ANEANTIR, ECRIVAIN FRANÇAIS, LITTERATURE, LITTERATURE FRANÇAISE, LIVRE, LIVRES - RECENSION, MICHEL HOUELLEBECQ (1956-...), MISERE DE L'HOMME SANS DIEU

Michel Houellebecq et son oeuvre

Michel Houellebecq et son oeuvre

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Misère de l’homme sans Dieu

Michel Houellebecq et la question de la foi

Avec un entretien de Michel Houellebecq par Agathe Novak-Lechevalier

Paris, Champs/Essais. 2022. 384 pages

Édition dirigée par : Caroline Julliot, Agathe Novak-Lechevalier

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Michel Houellebecq est-il un écrivain-prophète ? En quoi La Possibilité d’une île réinterroge-t-elle l’existence du divin ? Comment l’islam est-il perçu dans Plateforme et Soumission ?
Scientifique de formation, positiviste par conviction, l’écrivain semble avoir cru un moment que la science pourrait se substituer aux religions traditionnelles. Et pourtant, toute son œuvre est hantée par cette question, héritée d’Auguste Comte, de la religion comme unique ciment possible du corps social.
Cet ouvrage, auquel ont participé plusieurs spécialistes de Michel Houellebecq, se donne pour but de sonder l’horizon religieux de son œuvre. À l’évidence, religion et littérature apparaissent comme deux espaces de résistance face à la perte de sens qui afflige le monde contemporain. Et si la littérature, en proposant d’atteindre une forme de vérité, nous permettait d’accéder à une certaine transcendance ?

Anéantir

Michel Houellebecq

Paris, Flammarion, 2022. 730 pages

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On retrouve dans Anéantir (Flammarion, 2022) les « essentiels » de Michel Houellebecq : ironie, cynisme, réflexion sur la mort, la peur et l’amour. Mais le roman accorde également une place centrale à la question de la foi. Il trouve dans Misère de l’homme sans Dieu, un ouvrage collectif paru de façon concomitante, un éclairage idoine. Le syncrétisme païen pratiqué par Prudence, la femme du personnage principal, Paul Raison, s’inscrit ainsi pleinement dans les nombreuses tentatives religieuses qu’abordent les différents romans de Houellebecq et qui sont finement analysées dans un article de Peter Frei. L’agnosticisme de Paul, symptôme d’une « obsolescence du catholicisme » décryptée par Yann Raison du Cleuziou, gagne en densité. L’étude de la religiosité très affirmée de Cécile, la sœur de Paul, en face de laquelle ce dernier demeure tout du long circonspect, sinon amusé, permet d’abonder en ce sens : Anéantir est d’abord un livre religieux. La fin tragique de Paul sonne d’autant plus comme un appel à revigorer l’existence avant qu’il ne soit trop tard. L’impossibilité d’avoir la foi et le sentiment de manque qui en résulte sont au cœur de l’œuvre de Houellebecq et au centre de son dernier roman Anéantir.

Anéantir

Anéantir est le huitième roman écrit par Michel Houellebecq, paru le 7 janvier 2022 aux éditions Flammarion.

Tiré à 300 000 exemplaires, le livre de 730 pages est relié avec une couverture cartonnée. C’est l’auteur qui a choisi une présentation de luxe1. Plus de 75 000 exemplaires de l’œuvre sont vendus au cours du premier week-end suivant sa parution, ce qui en fait d’emblée un succès commercia.

 

Résumé

L’intrigue débute au mois de novembre 2026, quelques mois avant le début de l’élection présidentielle de 2027. Le personnage principal, Paul Raison, fonctionnaire auprès du Ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, âgé d’une quarantaine d’années, travaille au cabinet du ministre Bruno Juge, avec lequel il entretient également des liens d’amitié. Le climat politique est marqué par des attentats terroristes, qui épargnent dans un premier temps les vies humaines. Ceux-ci sont extrêmement sophistiqués et font appel à des moyens militaires importants, sans que cela soit aisément possible d’évaluer les motivations profondes des auteurs.

Le père de Paul, Edouard Raison, est un ancien membre des services secrets.

Paul entretient des liens distants avec sa femme Prudence, également fonctionnaire. Paul a une sœur catholique pratiquante, Cécile, qui est mariée à un notaire au chômage, Hervé. Le couple habite à Arras et vote ouvertement pour le Rassemblement national. Enfin, Paul a un petit frère, Aurélien, qui travaille comme restaurateur d’œuvres d’art au ministère de la culture et est marié à une femme détestable nommée Indy.

 

Personnages

Bastien Doutremont : un informaticien quadragénaire travaillant à la DGSI

Fred : un informaticien quadragénaire travaillant à la DGSI

Bruno Juge : le Ministre de l’Économie et des Finances, et du Budget

Paul Raison : un fonctionnaire du Ministère de l’Économie et des Finances, et du Budget

Prudence : une fonctionnaire de la direction du Trésor, la compagne de Paul Raison

Édouard Raison : le père de Paul Raison

Madeleine : la compagne d’Édouard Raison

Suzanne Raison : la mère de Paul Raison, restauratrice d’art

Cécile Raison : la sœur de Paul Raison (et fille d’Édouard et Suzanne Raison)

Hervé : époux de Cécile Raison, et notaire au chômage

Anne-Lise : fille de Cécile Raison et de son époux Hervé

Aurélien Raison : le frère de Paul Raison (et fils d’Édouard et Suzanne Raison), restaurateur d’art

Véronique : ancienne compagne de Paul Raison

Maryse : aide-soignante béninoise

Remarques sur l’intrigue, les personnages et les lieux

Le personnage de Bruno Juge, Ministre de l’Économie et des Finances, et du Budget, fait probablement référence à Bruno Le Maire (Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance au moment de la parution du roman). Bruno Le Maire, qui revendique être l’un des proches de Michel Houellebecq, a en octobre 2021 révélé quelques éléments de l’intrigue du roman encore à paraître.

L’auteur a commis une erreur sur l’âge du père de Paul : « Son père avait soixante-dix-sept ans… » (page 64) or plus tard on apprend qu’il est né en 1952 (page 109). A ce moment du récit, l’intrigue a lieu fin décembre 2026, le père de Paul ne peut donc pas avoir plus de 74 ans.

Une grande partie de l’intrigue se déroule dans le quartier de Bercy à Paris, où réside le héros, Bruno, et comporte parfois quelques erreurs mineures de topographie, comme l’emplacement de la rue Lheureux que l’auteur situe à tort sur le parc de Bercy.

 «Anéantir» de Michel Houellebecq, le testament du bourgeois blanc

Les 736 pages du huitième roman de l’écrivain seront disponibles en librairie dès le 7 janvier.

Dans une rencontre avec Michel Houellebecq publiée par Le Monde, la seule accordée par l’auteur à l’occasion de la sortie d’Anéantir, on apprend que deux portraits ornaient le bureau sur lequel l’auteur a rédigé son huitième roman. Une photo de Bruno Le Maire et une autre de Carrie-Anne Moss, l’interprète de Trinity dans la saga Matrix.

Deux inspirations qu’on retrouve explicitement dans Anéantir, et qui reflètent le grand écart auquel on assiste le long de ces sept cents pages qui se présentent d’abord, brièvement, comme un polar d’espionnage, avant de se laisser complètement aller à leur nature houellebecquienne, dodelinant entre inspection acérée de l’intime et considérations générales sur l’état de la France et du monde.

Et c’est lorsque l’auteur se plonge dans ces considérations que, sans surprise au fond, l’aspect Matrix (et non marxiste…) du roman apparaît le plus clairement. Puisqu’à lire ces lignes, empreintes de nostalgies vaguement royalistes, une question s’impose: dans quelle réalité vit Michel Houellebecq ?

 

 Testament d’un monde

Dans la même que nous tous, et c’est cette évidence qui fonde finalement le plus grand intérêt d’Anéantir. Le point de vue qu’exprime l’auteur star de notre époque et de nos contrées est celui d’un homme dépassé par un monde qui change et qui s’interroge. Houellebecq, lui, semble moins se poser des questions qu’asséner des constats fielleux et laisser ses personnages s’enfoncer dans des destins tragiques qui lui semblent inévitables et causés, selon lui, par la société moderne, par les apparats du progrès, les glissements de valeurs ou encore la multiplication d’idéologies ultra spécifiques.

Le portrait du réel, du moins médiatique, est assez fidèle, érudit même. Ce qui gêne ou peut gêner, cependant, au fil des pages de ce roman au style par ailleurs sobre mais parfaitement fluide et maîtrisé, comme toujours chez Houellebecq, c’est l’amertume constante de l’auteur de 65 ans. Ce qu’il nomme plusieurs fois «décadence», le romancier semble en fait le résumer à la fin d’un monde où son espèce, son ethnie, son genre et sa classe sont au centre de tout.

Houellebecq, ses héros et les femmes

Oui, l’homme blanc vieillissant, proche de divers hommes de pouvoir, intellectuel déconnecté du réel non médiatique (les différences de classe sont notamment traitées avec une négligence étonnante, ne s’apitoyer quasiment que sur des personnages bourgeois n’aidant certainement pas), oui, celui-là n’est peut-être plus l’avenir de l’Homme. Anéantir est le testament de ce passé-là.

 

La mort pour terrain d’entente

Un passé réactionnaire au possible et cependant bien présent, bien vivant, bien votant. Il serait bête, inconscient même, de l’ignorer. Qui plus est lorsque ce passé prend la forme d’un roman certes désuet dès sa sortie (les six derniers mois d’actualité politique invalident la plupart des projections du roman dont l’action se déroule en 2026-2027), mais dont le charme se trouve paradoxalement dans cet aspect immédiatement suranné qui fait office d’aveu involontaire.

Un témoignage historique, un document où la littérature, trop rarement peut-être, est capable de surgir et de terrasser à tout moment.

Qui plus est, encore, parce qu’au-delà de ses déambulations critiques, Houellebecq, après deux romans superficiels et loin de son niveau, retrouve ici les hauteurs qui ont été les siennes dans ses premiers romans.

La plupart de ses personnages, le principal en tête, sont profondément touchants, et les deux cents dernières pages, plus universelles que les précédentes, se relèvent aussi dignes que bouleversantes. Dix ans après La Carte et le Territoire, qui lui a valu le prix Goncourt, l’écrivain s’attaque de nouveau au sujet de la mort, mais d’une façon bien plus réaliste et incarnée. Des pages fortes, qui restent, voire qui aident.

 

Témoins les uns des autres

Anéantir n’est pas un roman quelconque. C’est, de bout en bout, un témoignage historique, un document où la littérature, trop rarement peut-être, est capable de surgir et de terrasser à tout moment.

Michel Houellebecq, le mal-aimé des universitaires français

Un livre dont la principale qualité s’exprimera assurément par ce double mouvement pas si paradoxal: il satisfera primitivement les défenseurs du vieux monde, les abrutira même, et fera réagir les autres tout en nourrissant leur connaissance de la psyché nostalgique, cette réalité souvent alternative, qui couve la plupart des débats actuels. En somme: un livre qui pourrait rendre plus intelligents ses opposants naturels. Signe d’un grand roman? D’un grand écrivain en tout cas, oui, sans nul doute.

https://www.slate.fr/story/221604/houellebecq-aneantir-roman-rentree-litteraire