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Dimanche 28 mai 2023 : Solennité de la Pentecôte : lectures et commentaires

Dimanche 28 mai 2023 : Solennité de la Pentecôte

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2, 1-11

1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

DU DON DE LA LOI AU SINAI AU DON DE L’ESPRIT A JERUSALEM
Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
A l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage… Crétois et Arabes ».
La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
L’ESPRIT SAINT VIENT COURONNER LE PLAN DE DIEU
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « comme un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puissante. Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait. » (Ex 19,16-19).2
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur  de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.3
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair », dit Dieu (Jl 3,1 ; « tout être de chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre  qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
———————
Notes
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – Le targum (traduction en araméen) de ce passage du livre de l’Exode racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, des lampes de feu traversaient l’espace. Les langues de feu de la Pentecôte les rappellent irrésistiblement.
3 – « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles…vous, vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

TU ENVOIES TON SOUFFLE, ILS SONT CREES
Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres  de Dieu. J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire  trente-six  « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « (Toi, Dieu,) tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher » (verset 19). Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »… Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… » (verset 33).
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre  de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
TU RENOUVELLES SANS CESSE LA FACE DE LA TERRE
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous, ils comptent sur toi… Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ». (versets 27.29).
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être  le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu  se réjouisse en ses œuvres  ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre  de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! »  L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à tout être de chair », comme dit le prophète Joël (3,1) qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.
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Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

DEUXIEME LECTURE – Première lettre de Paul aux Corinthiens 12, 3b-7. 12-13

Frères,
3 personne n’est capable de dire :
« Jésus est Seigneur »
sinon dans l’Esprit Saint.
4 Les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit.
5 Les services sont variés,
mais c’est le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c’est le même Dieu
qui agit en tout et en tous.
7 À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
en vue du bien.

12 Prenons une comparaison :
le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 C’est dans un unique Esprit, en effet,
que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

L’EGLISE EST UN CORPS DONT LE CHRIST EST LA TETE
Paul nous donne ici une définition de l’Eglise : c’est le lieu où « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien. » Voilà pourquoi nous sommes faits : manifester l’Esprit Saint, et non pas pour notre propre fierté, mais en vue du bien de tous. Et c’est un don gratuit qui est fait à chacun d’entre nous.
Comme tous les membres d’un même corps sont au service de ce corps, sans que personne ne se demande lequel est le plus utile, de la main ou du pied, de l’oreille ou de l’œil , de même nous sommes tous indispensables à ce grand corps du Christ qui est en train de se former. Pour l’instant, l’œuvre  définitive ressemble plutôt à une immense mosaïque dont les pièces sont encore éparpillées, mais c’est justement l’Esprit qui fait l’unité et la cohésion de l’ensemble, et qui relie entre elles les multiples pièces répandues à la surface du globe.
Si, partout dans le monde, des communautés vivent à la manière dont parle Saint Paul, alors cela fera tache d’huile et la mosaïque s’assemblera peu à peu. Car la vie des communautés chrétiennes à la manière de Saint Paul est pour le moins révolutionnaire : d’un trait de plume, il barre toute considération de hiérarchie ou de supériorité !!! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte : notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité… Tout racisme est désormais impossible.
Paul avait certainement de bonnes raisons de le rappeler à ses Chrétiens d’origines si diverses : « Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres »… dit-il. Juifs ou païens, ce sont tous les problèmes de diversités de sensibilités religieuses, sans parler de la difficulté des croyants de longue date à accepter les nouveaux venus. Mettre Juifs et païens sur le même plan au niveau religieux, quand on sait le poids que pouvait revêtir l’élection d’Israël aux yeux de Paul, c’était quand même bien audacieux ! Esclaves ou hommes libres, ce sont les diversités sociales, peut-être même raciales, certainement des clivages politiques et inévitablement pour certains des sentiments de supériorité.
Bien sûr, les problèmes de la communauté de Corinthe n’étaient pas tout à fait les nôtres… Mais sommes-nous tellement loin de cela ? Si elles ne portent plus les mêmes noms, nos diversités de toute sorte sont bien à l’origine de nombreuses difficultés dans nos communautés. Pour certains d’entre nous, s’ajoute peut-être la difficulté de vivre sereinement et de trouver chacun notre juste place dans la structure qui s’est instaurée en vingt siècles de vie d’Eglise.
Et le premier message de Paul, aujourd’hui, c’est que l’Eglise du Christ a précisément pour vocation d’être ce lieu où l’on apprend à ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur… Le lieu où une nomination n’est pas un avancement ou une rétrogradation… Le lieu où une ordination ne confère pas une supériorité… Car les vues de Dieu sont tout autres : « Vous le savez, disait Jésus à ses apôtres, les chefs des nations les commandent en maîtres et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi. » (Mt 20,25-26).
L’ART DE LA MOSAIQUE
Si on devait dessiner l’Eglise, ce ne serait pas une pyramide, mais une foule serrée autour de Quelqu’un. (Et au mot « Quelqu’un », j’ai mis une majuscule bien sûr). Saint Paul aussi dessine, mais lui il dessine tout simplement un corps humain : tous les baptisés, petits ou grands, nous en sommes les membres. Et ceux, parmi nous, qui sont ordonnés, ont justement ce rôle d’être le signe visible de la présence invisible du Christ dans son corps. Cela ne leur confère pas une supériorité, mais une mission.
Nous ne sommes pas tous pareils pour autant : l’âge et le curriculum vitae ont quand même leur importance… mais pas celle qu’on croit. Et voilà le deuxième message de Paul : nos diversités sont des cadeaux ; ce n’est pas un hasard si il emploie plusieurs fois le mot « don » : « Les dons de la grâce sont variés »… « A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. » Cela aussi, c’est un peu le monde à l’envers, parce que, bien souvent, ce sont nos diversités qui nous font souffrir ; on en sait quelque chose en liturgie ; Paul, au contraire, nous invite à nous en réjouir : nos diversités sont des richesses ! Et, paradoxalement, ce sont elles qui bâtiront notre unité. C’est l’un des grands messages de la Pentecôte, nous l’avons vu, en particulier, avec le récit des Actes des Apôtres où toutes les langues diverses s’unissent pour chanter le même chant, les merveilles de Dieu. L’Eglise est aussi ce lieu où l’on peut surmonter les différences de sensibilité et apprendre à vivre la réconciliation. Car l’Esprit qui nous est donné à la Pentecôte est l’Esprit d’amour, donc de pardon et de réconciliation. C’est même justement notre capacité de réconciliation et de respect mutuel qui est la marque de l’Esprit. Voilà le témoignage que le monde attend de nous. « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » disait Jésus le dernier soir (Jn 13,35).
Décidément, si nous avions à imaginer un dessin représentant l’Eglise, on pourrait dessiner une mosaïque : chaque pièce compte et il ne faut surtout pas des pièces trop grandes ! Plus les pièces (ce qu’on appelle les tesselles) sont petites, variées, colorées, plus la mosaïque sera belle et nuancée !
L’unité dans la diversité, c’est un beau pari : mais nous ne pouvons le gagner que parce que l’Esprit nous est donné : l’Esprit d’Amour, l’Amour qui unit le Père et le Fils. C’était déjà la leçon de Babel : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité.

EVANGILE – selon Saint Jean 20,19-23

C’était après la mort de Jésus :
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

DE MEME QUE LE PERE M’A ENVOYE, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE
Pour transmettre l’Esprit Saint à ses disciples, Jésus souffle sur eux ; cela nous fait penser à la phrase célèbre du livre de la Genèse, au chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme le souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Et le psaume 103/104 (que nous entendons également pour cette fête de Pentecôte), commente le texte de la Création en chantant : « Tu envoies ton souffle : ils sont créés. » Or, nous sommes au soir de Pâques et Jésus reprend ce geste du Créateur. On comprend pourquoi Saint Jean note : « C’était le soir du premier jour de la semaine », manière de dire c’est le premier jour de la nouvelle création ; dans le Judaïsme, on évoquait souvent la première création que Dieu avait accomplie en sept jours, comme le dit le fameux poème du chapitre 1 de la Genèse et on attendait le huitième jour, celui du Messie. A sa manière, imagée, Jean nous dit : ce fameux huitième jour est arrivé, c’est à une véritable re-création de l’homme que vous assistez.
Deuxième remarque à propos du souffle, il me semble que l’ordre choisi par Jean pour nous raconter la Pentecôte est une leçon : je reprends les trois phrases dans l’ordre : 1) « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » …2) « Il souffla et il leur dit ‘Recevez l’Esprit Saint’ » … 3) « A qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ». La première et la troisième phrase disent une  mission, elles encadrent la phrase qui dit le don de l’Esprit. Ce qui veut bien dire que l’Esprit est donné POUR la mission. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que cette mission.
Et cette mission consiste à « remettre les péchés » ; c’était déjà celle de Jésus ; et il dit bien d’ailleurs : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Jésus, l’envoyé du Père, c’est un grand thème de Jean… A notre tour, Jésus nous envoie et Jean emploie bien le même mot ; Jésus est l’envoyé du Père et nous sommes les envoyés de Jésus, nous avons la même mission que Jésus, il nous la confie. C’est dire notre responsabilité, la confiance qui nous est faite ; or cela concerne tous les baptisés puisque l’Eglise a toujours jugé bon de confirmer tous les baptisés.
Et cette mission de Jésus, pour s’en tenir au seul évangile de Jean, c’était d’ôter le péché du monde, j’ai envie de dire « extirper » le péché du monde ; et cela en étant l’agneau de Dieu. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » avait dit Jean-Baptiste (Jn 1,29). L’agneau, c’est celui qui reste doux et humble de cœur  face à ses bourreaux (c’est celui dont parle Isaïe 52-53) ; c’est aussi l’agneau pascal, celui qui signe de sa vie la libération du peuple de Dieu. Et au-delà de la libération d’Egypte, la phrase de Jean-Baptiste vise la libération du péché, c’est-à-dire de la haine et de la violence.
Jésus lui-même parle souvent de sa mission : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »… « Dieu a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». (Jn 3,16-17).
DIEU SOUFFLE EN NOUS LES PAROLES ET LES GESTES DU PARDON
Il me semble que toutes ces affirmations de Jésus sur sa mission éclairent la phrase difficile du texte d’aujourd’hui : « A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus ». La première partie de cette phrase nous convient tout à fait, bien sûr, mais la deuxième nous déroute. Pour commencer, je la redis un peu différemment, sans la déformer, j’espère : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous ne remettrez pas ses péchés, ils ne lui seront pas remis ».
Impossible de penser que notre Père du ciel pourrait ne pas nous pardonner. Déjà l’Ancien Testament avait parfaitement mis en lumière que le pardon de Dieu précède même notre repentir ; car en Dieu le pardon n’est pas un acte ponctuel, c’est son être même. Dieu n’est que don et pardon. La caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes.
Le pouvoir donné aux disciples du Christ, et plus que le pouvoir, la mission, confiée aux disciples du Christ, c’est donc de dire cette parole du pardon de Dieu ; c’est aussi, du coup, la terrible responsabilité que nous donne la deuxième partie de la phrase : ne pas dire la parole du pardon de Dieu, laisser le monde ignorer ce pardon, c’est laisser le monde à son désespoir. Nous détenons le pouvoir de ne pas dire le pardon de Dieu et de laisser le monde l’ignorer.
A entendre cela, on a envie de se mettre au travail tout de suite !
Et le pardon de Dieu peut être annoncé de deux manières : par nos paroles et par nos gestes ; ce qui nous est demandé, c’est d’être nous-mêmes pardon. Nous sommes désormais pour le monde les témoins du pardon de Dieu.
Et c’est cela la nouvelle Création : l’Esprit de don et de pardon nous est donné. A la Pentecôte, le pouvoir de pardonner nous est insufflé ; Dieu souffle en nous les paroles du pardon. Au théâtre, il y a un souffleur pour les trous de mémoire de l’acteur… Désormais il y a en nous quelqu’un qui souffle les paroles et les gestes du pardon. L’Esprit fait de nous des agneaux de Dieu à notre tour, il nous donne ainsi le pouvoir de vaincre la spirale de la haine et de la violence. Jésus l’avait déjà dit à ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Comme son Père l’a envoyé pour être l’agneau de Dieu, Jésus nous envoie à notre tour pour être des agneaux dans le monde. Pour répondre à la violence et à la haine par la non-violence et le pardon.
Jusqu’au jour où se lèvera enfin ce fameux « huitième jour » que l’Ancien Testament déjà annonçait, celui où l’humanité tout entière vivra enfin l’amour et le pardon…

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 26

Dimanche 23 mai 2023 : 7ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 23 mai 2023 : 7ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1, 12 – 14

Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel,
12 retournèrent à Jérusalem
depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche,
– la distance de marche ne dépasse pas
ce qui est permis le jour du sabbat.
13 À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute
où ils se tenaient habituellement ;
c’était Pierre, Jean, Jacques et André,
Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu,
Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
14 Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière,
avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus,
et avec ses frères.

Jésus vient tout juste de quitter ses disciples : la première phrase de notre texte d’aujourd’hui résume en quelques mots ce qui fut certainement une étape cruciale de la vie des premiers Chrétiens. Nous l’appelons l’Ascension et nous en avons fait une fête ; mais, à l’origine, n’est-ce pas plutôt un jour de deuil, un jour de grand départ ?
Après l’horreur de la Passion et de la mort de Jésus, après l’éblouissement de la Résurrection, les voilà orphelins, cette fois, et pour toujours. Mais, du coup, les voici plus proches de nous et leur attitude pourrait guider la nôtre. Nous allons donc nous intéresser de très près à leurs faits et gestes.
Jésus leur avait laissé des consignes : ne pas quitter Jérusalem, et attendre là le don de l’Esprit-Saint. Voici le récit qu’en donne le livre des actes des Apôtres : « Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche : Jean (Baptiste) a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. » (Ac 1, 4-5).
Et, le jour même de son départ, sur le Mont des Oliviers, il a répété : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Je retiens, au passage, cette expression « la puissance de l’Esprit », elle devrait nous rassurer en toutes circonstances. Et Luc raconte ce qui s’est passé ensuite : « A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards. »
Evidemment, ils ont respecté la consigne de leur Maître. Nous ne nous étonnons donc pas de les retrouver aussitôt après à Jérusalem ; Luc note que le mont des Oliviers est tout proche de Jérusalem : la distance n’excède pas ce qu’on appelle un « chemin de shabbat », c’est-à-dire la distance maximum que l’on peut parcourir sans violer la prescription de repos du shabbat ; c’était un peu moins d’un kilomètre ; pour être plus précis, le « chemin de shabbat » était de deux mille coudées ; et une coudée, comme son nom l’indique, c’est la longueur de l’avant-bras, soit à peu près cinquante centimètres.
Mais pourquoi Luc donne-t-il cette précision ? Faut-il en déduire que c’était un jour de sabbat ? Ou bien, en insistant sur la proximité du Mont des Oliviers, Luc veut-il suggérer que tout se passe à Jérusalem ? C’est là que s’accomplit le dessein de Dieu : là le Fils a été glorifié, là a été renouée l’Alliance entre Dieu et l’humanité, là sera donné l’Esprit.
C’est dans la ville sainte, donc, que commence la vie de l’Eglise naissante ; et Luc énumère ceux qui composent le groupe : les Onze, quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et quelques frères, c’est-à-dire des disciples probablement. Là encore, les précisions ne sont certainement pas là pour l’anecdote ; nous connaissions déjà les noms des apôtres par l’évangile de Luc ; s’il nous en redonne la liste, ce n’est donc pas pour nous instruire ! Luc veut marquer la continuité dans la communauté des apôtres : ce sont les mêmes qui ont accompagné Jésus tout au long de sa vie terrestre, qui maintenant s’engagent dans la mission. Et ils ne pourront être les témoins de la Résurrection que parce qu’ils ont été témoins de la vie, de la Passion et de la mort de Jésus.
Nous retrouvons donc là le groupe que Jésus avait choisi avec ses diversités étonnantes : Pierre, Jacques, Jean et André étaient pêcheurs au bord du lac de Tibériade ; Simon était zélote : à l’époque de la vie terrestre de Jésus, cela ne représentait pas encore un engagement politique, mais c’était quand même déjà un signe de fanatisme religieux ; on se demande comment il pouvait voisiner avec Matthieu le publicain : c’est-à-dire percepteur à la solde de l’occupant, et, pour cette raison interdit de culte ! Non seulement, Jésus a réussi à les faire cohabiter autour de lui, mais, désormais, ils vont porter ensemble la responsabilité de continuer la mission de leur Maître.1
C’est sur cette communauté d’hommes tels qu’ils sont que repose désormais l’annonce de la Bonne Nouvelle. Je note deux choses :
Premièrement, leur groupe n’est pas refermé sur lui-même, il est déjà ouvert à d’autres, hommes et femmes. Deuxièmement, ils commencent cette vie de l’Eglise dans la prière, « d’un seul coeur et fidèlement », nous dit Luc. Et voilà peut-être bien le premier miracle des apôtres ! Cette prière d’un seul cœur  au moment où leur Maître les quitte, où ils se retrouvent apparemment livrés à eux-mêmes et à leurs diversités qui auraient bien pu devenir des divergences.
Mais ils ne sont livrés à eux-mêmes qu’apparemment ! Jésus est désormais invisible, il n’est pas pour autant absent. Matthieu, dans son évangile, a retenu l’une des dernières phrases de Jésus : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
Les apôtres ne prient donc pas pour obtenir que Jésus se fasse proche : sa présence leur est acquise ; ils prient pour se replonger dans sa présence. Ce récit des Actes devient alors pour nous une formidable leçon d’espoir : Jésus est avec nous tous les jours, sa présence nous est acquise, à nous aussi, et la puissance de l’Esprit Saint nous accompagne. Voilà de quoi nous donner toutes les audaces !
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Note
1 – La tradition Chrétienne a assimilé Barthélémy avec Nathanaël (cité par saint Jean) qui était un spécialiste de la Loi. Si c’était le cas, c’était encore une diversité supplémentaire à l’intérieur du groupe des Douze.

PSAUME – 26 ( 27 ), 1, 4, 7-8

1 Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

4 J’ai demandé une chose au SEIGNEUR,
la seule que je cherche :
habiter la maison du SEIGNEUR
tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.

7 Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon cœur  m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face ».

Ce psaume est fait tout particulièrement pour ceux qui traversent des temps difficiles ! On sait bien que les croyants ne sont pas plus épargnés que les autres par les épreuves de la vie : la foi n’est pas une baguette magique. Parfois même, les croyants souffrent à cause de leur foi ; c’est le cas dans toutes les guerres de religion ou les persécutions. Cela peut venir aussi de l’hostilité des athées et des difficultés à défendre les valeurs Chrétiennes dans un monde qui ne les partage pas. Nous en aurons l’exemple dans la lettre de saint Pierre qui est notre deuxième lecture de ce dimanche.
Mais, dans les épreuves, les croyants ont une attitude particulière, car ils savent qu’ils ne sont pas seuls, abandonnés à leur triste sort, comme on dit. Ils savent qu’ils ont un interlocuteur : « C’est vers Dieu que pleurent mes yeux », disait Job (Jb 16, 20). Et ils vont chercher la force là où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu. « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? »
Nous ne saurons pas à quelles épreuves précises fait allusion ce psaume ; entre parenthèses, il est beaucoup plus long que les quelques versets que nous avons lus ici, mais cela ne nous donne aucune indication historique. Nous sentons ici ou là une allusion à des attaques extérieures : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? » Depuis la grande aventure de l’Exode, le peuple d’Israël a été à plusieurs reprises menacé dans sa vie même ; le premier verset « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut » est probablement aussi une allusion à l’Exode, sous la conduite de Moïse : car, dans le désert du Sinaï, la colonne de nuée éclairait sa route et disait la présence de Dieu : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut… »
Le salut, à cette époque-là, c’était d’échapper au Pharaon ; à chaque époque de nos histoires collectives et individuelles, le salut prend des formes diverses ; et Israël en a connu de toutes sortes que l’ensemble du psaume évoque par allusions ; par exemple, dire « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie », c’est faire remonter à la mémoire la longue période de guerres ; et on sait bien que le meilleur rempart ce ne sont pas des fortifications, avec des créneaux et des mâchicoulis, c’est la force que Dieu nous donne. « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas », disait Isaïe au roi Achaz (Is 7, 9). La foi est la seule force qui nous permette de tout affronter ; « De qui aurais-je crainte ? » : cela veut bien dire que Dieu nous garde de toute peur. Et que nous n’avons pas peur de lui non plus.
Dans toutes les épreuves et les souffrances, le croyant sait qu’il peut crier vers Dieu : c’est même recommandé, si j’en crois la Bible ! Il ne faut pas écouter la phrase d’Alfred de Vigny qui a bercé l’enfance de certains d’entre nous : je vous la rappelle, mais c’est pour l’oublier aussi vite : « Gémir, pleurer, prier est également lâche ; accomplis chaque jour ta longue et lourde tâche, puis après, comme et moi, souffre et meurs sans parler. » C’est dans « La mort du loup ». La phrase est belle, mais elle n’est pas biblique ! Ce que la Bible nous apprend, et en particulier dans le livre de Job (si on lit soigneusement la partie centrale du livre), c’est que « Non, gémir, pleurer, prier, ce n’est pas lâche ! » C’est humain tout simplement. Mais c’est vers Dieu qu’il faut gémir, pleurer, prier.
« Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle », dit notre psaume : il y a une chose dont le peuple élu est sûr, c’est que Dieu entend nos cris d’appel ! Cela a été la grande révélation du Buisson ardent : « Le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi » a dit Dieu à Moïse (Exode 3) ; depuis ce jour et pour toujours, Israël sait que Dieu entend le cri des malheureux. Et même s’il est silencieux, nous savons qu’il n’est pas sourd.
En dehors des épreuves extérieures, ce psaume évoque peut-être également l’épreuve spirituelle du peuple qui peine à garder la foi : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche : c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie » : comme le lévite, admis dans l’intimité du temple de Jérusalem, Israël demande la grâce de demeurer dans l’intimité de Dieu.
« Pitié, réponds-moi », c’est un cri de mendiant ; c’est aussi, peut-être, une demande de pardon ; car l’expression qui suit, « Cherchez ma face », est un appel à la conversion ; il faut se détourner des idoles et se tourner vers Dieu. Dès son installation dans la Terre Promise, le peuple a été affronté à un nouveau danger : celui de l’infidélité, c’est-à-dire l’idolâtrie ; alors, là encore, il faut tenir ferme, se rappeler les mises en garde de Moïse. « Mon coeur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ».
Mais là, il ne faut pas se tromper, il y a un contresens à ne pas faire ; quand Dieu dit « Cherchez ma face », ce n’est pas qu’il ait soif de nos hommages. Ce conseil nous est donné pour notre bonheur : nous sommes parfois tentés de penser que Dieu pourrait nous demander quelque chose dans son intérêt à lui. Mais Dieu nous aime. Tous les commandements qu’Il nous donne sont pour notre bonheur. Saint Augustin disait : « Tout ce que l’homme fait pour Dieu profite à l’homme et non à Dieu. »
Pour Dieu, le centre du monde, c’est l’humanité ; il n’a pas d’autre but que notre bonheur ; et nous, nous ne trouvons notre bonheur que quand nous mettons Dieu au centre de notre vie. Saint Augustin disait encore « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».
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Compléments

1 – Il est intéressant de faire le rapprochement entre ce psaume 26/27 et le cantique de Zacharie (le père de Jean-Baptiste ; Lc 1, 67-79) que beaucoup d’entre nous disent chaque matin dans la Liturgie des Heures :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
qui visite et rachète son peuple.
Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David,
son serviteur,
Comme il l’avait dit par la bouche des saints,
par ses prophètes,
depuis les temps anciens ;
Salut qui nous arrache à l’ennemi,
à la main de tous nos oppresseurs,
Amour qu’il montre envers nos pères,
mémoire de son alliance sainte,
Serment juré à notre père Abraham, de nous rendre sans crainte,
Afin que, délivrés de la main de nos ennemis,
nous le servions dans la justice et la sainteté,
En sa présence tout au long de nos jours ».

2 – Il suffit d’entendre la première phrase « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut », pour savoir que ce psaume est écrit dans une période difficile ; c’est la nuit qu’on a besoin de croire à la lumière.
Ce qui peut surprendre, c’est que quand le soleil disparaît, quelquefois pour des jours et des jours, derrière la pluie et les nuages, nous ne doutons jamais un seul instant qu’il continue d’exister… nous sommes absolument certains que les beaux jours reviendront, que nous sentirons de nouveau sa chaleur et son rayonnement… C’est même en plein hiver, sous la pluie, que les magasins proposent les vêtements d’été ; tout le monde sait que le soleil est toujours là, même s’il est provisoirement caché !
Mais quand la présence de Dieu est moins évidente, il nous est plus difficile de croire qu’Il ne cesse pas pour autant d’ être présent et agissant. C’est à ces moments-là que nous avons bien besoin de notre foi ; ce psaume est très certainement fait pour entretenir la foi dans un moment difficile. Affirmer « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte », c’est avouer que la crainte me guette et qu’il faut s’accrocher à la certitude.

3 – On ne s’étonne pas que ce psaume soit proposé par le Rituel des Funérailles ; et d’ailleurs, le refrain que nous chantons le plus habituellement pour ce psaume, c’est « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur, Alleluia » : c’est-à-dire le premier verset auquel on a ajouté « Alleluia » ; on ne pouvait pas mieux faire ; car le sens du mot « Alleluia », c’est justement « Le Seigneur est mon salut, il m’a relevé ». Le sens littéral, c’est « Louez Dieu », mais cela veut dire « Louez Dieu qui vous sauve. » Voici le sens de l’Alleluia dans la tradition juive : « Dieu nous a amenés de la servitude à la rédemption, de la tristesse à la joie, des ténèbres à la brillante lumière, du deuil au jour de fête, de la servitude à la liberté, c’est pourquoi chantons devant lui l’Alleluia ».

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 4, 13-16

Bien-aimés,
13 dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ,
réjouissez-vous,
afin d’être dans la joie et l’allégresse
quand sa gloire se révélera.
14 Si l’on vous insulte pour le nom du Christ,
heureux êtes-vous,
parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu,
repose sur vous.
15 Que personne d’entre vous, en effet,
n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur,
ou comme agitateur.
16 Mais si c’est comme chrétien,
qu’il n’ait pas de honte,
et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

Si Pierre emploie le mot « Chrétien », c’est parce qu’il écrit cette lettre longtemps déjà après la Résurrection du Christ.
Au tout début de l’Eglise, nous le savons par les Actes des Apôtres, les premiers disciples du Christ ne portaient pas encore ce nom ; ils étaient appelés « Nazôréens », à cause de Nazareth, bien sûr ; à vrai dire, de la part des Juifs qui refusaient de reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie attendu par Israël, ce titre de Nazôréens était plutôt péjoratif. Un peu plus tard, au moment où Barnabé et Saül de Tarse (le futur saint Paul) accomplissaient leur mission à Antioche de Syrie, ce sont probablement des païens non convertis à l’Eglise chrétienne qui donnèrent aux disciples de Jésus le nom de Chrétiens, qui veut dire « du Christ, appartenant au Christ » (Ac 11, 26).
Ce nouveau titre de Chrétien n’était pas non plus honorifique ! Les païens non convertis voyaient d’un mauvais œil  le changement de vie radical qui s’opérait dans la communauté des baptisés. Voici ce que nous pouvons lire un peu plus tôt dans la lettre de Pierre : « Les païens trouvent étrange que vous ne couriez plus avec eux vers la même débauche effrénée et ils vous outragent. » (1 P 4, 4) ; « Ils vous calomnient comme malfaiteurs. » (1 P 2, 12).
Nous comprenons mieux, du coup, de quelles souffrances Pierre parle ici : « Si l’on fait souffrir l’un de vous… si c’est comme Chrétien, qu’il n’ait pas de honte »… « vous communiez aux souffrances du Christ ». Il entend par là la souffrance de l’incompréhension, de l’isolement, de la calomnie dont Jésus a été victime parce qu’il se démarquait de la classe dominante. Parce qu’il continuait à annoncer son message sans se laisser arrêter par quiconque… C’est cette fidélité qui lui a coûté la vie… A leur tour, les premiers Chrétiens sont affrontés à la même hostilité ; alors il s’emploie à leur donner le courage de tenir bon en attendant des jours meilleurs, le jour où la gloire du Christ se révélera, comme il dit ; c’est-à-dire le jour où la vérité éclatera, le jour où Jésus viendra inaugurer son règne parmi les hommes.
Pierre va même plus loin : non seulement, il ne faut pas avoir honte, mais au contraire, le titre de Chrétiens est à ses yeux, la plus haute dignité : « Réjouissez-vous », leur dit-il et rendez gloire à Dieu, à cause de ce nom de Chrétien. Il est vrai que si le mot « Chrétien » signifie « appartenant au Christ », alors, oui, c’est bien notre plus beau titre de fierté ! Bien au-delà de la fierté que nous tirons de notre naissance, de nos titres, de notre culture, de nos diplômes, de notre palmarès sportif, de notre beauté, de notre argent, de nos décorations…
Cette formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » ressemble de très près à l’une des béatitudes annoncées par Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 11). Jésus, en disant cela, faisait son propre portrait. Désormais, Pierre applique ce portrait à ceux qui, à leur tour, portent le nom du Christ. Il emploie même le mot « communier » : « vous communiez aux souffrances du Christ » : ce qui veut dire : « réjouissez-vous, vous êtes intimement unis au Christ dans ces souffrances que vous subissez pour rester fidèles à son nom et à sa mission. Et parce que vous êtes unis à ses souffrances, vous serez également unis à sa gloire, le jour où la vérité éclatera. »
Il faut certainement rester très fermes sur un point : la souffrance n’est pas un but en soi ; le but, c’est le jour où sa gloire se révélera. Si la souffrance était un but en soi, Jésus n’aurait pas consacré sa vie publique à soulager, guérir, pardonner, relever, redonner courage, accueillir les exclus de toute sorte, et même ressusciter Lazare ou le fils d’une veuve… Si la souffrance était un but en soi, les prophètes n’auraient pas non plus annoncé maintes et maintes fois le jour de Dieu comme celui de toutes les guérisons et de toutes les libérations. Le but, ce n’est pas la souffrance, c’est d’être uni au Christ et à Dieu dans l’Esprit d’amour, quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses de notre vie.
Et Pierre indique un chemin pour aborder la circonstance très particulière qu’est la persécution pour le nom du Christ : ce chemin, c’est sa formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » qui sonne comme une Béatitude.
Une Béatitude, c’est à la fois une félicitation, une annonce et un encouragement ;
La félicitation, c’est quelque chose comme : « Bravo… si on vous traite ainsi, c’est que vous ressemblez au Christ. Et donc, que vous êtes dignes de porter le nom de Chrétiens ».
L’annonce, c’est : « Un jour viendra où le Christ sera reconnu par tous, et vous avec. Ce jour-là, on reconnaîtra que vous ne vous êtes pas trompés », et que le Christ non plus ne vous a pas trompés.
L’encouragement, c’est la suite logique de ce qui précède ; c’est : « Courage, tenez bon, vous avez choisi la bonne voie » ; et, d’ailleurs, on sait qu’André Chouraqui traduisait « Bienheureux » par « En marche ».
Pierre parle ici en connaissance de cause : s’il a commencé par renier son maître, c’est parce qu’il craignait d’être associé à ses souffrances ; mais après la Pentecôte, plus rien n’a pu l’arrêter dans sa tâche de prédicateur ; aux autorités qui lui interdisaient de parler de Jésus, il répondait simplement : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Actes 4, 20). Et quand les menaces se sont concrétisées, le livre des Actes raconte qu’après avoir été battus de verges, « les apôtres quittèrent le Sanhédrin, tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom » (Actes 5,41).
Mais cela, Pierre n’a pu le faire qu’après la Pentecôte : il faut être rempli de l’Esprit de Jésus pour avoir le courage d’affronter la persécution en son nom et pour connaître cette joie mystérieuse d’être en communion avec lui, jusque dans la souffrance, cette joie que nul ne pourra nous ravir !
Pas étonnant que l’Eglise nous fasse entendre ce texte de Pierre en ce temps de redécouverte du rôle de l’Esprit Saint dans la vie de nos communautés.

EVANGILE – selon Saint Jean 17, 1b-11a

En ce temps-là,
1 Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, l’heure est venue.
Glorifie ton Fils
afin que le Fils te glorifie.
2 Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle
à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or, la vie éternelle,
c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé,
Jésus Christ.
4 Moi, je t’ai glorifié sur la terre
en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire.
5 Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père,
de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
6 J’ai manifesté ton nom
aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés,
et ils ont gardé ta parole.
7 Maintenant, ils ont reconnu
que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues,
ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Moi, je prie pour eux ;
ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés,
car ils sont à toi.
10 Tout ce qui est à moi est à toi,
et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »

Je reprends les derniers mots de Jésus : « Je viens vers toi ». Tant que nous sommes sur cette terre, nous ne pouvons pas être témoins du grand dialogue d’amour de Jésus avec son Père. Mais avec ce récit de saint Jean, nous entrons dans la prière de Jésus au moment même où il va rejoindre son Père : « Je viens vers toi. ». Car c’est l’Heure du grand passage : « Père, l’heure est venue », dit Jésus. Cette heure dont il a parlé à plusieurs reprises, au cours de sa vie terrestre. Cette Heure qu’il semblait désirer et redouter à la fois.
C’est l’heure, décisive, centrale de toute l’histoire humaine, l’heure que toute la création attend comme celle d’une naissance : parce qu’elle est l’heure de l’accomplissement du dessein de Dieu. Désormais, à partir de cette heure, plus rien, jamais, ne sera comme avant. En cette heure décisive, le mystère du Père va enfin être révélé au monde : c’est pourquoi Jésus emploie avec insistance les mots « gloire » et « glorifier ». La gloire d’une personne, au sens biblique, ce n’est pas sa célébrité ou sa reconnaissance par les autres, c’est sa valeur réelle. La gloire de Dieu, c’est donc Dieu lui-même, qui se manifeste aux hommes dans tout l’éclat de sa sainteté. On peut remplacer le verbe « glorifier » par « manifester ».
En cette heure décisive, Dieu va être glorifié, manifesté en son Fils, et les croyants vont « connaître » enfin le Père, entrer dans son intimité. Cette intimité qui unit le Fils au Père, le Fils la communique aux hommes ; désormais ceux qui accueilleront cette révélation, ceux qui croiront en Jésus, accèderont à cette connaissance, cette intimité du Père. Alors ils entreront dans la vraie vie : « La vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Voilà, de la bouche de Jésus lui-même, une définition de la vie éternelle : Jésus parle au présent et il décrit la vie éternelle comme un état, l’état de ceux qui connaissent Dieu et le Christ. Nous vivons déjà de cette vie depuis notre Baptême.
Parlant de ses disciples, Jésus dit : « ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. » En cette heure-là, une partie (une partie seulement) de l’humanité a accueilli cette révélation et est entrée dans cette communion d’amour proposée par le Père et a accepté de prendre le chemin ouvert par le Fils. Curieusement, c’est seulement pour ces quelques-uns que Jésus prie : « Je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés… » Car Dieu attend la collaboration des hommes pour son œuvre  de salut, et c’est le mystère des choix de Dieu qui se répète : comme le Père avait choisi Abraham pour lui révéler son grand projet, il a choisi certains membres de la lignée d’Abraham pour parachever la révélation de son mystère : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi… » Pour ce petit peuple choisi, l’heure est venue de poursuivre l’oeuvre de révélation : « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. » Jésus nous passe le flambeau en quelque sorte : il nous a tout donné, à nous de donner aux autres maintenant.
Il faut laisser résonner en nous l’insistance de Jésus sur le mot « donner » : Le Père a donné autorité au Fils… le Fils donnera la vie éternelle aux hommes… le Père a donné les hommes au Fils… Le Père a donné ses paroles au Fils… et le Fils a donné ces paroles à ses frères… L’insistance de Jésus sur le mot « donner » rejoint toute la méditation biblique : notre relation avec Dieu ne se déroule pas sur le registre du calcul. Il nous suffit de nous laisser aimer et combler de sa grâce en permanence. Le mot « grâce » signifie un don gratuit. Cette logique du don, de la gratuité, c’est celle du Fils, celui qui vit éternellement dans un dialogue d’amour sans ombre avec son Père ; dans le prologue de son évangile, Jean dit que le Fils est éternellement « tourné vers le Père ». Et parce qu’il n’y a pas d’ombre entre eux, il reflète la gloire du Père « Qui l’a vu a vu le Père ». Entre eux tout est amour, dialogue, partage : « Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi ».
Le fameux texte du Prologue de l’évangile de Jean s’éclaire très nettement à la lecture de la prière de Jésus, il en est comme la transposition : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise… A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu… Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père… De sa plénitude, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce. » (Jn 1, 1.. 16).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, ASCENSION DE JESUS, ASCENSION DE NOTRE SEIGNEUR, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX EPHESIENS, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 46

Jeudi 18 mai 2023 : Fête de l’Ascension : lectures et commentaires

Jeudi 18 mai 2023 : Fête de l’Ascension

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

Pour la fête de l’Ascension, la première lecture et le psaume sont communs aux trois années A, B et C. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1,1-11

Cher Théophile,
dans mon premier livre
j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné
depuis le moment où il commença,
jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel,
après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions
aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ;
il leur en a donné bien des preuves,
puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu
et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux,
il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem,
mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père.
Il déclara :
« Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche :
alors que Jean a baptisé avec l’eau,
vous, c’est dans l’Esprit Saint
que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »
Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient :
« Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
Jésus leur répondit :
« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments
que le Père a fixés de sa propre autorité.
Mais vous allez recevoir une force
quand le Saint-Esprit viendra sur vous ;
vous serez alors mes témoins
à Jérusalem,
dans toute la Judée et la Samarie,
et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient,
il s’éleva,
et une nuée vint le soustraire à leurs yeux.
Et comme ils fixaient encore le ciel
où Jésus s’en allait,
voici que, devant eux,
se tenaient deux hommes en vêtements blancs,
qui leur dirent :
« Galiléens,
pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous,
viendra de la même manière
que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

DE JERUSALEM JUSQU’AUX EXTREMITES DE LA TERRE
Nous sommes au tout début des Actes des Apôtres : les premiers versets font bien le lien avec l’évangile de Luc, lui aussi adressé à un certain Théophile ; car il ne fait de doute pour personne que les Actes des Apôtres et l’évangile de Luc sont du même auteur ; l’un commence où l’autre finit, c’est-à-dire par le récit de l’Ascension de Jésus, même si ces deux récits ne concordent pas exactement. Le premier livre, l’évangile, rapporte la mission et la prédication de Jésus, le second se consacre à la mission et à la prédication des Apôtres, d’où son nom « d’Actes des Apôtres ».
On peut pousser le parallèle un peu plus loin : l’évangile commence et finit à Jérusalem, le centre du monde juif et de la Première Alliance ; les Actes commencent à Jérusalem, car la Nouvelle Alliance prend  bien la suite de la Première, mais ils se terminent à Rome, carrefour de toutes les routes du monde connu à l’époque : la Nouvelle Alliance déborde désormais les frontières d’Israël. Pour Luc, il est clair que cette expansion est le fruit de l’Esprit-Saint ; il est l’Esprit même de Jésus, et il sera l’inspirateur des Apôtres, à partir de la Pentecôte, à tel point qu’on appelle souvent les Actes « l’évangile de l’Esprit ».
Et comme Jésus s’était préparé à sa mission par les quarante jours au désert après son Baptême, de même à son tour, il prépare son Eglise pendant quarante jours : « Pendant quarante jours, il leur est apparu, et leur a parlé du royaume de Dieu. » Au cours d’un dernier repas, il leur donne ses consignes : un ordre, une promesse, un envoi en mission.
L’ordre est presque surprenant : attendre et ne pas bouger ; « Il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. » Que les promesses du Père se réalisent à Jérusalem n’étonnait certainement pas les onze qui étaient tous Juifs : toute la prédication des prophètes donnait à Jérusalem une part prépondérante dans l’accomplissement du projet de Dieu : il suffit de se rappeler Isaïe : « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le SEIGNEUR, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60,1-3). Ou encore : « Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau, que la bouche du SEIGNEUR dictera. » (Is 62,1-2).
VOUS SEREZ MES TEMOINS
Luc précise le contenu de la promesse : « Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Cela aussi était familier aux apôtres ; ils avaient en tête la phrase du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair » (Jl 3,1) et aussi celle de Zacharie : « Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem ; elle les lavera de leur péché et de leur souillure… Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication… » (Za 13,1 ; 12,10) ; ou encore (chez Ezéchiel) : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés… Je mettrai en vous un esprit nouveau… Je mettrai en vous mon  esprit. » (Ez 36,25… 27).
La question des apôtres « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » n’est donc pas incongrue ; elle manifeste qu’ils ont bien compris que le fameux Jour de Dieu s’est levé. La réponse de Jésus ne devrait pas nous étonner non plus ; car Dieu sollicite la collaboration des hommes pour réaliser son projet ; le salut de Dieu est arrivé grâce à Jésus-Christ, il reste aux hommes la liberté d’y entrer ; pour cela encore faut-il qu’ils le sachent ; d’où la mission et la responsabilité des Apôtres ; l’Esprit leur est donné pour cela : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins. » Cela veut dire qu’entre le don de l’Esprit et l’avènement définitif du Royaume, il y a un délai qui est le temps du témoignage : un délai d’autant plus long qu’il s’agit d’aller porter la nouvelle à l’humanité tout entière. « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »  Le livre des Actes suit exactement ce plan.
Comme au matin de Pâques, « deux hommes avec un vêtement éblouissant » avaient arraché les femmes à leur contemplation en leur disant « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité », au jour de l’Ascension, deux hommes en vêtements blancs jouent le même rôle auprès des Apôtres : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Il reviendra, nous en sommes certains, c’est pourquoi nous disons à chaque Eucharistie : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur. »
——-
Complément
– La nuée est dans la Bible le signe visible de la présence de Dieu (par exemple lors du passage de la Mer Rouge (Ex 13,21), ou lors de la Transfiguration du Christ (Lc 9,34). La nuée dérobe Jésus au regard des hommes : c’est dire qu’il est entré dans le monde de Dieu. Il cesse avec nous un certain mode de présence charnelle, visible, pour en inaugurer une autre, spirituelle.
– Il nous faut accepter l’idée qu’il est impossible de reconstituer exactement ce qui s’est passé entre la Résurrection de Jésus, la nuit de Pâques et le jour où il a quitté définitivement ses apôtres pour retourner auprès du Père. Commençons par les récits de Luc : entre l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres du même Luc, les deux récits sont tout-à-fait semblables : le départ de Jésus se situe près de Jérusalem puisque l’évangile parle de Béthanie, et que les Actes parlent du Mont des Oliviers ; et dans les deux textes Luc précise que Jésus a donné comme recommandation à ses disciples de ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu l’Esprit Saint. La seule divergence entre les deux récits de Luc concerne le délai : dans l’évangile, il semble bien que le départ de Jésus ait eu lieu le soir même de Pâques ; après l’apparition aux disciples d’Emmaüs, ceux-ci sont retournés à Jérusalem pour tout raconter aux Onze apôtres ; et c’est pendant qu’ils parlaient tous ensemble que Jésus est apparu, a passé un moment avec eux, leur expliquant les Ecritures ; puis il les a emmenés à Béthanie et c’est là qu’il a disparu définitivement à leurs yeux.
Tandis que dans les Actes des Apôtres, Luc précise qu’il y a eu entre Pâques et l’Ascension un délai de quarante jours ; et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons pris l’habitude de  célébrer la fête de l’Ascension, juste quarante jours après Pâques.
Dans les autres évangiles, on ne trouve presque rien sur ce sujet : chez Matthieu, par exemple, il n’y a pas du tout de récit d’Ascension ; il raconte seulement une apparition de Jésus à deux  femmes  (Marie de Magdala et l’autre Marie) qui s’étaient rendues au tombeau et une apparition aux disciples en Galilée au cours de laquelle il leur dit cette phrase que nous connaissons bien : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples ; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,18-20).
Jean, lui, rapporte plus longuement plusieurs apparitions de Jésus ressuscité, l’une à Marie de Magdala, et trois autres à ses disciples, dont la dernière au bord du lac de Tibériade ; mais il ne raconte pas non plus l’Ascension. Quant à Marc, il raconte l’apparition de Jésus à Marie de Magdala, puis à deux disciples qui se rendaient à la campagne et enfin aux Onze apôtres. Les Onze, Jésus les envoie prêcher l’évangile au monde entier et Marc termine son évangile en disant : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. » (Mc 16,19).
Ces différences entre les Evangiles prouvent que les précisions qu’ils nous donnent ne visent pas la réalité historique ou géographique : Matthieu a ses raisons pour parler de la Galilée, comme Luc a les siennes pour insister sur Jérusalem.
Car c’est bien là que Jésus leur a dit d’attendre le don de l’Esprit : l’évangile de Luc se termine sur cette dernière consigne de Jésus : « Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » (Lc 24,49).

PSAUME – 46 (47),2-3,6-7,8-9

2 Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
3 Car le SEIGNEUR est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

6 Dieu s’élève parmi les ovations,
le SEIGNEUR, aux éclats du cor.
7 Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
Sonnez pour notre roi, sonnez !

8 Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
9 Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

DIEU, ROI D’ISRAEL
C’est le peuple d’Israël qui parle ici, ou plutôt qui chante, qui acclame Dieu comme son roi. Cela ne nous surprend pas. Mais, chose beaucoup plus étonnante, il dit que Dieu est le roi de toute la terre. Or, cela, on ne l’a pas toujours pensé en Israël. Avant l’Exil à Babylone, aucun des rois d’Israël n’a jamais imaginé que Dieu soit le Maître de l’Univers entier. Cela veut dire que ce psaume a été composé tard dans l’histoire du peuple élu.
Je reviens sur la première affirmation très forte de ce psaume : Dieu est le roi d’Israël. Pendant toute une période de l’histoire biblique, le peuple d’Israël a eu des rois, tout comme les peuples voisins, mais sa conception de la royauté était particulière, et cette spécificité a duré tout au long de l’histoire. En Israël, le roi ne pouvait jamais prétendre être le plus haut personnage du pays, il n’avait pas tout pouvoir, Dieu restait le maître. Pour le dire autrement, le véritable roi en Israël n’était autre que Dieu lui-même.
Le roi, par exemple, ne disposait pas des lois à sa guise ; il devait, comme tout le monde, se soumettre à la Loi de Dieu, c’est-à-dire les Lois données par Dieu à Moïse au Sinaï. D’après le livre du Deutéronome, il devait lire l’intégralité de la Loi tous les jours de sa vie. Même assis sur son trône, il n’était (en principe) qu’un exécutant des ordres de Dieu transmis par les prophètes. Dans les Livres des Rois, par exemple, on voit fréquemment l’un ou l’autre roi demander l’accord du prophète du moment avant de partir en campagne ou même, dans le cas de David, avant d’entreprendre la construction d’un Temple. Et l’on voit à de multiples reprises les prophètes intervenir librement dans la vie des rois et critiquer violemment parfois leurs agissements.
Cette affirmation de la souveraineté de Dieu fut même un frein à l’institution de la monarchie. On se souvient de la réaction très violente du prophète Samuel, au temps des Juges, lorsque les chefs des tribus d’Israël sont venus lui dire qu’ils voulaient avoir un roi « pour être comme les autres nations ». Souhaiter être « comme les autres nations » quand on a l’honneur d’être le peuple choisi par Dieu pour faire alliance, c’était un véritable blasphème à ses yeux. Il a fini par céder aux instances des chefs des tribus, mais non sans les prévenir qu’ils faisaient leur propre malheur.
Et lorsqu’il a consacré le premier roi, Saül, il a pris soin de préciser que celui-ci devenait le chef du patrimoine de Dieu. Le peuple restait le peuple de Dieu et non celui du roi et celui-ci n’était qu’un serviteur de Dieu. Et, tout au long de la monarchie, en Israël, les prophètes se sont chargés de rappeler aux rois cette vérité élémentaire. Au point que les livres des Rois, lorsqu’ils racontent les règnes successifs, n’ont qu’un critère d’évaluation : la fidélité de chacun des rois à la volonté de Dieu. Une formule revient tout le temps : « Tel roi fit ce qui ce qui est droit aux yeux du SEIGNEUR », ou au contraire « Tel roi fit ce qui ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR ».
DIEU, ROI DE TOUTE L’HUMANITÉ
C’est donc en l’honneur de Dieu lui-même que notre psaume déploie ici tout le vocabulaire adressé ailleurs aux rois de la terre. Le mot « redoutable » lui-même est un compliment, c’est un mot habituel du vocabulaire de cour. Le roi n’est pas « redoutable » pour ses sujets, évidemment, mais au contraire, le terme est rassurant : les ennemis sont prévenus, notre roi sera invincible.
A chaque ligne de ce psaume, c’est une évidence, il s’agit bien de Dieu, notre Dieu, celui du Sinaï, le SEIGNEUR. En même temps, il est acclamé comme Dieu et roi de tout l’univers. Pas question de le garder pour nous tout seuls : il est « le grand roi sur toute la terre » (v.3) et tous les peuples sont associés à la fête : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! » Cette dimension universelle est très présente dans ce psaume jusqu’à dire « Dieu règne sur les païens » (v.9).
Or, la découverte du monothéisme date seulement de l’Exil à Babylone : jusque-là, le peuple d’Israël n’était pas encore monothéiste : être monothéiste, c’est affirmer qu’il n’existe qu’un seul Dieu, le même pour tout le cosmos et l’humanité. Avant l’Exil, ce n’était pas le cas : on dit qu’Israël était monolâtre ; c’est-à-dire qu’il ne reconnaissait pour lui-même qu’un seul Dieu, celui de l’Alliance du Sinaï. Mais il considérait que les autres peuples avaient leurs propres dieux qui régnaient sur leurs pays et combattaient pour eux.
Ce psaume a donc été probablement composé après le retour de l’Exil et ce n’est pas dans la salle du trône que ces acclamations ont retenti, c’est dans le Temple de Jérusalem reconstruit. A l’occasion d’une célébration liturgique, nos frères juifs évoquent le grand projet de Dieu sur l’humanité et ils anticipent. Ils imaginent déjà le Jour où enfin Dieu sera reconnu pour ce qu’il est, le Père de toute bonté.
Nous, Chrétiens, reprenons ce psaume à notre tour. Et la phrase « Dieu s’élève parmi les ovations » nous paraît convenir tout particulièrement pour la célébration de l’Ascension de Jésus-Christ. Même si nous devons reconnaître, malheureusement, que la royauté du Christ est encore bien discrète : les évangélistes n’ont pas de cérémonie de couronnement à raconter. Raison de plus pour lui décerner déjà ce superbe hommage qui ne fait qu’anticiper le chant qu’entonneront au dernier jour les fils de Dieu enfin rassemblés : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Ephésiens 1,17-23

Frères,
17 que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ,
le Père dans sa gloire,
vous donne un esprit de sagesse
qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître.
18 Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre coeur,
pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel,
la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles,
19 et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants :
c’est l’énergie, la force, la vigueur
20     qu’il a mise en œuvre dans le Christ
quand il l’a ressuscité d’entre les morts
et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux.
21 Il l’a établi au-dessus de tout être céleste :
Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination,
au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer,
non seulement dans le monde présent
mais aussi dans le monde à venir.
22 Il a tout mis sous ses pieds
et, le plaçant plus haut que tout,
23  il a fait de lui la tête de l’Eglise qui est son corps,
et l’Eglise, c’est l’accomplissement total du Christ,
lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

SAINT PAUL EN CONTEMPLATION
La lettre aux Ephésiens se divise facilement en deux parties : une longue contemplation du dessein de Dieu (chapitres 1 à 3) et une exhortation aux baptisés pour conformer leur vie à ce mystère (chapitres 4 à 6) ; pour la fête de l’Ascension, la liturgie nous propose un extrait de la première partie pour l’année A, et de la deuxième partie pour l’année B.
La première partie débute par une longue formule de bénédiction à la manière juive que, dans notre liturgie chrétienne, on appellerait volontiers une Préface. C’est le fameux texte sur le « dessein bienveillant de Dieu » : « Béni soit Dieu… Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Traduction TOB). Les baptisés sont déjà participants de ce mystère du projet de Dieu qui, un jour, sera étendu à l’humanité tout entière. Et Paul s’émerveille du privilège qui est donc le leur : « En lui (le Christ), vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire. » (1,13-14).
Nous retrouvons tous ces termes dans le passage qui est notre lecture d’aujourd’hui, mais cette fois sous la forme d’une prière, qu’on appelle généralement « prière d’illumination ». Car il nous faut bien la lumière de Dieu pour pénétrer un tant soit peu dans ce mystère : « Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre coeur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles… » Et on sait bien que la compréhension dont il parle ici n’est pas affaire de raisonnement mais de cœur , une disponibilité profonde à se laisser instruire, illuminer. Et Paul, le Juif, sait bien que la sagesse de Dieu est inaccessible pour l’homme si Dieu lui-même ne se révèle pas à lui : « Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. » Et qu’y a-t-il au bout de cette connaissance vers laquelle nous cheminons ? Un « héritage sans prix » nous dit Paul.
LA GLOIRE SANS PRIX DE NOTRE HERITAGE
Le mot « héritage » (ici au verset 18, et déjà au verset 14) revient souvent dans la Bible : dans l’Ancien Testament, il s’agit de la terre promise par Dieu aux croyants. Le même mot est souvent repris par le Nouveau Testament, en particulier dans les lettres de Paul, pour désigner le Royaume et la vie éternelle. Par exemple : « L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ. » (Rm 8,16-17). « Dans la joie, vous rendrez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. » (Col 1,12). « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » (Ep 3,6). Jacques aussi développe ce thème : « Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ? » (Jc 2,5).
Et la lettre aux Hébreux, pour sa part, reprend souvent le mot : « A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. » (He 1,1-2) ; et un peu plus loin : « Ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis. » (He 9,15).
Car, et c’est le motif profond de l’émerveillement de Paul, les disciples du Seigneur sont déjà associés au triomphe de leur Maître ressuscité. Rien ne doit plus leur faire peur en ce monde ou dans l’autre puisque la mort est vaincue et que les portes sont ouvertes sur la vie éternelle. Bien souvent, on a l’impression que Paul lui-même est pris de vertige devant les perspectives inouïes qu’il ouvre devant ses lecteurs ; ici, par exemple, il s’émerveille devant « la puissance incomparable qu’il (le Père) déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre  dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Autrement dit, l’œuvre  que Dieu accomplit dans le cœur  des croyants est une véritable résurrection intérieure. On comprend que, dans le verset qui précède, Paul introduise cette prière d’illumination par cette déclaration : « Je ne cesse pas de rendre grâce, quand je fais mémoire de vous dans mes prières. » (Ep 1,16)

EVANGILE – selon Saint Matthieu 28,16-20

En ce temps-là,
16 Les onze disciples s’en allèrent en Galilée,
à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent,
mais certains eurent des doutes.
18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles :
« Tout pouvoir m’a été donné
au ciel et sur la terre.
19 Allez !
De toutes les nations faites des disciples,
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit,
20 apprenez-leur
à observer tout ce que je vous ai commandé.
Et moi, je suis avec vous
tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

TOUT POUVOIR M’A ETE DONNE AU CIEL ET SUR LA TERRE
Aussitôt après la Résurrection, voici le très bref discours d’adieu de Jésus. Cela se passe en Galilée qu’on appelait couramment le « carrefour des païens », la « Galilée des nations » ; car désormais la mission des Apôtres concerne « toutes les nations ». L’Evangile de Matthieu semble tourner court : mais, en fait, l’aventure commence ; tout se passe comme dans un film où le mot « FIN » s’inscrit sur une route qui ouvre vers l’infini. Car c’est bien vers l’infini que Jésus les envoie : l’immensité du monde et l’infini des siècles. « Allez… De toutes les nations faites des disciples… Jusqu’à la fin du monde. »
Curieusement, ils n’ont l’air qu’à moitié préparés à cette mission ! Si Jésus était un chef d’entreprise, il ne pourrait pas prendre le risque de confier la suite de son affaire à des collaborateurs comme ceux-là : des collaborateurs qui semblent bien ne pas avoir assimilé toute la formation qu’il leur a assurée pendant des mois. Ils font erreur sur l’objectif, sur les délais, sur la nature de l’entreprise. Ils vont même jusqu’à douter de la réalité qu’ils sont en train de vivre ; puisque Matthieu dit clairement « Certains eurent des doutes ». La mission qui leur est confiée et qui est pleine de risques est de promouvoir un message qui les surprend encore. Folie, diront les gens sages, Sagesse de Dieu répondrait Saint Paul. C’est que l’entreprise dont il s’agit n’est pas banale : elle dépasse tout ce que l’esprit humain peut imaginer ou concevoir. Il s’agit de la communication entre Dieu et les hommes. Celui qui est venu en allumer l’étincelle confie à ses disciples le soin d’en répandre le feu. « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. »
« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » : nous n’avons pas souvent l’occasion de nous arrêter sur cette formule extraordinaire de notre foi. Première formulation du mystère de la Trinité : l’expression « Au nom de », très habituelle dans la Bible, signifie qu’il s’agit bien d’un seul Dieu ; en même temps les trois Personnes sont nommées et bien distinctes : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Si l’on se souvient que le NOM, dans la Bible, c’est la personne, et que baptiser veut dire étymologiquement « plonger », cela veut dire que le Baptême nous plonge littéralement dans la Trinité. On comprend l’ordre express de Jésus à ses disciples « Allez », il y a urgence. Comment ne pas être pressés de voir toute l’humanité profiter de cette proposition ?
En même temps, il faut bien dire que cette formule si habituelle pour nous était pour la génération du Christ une véritable révolution ! A preuve, quand les apôtres, Pierre et Jean ont guéri le boiteux de la Belle Porte (Ac 3 et 4), les autorités leur ont aussitôt demandé « Par quelle puissance,  par le  nom de qui avez-vous fait cette guérison ? » : parce qu’il n’était pas permis d’invoquer un autre nom que celui de Dieu. Jésus parle bien de Dieu, mais sa phrase cite trois personnes, or Dieu était unique, les prophètes l’avaient assez dit. L’incompréhension des Juifs pour les fidèles du Christ est inscrite ici, la persécution était inévitable. Jésus le sait, qui les a prévenus le dernier soir : « On vous exclura des assemblées. Bien plus, l’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu, (c’est-à-dire croiront défendre l’honneur de Dieu)… Et Jésus ajoutait : « Ils feront cela parce qu’ils n’ont connu ni le Père ni moi. » (Jn 16,2-3).
JE SUIS AVEC VOUS TOUS LES JOURS JUSQU’A LA FIN DU MONDE
La mission confiée aux apôtres s’apparente bien à une folie ; mais ils ne sont pas seuls, et cela, il ne faut jamais l’oublier : dans la mesure où notre engagement n’est pas le nôtre, mais le sien, nous n’avons pas de raison de nous inquiéter des résultats : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! »… En d’autres termes, c’est nous qui allons, mais c’est lui qui a tout pouvoir…
Voici ce que l’on raconte de Jean XXIII : il paraît que peu de jours après son élection il reçoit la visite d’un ami qui lui dit « Très Saint Père, comme la charge doit être lourde ! » Jean XXIII répond « C’est vrai, le soir, quand je me couche, je pense Angelo, tu es le Pape et j’ai bien du mal à m’endormir ; mais, au bout de quelques minutes je me dis Angelo, que tu es bête, le responsable de l’Eglise, ce n’est pas toi, c’est le Saint-Esprit… Alors je me tourne de l’autre côté et je m’endors…! » Nous aussi, semble-t-il, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles : l’évangélisation doit être notre passion, mais pas notre angoisse ! Jésus a bien précisé « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. »
A elle toute seule, cette petite phrase est un résumé extraordinaire de la vie du Christ : ceci se passe sur une montagne, a dit Matthieu ; laquelle on ne sait pas, mais elle évoque, bien sûr, celle de la tentation et celle de la Transfiguration ; sur la montagne de la tentation, Jésus a refusé de recevoir d’un autre que son Père le pouvoir sur la Création : « Le diable l’emmène sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : ‘Tout cela je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi’. Alors Jésus lui dit : ‘Arrière, Satan ! car il est écrit :C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.’ » (Mt 4,8). Ce pouvoir que Jésus n’a pas revendiqué, n’a pas acheté, lui est donné par son Père.
Et, désormais, ce pouvoir est entre nos mains ! A nous d’y croire… « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez !… Et moi, ajoute Jésus, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Le Dieu de la Présence révélé à Moïse au buisson ardent, l’Emmanuel (ce qui signifie « Dieu avec nous ») promis par Isaïe ne font qu’un dans l’Esprit d’amour qui les unit. A nous désormais de révéler au monde cette présence aimante du Dieu-Trinité.
————–
Complément
– « Emmanuel » : un prénom qui en dit long… En disant à ses apôtres « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », le Christ s’applique à lui-même ce prénom. Comme s’il voulait donner raison à Matthieu qui avait dit au début de son Evangile : « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit Dieu avec nous »

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Dimanche 14 mai 2023 : 6ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 14 mai 2023 : 6ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 8, 5-8.14-17

En ces jours-là,
5 Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie,
et là il proclamait le Christ.
6 Les foules, d’un même cœur,
s’attachaient à ce que disait Philippe,
car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait,
ou même les voyaient.
7 Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs,
qui sortaient en poussant de grands cris.
Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris.
8 Et il y eut dans cette ville une grande joie.

14 Les Apôtres, restés à Jérusalem,
apprirent que la Samarie
avait accueilli la parole de Dieu.
Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean.
15 À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains
afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ;
16 en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux :
ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.
17 Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains,
et ils reçurent l’Esprit Saint.

APRES LA PENTECOTE, PREMIERS AFFRONTEMENTS ENTRE JUIFS A PROPOS DE JESUS-CHRIST
Je reprends la première phrase : « Philippe, l’un des Sept » ; il s’agit de ces Sept hommes qui ont été désignés pour organiser ce qu’on appelait le service des tables à Jérusalem. Concrètement, il s’agissait du problème d’assurer un partage équitable dans la distribution de ce qui ressemblait à une banque alimentaire en faveur des veuves.
Dimanche dernier, nous avons vu qu’un problème était né parmi les tout premiers chrétiens : je m’en explique. Dans un premier temps, après la Résurrection de Jésus, tous ceux qui ont suivi les apôtres et ont demandé le baptême étaient des Juifs, soit de naissance, soit convertis au judaïsme (ceux qu’on appelait les prosélytes). Mais il y avait entre eux déjà de grandes diversités.
Parmi ces Juifs, certains étaient originaires du pays même d’Israël et en particulier de Jérusalem et ils parlaient hébreu à la synagogue et araméen dans la rue. On les appelait « Hébreux ». Les autres étaient originaires de ce qu’on appelle la Diaspora, c’est-à-dire tout le reste de l’empire romain ; ils parlaient grec et on les appelait « Hellénistes ».
Pour la célébration du shabbat, le samedi matin, tous les Juifs, qu’ils soient devenus chrétiens ou non, se rendaient dans des synagogues où l’on parlait leur langue : les Hébreux d’un côté, les Hellénistes de l’autre. Mais pour la célébration chrétienne, ceux des Juifs qui étaient devenus chrétiens se regroupaient dans des maisons particulières, Hellénistes et Hébreux confondus.
C’est dans le cadre de ces célébrations chrétiennes qu’une première querelle a éclaté entre ces deux groupes de chrétiens, à propos des secours apportés aux veuves. Et, pour le résoudre, on a nommé sept hommes chargés du service des tables (on dirait peut-être aujourd’hui les questions matérielles). C’était notre texte de dimanche dernier.
Parmi ces sept hommes, Etienne et Philippe. Tous les deux sont donc des Juifs, devenus chrétiens depuis peu, Hellénistes, ardents, fervents et probablement reconnus comme des meneurs. Ils essaient de convertir à Jésus-Christ les Juifs qui fréquentent les synagogues où on parle grec ; c’est là que naît une deuxième querelle ; mais ce n’est plus une dispute entre chrétiens d’origines différentes ; c’est une querelle beaucoup plus grave, entre Juifs hellénistes (c’est-à-dire des Juifs de la Diaspora) : querelle qui oppose ceux qui croient en Jésus de Nazareth, Messie méconnu, crucifié, ressuscité… et ceux qui continuent à penser que Jésus n’était qu’un imposteur.
Et c’est là que commence la première persécution : les Juifs qui refusent de croire en Jésus-Christ attaquent leurs frères juifs devenus chrétiens. Etienne le paiera de sa vie. Il est dénoncé par des Juifs hellénistes aux autorités de Jérusalem. Il est arrêté, exécuté.
LES FRUITS INATTENDUS DE LA PREMIERE PERSECUTION
Ce martyre d’Etienne n’apaise pas la fureur de ses opposants ; au contraire, ils vont s’en prendre aux autres chrétiens du groupe d’Etienne ; cette toute première persécution ne vise pas les apôtres directs de Jésus, Pierre, Jean, Jacques et les autres qui font partie du groupe des Hébreux ; elle vise seulement les Hellénistes. Si bien que les apôtres de Jésus ne sont pas inquiétés et restent à Jérusalem, continuant à pratiquer leur religion juive tout en prêchant au nom de Jésus. En revanche, par prudence, le groupe des Hellénistes se disperse : ceux qui sont le plus en danger s’éloignent ; bien sûr, partout où ils iront, ils parleront du Messie, Jésus de Nazareth.
Et donc, grâce à la persécution, en quelque sorte, la Bonne Nouvelle déborde Jérusalem et atteint les autres villes de Judée et la Samarie. Plus tard, on se rappellera la dernière phrase de Jésus, le jour de l’Ascension : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). C’est exactement ce qui est en train de se passer : c’est paradoxalement cette épreuve, la persécution et la dispersion de la communauté qui permet à l’évangélisation de gagner du terrain.
C’est donc ainsi que Philippe est descendu en Samarie, mais au lieu de s’y cacher, il se met à prêcher ; où l’on voit d’ailleurs qu’il déborde très rapidement la mission qui lui avait été confiée : primitivement, Philippe a été choisi pour être l’un des Sept chargés du service des tables des veuves à Jérusalem ; pour que les apôtres, eux, les douze, puissent continuer d’assurer la prière et le service de la Parole. Et nous le retrouvons prédicateur en Samarie ; comme quoi, il faut savoir s’adapter : une mission peut prendre des visages très différents : ce sont les besoins de la communauté qui commandent.
En même temps, il reste en lien, visiblement, avec ceux qui lui ont confié sa mission puisque la communauté de Jérusalem lui envoie Pierre et Jean qui viendront en quelque sorte authentifier le travail accompli par Philippe ; il me semble qu’on a là un bon exemple d’un équilibre à maintenir : se sentir libres d’innover dans nos missions respectives et, en même temps, garder le lien avec l’institution… ne pas devenir des sortes d’électrons libres…
Ceci se passe en Samarie ; or, on sait à quel point les gens de Jérusalem méprisaient les Samaritains : ils les considéraient comme des hérétiques ; parce que, depuis des siècles, entre Judéens et Samaritains on entretenait soigneusement la brouille et le mépris de l’autre. Philippe, lui, ne s’embarrasse pas des vieilles querelles : lui, l’homme de la Diaspora, il est sans doute plus loin de ces disputes théologiques ; en tout cas, grâce à lui, l’évangile vient de déborder les frontières de la synagogue ; en retour, Luc insiste sur la joie des Samaritains d’accueillir la Bonne Nouvelle ; cela évidemment fait penser à nombre de passages d’évangile où ce sont les plus humbles, les exclus, qui ont le plus facilement accueilli le message de Jésus.
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Complément
Donc Philippe se met à prêcher à son tour : Luc dit « il proclamait le Christ » ; formule ramassée qui signifie : il annonçait que Jésus de Nazareth est ressuscité, il est bien le Messie qu’on attendait. D’après tout le Nouveau Testament, Actes des Apôtres et Epîtres, on voit bien que le témoignage de la résurrection du Christ est le centre de toute prédication apostolique ; ce qui veut dire qu’une prédication n’est chrétienne que si elle est centrée sur la résurrection.

PSAUME – 65 (66)

1 Acclamez Dieu, toute la terre ;
2 fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
3 Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4 Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
5 Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6 Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
7 Il règne à jamais par sa puissance.

16 Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ;
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
20 Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

LA LONGUE AVENTURE DES CROYANTS
Nous n’avons lu ici qu’un choix très court parmi les vingt versets que compte ce psaume 65/66. Mais toute la longue aventure des croyants est évoquée ici, ramassée en trois étapes : première étape suggérée : au verset 6, nous avons entendu le rappel de l’Exode : la sortie d’Egypte avec Moïse : « Il changea la mer en terre ferme » puis l’entrée en terre promise sous la conduite de Josué, par le miracle de l’assèchement du Jourdain : « Ils passèrent le fleuve à pied sec. » Lorsqu’on lit attentivement les psaumes, on est surpris de l’abondance des échos de l’Exode qui est le socle de l’expérience croyante d’Israël et donc de son espérance.
Deuxième étape, l’époque où le psalmiste compose son chant : il invite ses contemporains à la prière, à la louange et au partage de l’expérience croyante : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme. »
Troisième étape, l’avenir : c’est la terre tout entière qui est invitée à entrer dans la louange de Dieu : « Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ».
Ce n’est pas la première fois que nous voyons la prière d’Israël s’élargir à la dimension de la terre entière, ce qui veut dire, bien sûr, l’humanité entière. Le peuple élu a peu à peu compris qu’il était en mission pour le monde et que cette mission ne serait achevée que quand tous les peuples seraient unis pour entrer dans la joie de Dieu. Rappelons-nous, en particulier, les prophéties d’Isaïe sur le rassemblement de tous les peuples à Jérusalem, par exemple « Ma maison s’appellera « Maison de prière pour tous les peuples » » (Is 56,7).
Et d’ailleurs, on entend ici comme une sorte d’anticipation de ce jour, comme si tous les peuples faisaient déjà partie du cortège des pèlerins qui montent à Jérusalem : « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom ». Ce n’est encore qu’une anticipation, malheureusement, mais appeler le futur de tous ses vœux , c’est le hâter, car ce futur ne se réalisera que si nous le désirons ardemment : alors nous prendrons les moyens de le réaliser.
Au passage, nous avons remarqué l’insistance sur le mot « redoutables » appliqué deux fois à Dieu dans ces quelques versets ! « Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! » Si on entend par là que nous devrions redouter Dieu, évidemment, c’est inacceptable et complètement incompatible avec la révélation biblique du « Dieu de tendresse et de fidélité » comme dit le livre de l’Exode.
Notons d’abord qu’en français, il nous arrive d’employer ce mot avec une nuance d’admiration : quand nous disons d’un sportif, par exemple, qu’il est « redoutable » ou bien d’un politicien « il est un débatteur redoutable », ce n’est pas la crainte qui parle, c’est l’émerveillement devant des capacités hors du commun.
JUSQU’AU JOUR BENI OU L’HUMANITE TOUT ENTIERE RECONNAITRA SON SEIGNEUR
En fait, dans le langage biblique, le mot « redoutable » faisait partie des compliments que l’on adressait au roi le jour de son sacre, pour lui promettre un règne glorieux, capable d’apporter la sécurité à ses sujets. Le roi n’est « redoutable » que pour ses ennemis. Appliquer ce mot à Dieu, c’est tout simplement une manière de lui dire « en définitive, notre seul roi, c’est toi ».
Ce psaume plonge donc à la fois dans le passé, le présent, le futur… Dans le passé, Dieu a libéré son peuple de la servitude en Egypte, comme ils disent ; aujourd’hui, il libère à chaque instant ceux qui le laissent agir ; dans l’avenir c’est toute l’humanité qui sera libérée définitivement par Dieu des chaînes de toutes sortes qui la tiennent actuellement ligotée dans ses haines, ses peurs, ses guerres. Ce psaume nous introduit donc à ce que représente pour le peuple juif la dimension historique de l’expérience croyante.
Et, comme toujours, c’est du peuple tout entier qu’il s’agit : dans l’univers biblique, la dimension collective prime sur l’expérience individuelle ; dès son plus jeune âge, l’enfant juif participe à la mémoire de son peuple : les prières quotidiennes, le shabbat, les fêtes religieuses, les pèlerinages évoquent toute une mémoire collective dans laquelle il entre par une sorte d’imprégnation lente. L’enfant entend d’innombrables fois les adultes chanter la gloire de Dieu, raconter ses « hauts faits », comme on dit… un jour, à son tour, tout naturellement, il reprendra le flambeau ; il entend la conviction avec laquelle ses aînés affirment « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour » ; devant lui, on répète inlassablement les exploits de Dieu qui a délivré les anciens de l’esclavage en Egypte : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ».
La journée des adultes, de la prière du matin à celle du soir, en passant par les repas et tous les actes de la vie quotidienne, est imprégnée de cette mémoire du Dieu qui libère de toute servitude. En entrant dans sa famille, elle-même très fortement intégrée à son peuple, l’enfant juif entre tout naturellement dans la « mémoire » de ce peuple.
Tout ceci, évidemment, suppose une véritable vie de famille, comme aussi un sens très fort de l’appartenance à un peuple. Voilà peut-être une des clés de nos problèmes de transmission de la foi : c’est cette mémoire collective, justement, qui manque à beaucoup de nos jeunes chrétiens ; car la mémoire d’un peuple n’est pas l’affaire de cours d’instruction religieuse, si excellents soient-ils ; elle est affaire de vie collective, de rites répétés, d’imprégnation lente et nous voyons bien là les dangers de l’individualisme. Nous savons du même coup ce qui nous reste à faire si nous voulons transmettre la foi à nos jeunes : premièrement, imprégner toute notre existence familiale quotidienne de cette mémoire croyante et deuxièmement, revivifier nos liens communautaires.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 3,15-18

Bien-aimés,
15 honorez dans vos cœurs
la sainteté du Seigneur, le Christ.
Soyez prêts à tout moment à présenter une défense
devant quiconque vous demande de rendre raison
de l’espérance qui est en vous ;
16 mais faites-le avec douceur et respect.
Ayez une conscience droite,
afin que vos adversaires soient pris de honte
sur le point même où ils disent du mal de vous
pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ.
17 Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien,
si c’était la volonté de Dieu,
plutôt qu’en faisant le mal.
18 Car le Christ, lui aussi,
a souffert pour les péchés,
une seule fois,
lui, le juste, pour les injustes,
afin de vous introduire devant Dieu ;
il a été mis à mort dans la chair ;
mais vivifié dans l’Esprit.

OSER TEMOIGNER
A lire entre les lignes de ce texte, on peut imaginer que les interlocuteurs de Pierre connaissaient beaucoup de vexations et de moqueries de la part des païens. Ils ne rencontraient pas une persécution déclarée, mais une hostilité latente ; il leur fallait s’expliquer chaque fois qu’ils refusaient certaines pratiques païennes, comme les sacrifices aux divinités par exemple.
Pierre leur dit ici : « Frères, c’est votre tour maintenant, de vous conduire comme le Christ s’est conduit ». Lui aussi a connu les accusations, les calomnies, les menaces, mais il n’a pas dévié ; à votre tour, vous devez être capables de résister à vos adversaires.
D’où leur viendra cette audace ? Oh, c’est bien simple : les Chrétiens n’ont qu’une source, qu’un argument, qu’un discours : le Christ est mort et ressuscité. Pierre ne dit pas autre chose : « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ… Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit. »
La chair, en langage biblique, cela veut dire « la faiblesse humaine », le fait d’être mortel ; ses ennemis ne pouvaient l’atteindre que là ; ils ne peuvent rien contre l’esprit d’amour qui est le principe même de la vie : parce qu’il était rempli de l’Esprit de Dieu, la mort ne pouvait le retenir en son pouvoir, comme dit Paul ; au contraire, l’Esprit lui a fait traverser la mort biologique et a fait surgir en lui la vie, parce que l’Esprit qui s’est manifesté sur lui au jour du baptême est l’Esprit de vie.
C’est ce même Esprit qui est entré en nous lors de notre Baptême : désormais, nous le savons, nous le croyons, parce que nous l’avons vu réalisé en Jésus-Christ, le mal, la haine sont vaincus, la vie est plus forte que la mort ; c’est cela l’espérance des chrétiens ; celle dont Pierre dit que nous devons pouvoir en rendre compte à tout moment ; le Christ avait bien dit à ses Apôtres : « Confiance, j’ai vaincu le monde ». Le témoignage que le monde attend de nous, c’est : le mal n’est pas une fatalité. Le monde attend de nous que nous ne baissions jamais les bras devant le mal, la haine, la violence.
Quand Pierre affirme « Le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois », l’expression « une seule fois » est un cri de victoire : le monde du mal et du péché est définitivement vaincu dans l’obéissance du Fils.
Pierre lie fortement les deux étapes du témoignage du chrétien : ce qui se passe dans le secret du cœur , dans la prière ; et le courage de parler ; l’un ne va pas sans l’autre. « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. » Voilà la première étape, ce qui se passe en nous, dans le secret de la prière. Et c’est dans la prière que nous puiserons l’audace nécessaire.
PUISER DANS LA PRIÈRE L’AUDACE NÉCESSAIRE
La deuxième étape, c’est d’oser dire notre espérance, être prêts à dire « ce qui nous fait courir », dirait-on aujourd’hui. « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ». Si je comprends bien, Pierre nous conseille de ne pas parler en premier ; pour lui, nous devons nous contenter de répondre aux questions de notre entourage. Il dit bien : « Soyez prêts à présenter une défense devant quiconque vous demande…».
Cela fait penser à une phrase dont je ne connais pas l’auteur, mais qui est très suggestive : « Ne parle que si on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge. »
Les interrogations ne germeront que si notre vie tout entière est un témoignage d’espérance : alors ceux qui nous voient vivre se demanderont immanquablement d’où nous vient notre espérance indestructible. Nous ne pouvons témoigner de Jésus-Christ que si nous avons d’abord vécu l’espérance. Ce qui veut dire que notre témoignage se fait d’abord en actes et non en paroles. Etre rendus capables de mener notre vie d’une manière renouvelée est certainement le témoignage le plus urgent.
C’est peut-être dans ce sens-là qu’on peut comprendre la phrase de Jésus : « Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5,16). Vous connaissez aussi la phrase de Paul VI qui est une variation sur le même thème : « Nos contemporains ont besoin de témoins et non de maîtres… et ils n’écoutent les maîtres que s’ils sont des témoins ».
Ce témoignage n’est pas fanfaronnade : « Faites-le avec douceur et respect », comme dit Pierre. Cette douceur et ce respect qui ne doivent pas nous quitter peuvent nous faire comprendre la phrase suivante : « Ayez une conscience droite afin que vos adversaires soient pris de honte ».
« Faire honte » : curieuse expression, comment la comprendre ? On ne peut évidemment pas penser que des chrétiens, vivant le commandement d’amour du Christ, n’aient d’autre but que de faire honte aux autres au sens où nous l’entendons habituellement ; ce dont il s’agit, c’est de donner un tel témoignage de foi, d’espérance et d’amour mutuel, que d’autres soient amenés à remettre en question leurs calomnies. Peut-être alors s’ouvriront-ils à la conversion.
Finalement, le programme que Pierre trace à ses disciples, c’est le programme même du Christ, c’est-à-dire le programme du Serviteur que décrivait le prophète Isaïe : le prophète disait : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton » (Is 42,2), Pierre en écho conseille « agissez avec douceur et respect » ; mais en même temps, quoi qu’il arrive, ce Serviteur décrit par Isaïe ne se laisse pas décourager : à son tour Pierre insiste : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. »

EVANGILE – selon Saint Jean 14,15-21

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15 « Si vous m’aimez,
vous garderez mes commandements.
16 Moi, je prierai le Père,
et il vous donnera un autre Défenseur
qui sera pour toujours avec vous :
17 l’Esprit de vérité,
lui que le monde ne peut recevoir,
car il ne le voit pas et ne le connaît pas ;
vous, vous le connaissez,
car il demeure auprès de vous,
et il sera en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins,
je reviens vers vous.
19 D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus,
mais vous, vous me verrez vivant,
et vous vivrez aussi.
20 En ce jour-là, vous reconnaîtrez
que je suis en mon Père,
que vous êtes en moi,
et moi en vous.
21 Celui qui reçoit mes commandements et les garde,
c’est celui-là qui m’aime ;
et celui qui m’aime
sera aimé de mon Père ;
moi aussi, je l’aimerai,
et je me manifesterai à lui. »

RIEN NE POURRA NOUS SEPARER DE L’AMOUR DU CHRIST
Nous sommes au soir du Jeudi-Saint après le lavement des pieds. Jésus s’entretient longuement avec ses disciples pour la dernière fois. Il parle de son Père et de la relation qui l’unit, lui, le fils, à son Père ; il parle de ce lien qui les unit désormais, eux les apôtres, à son Père et à lui. Un lien que rien ni personne ne pourra détruire : « Je suis en mon Père, vous êtes en moi et moi en vous…. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père. » Toutes ces phrases, ils auront bien besoin de s’en souvenir, de s’y accrocher, si j’ose dire, dans les heures qui viennent !
Et puis, au moment où il s’apprête à les quitter, il leur annonce la venue de l’Esprit. En bons Juifs qu’ils étaient, les apôtres connaissaient la prophétie d’Ezéchiel : « Je vous donnerai un cœur  nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre chair le coeur de pierre, je vous donnerai un cœur  de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. » (Ez 36,26). Et cette autre prophétie du même Ezéchiel : « Je ne leur cacherai plus mon visage parce que j’aurai répandu mon esprit sur la maison d’Israël – oracle du SEIGNEUR Dieu. » (Ez 39,29). Avec Joël, la promesse du don de l’Esprit s’était faite universelle, et non plus réservée aux prophètes, aux rois, ni même au peuple élu : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair. » (Jl 3,1).
Alors dire à ses apôtres « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous », c’est leur annoncer que le grand jour de l’Alliance définitive est arrivé.
Même ce simple mot « demeure » (dans la phrase « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous ») évoquait pour les apôtres toute la longue attente de leur peuple : l’aspiration de tous les croyants de l’Ancien Testament, c’était la présence de Dieu au milieu de son peuple ; il y avait eu la Tente de la Rencontre pendant l’Exode… et puis, il y avait eu le Temple de Jérusalem, mais on attendait l’Alliance Nouvelle où Dieu demeurerait, non pas dans des bâtiments, mais dans le cœur  de son peuple, où il serait intimement présent à chaque cœur  croyant ; et Dieu l’avait promis : par la bouche d’Ezéchiel par exemple : « Ma demeure sera chez eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Ez 37,27), ou encore Zacharie : « Chante et réjouis-toi, fille de Sion ; voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi » (Za 2,14).
Les apôtres étaient pétris de cette espérance : ils savaient que l’Alliance définitive promise par l’Ancien Testament était destinée à l’humanité tout entière ; et tout au long de sa vie publique, Jésus avait bien dit sa soif que le monde entier soit sauvé.
L’ESPRIT CONTINUE SON ŒUVRE DANS LE MONDE ET ACHEVE TOUTE SANCTIFICATION
Mais alors pourquoi dit-il que le monde est incapable de recevoir l’Esprit de vérité ? Et il dit cela précisément en ce moment décisif du salut ! Est-ce une restriction ? Certainement pas ! Jésus ne peut pas se contredire. Il n’y a pas là un jugement de valeur, mais un constat ; Jésus précise : « Le monde ne peut pas le recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas » ; et il continue « vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il sera en vous ». Ce qui est un envoi en mission. Manière de leur dire : « Le monde ne connaît pas l’Esprit de vérité… A vous de le lui faire connaître ; à vous de faire découvrir au monde la présence active de l’Esprit en toute chair. »
Le mot « monde » n’est certainement pas péjoratif… Jésus n’est jamais péjoratif ; (être péjoratif ou défaitiste n’est pas chrétien) ; le salut du monde est le grand désir de Dieu : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17). En fait il faudrait remplacer le mot « monde » par « esprit du monde » opposé à « esprit d’amour ».
Jésus veut fortifier ses disciples : les aider à croire que la contagion de l’amour gagnera peu à peu ; et qu’il leur est possible de transformer l’esprit du monde en esprit d’amour. En quelque sorte, la mission qu’il leur donne, c’est une évangélisation par contamination, de proche en proche ; mission impossible ? Non ; puisque Jésus leur dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ». Phrase ambiguë : de qui l’Esprit de Dieu doit-il nous défendre ? L’horrible méprise serait de croire qu’il puisse avoir à nous défendre devant Dieu ; comme si Dieu pouvait vouloir nous condamner.
En grec, ce mot désigne celui qui est appelé auprès d’un accusé pour l’assister ; c’est le conseiller, l’avocat, le défenseur. André Chouraqui traduit le « réconfort ». De quel procès parle-t-on ? De celui que le monde fait aux disciples du Christ, et à travers eux, au Père lui-même et au Christ, c’est-à-dire en fin de compte à la vérité. D’où l’insistance de Jésus sur ce mot de vérité chaque fois qu’il prévient ses disciples des persécutions qui les attendent : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15,26-27).

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, BIOGRAPHIES, CHJRISTIANISME, DANIEL MARGUERAT (1943-...), EPITRES, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, LIVRES HISTORIQUES, NOUVEAU TESTAMENT, PAUL (saint ; Apôtre), PAUL DE TARSE PAR DANIEL MARGUERAT

Paul de Tarse par Daniel Marguerat

Paul de Tarse. L’enfant terrible du christianisme

Daniel Marguerat

Paris, Le Seuil, 2023. 560 pages.

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Résumé

Célèbre parmi tous les apôtres, saint Paul est aussi le plus mal connu. On le dit colérique, doctrinaire, antiféministe, hostile au judaïsme. Après le message simple de Jésus, il serait venu tout compliquer avec une théorie obscure du péché… Mais qui a vraiment lu ses lettres ? Qui a deviné l’homme derrière les propos de Paul de Tarse ?
L’originalité du livre de Daniel Marguerat est d’immerger ses écrits dans la vie tumultueuse et passionnée de l’apôtre. Car derrière les textes de ce grand théologien, il y a un homme qui aime, qui lutte, qui peine et qui souffre. Qui est l’homme Paul ? Qu’a-t-il vécu, expérimenté, souffert – au point que, de cette vie, a surgi une pensée fulgurante ?
Ce qu’on appelle la « théologie de Paul » n’est pas une doctrine intemporelle, qu’on débiterait à coups de formules dans un catéchisme. Daniel Marguerat montre sous quelles impulsions, à la suite de quelles rencontres, sous le coup de quels chocs cette pensée s’est peu à peu construite.
On apprend ainsi comment l’apôtre réconforte les chrétiens de Thessalonique harcelés pour leur foi. Comment il confie aux femmes en Église une place et un rôle qu’elles perdront rapidement ensuite. Comment il milite à Corinthe contre les discriminations. Comment il plaide chez les Gaulois de Galatie en faveur de l’universalité du christianisme. Et comment il fut, tour à tour, adulé, détesté ou oublié.
Un livre passionnant, qui fait découvrir un Paul peu connu. Sa pensée incandescente fait de lui, aujourd’hui encore, l’enfant terrible du christianisme.

Daniel Marguerat, historien et bibliste, est professeur honoraire de l’Université de Lausanne. Ses travaux sur les origines du christianisme lui ont acquis une réputation mondiale. Dans ce livre, il dépose le fruit d’une trentaine d’années de recherche sur l’apôtre des nations.

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Saint Paul antiféministe ? « Totalement faux », selon le théologien Daniel Marguerat

Entretien – Journal LA CROIX

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Les chrétiens gagneraient à lire saint Paul, estime l’exégète Daniel Marguerat. Car sa vision de l’identité chrétienne, qui accorde à chaque baptisé le même statut et la même valeur, est étonnamment moderne.

Vous présentez au Festival du livre de Paris un nouvel ouvrage sur saint Paul. Qu’y a-t-il de neuf à dire à son sujet ?

 

Daniel Marguerat : La plupart des ouvrages publiés sur Paul actuellement sont soit des biographies de l’Apôtre, écrites par des historiens qui cherchent à reconstruire sa vie, soit des analyses théologiques de sa pensée. J’ai voulu croiser les deux approches, convaincu que la pensée naît et se nourrit de la vie. Un théologien, quand il écrit, est une personne qui vit, souffre, éprouve des sentiments, veut défendre un point de vue… Inscrire la pensée de Paul dans son histoire me permet de rendre compte de son humanité : l’homme derrière le texte, en somme.

En outre, je tente de résoudre l’énigme d’une pensée qui se déplace, change, se contredit parfois. Certains théologiens soutiennent que l’Apôtre est dénué de toute cohérence et ne fait que réagir aux contextes ou aux conflits dans lesquels il est engagé. Je suis persuadé du contraire. Mais ce grand Apôtre ne délivre pas un catéchisme intemporel. Sa parole est toujours adressée à une communauté et répond à une problématique que l’on peut identifier.

  

Peut-on dire que Paul est le fondateur du christianisme ?

 

  1. M. : Il ne s’est jamais présenté comme tel. Il conçoit sa parole comme un Évangile dont le fondement est le Christ. Mais il est un pionnier. Avant lui, dans les années 40-50, l’Évangile était prêché à la synagogue. Paul est le premier à conduire de manière systématique une mission chrétienne qui s’adresse aussi aux non-juifs, sans qu’ils doivent s’intégrer au judaïsme.

D’autre part, il est confronté à des problèmes inédits, comme en témoigne notamment la Première Lettre aux Corinthiens. Jésus n’a rien écrit, ni n’a pensé l’organisation d’une communauté après lui. Il vivait en nomade accompagné d’un groupe de disciples, avant d’être mis à mort. Après lui, tout était à inventer.

Paul, lui, s’adresse à des Gréco-Romains qui se demandent comment vivre leur foi nouvelle au jour le jour, s’ils peuvent partager un repas avec leurs voisins païens, s’ils doivent pratiquer la ritualité juive, si les femmes peuvent avoir un rôle dans le culte… Autant de questions que Jésus ne s’était pas posées directement, mais auxquelles Paul a dû répondre. Il n’est donc pas un fondateur, parce qu’il renvoie sans cesse à Jésus, mais il est un pionnier.

Disons-le clairement : l’identité du christianisme ne serait pas ce qu’elle est sans lui. Il a été le premier à reformuler la parole de Jésus dans la culture du monde romain, ouvrant le christianisme à l’universalité. Il a accompli un travail de création et d’innovation impressionnant.

  

Au point que certains lui reprochent d’avoir trahi Jésus…

 

  1. M. :Oui, on a souvent dit que Jésus était un homme simple, qui s’adressait à des paysans et à des pêcheurs, racontant des paraboles, proclamant un Dieu bon… Paul serait venu tout embrouiller avec une théologie abstraite, compliquée et culpabilisante. En réalité, Paul a été fidèle à Jésus, en interprétant ses propos dans une culture et des conditions différentes. Il a donc été son interprète, peut-être le meilleur.

Son attitude vis-à-vis des femmes, par exemple, le prouve. Dans le judaïsme de l’époque, l’éducation religieuse était strictement réservée aux hommes. Jésus a transgressé les conventions sociales et religieuses en acceptant des femmes dans son groupe de disciples.

De même, Paul crée des communautés d’hommes et de femmes à égalité de droits, de responsabilités et de vocation. Par le baptême, les croyants deviennent frères et sœurs. Les femmes prient et prophétisent dans ces communautés (1Co 11). Cette mixité est d’une originalité absolue dans le monde antique ! Malheureusement, après Paul, elle disparaîtra peu à peu et les femmes seront écartées de certaines fonctions ministérielles. Cette situation perdurera parfois… jusqu’à nos jours !

  

Est-ce l’image que les chrétiens d’aujourd’hui ont gardée de Paul ?

 

  1. M. :Paul est l’Apôtre le plus décrié de tout le Nouveau Testament ! Les croyants aujourd’hui vous diront que ses épîtres sont incompréhensibles, qu’il est doctrinaire, colérique, antiféministe et antijuif… J’essaie dans mon livre de lui rendre justice sur tous ces points. Il est totalement faux, on l’aura compris, de le dire antiféministe.

Les épîtres qui renvoient les femmes à leur foyer (Colossiens, Éphésiens, les Pastorales) font partie de son héritage, mais elles ne sont pas de lui. Au cours des deux premiers siècles, sa pensée a été développée et amplifiée par ses disciples, trahie même parfois, ou du moins fortement biaisée. Je plaide pour que les pasteurs et les prêtres travaillent à corriger l’image néfaste de l’Apôtre, et surtout qu’ils actualisent sa pensée pour en montrer la modernité.

 

Certains chrétiens disent qu’ils aimeraient retrouver la ferveur des petites communautés pauliniennes. Est-ce une utopie ?

  1. M. :Quand on lit attentivement les deux Épîtres aux Corinthiens, celles qui nous renseignent le plus concrètement sur la vie de ces communautés, on voit qu’elles étaient en réalité agitées par de nombreuses tensions. Mais Paul leur indique le moyen de les assumer et de les dépasser.

Chaque fois qu’il se trouve face à une crise née de l’affrontement de positions antagonistes, il ne tranche pas pour les uns contre les autres, mais renvoie les uns et les autres à l’identité qu’ils ont reçue de Dieu et qui leur confère une égale valeur. À partir de là, il les incite à considérer le problème autrement et à accepter les différences. Beau modèle de gestion des conflits, non ? Dans le fond, Paul ne cherchait pas à accroître la ferveur. Ce qu’il voulait faire comprendre, c’est comment se construit l’identité croyante. Sur ce point, il est résolument moderne.

Moderne, pour quelles raisons ?

 

  1. M. :Parce qu’il affirme que l’homme et la femme, s’ils font confiance à Dieu, sont accueillis inconditionnellement. C’est ce que l’on appelle « la justification par la foi ». Paul n’a pas cherché à rendre les gens plus religieux. Il est venu dire : « Vous avez reçu par votre baptême une identité qui a changé votre rapport à Dieu, à vous-mêmes et aux autres. »Cette nouvelle identité demande que, au sein de la communauté croyante, on considère les autres comme des frères et des sœurs de même valeur et de même statut que soi-même, admis, accueillis et valorisés par Dieu quelle que soit leur origine.

Cette égalité de valeur et de statut, ce refus de toute discrimination sociale constituent son modèle d’Église… un modèle qu’aujourd’hui la chrétienté échoue à réaliser. Car, bien sûr, cette reconnaissance réciproque crée des tensions : comment un homme qui méprise les femmes ou un maître qui méprise les esclaves peut-il changer du jour au lendemain parce qu’il est baptisé et prend part à l’Eucharistie ? C’est pourtant, selon Paul, ce qu’il est appelé à faire dans la communauté.

Après la mort de l’Apôtre, ce modèle a décliné parce qu’il contredisait frontalement le fonctionnement de la société. Pourtant, c’est la vocation de l’Église que de constituer ce que Paul appelle « le corps du Christ » (1Co 12), dont chaque organe est indispensable à l’ensemble. Il n’y a rien de plus novateur, plus prometteur, plus moderne que cette idée.

  

Que pensez-vous que Paul dirait aux chrétiens d’aujourd’hui ?

 M. :Je pense qu’il exprimerait de l’effarement et de l’indignation devant les divisions du christianisme. Je crois aussi qu’il s’affligerait de constater la pauvreté de la vie communautaire des chrétiens. Car pour lui, c’est par la vie communautaire que passe l’expression de la nouvelle identité reçue du baptême. Il reprocherait aux croyants de négliger ce que Dieu a fait d’eux par leur baptême, de vivre en dessous de leur identité, de consentir aux discriminations dictées par la société.

Le christianisme, aujourd’hui, me semble fatigué, pour ne pas dire défaitiste. Or, la lecture de Paul est stimulante. C’est un auteur créatif, il a de l’ambition pour le christianisme ! Si la chrétienté veut revitaliser sa culture, il serait bon qu’elle lise et relise ses épîtres. La vision qu’a Paul de l’identité chrétienne est notre futur, pas notre passé.

Daniel Marguerat, rendre justice aux textes

Pasteur de l’Église réformée, Daniel Marguerat a étudié à Lausanne, en Suisse – où il est né en 1943 –, et à Göttingen, en Allemagne. Il a enseigné le Nouveau Testament à l’université de Lausanne, s’intéressant tout particulièrement au Jésus de l’histoire, à l’Apôtre Paul et aux Actes des Apôtres. Il a conduit une recherche de pointe sur ces trois thèmes, et publié de nombreux ouvrages. Formé initialement à l’analyse historico-critique des textes, il découvre aux États-Unis l’analyse narrative et l’analyse rhétorique. Il cherche aujourd’hui à croiser différents types de lecture pour mieux rendre justice aux textes. Parmi ses derniers livres parus, figurent Jésus et Matthieu.À la recherche du Jésus de l’histoire (Labor et Fides, 2016), L’Historien de Dieu.Luc et les Actes des Apôtres (Labor et Fides, 2018), Vie et destin de Jésus de Nazareth, (Seuil, 2019) et Paul de Tarse. L’enfant terrible du christianisme (Seuil, 2023).

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Dimanche 30 avril 2023 : 4ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 30 avril 2023 : 4ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2,14a.36-41

Le jour de la Pentecôte,
14 Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
éleva la voix et fit cette déclaration :
36 « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude :
Dieu l’a fait Seigneur et Christ,
ce Jésus que vous aviez crucifié. »
37 Les auditeurs furent touchés au cœur ;
ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres :
« Frères, que devons-nous faire ? »
38 Pierre leur répondit :
« Convertissez-vous,
et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ
pour le pardon de ses péchés ;
vous recevrez alors le don du Saint-Esprit.
39 Car la promesse est pour vous,
pour vos enfants
et pour tous ceux qui sont loin,
aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. »
40 Par bien d’autres paroles encore,
Pierre les adjurait et les exhortait en disant :
« Détournez-vous de cette génération tortueuse,
et vous serez sauvés. »
41 Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre
furent baptisés.
Ce jour-là, environ trois mille personnes
se joignirent à eux.

LA PENTECOTE, FETE DE L’ACCOMPLISSEMENT DU PROJET DE DIEU
Nous continuons la lecture du discours de Pierre à Jérusalem au matin de la Pentecôte ; parce qu’il est désormais rempli de l’Esprit-Saint, il lit « à livre ouvert », si j’ose dire, dans le projet de Dieu : tout lui paraît clair ; il se souvient du prophète Joël qui avait annoncé « Je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3,1) et pour lui, c’est l’évidence, nous sommes au matin de l’accomplissement de cette promesse : c’est par Jésus, rejeté, supprimé par les hommes, mais ressuscité, exalté par Dieu que l’Esprit est répandu sur toute chair.
Ces gens qui sont en face de lui, ce sont des pèlerins juifs venus de tous les coins de l’Empire Romain : ils sont partis de chez eux, parfois de très loin, du fin fond de la Mésopotamie, ou de la Turquie, ou d’Egypte et de Lybie, par obéissance à la Loi de Moïse ; et ils ne sont pas venus faire du tourisme ; ils sont venus en pèlerinage pour célébrer la fête de la Pentecôte, la fête du don de la Loi ; pendant tout le trajet, et encore une fois arrivés au Temple de Jérusalem, ils ont chanté les psaumes et prié Dieu de faire venir son Messie.
La tâche de Pierre, ce matin-là, c’est donc de leur ouvrir les yeux : oui, le Messie dont vous n’avez pas cessé de parler ces jours-ci, c’est bien lui, qui a été exécuté ici même à Jérusalem, il y a quelques semaines. « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »
Pour  des auditeurs juifs, ces titres de  « Seigneur » et « Christ » décernés à Jésus sont très osés : le mot « Christ » est la traduction en grec du mot hébreu « Messie » ; quant au mot « Seigneur », il était appliqué tantôt à Dieu tantôt au Messie ; dans le psaume 109/110, par exemple, vous connaissez la phrase « Le SEIGNEUR a dit à mon Seigneur »… qui voulait dire « Le SEIGNEUR Dieu a dit à mon Seigneur, le roi (sous-entendu le Messie) ». Pierre ne l’emploie certainement pas encore au sens de « Jésus est Dieu », c’était par trop impensable pour des Juifs, lui compris.
LE MESSIE EST PARMI NOUS
Mais il veut bien dire par là, ce qui est déjà considérable, que l’homme de Nazareth est le Messie attendu : c’est donc faire reposer sur Jésus toute l’espérance d’Israël ; or si, de très bonne foi, des quantités de contemporains de Jésus ont pu vouloir la mort de Jésus, c’est que son caractère de Messie n’était pas du tout évident.
Les auditeurs de Pierre furent « touchés au cœur  », nous dit Luc ; là on aborde le mystère de la conversion : ils étaient venus à Jérusalem en pèlerinage, donc le cœur  ouvert, certainement. Et Pierre a su toucher leurs cœurs .
Ils posent la même question très humble qu’on posait à Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain  : « Que devons-nous faire ? » (verset 37) ; et la réponse est la même également, tout aussi simple : « Convertissez-vous » (verset 38)… et un peu plus tard, Pierre reprend une formule analogue : « Détournez-vous de cette génération tortueuse » ; se convertir, dans le langage biblique, c’est précisément se retourner, faire demi-tour ; l’image qui est derrière ces expressions, c’est celle de deux routes (on disait deux voies) : on peut se tromper de chemin ; « génération tortueuse » veut dire « qui n’est plus sur la route droite ». Dans cette expression  « génération tortueuse », il ne faut certainement pas lire du mépris : Pierre fait une simple constatation. La génération contemporaine du Christ et des apôtres a été affrontée à un véritable défi : reconnaître en Jésus le Messie qu’on attendait malgré toutes les apparences contraires ; et elle a commis une erreur de jugement, elle s’est trompée de chemin. Et cette constatation de Pierre est un appel pour ses auditeurs, un appel à se convertir, à faire demi-tour.
Concrètement, se convertir, c’est demander le Baptême « au nom du Christ » ; et nous avons là  une petite catéchèse du Baptême tel que les apôtres en parlaient dès le début de l’Eglise. « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés. Vous recevrez alors le don du Saint-Esprit ».
EN ATTENDANT LE JOUR OU L’HUMANITE TOUT ENTIERE ACCUEILLERA L’ESPRIT
Car, dit-il, « la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Ici, il rapproche, pour des auditeurs juifs, donc familiers des Ecritures, deux textes de l’Ancien Testament ; d’abord l’annonce du prophète Joël citée plus haut (« Je répandrai mon Esprit sur toute chair ») ; et puis une phrase d’Isaïe qui était bien connue  : « La paix à celui qui est loin (sous-entendu les païens), et à celui qui est proche (le peuple élu) » (Isaïe 57,19). Le peuple d’Israël se sentait proche de Dieu, grâce à sa vie dans l’Alliance : il était le peuple choisi, le fils, comme disait le prophète Osée. Les autres peuples lui paraissaient étrangers à Dieu, éloignés de Dieu. Et quand Isaïe dit que « la paix est aussi pour ceux qui sont loin », il rappelle ce que le peuple élu a retenu de la promesse faite à Abraham : à savoir que l’humanité tout entière est concernée par ce qu’on pourrait appeler « le plan de paix de Dieu ».
Ce jour-là ils furent trois mille à se faire baptiser, trois mille Juifs qui devinrent Chrétiens ; ils faisaient partie de ceux que Pierre appelait les « proches ». Mais peu à peu, au long du livre des Actes, puis de l’histoire de l’Eglise, ceux qui étaient loin vont rejoindre les appelés de Dieu. C’est à eux que Paul dira dans la lettre aux Ephésiens :
« Maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité. » (Ep 2,13-14).

PSAUME – 22 (23)

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

LE PEUPLE ELU, TRESOR DE DIEU
Nous avons déjà rencontré ce psaume 22/23 il y a quelques semaines pour le quatrième dimanche de Carême, et j’avais insisté sur trois points :
Premier point : comme toujours dans les psaumes c’est d’Israël tout entier qu’il est question, même si la personne qui parle dit « JE » .
Deuxième point : pour dire son expérience croyante, Israël utilise deux comparaisons, celle du lévite qui trouve son bonheur à habiter dans la Maison de Dieu et celle du pèlerin qui participe au repas sacré qui suit les sacrifices d’action de grâce. Mais il faut lire entre les lignes : à travers ces deux comparaisons, il faut entendre l’expérience du peuple élu, vivant dans l’émerveillement et la reconnaissance l’Alliance proposée par Dieu.
Troisième point : Les premiers Chrétiens ont trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur propre expérience de baptisés ; et ce psaume 22/23 est devenu dans la primitive Eglise le chant attitré des célébrations de Baptême.
Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter tout simplement sur le premier verset : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ». Dans le même esprit, le prophète Michée exprimait cette prière : « (Seigneur), avec ta houlette, sois le pasteur de ton peuple, le troupeau qui t’appartient » (Michée 7,14)… Je remarque au passage que c’est le peuple qui est le patrimoine de Dieu ; dans le psaume 15/16, nous avions rencontré l’expression  inverse : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage. » (Ps 15/16,5-6).1 C’est bien la réciprocité de l’Alliance qui est dite là.
Dans un pays d’éleveurs, un troupeau c’est la richesse d’une famille et le livre des Proverbes donne des conseils pour l’entretien de ce patrimoine : « Juge bien de la mine de tes moutons et prends soin de tes troupeaux, car la richesse n’est pas éternelle ni les trésors2 assurés d’âge en âge ! » (Pr 27,23). Ce qui veut dire que quand on compare Dieu à un berger et donc Israël à son troupeau, on ose penser que le peuple élu est un trésor pour son Dieu. Ce qui est une belle audace !
L’emploi d’un tel vocabulaire est donc une invitation à la confiance : Dieu est représenté comme un bon pasteur : c’est-à-dire celui qui  rassemble, qui guide, qui nourrit, qui soigne, qui protège et qui défend… en un mot, c’est celui qui veille sur tous les besoins de son troupeau. Tout cela, on le dit de Dieu : je vous en cite quelques exemples :
le berger qui  rassemble,  je le trouve encore chez le prophète Michée : « Moi, je veux te rassembler tout entier, Jacob, je veux réunir le reste d’Israël ! Je les mettrai ensemble… comme un troupeau au milieu de son pâturage… » (Mi 2,12) ; et encore : « Ce jour-là – oracle du SEIGNEUR – je rassemblerai les brebis boiteuses, je réunirai les égarées » (Mi 4,6). Et Sophonie reprend le même thème : « Je sauverai la brebis boiteuse, je rassemblerai celles qui sont égarées ». (So 3,19). Ce qui veut dire, au passage, que chaque fois que nous faisons œuvre de division, nous travaillons contre Dieu !
DIEU, COMME UN BERGER ATTENTIONNE
le berger-guide et défenseur de son troupeau, nous le retrouvons souvent dans les psaumes : en particulier dans le psaume 94/95 qui est la prière du matin de chaque jour dans la liturgie des Heures : « Nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main ». (Ps 94/95,7). De même dans le psaume 77/78 : « Tel un berger, il conduit son peuple, il pousse au désert son troupeau, il les guide et les défend, il les rassure. » (Ps 77/78,52 ) ; et le psaume 79/80 commence par cet appel : « Berger d’Israël écoute, toi qui conduis Joseph, ton troupeau… révèle ta vaillance et viens nous sauver »  (Ps 79/80,2).
Evidemment, c’est dans les périodes difficiles, quand le troupeau (traduisez Israël) se sent mal dirigé, délaissé, malmené ou pire maltraité, que les prophètes recourent le plus souvent à cette image du vrai bon berger, pour redonner espoir ; on ne s’étonne donc pas de retrouver ce thème chez le deuxième Isaïe, celui qui a écrit le livre intitulé « Livre de la Consolation d’Israël ».
Par exemple : « Comme un berger, il fait paître son troupeau, son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur , il mène les brebis qui allaitent. » (Is 40,11) ; et encore : « Au long des routes ils pourront paître ; sur les hauteurs dénudées seront leurs pâturages. Ils n’auront ni faim ni soif, le vent brûlant et le soleil ne les frapperont plus. Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,9-10).
J’ai gardé pour la fin ce magnifique texte d’Ezéchiel que vous connaissez : « Car ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées…Je les ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans les vallées, dans les endroits les meilleurs. Je les ferai paître dans un bon pâturage, et leurs prairies seront sur les hauteurs d’Israël. Là, mes brebis se reposeront dans de belles prairies, elles brouteront dans de gras pâturages, sur les monts d’Israël. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du SEIGNEUR Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. » (Ez 34,11s).
A notre tour, nous  chantons ce psaume 22/23 parce que Jésus s’est présenté lui-même comme le berger des brebis perdues ; il nous invite à mettre notre confiance dans la tendresse du Dieu-pasteur ; mais, plus largement, en un moment où tant d’hommes traversent des « jours de nuages et de sombres nuées », nous sommes invités également à contempler l’image du bon Pasteur, pour nous comporter en imitateurs du Père et en continuateurs du Fils.
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Notes
1 – Voir le commentaire de ce psaume au Troisième Dimanche de Pâques – A.
2 – En hébreu, le mot employé signifie « diadème ».
Complément
Le rassemblement du troupeau de Dieu réparti dans le monde entier annoncé par les prophètes voit un début de réalisation au matin de la Pentecôte : Pierre s’adresse à une foule de tous horizons.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 2, 20b-25

Bien-aimés,
20 si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien,
c’est une grâce aux yeux de Dieu.
21 C’est bien à cela que vous avez été appelés,
car c’est pour vous que le Christ,
lui aussi, a souffert ;
il vous a laissé un modèle
afin que vous suiviez ses traces.
22 Lui n’a pas commis de péché ;
dans sa bouche,
on n’a pas trouvé de mensonge.
23 Insulté, il ne rendait pas l’insulte,
dans la souffrance, il ne menaçait pas,
mais il s’abandonnait
à Celui qui juge avec justice.
24 Lui-même a porté nos péchés,
dans son corps, sur le bois,
afin que, morts à nos péchés,
nous vivions pour la justice.
Par ses blessures, nous sommes guéris.
25 Car vous étiez errants
comme des brebis ;
mais à présent vous êtes retournés
vers votre berger, le gardien de vos âmes.

SUR LES TRACES DU CHRIST
Dans ce passage, Pierre s’adresse à une catégorie sociale toute particulière : ce sont des esclaves  (on sait que l’esclavage existait encore à son époque) ; or, en droit romain, l’esclave était à la merci de son maître, il était un objet entre ses mains. Il arrivait donc que des esclaves subissent des mauvais traitements sans autre raison que le bon plaisir de leurs maîtres ; et être un esclave chrétien chez un maître non chrétien exposait certainement à des brimades supplémentaires.
Pierre leur dit en substance : imitez le Christ : lui aussi était esclave à sa manière, puisqu’il a mis sa vie tout entière au service de tous les hommes. Or, comment s’est-il comporté ? « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. »
Je reprends le raisonnement de Pierre au début : « Si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. » Ce qui est une grâce, ce n’est pas de souffrir, c’est d’être capable de se conduire comme le Christ lorsqu’on est dans la souffrance. On ne redira jamais assez qu’il n’y a pas de vocation du Chrétien à la souffrance ; mais, dans la souffrance, un appel à tenir bon à l’exemple du Christ. Suivre les traces du Christ, suivre son exemple, ce n’est pas souffrir pour souffrir, c’est tenir bon dans la souffrance comme lui : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »
Pierre en profite pour rappeler le Credo des chrétiens : « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. »
Voilà bien ce qui est au cœur  de notre catéchisme et en même temps la chose la plus difficile du monde à comprendre ! Nous affirmons « Dieu nous sauve… Christ est mort pour nos péchés », mais comment aller plus loin ? Comment expliquer ? De quoi nous sauve-t-il ? Comment nous sauve-t-il ?
Pour commencer, il me semble que nous entendons ici une définition du salut : être sauvés, c’est devenir « capables de vivre pour la justice ». Nous sommes guéris de nos blessures, comme dit Pierre. Nos blessures à nous, ce sont nos incapacités d’aimer et de donner, de pardonner, de partager ; c’est une humanité déboussolée : au lieu d’être centrée sur Dieu, l’humanité a perdu sa boussole, elle est désorientée ; Pierre dit « Vous étiez errants comme des brebis ». « Mourir à nos péchés », pour reprendre l’expression de Pierre, c’est être capables de vivre autrement, de vivre pour la justice, c’est-à-dire dans la fidélité au projet de Dieu.
DEVENIR CAPABLES DE PARDONNER COMME LUI
Reste à savoir comment la croix du Christ a pu opérer ce salut : d’après Pierre, « c’est par ses blessures que nous sommes guéris ». Or les blessures du Christ, n’oublions pas que ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes qui les lui ont infligées. Le Christ est mort parce qu’il a eu le courage de porter témoignage à son Père, de se comporter en homme de prière et de paix, de s’opposer à toute forme de mépris ou d’exclusion. Mais le Père dont il parlait ne répondait pas à l’image que s’en faisaient la majorité de ses contemporains ; Jésus, lui, malgré les menaces, n’a pas changé de ligne de conduite : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité », disait-il (Jn 18,37). Alors on l’a supprimé. Mais, même sur la croix, il a continué à rendre témoignage à son Père en révélant jusqu’où va le pardon de Dieu. Ses derniers mots sont encore des mots d’amour : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Alors, cette croix qui était le lieu de l’horreur absolue, de la haine humaine déchaînée est devenue, grâce au Christ, le lieu de l’amour absolu dans ce pardon du Christ à ses bourreaux.
Et, désormais, il nous suffit de contempler la croix, de croire à cet amour de Dieu pour l’humanité, révélé dans la croix du Christ, pour être transformés, convertis, réorientés ; comme le disait Zacharie « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10). Alors nous sommes guéris, sauvés, c’est-à-dire rendus capables à nouveau d’aimer et de pardonner comme lui. Si nous voulons bien nous laisser attendrir par cette attitude d’amour absolu de Jésus et de son Père, nos cœurs  de pierre deviennent cœurs  de chair. Et nous devenons capables de vivre comme lui. Et d’autres, alors, pourront se laisser transformer à leur tour. C’est comme une contagion qui doit se répandre.
Car l’œuvre  de transformation de l’humanité tout entière n’est pas terminée ! Il faut donc encore des témoins de l’amour et du pardon de Dieu : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups », disait Jésus. Quand Pierre dit : « Le Christ vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces », il nous rappelle que, à notre tour, nous devons prendre sa suite pour, avec lui, continuer l’œuvre  du salut de l’humanité.

EVANGILE – selon Saint Jean 10, 1-10

En ce temps-là, Jésus déclara :
1 « Amen, amen, je vous le dis :
celui qui entre dans l’enclos des brebis
sans passer par la porte,
mais qui escalade par un autre endroit,
celui-là est un voleur et un bandit.
2 Celui qui entre par la porte,
c’est le pasteur, le berger des brebis.
3 Le portier lui ouvre,
et les brebis écoutent sa voix.
Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom,
et il les fait sortir.
4 Quand il a poussé dehors toutes les siennes,
il marche à leur tête,
et les brebis le suivent,
car elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger
mais elles s’enfuiront loin de lui,
car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens,
mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait.
7 C’est pourquoi Jésus reprit la parole :
« Amen, amen, je vous le dis :
Moi, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi
sont des voleurs et des bandits ;
mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Moi, je suis la porte.
Si quelqu’un entre en passant par moi,
il sera sauvé ;
il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage.
10 Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr.
Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie,
la vie en abondance. »

PRENEZ GARDE AUX MAUVAIS BERGERS
La cohérence des textes de ce dimanche est particulièrement frappante ! Le psaume, puis la deuxième lecture et maintenant l’évangile nous transportent dans une bergerie. Le psaume comparait la relation de Dieu avec Israël à la sollicitude d’un berger pour son troupeau ; il disait « le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, saint Pierre comparait les hommes qui n’ont pas la foi en Jésus-Christ à des brebis perdues : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » Et, ici, dans l’évangile de Jean, Jésus développe son long discours sur le bon pasteur.
Une bergerie, ce n’est pas un spectacle habituel pour une bonne partie d’entre nous, il faut bien le dire. Il faut donc que nous fassions l’effort d’imaginer le paysage du Proche-Orient, le troupeau regroupé pour la nuit dans un enclos bien gardé ; au matin le berger vient libérer les brebis et les emmène sur les pâturages.
Si nous avons un effort d’imagination à faire, en revanche ce genre de réflexion était très familier aux auditeurs de Jésus : parce que, tout d’abord, il y avait de nombreux troupeaux en Israël, et ensuite parce que les prophètes de l’Ancien Testament avaient pris l’habitude de ce genre de comparaisons. Nous en avons relu certains passages à propos du psaume. Je ne retiens qu’une phrase du prophète Isaïe qui insiste sur la sollicitude de Dieu envers son peuple : « Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,10). Enfin, du futur Messie on disait volontiers qu’il serait un berger pour Israël.
En même temps, les prophètes ne cessaient de mettre en garde contre les mauvais bergers qui représentent un véritable danger pour les brebis. C’est évidemment une affaire de vie ou de mort pour le troupeau. Jésus, à son tour, s’inscrit bien ici dans le même registre : il dit à la fois la sollicitude du berger pour ses brebis et le danger que représentent pour elles les faux bergers.
Ces thèmes familiers, il les reprend dans l’évangile de ce dimanche, sous la forme de deux petites comparaisons successives : celle du berger, puis celle de la porte. Il prend la peine de les introduire l’une et l’autre par la formule solennelle : « Amen, amen, je vous le dis ». Or cette expression introduit toujours du nouveau ; mais, justement, le thème du berger était bien connu, alors où est la nouveauté ? D’autre part, Jean précise que ces deux paraboles sont adressées aux Pharisiens : Jésus leur a raconté la première, mais, nous dit Jean, « ils ne comprirent pas ce que Jésus voulait leur dire. » Alors Jésus enchaîna sur la deuxième.
JE SUIS VENU POUR QUE LES BREBIS AIENT LA VIE EN ABONDANCE
Pourquoi les Pharisiens n’ont-ils pas compris la première ? Ils n’ont pas compris, ou pas voulu comprendre ? Peut-être tout simplement parce que, de toute évidence, Jésus laisse deviner qu’il est lui-même ce bon berger capable de faire le bonheur de son peuple ; et eux se voient ravaler du coup au rang de mauvais bergers. Ils ont donc parfaitement compris ce que Jésus veut dire, mais ils ne peuvent l’accepter. Ce serait admettre que ce Galiléen est le Messie, l’Envoyé de Dieu, or il ne ressemble en rien à l’idée qu’on s’en faisait. C’est peut-être la raison pour laquelle Jésus a pris soin de dire « Amen, amen, je vous le dis » ; chaque fois qu’il introduit un discours par cette entrée en matière, il faut être particulièrement attentif ; c’est l’équivalent de certaines phrases que l’on rencontre souvent chez les prophètes de l’Ancien Testament : quand l’Esprit de Dieu leur souffle des paroles dures à comprendre ou à accepter, ils prennent toujours bien soin de commencer et parfois de terminer leur prédication par des formules telles que « oracle du SEIGNEUR » ou « Ainsi parle le SEIGNEUR ». Même ainsi mis en garde, les Pharisiens n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce que Jésus voulait leur dire.
Mais il persiste ; Jean nous dit  « C’est pourquoi Jésus reprit la parole » ; on devine la patience de Jésus qui lui inspire cette nouvelle tentative pour convaincre son auditoire : « Je suis la porte des brebis… Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ». C’est une autre manière de dire qu’il est le Messie, le sauveur : par lui, le troupeau accède à la vraie vie. « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. » C’est presque une confidence : Jésus nous dit pourquoi il est venu.
Pour terminer je retiendrais volontiers une leçon de cet évangile : Jésus nous dit que les brebis suivent le berger parce qu’elles connaissent sa voix : derrière cette image pastorale, on peut lire une réalité de la vie de foi ; nos contemporains ne suivront pas le Christ, ne seront pas ses disciples si nous ne faisons pas résonner la voix du Christ, si nous ne faisons pas connaître la Parole de Dieu.  J’y entends une fois de plus un appel à faire entendre par tous les moyens « le son de sa voix ».
—————–
Complément
A plusieurs reprises dans l’évangile de Jean, Jésus révèle sa mission dans des termes qui sont tout à fait clairs ; tantôt, il insiste sur le fait qu’il est l’envoyé du Père : un jour, à Jérusalem, par exemple, il a dit « Je suis venu au nom de mon Père » (Jn 5,43) ; tantôt il dit le contenu de sa mission : à Pilate, il affirme : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) ; ailleurs il parle de sauver le monde : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. » (Jn 12,47). Ou encore : « Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. » (Jn 12,46).

ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PÂQUES, EVANGILE SELON SAINT LUC, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PIERRE, PSAUME 15

Dimanche 23 avril 2023 : 3ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 23 avril 2023 : 3ème dimanche de Pâqes

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2,14.22b-33

Le jour de la Pentecôte,
14 Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
éleva la voix et leur fit cette déclaration :
« Vous, Juifs,
et vous tous qui résidez à Jérusalem,
sachez bien ceci,
prêtez l’oreille à mes paroles.
22 Il s’agit de Jésus le Nazaréen,
homme que Dieu a accrédité auprès de vous
en accomplissant par lui des miracles, des prodiges
et des signes au milieu de vous,
comme vous le savez vous-mêmes.
23 Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu,
vous l’avez supprimé
en le clouant sur le bois par la main des impies.
24 Mais Dieu l’a ressuscité
en le délivrant des douleurs de la mort,
car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.
25 En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume :
Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite,
je suis inébranlable.
26 C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ;
ma chair elle-même reposera dans l’espérance :
27 tu ne peux m’abandonner au séjour des morts
ni laisser ton fidèle voir la corruption.
28 Tu m’as appris des chemins de vie,
tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
29 Frères, il est permis de vous dire avec assurance,
au sujet du patriarche David,
qu’il est mort, qu’il a été enseveli,
et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous.
30 Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré
de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui.
31 Il a vu d’avance la résurrection du Christ,
dont il a parlé ainsi :
Il n’a pas été abandonné à la mort,
et sa chair n’a pas vu la corruption.
32 Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ;
nous tous, nous en sommes témoins.
33 Élevé par la droite de Dieu,
il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis,
et il l’a répandu sur nous,
ainsi que vous le voyez et l’entendez.

LE DISCOURS DE PIERRE AU MATIN DE LA PENTECOTE
Le même Pierre, qui avait succombé à la peur pendant le procès de Jésus, au point de le renier publiquement, le même qui, après la mort du Christ, se calfeutrait avec les autres disciples dans une salle verrouillée, c’est bien le même que nous retrouvons aujourd’hui, un peu plus d’un mois après, (cinquante jours exactement) et cette fois, il improvise un grand discours devant des milliers de gens ! Il est debout ; si Luc note l’attitude de Pierre, c’est parce qu’elle est symbolique : d’une certaine manière Pierre est en train de se réveiller, de revivre, de se relever…
Première remarque avant d’aller plus loin : jusque là Pierre n’a donc pas été un modèle d’audace et c’est à lui que Jésus confie désormais la mission la plus audacieuse : continuer l’œuvre  d’évangélisation, une mission qui a coûté la vie au Fils de Dieu lui-même ! Celui qui avait renié son maître il n’y a pas si longtemps se réjouira bientôt d’être persécuté pour avoir trop parlé. C’est certainement l’un des plus grands miracles des Actes des Apôtres ! Quand je dis miracle, je veux dire que cette force toute neuve, cette audace, Pierre ne la puise pas en lui-même, elle est don de Dieu.
Je reviens à cette matinée de Pentecôte, l’année de la mort de Jésus ; Jérusalem grouille de monde. Comme chaque année, des pèlerins sont venus de partout pour cette fête de Pentecôte ; ce sont des Juifs, et s’ils sont venus en pèlerinage à Jérusalem, c’est parce que, tout comme Pierre et les autres apôtres de Jésus, ils partagent l’espérance d’Israël ; tout au long du trajet, et ils viennent parfois de très loin, ils ont chanté les psaumes en suppliant Dieu de hâter la venue de son Messie.
Précisément, Pierre s’appuie sur cette espérance pour annoncer : ce Messie que vous attendez, il est venu, nous avons eu le privilège de le connaître. Dieu a accompli sa promesse : le nouveau monde est déjà commencé. A première vue, les auditeurs de Pierre sont les hommes du monde les mieux préparés à entendre ce message : puisque toute leur vie de prière mais aussi leur vie quotidienne est baignée dans la mémoire des œuvres  de Dieu pour son peuple et dans l’attente du Messie, celui qui accomplira la libération définitive d’Israël et de l’humanité tout entière.
DIEU A ACCOMPLI SA PROMESSE : LE NOUVEAU MONDE EST DEJA COMMENCE
Et donc, Pierre insiste dans son discours sur cet aspect de continuité de l’œuvre  de Dieu qui est pour lui une évidence ; et je crois que c’est très important que nous retrouvions ce sens de la continuité de l’œuvre  de Dieu, si nous voulons approcher la Bible. Pour mettre en évidence cette continuité, Pierre invoque le témoignage du psaume 15/16 ; mais je n’en parle pas ici parce que c’est précisément celui que la liturgie nous propose pour ce troisième dimanche de Pâques, nous aurons donc l’occasion d’en reparler.
En même temps, les auditeurs de Pierre sont aussi les moins préparés à accepter les paroles de Pierre : précisément parce que, s’ils attendent le Messie depuis toujours, ils ont eu le temps de se faire des idées sur lui, des idées d’hommes… Or Dieu ne peut que surprendre nos idées d’hommes…
L’un des aspects les plus inacceptables du mystère de Jésus, pour ses contemporains, c’est sa mort sur la croix. Le Vendredi Saint, Jésus, abandonné de tous, semblait bien maudit de Dieu lui-même. Il ne pouvait donc pas être le Messie… du moins selon les idées des hommes. Et pourtant, les apôtres l’ont compris le soir de Pâques, il était bien le Messie envoyé par Dieu ; s’ils l’ont compris, c’est parce qu’ils ont été témoins de la Résurrection de Jésus : alors seulement ils ont pu s’ouvrir aux pensées de Dieu et comprendre la mission de Jésus.
Pierre sait bien tout cela et c’est pour cette raison qu’il insiste sur l’accomplissement du projet de Dieu en Jésus : « Il s’agit de Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous… Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu… Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité… Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis… ».
Pierre termine en faisant appel à l’expérience de ses auditeurs ; il leur dit : « C’est ce que vous voyez et entendez » (verset 33) et, là, il parle du spectacle que donnent les apôtres désormais. Il sait qu’on ne peut devenir témoin à son tour que lorsqu’on a l’expérience de l’œuvre  de Dieu. Pour les auditeurs de Pierre, qui n’ont pas été directement témoins de la résurrection, la seule expérience possible, c’est celle de voir et entendre les douze apôtres transformés par l’Esprit-Saint. Pour nos contemporains, c’est la même chose : cela veut dire l’urgence pour nos communautés chrétiennes de se laisser transformer par l’Esprit.

PSAUME – 15 (16)

1 Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
2 J’ai dit au SEIGNEUR : « Tu es mon Dieu !
5 SEIGNEUR, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille :
même la nuit mon cœur  m’avertit.
8 Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

9 Mon cœur  exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
10 tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

11 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
à ta droite, éternité de délices !

LE PRIVILEGE DES CONSACRES
« Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur , Tu es mon héritage, En Toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, Toi, mon seul partage. » Vous avez reconnu là un negro spiritual célèbre… c’est le psaume 15/16.
Dans les versets qui nous sont proposés aujourd’hui, certaines phrases semblent traduire un bonheur parfait ; tout a l’air si simple ! « J’ai dit au SEIGNEUR : Tu es mon Dieu !… J’ai fait de toi mon refuge… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi… »
D’autres versets sont l’écho d’un danger et Israël supplie : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
Je reprends ces deux points l’un après l’autre : premièrement le bonheur d’Israël : « Mon cœur  exulte, mon âme est en fête… SEIGNEUR, mon partage et ma coupe… Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » Ici le peuple d’Israël est comparé à un « lévite », un prêtre, qui « demeure » sans cesse dans le temple de Dieu, qui vit dans l’intimité de Dieu : la vie des lévites, consacrés au Seigneur offrait une image très parlante de la vie du peuple tout entier.
Par exemple, l’expression « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » (verset 5) est une allusion à leur statut particulier : au moment du partage de la terre d’Israël entre les tribus des descendants de Jacob, (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n’avaient pas reçu de part : leur part c’était la Maison de Dieu (c’est-à-dire le service du Temple), le service de Dieu… Leur vie tout entière était consacrée au culte ; ils n’avaient pas de territoire ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier du culte » de l’époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice. Du coup on comprend cet autre verset de ce psaume que nous n’entendons pas ce dimanche : « La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ». Enfin, ils gardaient le Temple jour et nuit et c’est ce à quoi fait allusion la formule du verset 7 : « Même la nuit mon coeur m’avertit ».
On voit bien comment ce statut très particulier, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une image du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations.
LE COMBAT DE LA FIDELITE
Mais on entend également dans ce psaume une tout autre tonalité : on entend les échos d’un danger et la supplication : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »
Car, en réalité, les choses sont moins roses qu’il n’y paraît. On ne sait pas dater la composition de ce psaume : les circonstances auxquelles il fait allusion pourraient convenir à plusieurs époques ; mais, en tout cas, l’appel au secours du début, « Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge » et les affirmations répétées de confiance laissent supposer une période dans laquelle, justement, la confiance était difficile. Cet appel au secours est tout autant une profession de foi : il traduit un combat terrible, le combat de la fidélité à la vraie foi, c’est-à-dire le combat contre l’idolâtrie, le combat de la fidélité au Dieu unique.
Par exemple, un autre verset de ce psaume dit : « Toutes les idoles du pays, ces dieux que j’aimais, ne cessent d’étendre leurs ravages, et l’on se rue à leur suite. » Cela prouve bien que Israël a parfois succombé à l’idolâtrie mais il prend l’engagement de ne plus y retomber : l’affirmation « J’ai fait de toi, mon Dieu, mon seul refuge » traduit cette résolution. Du coup on comprend mieux combien l’image du lévite est parlante : c’est une manière de dire « en choisissant de rester fidèle au vrai Dieu, le peuple d’Israël a fait le vrai choix qui le fait entrer dans l’intimité de Dieu ».
LA CONFIANCE A TOUT PRIX
La confiance d’Israël lui inspire des phrases étonnantes : par exemple l’expression « Eternité de délices » ou bien encore « Tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; on peut se demander : quand le psaume est écrit, est-il déjà confusément une première amorce de la foi en la Résurrection ? En réalité, cette affirmation est une supplication, ou plutôt une plaidoirie ; vous savez que la foi en la Résurrection individuelle n’est apparue que très tard en Israël ; c’est du peuple qu’il est question ici : sa survie est en péril par sa faute (l’idolâtrie, justement) mais il sait que Dieu ne l’abandonnera pas et c’est pourquoi il affirme « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; c’est bien du peuple qu’il s’agit.
Par la suite, vers le deuxième siècle avant Jésus-Christ, quand on a commencé à croire à la résurrection de chacun d’entre nous, la phrase « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » a été relue dans ce sens.
Plus tard, les Chrétiens ont également relu ce psaume à leur manière, nous l’avons entendu dans la première lecture de ce dimanche : Pierre, le matin de la Pentecôte, a cité ce psaume aux pèlerins juifs venus nombreux à Jérusalem pour la fête. Pour leur montrer que Jésus était bien le Messie, Pierre leur a dit : quand David composait ce psaume, et disait « tu ne peux m’abandonner à la mort » sans le savoir il annonçait la Résurrection du Messie ; or Jésus est ressuscité, c’est donc bien de lui que David parlait, sans savoir le nommer, évidemment.
Nous avons là un exemple de la première prédication chrétienne adressée à des Juifs : c’est-à-dire comment les premiers apôtres relisaient la tradition juive en y découvrant tout-à-coup une nouvelle dimension, l’annonce de Jésus-Christ.
Au long des siècles, donc, ce psaume a porté la prière d’Israël dans l’attente du Messie et il s’est enrichi peu à peu de sens nouveaux… Ce sera le rôle de la première génération chrétienne de découvrir et de montrer que les Ecritures trouvent leur sens plénier en Jésus-Christ.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 1,17-21

Bien-aimés,
17 si vous invoquez comme Père
celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre,
vivez donc dans la crainte de Dieu,
pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers.
18 Vous le savez :
ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or,
que vous avez été rachetés
de la conduite superficielle héritée de vos pères ;
19 mais c’est par un sang précieux,
celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ.
20 Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance
et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous.
21 C’est bien par lui que vous croyez en Dieu,
qui l’a ressuscité d’entre les morts
et qui lui a donné la gloire ;
ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

DES NON-JUIFS DANS LES SYNAGOGUES
Nous avons lu dans la première lecture (tirée des Actes des Apôtres) le discours de Pierre le matin de Pentecôte : un modèle de ce qu’était la première prédication chrétienne lorsqu’elle s’adressait à des Juifs ; voici maintenant avec la lettre de Pierre une prédication adressée à des anciens païens, des non-Juifs devenus chrétiens ; évidemment le discours n’est pas tout-à-fait le même ; c’est le B.A. BA de la communication d’adapter son langage à son auditoire !
J’ai dit qu’il s’agissait de non-Juifs ; on ne sait pas exactement à qui cette lettre est adressée : dans les premières lignes, Pierre dit seulement qu’il écrit aux « élus qui vivent en étrangers » dans les cinq provinces de notre Turquie actuelle, (le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie). Ce qui incite à penser qu’ils n’étaient pas d’origine juive, c’est la phrase « vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères » : Pierre, Juif lui-même, ne dirait pas une telle phrase à des Juifs… il sait trop bien quelle espérance traverse les Ecritures et à quel point toute la vie de son peuple est tendue vers Dieu ; impossible de parler d’une « conduite superficielle » !
Mais s’il s’agit de non-Juifs, comme on le croit, la première chose qui saute aux yeux dans ce simple passage, c’est le nombre impressionnant d’allusions à la Bible : par exemple des expressions comme « le sang de l’Agneau sans défaut et sans tache », « le Père qui juge impartialement », la « crainte de Dieu » ; si Pierre les emploie sans les expliquer, c’est que son auditoire les connaît. Est-ce possible si ce sont des non-Juifs ?
DE LA SYNAGOGUE A L’EGLISE
Voilà l’hypothèse la plus probable : autour des synagogues gravitaient de nombreux sympathisants et parmi eux un nombre important de ceux que l’on appelait les « craignant Dieu » : ils étaient si proches du Judaïsme qu’ils pratiquaient le shabbat et donc entendaient toutes les lectures de la synagogue le samedi matin ; par conséquent, ils connaissaient très bien les Ecritures juives ; mais ils n’avaient jamais été jusqu’à demander la circoncision. On croit savoir que les premiers Chrétiens se sont recrutés majoritairement parmi eux.
Je reviens sur deux formules de la lettre de Pierre qui peuvent nous heurter si nous ne les replaçons pas dans leur contexte biblique :
L’expression « crainte de Dieu », d’abord ; elle a un sens tout particulier dans la Bible précisément parce que Dieu s’est révélé à son peuple comme un « Père » ; rappelez-vous la phrase du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour celui qui le craint » ; la crainte de Dieu, ce n’est donc pas la peur, c’est une attitude filiale faite de tendresse, de respect, de vénération, et d’une confiance totale. Pierre le dit bien : « Vous invoquez Dieu comme votre Père… vivez donc dans la crainte de Dieu » ; c’est logique : vous l’invoquez comme votre Père, alors, conduisez-vous en fils. Je reprends encore une fois cette phrase, mais en entier cette fois : « Si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu ». D’après l’insistance de Pierre sur « celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre » on devine que certains de ces nouveaux Chrétiens, qui venaient du paganisme, étaient complexés par rapport aux Chrétiens d’origine juive ; Pierre veut donc les rassurer ; il leur dit en substance « Vous êtes fils tout comme les autres, conduisez-vous en fils, tout simplement ».
Deuxième formule qui risque de nous heurter : « Vous avez été rachetés … par le sang précieux du Christ » ; j’ai volontairement tronqué la phrase, car c’est sous cette forme raccourcie qu’elle nous choque ; nous sommes tentés d’y voir un affreux marchandage, sans bien pouvoir dire, d’ailleurs, entre qui et qui.
LE SALUT DE DIEU EST GRATUIT
Si je prends, au contraire, la phrase de Pierre en entier : « Ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ », je découvre deux choses :
Premièrement, il ne s’agit pas de marchandage, notre libération est « gratuite », je devrais dire « gracieuse », c’est-à-dire donnée ; Pierre prend bien peine de dire : « Ce n’est pas l’or et l’argent »2, manière de dire « c’est gratuit ». La lettre aux Colossiens dit bien : « Dieu a jugé bon que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié. » (Col 1,19).
Deuxièmement, Pierre ne met pas l’accent là où nous le mettons, nous. Le sang d’un agneau sans défaut et sans tache, c’est celui qu’on versait chaque année pour la Pâque et qui signait la libération d’Israël de tous les esclavages ; ce sang versé annonçait l’œuvre  permanente de Dieu pour libérer son peuple. C’est donc, pour un lecteur averti de l’Ancien Testament, un rappel de fête, la fête de la liberté en quelque sorte, d’une liberté en marche vers la Terre Promise. Or, dit Pierre, la libération définitive est accomplie en Jésus-Christ, désormais vous êtes entrés dans une vie nouvelle (c’est encore mieux que la Terre Promise). Cette libération consiste précisément en ceci que vous invoquez Dieu comme Père.
On comprend mieux alors la phrase « Vous avez été rachetés (c’est-à-dire libérés) de la conduite superficielle héritée de vos pères ». « Superficielle » ici veut dire « qui ne mène à rien, par opposition à la vie éternelle » ; désormais, parce que le Fils a vécu sa vie d’homme dans la confiance jusqu’au bout, c’est toute l’humanité qui a retrouvé le chemin de l’attitude filiale, qui a retrouvé le chemin de l’arbre de vie, pour reprendre l’image de la Genèse.
Paul dirait : « Vous êtes passés de l’attitude de peur, de méfiance de l’esclave à l’attitude de crainte filiale, l’attitude des fils ».3
————–
Notes
1 – « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » : c’est une allusion à la révélation de Dieu au prophète Samuel : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7). Phrase reprise par Jésus dans ses controverses avec les Pharisiens auxquels il reprochait de « juger selon les apparences » (Jn 7,24 ; 8,15 ; cf le quatrième dimanche de Carême – A).
2 – « Ce n’est pas l’or et l’argent » : le thème de la gratuité des dons de Dieu n’est pas nouveau non plus. Le prophète Isaïe l’avait annoncé avec force : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » (Is 55,1 ; cf commentaire du dix-huitième dimanche du Temps Ordinaire – A).
3 – D’après Ga 4,6 et Rm 8,15.

EVANGILE – selon saint Luc 24, 13-35

Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine),
13 deux disciples faisaient route
vers un village appelé Emmaüs,
à deux heures de marche de Jérusalem,
14 et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
15 Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient,
Jésus lui-même s’approcha,
et il marchait avec eux.
16 Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17 Jésus leur dit :
« De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
18 L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit :
« Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem
qui ignore les événements de ces jours-ci. »
19 Il leur dit :
« Quels événements ? »
Ils lui répondirent :
« Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth,
cet homme qui était un prophète
puissant par ses actes et ses paroles
devant Dieu et devant tout le peuple :
20 comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré,
ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.
Mais avec tout cela,
voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
22 À vrai dire, des femmes de notre groupe
nous ont remplis de stupeur.
Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
23 elles n’ont pas trouvé son corps ;
elles sont venues nous dire
qu’elles avaient même eu une vision :
des anges, qui disaient qu’il est vivant.
24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau,
et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ;
mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
25 Il leur dit alors :
« Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire
tout ce que les prophètes ont dit !
26 Ne fallait-il pas que le Christ
souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
27 Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes,
il leur interpréta, dans toute l’Écriture,
ce qui le concernait.
28 Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient,
Jésus fit semblant d’aller plus loin.
29 Mais ils s’efforcèrent de le retenir :
« Reste avec nous,
car le soir approche et déjà le jour baisse. »
Il entra donc pour rester avec eux.
30 Quand il fut à table avec eux,
ayant pris le pain,
il prononça la bénédiction
et, l’ayant rompu,
il le leur donna.
31 Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent,
mais il disparut à leurs regards.
32 Ils se dirent l’un à l’autre :
« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous,
tandis qu’il nous parlait sur la route
et nous ouvrait les Écritures ? »
33 À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem.
Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons,
qui leur dirent :
34 « Le Seigneur est réellement ressuscité :
il est apparu à Simon-Pierre. »
35 À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.

POURQUOI FALLAIT-IL ?
Vous avez remarqué certainement le parallèle (on dit « l’inclusion ») entre les deux formules « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (verset 16) et « alors leurs yeux s’ouvrirent » (verset 31) ; ce qui veut dire que les deux disciples d’Emmaüs sont passés du plus profond découragement à l’enthousiasme simplement parce que leurs yeux se sont ouverts. Et pourquoi leurs yeux se sont-ils ouverts ? Parce que Jésus leur a expliqué les Ecritures. « Partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait ». J’en déduis que Jésus-Christ est au centre du projet de Dieu qui se révèle dans l’Ecriture.
Il ne faudrait pas réduire pour autant l’Ancien Testament à un faire-valoir du Nouveau. Lire les prophètes comme s’ils n’annonçaient que la venue historique de Jésus-Christ, c’est trahir l’Ancien Testament et lui enlever toute son épaisseur historique. L’Ancien Testament est le témoignage de la longue patience de Dieu pour se révéler à son peuple et le faire vivre dans son Alliance. Les paroles des prophètes, par exemple, sont d’abord valables pour l’époque où elles ont été prononcées.
Il ne faut pas oublier non plus que la lecture qui consiste à considérer Jésus-Christ comme le centre de l’histoire humaine et donc aussi le centre de l’Ecriture est une lecture « chrétienne », les Juifs en ont une autre… Nous sommes d’accord entre Juifs et Chrétiens pour invoquer le Dieu Père de tous les hommes et lire dans l’Ancien Testament la longue attente du Messie. Mais n’oublions pas que la reconnaissance de Jésus comme Messie n’est pas une évidence ! Elle le devient pour ceux dont les yeux « s’ouvrent » d’une certaine manière. Et alors leur cœur  devient « tout brûlant » comme celui des disciples d’Emmaüs.
On aimerait connaître évidemment la liste des textes que Jésus a parcourus avec les deux disciples d’Emmaüs ! A la fin de ce parcours biblique avec eux, Jésus conclut : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Je m’arrête sur cette formule qui représente une vraie difficulté pour nous : car elle se prête à deux lectures possibles :
Première lecture possible : « Il fallait que le Christ souffrît pour mériter d’entrer dans sa gloire ». Comme si il y avait là une exigence de la part du Père. Mais cette lecture est une « tentation » qui trahit les Ecritures ; elle présente la relation de Jésus à son Père en termes de « mérite », ce qui n’est nullement conforme à la révélation de l’Ancien Testament et que Jésus a développée : que Dieu n’est que Amour et Don et Pardon. Avec Lui, il n’est pas question de balance, de mérite, d’arithmétique, de calcul. Il est vrai que le Nouveau Testament parle souvent de l’accomplissement des Ecritures, mais ce n’est pas dans ce sens-là, nous y reviendrons tout à l’heure.
LE PLUS GRAND AMOUR EST CELUI QUI VA JUSQU’AU BOUT
Alors il y a une deuxième manière de lire cette phrase « Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire » : la gloire de Dieu, c’est sa présence qui se manifeste à nous ; or Dieu est Amour. On pourrait donc transformer la phrase en « Il fallait que le Christ souffrît pour que l’amour de Dieu soit manifesté, révélé ».
Or, je crois que Jésus a donné lui-même d’avance l’explication de sa mort lorsqu’il a dit à ses disciples : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». C’est-à-dire, il fallait que l’amour aille jusque-là, jusqu’à affronter la haine, l’abandon, la mort pour que vous découvriez que l’amour de Dieu est « le plus grand amour ».
Pour que nous découvrions jusqu’où va l’amour de Dieu, qui est tellement au-dessus de nos amours humaines, tellement impensable, au vrai sens du terme, il fallait qu’il nous soit révélé… et pour qu’il nous soit révélé, il fallait qu’il aille jusque-là.
« Il fallait » ne veut donc pas dire une exigence de Dieu mais une nécessité pour nous. Dire que les événements de la vie de Jésus « accomplissent les Ecritures »1, c’est dire que sa vie tout entière est révélation en actes de cet amour du Père, quelles que soient les circonstances, y compris la persécution, la haine, la condamnation, la mort.
La Résurrection de Jésus vient authentifier cette révélation que l’amour est plus fort que la mort.
————-
Note
1 – Ce thème de l’accomplissement des Ecritures est très fréquent dans le Nouveau Testament, à commencer par cette phrase de Paul : « Lorsqu’est venue la plénitude des temps » (Ga 4,4 ; cf commentaire pour la Fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, le 1er janvier)

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Dimanche 16 avril 2023 : 2ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 16 avril 2023 : 2ème dimanche de Pâques

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2,42-47

42 Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres
et à la communion fraternelle,
à la fraction du pain
et aux prières.
43 La crainte de Dieu était dans tous les cœurs
à la vue des nombreux prodiges et signes
accomplis par les Apôtres.
44 Tous les croyants vivaient ensemble,
et ils avaient tout en commun ;
45 ils vendaient leurs biens et leurs possessions,
et ils en partageaient le produit entre tous
en fonction des besoins de chacun.
46 Chaque jour, d’un même cœur,
ils fréquentaient assidûment le Temple,
ils rompaient le pain dans les maisons,
ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;
47 ils louaient Dieu
et avaient la faveur du peuple tout entier.
Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait
ceux qui allaient être sauvés.

LE PORTRAIT-TYPE DES COMMUNAUTES CHRETIENNES
Voilà un flash de la toute première communauté chrétienne comme Saint Luc aime en donner dans les Actes des Apôtres. A plusieurs reprises (j’en compte quatre) il dresse en une ou plusieurs lignes un portrait de ce type ; on dirait des photos de famille, en quelque sorte, des instantanés pris sur le vif.
Additionnés, ils dessinent un portrait qui nous paraît presque idyllique de la vie des premiers chrétiens : assidus à l’enseignement des apôtres et à la prière, vivant dans la louange du Seigneur et mettant tout en commun, semant sur leur passage de multiples guérisons et recrutant sans cesse de nouveaux membres…
Ce qui n’empêche pas Luc de raconter par ailleurs quelques difficultés bien concrètes de ces mêmes communautés… Ananie et Saphire par exemple, qui ont eu du mal à pratiquer jusqu’au bout le partage des biens, et, plus grave encore, les difficultés de coexistence entre Chrétiens d’origine juive et Chrétiens d’origine païenne…
On peut se demander quel message Luc veut nous faire passer en dressant ainsi ces portraits si beaux, presque irréels ? Cela fait penser aux photos de famille des jours de fête qui habillent les murs de nos maisons, les albums de photos ou les pêle-mêle que nous aimons regarder. Evidemment, on a sélectionné les meilleures photos ; en les regardant, nous prenons conscience de la beauté de nos familles et de la joie de certains jours privilégiés.
Pour saint Luc, c’est certainement cela, mais c’est aussi beaucoup plus que cela : c’est la preuve que les temps messianiques sont arrivés. Les apôtres sont devenus capables de vivre en frères, grâce au don de l’Esprit ; voilà, nous dit-il, ce que l’Esprit nous rend capables de faire : lui qui « continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (selon la superbe formule de la quatrième Prière Eucharistique). Voilà la marque de l’Esprit répandu sur le monde par le Messie : c’est bien ce qu’avaient promis les prophètes. La fraternité, la paix, la justice, l’abolition du mal sont les valeurs du Royaume de Dieu que devait instaurer le Messie ; or les premiers chrétiens en ont donné l’exemple à plusieurs reprises !
C’est donc la preuve que Jésus est bien le Messie attendu, la preuve qu’il a répandu l’Esprit de Dieu sur le monde. Alors on comprend la phrase : « La crainte de Dieu était dans tous les cœurs » : c’est l’émerveillement devant l’œuvre de Dieu. Luc nous dit : voyez mes frères, les premiers signes du Royaume sont bien là ; voilà ce que l’Esprit Saint nous permet de vivre dans nos familles, nos paroisses et nos communautés lorsque nous nous laissons guider par lui dans la lumière de Pâques. Depuis la Résurrection du Christ, l’humanité nouvelle est née, celle qui grandit lentement autour et à l’image du Fils de Dieu. Saint Paul dirait : regardez, nous sommes vraiment ressuscités ! C’est-à-dire « nous vivons vraiment d’une vie nouvelle, le vieil homme (l’ancien comportement) est mort ».
LA VIE FRATERNELLE, CONDITION DE L’EXPANSION DE L’EVANGILE
Luc, le païen converti, s’émerveille de l’expansion irrésistible de l’évangile : « Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. » Je remarque, au passage, que c’est le Seigneur qui faisait entrer de nouveaux membres dans la communauté ! A nous, que nous est-il demandé ? Peut-être, tout simplement, d’être de vraies communautés chrétiennes, dignes de ce nom. Car c’est par sa vie bien concrète que la communauté porte témoignage de la Résurrection du Christ : une vie faite de partage de la Parole et du pain, de prière, de partage de tous les biens de chacun, le tout dans la joie ! C’est le monde à l’envers !
En particulier, le dépouillement personnel et le partage de tous les biens, voilà bien la chose irréalisable pour des hommes ordinaires… à moins qu’ils ne soient habités par l’Esprit de Dieu, celui que le Christ lui-même leur a insufflé. Jésus avait bien dit : « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». C’est cela qui prouvera au monde entier que Jésus est vivant ; voilà qui juge une fois pour toutes nos querelles et nos médisances, nos intolérances et nos divisions, nos refus de partager.
Il ne nous est pas interdit, bien sûr, de puiser dans ces beaux portraits des critères de vérification de la qualité de nos propres communautés (familles, équipes, communautés chrétiennes). C’est un peu comme si nous Luc nous disait : A bon entendeur salut !
Car, finalement, c’est bien un programme de vie chrétienne que nous venons d’entendre ; si je compte bien, il y a quatre points : écouter l’enseignement des Apôtres, vivre en communion fraternelle, y compris le partage de tous les biens, rompre le pain et participer aux prières.
Pour finir, il me semble que la très grande Bonne Nouvelle de ce texte, c’est que ce nouveau comportement inspiré par l’Esprit Saint est possible ! Tout comme les photos des jours de fête nous rappellent les possibilités d’amour de nos familles !
Mais cela peut aussi nous inspirer quelques questions : je m’arrête à l’une des expressions de Luc : « Ils rompaient le pain dans les maisons ». Nous dirions aujourd’hui l’Eucharistie. Cela veut dire au moins trois choses : d’abord, la messe du dimanche (pour ceux qui ont la chance d’en avoir une à leur portée), est beaucoup plus qu’une obligation, c’est une nécessité vitale ! Parce que la pratique eucharistique est indispensable à chacun d’entre nous pour sa vie de foi ; ensuite, plus grave encore, c’est la communauté qui est privée de l’un de ses membres chaque fois que l’un d’entre nous ne participe pas à l’eucharistie.
Enfin, troisième chose, une communauté est gravement pénalisée quand elle est privée de ce ressourcement régulier : cela pose évidemment tout le problème de tant de communautés chrétiennes privées de prêtre parfois depuis longtemps, pendant que certaines paroisses de ville offrent un large échantillonnage d’heures de messes pour satisfaire toutes les exigences. Nous ne pouvons qu’admirer le dynamisme de la foi de ceux d’entre nous qui savent faire vivre leurs communautés malgré l’absence de prêtre.

PSAUME – 117 (118)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR :
Éternel est son amour !

On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le SEIGNEUR m’a défendu.
Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du SEIGNEUR,
la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

DANS L’ATTENTE DU MESSIE
Nous avons déjà chanté ce psaume 117/118 pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et même, chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l’Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, Chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l’Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort. C’est donc à ce double niveau de l’attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l’entendre.
C’est un psaume de louange : il commence d’ailleurs par le mot « Alleluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l’ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins « Yah », qui en est la première syllabe… et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l’amour de Dieu, l’oeuvre de Dieu pour son peuple… Une vraie litanie !
Ce psaume de louange est prévu pour accompagner un sacrifice d’action de grâce au cours de la fête des Tentes, cette fête très importante et très joyeuse qui dure huit jours en automne : on a des traces de la joie de cette fête dans le texte même du psaume ; par exemple : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, jour de fête et jour de joie ».
LA FETE DES TENTES A JERUSALEM
Je vous rappelle les rites les plus importants de cette fête : tout d’abord, on habite pendant huit jours sous des tentes en souvenir des tentes de l’Exode après la sortie d’Egypte, pour retrouver le goût de l’Alliance. Ensuite, il y a de nombreuses célébrations au temple de Jérusalem et l’on fait des processions autour de l’autel en agitant des rameaux et en chantant « Hosanna » qui signifie « Donne, SEIGNEUR, donne le salut » ; et parce que l’attente du Messie est très marquée dans l’esprit de cette fête, on répète « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient », comme une sorte de prière pour hâter sa venue. (Nous faisons quelque chose d’analogue quand nous célébrons – déjà ! – une fête du Christ-Roi.) Un autre rite marquant était une grande illumination spectaculaire du Temple, le dernier soir. Tous ces rites, nous pouvons en entendre l’écho dans ce psaume, à condition de le lire en entier.
Voici quelques autres versets que nous n’entendons pas dans la liturgie de ce deuxième dimanche de Pâques : « Rameaux en main, formez vos cortèges jusqu’auprès de l’autel. »… « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient »… « Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine » (allusion à l’illumination du dernier soir).
Tout ceci, ce sont les mots de la louange ; voici les motifs maintenant : pour parler de l’histoire d’Israël, le psaume raconte l’histoire d’un roi qui vient d’affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l’avoir soutenu. Il dit par exemple : « on m’a poussé, bousculé pour m’abattre, mais le SEIGNEUR m’a défendu »… et encore « toutes les nations m’ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » et encore : « non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres  du Seigneur ». C’est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l’assaillaient ; mais, en réalité, nous savons ce qu’il faut lire entre les lignes : c’est l’histoire du peuple d’Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l’anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l’a relevé et il le célèbre dans cette grande fête des tentes : il chante « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres  du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des œuvres  du Seigneur, c’est la vocation propre d’Israël ; et c’est dans la conscience même de cette vocation qu’il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l’histoire.
Et maintenant, quelques mots sur le sens de ce psaume pour les Chrétiens : tout d’abord, vous avez remarqué la parenté entre la fête juive des Tentes et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.
LA PIERRE REJETÉE PAR LES BÂTISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE
Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l’ont présenté comme le roi véritable : pour n’en citer qu’un, par exemple, Matthieu a construit l’épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n’est pas celui que disent les historiens (c’est-à-dire Hérode) mais l’enfant de Bethléem… ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente bien Jésus comme le vrai roi des Juifs…
En méditant le mystère de ce Messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. » (Jésus avait cité cette phrase dans la parabole des vignerons homicides). Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse* ; lui, rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l’Israël nouveau.
Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l’expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.
Enfin, on sait que ce psaume était chanté à Jérusalem à l’occasion d’un sacrifice d’action de grâce ; Jésus, lui, vient d’accomplir « le » sacrifice d’action de grâce par excellence ! Il prend la tête de l’Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c’est même ce qui caractérise Jésus. Toute son attitude envers son Père n’est qu’action de grâce et c’est cela justement qui inaugure entre Dieu et l’humanité l’Alliance nouvelle : celle où l’humanité n’est que réponse d’amour à l’amour du Père.
————–
Note *Sur la pierre angulaire, voir le commentaire du psaume 117/118 pour le dimanche de Pâques.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 1, 3-9

3 Béni soit Dieu, le Père
de notre Seigneur Jésus Christ :
dans sa grande miséricorde,
il nous a fait renaître pour une vivante espérance
grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts,
4 pour un héritage qui ne connaîtra
ni corruption, ni souillure, ni flétrissure.
Cet héritage vous est réservé dans les cieux,
5 à vous que la puissance de Dieu garde par la foi,
pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps.
6 Aussi vous exultez de joie,
même s’il faut que vous soyez affligés,
pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;
7 elles vérifieront la valeur de votre foi
qui a bien plus de prix que l’or
– cet or voué à disparaître
et pourtant vérifié par le feu –,
afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur
quand se révélera Jésus Christ.
8 Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ;
en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi,
vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire,
9 car vous allez obtenir le salut des âmes
qui est l’aboutissement de votre foi.

LA FOI ET LA JOIE DES BAPTISES
Il y a un tel souffle de liberté dans ce passage que certains se demandent si Pierre n’a pas repris une hymne qu’on chantait pendant les baptêmes… On n’en a pas la preuve, mais c’est en tout cas une hypothèse intéressante qui peut nous aider à mieux comprendre ce texte.
On y reconnaît facilement trois strophes : je commence par les distinguer tout simplement en vous donnant un résumé de chacune d’elles : Première strophe, le début de notre texte (les versets 3, 4, 5) : « Béni soit Dieu… Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts. » Comme dit un chant bien connu : « Dieu fait de nous en Jésus-Christ des hommes libres… »
Deuxième strophe, les versets suivants (6 et 7) ; (je la résume) : l’espérance nous fait tressaillir de joie déjà, mais nous sommes encore dans le temps de l’épreuve de notre foi ;
Troisième strophe, les derniers versets (8 et 9) : heureux ceux qui croient sans avoir vu ; notre foi nous procure déjà une joie inexprimable qui nous transfigure.
Vous avez remarqué déjà le mot « foi » qui figure cinq fois dans ces quelques lignes. Ce qui n’est pas étonnant, si on est dans une célébration de baptême ; et aussi une joie formidable, il dit « inexprimable », malgré les épreuves présentes (« même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves », verset 6) : cela s’adresse visiblement à des communautés chrétiennes qui vivent en monde hostile ; il faut croire que c’était le cas des lecteurs de Pierre.
Je reprends les trois strophes une à une : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ » : la tournure est juive, la formule est chrétienne ; commencer par une grande bénédiction de Dieu, c’est typique de la prière juive ; et c’est certainement quelqu’un qui a beaucoup chanté les psaumes qui peut écrire un texte pareil ! Mais le contenu est chrétien : dans les psaumes, Dieu est chanté comme le Dieu des Pères, Abraham, Isaac, Jacob… désormais la Révélation a franchi un pas décisif : Dieu est connu maintenant comme Père de Jésus Christ et c’est par Jésus Christ qu’il accomplit son dessein sur l’humanité.
« Dieu nous a fait renaître grâce à la Résurrection de Jésus Christ » : comme Jésus lui-même dans son dialogue avec Nicodème, Pierre parle du baptême comme d’une nouvelle naissance et cette nouvelle naissance a sa source dans la résurrection du Christ ; aujourd’hui, nous, après deux mille ans de Christianisme, sommes tellement habitués à la formule « Jésus Christ est ressuscité » que nous ne ressentons peut-être plus aucun choc à la dire ; mais les premiers Chrétiens vivaient cela comme une véritable révolution : désormais, pour eux, la face du monde était changée ; comme dit Paul, « le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17).
« DIEU NOUS A FAIT RENAÎTRE GRÂCE À LA RÉSURRECTION DE JÉSUS CHRIST »
On retrouve aussi très fortement chez Pierre un autre thème habituel de Paul : la tension entre le présent et l’avenir : tout est déjà accompli dans la résurrection du Christ et donc il parle au passé : « Dieu nous a fait renaître »… tout est joué, si l’on peut dire ; mais tout reste encore à venir : nous sommes tendus vers le « salut (qui est) prêt à se révéler dans les derniers temps » comme dit Pierre.
Ce mot « salut », on pourrait le traduire par « vie »… « qui ne connaît ni corruption, ni souillure, ni flétrissure » ; on pourrait le traduire aussi par « libération » de tout ce qui est justement « corruption, souillure, flétrissure ». Un salut, une libération déjà accomplie en Jésus Christ mais dans laquelle toute l’humanité n’est pas encore entrée, et c’est cela qui reste à venir.
C’est ce « déjà accompli » qui nous fait dès maintenant « tressaillir de joie » comme dit Pierre ; les jours où nous sommes moroses sont peut-être bien ceux où nous perdons de vue cette grande nouvelle de Pâques : la grande nouvelle qui est que l’amour et la vie sont plus forts que toutes les haines et que la mort ; mais il est vrai que, dans certaines situations, cette certitude a tendance à s’estomper et notre foi est alors mise à l’épreuve ! Et la deuxième strophe le dit bien : « Vous êtes attristés pour un peu de temps encore par toutes sortes d’épreuves », dit Pierre. La suite de la lettre laisse entrevoir les difficultés dont il s’agit, probablement l’hostilité rencontrée par ces jeunes Chrétiens qui font figure de marginaux en monde païen.
La dernière strophe reprend ce thème de la foi dans le temps de l’attente ; Pierre, lui, a eu le privilège de connaître, de côtoyer longuement Jésus Christ, mais il s’adresse à des Chrétiens qui n’ont pas connu Jésus et il développe pour eux la béatitude que Jésus avait dite à Thomas « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » et il les encourage : « Vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire ».
Quand il emploie l’expression « une joie remplie de gloire » Pierre sait de quoi il parle, lui qui a eu le privilège d’assister à la transfiguration de Jésus : et sur le visage des Chrétiens, il retrouve un reflet de la lumière qui irradiait Jésus lui-même.
Cette insistance de Pierre sur la joie des chrétiens, une joie à la fois inexprimable et plus forte que toutes les épreuves passagères, résonne comme un appel ! Peut-être nos contemporains attendent-ils tout simplement de voir sur nos visages la joie de notre Baptême, un reflet de Jésus transfiguré ?
————–
Complément
Traditionnellement, ce dimanche s’appelait « in albis », ce qui veut dire « en vêtements blancs ». Car les nouveaux baptisés de la Nuit de Pâques avaient porté leur robe de Baptême pendant toute la semaine pascale. Et ce dimanche figurait pour eux comme une fête des baptisés.

EVANGILE – selon saint Jean 20,19-31

C’était après la mort de Jésus.
19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés,
ils seront maintenus. »
24 Or, l’un des Douze, Thomas,
appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
« Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara :
« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté,
non, je ne croirai pas ! »
26 Huit jours plus tard,
les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient,
alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d’eux.
Il dit :
« La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas :
« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d’être incrédule,
sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
« Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit :
« Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d’autres signes
que Jésus a faits en présence des disciples
et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là ont été écrits
pour que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE
« C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine », c’est-à-dire le dimanche : ce n’est pas seulement une précision matérielle que Saint Jean nous donne : c’est plutôt comme un clin d’oeil ; quand Jean écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés… cinquante ans que les Chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la Résurrection de Jésus. Le clin d’oeil, c’est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Le rassemblement des Chrétiens chaque dimanche en mémoire de la résurrection du Christ est né là. Ce rassemblement du dimanche était une caractéristique des Chrétiens dans le monde juif.
Car, pour les Juifs, depuis des siècles, le dimanche était un jour de travail comme les autres, le premier jour de la semaine ; c’est le septième jour, le samedi (le shabbat) qui était jour de fête, de repos, de rassemblement, de prière.
Or, c’est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s’est montré vivant à ses apôtres après sa Résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les Chrétiens, ce jour-là a pris un sens particulier. Ce premier jour de la semaine leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les Chrétiens comme le début de la nouvelle Création.
« Alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. ». Jean souligne le contraste : les disciples sont enfermés, ils ont peur et, humainement, on les comprend ! Si on a tué le Maître, on peut bien tuer les disciples. Cela ne souligne que mieux la liberté du Christ. Tout est verrouillé, cela n’a pas l’air d’être un problème pour lui ! Il ne connaît pas les verrous, mais surtout, il n’a pas l’air de connaître la peur !
Et, précisément, sa première parole, c’est « la Paix soit avec vous »… C’était le salut juif habituel… mais quand même c’est une étrange salutation après tout ce qu’on vient de vivre ! La crainte, l’angoisse des derniers mois avant l’arrestation de Jésus, l’horreur de sa Passion et de sa mort, la nuit du Jeudi, la journée du vendredi, et ce silence du samedi, une fois Jésus mis au tombeau … Est-ce qu’on peut être dans la Paix… comme si rien n’était arrivé ?
Et en même temps, c’est fou, mais c’est bien vrai quand même : Il est bel et bien vivant… et, pour le prouver, il montre ses plaies qui sont les marques de la crucifixion. Au passage, je remarque que les marques sont bien là dans ses mains, ses pieds, son côté : la Résurrection ne gomme donc pas la mort.
Alors, même si cela paraît fou, Saint Jean nous dit « les disciples furent remplis de joie ! » C’est inouï ce qui leur arrive ! Et, à ce moment-là, Saint Jean continue : « Jésus leur dit de nouveau : La Paix soit avec vous ». Alors, ils peuvent réellement être dans la Paix… non pas comme si rien n’était arrivé… mais malgré ce qui est arrivé : parce que cette Paix du Ressuscité est très au-delà de ce qui peut arriver !
UNE MISSION DE RECONCILIATION
« Ayant ainsi parlé, Jésus répandit sur eux son souffle, et il leur dit : Recevez l’Esprit-Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » On est frappés du lien entre le don de l’Esprit et la mission de réconciliation : dans la Bible, l’Esprit est toujours donné pour une mission ; et il n’y a pas d’autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.
C’est un ordre, un commandement que Jésus donne : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » Allez annoncer que les péchés sont remis, c’est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n’y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père sollicite votre collaboration pour cela. « Comme le Père m’a envoyé… » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c’est comme s’il nous disait : « Le Père m’a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ; annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon… à votre tour, je vous envoie pour la même mission. » Le seul péché, celui qui est la racine de tous les autres, c’est de ne pas croire à l’amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l’amour de Dieu.
Reste la phrase « Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c’est ignorer l’amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l’amour de Dieu et en vivent… Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez rempli votre mission… « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

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Dimanche 2 avril 2023 : dimanche des Rameaux : lectures et commentaires

Dimanche 2 avril 2023 : dimanche des Rameaux

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 50,4-7

4 Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples,
pour que je puisse, d’une parole,
soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille,
il éveille mon oreille
pour qu’en disciple, j’écoute.
5 Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7 Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.

ISRAEL, SERVITEUR DE DIEU
Isaïe ne pensait certainement pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av. J.C., pendant l’Exil à Babylone. Je m’explique : Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe.
« Ecouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne… ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu… et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu…? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « quand les hommes aiment Dieu (c’est-à-dire lui font confiance), lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples »… Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.

TENIR BON DANS L’EPREUVE
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé… » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour… d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter. Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu ma face dure comme pierre » : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force.
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.

PSAUME – 21 (22),2,8-9,17-20,22b-24

2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
8 Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
9 « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

17 Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m’entoure ;
ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.

19 Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !

22 Tu m’as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.

DU CRI DE DETRESSE A L’ACTION DE GRACE
Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’erreur est de la sortir de son contexte, et du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.
Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».
Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ, il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !
Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant à l’époque du retour de l’Exil), c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux… et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur.
Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.
Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis … Mais il continuait à prier. Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.

LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO
Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un vœu  ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un vœu  ») ; une fois délivré, on tient sa promesse. C’est parfois sous forme d’un tableau qui rappelle le drame et la prière des proches.
Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères… Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux … (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par cœur  ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. A vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui… Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre  ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Philippiens 2,6-11

6 Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.

7 Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.

8 Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.

9 C’est pourquoi Dieu l’a exalté.
Il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,

10 afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,

11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.

JESUS, SERVITEUR DE DIEU
Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.
Lorsque les premiers Chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.
Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit… il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge
pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu… Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.
J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu… La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets… La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.

LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT
Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Eden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage… Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que Saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.
Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »… C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira, toute langue en fera le serment, dit Dieu » (Is 45,23).
Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.
L’hymne se termine par « toute langue proclame : Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »… puisque Dieu, c’est l’amour.

Commentaire de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ selon Saint Matthieu

Chaque année, pour le dimanche des Rameaux, nous lisons le récit de la Passion dans l’un des trois Evangiles synoptiques ; cette année, c’est donc dans l’Evangile de Matthieu. Je vous propose de nous arrêter aux épisodes qui sont propres à Matthieu ; bien sûr, dans les grandes lignes, les quatre récits de la Passion sont très semblables ; mais si on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que chacun des Evangélistes a ses accents propres.

PASSAGES PROPRES À MATTHIEU
Voici donc quelques épisodes et quelques phrases que Matthieu est seul à rapporter.
Tout d’abord, on se souvient que c’est à prix d’argent que Judas a livré Jésus aux grands prêtres juifs. Matthieu est le seul à dire la somme exacte, trente pièces d’argent : ce détail n’est pas anodin, car c’était le prix fixé par la Loi pour l’achat d’un esclave. Cela veut dire le mépris que les hommes ont manifesté envers le Seigneur de l’univers.
Plus tard, le même Judas fut pris de remords : « Alors, en voyant que Jésus était condamné, Judas, qui l’avait livré, fut pris de remords ; il rendit les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens. Il leur dit : « J’ai péché en livrant à la mort un innocent. » Ils répliquèrent : « Que nous importe ? Cela te regarde ! » Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se retira et alla se pendre. Les grands prêtres ramassèrent l’argent et dirent : « Il n’est pas permis de le verser dans le trésor, puisque c’est le prix du sang. » Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec cette somme le champ du potier pour y enterrer les étrangers. Voilà pourquoi ce champ est appelé jusqu’à ce jour le Champ-du-Sang. Alors fut accomplie la parole prononcée par le prophète Jérémie : Ils ramassèrent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix, le prix fixé par les fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné. » (Mt 27,3-10).
Au cours de la comparution de Jésus chez Pilate, Matthieu est le seul à rapporter l’intervention de la femme de Pilate : Tandis qu’il (Pilate) siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. » (Mt 27,19).
Et il est clair que le procès de Jésus mettait Pilate mal à l’aise. Un peu plus tard, Matthieu encore, raconte l’épisode du lavement des mains : « Pilate, voyant que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme : cela vous regarde ! » Tout le peuple répondit : « Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors, il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et il le livra pour qu’il soit crucifié. » (Mt 27,24-26).
Au moment de la mort de Jésus, les trois évangélistes synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent que le rideau du temple s’est déchiré du haut en bas, mais Matthieu, seul, ajoute : « la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. » (Mt 27,51-53).
Enfin, Matthieu a noté le soin tout spécial que les autorités ont apporté à la garde du tombeau de Jésus : ils sont allés trouver Pilate pour obtenir l’autorisation de surveiller le sépulcre dans la crainte que les disciples ne viennent subtiliser le corps de Jésus pour faire croire qu’il était ressuscité. Et c’est exactement la légende qu’ils ont fait courir après la résurrection.
LA VRAIE GRANDEUR DE JESUS RECONNUE PAR DES PAIENS
Ce qui est notable ici, en définitive, c’est l’aveuglement des autorités religieuses, qui les pousse à l’acharnement contre Jésus.
Et c’est le terrible paradoxe de ce drame : à savoir que, en dehors de sa famille, et de ses quelques disciples, ceux qui auraient dû être les plus proches de Jésus, les Juifs en général, l’ont méconnu, méprisé, humilié. Et que, en revanche, ce sont les autres, les païens, qui, sans le savoir, lui ont donné ses véritables titres de noblesse. Car l’une des caractéristiques de ce texte est bien l’abondance des titres donnés à Jésus dans le récit de la Passion, qui représente quelques heures, ses dernières heures de vie terrestre. Cet homme anéanti, blessé dans son corps et dans sa dignité, honni, accusé de blasphème, ce qui est le pire des péchés pour ses compatriotes… est en même temps honoré bien involontairement par des étrangers qui lui décernent les plus hauts titres de la religion juive. A commencer par le titre de « Juste » que lui a donné la femme de Pilate. Et, quant à celui-ci, il a fait afficher sur la croix le fameux écriteau qui désigne Jésus comme « le roi des Juifs ».
Enfin, le titre de Fils de Dieu lui est d’abord décerné par pure dérision, pour l’humilier : d’abord par les passants qui font cruellement remarquer à l’agonisant le contraste entre la grandeur du titre et son impuissance définitive ; puis ce sont les chefs des prêtres, les scribes et les anciens qui le défient : si réellement il était le Fils de Dieu, il n’en serait pas là. Mais ce même titre va lui être finalement décerné par le centurion romain : et alors il résonne comme une véritable profession de foi : « Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu ».
Or cette phrase préfigure déjà la conversion des païens, ce qui revient à dire que la mort du Christ n’est pas un échec, elle est une victoire. Le projet de salut de l’humanité tout entière est en train de se réaliser.
Alors on comprend pourquoi Matthieu accentue le contraste entre la faiblesse du condamné et la grandeur que certains païens lui reconnaissent quand même : c’est pour nous faire comprendre ce qui est à première vue impensable : à savoir que c’est dans sa faiblesse même que Jésus manifeste sa vraie grandeur, qui est celle de Dieu, c’est-à-dire de l’amour infini.

ANCIEN TESTAMENT, CAREME, DIMANCHE DE CARÊME, EVANGILE SELON SAINT JEAN, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE DU PROPHETE EZECHIEL, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 129

Dimanche 26 mars 2026 ; 5ème dimanche de Carême : lectures et commentaires

Dimanche 26 mars 2023 : 5ème dimanche de Carême

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Ézékiel 37,12-14

12 Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu.
Je vais ouvrir vos tombeaux
et je vous en ferai remonter,
ô mon peuple,
et je vous ramènerai sur la terre d’Israël.
13 Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR,
quand j’ouvrirai vos tombeaux
et vous en ferai remonter,
ô mon peuple !
14 Je mettrai en vous mon esprit,
et vous vivrez ;
je vous donnerai le repos sur votre terre.
Alors vous saurez que Je suis le SEIGNEUR :
J’ai parlé
et je le ferai.
– Oracle du SEIGNEUR.

DIEU N’ABANDONNERA JAMAIS SON PEUPLE
Ce texte est très court mais on voit bien qu’il forme une entité : il est encadré par deux expressions similaires ; au début « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu », à la fin « Parole du SEIGNEUR ». Un cadre qui a évidemment pour but de solenniser ce qui est encadré. Chaque fois qu’un prophète juge utile de repréciser qu’il parle de la part du SEIGNEUR, c’est parce que son message est particulièrement important et difficile à entendre.
Le message d’aujourd’hui, c’est donc ce qui est encadré : c’est une promesse répétée deux fois et adressée au peuple de Dieu, puisque Dieu dit « ô mon peuple » ; les deux fois, la promesse porte sur deux points : premièrement « je vais ouvrir vos tombeaux », deuxièmement « je vous ramènerai sur la terre d’Israël », ou « Je vous donnerai le repos sur votre terre », ce qui revient au même. Ces expressions nous permettent de situer le contexte historique : le peuple est en exil à Babylone, réduit à la merci des Babyloniens, il est anéanti (au vrai sens du terme, réduit à néant), comme mort, c’est pourquoi Dieu parle de tombeaux.
Et donc l’expression « je vais ouvrir vos tombeaux » signifie que Dieu va relever son peuple. Si vous avez la curiosité de vous reporter à votre Bible, au chapitre 37 d’Ezékiel, vous verrez que notre petit texte d’aujourd’hui fait suite à une vision du prophète qu’on appelle « la vision des ossements desséchés » et il en donne l’explication. Je vous rappelle cette vision : le prophète voit une immense armée morte, gisant dans la poussière ; et Dieu lui dit : tes frères sont tellement désespérés dans leur Exil qu’ils se disent morts, finis… eh bien, moi, Dieu, je les relèverai.
Et toute cette vision et son explication que nous avons lue aujourd’hui, évoquent cette captivité du peuple exilé et son relèvement par Dieu. Car, pour le prophète Ezékiel, c’est une certitude : le peuple ne peut pas être éliminé parce que Dieu lui a promis une Alliance éternelle que rien ne pourra détruire ; donc, quelles que soient les défaites, les brisures, les épreuves, on sait que le peuple survivra et qu’il retrouvera sa terre, parce qu’elle fait partie de la promesse. « Je vais ouvrir vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur la terre d’Israël » : au fond ces phrases n’ont rien d’étonnant : depuis toujours, le peuple d’Israël sait que son Dieu est fidèle ; et l’expression « Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR » dit justement que c’est à sa fidélité à ses promesses que l’on reconnaît le vrai Dieu.
Mais pourquoi répéter deux fois à peu près les mêmes choses ? A dire vrai, la deuxième promesse ne se contente pas de répéter la première, elle l’amplifie : elle redit bien « J’ouvrirai vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je vous donnerai le repos sur votre terre, et vous saurez que je suis le SEIGNEUR » et tout cela au fond c’est le retour à l’état antérieur avant le désastre de l’exil à Babylone ; mais dans cette deuxième promesse, il y a autre chose, il y a beaucoup plus, il y a du neuf, du jamais vu : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » ; c’est la nouvelle Alliance qui est dite là : désormais la loi d’amour sera inscrite non plus sur des tables de pierre, mais dans les cœurs . Ou pour reprendre une autre formule d’Ezékiel, les cœurs  humains ne seront plus de pierre mais de chair.
JE METTRAI EN VOUS MON ESPRIT ET VOUS VIVREZ
Ici, donc, il n’y a pas d’hésitation possible, la répétition de la formule « ô mon peuple » montre clairement que ces deux promesses annoncent un sursaut, une restauration du peuple. Il n’est pas question ici d’une résurrection individuelle : pas plus qu’aucun des prophètes de son époque, Ezéchiel n’envisage encore une chose pareille. En fait, le peuple d’Israël n’a découvert la foi en la Résurrection qu’au deuxième siècle av.J.C. Jusque-là, on affirmait que les morts descendent au « Shéol » ; un lieu sombre dont on ne sait rien ; mais aussi curieux que cela nous paraisse aujourd’hui, c’est un sujet dont on se préoccupait peu. Car la mort individuelle n’atteint pas l’avenir du peuple ; or, pendant bien longtemps, c’est l’avenir du peuple, et lui seul, qui comptait. Quand quelqu’un mourait, on disait qu’il était « couché avec ses pères », mais on n’envisageait pas de survie possible ; en revanche la survie du peuple a toujours été une certitude puisque le peuple est porteur des promesses de Dieu. On peut dire que, pendant des siècles, on s’est intéressé au lendemain du peuple et non à celui de l’individu.
Pour croire en la Résurrection individuelle, il faut combiner deux éléments : d’abord s’intéresser au sort de l’individu : ce qui n’était pas le cas au début de l’histoire biblique : l’intérêt pour le sort de l’individu est une conquête, un progrès tardif. Ensuite, un deuxième élément est indispensable pour que naisse la foi en la Résurrection : il faut croire en un Dieu qui ne vous abandonne pas à la mort.
Cette certitude que Dieu n’abandonne jamais l’homme n’est pas née d’un coup ; elle s’est développée au rythme des événements concrets de l’histoire du peuple élu. L’expérience historique de l’Alliance est ce qui nourrit la foi d’Israël. Or l’expérience d’Israël est celle d’un Dieu qui libère l’homme, qui veut l’homme libre de toute servitude, qui intervient sans cesse pour le libérer ; un Dieu fidèle qui ne se reprend jamais. C’est cette foi qui guide toutes les découvertes d’Israël ; elle en est le moteur.
Quatre siècles après Ezékiel, vers 165 av. J.C., ces deux éléments conjugués, foi en un Dieu qui libère sans cesse l’homme, découverte de la valeur de toute personne humaine, ont abouti à la foi en la résurrection individuelle ; au terme de cette double évolution, il est apparu évident que Dieu libèrera l’individu de l’esclavage le plus terrible, définitif de la mort. Cette découverte est si tardive dans le peuple juif qu’au temps du Christ, cette foi n’était pas encore partagée par tout le monde puisqu’on désignait les Sadducéens par cette précision « ceux qui ne croient pas à la résurrection ».
Il n’est bien sûr pas interdit de penser que la prophétie d’Ezéchiel dépassait sa propre pensée sans qu’il le sache lui-même ; l’Esprit de Dieu parlait par sa bouche et maintenant nous pouvons penser « Ezéchiel ne savait pas si bien dire ».

PSAUME – 129 (130),1-8

1 Des profondeurs je crie vers toi, SEIGNEUR,
2 Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

3 Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR,
Seigneur, qui subsistera ?
4 Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

5 J’espère le SEIGNEUR de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
6 Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

7 Oui, près du SEIGNEUR, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
8 C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

PRÈS DE TOI SE TROUVE LE PARDON
Il y a dans le psautier un ensemble de quinze psaumes qui portent un nom particulier : chacun d’eux commence par ces mots « cantique des montées ». En hébreu, le verbe « monter » est employé pour dire « Aller à Jérusalem en pèlerinage ».
Dans les Evangiles, d’ailleurs, l’expression « monter à Jérusalem » apparaît plusieurs fois dans le même sens : elle évoque le pèlerinage pour les trois fêtes annuelles et, en particulier, la plus importante d’entre elles, la fête des Tentes.
Ces quinze psaumes, donc, accompagnaient l’ensemble du pèlerinage. Avant même d’arriver à Jérusalem, ils évoquaient par avance le déroulement de la fête. Pour certains, on peut même deviner à quel moment du pèlerinage ils étaient chantés ; par exemple, le psaume 121 (122) « J’étais dans la joie quand je suis parti vers la maison du SEIGNEUR… maintenant, nous voici devant tes portes, Jérusalem… » était probablement le psaume de l’arrivée.1
Le psaume 129 (130) est donc l’un de ces cantiques des Montées ; il était probablement chanté pendant la fête des Tentes (l’une des trois grandes fêtes de pèlerinage), à l’automne, au cours d’une cérémonie pénitentielle. C’est pourquoi le vocabulaire de la faute et du pardon est relativement important dans ce psaume. « Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR, Seigneur, qui subsistera ? »
Le pécheur qui parle ici, et qui supplie, certain déjà d’être pardonné, c’est le peuple qui reconnaît à la fois l’infinie bonté de Dieu, son inlassable fidélité (sa « Hessed ») et l’incapacité foncière de l’homme à répondre à l’Alliance. Ces infidélités répétées à l’Alliance sont vécues comme une véritable « mort spirituelle » : « Des profondeurs, je crie vers Toi » ; mais ce cri s’adresse à celui dont l’Etre même est le Pardon : c’est le sens de l’expression « Près de toi est le pardon ».
Dieu est Amour et Il est Don, c’est la même chose ; or le « Par-Don » n’est pas autre chose : c’est le don « par-delà ». Pardonner, c’est continuer à proposer une Alliance, un avenir possible, au-delà des infidélités de l’autre. Rappelez-vous l’histoire de David : après le meurtre du mari de Bethsabée par le roi, le prophète Natan lui avait annoncé le pardon de Dieu avant même que David ait eu le temps d’exprimer la moindre parole de regret, ni le moindre aveu.
Curieusement, cette idée que Dieu pardonne toujours n’est pas du goût de tout le monde ; mais pourtant, incontestablement, c’est l’une des affirmations majeures de la Bible, et ce dès l’Ancien Testament. Et Jésus reprend avec force le même enseignement : par exemple, dans la parabole de l’enfant prodigue, chez Luc (chapitre 15), le père est là sur le chemin à attendre son fils (ce qui prouve qu’il lui a déjà pardonné) et il lui ouvre les bras avant que le fils, lui, ait ouvert la bouche. Et l’exemple du pardon de Dieu absolument gratuit nous est donné par Jésus lui-même sur la croix : ceux qui sont en train de le tuer n’ont pas eu la moindre parole de repentir et pourtant, il dit bien « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
MON ÂME ATTEND LE SEIGNEUR PLUS QU’UN VEILLEUR NE GUETTE L’AURORE.
C’est dans son pardon, précisément, nous dit la Bible, que Dieu révèle sa puissance. Cela encore, c’est une des grandes découvertes d’Israël ; vous connaissez cette phrase du livre de la Sagesse : « Ta force (Seigneur) est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose… toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement. » L’idée, c’est que quelqu’un dont le pouvoir est incontesté n’a pas besoin de l’étaler. (Sg 12,16.18).
Certains craignent que l’annonce de la miséricorde de Dieu incite au laisser-aller ; à mon avis c’est le contraire : une fois qu’on est vraiment convaincus de la tendresse et du pardon inconditionnel de Dieu, on a envie d’y correspondre et d’essayer de lui ressembler. Donc la certitude de la « miséricorde » de Dieu n’engendre chez le croyant ni présomption ni indifférence au péché, mais reconnaissance humble et émerveillée.
« Près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne » : cette formule très ramassée dit quelle doit être l’attitude du croyant face à ce Dieu qui n’est que don et pardon. Nous trouvons là encore une définition de la « crainte de Dieu » : ce n’est pas la crainte du châtiment. Toute la pédagogie de Dieu au long de l’histoire biblique cherche à nous libérer de toute peur ; car la peur n’est pas une attitude d’homme libre et Dieu veut nous libérer totalement. La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est une adoration pleine d’émerveillement devant la Toute-Puissance de Dieu faite seulement d’amour. « Craindre » le Seigneur, c’est l’adorer et lui faire tellement confiance qu’on fera tout son possible pour obéir à sa Loi dans la certitude que cette Loi n’est dictée que par son amour paternel.
Cette certitude du « Par-don », du Don toujours acquis au-delà de toutes les fautes inspire à Israël une attitude d’espérance extraordinaire. Israël repentant attend son pardon « plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ». « C’est Lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes » : nous rencontrons régulièrement dans les textes bibliques des expressions similaires. Elles annoncent à Israël sa libération définitive, la libération de toutes les fautes de tous les temps.
Israël attend plus encore : précisément parce que le peuple de l’Alliance expérimente sa faiblesse et son péché toujours renaissant, mais aussi la Fidélité de Dieu, il attend de Dieu lui-même la réalisation définitive de ses promesses. Au-delà du pardon immédiat, c’est l’aurore définitive que ce peuple attend de siècle en siècle, qu’il « espère contre toute espérance » (comme Abraham), l’aurore du Jour de Dieu. Tous les psaumes sont traversés par l’attente messianique.
Les Chrétiens savent encore plus sûrement que notre monde va vers son accomplissement : un accomplissement qui se nomme Jésus-Christ : « Notre âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ».
—————————
Note
La Bible grecque a traduit « Cantiques des degrés », c’est-à-dire des « marches ». Or, un escalier de quinze marches reliait la Cour des femmes au parvis du Temple : certains en déduisent que chacun de ces quinze psaumes était chanté sur l’une des marches. Quand on imagine, au moins pour les jours de grandes fêtes, la foule innombrable qui se pressait aux abords du Temple, sur les divers parvis et sur ces fameuses quinze marches, il est hautement improbable qu’on ait pu attribuer des psaumes précis à des marches précises sauf, peut-être, pour des démarches individuelles. Il est très probable, au contraire, que ces quinze psaumes aient été composés pour accompagner l’ensemble du pèlerinage.

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Romains 8, 8-11

Frères,
8 ceux qui sont sous l’emprise de la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.
9 Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous celle de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché,
mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.

L’ESPRIT DE DIEU HABITE EN NOUS
« Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ezéchiel (dans notre première lecture) ; désormais, depuis notre baptême, nous dit Paul, c’est chose faite. Il emploie une expression imagée : « L’Esprit de Dieu habite en vous ». La prenant au pied de la lettre, un commentateur de ce passage parle de « changement de propriétaire ». Nous sommes devenus des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.
Il serait intéressant de se demander, dans tous les secteurs de notre vie, personnelle et communautaire, qui est aux postes de commande, qui est le maître de maison chez nous, ou si vous préférez, quel est notre objectif, qu’est-ce qui nous « fait courir », comme on dit. D’après Paul, il n’y a pas trente-six solutions : ou bien nous sommes sous l’emprise de l’Esprit, c’est-à-dire que nous nous laissons guider par l’Esprit, ou bien nous ne nous laissons pas inspirer par l’Esprit et c’est ce qu’il appelle « être sous l’emprise de la chair ». Etre sous l’emprise de l’Esprit, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot Esprit par le mot Amour. Et dans la lettre aux Galates, Paul explique ce que sont les fruits de l’Esprit ; « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5,22-23), en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.
J’ai bien dit les « circonstances concrètes » : pour Paul la vie selon l’Esprit ne veut pas dire la tête dans les nuages ; Paul est l’héritier de toute la tradition des prophètes : or tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les « Chants du Serviteur », Isaïe (chapitres 42,49,50,52-53), affirme très fermement que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Et les prophètes ont toujours des mots très durs pour ceux qui croient plaire à Dieu par des cérémonies magnifiques pendant que des pauvres meurent de faim ou de chagrin à leur porte.
Une fois définie la vie selon l’Esprit, ce qui veut dire tout simplement la vie selon l’amour, on déduit très facilement ce que Paul entend par vie selon la chair : c’est le contraire, c’est-à-dire l’indifférence ou la haine ; pour le dire autrement, l’amour c’est le décentrement de soi, la vie sous l’emprise de la chair, c’est le centrement sur soi. Ma question de tout-à-l’heure « Qui commande ici ? « se transforme alors en « Qui est le centre de notre monde ? »
Il est clair que sous l’emprise de la chair, dans ce sens-là, c’est-à-dire centré sur soi, on ne peut pas être en harmonie avec Dieu, accordé à Dieu qui n’est qu’amour. « Sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu » dit Paul.
TEL PERE, TELS FILS
Au contraire, le Christ est le Fils bien-aimé en qui Dieu se complaît, c’est-à-dire qu’il est en harmonie parfaite avec Dieu précisément parce que le Christ n’est lui aussi qu’amour. Dans ce sens le récit des Tentations, que nous avons lu pour le premier dimanche de carême, était saisissant : c’est au chapitre 4 de Matthieu. Il nous montre Jésus centré uniquement sur Dieu et sur la Parole de Dieu. Il refuse résolument de se centrer sur sa faim ni même sur les besoins de sa mission de Messie :
Première tentation : après quarante jours de jeûne, Jésus a faim… la tentation n’est pas là, bien sûr. Avoir faim au bout de quarante jours de jeûne, c’est normal, c’est même plutôt bon signe ! La tentation, c’est d’exiger de Dieu un miracle pour son bénéfice personnel, c’est de se prendre pour le centre du monde, si j’ose dire. « Ordonne à ces pierres de devenir des pains » lui susurre le tentateur, le diviseur. Jésus préfère mettre la Parole au centre du monde et de sa vie « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la maîtrise de soi, la patience, dit Paul.
Deuxième tentation : « Jette-toi du haut du Temple, Dieu sera bien obligé de te protéger » ; réponse de Jésus : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la confiance en Dieu.
Troisième Tentation : « Détourne-toi de Dieu, prosterne-toi devant moi, tu seras le maître des royaumes de la terre » ; mais Jésus est complètement centré sur son Père et non sur ce qu’il pourrait obtenir pour lui : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras, c’est à lui seul que tu rendras un culte ». Le fruit de l’Esprit qui les résume tous, c’est l’amour, dit encore Paul.
Si ce texte des tentations nous est proposé chaque année en début de Carême, c’est parce que le temps du Carême est justement une entreprise de décentrement de nous-mêmes pour nous centrer sur les autres et sur Dieu.
Un peu plus loin dans cette même lettre aux Romains, Paul dit que l’Esprit de Dieu fait de nous des fils, c’est lui qui nous pousse à appeler Dieu-Père ; j’ai envie de dire « tel Père, tel fils ». Ce qui en nous est amour vient de Dieu, c’est notre héritage de fils. « L’Esprit est votre vie » dit encore Paul. Traduisez « l’amour est votre vie » ; d’ailleurs, nous savons tous d’expérience que seul l’amour est créateur.
Tandis que ce qui n’est pas amour ne vient pas de Dieu et parce que cela ne vient pas de Dieu, c’est voué à la mort. La très bonne nouvelle de ce texte d’aujourd’hui, c’est que tout ce qui en nous est amour vient de Dieu et donc ne peut mourir. Comme dit Paul, « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».

EVANGILE – selon saint Jean 11,1-45

En ce temps-là,
3 Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare,
envoyèrent dire à Jésus :
« Seigneur, celui que tu aimes est malade. »
4 En apprenant cela, Jésus dit :
« Cette maladie ne conduit pas à la mort,
elle est pour la gloire de Dieu,
afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
5 Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare.
6 Quand il apprit que celui-ci était malade,
il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.
7 Puis, après cela, il dit aux disciples :
« Revenons en Judée. »

17 À son arrivée,
Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
20 Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus,
elle partit à sa rencontre,
tandis que Marie restait assise à la maison.
21 Marthe dit à Jésus :
« Seigneur, si tu avais été ici,
mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je le sais,
tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
23 Jésus lui dit :
« Ton frère ressuscitera. »
24 Marthe reprit :
« Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
25 Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie.
Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
26 quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
27 Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois :
tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

33 Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,
34 et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? »
Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »
35 Alors Jésus se mit à pleurer.
36 Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »
37 Mais certains d’entre eux dirent :
« Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle,
ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
38 Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau.
C’était une grotte fermée par une pierre.
39 Jésus dit : « Enlevez la pierre. »
Marthe, la sœur du défunt, lui dit :
« Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. »
40 Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ?
Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »
41 On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé.
42 Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ;
mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure,
afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »
43 Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »
44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes,
le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit :
« Déliez-le, et laissez-le aller. »
45 Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie
et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

CELUI QUI CROIT EN MOI, MEME S’IL MEURT, VIVRA
Nous avons pris l’habitude d’appeler ce passage « la résurrection de Lazare », mais, soyons francs, ce n’est pas le terme qui convient ; quand nous proclamons « Je crois à la résurrection des morts et à la vie éternelle », il s’agit de bien autre chose.
La mort de Lazare n’a été qu’une parenthèse en quelque sorte dans sa vie terrestre ; sa vie après le miracle de Jésus a repris son cours ordinaire, et elle a dû être à peu de choses près la même après qu’auparavant. Lazare a eu seulement en quelque sorte un supplément de vie terrestre. Son corps n’était pas transformé et il a dû mourir une seconde fois ; sa première mort n’a pas été ce qu’elle sera pour nous, c’est-à-dire le passage vers la vraie vie.
Mais alors, du coup, on peut se demander à quoi bon ? En faisant ce miracle, Jésus a pris de grands risques pour lui-même parce qu’il ne s’était déjà que trop fait remarquer… et quant à Lazare cela n’a fait que reculer l’échéance définitive.
C’est Saint Jean qui répond à notre question « à quoi bon ce miracle ? » ; il nous dit c’est un signe très important : Jésus est manifesté là comme celui en qui nous avons la vie sans fin et en qui nous pouvons croire, c’est-à dire sur qui nous pouvons miser notre vie.
Et d’ailleurs, les grands prêtres et les Pharisiens ne s’y sont pas trompés : ils ont fort bien compris la gravité du signe que Jésus avait donné là : d’après Saint Jean, toujours, trop de gens se mirent à croire en Jésus à la suite de la résurrection de Lazare, et c’est là qu’ils décidèrent de le faire mourir.
C’est donc ce miracle qui a signé l’arrêt de mort de Jésus ; évidemment, quand on y réfléchit deux mille ans plus tard, on se dit que c’est un comble : être capable de rendre la vie, cela méritait la mort ; triste exemple des aberrations où nous mènent parfois nos certitudes…
Revenons au récit de ce que je vous propose d’appeler le « réveil de Lazare » car il ne s’agit pas d’une véritable résurrection comme celle de Jésus, il s’agit plutôt d’un supplément de vie terrestre. Je ferai seulement deux remarques :
SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU
Première remarque : pour Jésus, la seule chose qui compte, c’est la gloire de Dieu ; mais pour voir la gloire de Dieu, il faut croire (« Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit-il à Marthe). Dès le début du récit, alors qu’on vient d’annoncer à Jésus « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il dit à ses disciples : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu », c’est-à-dire la révélation du mystère de Dieu. Non pas que la manifestation de la gloire de Dieu soit une récompense pour bien-pensants ou bien-croyants ; mais quand nous ne sommes pas dans une attitude de foi, tout se passe comme si nous laissions notre regard s’obscurcir par le soupçon, la méfiance, c’est comme si nous mettions des lunettes sombres, nous ne voyons plus la lumière. La foi nous ouvre les yeux, elle fait sauter ce bandeau de la méfiance que nous avions mis sur nos yeux.
Deuxième remarque : la foi en la résurrection franchit là sa dernière étape : à propos du texte d’Ezéchiel qui nous est proposé en première lecture pour ce cinquième dimanche de Carême, nous avions vu que la foi en la résurrection est apparue très tardivement en Israël ; elle n’est affirmée très clairement qu’au deuxième siècle av. J.C. à l’occasion de la terrible persécution du roi grec Antiochus Epiphane ; et à l’époque du Christ, elle n’est même pas encore admise par tout le monde. Marthe et Marie, visiblement, font partie des gens qui y croient. Mais, dans leur idée, il s’agit encore d’une résurrection pour le dernier jour ; quand Jésus dit à Marthe « Ton frère ressuscitera », Marthe répond : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection ». Jésus rectifie : il ne parle pas au futur, il parle au présent : « Moi, je suis la résurrection et la vie… Tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais… Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » A l’entendre, on a bien l’impression que la Résurrection, c’est pour tout de suite. « Je suis la résurrection et la vie » : cela veut dire que la mort au sens de séparation de Dieu n’existe plus, elle est vaincue dans la Résurrection du Christ. Avec Paul les croyants peuvent dire « Mort, où est ta victoire ? » Non, rien désormais ne nous séparera de l’amour du Christ, même pas la mort.