qui avait réussi jusque-là à compenser sa perte d’emprise dans le champ politique par une « gestion » de l’intime familial enchaine alors les échecs sur les terrains du divorce, de la contraception, de la liberté sexuelle, de l’avortement puis du mariage pour tous…

« Ce qu’il faut tenter de comprendre, écrit la sociologue, ce n’est pas seulement comment le catholicisme a perdu sa position dominante dans la société française et à quel prix pour son influence politique et culturelle, mais aussi comment la société elle-même – y compris une grande partie de ses fidèles – s’est massivement et silencieusement détournée de lui. » Car c’est bien le « schisme silencieux » des fidèles, partis sur la pointe des pieds, qui a conduit pour une large part à la situation actuelle. 

  

L’Église effrayée de sa propre audace conciliaire

Pour mieux répondre à la question, les auteurs nous proposent un survol rapide de l’histoire récente du catholicisme. Ils soulignent les ruptures introduites par le Concile Vatican II au regard du Syllabus de 1864 et du dogme de l’infaillibilité pontificale décrit ici comme « couronnement d’une forme d’hubris » cléricale. Sauf que la mise en œuvre du Concile allait se heurter aux événements de Mai 68 et aux bouleversements profonds qui allaient s’ensuivre. L’écrivain Jean Sulivan écrivait, dès 1968, à propos des acteurs d’un Concile qui venait à peine de se clore : « le temps qu’ils ont mis à faire dix pas, les hommes vivants se sont éloignés de cent. » (3) Le fossé que le Concile avait voulu et pensé combler entre l’Église et le monde se creusait à nouveau. Ce qui eut pour effet immédiat et durable d’effrayer l’institution catholique de sa propre audace conciliaire pourtant jugée insuffisante par certains. 

Ainsi, si la constitution pastorale Gaudium et spes sur « l’Église dans le monde de ce temps » (1965) représente symboliquement une avancée en termes d’inculturation au monde contemporain, trois ans plus tard l’encyclique Humanae Vitae qui interdit aux couples catholiques l’usage de la contraception artificielle représente déjà un virage à cent quatre-vingts degrés qui aura pour effet d’accélérer l’exculturation du catholicisme et de provoquer une hémorragie dans les rangs des fidèles. Ce qu’allaient confirmer les pontificats de Jean Paul II et Benoît XVI à travers une lecture minimaliste des textes conciliaires puis une tentative de restauration autour de la reconquête des territoires paroissiaux et de la centralité de l’image du prêtre, fers de lance de la « nouvelle évangélisation ». En vain ! 

 

 

Nouvelles communautés : peu de convertis hors de l’Église

De ces quelques décennies post-conciliaires, qui précèdent l’élection du pape François dans un contexte de crise aggravée, les auteurs retiennent également l’efflorescence des communautés nouvelles de type charismatique perçues à l’époque comme un « nouveau printemps pour l’Église », mais qui ne tiendront pas vraiment leurs promesses. Avec, sous la plume des auteurs, ce verdict sévère – qui fera sans doute débat – sur la portée de leur caractère missionnaire : « Les nouveaux mouvements charismatiques ont fait en réalité peu de convertis hors de l’Église, mais ont influé sur les catholiques lassés par la routine paroissiale. » Ce qui a eu pour effet, dans un contexte de rétrécissement continu du tissu ecclésial, de renforcer leur poids relatif et leur visibilité. Lorsque le sociologue Yann Raison du Cleuziou – cité dans l’ouvrage – pose le constat que l’Église se recompose autour de « ceux qui restent », il n’écarte pas pour autant le risque d’une « gentrification » (substitution d’une catégorie sociale aisée à une autre, plus populaire) autour d’« observants » parfois tentés par un christianisme identitaire et patrimonial comme on l’a vu à la faveur de la récente élection présidentielle. 

 

 Les deux « séismes » des années 2020-2021

À ce « constat » sociologique dont les contours étaient déjà bien esquissés, le livre entend apporter une actualisation qui a pour effet de durcir encore un peu plus le diagnostic. Elle porte sur deux événements majeurs survenus en France sur la période 2020-2021, même si leurs racines plongent dans un passé plus lointain. Il s’agit en premier lieu du rapport de la Ciase sur la pédocriminalité dans l’Église qui, selon les auteurs, représente un « désastre institutionnel » doublé de profonds déchirements. Le second « séisme » étant le traumatisme provoqué chez certains par l’interdiction puis la régulation des cultes au plus fort de l’épidémie de Covid19 qui, lui aussi, a creusé les divisions. Là où certains ont pétitionné – contre l’avis de leurs évêques – pour qu’on leur « rende la messe », d’autres se sont interrogés « sur la place de la célébration (eucharistique) dans la vie de la communauté » au point parfois de ne pas renouer avec la pratique dominicale à la levée du confinement (on a avancé le chiffre de 20 %). 

De ces épisodes, qui sont loin d’être clos, Danièle Hervieu-Léger tire la conclusion d’un catholicisme français durablement – et peut-être définitivement – « éclaté ». Ce qualificatif recouvrant à la fois « un clivage qui dresse face à face des “camps“ irréconciliables » et « l’effritement d’un système, un affaiblissement de ce qui tenait ensemble ses éléments, lesquels se dispersent alors comme pièces et morceaux. » Elle poursuit : « Toute la question est de savoir si cette situation d’éclatement peut accoucher d’une réforme digne de ce nom. La direction qu’elle peut prendre n’est pas plus identifiable pour l’instant que les forces susceptibles de la porter, à supposer qu’elles existent. C’est là (…) une situation absolument inédite pour l’Église catholique depuis la Réforme au XVIe siècle, d’un ébranlement venu de l’intérieur d’elle-même, et non d’un dehors hostile. L’Église fait face, au sens propre du terme, au risque de sa propre implosion. Il se pourrait même, en réalité, que ce processus soit déjà enclenché. »

 

 « Est-ce la culture qui exculture le catholicisme ou est-il exculturé par sa propre faute ? » 

Mon propos n’est pas d’entrer plus avant dans les développements de l’ouvrage. Le lecteur y trouvera une matière à réflexion abondante qu’il pourra, selon son tempérament, faire sienne, réfuter ou mettre en débat. Au-delà de mon adhésion à l’économie d’ensemble du propos qui rejoint bien souvent mes propres intuitions d’observateur engagé de la vie ecclésiale (4), j’aimerais, néanmoins, formuler le questionnement que suscite en moi la lecture de tel passage de l’ouvrage. Au début du livre, Danièle Hervieu-Léger interroge fort opportunément : « Est-ce la culture qui exculture le catholicisme ou est-il exculturé par sa propre faute ? » D’évidence la thèse du livre penche pour la seconde explication. Et ce choix exclusif m’interroge. Je ne veux pas sous-estimer la prétention historique de l’Église à détenir l’unique vérité, même si Vatican II nous en propose une tout autre approche et si l’on peut douter, de toute manière, de sa capacité à l’imposer, si elle en avait le projet, dans une société sécularisée. Mais serait-ce là, réellement, le seul registre de son dialogue – ou de son non-dialogue – avec la société et la seule explication de son exculturation ? 

  

Mettre la société face à ses contradictions

Ne peut-on aussi analyser les interventions du pape François et d’autres acteurs dans l’Église – dont de simples fidèles – comme des interpellations loyales de la société sur de possibles contradictions entre les actes qu’elle pose et les « valeurs » dont elle se prévaut ? La requête individuelle d’émancipation et d’autonomie que semblent désormais soutenir sans réserve gouvernements et parlements au nom de la modernité, est-elle totalement compatible avec des exigences de cohésion sociale et d’intérêt général auxquelles ils ne renoncent pas ? Et d’ailleurs, la modernité occidentale, dans sa prétention à un universalisme qu’elle conteste à l’Église, est-elle assurée de détenir le dernier mot sur la vérité humaine et le Sens de l’Histoire ? Ne peut-on lire le développement des populismes à travers la planète – et le phénomène des démocraties illibérales – comme autant de refus laïcs d’inculturation à son égard ? 

Le libéralisme sociétal occidental ne serait-il pas pour une part « l’idiot utile » du néolibéralisme dont – divine surprise – il est devenu le moteur, comme le dénonce le pape François ? Dès lors, porter dans le débat public un souci du groupe et de la fraternité contre le risque d’éclatement individualiste aurait-il quelque chose à voir avec une quelconque prétention de l’Église à imposer à la société une vérité révélée de nature religieuse ? 

Que l’on me permette de citer ici Pier Paolo Pasolini : « Si les fautes de l’Église ont été nombreuses et graves dans sa longue histoire de pouvoir, la plus grave de toutes serait d’accepter passivement d’être liquidée par un pouvoir qui se moque de l’Évangile. Dans une perspective radicale (…) ce que l’Église devrait faire (…) est donc bien clair : elle devrait passer à l’opposition (…) En reprenant une lutte qui, d’ailleurs, est dans sa tradition (la lutte de la papauté contre l’Empire), mais pas pour la conquête du pouvoir, l’Église pourrait être le guide, grandiose, mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent (c’est un marxiste qui parle, et justement en qualité de marxiste) le nouveau pouvoir de la consommation, qui est complètement irréligieux, totalitaire, violent, faussement tolérant, et même plus répressif que jamais, corrupteur, dégradant (jamais plus qu’aujourd’hui n’a eu de sens l’affirmation de Marx selon laquelle le Capital transforme la dignité humaine en marchandise d’échange). C’est donc ce refus que l’Église pourrait symboliser. » (5) 

 

 L’Église comme « conscience inquiète de nos sociétés »

Dans un commentaire à la longue interview du pape François donnée aux revues Jésuites à l’été 2013, le théologien protestant Daniel Marguerat formulait ce qui semble être devenu la ligne de crête de bien des catholiques de l’ombre : « L’Église gagne en fidélité évangélique à ne pas se poser en donneuse de leçons, mais à être la conscience inquiète de nos sociétés. » (6) Mais lesdites sociétés acceptent-elles seulement d’être inquiétées par l’Église vis-à-vis de laquelle elles nourrissent assez spontanément un soupçon d’ingérence ? Combien de laïcs catholiques lambdas engagés dans un dialogue exigeant avec la société se sont vus opposer, un jour, à une argumentation « en raison », qu’elle était irrecevable puisque c’était là la position de l’Église ? Dès lors, pour boucler la question ouverte par les auteurs : qui exculture qui ? Et n’est-ce pas conclure un peu vite qu’écrire à propos de cette exculturation : « Cela laisse entière la possibilité d’une vitalité catholique proprement religieuse dans la société française. » ? Comme pour acter son exclusion définitive du champ du débat politique et social. Ou – autre lecture possible – pour souligner la pertinence d’une parole croyante qui dise Dieu comme témoignage ou comme question plutôt que comme réponse opposable à tous. Peut-être sommes-nous là au cœur du propos du livre lorsqu’il croit possible, malgré tout, pour les catholiques de « réinventer leur rapport au monde et la place qu’y occupe la tradition chrétienne. »

 

 Des réformes qui ne viendront sans doute pas 

Au terme de leur analyse, les auteurs confirment leur hypothèse de départ : le catholicisme français est aujourd’hui éclaté, morcelé, déchiré entre deux modèles d’Église qu’il serait illusoire de vouloir unifier ou simplement réconcilier : l’un fondé sur une résistance intransigeante à la modernité, l’autre sur l’émergence d’une « Église autrement » en dialogue avec le monde. Selon eux, l’institution catholique, dans sa forme actuelle, ne survivra pas longtemps à l’effondrement des trois piliers qu’ont été pour le catholicisme : le monopole de la vérité, la couverture territoriale au travers des paroisses et la centralité du prêtre, personnage « sacré ». Et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, cela vaudrait à terme, nous disent-ils encore, pour l’ensemble des « jeunes Églises » du Sud qui n’échapperont pas, tôt ou tard, à une forme de sécularisation quitte à voir exploser des formes de religiosités « déraisonnables » qu’elle ne pensait même pas possibles.

Sortir réellement de cette impasse, poursuivent les auteurs, exigerait d’engager des réformes qui ne viendront sans doute pas parce qu’elles représenteraient une remise en cause radicale du système. « Tant que le pouvoir sacramentel et celui de décider en matière théologique, liturgique et juridique, demeurent strictement dans la main des clercs ordonnés, mâles et célibataires, rien ne peut vraiment bouger. » Autant dire qu’ils ne croient guère aux vertus du Synode en préparation pour 2023 dont les avancées possibles seraient, selon eux, aussitôt contestées par la Curie et une partie de l’institution restée figée sur la ligne des papes Jean-Paul II et Benoît XVI. 

  

D’une Église de diaspora à un catholicisme hospitalier

L’Église qu’ils voient se dessiner sur les prochaines décennies est donc plutôt une Église en diaspora qui, soulignent-ils, ne manque pas, déjà, de richesses et de dynamismes cachés. Ils englobent ces « signes d’espérance » souvent invoqués par l’institution catholique, mais pour mieux se convaincre que rien n’est perdu et qu’il n’est pas nécessaire de tout chambouler pour voir refleurir le printemps. Il y a là, soulignent les auteurs, un phénomène réel de diversification et d’innovation, peu perçu des médias, qui « interdit du même coup d’écrire le faire part de décès du christianisme ou de la fin de toute sociabilité catholique. (…) L’Église catholique subsistera, c’est sûr, mais comment, en quel lieu et dans quel état ? »

Paradoxalement, pourrait-on dire, l’ouvrage se termine sur l’idée que l’Église, exculturée de la modernité de son propre fait, n’a pas pour autant vocation à se dissoudre dans le monde tel qu’il est. Et pas davantage à se poser en contre-culture, mais plutôt en « alter culture » sous forme d’un « catholicisme hospitalier » où prévaudrait l’accueil inconditionnel de l’autre ce qui, confessent les auteurs, n’est pas vraiment dans l’ADN de la culture contemporaine.

Danièle Hervieu-Léger écrit à ce propos : « Pour lui (le catholicisme hospitalier) l’Église est intrinsèquement encore à venir, encore non accomplie. L’hospitalité, telle que je l’ai progressivement comprise au fil de mon enquête monastique (7) n’est pas d’abord une attitude politique et culturelle de composition avec le monde, ni même seulement une disposition à l’accueil de ce qui est “autre“ : c’est un projet ecclésiologique dont l’horizon d’attente est, ultimement, d’ordre eschatologique. » Est-on si loin d’un certain nombre de réflexions contemporaines issues des rangs mêmes du catholicisme ? Pensons ici simplement au livre Le christianisme n’existe pas encore de Dominique Collin ou à la profession de foi des jeunes auteurs de La communion qui vient (8). Comme aux chroniques de braise publiées durant la période de confinement par le moine bénédictin François Cassingena Trévedy ou aux interviews du professeur de sociologie tchèque Mgr Tomas Halik (9).

Difficile d’en dire davantage sans lasser le lecteur. Chacun l’aura compris, Vers l’implosion est un livre important – et accessible – qu’il faut prendre le temps de découvrir. On accuse volontiers les sociologues des religions de « désespérer les fidèles » et les acteurs pastoraux eux-mêmes en dépeignant sous des couleurs sombres un avenir qui par définition n’est écrit nulle part. Raison de plus pour les lire sans complexe et se remettre en chemin. 

René Poujol

 Le rôle des « médiateurs laïcs »

Dans ce livre Danièle Hervieu-Leger revient sur les périodes de confinement marquées, pour les religions, par une suspension ou une règlementation des cultes. Analysant les remous suscités au sein de l’Eglise catholique, elle évoque la place prise par des « médiateurs laïcs » dans ces débats. Extrait :

« Il est intéressant de remarquer le rôle joué dans ces discussions par des journalistes catholiques qui ont livré leur vision des choses dans les médias, sur les réseaux sociaux et sur leurs blogs, et suscité en retour beaucoup de commentaires. Je pense par exemple à René Poujol, à Michel Cool-Taddeï, à Bertrand Révillion, Daniel Duigou ou Patrice de Plunkett… et aussi à des blogueurs importants comme Koz (Erwan Le Morhedec), voire à des internautes très engagés et « raisonneurs » sur ces questions. Leur rôle de médiateurs laïcs entre réflexions des théologiens de métier, prises de position cléricales ou épiscopales et fidèles catholiques prompts à s’enflammer a été tout à fait intéressant du point de vue de l’émergence d’un débat public dans l’Église. Ces personnalités ne sont pas répertoriées comme des figures de proue de l’avant-gardisme progressiste : ce sont des catholiques conciliaires mainstream, publiquement engagés comme tels. Ils ont contribué de façon importante, avec des différences entre eux d’ailleurs, à porter dans la discussion, argumentaires très articulés à l’appui, des questions incisives sur la signification de cette rhétorique de l’« urgence eucharistique », sur le retour en force (bien en amont de la pandémie) du thème de la « Présence réelle » dans la prédication, et sur le renforcement de l’identité sacrale du prêtre qui leur est liée de façon transparente. » (p.49)

 

(1) Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel, Vers l’implosion ? Seuil 2022, 400 p.,23,50 €.
(2) Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde. Bayard 2003, 336 p., 23 €.

(3) Cité p.58-59 dans l’ouvrage collectif Avec Jean Sulivan, Ed. L’enfance des arbres, 2020, 380p., 20 €.

(4) Telles que j’ai pu les formuler dans mon livre Catholique en liberté, Ed. Salvator 2019, 220 p., 19,80 €.

(5) Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires. Flammarion Champs Arts 2009.

(6) In : Pape François, l’Église que j’espère. Flammarion/Études, 2013, 240 p., 15 €. p. 217.

(7) Danièle Hervieu-Léger, Le temps des moines, PUF 2017, 700 p.

(8) Dominique Collin, Le christianisme n’existe pas encore, Ed. Salvator 2018, 200p., 18 € – Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, La communion qui vient, Ed. du Seuil, 2021, 220 p., 20 €.

(9) François Cassingena-Trévedy, Chroniques du temps de peste, Ed. Tallandier, 2021, 176 p., 18 €. Pour Tomas Halik on peut lire l’excellente interview donnée à La Croix Hebdo du 3 juin 2020

 

 Source : https://www.renepoujol.fr/le-catholicisme-francais-au-risque-de-limplosi

CARLOS RUIZ ZAFON, LE LABYRINTHE DES ESPRITS, LITTERATURE ESPAGOLE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, ROMAN, ROMANS

Le labyrinthe des esprits de Carlos Ruiz Zafón

Le labyrinthe des esprits

Carlos Ruiz Zfón

Arles, Actes Sud, 2018. 848 pages.

9782330103347

Quatrième de couverture

Dans la Barcelone franquiste des années de plomb, la disparition d’un ministre déchaîne une cascade d’assassinats, de représailles et de mystères. Mais pour contre la censure, la propagande et la terreur, la jeune Alicia Gris, tout droit sortie des entrailles de ce régime nauséabond, est habile à se jouer des miroirs et des masques.

Son enquête l’amène à croiser la route du libraire Daniel Sempere. Il n’est plus ce petit garçon qui trouva un jour dans les travées du Cimetière des Livres oubliés l’ouvrage qui allait changer sa vie, mais un adulte au cœur empli de tristesse et de colère. Le silence qui entoure la mort de sa mère a ouvert dans son âme un abîme dont ni son épouse Bea, ni son jeune fils Julián, ne son fidèle compagnon Fermín ne parviennent à le tirer.

En compagnie d’Alicia, tous les membres du clan Sempere affrontent la vérité sur l’histoire secrète de leur famille et, quel qu’en soit le prix à payer, voguent vers l’accomplissement de leur destin.

Érudition, maîtrise et profondeur sont la marque de ce roman qui gronde de passions, d’intrigues et d’aventures. Un formidable hommage à la littérature.

Résumé

Le Labyrinthe des esprits (titre original : El laberinto de los espiritus) est un roman espagnol de Carlos Ruiz Zafón paru en 2016 et publié en français en 2018 chez Actes Sud dans une traduction de Marie Vila Casas. C’est le dernier roman de la série Le Cimetière des livres oubliés.

Fermin Romero de Torres raconte comment, en mars 1938, il est revenu à Barcelone et a tenté de remettre une lettre à Lucia, l’épouse d’un de ses amis mort en prison. Il ne trouve que la fille de Lucia, Alicia Gris (7 ans) et sa grand-mère. Des bombardements éclatent. Fermin sauve Alicia. Ils s’enfuient sous les bombes. Alicia tombe dans la verrière du cimetière des livres oubliés. Fermin la croit morte.

En 1959, Mauricio Valls, ministre de l’éducation et de la culture et ancien directeur de la prison de Montjuïc, trouve sur son bureau une liste de nombres et un message menaçant disant: « Ton temps touche à sa fin, il te reste une dernière chance. A l’entrée du labyrinthe ». Valls, qui se terrait depuis 2 ans, s’enfuit avec son garde du corps Vicente et disparaît. Il est convaincu que David Martin, ancien prisonnier à Montjuïc, veut se venger de lui.

Les deux hommes se rendent aux abords d’une villa à Barcelone. Ils sont attaqués par un homme qui tue Vicente et blesse Valls à la main. Valls se réveille dans un cachot. Il lui manque 2 doigts, sa main est infectée, il a la gangrène. Ses geôliers (une femme et deux hommes) lui laissent une scie. Il est obligé de se couper la main pour éviter la septicémie.

Alicia Gris travaille maintenant à Madrid, à la sécurité de l’État. Elle a gardé de graves séquelles de son accident et doit prendre des anti douleurs. Elle est sollicitée par son supérieur et mentor, Leandro Montalvo, pour une dernière mission : elle devra avec l’aide d’un policier, Vargas, retrouver Valls. Ils apprennent que Valls reçoit des lettres anonymes depuis plusieurs années et a été la cible d’un attentat en 1956.

Ils se rendent dans la résidence de Valls. Alicia y rencontre la fille de Valls, Mercedes. Cette dernière lui raconte qu’à l’âge de 7 ans, une femme est venue la trouver à l’école, l’a embrassée et lui a dit qu’elle l’aimait. Vicente, le garde du corps de Valls, lui a tiré une balle dans la tête devant la petite fille.

Dans le bureau de Valls, Alicia trouve, dissimulé derrière un tiroir du bureau, un livre d’un certain Victor Mataix, intitulé « Le labyrinthe des esprits VII – Ariadna et le prince écarlate ».

Alicia part pour Barcelone et décide de suivre la piste du livre pour retrouver Valls. Elle apprend que Mataix a disparu après la guerre. Ariadna était le nom de sa fille et le labyrinthe représente la ville de Barcelone. Le libraire Barcelo lui dit qu’un collectionneur achète depuis 7 ans tous les exemplaires du labyrinthe. L’avocat Fernando Brians représente ce collectionneur.

La piste les conduit à une société nommée « metrobarna » fondée par Miguel Angel Ubach, surnommé « le banquier de la poudre » mort des années plus tôt dans un incendie. Le directeur actuel, Sanchis, a côtoyé Valls et Franco. Sanchis a épousé Victoria, la fille de Ubach. Le chauffeur de Sanchis, Valentin Morgado, a été emprisonné à Montjuïc.

Dans le garde meuble de Brians, Alicia et Vargas trouvent des dossiers sur les prisonniers de Montjuïc de 1939 à 1944 et un dossier contenant un carnet écrit par la mère de Daniel Sempere, Isabella, quelque temps avant sa mort.

Un journaliste, Vilajuana, raconte à Alicia qu’en 1937 Ubach a fait pression sur Mataix pour que celui-ci lui écrive une « autobiographie ». En 1941 les Ubach ont rendu visite aux Mataix. Plus tard, l’inspecteur Fumero est venu chez Mataix et l’a emmené ainsi que ses filles Ariadna et Sonia. Fumero a laissé Susana, l’épouse de Mataix, pour morte.

Leandro informe Alicia et Vargas que l’enquête est quasiment bouclée : des transactions douteuses auraient eu lieu pendant 15 ans entre Valls et Sanchis. Valls aurait fait chanter Sanchis pour obtenir des fonds illicites et Sanchis se serait vengé. La suite de l’enquête est confiée à Rodrigo Hendaya, un disciple de Fumero. Sanchis, torturé, aurait avoué avoir envoyé les lettres de menace, voulant convaincre Valls de l’existence d’une vendetta politique ou d’une conspiration menée par David Martin. L’attentat de 1956 aurait été perpétré par Morgado. Sanchis et Morgado sont tués par Hendaya pendant « l’interrogatoire ». Ils annoncent dans la presse que Valls a été tué dans un accident de voiture.

Alicia et Vargas sont priés d’abandonner l’enquête mais ils décident de la poursuivre en secret.

Vargas découvre que la liste de nombres trouvée dans la voiture de Valls correspond à des certificats de décès d’enfants. Chaque acte de décès correspond à un acte de naissance établi à la même date. Vargas y trouve le nom des filles de Mataix.

Vargas est assassiné. Alicia réalise que son mentor Leandro était complice de Valls et tire les ficelles depuis le début. Lorsqu’il était directeur de la prison de Montjuïc, Valls a emprisonné et tué des citoyens et a volé leurs enfants pour les vendre à des personnes haut placées en échange de faveurs pour grimper dans les échelons du régime. Ariadna Mataix a été vendue aux Ubach et est devenue Victoria. Sonia Mataix a été adoptée par Valls et a été rebaptisée Mercedes. Des centaines d’enfants ont ainsi été vendus. C’est effectivement Victoria, Sanchis et Morgado qui ont enlevé Valls pour le punir.

Le but de Leandro n’était pas de sauver Valls mais de le localiser et le réduire au silence pour étouffer le scandale et conserver le secret sur cette affaire. La mission était un leurre. Alicia et Vargas étaient des exécutants qui devaient disparaître à la fin.

Ariadna raconte qu’elle a fugué dans sa jeunesse. David Martin, un ami de son vrai père, l’a aidée. Elle dit que David Martin est mort en 1948 après avoir coulé sa barque en haute mer. Ariadna avoue avoir tué les Ubach en mettant le feu à leur villa.

Alicia lit le carnet d’Isabella : elle y avoue que David Martin était l’amour de sa vie et qu’il était le vrai père de Daniel. Elle est consciente d’avoir été empoisonnée par Valls qui avait décidé de la détruire pour faire plier ou pour blesser David Martin. Elle a écrit en sachant qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre.

Alicia remet le carnet à Daniel et laisse un mot sur la tombe d’Isabella, précisant l’adresse du cachot de Valls. Daniel se rend là-bas et trouve Valls, à moitié mort et suppliant qu’on l’achève. Daniel le laisse dans la rue, livré à lui-même. Plus tard, Valls est retrouvé mort dans le métro. Il est jeté dans la fosse commune près de Montjuïc comme un mendiant sans identité.

Alicia se rend à Madrid et tue Leandro.

On apprend le devenir des personnages :

Daniel et Bea ont une fille prénommée Isabella.

Fermin remplace Isaac Montfort à la tête du cimetière des livres oubliés.

Julian Sempere a une fille qu’il appelle Alicia. Il décide de raconter toute l’histoire de sa famille dans un livre en quatre tomes qui sera intitulé « le cimetière des livres oubliés ». Il part à la recherche de Julian Carax à Paris puis à Barcelone, désirant que Carax écrive le livre à sa place. Carax l’aide et le guide pendant près de 15 ans pour l’écriture du roman. Le livre sera publié sous le nom de Julian Carax.

Carax meurt en 1991 sur la tombe de Nuria Montfort.

Alicia est partie en Amérique, d’où elle écrit tous les ans à Fermin pendant 30 ans, jusqu’en 1991, date probable de sa mort. Elle a envoyé au journaliste Vilajuana les résultats de son enquête. En 1981 Ce dernier révèle le scandale des enfants volés.

Le livre se termine alors que Julian emmène pour la première fois sa fille Alicia au cimetière des livres oubliés.