DROIT DE MOURIR DANS LA DIGNITE, ERWAN LE MORHEDEC, EUTHANASIE, FIN DE VIE EN REPUBLIQUE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, MEDECINE, MORT, SOCIETE FRANÇAISE, SOCIOLOGIE, SOUFFRANCE, SUICIDE ASSISTE

Fin de vie en République d’Erwan Le Morhedec

Fin de vie en République : avant d’éteindre la lumière

Erwan Le Morhedec

Paris, Le Cerf, 2022. 216 pages.

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Quatrième de couverture.

Quand certains demandent un droit de mourir dans la dignité par l’euthanasie, doit-on considérer dès lors comme indigne la mort naturelle des autres ? Comment en sommes-nous arrivés à un tel paradoxe ?

À la fois libelle et enquête, le livre-évènement d’Erwan Le Morhedec force à regarder les choses en face : si l’euthanasie et le suicide assisté sont légalisés, les valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent l’humanisme républicain de notre société seront corrompues. Cette loi soumettra des êtres parvenus au stade ultime de la vulnérabilité aux pressions conjointes de la société, de la médecine et de l’entourage. Elle oblitérera la latitude de jugement des soignants et des familles, les placera face à des contradictions et des dilemmes insurmontables, les forcera à la désincarnation pour faire d’eux un instrument fatal.

Mais cet ouvrage essentiel n’est pas que percutant. Il est aussi convaincant en raison de l’investigation de terrain qui le fonde. C’est auprès des soignants, des malades et de leurs proches, dans les établissements de soins palliatifs, qu’Erwan Le Morhedec est allé recueillir, au cours d’heures d’entretiens, les témoignages de situations réelles.

La France est-elle prête à tant d’aubes lugubres ?

Recension dans le journal La Croix

Avocat, blogueur sous le nom de Koz, chroniqueur à La Vie, Erwan Le Morhedec est l’auteur remarqué d’Identitaire – Le mauvais génie du christianisme. Membre du comité scientifique du collectif « Plus digne la vie » depuis 2008, il a accompagné plusieurs associations de soins palliatifs.

 Euthanasie : la plaidoirie contre un « saut mortifère » d’un avocat engagé. Dans un essai sur la fin de vie, l’avocat Erwan Le Morhedec, bien connu de la sphère catholique, se positionne fermement contre l’euthanasie. Une fausse liberté mais une véritable violence, à ses yeux.

« Je refuse de croire que la France soit prête à faire ce saut mortifère entre tous », écrit Erwan Le Morhedec dans l’introduction de son livre, Fin de vie en République (1). Ce « saut mortifère », c’est la légalisation de l’euthanasie. L’ouvrage est né d’un électrochoc : le vote, le 8 avril 2021, par une large majorité des députés, du premier article de la loi dite « Falorni », instituant une aide médicale à mourir. « Le 9 avril 2021 au matin, j’ai compris que je ne pourrais pas me réveiller un jour dans un pays qui administrerait la mort à ses malades comme gage de sa compassion sans en souffrir un divorce profond. »

 Est-ce parce qu’il est avocat, justement ? L’auteur signe un plaidoyer en forme de plaidoirie en s’appliquant à montrer « le coup » que porterait une légalisation de l’aide à mourir « au pacte social français » et ses valeurs de liberté, égalité, fraternité.

Une fausse liberté

Pour cela, il détricote les arguments pro-euthanasie. La France « serait prête », montrent les sondages, estimant que 93 % des Français voudraient qu’on légalise l’euthanasie ? Formulez les questions autrement et « les évidences défaillent », écrit l’auteur, précisant que parmi ceux qui se prononcent, peu connaissent vraiment les dispositions de la loi Claeys-Leonetti encadrant actuellement la fin de vie. Paralysés par l’émotion de cas particuliers tragiques (comme l’affaire Vincent Lambert), confrontés à une alternative réductrice (mourir dans d’atroces souffrances ou rapidement), est-il si étonnant que « nous soyons portés à éliminer dans un même mouvement la souffrance et le souffrant » ?

Autre argument détricoté : choisir sa mort serait une ultime liberté ? Pourtant, est-on libre lorsque l’on est affaibli ? Lorsqu’on dépend des autres ? Lorsqu’on a l’impression que mourir soulagera sa famille ? Est-on libre quand on a mal ? interroge l’auteur, dont l’essai est nourri de rencontres avec des spécialistes des soins palliatifs. Il y a de l’ambivalence dans les demandes de mort, rappelle-t-il. « Je veux mourir », comme « je veux que ça s’arrête », signifient le plus souvent « je ne veux plus souffrir » ou « je ne veux plus vivre… de cette manière-là ». Il plaide donc pour une prise en charge efficace de cette souffrance, où se joue souvent l’accompagnement de fin de vie. L’euthanasie est une liberté fantasmée et une violence véritable, écrit Erwan Le Morhedec. Pour le patient (« elle opprimera les plus faibles, les plus pauvres, les plus seuls »), ses proches, les soignants.

Pour le développement des soins palliatifs

L’auteur s’oppose ensuite à ceux qui estiment que légaliser l’euthanasie serait une mesure égalitaire, en ne réservant plus l’aide médicale à mourir aux seules personnes pouvant aller en Belgique ou en Suisse ; puis aux défenseurs d’une mesure fraternelle, compassionnelle. D’abord, parce que, loin des chiffres brandis par les associations, seule une vingtaine d’étrangers vont mourir en Belgique, chaque année.

Ensuite, parce que la « véritable exigence d’égalité », de fraternité, serait de lutter pour le développement des soins palliatifs et leur accès universel, plaide-t-il. La mesure est certes défendue par les partisans de l’aide à mourir, qui estiment que soins palliatifs et euthanasie ne sont pas incompatibles… Pas si simple, pour Erwan Le Morhedec, qui décrit comment la culture palliative a été « balayée » dans certains pays ayant franchi le pas de la légalisation.

La crainte des dérives

Surtout, l’auteur alerte sur les dérives. Il pointe le modèle belge, si souvent cité en exemple par les députés français. Si le royaume a mis en place une commission de contrôle des actes d’euthanasie, celle-ci semble bien complaisante, comprend-on à la lecture. C’est comme si l’instance, censée agir comme un « filtre » entre les médecins et les autorités judiciaires se comportait davantage comme un « bouclier ».

Bien connu dans les milieux catholiques pour ses interventions et son influence sur les réseaux sociaux (où il porta longtemps le pseudonyme de Koztoujours), Erwan Le Morhedec martèle : c’est en tant que citoyen qu’il s’exprime ici. « Mes arguments n’empruntent rien à la foi », répond-il à qui voudrait le réduire à ses convictions. La fin de vie est simplement le débat qui lui tient probablement « à cœur avec le plus de constance, depuis 25 ans ». L’euthanasie n’a rien pour se parer des couleurs républicaines. « Nous avons un autre chemin à emprunter (…) et c’est encore possible », espère-t-il.

https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Euthanasie-plaidoirie-contre-saut-mortifere-dun-avocat-engage-2022-01-06-1201193414

MORT, PAUL VERLAINE, PAUL VERLAINE (1844-1896), POEME, POEMES, POESIES, POETE FRANÇAIS, TOUSSAINT

Toussaint de Paul Verlaine

Toussaint

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Ces vrais vivants qui sont les saints,
Et les vrais morts qui seront nous,
C’est notre double fête à tous,
Comme la fleur de nos desseins,

Comme le drapeau symbolique
Que l’ouvrier plante gaîment
Au faite neuf du bâtiment,
Mais, au lieu de pierre et de brique,

C’est de notre chair qu’il s’agit,
Et de notre âme en ce nôtre œuvre
Qui, narguant la vieille couleuvre,
A force de travaux surgit.

Notre âme et notre chair domptées
Par la truelle et le ciment
Du patient renoncement
Et des heures dûment comptées.

Mais il est des âmes encor,
Il est des chairs encore comme
En chantier, qu’à tort on dénomme
Les morts, puisqu’ils vivent, trésor

Au repos, mais que nos prières
Seulement peuvent monnayer
Pour, l’architecte, l’employer
Aux grandes dépenses dernières.

Prions, entre les morts, pour maints
De la terre et du Purgatoire,
Prions de façon méritoire
Ceux de là-haut qui sont les saints.

 

Paul Verlaine (1844-1896)

Extraits de Liturgies intimes (1892)

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Hommage à un défunt

Il restera de toi

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Il restera de toi
Ce que tu as donné
Au lieu de le garder
Dans des coffres rouillés

 

Il restera de toi
De ton jardin secret
Une fleur oubliée
Qui ne s’est pas fanée

 

Ce que tu as donné
En d’autres fleurira
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera

 

Il restera de toi
Ce que tu as chanté
À celui qui passait
Sur son chemin désert

 

Il restera de toi
Une brise du soir
Un refrain dans le noir
Jusqu’au bout de l’hiver

 

Ce que tu as chanté
En d’autres jaillira
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera

 

Il restera de toi
Ce que tu as offert
Entre tes bras ouverts
Un matin de soleil

 

 

Il restera de toi
Ce que tu as perdu
Que tu as attendu
Plus loin que tes réveils

 

Ce que tu as offert
En d’autres revivra
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera

EPIDEMIES, FUNERAILLES, MORT, PANDEMIES, RITES FUNERAIRES, RITES FUNERAIRES EN TEMPS D'EPIDEMIES

Rites funeraires en temps d’épidémies

RITES FUNERAIRES EN TEMPS D’EPIDEMIES

Détail de la toile de Michel Serre, représentant L’ Hôtel-de-Ville pendant la peste de 1720, Musée des Beaux-Arts
Détail de la toile de Michel Serre, représentant L’ Hôtel-de-Ville pendant la peste de 1720, Musée des Beaux-Arts

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Introduction

Si il existe une constante dans la vie des hommes, par-delà les âges, les conditions sociales ou les époques, quelques soient les religions ou le degré de civilisation, c’est la célébration de rites à diverses occasions (naissance, anniversaire, mariage ou mort) qui est constitutive de l’homme Ainsi l’archéologie et l’anthropolgie ont mis à jour un des rites apparus très tôt dans l’histoire de l’humanité et ceci dès la préhistoire : aucune société n’abandonne ses morts. L’histoire nous apprend cependant que certains évèments dramatiques viennent perturbuter ces conventions sociales : guerres, catastrophes naturelles, épidémies particulièrement meurtrières. C’est pourquoi les funérailles organisées au cours des mois de mars et avril 2020 ont fait l’objet de controverses et ont été mal vécues quand bien même nous n’avons pas revécu les époques des morts entérrés sans sépulture ou jetés dans des charniers.

Ces évènements nous disent beaucoup sur notre rapport face à la mort. C’est pourquoi on peut se pencher sur les quelques évènments qui marquent des ruptures dans les rites : la peste noire de 1347-1352, la peste de 1720  en Provence, la pandémie du coron    vurus de cette année 2020.

Rites funéraires pendant la pandémie du Coronavirus

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La situation vécue au printemps dernier fut totalement inédite pour notre société : à la douleur de perdre un proche malade de façon brutale est venu s’ajouter le désarroi des familles qui ont été empéchés de pourvoir dire un dernier “au revoir” et d’organiser des funérailles ; de plus cette gestion leur échappait totalement : de la mise en bière à la cérémonie tout était géré par les seuls pompes funèbres et avec un nombre restraint de personnes.

En effet l’arrivée du Covid-19 a ainsi tout de suite imposé des décisions radicales sur l’organisation des obsèques pour éviter toute contamination des professionnels comme des familles. Certaines familles – étant donné que la cérémonie était limitée au cercle familial ont décidé de diffuser les funérailles sur les réseaux sociaux ou encore de reporter certains hommages à plus tard.

On pourrait citer de nombreuses prises de positions qui ont été dénoncées par de nombreuses personnalités. Il suffit de mentionnerl’ouvrage de Marie de Hennezel L’adieu interdit (publié aux Editions Plons) : dans son ouvrage elle dénonce le fait que l’accompagnement des deniers instants des personnes mourantes ait été interdit, que les corps aient été “jetés”, “balancés” dans un sac avant d’être places dans un cercueil

Un témoignage parmi d’autres recueillie le 9 mai 2020 sur les ondes de France-Inter : Au début de l’épidémie, les recommandations du Haut Conseil de la santé publique ont été particulièrement radicales. Ainsi Kathy, dont le mari est décédé le 18 mars témoigne de sa douleur et de et son incompréhension.

« Pour l’instant c’est juste le vide, l’absence ». Kathy a perdu son mari, mort le 18 mars du Covid-19. Aucune cérémonie n’a pu être organisée. Elle a seulement pu récupérer l’urne funéraire, déposée chez elle par le personnel du funérarium. Aujourd’hui, elle dénonce « la violence » et la « brutalité d’une situation « dont nos politiques n’ont pas conscience ». 

« Mon mari a été ‘ramené’, avec un accord préfectoral, dans le petit village des Côtes-d’Armor où nous habitons. Il a été transporté dans des sacs étanches, avec les draps mêmes dans lesquels il avait reposé », expliquait Kathy, ce jeudi, à l’antenne de France Inter. 

« Là, l’entreprise de pompes funèbres m’a dit que mon mari était bien arrivé, je leur ai dit qu’il souhaitait une crémation« . Puis, le silence. Kathy reste sans nouvelles durant une semaine. « J’ai appelé les pompes funèbres. Ils m’ont dit qu’ils étaient absolument débordés, mais qu’ils avaient pu trouver un créneau, le samedi matin, donc que tout avait été fait et que l’urne était bien rangée. »

Les pompes funèbres proposent à Kathy de garder l’urne, jusqu’à temps qu’elle puisse venir la chercher. « Sauf que moi, comme j’avais été avec un grand malade, je ne pouvais même pas sortir de chez moi. Donc, très gentiment, ils ont déposé l’urne dans le garage où je suis allée la chercher. »

« Et puis, il n’y a rien eu” ; “« Mon mari était musicien. Il y a plein de gens du monde de la musique, de l’Opéra de Paris, de partout, qui ont téléphoné et qui m’ont dit ‘peut-on faire quelque chose ? Peut-on venir jouer ?’ Je leur disais non, il n’y a rien parce qu’on ne peut rien faire. »

Pour Kathy, cette situation est inhumaine. « Même dans les sociétés les plus primitives, qu’on a tendance parfois à regarder de haut, il y a un accompagnement de la mort, du deuil, du mort. Tout ça, ce sont des décisions techniques, administratives, mais qui ne tiennent pas compte de l’humain. On en crèvera. Je suis abasourdie de ce qui se passe. » 

 Face à l’incompréhension qui régné pendant cette période où les règles sanitaires on empêché le déroulement normal des funérailles des personnes décédées, face aussi à la violence de certains propos , il semble bon néanmoins de rappeler que durant certaines périodes de l’histoire les corps étaient tout simplement jetés dans des fosses communes. Il suffit de rappeler ce qui s’est passé lors de la Peste noire (1347-1352) et la peste de Marseille en 1720-1722.

La Peste noire (1347-1352)

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L’Europe face à la peste noire de 1347-1352

La peste noire ou mort noire est le nom donné par les historiens modernes à une pandémie de peste, principalement la peste bubonique, ayant sévi au Moyen-Âge, au milieu du XIVè siècle qui a sévi dans le monde connu à cette époque. Cette pandémie a touché l’Eurasie et toute l’Europe occidentale ainsi que l’Afrique du Nord et peut-être l’Afrique subsaharienne. Si elle n’est ni la première ni la dernière pandémie de peste, elle est la seule à porter ce nom. Et si elle mérite d’être cité c’est parce qu’elle l’une des premières qui est été si bien décrite par les chroniqueurs contemporains.

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Elle a tué de 30 à 50 % des Européens en cinq ans (1347-1352), faisant environ 25 millions de victimes. Ses conséquences sur la civilisation européenne sont sévères et longues (si l’on songe non seulement aux bouleversements politiques mais aussi culturels dans l’art, la littérature profane et religieuse), d’autant que cette première vague est considérée comme le début explosif et dévastateur de la deuxième pandémie de peste qui dura, de façon plus sporadique, jusqu’au début du XIXè siècle.

Cette pandémie provoque indirectement la chute de la dynasie Yuan en Chine, affecte l’Empire Khmer, et affaiblit encore plus ce qui restait de l’Empire byzantin, déjà moribond depuis la fin du XIè siècle,  et qui tombe face aux Ottomans en 1453.

Au niveau politique elle va donc bouleverser l’ordre international. Au nivea culturel deux phénomènes se font jour : les ouvrages religieux prolifèrent pour mettre en valeur ce que l’on appelle « l’art de bien mourir » ; au niveau de l’art on voit apparaître ce ,que l’on appelle les « danses macabres » pour rappeler que la mort ignore le statut social de ceux qu’elle vient frapper ; on note également une évolution dans l’art de représenter les mourants : aux gisants sculptés des grands personnages dans leurs attours sur leurs tombes succèdent ce que l’on va appeler « les transis » dont la particularité est de représenter le défunt non pas vivant ou en position de sommeil, mais à l’état de cadavre en état de décomposition avancée, souvent rongé par des vers.

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Gestion des décès

Par leur nombre, les morts ont posé un problème aigu au cours de la peste noire. D’abord pour les évaluer, l’habitude sera prise de recensements réguliers, avant et après chaque épidémie. Le clergé sera chargé d’établir les enregistrements des décès et l’état civil. De nouveaux règlements interdisent de vendre les meubles et vêtements des morts de peste. Leurs biens, voire leur maison, sont souvent brûlés. Dès 1348, des villes établissent de nouveaux cimetières en dehors d’elles, Il est désormais interdit d’enterrer autour des églises, à l’intérieur même des villes, comme on le faisait auparavant.

Les règlements de l’époque indiquent que l’on devait enterrer les cadavres de pestiférés au plus tard six heures après la mort. La tâche est extrêmement dangereuse pour les porteurs de morts, qui viennent bientôt à manquer. On paye de plus en plus cher les ensevelisseurs qui seront, dans les siècles suivants, affublés de noms et d’accoutrements divers selon les régions (vêtus de cuir rouge avec grelots aux jambes, ou de casaques noires à croix blanche).

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En dernière ressource on utilise la main-d’œuvre forcée : prisonniers de droit commun, galériens, condamnés à mort… à qui on promet grâce ou remises de peine. Ces derniers passent dans les maisons ou ramassent les cadavres dans les rues pour les mettre sur une charrette. Ils sont souvent ivres, voleurs et pilleurs. Des familles préfèrent enterrer leurs morts dans leur cave ou jardin, plutôt que d’avoir affaire à eux.

Lorsque les rites funéraires d’enterrement y compris en fosse commune ne sont plus possibles de par l’afflux de victimes, les corps peuvent être immergés comme en la Papauté d’Avignon dans le Rhône en 1348, dont les eaux ont été bénies pour cela par le Pape. De même, à Venise des corps sont jetés dans le Grand Canal, et un service de barges est chargé de les repêcher. Les sources mentionnent rarement l’incinération de cadavres, comme à Catane en 1347 où les corps des réfugiés venus de Messine sont brûlés dans la campagne pour épargner à la ville la puanteur des bûchers (même si l’incénération est interdite pour les chrétiens pour rappeler la croyance en la résurrection après la mort).

Le rite funéraire est simplifié et abrégé, mais maintenu autant que possible, mais lorsque les membres du clergé eux-mêmes disparaissent, mourir de peste sans aucun rituel devient encore plus terrifiant pour les chrétiens.

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La peste de 1720

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Pour rappel la peste de 1720 -1722 en Provence et Languedoc a touché 242 communautés de Provence, du Comtat venaissin et du Languedoc faisant près de 120 000 victimes sur les 400 000 habitants que comptait la Provence à cette époque, soit un tiers environ de sa population. Et c’est devant le nombre de morts chaque jour plus nombreux (jusqu’à 1000 par jour au plus fort de cette épidémie) que les autorités ont été obliges de ne plus enterrés les morts dans les cimetières mais dns des fosses communes en dehors des villes pour éviter la propagation de la peste.

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Évacuation des cadavres

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Avis au public de 1720 concernant l’enlèvement des cadavres morts de la peste.

Dès le début du mois d’août 1720 les caveaux des églises ou les cimetières ne sont plus autorisés à recevoir les corps des pestiférés qui doivent être emmenés aux infirmeries par les « corbeaux » (croque-morts). À partir du 8 août l’ouverture de fosses communes   s’impose. Une compagnie de grenadiers enlève de force des paysans dans les campagnes pour creuser à l’extérieur des remparts une quinzaine de fosses.

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Le 9 août, les civières ne suffisent plus et apparaissent les premiers tombereaux pour l’enlèvement des cadavres. À la mi-août, les infirmeries ne peuvent plus recevoir les malades ou les morts, les cadavres sont laissés dans les rues. Les chariots viennent à manquer ; les échevins font prendre d’autorité des attelages dans les campagnes. Les tombereaux ne pouvant circuler dans les rues étroites du quartier Saint-Jean de la vieille ville, des civières sont confectionnées pour apporter les cadavres jusqu’aux chariots. Pour conduire les chariots et enlever les cadavres, il est alors fait appel aux forçats de l’arsenal des galères, choisis parmi les plus médiocres rameurs. Mais cette main d’œuvre pour le moins indisciplinée nécessite une surveillance étroite. L’échevin Moustier en personne, précédé et suivi de quatre soldats baïonnette au canon, conduira lui-même chaque jour un détachement de forçats.

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Si les échevins arrivent à nettoyer la ville d’une grande partie des cadavres, le quartier de la Tourette n’est pas dégagé. Ce quartier habité par des familles de marins et situé à proximité de l’église Saint-Laurent a été totalement ravagé par la peste. Seul le chevalier Roze qui s’est distingué dans le nettoiement du quartier de Rive-Neuve, accepte la mission de débarrasser de ses cadavres le quartier de la Tourette. À la tête d’un détachement de cent forçats, il fait jeter dans deux vieux bastions un millier de cadavres qui sont recouverts de chaux vive. C’est l’épisode le plus célèbre de cette lutte contre la peste. Parmi les forçats cinq seulement survécurent.

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 Témoignages des contemporains

Pour illustrer ces évènements dramatiques on peut s’appuyer sur deux deux témoignages relates par deux acteurs : le docteur Jean-Baptiste Beetrand (1670-1752) dans sa Relation historique de la peste de Marseille en 1720 (publié en Amsterdam en 1779chez l’éditeur J. Mossy) et celui du Père Paul Giraud (Trinitaire Réformé) dans son Journal historique de ce qui s’est passé en la ville de Marseille et son terroir, à l’occasion de la peste, depuis le mois de mai 1720 jusqu’en 1723 (dont le manuscrit se trouve à la BMVR de Marseille, dans les fonds patrimoniaux)

Gestion des morts : les corps deviennent des cadavers (18-13 août 1720)

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Michel Serre. Vue de l’hôtel de ville pendant la peste de 1720.

Le 13 août, le Père Giraud notait que lorsque la peste pénétrait dans une maison pas un habitant, n’en réchappait, et cela du plus jeune au plus âgé. Et bientôt les échevins furent à court de personnes pour déplacer les morts ce qui se déroulaient la nuit. Pour cette sinistre besogne on réquisionna les pauvres qui n’avaient pas pu quitter la ville. Si au depart on pu enterrer les morts dans le cimetière du Lazaret de la ville, très vite on  dû se résoudre à ouvrir de grandes fosses en dehors de la cité où les corps étaient jetés puis recouverts de chaux vive. Il ne s’agissait plus d’ensevelissement des corps mais de cadavers à se débarrasser. Et les Marseillais durent s’habituer à observer le sinistre cortège des charrettes de la ville vers vers les murs d’enceinte.  

Sur le détail du tableau de Michel Serre, on voit un prêtre procéder à une bénédiction très rapide des corps. Car il n’y avait plus de convoi funèbre, à peine une croix et parfois quelques prêtres et, à partir de la mi-août, de nombreux fidèles mouraient subitement, sans avoir eu le temps de recevoir les sacrements, malgré le dévouement des prêtres qui couraient dans tous les quartiers, contractaient et répandaient la maladie.

Le Père Giraud

« Le 8, ils sont contraints de guerre lasse de laisser les corbeaux dans les Infirmeries pour y ensevelir seulement les morts. Comme il n’y avait plus de fossoyeurs dans la ville, on délibère d’arrêter les gueux les plus robustes et les plus vigoureux, de les obliger de conduire des chariots ou tomberaux, d’y mettre dessus les morts pour les porter le long des murs de la ville, sous les ordres du Sr Bonnet, lieutenant de viguier et de quatre lieutenans de santé qui commanderoient. (…)

« Néanmoins, Mrs les échevins ont fait saisir ce jourd’hui quatre tomberaux avec leur chevaux dans quelques fabriques de la ville, les ont fait atteler et les gueux bon gré mal gré les ont fait rouler dans les rues. Ceux qui avoient des morts avertissoient les lieutenans de santé et ceux-ci commandoient les corbeaux qui tiroient avec des crochets et les jettoient dans les tomberaux qu’on est allé décharger tout premièrement au dessous de la Tour de Ste-Paule, entre la Porte d’Aix et celle de la Joliette.

« Tout le quartier des tanneries s’est soulevé d’abord ; les syndics des taneurs sont venus à l’Hôtel-de-Ville pour remontrer à Mrs les échevins qu’on avoit laissé tout le jour près de cinquante cadavres exposés à l’ardeur du soleil le long de leurs remparts, que l’infection de ces cadavres éttoit capable d’infecter tous les habitans des environs et les suplièrent instamment d’y pourvoir.

« Mrs les échevins qui savoient déjà plus où donner de la tête ont mis tout en œuvre, intérêt addresse, prière, menace et on fait enfin ouvrir des fosses dans lesquelles on a jetté les cadavres à demi pourris sur lesquels on jetta de la chaux vive et dans lesquelles on continua de décharger les tomberaux. Leur cahotement et les cris des halebardiers qui les précèdent et sont à leur suite jettent tout d’un coup une telle épouvante dans la ville qu’on ne marche plus dans les rues qu’en sursault : on frémit à chaque pas de crainte d’être investi de quelque malade ou de rencontrer quelque tombereau.

« Il n’étoit pas aisé d’exécuter ces projets : ceux qui avoient des chariots les réservoient, les gueux les plus hardis n’osoient se résoudre d’entrer dans les maisons pour en extraire les cadavres et les jetter sur les tomberaux, les païsans même épouvantés aimaient encor mieux s’exposer aux peines les plus rigoureuses que de travailler à ouvrir des fosses qu’ils envisageoient comme leur propre tombeau : on s’étoit déjà formé une idée si afreuse de la peste qu’on ne pensoit plus qu’à s’éloigner de tout ce qui pouvoit la communiquer et l’on regardoit comme extrêmement périlleux tous les ouvrages qui aprochaient des pestiférés soit vivans soit morts  ».

Le 12, « apparemment pour rassurer le peuple toujours plus alarmé du bruit des tomberaux sur lesquels on jettoit les chrétiens morts ainsi qu’on y auroit jetté des chiens ou des pierres, les médecins ou les chirurgiens permettoient de temps en temps aux prêtres d’en ensevelir quelques uns dans les églises ou dans les cimetières avec les cérémonies accoutumées. Il est vrai qu’on ne faisoit plus de convoi funèbre. C’étoit beaucoup de trouver à grands fraiz quatre, quelquefois deux hommes, pour porter les morts par le chemin le plus court quand la croix de l’église précédoit le cadavre et que les prêtres récitoient quelques prières en psalmodiant, on entendoit des cris de joye ».

Vers une pénurie de de corbeaux, de charios et de chevaux (19-17 août)

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Détail de la toile de Michel Serre, représentant L’ Hôtel-de-Ville pendant la peste de 1720, Musée des Beaux-Arts

Les fossoyeurs expiraient les uns derrière les autres et les 3 000 gueux réquisitionnés pour ce faire étaient déjà morts à la tâche. C’était une hécatombe. Le Père Giraud évaluait leur espérance de vie dans cet emploi à deux jours. Il fallait toutefois les remplacer en toute hâte car le nombre de « cadavres » augmentait d’heure en heure et ceux-ci s’amoncelaient désormais à même le sol, en plein soleil, dans les rues de tous les quartiers de la ville. Il fallut alors s’adresser à l’Arsenal des galères afin qu’il libère des forçats pour cette tâche en leur promettant la liberté.

Mais cette une main d’œuvre était difficile à gêrer et peu aguerrie à une telle besogne : « N’étant du tout point faits à la conduite des tomberaux, ils versent souvent dans les rues, excitent parmi le peuple des cris et des clameurs horribles, brisent les tomberaux auxquels on ne trouve plus ni sellier, ni charron, n’osent plus toucher : ils sont pourtant des gens nécessaires qu’il faut ménager », écrivait le Père Giraud. A partir du 24 août, l’échevin Moustier prit alors lui-même très courageusement la tête des équipes qu’il dirigeait à cheval.

Le Père Giraud

« Le 18, la multitude des morts et des nouveaux malades est si grande que Mrs les échevins trouvant quarante deux morts autour de la place Neuve sont déconcertés : pour faire enlever ces morts et les autres dispersés dans tous les quartiers de la ville, ils ont eu besoin d’un plus grand nombre de tomberaux et de corbeaux. Il leur est toujours plus difficile d’en trouver. Le même corbeau duroit à peine deux jours. Souvent il prenoit la peste à la levée d’un premier cadavre quoiqu’il n’y toucha que superficiellement : le venin pestilentiel était si subtil que la plus légère vapeur qui sortoit des cadavres suffisoit pour la communiquer. Alors que l’air qu’il respiroit dans les maisons où il trouvoit les cadavres pouvoit les empester, il y avoit presque toujours d’autres malades autour et quoiqu’il portât des crochets à manche pour retirer les morts, il étoit difficile qu’il ne touchoit quelque chose de suspect.

«  Tout ce qu’on avoit déjà employé de gueux et de mendians avoit déjà péri. Ce préjugé étoit rebutant. On donnoit ou peut-être on promettoit quinze livres par jour à ceux qui auroient encore voulu s’exposer mais cette amorce ne remioit plus les coeurs mercenaires : la veüe d’une mort prochaine et presqu’inévitable intimidait tellement les plus misérables et les plus intrépides qu’on en trouvoit plus pour mettre à ce travail périlleux ni de gré ni de force : cependant on laissoit déjà pourrir quelques cadavres dans les maisons. On en trouvoit plusieurs exposés aux portes des églises et des hôpitaux sans qu’on put les porter dans les fosses.

« Dans cette triste conjoncture Mrs les échevins ont recours à Mr de Rancé, commandant des galères, et à Mr Alnoulx de Vaucresson, Intendant du Parc, et les prient instamment de leur donner quelques forçats pour servir de corbeaux et offrent même de s’obliger à indemniser sa Majesté. Ces Mrs, en attendant l’ordre de la Cour, leur accordent par provision vint six invalides qu’on tire du baigne avec promesse de leur donner la liberté s’ils échappent de la peste.

« Nonobstant la fuite des cordonniers et des fripiers, il étoit encore plus aisé d’équiper ces forçats que les loger et de les nourrir parce que personne n’ozoit communiquer avec eux. L’idée de corbeau et de forçat est si efrayante que l’on craint extraordinairement ces gens là : on sait qu’ils volent impunément dans toutes les maisons où ils vont prendre des corps morts. Il falloit les garder à veûe mais comment les garder dans des maisons où souvent il n’y a plus que des malades ou des mourans ? C’est beaucoup de les suivre de près ou de loing pour les obliger à presser les travaux qu’ils doivent faire avec une lenteur désespérante. N’étant du tout point faits à la conduite des tomberaux, ils versent souvent dans les rues, excitent parmi le peuple des cris et des clameurs horribles, brisent les tomberaux auxquels on ne trouve plus ni sellier, ni charron, n’osent plus toucher : ils sont pourtant des gens nécessaires qu’il faut ménager. Mr Moustiers se charge de ce pénible soin et continua dans la suite de se mettre à leur tête à cheval dès la première aube du jour.

« Quelque soin qu’on prît de cacher les chariots des fabriques de la ville, de dépaïser les chevaux et leurs harnois, on en trouvoit encore quelques uns de gré ou de force. On députa plusieurs gardes qui en emmènent du terroir dans la ville. On se mit ainsi en état de pouvoir faire enlever chaque jour les nouveaux morts ».

Relation du 23 au 31 août 1720 : le comble de l’horreur ?

Le Dr Bertrand

« Les vapeurs qui s’élevoient de ces cadavres croupissant dans toute la Ville, infectèrent l’air, & répandirent par-tout les traits mortels de la contagion. En effet, elle pénétra dès lors dans les endroits qui jusqu’ici lui avoient été inaccessibles : les Monastères d’une clôture la plus sévère en ressentirent quelque impression & les maisons les mieux fermées en furent attaquées. On vit alors le moment qu’il ne devoit plus rester personne en santé, & que toute la Ville ne devoit plut être qu’une Infirmerie de malades. Si le Seigneur n’eût arrêté le glaive de sa colère en inspirant à ceux qui étoient chargés du Gouvernement les moyens efficaces que nous exposerons ci après. Cette infection étoit augmentée par une autre qui n’éroit pas moins dangereuse. II s’étoit répandu une prévention que les chiens étoient susceptibles de la contagion, par l’attouchement des hardes infectées, & qu’ils pouvoient la communiquer de même. C’en fut assez pour faire déclarer une guerre impitoyable à ces animaux : on les chassoit de par tout, & chacun tiroit sur eux, on en fit aussitôt un massacre, qui remplit en peu de jours toutes les rues de chiens morts ; on en jetta dans le Port une quantité prodigieuse, que la mer rejette sur les bords, d’où la chaleur du soleil en enlevoit une infection si forte, qu’elle faisoit éviter cet endroit, qui est des plus agréables, & le seul où l’on pouvoir passer librement… »

Le Père Giraud

« Le 30, on ne peut plus se soutenir à la veüe des spectacles afreux qui se présentent partout : on avoit plus de corbeaux pour lever les corps qui se pourrissent dans les maisons et dans les rues ; on n’oze plus demander des forçats aux Mrs des galères ; la puanteur qui s’exhale des appartemens où étoient les cadavres met les habitans ou les voisins dans la nécessité d’y entrer avec des crochets, des cordes pour les tirer ; ils les traînent le plus loing qu’ils peuvent pour n’en être pas infectés. Cependant, la plus part prenant ainsi la peste. Autre que l’air de ces maisons est contagieux, c’est qu’il étoit difficile de ne pas toucher quelque chose empestée, ce qui donnoit infailliblement la peste. Toutes les rues de la ville sont si pleines de corps morts, de malades, de chiens et de chats que l’on a tués, de hardes de toutes espèces, que l’on ne trouve plus où reposer le pied : on voit surtout dans le Cours et dans les places publiques des tas de cadavres noirs et hideux qu’on ne peut regarder fixement sans tomber à la renverse. On débarque sur la place de la Loge, sur le quay et le long des palissades du port un si grand nombre de morts qu’on tiroit des vaisseaux et autres bâtiments de mer que l’on désespère de pouvoir les enlever : la surface du port est couverte de charognes qui augmentent l’horreur et l’infection. Les maisons du port qui faisoit autrefois le plus magnifique et le plus superbe amphithéâtre du monde sont devenües alors de sombres prisons. On ne peut plus en sortir sans s’exposer à la mort ni se présenter aux fenêtres sans être saisi de tristesse et d’horreur : on ne voit plus que des gens à cheval, des corbeaux, des phrénétiques. L’ardeur et la violence de la fièvre mettent les derniers en mouvement, les font errer sans qu’ils sachent où devoient aboutir leur course, souvent avec un air livide et languissant, ils tombent de foiblesse à travers des cadavres sans pouvoir se relever, restant dans des postures horribles ; ils expirent souvent au lieu même de leur chute. La force et la violence du venin pestilentiel mettent d’autres malades dans une telle agitation et espèce de désespoir qu’ils s’égorgent eux-mêmes, se précipitent dans la mer, dans des ruisseaux, se jettent des fenêtres de trop de maisons : quelle désolation, quelle rage, quelle fureur, quel désespoir ! Ceux qui ne sont pas attaqués de la peste peuvent-ils résister aux gémissements, aux plaintes, aux sanglots, aux pleurs et aux cris qui s’élèventde toute part ; ils sucomberoient sans doute à la douleur si tandis que Dieu les abbat ainsi il ne les soutenoit puisamment d’une manière invisible ».

 

Le chevalier Roze procède à l’enlèvement des cadavres au quartier de la Tourette (septembre 1720)

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Le chevalier Roze à la Tourette

Dans son journal, le Père Giraud décrit exactement ce que Michel Serre donne à voir sur la toile intitulée « Le Chevalier Roze à la Tourette ». A la tête d’une équipe de forçats munie de crochets, il fit enfouir dans une fosse improvisée un millier de cadavres décomposés au soleil.

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Le Père Giraud

« Le 14, grande qu’ait pu être l’activité de Mrs les Echevins pour faire enlever des différents quartiers de la ville un nombre infini de morts, la mortalité continue d’être si grande qu’il s’en présente toujours à eux davantage, les cadavres semblant se reproduire à tout moments. Il y en a surtout depuis trois semaines plus de mille qui se touchent les uns les autres dans un lieu exposé à toute l’ardeur du soleil. C’est la Tourette, esplanade du côté de la mer, entre les maisons du château de Joli et le rempart depuis le fort de St-Jean jusqu’à l’église de la cathédrale : on sent asses l’importance de nettoyer cette place mais l’infection contagieuse qui s’élève des cadavres qui sont en pourriture, empêche les voisins qui sont fermés dans leurs maisons jusquà la place de Linche et dans la rue de Palais épiscopal d’ouvrir leurs fenêtres, les plus hardis et les plus robustes frémissent à la seule pensée de s’en approcher : personne n’ose se charger d’une pareille entreprise. Lorsque Mr le Chevalier de Roze, également hardi et industrieux, va sur le lieu même sans se rebuter de voir tant de cadavres hideux qui présentent à peine la forme humaine et dont les vers mettent les membres en mouvement, il parcourt les remparts et à travers quelques fentes que le tems et l’air marin ont faite aux piés de deux vieux bastions qui ont résisté, il y a deux millans aux attaques des désarmés ; il observe que ces bastions sont voutés et creux en dedans. Il juge qu’en faisant ôter quelques pès de terre qui couvrent des pierres de la voute et en l’enfonceant, il n’y auroit rien de si aisé que d’y faire jetter tous ces cadavres qui tomberont d’eux mêmes jusques au fond, au niveau de la mer, et que dans ce réduit, on les couvriroit facilement de chaux vive pour empêcher qu’il ne s’en élevât des exhalaisons empestées. Il court aussitôt à l’Hôtel-de-Ville ; il communique sa découverte et son projet à Mr le Commandeur de Langeron et à Mrs les Echevins ; il se flatte de pouvoir surmonter tous les obstacles et de se sauver même du péril pourvu qu’on lui donna suffisamment de monde. Mr le Commandant vient de recevoir les ordres de la Cour pour pouvoir prendre autant de forçats des galères qu’il le jugeroit nécessaire pour le service de la ville. Il en accorde cent au Chevalier Roze qui sans leur donner presque le tems de réfléchir et d’envisager le péril évident auquel il les expose, exécute son dessein pour ainsi dire, d’un coup de main et dans un instant.

« Toutes les fosses qu’on avoit ouvertes étant presque remplies, Mr le commandant, accompagné de Mrs Moustiers et de Soissan, visite les dehors de la ville, désigne un endroit à côté de la Porte d’Aix pour y faire ouvrir des nouvelles de dix toises de longueur sur quinze de largeur : il falloit au moins cent païsans pour exécuter cet ordre. Il le donne aux capitaines des principaux quartiers du terroir qui, soit de gré soit de force, luy envoyent les personnes qu’il avoit demandées ».

 Paléopathologie

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Charnier de l’Observance

Tout au long du XIXè siècle plusieurs anciennes fosses communes ont été découvertes au cours de divers travaux d’aménagement. Ces charniers n’ont jamais été jugés dignes d’intérêt archéologique et les restes humains ont été réinhumés ou mis en décharge. Ce n’est qu’en 1994 qu’a été entreprise une fouille d’une fosse commune découverte Cette fosse se trouvait dans les anciens jardins du couvent de l’Observance situé en contrebas de la Vieille Charité (appurtenant  aux frères mineurs de l’étroite observance, appelés ainsi parce qu’ils observaient à la lettre la règle de saint François).

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Près de deux cents squelettes ont été exhumés entre août et septembre 1994 et ont fait l’objet d’études anthropologique et biologique. Les archéologues ont constaté que la fosse a été inégalement remplie. Trois zones apparaissent : à l’est une zone à forte densité avec empilement des corps, au centre une zone à faible densité avec individualisation des inhumations et enfin à l’ouest une zone à densité presque nulle. Cette variation traduit les phases successives de l’épidémie qui va en décroissance rapide. Ce nombre relativement faible des inhumations pousse les archéologues à estimer qu’il s’agit d’une fosse qui aurait fonctionné au cours de la deuxième période de l’épidémie, soit de mai à juillet 1722.

Le décès par peste des individus inhumés dans ce charnier ne fait aucun doute puisque l’AND du bacille de la peste a été mis en évidence. Les corps étaient systématiquement recouverts de chaux vive. À l’exception d’un corps possédant une boucle de ceinture, il n’y a aucun élément de parure. Des fragments de draps démontrent que les cadavres ont été enterrés nus dans des linceuls. Une épingle en bronze plantée dans la première phalange du gros orteil a souvent été trouvée : pratique habituelle à cette époque pour vérifier la mort effective de l’individu. Cette approche multidisciplinaire révéla des faits et des renseignements inconnus auparavant concernant l’épidémie de 1722 tels que la mise en évidence d’un geste anatomique d’ouverture de la boîte crânienne d’un adolescent de quinze ans environ. La restauration d’un crâne en laboratoire a permis de reconstituer la technique d’anatomie utilisée pour cette autopsie qui fu décrite dans un livre de médecine datant de 1708.

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Les tranchées des Capucins de Ferrières (Martigues, Bouches-du-Rhône, France). Un charnier de l’épidémie de peste de 1720 à 1722

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Cet ensemble funéraire, situé sur la commune de Martigues (Bouches-du-Rhône), se compose de cinq tranchées parallèles constituant autant de sépultures multiples. Si de façon générale les modalités funéraires observées apparaissent uniformément sommaires, nous avons toutefois pu noter des nuances sensibles dans l’organisation du dépôt des cadavres. Ces variantes semblent témoigner d’une adaptation à l’augmentation d’intensité de la crise épidémique. Au total, 208 squelettes ont été exhumés de ce site. Cette documentation ostéoarchéologique vient largement étoffer les données dont nous disposions à la suite de la fouille de sauvetage antérieure du site du Délos (39 individus), autre ensemble funéraire martégal lié à l’épidémie du début du XVIIIè  siècle.

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En conclusion

Cette brève étude sur les conditions dans lesquelles des épidémies bouleversent les rites qui accompagnent la vie d’une société surtout au moment de la mort ne peut que nous faire prendre conscience  que rien n’est acquis dans nos rites. Les épidémies nous rappellent que les hommes ne maîtrisent pas leur destinée et nos sociétés modernes qui voudraient éradiquer l’idée même de la mort par la « fabrique » d’un homme immortel se retrouvent démunies devant  une réalité que l’on veut nier mais qui doit être un jour ou l’autre regarder en face.

Peut-être faut-il se rappeler ce qu’écrivant Voltaire (169-1778) dans son Dictionnaire philosophique : « L’espèce humaine est la seule qui sache qu’elle doit mourir, et elle ne le sait que par l’expérience commune de l’humanité ». Le philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976) ne disait pas autre chose dans Qu’est-ce que la métaphysique ? : L’homme, être des lointains, est un être pour la mort. Il est le seul animal qui sait qu’il va mourir » ou encore Georges Bataille (1897-1962) : « Il n’y a de donscience de la mort que chez l’homme » Et c’est peut-être cela qui fait la grandeur et la spécificité de l’homme.

EPIDEMIES, FUNERAILLES, MORT, RITES FUNERAIRES EN TEMPS D'EPIDEMIES

Funérailles en temps d’épidémies

Rites funéraires en temps d’épidémies

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Croyances et réalités archéologiques  : Funeral in times of epidemic. Beliefs and archaeological reality

Dominique Castex et Sacha Kacki

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Longtemps abordés sous le seul angle de la recherche historique, les épisodes épidémiques du passé ont fait l’objet, depuis une vingtaine d’années, d’une attention croissante dans les disciplines archéologiques lato sensu. Toutefois, malgré la multiplication des fouilles de témoins sépulcraux de ces crises de mortalité, peu d’études se sont réellement attachées à caractériser les spécificités du devenir des morts par épidémie. En outre, ces dernières souffrent généralement de l’hétérogénéité des contextes chronologiques et épidémiques pris en compte. Afin de pallier ce manque, nous proposons une étude comparative entre plusieurs sites français ayant livré des sépultures liées à la Peste noire (1347-1352). Les données obtenues permettent de discuter la variabilité des expressions sépulcrales en temps de peste et mettent en exergue certaines dissemblances entre les contextes ruraux et urbains. Leur mise en perspective avec les résultats issus de l’étude de sites funéraires plus récents, relevant de mortalité similaire, autorise in fine certaines réflexions quant à l’évolution des usages funéraires en temps d’épidémie durant le bas Moyen Âge et l’époque moderne.

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Replacées dans un ensemble de calamités, les épidémies du passé, et tout particulièrement la peste, ont longtemps hantés les mémoires et l’imagination populaire. La peur de la contagion semble avoir conduit à d’étranges fantasmes ayant trait notamment à l’attitude des populations lors des funérailles des morts par épidémie. Ensevelissement des corps en masse, exclusion et ségrégation sont bien souvent les caractéristiques liés aux crises de mortalité épidémique dont se font échos quelques rares sources textuelles et iconographiques. La réalité des pratiques funéraires dans de tels contextes est restée longtemps ignorée mais depuis quelques années elle est devenue un véritable sujet de réflexion grâce à une dynamique d’étude interdisciplinaire prenant en compte les données de l’archéologie, de l’anthropologie et de la biologie moléculaire. Une première synthèse peut être actuellement proposée grâce à une étude comparative entre plusieurs sites français ruraux et urbains ayant livré des sépultures liées à la Peste noire (1347-1352). En outre, la mise en perspective des résultats obtenus avec ceux d’autres ensembles funéraires relatifs à des épidémies relevant de contextes chronologiques antérieurs et postérieurs et/ou d’autres agents pathogènes permettent de discuter de la variabilité des expressions sépulcrales en temps d’épidémie de l’antiquité à l’époque moderne. Certains aspects du traitement funéraire deviennent plus complexes au cours du temps et se dessine alors progressivement une évolution des pratiques qui pourrait être liée en grande partie à l’émergence des progrès médicaux.

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https://journals.openedition.org/archeomed/10364

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CHRYSANTHEMES, CIMETIERES, MORT, TOMBES, TOUSSAINT

Des chrysanthèmes à la Toussaint

Pourquoi des chrysanthèmes à la Toussaint ?

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Les chrysanthèmes, dont l’étymologie grecque signifie « feuille d’or », sont les fleurs les plus achetées chaque année pour la Toussaint. Elles viennent orner les tombes, à la mémoire des défunts. Mais savez-vous d’où vient cette tradition ?

 

Alors qu’en Asie, le chrysanthème est un symbole de félicité, en France et en Belgique il est associé à la mort, faisant figure d’exception culturelle. En effet, il est traditionnellement choisi pour fleurir les tombes, le 2 novembre, jour de commémoration des défunts. Mais alors, pourquoi les chrysanthèmes sont-elles devenues les fleurs indissociables de la Toussaint ?

 

Fleurir une tombe avec des chrysanthèmes, une tradition récente

Jusqu’au XIXème siècle, la coutume voulait que l’on dispose des bougies sur les tombes des cimetières pour honorer ses proches, mais les flammes des bougies ont peu à peu été remplacées par les chrysanthèmes d’automne. L’explication est à chercher du côté de la Grande Guerre…

C’est en effet en 1919, à l’occasion du premier anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918, qui célébrait la fin des combats de la Première Guerre Mondiale, que le président Raymond Poincaré a appelé les français à fleurir les tombes des soldats morts au front. Le chrysanthème fut choisi pour deux raisons : il fleurit durant cette période et résiste aux basses températures. Suite à cette anecdote, les français ont également pris l’habitude d’utiliser le chrysanthème pour décorer les tombes de leurs proches, à l’occasion du jour férié de la Toussaint.

 

 L’origine des chrysanthèmes

Son histoire commence en Chine, il y a 3000 ans, où le chrysanthème était cultivé pour l’ornement, l’alimentation et la pharmacopée. Nommés « Ju Hua » (菊花 ) en chinois, les chrysanthèmes de couleur jaune et blanche sont notamment utilisés en infusions, pour leurs vertus calmantes et anti-vieillissantes.

Introduit au Japon à partir du VIIIème siècle, son succès fût tel qu’il devint le symbole de l’empereur et l’emblème du pays. L’ordre du chrysanthème est en effet la plus haute distinction du Japon, décernée aux personnalités d’honneur. On retrouve d’ailleurs le symbole de la fleur sur les passeports japonais.

Les premiers spécimens de chrysanthèmes à pompon sont arrivés au XVIIème siècle en Europe et les variétés à grandes fleurs furent introduites, un siècle plus tard. C’est le navigateur marseillais Pierre Blancard qui en 1789, a trouvé des descriptions de la fleur en Hollande, où elle fût importée.

En France, son succès a pris de l’ampleur à partir de la Belle Époque, c’est-à-dire entre le XIXème et le début du XXème siècle, avec la mode du style japonais, devenant un motif récurrent de l’Art Nouveau.

La symbolique heureuse du chrysanthème

En Asie, le chrysanthème est synonyme de bonheur et d’amour. Selon un proverbe chinois : « Si vous souhaitez être heureux pour une vie, cultivez des chrysanthèmes ». Comme le relate Dominique  Pen Du dans Le petit livre des fleurs, paru aux éditions du Chêne, les Japonais lui prêtent une naissance divine, d’après la légende suivante : « Un jour que Dieu Izanagi se purifiait dans l’eau d’un fleuve, ses vêtement jetés à terre se changèrent en douze dieux et ses bijoux en trois fleurs : un iris, un lotus et un chrysanthème ».

Suite aux nombreuses hybridations dont la fleur a fait l’objet, il en existe aujourd’hui environ une centaine d’espèces, offrant une grande variété de couleurs. Sa symbolique d’amour et de bonheur en fait une plante privilégiée pour les mariages : le blanc traduisant un amour pur, symbolisant la fidélité, le rouge incarnant l’amour et le jaune tout comme le rose, symbolisant un amour plus fragile. Notez cependant que les chrysanthèmes de couleurs jaune sont tout autrement symboles d’immortalité et de longévité en Orient et en Extrême-Orient.

 

https://fr.aleteia.org/2017/10/27/pourquoi-des-chrysanthemes-a-la-toussaint/

DERNIERS JOURS DE LA VIE DES MOINES, LIVRES, LIVRES - RECENSION, MOINES, MORT, NICOLAS DIAT

Derniers jours de la vie des moines

Un temps pour mourir : derniers jours de la vie des moines

Nicolas Diat

Paris, Fayard, 2018. 226 pages.

 

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Voilà un livre peu banal. Son auteur, Nicolas Diat, est connu pour ses livres sur Benoît XVI et le cardinal Sarah, qui ont obtenu un grand succès en France comme à l’étranger. Cette fois, il s’est transformé en enquêteur et a recueilli les confidences de nombreux moines sur la fin de vie entre les murs de leurs monastères. Les témoignages qu’il rapporte sont extrêmement divers ; parfois, ils sont bouleversants. Certains ont peur de la mort, ce qui peut sembler étonnant, d’autres l’attendent comme la rencontre, celle qui donne sens à la vie, et à toutes choses. La mort est le grand révélateur, devant lequel il est impossible de tricher. Ces moines ont beaucoup à nous apprendre, écrit Nicolas Diat : «Leur humanité, leur courage, leur sincérité force l’admiration.» Et plus encore une attitude qui paraît presque enfantine tant elle est simple devant une fin à la fois inéluctable et, la plupart du temps, tellement désirée.

  

Extraits choisis

 Comprendre les derniers instants de la vie

« Aujourd’hui, la liturgie de la mort n’existe plus. Or les peurs et les angoisses n’ont jamais été aussi fortes. Les hommes ne savent plus comment mourir.

Dans cet univers désolé, j’ai eu l’idée de prendre le chemin des grands monastères pour découvrir ce que les moines ont à nous dire de la mort. Derrière les murs des clôtures, ils passent leur existence à prier et à réfléchir aux fins dernières.

J’ai pensé que leurs témoignages pourraient aider les hommes à comprendre la souffrance, la maladie, la peine et les derniers instants de la vie. Ils savent les morts compliquées, les morts rapides, les morts simples. Ils y ont été confrontés plus souvent, et de plus près, que la plupart de ceux qui vivent au-delà des enceintes des monastères. J’avais l’intuition, en commençant mon travail, que les moines ne me cacheraient rien, qu’ils me parleraient du trépas des leurs avec vérité.

Les récits recueillis dans les abbayes que j’ai visitées ne m’ont pas détrompé. J’aimerais que ce livre donne un peu d’espoir, car les moines nous montrent qu’une mort humaine est possible. […] Les histoires que m’ont confiées les bénédictins d’En-Calcat, de Solesmes et de Fontgombault, les trappistes de Sept-Fons, les cisterciens de Cîteaux, les chanoines de Lagrasse, les prémontrés de Mondaye et les ermites de la Grande-Chartreuse sont aussi belles et exceptionnelles que les paroles mémorables des temps anciens. »

Lagrasse

 

« Frère Vincent est mort avec une grande facilité.

En écoutant le Père Emmanuel-Marie, il me semble entendre un homme qui parle de la disparition de son propre enfant : “Je me suis penché au-dessus de lui, j’ai su que les dernières minutes approchaient. J’ai dit à sa mère de prendre sa main droite, à sa sœur de saisir la gauche. Son corps était brûlant. J’ai récité les prières des agonisants et je lui ai donné le sacrement des malades. Soudainement, nous avons senti qu’il s’apaisait.

Le petit Frère semblait plus reposé, emporté dans un voyage qui le dépassait. Nous avions la certitude qu’il allait nous quitter. Il était devenu transparent. Le temps des crises, le temps des suffocations s’éloignait.

Il ne nageait plus dans cette mer de souffrances qui était sa prison. Frère Vincent n’avait pas peur. Son départ a été doux.

La veille, les spasmes déformaient son visage. À l’heure de la mort, il était rayonnant.” »

 

En-Calcat

« Une année avant sa mort, pendant sa rémission, le Père Michel-Marie a reçu un journaliste. Il avait peur de souffrir, et cependant il a tenu [au journaliste] ce discours magnifique : “Me savoir ainsi atteint par la maladie m’a donné une hypersensibilité. Je me rends compte à quel point la vie n’est pas grand-chose. En même temps, elle revêt toute son importance. Je prends conscience désormais avec clarté de la fin de toute chose. Il faut cependant se lever et se battre pour la vie. J’ai le trac de la mort, comme avant un examen. La dimension de ce qui nous attend au ciel est affolante. Pourtant, j’ai un rôle à jouer dans cette grandeur. Dès ici-bas, tout ce que je fais prépare ce que j’aurai à vivre au ciel. Mais cela me dépasse. J’ai pris conscience de l’incroyable immensité de ce qui m’attend de l’autre côté.” […]

En-Calcat est une oasis qu’on quitte à regret. »

 

Solesmes

« Je me souvenais de sa manière respectueuse et délicate de parler d’un moine qu’il aimait : “Je demande toujours à mes Frères de mourir lorsque je suis à l’abbaye. Je voyage beaucoup en raison de mes fonctions de supérieur de la congrégation de Solesmes.

Le Frère Pierre Buisson ne voulait pas devenir centenaire. Je savais donc que le temps était compté. Depuis quelques semaines, il était diminué.

À la fin du mois de mai, lorsque je suis parti en Espagne, je lui ai demandé d’attendre mon retour pour mourir. Il m’a obéi.

En revenant à l’abbaye, je suis monté rapidement dans sa chambre. Nous étions la veille de son décès.

Il est parti comme une petite flamme. Il disait que sa valise était prête. Jusqu’à la fin, le Frère Pierre a passé des heures à prier. Il visitait tous les jours le cimetière pour honorer les morts. Il ne disait jamais de mal de personne. Notre Frère est parti avant l’office de sexte, alors que l’infirmier s’était brièvement absenté pour préparer une perfusion. Je suis monté lui donner l’absolution.”

Le Père abbé était heureux et serein. Il avait pu le voir une dernière fois. Il n’imaginait pas être absent de Solesmes en ces moments si particuliers. »

 

La Grande-Chartreuse

« Dom Innocent me dit avec son humour habituel que la vie serait un désastre si nous ne savions pas que la mort viendrait nous chercher un jour. Comment les hommes resteraient-ils indéfiniment dans cette vallée de larmes ?

“Nous sommes nés pour rencontrer Dieu. Les vieux chartreux lui demandent de ne pas tarder. La mort, c’est la fin de l’école. Après, le paradis arrive. Un moine a donné sa vie à Dieu, et il ne l’a jamais rencontré. Il est normal qu’il soit impatient de le voir. Comme dans les poèmes de Thérèse d’Ávila et de Jean de la Croix, les chartreux meurent de ne pas mourir. À notre grand regret, le Saint-Esprit n’est pas pressé de venir nous chercher. Dans notre Ordre, les purifications et les grandes épreuves ne sont pas courantes. Les derniers mois, le Christ s’est déjà emparé de nos vieux moines. Le corps usé retourne à la terre, mais c’est pour attendre la gloire de sa résurrection. Nous ne savons pas encore ce qu’est réellement notre corps, sa beauté, sa gloire et sa lumière. Le plus beau, et de loin, est encore devant.” »

https://www.famillechretienne.fr/livres/foi/temoignages-chretiens/un-temps-pour-mourir-derniers-jours-de-la-vie-des-moines-231416

L'ETERNITE REÇUE, MARTIN STEFFENS (1977....), MORT, RESURRECTION

L’éternité reçue : Martin Steffens

L’éternité reçue

Martin Steffens

Paris, Desclée de Brouwer, 2017. 245 pages

  

« j’ai réglé mes comptes avec la vie, je veux dire : l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme une partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre bout de vie mutilée méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie on se prive d’une vie complète, en l’y accueillant on élargit et enrichit sa vie »  (Etty Hillesum in Une vie bouleversée. Journal –ceci étant écrit le 3 juillet 1942 quelques jours avant son exécution dans les chambres à gaz.

 C’est par cette réflexion surprenante que s’ouvre le livre de Martin Steffens L’éternité reçue. On pourrait penser qu’avec un tel titre l’auteur nous donnerait un manuel pour réussir une belle mort  ou se préparer à mourir. Mais en y pénétrant plus en profondeur on s’aperçoit qu’il s’agit bien plutôt d’un hymne à la vie, une vie reçue qu’il faut vivre hic et nunc, ici et maintenant ; il faudra certes quitter cette vie d’ici-bas mais pour recevoir l’Eternité de la main d’un autre, de la main même de Dieu.

 L’auteur nous dit que nous ne sommes pas faits pour mourir mais pour vivre ! Etrange paradoxe quand on sait qu’il nous faudra un jour la quitter pour la recevoir à nouveau ! Dans les premiers chapitres  met en garde contre ses soi-disant préceptes pour se préparer à ce qui fait notre condition humaine, il met en garde contre ces « sagesses de camomille »  comme il s’insurge contre ce souhait de maitriser la mort par le fait de « vouloir mourir quand on veut et comme on veut » (c’est ce que réclament ceux qui prônent le « droit » à mourir quand on l’a décidé.

Qu’est-ce donc que  vivre ? Vivre, c’est apprendre à ne pas vouloir tout maitriser : il faut apprendre à renoncer à ses désirs même ceux qui sont légitimes, c’est accepter ces « petites morts » dont nous parle l’auteur : à chaque obstacle nous sommes invités à ces renoncements, à nous déprendre de nous-mêmes. Et ce consentement à ces « petites morts » de chaque jour sont des actes d’amour. Mourir à soi-même  c’est tuer en nous ce qui dans notre vie est justement obsédé par la vie.

Ces « petites morts », lues à partir de la pensée de Simone Weil, indiquent un chemin de dépossession et de plénitude. Elles nous introduisent dans le mystère de notre mort et de l’éternité à laquelle nous sommes appelés. Car l’heure viendra où nous serons dessaisis de tout, où il faudra enfin faire le renoncement ultime. Et c’est notre propre vie qui nous sera redonnée en plénitude : nous recevrons encore une fois la vie car la vie nous a été donnée une première fois à la naissance.

Nous étions à la lisière du paradis, et nous ne le savions pas ! Il faudra bien l’éternité pour prendre la mesure de cette étrange nouvelle. L’Eternité reçue : l’éternité c’est le don que Dieu nous fera si nous le voulons bien, si nous ne mangeons pas le « fruit défendu » pour retrouver le Jardin perdu ! Mais il faut lire la très belle méditation qu’en fait Martin Steffens qui parle en philosophe et surtout en croyant.

 Voilà un livre parfois difficile car il ne faut pas oublier que l’auteur est aussi un philosophe.

Mais c’est avant tout un hymne à la vie parce que ce livre est plein d’espérance.

 « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ! » disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au moment de sa mort. Telle aurait pu être aussi la conclusion de cet ouvrage loin d’être triste parce que l’Espérance en est le moteur.

 

 Biographie de l’auteur.

Martin Steffens (né en 1977) est professeur de philosophie en khâgne, conférencier et chroniqueur pour les journaux La Croix et La Vie. C’est également un spécialiste de  Nietzche, Simone Weil et Chestov. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels : Petit traité de la joie. Consentir à la vie (2011 ; Prix Humanisme Chrétien, 2013) ; La Vie en bleu (2014) ; Rien que l’amour (2015 ; Prix des Libraires religieux, 2016) ; Rien de ce qui est inhumain ne m’est étranger. Éloge du combat spirituel (2016).

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MAURICE MAETERLINCK (1862-1946), MORT, POEME, POEMES

Qui nous dit que les morts sont morts ?

maurice-maeterlinck-2-fs (1) « Les morts dont on se souvient vivent aussi heureux que s’ils n’étaient point morts » (Maurice  Maeterlinck)

 

Et qui nous dit que les morts sont morts?
Qu’ils ne nous attendent pas dehors,
À la porte de nos souvenirs,
Avec une gerbe d’Avenir;

Qui nous dit qu’ils ne sont pas tout près,
Ne jouent pas à cache-cache exprès
Pour voir jusqu’à quel point on les cherche,
Si on arrive à saisir leur perche

Pour sortir de nos vaines douleurs,
De nos bains de chagrins et de pleurs,
Discerner à travers le brouillard
De nos soucis, leur brillant regard;

Qui nous dit qu’ils ne sont pas partout,
Que ce n’est pas eux qui prient pour nous,
Qu’après avoir emprunté la Route
Ils ne s’attristent pas de nos doutes;

Qui dit qu’ils ne sont pas les vivants
Et nous les mourants, en attendant
Que ces hiers et demains s’en aillent
Pour céder la place aux retrouvailles.

Maurice Maeterlinck

 

Maurice Maeterlinck

Maurice Polydore Marie Bernard Maeterlinck, dit Maurice Maeterlinck est en août 1862 à Gand en Belgique et mort en mai 1946 à Nice en France. Ecrivain francophone belge il  reçut le Prix Nobel de littérature en 1911. Figure de proue du symbolisme belge , il est célèbre pour ses pièces Pelléas et Mélissandre (1892) et L’Oiseau bleu (1908). Il est aussi connu pour son essai La vie des abeilles (1902) dans le cycle d’essais La vie de la nature  (composée de L’Intelligence des fleurs en 1910, La vie des termites en 1926, La vie de l’espace en 1930. Il a composé de nombreux essais mystiques inspirés de Ruysbroek (Le Trésor des humbles) ainsi que de nombreux poèmes.