ECRIVAIN ESPAGNOL, JOSE ORTEGA Y GASSET (1883-1955), LA MISSION DU BIBLIOTHECAIRE, LA MISSION DU BIBLIOTHECAIRE DE JOSE ORTEGA Y GASSET, LITTERATURE ESPAGOLE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, PHILOSOPHE ESPAGNOL, PHILOSOPHIE

La mission du bibliothécaire de José Ortega y Gasset

La mission du bibliothécaire

José Ortega y Gasset
Paris, Editions Allia, 2021. 64 pages

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Résumé :

La culture, qui avait libéré l’homme de sa forêt primitive, le propulse de nouveau dans une forêt, de livres cette fois-ci, non moins confuse et étouffante.
En 1935, José Ortega y Gasset prononce un discours au Congrès international des bibliothécaires.
Depuis la naissance de l’imprimerie, l’accès aux livres s’est démocratisé. Mais cette profusion est paradoxale : « la culture, qui avait libéré l’homme de sa forêt primitive, le propulse de nouveau dans une forêt, de livres cette fois-ci, non moins confuse et étouffante. » Dans ce contexte, le bibliothécaire ne peut plus être qu’un diffuseur de livres.
Il doit trier l’information, être un filtre entre l’homme et l’écrit.Ce discours vertigineux, limpide et bouillonnant, déploie l’érudition d’Ortega y Gasset. Ses intuitions les plus aiguisées portent jusqu’à la racine de notre époque et, de la place du livre au rôle du savoir, nous invitent à une profonde remise en question.
Philosophe espagnol, José Ortega y Gasset (1883-1955) a été professeur à l’université de Madrid, avant de parcourir l’Europe, l’Amérique du Sud et les États-Unis. Il est le fondateur en 1923 de la Revue de l’Occident. Au rayonnement considérable, sa métaphysique est à l’origine d’un renouveau de la philosophie espagnole, faisant de la métaphore un outil de la pensée. Il est l’auteur du Thème de notre temps (1923), de L’Espagne invertébrée (1921) mais surtout de La Révolte des masses (1930).

Critique

Rendre compte d’un texte de 1935 est-il bien utile, à défaut d’être sérieux ? On peut s’abriter derrière le fait que ce texte n’a été que très peu diffusé en France et que cette traduction est une première. Signalons d’ailleurs que les éditions Allia se consacrent à l’édition, dans de nouvelles traductions, de quelques écrits du philosophe espagnol José Ortega y Gasset (1883-1955)1. L’influence de ce maître a été considérable outre-Pyrénées. En France, son œuvre  est connue des hispanistes et de quelques spécialistes de philosophie. Henri Irénée Marrou le cite dans De la connaissance historique. Raymond Aron lui a consacré quelques articles. C’est le penseur de l’histoire (L’Histoire comme système) et le penseur politique (La révolte des masses, un texte majeur des années 19303) qui ont retenu l’attention.

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Mais Ortega est un polygraphe. La philosophie l’aide à poser les problèmes de la vie – sociale, politique, scientifique, affective, artistique – et il aime à s’en emparer pour déplacer les lieux communs et les idées reçues. Le professeur de philosophie était aussi un homme de la presse (sa famille possédait le quotidien El Imparcial ; il créa et anima la Revista de Occidente qui paraît encore aujourd’hui) et s’engagea en politique (député de la République en 1931, il regretta la bipolarisation qui conduisit à la Guerre Civile si bien qu’il préféra l’exil au combat et qu’il rentra en Espagne, sans se soucier de ce que le régime franquiste allait présenter, à tort, comme un ralliement).

Dans ce texte rédigé à l’occasion d’un congrès de bibliothécaire à Madrid, Ortega y Gasset médite en deux directions : que veut dire le mot mission ? Que signifie le livre au moment où le marché devenait pléthorique ? Ces questions ne nous concernent-elles pas encore ?

Typique de la démarche d’Ortega, le texte s’attache à définir le mot de mission : « mission signifie, en premier lieu, ce qu’un homme doit faire au cours de sa vie. La mission serait donc quelque chose d’exclusif à l’homme. Sans homme, pas de mission ». « L’homme, poursuit-il, est la seule et presque inconcevable réalité qui ne soit pas irrémédiablement fixée d’avance, une réalité qui n’est pas d’emblée ce qu’elle est mais qui doit choisir son propre être. Et comment le choisira-t-il ? ». En répondant à un appel : « cet appel que nous entendons vers un certain type de vie, cette voix, ce cri impératif qui monte de notre essence la plus profonde, c’est la vocation ». Comment ne pas être sensible à cette magnifique définition ? En soulignant ce moment initial, dans la formation d’un futur jeune adulte, Ortega, à contre-courant de l’immédiateté actuelle, invite au discernement pour que l’homme réalise ce qu’il est appelé à réaliser.

Passant ensuite à la vie du livre et de la bibliothèque, Ortega pose des hypothèses de nature historique qui d’un coup viennent ouvrir le champ de la réflexion. Le livre devient un « besoin d’ordre social à la Renaissance ». Auparavant, il était limité aux monastères et à des cercles étroits. Mais quand « on commence à tout espérer de la pensée humaine, de sa raison et par conséquent de ses écrits », le livre devient une urgence. La révolution de l’imprimerie en atteste.

Mais l’élan s’est transformé en hybris… « Si chaque nouvelle génération continue à accumuler du papier imprimé dans la même proportion que les précédentes, l’excès même de livres risque d’être vraiment terrifiant. La culture, qui avait libéré l’homme de sa forêt primitive, le propulse de nouveau dans une forêt, de livres cette fois-ci, non moins confuse et étouffante ». Que dirait aujourd’hui Ortega face à l’explosion des contenus et de la quantité d’informations dans cette bibliothèque virtuelle qu’est Internet, lui qui a compris que « le livre, en devenant une incarnation de la mémoire, en la matérialisant, la rend en théorie, illimitée, donnant accès à tous au discours des siècles passés » ?

Et ce bref discours de s’achever sur une question : « Qu’est-ce qu’un livre ? ». « Les livres, écrit-il, sont par essence des discours exemplaires portant en eux l’exigence essentielle d’être écrits, fixés (…) ». Mais il faut prendre garde à ne pas se laisser abuser par les faux livres, ceux qui ne pensent pas. « Lire beaucoup et penser peu transforment le livre en un instrument terriblement efficace de falsification de la vie humaine », conclut-il.

Ces quelques jalons d’un texte bref et dense sont destinés à inviter le lecteur de cette fiche à prendre le temps de lire ce court essai. Il y trouvera une conscience critique propre à l’aider à s’orienter au moment où le bavardage du monde semble comme empêcher toute parole vraie d’accéder au cœur des hommes.

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 5 mai 2021 à propos de l’ouvrage : « La mission du bibliothécaire » de José Ortega y Gasset aux éditions Alia, 2021.

https://eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/culture/observatoire-foi-culture/515551-jose-ortega-y-gasset-la-mission-du-bibliothecaire/

ACCELARATION, UNE CRITIQUE SOCIALE DU TEMPS PAR HARMUT ROSA, ACCELERATION : UNE CRITIQUE SOCIALE DU TEMPS, HARMUT ROSA (1965-....), LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, PHILOSOPHIE, SOCIOLOGIE

Accélaration : une critique sociale du temps par Harmut Rosa

Accélération : une critique sociale du temps ; suivi d’un entretien avec l’auteur

Hartmut Rosa

Paris, La Découverte, 2010. 480 pages

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Ce maître-livre propose une théorie systématique de l’accélération sociale au XXe siècle, permettant de penser ensemble l’accélération technique (celle des transports, de la communication, etc.), l’accélération des transformations sociales (des styles de vie, des structures familiales, des affiliations politiques et religieuses), et l’accélération du rythme de vie.

L’expérience majeure de la modernité est celle de l’accélération. Nous le savons et l’éprouvons chaque jour : dans la société moderne,  » tout devient toujours plus rapide « . Or le temps a longtemps été négligé dans les analyses des sciences sociales sur la modernité au profit des processus de rationalisation ou d’individualisation. C’est pourtant le temps et son accélération qui, aux yeux de Hartmut Rosa, permet de comprendre la dynamique de la modernité.
Pour ce faire, il livre dans cet ouvrage une théorie de l’accélération sociale, susceptible de penser ensemble l’accélération technique (celle des transports, de la communication, etc.), l’accélération du changement social (des styles de vie, des structures familiales, des affiliations politiques et religieuses) et l’accélération du rythme de vie, qui se manifeste par une expérience de stress et de manque de temps. La modernité tardive, à partir des années 1970, connaît une formidable poussée d’accélération dans ces trois dimensions. Au point qu’elle en vient à menacer le projet même de la modernité : dissolution des attentes et des identités, sentiment d’impuissance,  » détemporalisation  » de l’histoire et de la vie, etc. L’auteur montre que la désynchronisation des évolutions socioéconomiques et la dissolution de l’action politique font peser une grave menace sur la possibilité même du progrès social.
Marx et Engels affirmaient ainsi que le capitalisme contient intrinsèquement une tendance à  » dissiper tout ce qui est stable et stagne « . Dans ce livre magistral, Hartmut Rosa prend toute la mesure de cette analyse pour construire une véritable  » critique sociale du temps  » susceptible de penser ensemble les transformations du temps, les changements sociaux et le devenir de l’individu et de son rapport au monde.

Biographie de l’auteur

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Né en 1965, Hartmut Rosa, sociologue et philosophe, est professeur à l’université Friedrich Schiller de Iéna et directeur du Max-Weber-Kolleg à Erfurt,en Allemagne. Il est notamment l’auteur à La Découverte d’Accélération (2013), de Résonance (2018) et de Rendre le monde indisponible (2020).

EDGAR MORIN (1921-....), PHILOSOPHE FRANÇAIS, PHILOSOPHIE, VIVRE AVEC L(INATTENDU

Vivre avec l’inattendu, pensées d’Edgar Morin

Vivre avec L’inattendu : pensées de Edgar Morin (99 ans)

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′′J ‘ai été surpris par la pandémie mais dans ma vie, j’ai l’habitude de voir arriver l’inattendu. L arrivée de Hitler a été inattendue pour tout le monde. Le pacte germano-soviétique était inattendu et incroyable. Le début de la guerre d’Algérie a été inattendu. Je n’ai vécu que pour l’inattendu et l’habitude des crises. En ce sens, je vis une nouvelle crise énorme mais qui a toutes les caractéristiques de la crise. C est-à-dire que d’un côté suscite l’imagination créative et suscite des peurs et des régressions mentales. Nous recherchons tous le salut providentiel, mais nous ne savons pas comment.

Il faut apprendre que dans l’histoire, l’inattendu se produit et se reproduira. Nous pensions vivre des certitudes, des statistiques, des prévisions, et à l’idée que tout était stable, alors que tout commençait déjà à entrer en crise. On ne s’en est pas rendu compte. Nous devons apprendre à vivre avec l’incertitude, c’est-à-dire avoir le courage d’affronter, d’être prêt à résister aux forces négatives.

La crise nous rend plus fous et plus sages. Une chose et une autre. La plupart des gens perdent la tête et d’autres deviennent plus lucides. La crise favorise les forces les plus contraires. Je souhaite que ce soient les forces créatives, les forces lucides et celles qui recherchent un nouveau chemin, celles qui s’imposent, même si elles sont encore très dispersées et faibles. Nous pouvons nous indigner à juste titre mais ne devons pas nous enfermer dans l’indignation.

Il y a quelque chose que nous oublions : il y a vingt ans, un processus de dégradation a commencé dans le monde. La crise de la démocratie n’est pas seulement en Amérique latine, mais aussi dans les pays européens. La maîtrise du profit illimité qui contrôle tout est dans tous les pays. Idem la crise écologique. L ‘ esprit doit faire face aux crises pour les maîtriser et les dépasser. Sinon nous sommes ses victimes.

Nous voyons aujourd’hui s’installer les éléments d’un totalitarisme. Celui-ci n’a plus rien à voir avec celui du siècle dernier. Mais nous avons tous les moyens de surveillance de drones, de téléphones portables, de reconnaissance faciale. Il y a tous les moyens pour surgir un totalitarisme de surveillance. Le problème est d’empêcher ces éléments de se réunir pour créer une société totalitaire et invivable pour nous.

À la veille de mes 100 ans, que puis-je souhaiter ? Je souhaite force, courage et lucidité. Nous avons besoin de vivre dans des petites oasis de vie et de fraternité. »


« J’espère que cette crise va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut le croire. C’est une réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées. »
« L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade ou que vous serez heureux en ménage ! Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille…  »
 » Je ne vis pas dans l’angoisse permanente, mais je m’attends à ce que surgissent des événements plus ou moins catastrophiques (…) Cela fait partie de ma philosophie : « Attends-toi à l’inattendu. »
« C’est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture industrielle dont on connaît les vices, le moment de s’en désintoxiquer. C’est aussi l’occasion de prendre durablement conscience de ces vérités humaines que nous connaissons tous, mais qui sont refoulées dans notre subconscient : que l’amour, l’amitié, la communion, la solidarité sont ce qui font la qualité de la vie. »

Edgar Morin (1921-….)

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Edgar Morin, de son vrai nom Edgar Nahoum, est un sociologue et philosophe français.
D’origine juive séfarade, descendant d’un père commerçant juif de Salonique mais se déclarant athée (il se décrit lui-même comme d’identité néo-marrane), et fils unique, sa mère décède alors qu’il a dix ans. Il obtient une licence en histoire et géographie et une licence en droit (1942), il entre alors dans la Résistance de 1942 à 1944, comme lieutenant des Forces françaises combattantes. Il y joue un rôle actif et il rencontre notamment François Mitterrand. Il adopte alors le pseudonyme de Morin, qu’il garde par la suite. Attaché à l’État-major de la 1re Armée française en Allemagne (1945), puis Chef du bureau « Propagande » au Gouvernement militaire français (1946). À la Libération, il écrit L’an zéro de l’Allemagne où il décrit la situation du peuple allemand de cette époque. Ce livre a été apprécié en particulier par Maurice Thorez qui l’invite à écrire dans la revue Les Lettres françaises. À partir de 1949, il s’éloigne du Parti communiste français, dont il est exclu peu après, en tant que résistant antistalinien.
Sur les conseils de Georges Friedmann, qu’il a rencontré pendant l’Occupation, et avec l’appui de Maurice Merleau-Ponty, de Vladimir Jankélévitch et de Pierre George, il entre au CNRS (1950), il y conduit en 1965 notamment une étude pluridisciplinaire sur une commune en Bretagne, publiée sous le nom de La Métamorphose de Plozevet (1967). Il y séjourne près d’un an.
Il s’intéresse très vite aux pratiques culturelles qui sont encore émergentes et mal considérées par les intellectuels : L’Esprit du temps (1960), La Rumeur d’Orléans (1969). Il cofonde la revue Arguments en 1956. Il fonde (codirecteur de 1973 à 1989) et dirige le CECMAS (Centre d’études des communications de masse), qui publie des recherches sur la télévision, la chanson dans la revue Communications qu’il dirige et qui paraît encore aujourd’hui.
Durant les années 1960, il part près de deux ans en Amérique latine où il enseigne à la Faculté latino-américaine des sciences sociales. En 1969, il est invité à l’Institut Salk de San Diego. Il y rencontre Jacques Monod, l’auteur du Hasard et la Nécessité et y conçoit les fondements de la pensée complexe et de ce qui deviendra sa Méthode.
Aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS, Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde.

LIVRE, LIVRES, PHILOSOPHE GREC, PHILOSOPHIE, PHILOSOPHIE GRECQUE, PLATON (428/427 av. J.-C. - 348:347 av. J.-C.)

PLaton : les Oeuvres complètes

Platon : Oeuvres complètes 

Platon ; traduction de Luc Brisson et de Louis-André Dorion

Paris, Flammarion, 2020. 

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Platon inaugure, par l’intermédiaire de Socrate, ce geste intellectuel primordial : s’interroger, sans préjugés, sur ce qui fait que la vie de l’homme et de la cité vaut d’être vécue. C’est pourquoi nous n’avons pas cessé d’être les contemporains de Socrate qui, dans les rues d’Athènes et sur la place publique, discutait avec ceux qui l’entouraient de ce qui fait la valeur d’une vie humaine, de ce qui motive telle ou telle action individuelle ou civique, des buts que poursuivent l’individu et la cité. Cette édition comprend la totalité des dialogues de Platon, ainsi que la traduction inédite des œuvres douteuses et apocryphes. Elle comporte en outre une introduction générale, des notices de présentation pour chaque dialogue, des annexes, un index des noms propres et des notions, et un répertoire des citations, qui permettent à tous, néophytes ou familiers, de redécouvrir Platon.

 

 

PLaton (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.)

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Platon est un philosophe grec, et l’un des disciples de Socrate.

Il est généralement considéré comme l’un des premiers et des plus grands philosophes occidentaux, sinon comme l’inventeur de la philosophie. Son œuvre, composée presque exclusivement de dialogues philosophiques mettant en scène Socrate comme personnage principal, est d’une grande richesse de style et de contenu, et comporte, sur nombre de sujets, les premières formulations classiques des problèmes majeurs de l’histoire de la philosophie occidentale.

Platon a ainsi exposé les questions fondamentales de la philosophie politique, de la philosophie morale, de la théorie de la connaissance, de la cosmologie et de l’esthétique. Sa pensée est une recherche sans cesse renouvelée de réalités immuables : le Bien, le Vrai, le Beau, qui se reflètent dans les changements continuels des réalités sensibles. Il s’oppose par là aux savoirs traditionnels, aux préjugés, et aux opinions des hommes.

Il se consacra aussi aux apparences et aborda l’histoire naturelle, dans laquelle il voulut établir deux principes : l’un subissant, comme la matière, et appelé récepteur universel – l’autre agissant, comme une cause, et qu’il rattache à la puissance du dieu et du Bien.

Platon fonda, en 387 av. J-C, à Athènes, près de Colone et du gymnase d’Acadèmos, une école, nommée « l’Académie », selon le modèle des pythagoriciens. Il y enseigna pendant quarante ans. Sur le fronton de l’Académie était gravée, selon la légende, la devise « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». On y poursuivait des recherches scientifiques ; l’enseignement des sciences exactes y préparait à l’étude de la philosophie, considérée en elle-même et dans ses applications à la politique. L’école a subsisté pendant neuf siècles, jusqu’au règne de l’empereur byzantin Justinien, qui mit un terme à son existence en 529.

Au nombre de ses œuvres majeures, mentionnons « Le Banquet », « L’Apologie de Socrate », « Les Lois » et « La République ».

 

Luc Brisson

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Luc Brisson, né le 10 mars 1946 à Saint-Esprit (comté de Montcalm), est un philosophe québécois. Il a également acquis la citoyenneté française et est directeur de recherche au Centre Jean Pépin du CNRS, en France. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes contemporains de Platon, directeur de la traduction des œuvres complètes du philosophe dans l’édition GF, et auteur de nombreux travaux sur le sujet.

Biographie

Jeunesse et études

Luc Brisson effectue une licence puis une maîtrise en philosophie à l’Université de Montréal sous la direction de Vianney Décarie.

Il étudie la sociologie de la Grèce ancienne à l’École pratique des hautes études sous la direction de Pierre Vidal-Naquet entre 1968 et 1971. Il obtient un doctorat de 3e cycle en 1971 à l’université Paris-Nanterre sous la direction de Clémence Ramnoux. Il devient migrant student à Oxford (1971-1972)

Il étudie ensuite le sanskrit à l’université Sorbonne-Nouvelle entre 1979 et 1984, ainsi que les langues vivantes étrangères (1982) et les études indiennes sous la direction de Marie-Claude Porcher (1984).

En 1985, il obtient un doctorat d’État, toujours à l’université Paris-Nanterre, sous la direction de Jean Papin, pour une thèse appelée « Mythe et philosophie chez Platon« 

Parcours universitaire

Attaché de recherche du CNRS en 1974, il devient chargé de recherche en 1981, puis directeur de recherche en 1986 au Centre Jean Pépin du CNRS. Il est spécialiste de philosophie antique, particulièrement de Platon. Luc Brisson est l’auteur de nombreuses publications consacrées à Platon et à la philosophie antique ; il est également l’un des principaux collaborateurs de l’entreprise de traduction et de présentation des œuvres de Platon aux éditions GF Flammarion, et dirige avec Jean-François Pradeau la traduction des œuvres de Plotin chez le même éditeur.

Luc Brisson a dirigé les travaux de traduction de l’intégralité des textes de Platon et a longuement commenté ce dernier, Luc Brisson, qui est lui-même traduit dans de nombreuses langues. L’objectif poursuivi dans le cadre de son projet de traduction a été de démocratiser l’œuvre platonicienne, tout en fournissant des commentaires et des appareils de notes intéressants pour les étudiants et les chercheurs.

 

FREDRIC GROS (1965-...), LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, MARCHER, UNE PHILOSOPHIE, PHILOSOPHE FRANÇAIS, PHILOSOPHIE

Marcher, une philosophie de Frédéric Gros

Marcher, une philosophie

Frédéric Gros

Paris, Flammarion, 2011. 312 pages.

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Résumé :

« La marche, on n’a rien trouvé de mieux pour aller plus lentement. Pour marcher, il faut d’abord deux jambes. Le reste est vain. Aller plus vite ? Alors ne marchez pas, faites autre chose : roulez, glissez, volez. Ne marchez pas. Car marchant, il n’y a qu’une performance qui compte : l’intensité du ciel, l’éclat des paysages. Marcher n’est pas un sport. »
Si mettre un pied devant l’autre est un jeu d’enfant, la marche est bien plus que la répétition machinale d’un geste anodin : une expérience de la liberté, un apprentissage de la lenteur, un goût de la solitude et de la rêverie, une infusion du corps dans l’espace…
Frédéric Gros explore ici, en une série de méditations philosophiques et en compagnie d’illustres penseurs en semelles (Nietzsche et Rimbaud, Rousseau et Thoreau, Nerval et Hölderlin…) mille et une façons de marcher – flânerie, errance ou pèlerinage -, comme autant d’exercices spirituels.

 

 

« Marcher, une philosophie », de Frédéric Gros : crève pas, marche !

De ce livre, en fin de compte, on pourrait dire que le propos est ténu, les constats simples, les remarques presque toujours évidentes. Mais l’écriture est souveraine – limpide, exacte, les termes tous sentis.

Beaucoup, l’été venant, mettront bientôt un pied devant l’autre. Acharnés à faire vite, pour certains. Bêtement. Pour la plupart, heureusement, ce sera avec lenteur, mesure et endurance, en avançant pas à pas, solitaire en soi-même, au coeur du paysage soudain retrouvé, une fois largués les artifices, les semblants, les urgences connectées où l’on crève. Cette lenteur de la marche, où l’on oublie l’inutile pour l’essentiel, et l’actualité de l’heure pour la présence du monde, indique une philosophie.

C’est ce que fait voir Frédéric Gros, dans un admirable petit livre qui ravira même les incurables sédentaires, ceux que Nietzsche appelait « culs-de-plomb ». Car personne, après tout, n’est obligé de pratiquer la randonnée pédestre pour prendre plaisir et intérêt à cette prose intelligente et claire – rare, somme toute. Philosophie, ici, ne signifie ni pédanterie ni jargon. Frédéric Gros réinvente, à l’antique, une méditation qui accompagne le mouvement du corps et en creuse les sensations.

« En marchant, écrit-il, on échappe à l’idée même d’identité, à la tentation d’être quelqu’un, d’avoir un nom et une histoire. » On songe à Michel Foucault, que Frédéric Gros a étudié, édité et commenté, disant : « J’écris pour n’être personne. » Ecrire, marcher, serait-ce la même chose ? La parenté existe : nombreux sont les écrivains-penseurs-marcheurs. On en croise certains au fil des pages, depuis Nietzsche arpentant l’Engadine ou les collines niçoises jusqu’à Gandhi nomadisant en Inde avec la marche pour action, sans oublier ces promeneurs célestes que furent Rimbaud, Rousseau ou Thoreau. Contrairement à Kant, hygiéniste et métronome, ils convainquent que sur terre l’homme habite en marcheur. En parcourant le monde à pied, ne fût-ce que quelques heures ou quelques jours, on le voit tout différemment. Et l’on se voit soi-même autre.

Car la marche insiste sur les articulations, en particulier celle du corps et de l’âme. Elle métamorphose le temps, impose fatigue à la pensée, se fait subversion ou vacuité. En pérégrinant, on se perd et se retrouve, comme en tout exercice spirituel. On cesse de s’affairer, on crée parfois. Nietzsche avait les sentiers pour atelier, d’autres y élaborent des psaumes. « Marcher fait venir naturellement aux lèvres une poésie répétitive, spontanée, des mots simples comme le bruit des pas sur le chemin. »

On évitera donc de croire que la marche est un sport. Pas même un loisir, encore moins un divertissement. Au contraire, si l’on en croit Frédéric Gros, ce serait plutôt une ascèse, au vieux sens grec – exercice, entraînement -, qui nous ramène à l’essentiel, c’est-à-dire à ce presque rien que nous sommes, présent-absent dans le monde, ne faisant qu’y glisser. Avec des mots de tous les jours, et sans en avoir l’air, façon Montaigne, ce philosophe donne là une vraie leçon.

De ce livre, en fin de compte, on pourrait dire que le propos est ténu, les constats simples, les remarques presque toujours évidentes. Mais l’écriture est souveraine – limpide, exacte, les termes tous sentis. D’où ce ton juste, qui fait de ce petit volume une très bonne surprise. Du coup… on marche !

 

https://www.lemonde.fr/livres/article/2009/06/18/marcher-une-philosophie-de-frederic-gros_1208227_3260.html

 

la différence entre l’assurance et la confiance .

– L’assurance nous est donnée parce qu’on sait qu’on dispose du nécessaire pour faire face : faire face aux intempéries, aux sentiers multiples, à l’absence de source, à la fraîcheur des nuits. On sent alors qu’on peut compter sur son matériel, son expérience, ses capacités d’anticipation. C’est l’assurance de l’homme technique, qui maîtrise les situations. Avisé, responsable.
– Marcher, sans même le nécessaire, c’est s’abandonner aux éléments. Désormais, plus rien ne compte, plus de calculs, plus d’assurance en soi. Mais une confiance pleine, entière dans la générosité du monde. Les pierres, le ciel, la terre, les arbres : tout devient pour nous auxiliaire, don, secours inépuisable. En s’y abandonnant, on gagne une confiance inconnue, qui comble le coeur, parce qu’elle fait dépendre absolument d’un Autre et nous ôte jusqu’au souci de notre conservation. L’élémentaire, c’est ce à quoi on s’abandonne, et qui nous est donné absolument. Mais pour en éprouver la consistance, il faut prendre le risque, le risque de dépasser le nécessaire. (pp. 254-55)

Il fallait finir en marchant. La nécessité de terminer sur ses jambes comprend plusieurs leçons. C’est d’abord le rappel de la pauvreté christique. Humilité : celui qui marche est pauvre d’entre les pauvres. Le pauvre, pour toute richesse, a son seul corps. Le marcheur est fils de la terre. Chaque pas est un aveu de gravité, chaque pas témoigne de l’attachement et martèle la terre comme un tombeau définitif, promis. Mais c’est aussi que la marche est pénible, elle exige un effort répété. On n’approche bien un lieu sacré qu’en ayant été purifié par la souffrance et marcher exige un effort indéfiniment réitéré. (p. 158)

Compostelle est la dernière destination majeure. On raconte de saint Jacques – un des trois préférés du Christ, premier des apôtres martyrs, décapité sur ordre du roi Hérode – qu’il aurait été transporté par ses disciples sur une embarcation, finalement échouée sur les plages de Galice. Là, on aurait soigneusement porté en terre le lourd tombeau de marbre, bientôt oublié… Jusqu’à ce fameux jour où un ermite nommé Pélage aperçoit en songe des anges lui découvrant l’emplacement exact du tombeau, tandis qu’au même moment, toutes les nuits, le ciel indique une direction par un filet d’étoiles. On construira sur la sépulture redécouverte un sanctuaire, puis une église, enfin une cathédrale. Et la visite du saint deviendra un des plus fameux pèlerinages, prenant bientôt sa place aux côtés de Rome et de Jérusalem. (pp. 159-160)

Les grands chemins pour les chrétiens sont d’abord ceux de Rome ou de Jérusalem. Jérusalem, dès le IIIe siècle, c’est pour les chrétiens le pèlerinage absolu en tant qu’ accomplissement de la présence : fouler le sol même sur lequel il avait marché, refaire le chemin du calvaire, être pris dans le même paysage, approcher le bois de la Croix, se tenir auprès de la grotte où il parlait à ses disciples.[…]
Rome offre bientôt une destination plus sûre. Deux apôtres majeurs y reposent (Pierre et Paul). Rome est immédiatement sacrale : nombril et cœur  de l’Eglise catholique instituée. (pp.158-159)

Certains décident de consacrer à l’écriture le même temps qu’ils ont donné à la lecture. Thoreau, rappelle Emerson, s’était donné comme principe de ne s’accorder de temps d’écriture qu’autant qu’il aurait marché. Pour éviter les pièges de la culture et des bibliothèques. Car, autrement, ce qu’on écrit est rempli de l’écriture des autres. (…) (p.132)

Les livres ne sont pas ce qui nous apprendrait à vivre (c’est le triste programme des donneurs de leçons), mais ce qui nous donne envie de vivre, de vivre -autrement-: retrouver en nous la possibilité de la vie, son principe. La vie ne tient pas entre deux livres (gestes monotones, quotidiens, nécessaires, entre deux lectures), mais le livre fait espérer une existence différente. (…) (p. 132)

« Il est vain de s’asseoir pour écrire quand on ne s’est jamais levé pour vivre » (Thoreau-Journal) (p.133)

 

Frédéric Gros

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Frédéric Gros, né le 30 novembre 1965 à Saint-Cyr-l’École, est un philosophe français, spécialiste de Michel Foucault. Il est professeur de pensée politique à l’Institut d’études politiques de Paris (SciencesPo) et chercheur au CEVIPOF.

Biographie

En 1986, il entre à l’École normale supérieure.

Il soutient une thèse de doctorat en philosophie à l’université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne en 1999, intitulée Théorie de la connaissance et histoire des savoirs : de L’histoire de la folie à L’archéologie du savoir, sous la direction de Claude Imbert.

Frédéric Gros est actuellement professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris, titulaire du cours de première année intitulé « Humanités politiques : la violence et la responsabilité. », après avoir enseigné une vingtaine d’années à l’université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne.

Ouvrages

  • Michel Foucault, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1996, 1reéd., 126 p.
  • Foucault et la folie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Philosophies », 1997, 1reéd., 126 p.
  • Avec Antoine Garapon et Thierry Pech, Et ce sera justice. Punir en démocratie, Paris, Odile Jacob, 2001, 330 p.
  • (dir.),  Le courage de la vérité, Presses universitaires de France, coll. « Débats philosophiques », Paris, 2002, 168 p.
  • États de violence : essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, 2006, 304 p.
  • Marcher, une philosophie, Paris, Carnets Nord, 2008, 304 p. (
  • Le Principe sécurité, Paris, Gallimard, 2012, 304 p.
  • Possédées(roman), Paris, Albin Michel, 2016, 280 p.
  • Désobéir, Paris, Albin Michel, 2017, 144 p.
  • Le Guérisseur des Lumières(roman), Paris, Albin Michel, 2019, 176 p.

 

 

JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712-1778), LISBONNE (Portugal), MAL (problème du), PHILOSOPHE FRANÇAIS, PHILOSOPHIE, TREMBLEMENT DE TERRE, VOLTAIRE (1694-1778)

Tremblement de terre à Lisbonne au Portugal (1er novembre 1755) : le débat entre Voltaire et Rousseau

Tremblement de terre à Lisbonne en 1755 :

débat entre Voltaire et Rousseau

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1er novembre 1755

Tremblement de terre à Lisbonne

 

Le samedi 1er novembre 1755, Lisbonne (235.000 habitants) est frappée par trois secousses telluriques d’une exceptionnelle violence puis par plusieurs raz de marée.

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La catastrophe va avoir des répercussions immenses, pas seulement humaines et matérielles, mais aussi philosophiques et scientifiques. Des gouvernants et des savants refusent pour la première fois de se soumettre à la fatalité et mettent en oeuvre des mesures de prévention.

 

Une perte immense

La capitale du Portugal doit sa prospérité à un immense empire colonial. C’est, au XVIIIe siècle, le troisième port européen après Londres et Amsterdam. Chaque année y sont débarqués 11 à 16 tonnes d’or et diamants du Brésil. D’où ces palais et églises au luxe tapageur qui côtoient la plus extrême misère.

Les deux premières secousses se succèdent à vingt minutes d’intervalle, vers 9h30. D’une extrême brutalité (8,7 sur l’échelle de Richter), elles sont suivies d’un tsunami, avec une vague de 5 à 10 mètres de haut qui balaie tous les bas quartiers de l’agglomération. Enfin survient une troisième réplique vers onze heures. Sur les ruines s’allument partout des incendies. Ils vont durer pendant six jours.

Tout est presque entièrement détruit et ce qui reste fait l’affaire des pillards. Selon les estimations, 10.000 à 60.000 victimes restent sous les décombres. Beaucoup d’entre elles meurent dans l’effondrement des églises où elles se préparaient à assister à l’office de la Toussaint. Le bilan aurait sans doute été beaucoup plus lourd une heure plus tard, avec les églises pleines de fidèles.

Toutefois est épargné le quartier excentré de Belém, à huit kilomètres en aval, sur le Tage. De là partirent les grands explorateurs du XVe siècle tel Vasco de Gama. Le monastère majestueux des Hiéronymites et la tour de Belém, construite en 1515 par le roi Manuel 1er, figurent parmi les rescapés.

Fort heureusement pour la cour, c’est dans ce couvent des Hiéronymites que le roi Joseph 1er a choisi d’assister à la grand-messe de la Toussaint.

 

La catastrophe racontée par un témoin

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Voici des extraits de la lettre d’un témoin anonyme rédigée en français et publiée dans O livro e a leitura em Portugal (Verbo, 1987) :

Lisbonne jouissait depuis longtemps des prérogatives d’une des plus grandes et des plus superbes villes du monde; tout concourait à persuader ses habitants que leur félicité était inaltérable .
Il s’éleva dès le matin un brouillard fort épais qui fut dissipé peu après par les rayons très ardents du soleil. Il ne faisait point de vent, la mer n’était troublée par aucune agitation. A 9 heures 36 minutes, tandis que tout le monde se trouvait dans les temples ou se préparait chez soi pour y aller satisfaire aux préceptes de l’Église, il se fit tout à coup un tremblement de terre si violent et si horrible qu’il terrassa en moins de trois minutes toutes les églises et tous les couvents. Un nombre infini de personnes de tout état, de tout sexe et de tout âge se retrouva enseveli sous les ruines de ces édifices sacrés .
Un second tremblement de terre, quoique moins violent que le premier, augmenta de nouveau la désolation. On s’imagina qu’on allait être engloutis dans les crevasses que le premier avait ouvertes de tous les côtés quelques moments auparavant. Cependant, le feu prend dans les églises, dans les palais et dans les maisons qui se trouvaient abandonnés et presque détruits. Un vent du nord s’élevant et soufflant avec impétuosité rend l’incendie général .
La mer parut jalouse de ce que les hommes la croyaient moins à craindre que la terre et le feu, loin de secourir ceux qui se confiaient à elle et qui se jetaient à corps perdu dans les premiers bateaux qu’ils rencontraient, elle vomit tout à coup des tourbillons d’une eau noire et épaisse qui semblaient sortir de ses plus profonds abîmes après s’être gonflés d’une manière surprenante. Les flots en courroux retournent avec la même précipitation vers la mer . Ce flux était si rapide que l’on s’attendait à voir le fleuve à sec à l’embouchure du Tage .
L’incendie prenait cependant de nouvelles forces et s’étendait de l’orient au couchant, consumant de tous côtés, avec les meubles, les cadavres des morts et les corps des estropiés. Une infinité de bateaux et de barques, des vaisseaux même, périssent au milieu des eaux par le feu. Les malades écrasés sont consumés dans les hôpitaux, les criminels dans les prisons .
Pendant plus de quinze jours, le feu fut par toute la ville, et les tremblements de terre se firent sentir tous les jours jusqu’au 18. Le plus fort fut celui du 8, à 6 heures du matin .

Le tremblement de terre est ressenti dans toute l’Europe et au Maroc, entraînant des oscillations jusque dans les lochs écossais et les lacs suisses.

Pour les habitants de Lisbonne, le cauchemar va perdurer jusqu’en septembre 1756. Dans ce laps de temps, ils vont endurer environ 500 secousses.

 

Secousses intellectuelles

La catastrophe a un immense retentissement médiatique dans toute l’Europe instruite. C’est une première.

Les religieux, les prédicateurs et les philosophes, tels Voltaire et Rousseau, y voient l’occasion de débattre de la miséricorde divine et des mérites de la civilisation urbaine.

Pour Voltaire, le séisme offre un démenti cinglant à l’optimisme de l’illustre savant et penseur Gottfried Wilhelm von Leibniz (mort en 1716). Le «philosophe» français se fend d’un conte brillant, Candide, où il tourne en dérision les espoirs que plaçait Leibniz dans la science et la connaissance comme moyens de faire progresser l’ensemble de l’humanité. Il moque tout autant les religieux qui invoquent la soumission à la volonté divine.

Les catastrophes naturelles lui apparaissent inévitables, sans cause et sans but. Faisant fi de cette fatalité, il s’en tient pour sa part à glorifier la «civilisation» qui apporte aux élites, dont lui-même, des douceurs telles que chocolat, sucre, café, soieries… Il prône la quête du mieux-être individuel dans l’indifférence au reste du monde («Cultivons notre jardin», dit avec résignation Candide à la fin du conte homonyme).

Rousseau ne songe pas plus que son rival à attribuer aux catastrophes une origine divine mais y voit une occasion de condamner les excès de la civilisation. À un poème de Voltaire sur le séisme, il réplique par des considérations quelque peu prudhommesques : «Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eut été beaucoup moindre et peut-être nul ; Tout eut fui au premier ébranlement, et on les eût vus le lendemain à vingt lieues de là, tout aussi gais que s’il n’était rien arrivé ; mais faut rester, s’opiniâtrer autour des masures, s’exposer à de nouvelles secousses, parce que ce qu’on laisse vaut mieux que ce qu’on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce désastre, pour vouloir prendre l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son argent ?[…] Vous auriez voulu (et qui n’eût pas voulu de même ?) que le tremblement se fût fait au fond d’un désert plutôt qu’à Lisbonne. Peut-on douter qu’il ne s’en forme aussi dans les déserts ? Mais nous n’en parlons point, parce qu’ils ne font aucun mal aux Messieurs des villes, les seuls hommes dont nous tenions compte…»

 

Un homme des «Lumières»

Les contemporains de ces éminents penseurs se montrent toutefois, dans l’ensemble, plus pragmatiques. Ils voient dans le tremblement de terre de Lisbonne un motif d’accélérer les recherches pour comprendre et maîtriser les phénomènes naturels. Ils placent leur confiance dans le «progrès».

Pombal

L’un des meilleurs représentants de cette école est José de Carvalho e Melo, plus connu sous le nom de marquis de Pombal. Peu après le tremblement de terre, il devient Premier ministre et révèle alors ses talents d’organisateur et sa clairvoyance.

Lhomme fort du Portugal entreprend la reconstruction des quartiers sinistrés. Les urbanistes adoptent l’esprit rationnel des Lumières, avec des rues à angles droits et des constructions sobres. Sur les bords du Tage, le palais royal, détruit, est remplacé par la monumentale place du Commerce, ainsi nommée en l’honneur de la bourgeoisie marchande, fondatrice du Portugal moderne.

Pragmatique, le marquis de Pombal lance par ailleurs une enquête dans tout le pays sur les indices avant-coureurs du séisme. C’est la première fois que l’on tente une explication scientifique des tremblements de terre.

À Paris, dans le même esprit, le géographe Philippe Buache, membre de l’Académie des Sciences, étudie et classifie les séismes. Il fonde une nouvelle science : la sismologie.

 

Vie et mort du progrès

Le philosophe Michel Serres voit dans le tremblement de terre de Lisbonne la naissance du «scientisme», un mouvement de pensée qui culminera au XIXe siècle et s’étiolera à la fin du XXe siècle avec la montée des craintes face aux excès de la technologie (*).

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En 1842, après l’accident de chemin de fer de Meudon, les élites renouvellent leur confiance dans le progrès, en dignes héritières des «Lumières». Aujourd’hui, les élites européennes invoquent à tout propos cette «philosophie des Lumières»… mais elles tournent le dos à la foi dans le progrès qui en est la caractéristique dominante.

Effrayées par l’emballement des innovations technologiques et les désastres causés à l’environnement par une croissance économique éperdue, elles doutent de l’avenir comme du passé, dans lequel elles ne voient que motifs de repentance et de contrition. Elles s’en tiennent à la gestion du présent et cultivent un individualisme désabusé. Elles sacralisent la consommation et le bien-être immédiats au détriment des efforts indispensables pour notamment prévenir les dangers liés au réchauffement climatique (autrement plus redoutable que le séisme de Lisbonne).

 

https://www.herodote.net/1er_novembre_1755-evenement-17551101.php

 

LE DEBAT VOLTAIRE/ROUSSEAU AU SUJET DU DESASTRE DE LISBONNE

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Voltaire : Poème sur le désastre de Lisbonne  – 1756 (extraits)

 

O malheureux mortels ! ô terre déplorable !

O de tous les mortels assemblage effroyable !

D’inutiles douleurs éternel entretien :

Philosophes trompés qui criez, « Tout est bien »

Accourez, contemplez ces ruines affreuses,

Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,

Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,

Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;

Cent mille infortunés que la terre dévore,

Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,

Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours

Dans l’horreur du tourment leurs lamentables jours !

Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,

Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois

Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »

Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :

« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »

Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants

Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?

(…)

Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire.

Quoi ! l’univers entier, sans ce gouffre infernal,

Sans  engloutir Lisbonne, eût-il été plus mal ?

Etes-vous assurés que la cause éternelle

Qui fait tout, qui sait tout,  qui créa tout pour elle,

Ne pouvait nous jeter dans ces tristes climats

Sans former des volcans allumés sous nos pas !

Borneriez-vous ainsi la suprême puissance ?

Lui défendriez–vous d’exercer sa clémence ?

L’éternel artisan n’a-t-il pas dans ses mains

Des moyens infinis tout prêts pour ses desseins ?

(…)

Mais comment concevoir un Dieu, la bonté même,

Qui prodigua ses biens à ses enfants qu’il aime,

Et qui versa sur eux les maux à pleines mains ?

Quel œil peut pénétrer dans ses profonds desseins :

De l’être tout parfait le mal ne pouvait naître ;

Il ne vient  point d’autrui, puisque Dieu seul est maître :

Il existe pourtant. O tristes vérités !

O mélange étonnant de contrariétés !

Quelque parti qu’on prenne, on doit frémir, sans doute.

Il n’est rien qu’on connaisse, et rien qu’on ne redoute.

La nature est muette, on l’interroge en vain ;

On a besoin d’un Dieu qui parle au genre humain.

Il n’appartient qu’à lui d’expliquer son ouvrage,

De consoler le faible, et d’éclairer le sage.

L’homme, au doute, à l’erreur, abandonné sans lui,

Cherche en vain des roseaux qui lui servent d’appui.

Leibniz ne m’apprend point par quels nœuds invisibles,

Dans le mieux ordonné des univers possibles,

Un désordre éternel, un chaos de malheurs,

Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs,

Ni pourquoi l’innocent, ainsi que le coupable,

Subit également ce mal inévitable.

 

Rousseau : Lettre à Voltaire du 18 Août 1856 (extraits)

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(…)
Je ne vois pas que l’on puisse chercher la source du mal moral ailleurs que dans l’homme libre, perfectionné, partant corrompu ; et quant aux maux physiques (…) ils sont inévitables dans tout système dont l’homme fait partie (…) la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également et plus légèrement logés, le dégât eut été beaucoup moindre, et peut-être nul. Tous eussent fui au premier ébranlement, et on les eut vus le lendemain à vingt lieues de là, tout aussi gais que s’il n’était rien arrivé. Mais il faut rester, s’opiniâtrer autour des masures, s’exposer à de nouvelles secousses, parce que ce qu’on laisse vaut mieux que ce qu’on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce désastre pour vouloir prendre l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son argent ?
(…)
Pour revenir au système que vous attaquez, je crois qu’on ne peut l’examiner convenablement sans distinguer avec soin le mal particulier, dont aucun philosophe n’a jamais nié l’existence, du mal général que nie l’optimisme. Il n’est pas question de savoir si chacun de nous souffre ou non ; mais s’il était  bon que l’univers fut, et si nos maux étaient inévitables dans sa  constitution. Ainsi l’addition d’un article rendrait, ce semble, la proposition plus exacte, et, au lieu de tout est bien, il vaudrait mieux dire, le tout est bien, ou tout est bien pour le tout….
(…)

Si je ramène ces questions diverses à leur principe commun, il me semble qu’elles se rapportent toutes à celle de l’existence de Dieu. Si Dieu existe, il est parfait, s’il est parfait il est sage, puissant et juste ; s’il est sage et puissant tout est bien ; s’il est juste et puissant mon âme est immortelle, trente ans de vie ne sont rien pour moi, et sont peut-être nécessaires au maintien de l’univers. Si l’on m’accorde la première proposition, jamais on n’ébranlera les autres ; si on la nie, à quoi bon disputer sur ses conséquences ….

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FREDRIC GROS (1965-...), LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, MARCHER, UNE PHILOSOPHIE, PHILOSOPHE FRANÇAIS, PHILOSOPHIE

Marcher, une philosophie de Frédéric Gros

Marcher, une philosophie

Frédéric Gros

Paris, Flammarion, 2011. 312 pages.

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Résumé :

« La marche, on n’a rien trouvé de mieux pour aller plus lentement. Pour marcher, il faut d’abord deux jambes. Le reste est vain. Aller plus vite ? Alors ne marchez pas, faites autre chose : roulez, glissez, volez. Ne marchez pas. Car marchant, il n’y a qu’une performance qui compte : l’intensité du ciel, l’éclat des paysages. Marcher n’est pas un sport. »
Si mettre un pied devant l’autre est un jeu d’enfant, la marche est bien plus que la répétition machinale d’un geste anodin : une expérience de la liberté, un apprentissage de la lenteur, un goût de la solitude et de la rêverie, une infusion du corps dans l’espace…
Frédéric Gros explore ici, en une série de méditations philosophiques et en compagnie d’illustres penseurs en semelles (Nietzsche et Rimbaud, Rousseau et Thoreau, Nerval et Hölderlin…) mille et une façons de marcher – flânerie, errance ou pèlerinage -, comme autant d’exercices spirituels.

L’auteur

Frédéric Gros est professeur de pensée polique à Sciences Po Paris. Il est l’auteur de plusieurs essais dont Désobéir (2017), et de deux romans Possédés (2016) et Le Guérisseur des Lumières (2019). Il est aussi l’éditeur de Michel Foucaul dans la Pléiade.

 

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« Marcher, une philosophie », de Frédéric Gros : crève pas, marche !

De ce livre, en fin de compte, on pourrait dire que le propos est ténu, les constats simples, les remarques presque toujours évidentes. Mais l’écriture est souveraine – limpide, exacte, les termes tous sentis.

Beaucoup, l’été venant, mettront bientôt un pied devant l’autre. Acharnés à faire vite, pour certains. Bêtement. Pour la plupart, heureusement, ce sera avec lenteur, mesure et endurance, en avançant pas à pas, solitaire en soi-même, au coeur du paysage soudain retrouvé, une fois largués les artifices, les semblants, les urgences connectées où l’on crève. Cette lenteur de la marche, où l’on oublie l’inutile pour l’essentiel, et l’actualité de l’heure pour la présence du monde, indique une philosophie.

C’est ce que fait voir Frédéric Gros, dans un admirable petit livre qui ravira même les incurables sédentaires, ceux que Nietzsche appelait « culs-de-plomb ». Car personne, après tout, n’est obligé de pratiquer la randonnée pédestre pour prendre plaisir et intérêt à cette prose intelligente et claire – rare, somme toute. Philosophie, ici, ne signifie ni pédanterie ni jargon. Frédéric Gros réinvente, à l’antique, une méditation qui accompagne le mouvement du corps et en creuse les sensations.

« En marchant, écrit-il, on échappe à l’idée même d’identité, à la tentation d’être quelqu’un, d’avoir un nom et une histoire. » On songe à Michel Foucault, que Frédéric Gros a étudié, édité et commenté, disant : « J’écris pour n’être personne. » Ecrire, marcher, serait-ce la même chose ? La parenté existe : nombreux sont les écrivains-penseurs-marcheurs. On en croise certains au fil des pages, depuis Nietzsche arpentant l’Engadine ou les collines niçoises jusqu’à Gandhi nomadisant en Inde avec la marche pour action, sans oublier ces promeneurs célestes que furent Rimbaud, Rousseau ou Thoreau. Contrairement à Kant, hygiéniste et métronome, ils convainquent que sur terre l’homme habite en marcheur. En parcourant le monde à pied, ne fût-ce que quelques heures ou quelques jours, on le voit tout différemment. Et l’on se voit soi-même autre.

Car la marche insiste sur les articulations, en particulier celle du corps et de l’âme. Elle métamorphose le temps, impose fatigue à la pensée, se fait subversion ou vacuité. En pérégrinant, on se perd et se retrouve, comme en tout exercice spirituel. On cesse de s’affairer, on crée parfois. Nietzsche avait les sentiers pour atelier, d’autres y élaborent des psaumes. « Marcher fait venir naturellement aux lèvres une poésie répétitive, spontanée, des mots simples comme le bruit des pas sur le chemin. »

On évitera donc de croire que la marche est un sport. Pas même un loisir, encore moins un divertissement. Au contraire, si l’on en croit Frédéric Gros, ce serait plutôt une ascèse, au vieux sens grec – exercice, entraînement -, qui nous ramène à l’essentiel, c’est-à-dire à ce presque rien que nous sommes, présent-absent dans le monde, ne faisant qu’y glisser. Avec des mots de tous les jours, et sans en avoir l’air, façon Montaigne, ce philosophe donne là une vraie leçon.

De ce livre, en fin de compte, on pourrait dire que le propos est ténu, les constats simples, les remarques presque toujours évidentes. Mais l’écriture est souveraine – limpide, exacte, les termes tous sentis. D’où ce ton juste, qui fait de ce petit volume une très bonne surprise. Du coup… on marche !

 

https://www.lemonde.fr/livres/article/2009/06/18/marcher-une-philosophie-de-frederic-gros_1208227_3260.html

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Extraits du livre

« L’assurance nous est donnée parce qu’on sait qu’on dispose du nécessaire pour faire face : faire face aux intempéries, aux sentiers multiples, à l’absence de source, à la fraîcheur des nuits. On sent alors qu’on peut compter sur son matériel, son expérience, ses capacités d’anticipation. C’est l’assurance de l’homme technique, qui maîtrise les situations. Avisé, responsable.
– Marcher, sans même le nécessaire, c’est s’abandonner aux éléments. Désormais, plus rien ne compte, plus de calculs, plus d’assurance en soi. Mais une confiance pleine, entière dans la générosité du monde. Les pierres, le ciel, la terre, les arbres : tout devient pour nous auxiliaire, don, secours inépuisable. En s’y abandonnant, on gagne une confiance inconnue, qui comble le coeur, parce qu’elle fait dépendre absolument d’un Autre et nous ôte jusqu’au souci de notre conservation. L’élémentaire, c’est ce à quoi on s’abandonne, et qui nous est donné absolument. Mais pour en éprouver la consistance, il faut prendre le risque, le risque de dépasser le nécessaire ». (pp. 254-55)

« Il fallait finir en marchant. La nécessité de terminer sur ses jambes comprend plusieurs leçons. C’est d’abord le rappel de la pauvreté christique. Humilité : celui qui marche est pauvre d’entre les pauvres. Le pauvre, pour toute richesse, a son seul corps. Le marcheur est fils de la terre. Chaque pas est un aveu de gravité, chaque pas témoigne de l’attachement et martèle la terre comme un tombeau définitif, promis. Mais c’est aussi que la marche est pénible, elle exige un effort répété. On n’approche bien un lieu sacré qu’en ayant été purifié par la souffrance et marcher exige un effort indéfiniment réitéré ». (p. 158)

« Compostelle est la dernière destination majeure. On raconte de saint Jacques – un des trois préférés du Christ, premier des apôtres martyrs, décapité sur ordre du roi Hérode – qu’il aurait été transporté par ses disciples sur une embarcation, finalement échouée sur les plages de Galice. Là, on aurait soigneusement porté en terre le lourd tombeau de marbre, bientôt oublié… Jusqu’à ce fameux jour où un ermite nommé Pélage aperçoit en songe des anges lui découvrant l’emplacement exact du tombeau, tandis qu’au même moment, toutes les nuits, le ciel indique une direction par un filet d’étoiles. On construira sur la sépulture redécouverte un sanctuaire, puis une église, enfin une cathédrale. Et la visite du saint deviendra un des plus fameux pèlerinages, prenant bientôt sa place aux côtés de Rome et de Jérusalem ». (pp. 159-160)

« Les grands chemins pour les chrétiens sont d’abord ceux de Rome ou de Jérusalem. Jérusalem, dès le IIIe siècle, c’est pour les chrétiens le pèlerinage absolu en tant qu’ accomplissement de la présence : fouler le sol même sur lequel il avait marché, refaire le chemin du calvaire, être pris dans le même paysage, approcher le bois de la Croix, se tenir auprès de la grotte où il parlait à ses disciples.[…]
Rome offre bientôt une destination plus sûre. Deux apôtres majeurs y reposent (Pierre et Paul). Rome est immédiatement sacrale : nombril et cœur  de l’Eglise catholique instituée ». (pp.158-159)

« Certains décident de consacrer à l’écriture le même temps qu’ils ont donné à la lecture. Thoreau, rappelle Emerson, s’était donné comme principe de ne s’accorder de temps d’écriture qu’autant qu’il aurait marché. Pour éviter les pièges de la culture et des bibliothèques. Car, autrement, ce qu’on écrit est rempli de l’écriture des autres. (…) » (p.132)

« Les livres ne sont pas ce qui nous apprendrait à vivre (c’est le triste programme des donneurs de leçons), mais ce qui nous donne envie de vivre, de vivre -autrement-: retrouver en nous la possibilité de la vie, son principe. La vie ne tient pas entre deux livres (gestes monotones, quotidiens, nécessaires, entre deux lectures), mais le livre fait espérer une existence différente. (…) ».  (p. 132)

« Il est vain de s’asseoir pour écrire quand on ne s’est jamais levé pour vivre » (Thoreau-Journal) (p.133)

ECRIVAIN CHRETIEN, FABRICE HADJADJ (1971-....), PHILOSOPHE CHRETIEN, PHILOSOPHIE

Fabrice Hadjadj

Fabrice Hadjadj (1971.—-)

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Œuvres principales

Réussir sa mort : Anti-méthode pour vivre (2005)

La Foi des Démons ou l’athéisme dépassé (2009)

 Fabrice Hadjadj, né le 15 septembre 1971 à Nanterre (Hauts-de-Seine), est un écrivain et philosophe français, directeur de l’Institut Philanthropos. Ses principaux livres sont consacrés à la critique de la technologie et à la chair.

 

Biographie

Fabrice Hadjadj est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et agrégé de philosophie.

Il est né dans une famille de tradition juive de parents alors militants maoïstes à l’université Paris-Nanterre. Il se déclare athée et anarchiste jusqu’en 1998, date à laquelle il se convertit au christianisme.

Il est père de huit enfants: Esther (2003), Judith (2004), Marthe (2006), Elisabeth (2008), Jacob (2010), Joseph (2012), Pierre (2016), Moise (2018).

En 1995, il fait paraître son premier ouvrage : Objet perduUn collectif d’inspiration nihiliste qu’il dirige en collaboration avec Claude Alexandre et John Gelder et auquel collabore notamment Michel Houellebecq.

En 1998, il se marie à l’actrice Siffreine Michel.

Il consacre la plupart de ses essais à la question du salut, de la technique et du corps, s’inspirant notamment d’Aristote, de Thomas d’Aquin, de Heidegger, d’Emmanuel Lévinas et de Günther Anders.

En 2012, après avoir vécu plusieurs années à proximité de Brignoles, dans le Var, où il enseigne la philosophie en lycée, il s’installe à Fribourg en Suisse où il dirige l’Institut Philanthropos.

Il se présente comme « juif de nom arabe et de confession catholique ».

Œuvre

Fabrice Hadjadj a publié plus d’une quinzaine de livres, qui recoupent trois différents genres littéraires :

le théâtre : À quoi sert de gagner le monde (2002), Massacre des Innocents (2006), Pasiphaé (2009) ;

l’essai : Et les violents s’en emparent (1999), La Terre chemin du ciel (2002), Réussir sa mort (2005), La profondeur des sexes (2008), La foi des démons ou l’athéisme dépassé (2009), Le Paradis à la porte (2011) ;

le livre d’art : Passion Résurrection avec Arcabas (2004), L’Agneau mystique : le retable des frères Van Eyck (2008), Jugement dernier, le retable de Beaune de Rogier van der Weyden (2010).

Depuis 2015, il est conseiller de rédaction de la revue d’écologie intégrale Limite. Comme les autres contributeurs, lecteurs de Karl Marx, de Jacques Ellul et d’Ivan Illich, il collabore à sa mesure au développement d’une pensée critique du capitalisme industriel, de l’idéologie de la croissance et de la consommation.

 

Écrits

Fabrice Hadjadj, converti au catholicisme, est professeur de philosophie, dramaturge et essayiste.

Croyez en moi, le Ressuscité

« La foi en un certain charpentier galiléen nommé Jésus, mort et ressuscité à Jérusalem « sous Ponce Pilate » – c’est-à-dire dans une petite province de l’Empire gouverné par un fonctionnaire de l’administration romaine –, fut très efficace pour me remettre les pieds sur terre. Cette foi est trop circonstanciée pour être de nature à nous laisser planer parmi les abstractions des « science » ou des « spiritualités ». Le fait de la résurrection, surtout, est un principe de réalité assez sévère.
Ceux qui y ont cru étaient des pêcheurs sachant réparer leurs mailles, des maçons capables de bâtir des cathédrales, des moines habiles à défricher et labourer des champs, autant dire des gens extrêmement pratiques et concrets. Croire au Ressuscité, c’était pour eux aussi solide que planter du blé ou construire une basilique romane. Et plus solide encore, puisqu’ils s’appuyaient sur cette foi pour élever la voûte comme l’épi.
Les Évangiles de Pâques vont tous en ce sens. Ils prennent nos chimères à rebrousse-poil. Immanquablement, si nous devions nous imaginer un homme entré dans la gloire divine, nous nous le représenterions réalisent des choses extraordinaires – brillant mieux qu’une vedette à la cérémonie des Oscars. Or, il faut se rendre à l’évidence, Jésus ressuscité ne fait rien de tout cela. Après tout, il y a mieux que de faire des choses extraordinaires : c’est d’illuminer l’ordinaire de l’intérieur. »

— Fabrice Hadjadj. Résurrection, mode d’emploi, Magnificat, 2016, p. 11-13.

 

Distinctions

2006 : Grand prix catholique de littérature pour Réussir sa mort : anti-méthode pour vivre.

2009 : prix du Cercle Montherlant – Académie des Beaux-Arts pour L’Agneau mystique, le retable des frères Van Eyck.

2010 : prix de littérature religieuse pour La Foi des démons.

2013 : prix spiritualités d’aujourd’hui pour Comment parler de Dieu aujourd’hui.

Le 6 février 2014, il est nommé membre du Conseil pontifical pour les laïcs.

Collaboration

Il collabore régulièrement au magazine d’art contemporain Artpress, au Figaro littéraire, à La Vie, au magazine de littérature Transfuge, à la revue d’écologie Limite ou au journal La Décroissance.

Publications

Tetsuo-Marcel Kato, Traité de Bouddhisme zen à l’usage du bourgeois d’Occident, Parc, coll. « Collection grise 10 x 15 », 1998, 80 p.

Essai. Ouvrage de Hadjadj écrit sous pseudonyme.

Fabrice Hadjadj, Et les violents s’en emparent, Saint-Victor-de-Morestel, Les Provinciales, 10 juin 1999, 200 p.

Essai

Fabrice Hadjadj, La Terre chemin du ciel, Paris / Saint-Victor-de-Morestel, Cerf / Les Provinciales, coll. « Les Provinciales », 23 octobre 2002, 96 p.

Essai

Fabrice Hadjadj, À quoi sert de gagner le monde : Une vie de saint François Xavier, Saint-Victor-de-Morestel, Les Provinciales, 2002, 120 p.

Pièce de théâtre. Réédition : Les Provinciales, 31 janvier 2004

Fabrice Hadjadj et Gérard Breuil, La Salle capitulaire, Saint-Victor-de-Morestel, Les Provinciales, 2003, 64 p.

Pièce de théâtre

Arcabas et Fabrice Hadjadj (préf. Paul Poupard), Passion Résurrection, Paris, Cerf / CFRT, coll. « Images & Beaux livres », avril 2004 (réimpr. 2007), 128 p.

Texte de Hadjadj : « Gabbatha »

Fabrice Hadjadj, Réussir sa mort : Anti-méthode pour vivre, Paris, Presses de la Renaissance, 20 octobre 2005, 408 p., 150 x 225 mm

Essai. Grand Prix catholique de littérature 2006. Réédition : Seuil, coll. « Points », 11 février 2010

Fabrice Hadjadj, Massacre des innocents : Scènes de ménage et de tragédie, Saint-Victor-de-Morestel, Les Provinciales, 2006, 204 p.

Pièce de théâtre

Philippe Barbarin et Fabrice Hadjadj, Jardins intérieurs, regards croisés sur l’art et la foi, Parole et Silence, 2007, 189 p.

Fabrice Hadjadj, La Profondeur des sexes : Pour une mystique de la chair, Paris, Seuil, coll. « Les dieux et les hommes », 21 février 2008

Essai. Réédition : Seuil, coll. « Points / Essais », 3 février 2011

Fabrice Hadjadj, L’Agneau mystique : Le retable des frères Van Eyck, Paris, L’Œuvre, 14 novembre 2008, 80 p., 300 x 300 mm

Essai/commentaire sur le retable L’Agneau mystique des frères Hubert et Jan van Eyck. Prix du Cercle Montherlant – Académie des Beaux-Arts )

Fabrice Hadjadj, Pasiphaé : ou comment l’on devient la mère du Minotaure, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Littérature ouverte », 26 février 2009, 149 p

Pièce de théâtre

Fabrice Hadjadj, La Foi des démons ou l’athéisme dépassé, Paris, Salvator, coll. « Forum », 25 mars 2009, 298 p., 14 x 22 cm

Essai. Prix de littérature religieuse 2010. Réédition : Albin Michel, coll. « Espaces libres », 6 avril 2011

Fabrice Hadjadj et Fabrice Midal, Qu’est-ce que la vérité ?, Paris, Salvator, coll. « Controverses », 22 septembre 2010, 112 p., 13 x 20 cm

Entretien/dialogue

Fabrice Hadjadj, Jugement dernier : Le retable de Beaune, Paris, L’Œuvre, 9 ou 17 novembre 2010, 80 p., 300 x 300 mm

Essai/commentaire sur le retable du Jugement dernier de Rogier van der Weyden

Fabrice Hadjadj, Le Paradis à la porte : Essai sur une joie qui dérange, Paris, Seuil, coll. « Les dieux et les hommes », 3 mars 2011

Essai

Fabrice Hadjadj, Job ou la torture par les amis, Paris, Salvator, mars 2011, 60 p., 13 x 20 cm

Pièce de théâtre

Fabrice Hadjadj, Comment parler de Dieu aujourd’hui : Anti-manuel d’évangélisation, Paris, Salvator, coll. « Forum », 13 septembre 2012

Essai

Fabrice Hadjadj, Rien à faire : Solo pour un clown, Magnanville, Le Passeur, 29 août 2013, 78 p.

Récit

Fabrice Hadjadj, Puisque tout est en voie de destruction : Réflexions sur la fin de la culture et de la modernité, Le Passeur, 10 avril 2014, 192 p.

Récit

Fabrice Hadjadj, Qu’est-ce qu’une famille ?, Salvator, 25 septembre 2014, 253 p.

Essai

Fabrice Hadjadj, L’aubaine d’être né en ce temps, Éditions de l’Emmanuel, 3 octobre 2015, 64 p.

Essai

Fabrice Hadjadj, Résurrection, mode d’emploi, Magnificat, 19 février 2016, 192 p.

Essai

Natacha Polony, Fabrice Hadjadj et Paul Préaux, Chrétiens français ou français chrétiens, Salvator, 2017, 128 p.

Fabrice Hadjadj, Dernières nouvelles de l’homme (et de la femme aussi), Tallandier, 2017, 340 p.

Fabrice Hadjadj, A moi la gloire, Salvator, 2019, 157 p.

MAURICE BLONDEL (1861-1949), PHILOSOPHE CHRETIEN, PHILOSOPHE FRANÇAIS, PHILOSOPHIE

Maurice Blondel, le philosophe aixois

Maurice Blondel (philosophe)

 

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Maurice Blondel, né le 2 novembre 1861 à Dijon, décédé le 4 juin 1949 à Aix-en-Provence, est un philosophe français.

 

  Biographie

Blondel appartenait à une très ancienne famille de Bourgogne. Il vécut son enfance à Dijon dans « une demeure historique entourée d’ombre, de paix et de tendresse.» Sa famille passait les vacances d’été à Saint-Seine-sur-Vingeanne et c’est dans cette propriété qu’il rédigea L’Action, sa thèse de 1893. Il fut admis à l’École normale supérieure à Paris en 1881. Le sujet et le titre de sa thèse : L’Action :  Essai d’une critique de la vie et d’une science de la pratique étonna. Il fut reçu en 1893. Mais il fut considéré comme étant plus théologien que philosophe et l’accès à l’université lui fut barré un certain temps. D’autre part le Vatican interdit la vente de son ouvrage. En 1893, Blondel, catholique convaincu et pratiquant, fait de sa Foi le principe de son existence. Il hésite encore entre un apostolat à mener comme prêtre ou comme laïc. Finalement il opte pour une vocation universitaire, la forme à laquelle il se sent appelé « auprès des milieux intellectuels les plus éloignés du catholicisme » ce milieu universitaire alors « imprégné de mentalité rationaliste…»

Un temps écarté de l’université, il y est finalement admis. Il est Maître de Conférences à Lille, puis à Aix-en-Provence (en 1895). Il publie la Lettre sur l’apologétique (en 1896). Il est Professeur à Aix en 1897. Il perd son épouse (en 1919). En 1927, il est obligé de quitter l’enseignement pour raison de santé. De 1934 à 1937 Blondel – il a alors 73 ans – il refond en quelque sorte son œuvre et resitue L’Action dans celle-ci. Il écrit et publie La Pensée en 1934, L’Être et les êtres en 1935, L’Action (sa nouvelle version) en 1936 et les deux premiers volumes de La Philosophie et l’esprit chrétien en 1944 et 1949.

  L’Action

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Les premières pages de L’Action, première thèse en français du philosophe sont célèbres : « Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et l’homme a-t-il une destinée? J’agis, mais sans même savoir ce qu’est l’action, sans avoir souhaité de vivre, sans connaître au juste ni qui je suis ni si je suis. Cette apparence d’être qui s’agite en moi, ces actions légères et fugitives d’une ombre, j’entends dire qu’elles portent en elle une responsabilité éternellement lourde, et que, même au prix du sang, je ne puis acheter le néant parce que pour moi il n’est plus : je serais donc condamné à la vie, condamné à la mort, condamné à l’éternité! Comment et de quel droit, si je ne l’ai su ni voulu ?» Selon Jean Lacroix, Blondel a résumé sa philosophie dans Études philosophiques dans cette comparaison qu’il résume. « Au Panthéon d’Agrippa, à Rome, l’immense coupole n’a pas de clé de voûte, mais une ouverture centrale par où descend toute la lumière dont s’éclaire l’édifice. Ainsi la construction de notre âme, comme une œuvre inachevée, s’appuie, non à un plein, mais à un vide, vide nécessaire pour que passe l’illumination divine, sans laquelle nos yeux seraient complètement aveugles et nous ne pourrions accomplir aucune tâche. Si l’homme a une destinée véritable, qui donne un sens à la vie, il n’est pas possible que la philosophie s’en désintéresse; si cette destinée, comme l’affirme le christianisme, est surnaturelle, il n’est pas davantage possible que la philosophie l’atteigne par ses seules forces – sans quoi le surnaturel ne serait plus proprement surnaturel. De cette opposition suit le statut de la philosophie : contrainte de poser un problème qu’elle ne saurait entièrement résoudre, elle ne peut que rester inachevée tout en rendant compte de son inachèvement même. Pas de philosophie sans système; plus de philosophie si le système se ferme sur soi. En ce sens on pourrait dire que l’idée de système ouvert définit le blondélisme. Cette philosophie de l’insuffisance aboutit à une véritable insuffisance de la philosophie.»

 

  Qu’est-ce que l’ action ?

L’action est une donnée primordiale, antérieure à la conscience et à la liberté dans laquelle l’homme est, dira Blondel, « embarqué », embarqué dans son drame. Il se sent le maillion d’une chaîne d’actes qui ont commencé avant lui et sans lui, mais qui se poursuivent en lui. L’homme peut s’entendre dire que ses actes portent en eux une responsabilité indéfinie et que même le suicide ne peut pas supprimer le fait qu’il a été dans l’action. La suite du passage cité au paragraphe précédent donne une idée de ce que veut Blondel : « J’en aurai le cœur net. S’il y a quelque chose à voir, j’ai besoin de le voir. J’apprendrai peut-être si, oui ou non, ce fantôme que je suis à moi-même, avec cet univers que je porte dans mon regard, avec la science et sa magie, avec l’étrange rêve de la conscience a quelque solidité. Je découvrirai sans doute ce qui se cache dans mes actes, en ce dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l’être et je m’y attache. Je saurai si, du présent et de l’avenir, j’ai une connaissance et une volonté suffisante pour n’y jamais sentir de tyrannie, quels qu’ils soient.» Ce « dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l’être et je m’y attache » signifie selon Charles Moeller que « plus profondément que l’intelligence et la volonté, en mes profondeurs, je subis l’être, c’est-à-dire que je ne suis pas maître de ce fait que j’existe; je m’attache à l’être c’est-à-dire que, que je le veuille ou non, je ne puis pas ne pas agir sans cesse, préférer l’existence à la non existence, l’être au non être, l’affirmation ontologique à sa négation.»

La suite du texte indique dans quel sens la solution sera cherchée : « Le problème est inévitable; l’homme le résout inévitablement; et cette solution, juste ou fausse, mais volontaire en même temps que nécessaire, chacun la porte dans ses actions. Voilà pourquoi il faut étudier l’action ; la signification même du mot et la richesse de son contenu se déploieront peu à peu. Il est bon de proposer à l’homme toutes les exigences de la vie, toute la plénitide cachée de ses œuvres, pour raffermir en lui, avec la force d’affirmer et de croire, le courage d’agir[7].» Il y a cependant plus dans notre action que nous ne le pensons et une pauvreté de nos actions réelles en face d’une plénitude dont nous n’avons pas conscience, qui gît au fond de la volonté voulante.

   Volonté voulante et volonté voulue

La volonté voulante c’est précisément « ce dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l’être et je m’y attache » , quelque chose qui est au-delà de la distinction entre intelligence et volonté. Jean Lacroix écrit de Blondel et de son concept de base : « l ‘ action, c’est-à-dire toute activité humaine, qu’elle soit métaphysique, morale esthétique, scientifique ou pratique[.» Mais comme volonté voulante, soit « cet être qui est au-delà de la distinction entre intelligence et volonté (…) l’être profond est volonté voulante parce qu’il est prégnant des valeurs  de vérité et d’amour qui se diversifieront plus tard au niveau des facultés conscientes.» Moeller poursuit : « L’intelligence va proposer à la volonté voulante (qui du reste « propulse » cette intelligence même dans la quête des motifs d’action), une série de projets d’activités dont la volonté voulue va s’emparer pour les mettre à exécution. Ces projets ne peuvent être que partiels, limités dans le temps et l’espace. Aucun, pris en lui-même, ne peut épuiser d’un coup l’ampleur de la volonté voulante qui sous-tend, anime les démarches de la volonté voulue. Prenant conscience de cela, l’être humain va rechercher, d’étapes en étapes, une activité qui réalise cette égalité, cette réconciliation entre « ce qu’il veut » et ce « qu’il fait ».» Le « ce qu’il fait » c’est la volonté voulue et le « ce qu’il veut », c’est la volonté voulante.

  Deux problèmes préalables : dilettantisme et nihilisme

Les partisans du dilettantisme prétendent que le problème moral n’existe pas  : « Rien ne vaut rien et cependant tout arrive mais cela est indifférent ».  Il n’y aurait qu’à « jouer pour mieux et plus impunément jouir, en goûtant et en essayant de tout pour tout percer à jour, en déchargeant ainsi l’action humaine de toute obligation ou responsabilité effective, par la double évasion de l’ironie et de la volupté …» Il y a dans le dilettantisme une sorte d’indifférence absolue comme le dit Zarathoustra, on veut ne rien vouloir mais dans la mesure où cette volonté de ne rien vouloir revêt malgré tout une effectivité, on se rend compte qu’elle est une volonté de soi, un égotisme comme le fait entendre Charles Moeller qui fait de cette attitude le propre de la pensée de Gide contre lequel il objecte à partir de Blondel qu’elle exclut l’engagement sans réserve, l’amour profond les attitudes que, précisément, le dilettante, prétendant pourtant vouloir tout expérimenter ne veut pas connaître. Ou alors le dilettantisme est un nihilisme. il est la volonté de ne rien être. Mais le suicidé est animé d’un espoir secret au nom duquel il condamne le monde et désire s’anéantir. Bondel écrit : « En croyant aspirer au néant, c’est à la fois le phénomène dans l’être, et l’être dans le phénomène qu’on poursuit : voyez comme au délire des sens la passion mêle un étrange mysticisme et semble absorber dans un instant de volupté (morte en même temps que née) l’éternité de l’être et l’y faire mourir avec elle ; mais voyez aussi comme à l’abnégation mortifiante le quiétisme ajoute un désir d’indifférence, un besoin de sentir l’immolation, une joie d’abdication et toute la sensualité raffinée d’un faux ascétisme qui manifeste un sens propre, un subtil et ambitieux égoïsme, une « luxure spirituelle » : mensonge de part et d’autre, puisque la volonté finit toujours par vouloir ce qu’elle a voulu exclure, et puisqu’elle s’inflige déjà, puisqu’elle semble se préparer ainsi le supplice de la discorde intestine, où armée contre elle-même elle se déchirera de toute sa puissance. Et ce qui n’a point de cohérence ni de consistance intelligible ne subsiste qu’en prenant corps dans des actions qui, elles, réalisent en des vies désordonnées et en des œuvres intimement discordantes ces sophismes intéressés de la pensée et de la volonté défaillantes.»

   Des ondes concentriques : de l’individu à Dieu atteint dans la superstition comme peur de la mort en passant par le couple, la famille…

Une série d’ondes concentriques de plus en plus larges, comme autour de la chute d’une pierre dans l’eau profonde, vont se déployer autour du choc initial provoqué par les « actions » (en quelque sorte sous-jacentes), de la volonté voulante et vont embrasser successivement l’individu, la société familiale, la patrie, la société politique, le monde, les forces qui dépassent le monde. Plus les ondes s’élargissent et plus l’écart entre les deux bras de la volonté voulante et de la volonté voulue est incapable de se refermer sur une réalité qui égalise l’impulsion de la volonté voulante et les réalisations effectives de la volonté voulue. Il n’y a pas de raison de s’arrêter dans la quête de cet embrassement qui devrait refermer sur elle-même l’action humaine.

La volonté voulante doit donc s’incarner dans le monde, dans des actions concrètes, même si le risque existe que cette activité l’englue dans la matière : cette sortie de soi est pour l’intention du vouloir, « l’indispensable moyen de se préciser, de s’enrichir, de se soumettre à la norme salutaire dont elle tirera le sens et la réalisation du vouloir profond et de la fin secrètement poursuivie.» Il s’agit de se conquérir d’abord comme individu. Et ce premier rassemblement essentiel autour d’un noyau personnel creuse immédiatement un vide : « à peine espérions-nous refermer sur eux-mêmes les deux bras de la volonté voulante et de la volonté voulue, autour d’une personnalité harmonieusement équilibrée et close sur elle-même que, par l’élan même qui créait la personne, se produit un choc qui détermine une nouvelle onde, concentrique à la précédente. La personne meurt si elle ne s’ouvre pas sur le monde extérieur…»

Ensuite, une nouvelle onde se crée qui pousse la volonté voulue à s’ouvrir aux personnes et en particulier dans l’amour humain. En apparence, ce pourrait être définitif, mais la volonté voulante veut à nouveau plus. Elle ne veut pas que les amants soient seuls au monde et dans leur union même il y a l’appel d’un autre être à l’existence : « lorsque par un mystérieux échange, deux êtres ne forment plus qu’un même être plus parfait (…) c’est quand ils sont un qu’ils deviennent trois (…) L’élan même de la passion brise le cercle magique où elle espérait peut-être s’enfermer pour jamais (…) Un tiers paraît, comme pour suppléer à l’infructueux essai de l’unité (…) il est né de l’amour (…) il le scelle dans une tombe – le berceau – qui ne rend plus ce qu’il a pris aux parents. Ils sont plusieurs, c’est la richesse. Ils sont plusieurs, c’est la pauvreté; ils ne sont plus uns. Une aube étrangère s’est levée : il faut qu’en grandissant la famille s’ouvre et se disperse, que l’affection commune se multiplie en se divisant[16].» La famille est alors un nouveau « cercle magique » mais l’élan social ne peut se réaliser que dans une patrie et si l’on reste à la patrie, cet élan lui-même risque de se dessécher s’il ne s’ouvre au culte de l’humanité qui implique toujours au niveau de la volonté voulante un idéal moral universaliste. L’homme atteint alors les limites de la finitude et débouche sur les forces qui dépassent le Monde. C’est alors que la fonction fabulatrice (au sens que Bergon donne à cette expression, selon Moeller), invente des mythes pour rassurer l’homme qui prend conscience de l’abîme que la mort représente pour lui. Mais alors, dit Moeller, « l’homme se tourne vers Dieu non parce qu’il croit en lui mais parce qu’il a peur. Il essaye, par ses actions morales et rituelles, de mettre définitivement de son côté les forces irrationnelles. Cette manière d’agir cache l’instinct de puissance (…) l’acte superstitieux prétend indûment arrêter l’élan de la volonté voulante; celle-ci porte plus loin. La volonté profonde de l’homme est obligée, ici encore, d’abdiquer devant ce qui est contenu dans son désir, mais le dépasse dans ses moyens de réalisation

 

  De la religion comme peur à la rencontre authentique de Dieu

D’étapes en étapes, la volonté voulue s’avère tendre à l’infini. Et elle ne peut s’arrêter sous peine de contradiction. C’est l’infini par « en-haut ». Mais il y a plus essentiel peut-être. C’est que la volonté voulante qui m’entraîne sans cesse en avant, je la découvre comme n’étant pas mienne car cette volonté voulante en moi, je ne l’ai pas voulue. Je n’ai pas demandé à être ni à agir encore plus ni non plus d’être emporté dans ce dynamisme qui me pousse sans cesse en avant : « L’action qui par « en haut »  tend vers un infini de puissance, s’ouvre également, par le bas, dans le tréfond de mon être, sur quelque chose ou quelqu’un qui m’a engagé avant que je puisse accepter ou refuser. Mon action s’ouvre par en bas, sur une transcendance.» Ma volonté voulue doit en quelque sorte capituler devant des forces qui la dépassent. Et d’autre part, je prends conscience que je suis le sujet d’une volonté voulante qui est antérieure à ma liberté et qui me dépasse car elle ne m’appartient pas.

Charles Moeller estime que Blondel a mis en évidence « l’indestructibilité de l’action volontaire…» Il pose la question de cette façon pour situer la problématique à laquelle s’ouvre la pensée de Blondel en ce moment de sa progression : « Je ne m’appartiens pas. On m’a embarqué. Qui?’ Pourquoi? L’action qui « par en haut » tend vers un infini de puissance s’ouvre également, par le bas, dans le tréfond de mon être, sur quelque chose ou quelqu’un qui m’a engagé avant que je puisse accepter ou refuser. Mon action s’ouvre, par en bas sur une transcendance (…) Non seulement il y a en chacun de mes actes particuliers plus, et infiniment plus que ce je vise sur le moment, – c’est même ce « plus » qui explique que j’agisse – mais ce « plus » est à son tour, enraciné, en avant de moi-même, plus haut que moi-même, en un Être transcendant qui m’a embarqué dans l’agir concret (…) Dieu apparaît ainsi comme présent dans tout le déterminisme de l’action. Le choc initial qui délenche la série des ondes concentriques, est donné par Celui qui est « plus intime à moi-même que moi-même; la force de propulsion qui lance en avant mon action voulue est secrètement sous-tendue par cet élan initial qui est celui d’une autre volonté que la mienne. Que je le veuille ou non, je ne puis pas ne pas voir cette vérité. Je ne puis pas voir que je dois agir, que j’agis toujours, que je cherche en tout l’infini; et en même temps, au sein de ce dynamisme qui est mon « moi » le plus essentiel, je découvre que je ne puis atteindre cet infini que je veux; je sais que je n’ai jamais, à aucun instant, été capable de « vouloir vouloir  » cet infini. Ma volonté voulante ne m’appartient pas. Je ne puis me passer de Dieu si je veux aboutir dans mon action à ce que je veux vraiment, et, en même temps, je ne puis m’emparer de ce Dieu, car il dépasse mes forces et transcende cette volonté voulante par laquelle je ne puis pas ne pas Le chercher»..»

 

  La volonté vraie

René Virgoulay a écrit dans L’Action de Maurice Blondel, 1893, : relecture pour un centenaire : « La volonté vraie, c’est la volonté voulante en tant que ratifiable ou ratifiée par la volonté voulue, c’est la volonté voulue en accord avec la volonté voulante. De même si la « vraie volonté de l’homme, c’est le vouloir divin  », cela signifie que la volonté de l’homme n’est jamais aussi vraie que lorsqu’il veut ce que Dieu veut. La volonté vraie n’est pas la volonté divine en tant qu’elle priverait l’homme de son propre vouloir, mais la volonté humaine en tant qu’elle s’accomplit par consentement à la volonté divine. Le vouloir humain n’est jamais aussi authentique que lorsqu’il est reconnu comme un don.» Et Virgoulaiy cite Blondel : « Avouer sa foncière passivité, c’est, pour l’homme, la perfection de l’activité. A qui reconnaît que Dieu fait tout, Dieu donne d’avoir tout fait.» Jean Lacroix conclut son exposé sur L’Action de Blondel dans le Dictionnaire des philosophes par ces mots : « De moi-même à moi-même il y a une distance infinie. En découvrant dans notre agir un inachèvement de droit, Blondel met à jour en nous une « place préparée », une « fissure ouverte ». On ne peut s’égaler à soi-même qu’en sortant de soi. Tout effort tend à montrer qu’il y a dès l’origine une immanence de transcendance en nous. Dérouler le déterminisme intégral de l’action, c’est creuser le vide que le surnaturel viendra combler.»

Henri Bouillard a écrit que la méthode de L’Action consiste à suspendre toutes les certitudes, celles de la foi pour commencer ou même l’idée que la vie humaine a un sens : « Considérant le fait inéluctable de l’action, parcourant toute la série des attitudes possibles à l’homme dans le champ de son activité il [Blondel] relève partout une inadéquation toujours croissante entre ce que l’on croit vouloir et ce qu’on veut profondément, entre la volonté voulue et la volonté voulante. Il montre ainsi que les pensées et les actes de chacun composent dans leur ensemble comme un drame, et que ce drame amène chacun à une option inévitable entre les sollicitations du Dieu caché et celles de l’égoïsme toujours évident. Cette logique de l’action où s’enveloppent réciproquement l’existence rationnelle et le mouvement de la liberté, conduit l’homme jusqu’au point où le christianisme peut prendre sens à ses yeux. Elle ne lui impose pas la foi puisque celle-ci est un don de Dieu. Mais elle dessine en lui son lieu d’accueil et le cadre de son intelligibilité. Elle lui permet de saisir en quoi le christianisme concerne tout homme.»

  

  La Pensée

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Pour Blondel, il y a deux types de pensée, liées l’une à l’autre : la pensée noétique et la pensée pneumatique. Le seconde fut d’ailleurs largement sponsorisée par Michelin par la suite.

  La pensée noétique

«J’emploie», écrit Blondel « le terme noétique pour désigner ce qui, dans le monde sous-jacent à la pensée consciente ou réfléchie, est irréductible à la notion commune de matérialité, au pur physique, si tant est qu’on puisse parler de cette pureté abstraite. Ce mot noétique provoquera peut-être surprise et résistance, en raison de l’idée que son étymologie même évoque, car il paraît désigner ce qui est de l’ordre supérieur à la simple conscience ou à la connaissance discursive ; dès lors, il semble étrange de l’employer pour ce qui paraît inférieur. Ce qui pourtant justifie cet emploi, en apparence prématuré, d’un mot dont on commence à abuser mais qu’il importe de garder en le précisant, c’est que l’objet réel que ce terme désigne a, en effet, un rôle permanent et très défini. Infus et agissant au plus bas, le noétique est ce qui soutient secrètement toute l’ascension, rend compte de la valeur réelle de la connaissance, prépare la pensée concrète et contemplative et permet à l’esprit de communier avec la nature et l’ordre transcendant dont il est le liant. Qu’on ne se méprenne pas sur cette présence du noétique : ce n’est pas seulement une action extérieure, desursum ; ce n’est pas non plus un produit d’une fermentation obscure et toute immanente, constatée isolément et une fois pour toutes comme un fait brut. C’est une incarnation ébauchée du νοῦς, du λογος, d’où le nom de noétique donné à cet ingrédient réel.» On peut parler du noétique comme de la « pensée infuse et agissante dans le monde matériel », d’une « incarnation ébauchée du νοῦς », du « principe d’objectivité intelligible.» Le noétique n’est assimilable ni à la matière, ni à l’abstraction, il est un élément concret, le « principe ontologique de l’ordre universel.» Unité globale et solidaire du monde, il est au principe de la possibilité de comprendre les choses et le monde, il ne peut se définir indépendamment de ce à quoi il renvoie, soit le pneumatique.

La pensée noétique est analytique, elle cherche à dégager des éléments simples et des relations définies, elle n’est que dans l’homogène. Elle tend à l’abstrait, au général, la notion, la loi. Elle est rétrospective, elle a affaire au révolu au réifié avec une propension à la suffisance. La connaissance notionnelle, qui participe de la pensée noétique, «  a pour œuvre propre la fabrication des concepts, tels que les utilisent la science positive et la philosophie de type classique : représentations abstraites et générales où le réel se trouve réduit à l’essentiel, ou du moins à ce qu’il réussit à la pensée de considérer comme tel ». Elle ne donne pas lieu à une connaissance directe totale.

 

  La pensée pneumatique

« Je désigne par pneumatique », écrit Blondel, « (en me servant d’un vieux mot qui a été usité dans les écoles où prévalait le sens de la vie intérieure et de sa mystérieuse respiration) ce qui, en un être singulier, en un point spécifié et réagissant de façon qualitative, aspire le milieu universel, puis l’assimile et l’expire ensuite : secret échange qui introduit perpétuellement dans le monde du nouveau, qui, dans le noétique en quelque sorte étalé et totalisé, constitue partout des intériorités, des singuliers, des formes caractérisées, des « indiscernables » du dehors, et des diversifications indéfiniment renouvelées du dedans.» Pour A. de Jaer et A.Chapelle, « De même que le noétique confère à l’univers son unicité et à chaque personne d’être réelle parce que dans l’univers, ainsi le pneumatique donne à chaque personne d’être elle-même en actuant la réalité unique de l’univers.»

La pensée pneumatique est synthétique, elle se meut dans le divers, le multiple et les voit comme concourant à l’harmonie. Elle est prospective, regarde vers l’avenir, ce qui est à naître, à faire, elle est liée à un appel, c’est la connaissance réelle. « La connaissance réelle est celle qui, grâce à une certaine connaturalité initiale mais bien plus encore grâce à une vivante initiation progressive, nous permet de communiquer, de communier du dedans avec les êtres ou les choses, et par suite d’en juger avec rectitude antérieurement ou par delà tout système élaboré de concepts. A des titres divers en relèvent : le bon sens, le tact, les clairvoyances propres de la pratique et de l’amour, des anticipations et les vues synthétiques du génie, la sagesse et la contemplation.»

  L’union : distinction/des deux pensées. L’image de la luciole

« Entre ces deux formes de connaissance, il n’y a pas pour nous à opter : elles sont nécessaires l’une et l’autre, l’une à l’autre. Grâce à leur union seule, l’intelligence peut être à la fois clairvoyante et possédante et, sans rien concéder au goût dangereux de l’irrationnel, rester fidèle à son étymologie, commune d’ailleurs avec celle du mot intuition : non seulement ce qui sert d’agent de liaison, inter legit [lie les choses entre elles], mais ce qui voit et lit au cœur, intus legit [lit à l’intérieur des choses]. Grâce à leur union seule, peuvent se concilier en nous l’universalité d’un horizon coextensif à tout l’être et le point de vue singulier d’une conscience personnelle : la communion et l’individuation. Si elles parvenaient à se joindre et à s’unir comme elles le souhaitent normalement, le problème du connaître serait susceptible pour nous de solutions définitives et adéquates. Mais, nous le verrons, elles ne se rejoignent pas. Et par le trou, par la fissure qui subsiste entre elles, se laisse entrevoir une réalité supérieure à la pensée consciente de l’homme comme à tout le domaine qu’elle explore.» Blondel s’est exprimé comme suit à popos de la nécessité des deux pensées, opposant le terme latin ratio pour désigner la connaissance rationnelle et le terme latin intellectus pour désigner ce que Newman appelle aussi la connaissance réelle : « Comment concilier et hiérarchiser cette ratio et cet intellectus dont on nous dit que la première doit conduire au second en le contrôlant, et que cependant l’intelligence qui est virtuellement en nous demeure provisoirement prisonnière d’entraves qui empêchent son véritable exercice ? (…) Durant les lourdes nuits de juillet, dans la campagne embaumée de Grasse ou de Vence, la luciole de Provence poursuit silencieusement son étrange vol d’ombre et d’éclat intermittents. Tour à tour, elle s’allume et elle s’éteint. Tantôt elle éclaire d’un trait rapide son itinéraire capricieux en attirant le regard qui ne voit plus que ténèbres en dehors de son sillage de lumière. Tantôt elle disparaît, laissant revoir l’obscure clarté de la nuit pendant que nous nous demandons où surgira de nouveau la froide lueur qui va vers un but incertain. Ainsi nos pensées alternent et composent leur rythme vital ; et leur clarté partielle, avec ses étroites limites et ses intermittences, permet, par les éclipses mêmes, d’entrevoir l’immensité encore nocturne de la route à parcourir.» En fait, les deux pensées ne se rejoindront pas et du fait de la fissure qui subsiste entre elles, laissent supposer une réalité supérieure à la pensée consciente de l’homme.

 

   Du déchirement des deux pensées à l’unité de l’Esprit à l’œuvre en nous

Il y a un hiatus dans la pensée entre les deux manifestations de la pensée (noétique et pneumatique), par exemple dans la perception sensible selon que nous la considérions du point de vue des qualités éprouvées au fond de la conscience (pneumatique) ou des vibrations révélées par la physique (noétique). Ou dans la conscience du sujet, selon que nous nous placions du point de vue du moi profond (pneumatique) ou du jeu des réactions en superficie (noétique). IL faut donc poser que notre pensée profite d’une force qui échappe à sa connaissance explicite et à son empire, sans le concours de laquelle rien n’irait plus.

  

  L’Être et les êtres (Ontologie concrète et réalisme spirituel)

La question qui se pose dans cette deuxième partie de la trilogie (avant la « deuxième » Action c’est le problème de la compatibilité des êtres contingents et de l’Être nécessaire. D’où une enquête que mène Blondel auprès de la matière, des organismes vivants et mourants, des personnes, des sociétés, de l’univers entier… Jean Lacroix écrit que tous ces êtres ne peuvent exister qu’en se suspendant « à l’être qui existe par soi ». Mais, « aussi ces êtres relatifs et contingents ont une certaine réalité et consistance. La preuve, c’est qu’il est bien possible de douter d’in objet, mais non de tous les objets : on ne nie la partie qu’en affirmant l’ensemble ou, comme le dira la phénoménologie contemporaine le doute particulier opère toujours sur horizon du monde.» Blondel écrit en conséquence : « Nos premières enquêtes et nos critiques préliminaires nous ont amenés à cette double conclusion provisoire : rien de ce que l’usage courant nomme des êtres ne répond pleinement à ce que la réflexion découvre d’essentiel dans notre notion spontanée de l’être ; et cependant nous ne pouvons annihiler toutes ces réalités qui, sans être absolument consistantes, se soutiennent les unes les autres, au point que nous ne songeons jamais à les détruire toutes ensemble dans notre pensée.»

 

   La Philosophie et l’esprit chrétien (l’idée d’une philosophie chrétienne)

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  L’intervention de Blondel dans la crise moderniste

C’est après avoir longuement correspondu avec Alfred Loisy que Blondel, pressé aussi par ses amis se résolut à intervenir dans la crise moderniste en publiant le long article Histoire et dogme. Les lacunes philosophiques de l’exégèse moderne, Paris, 1904. Cet article a été reproduit dans Les premiers écrits de Maurice Blondel, PUF, Paris, 1956, pp. 149-228. La critique de Blondel vise tant ceux que l’on appellera plus tard les intégristes que les modernistes. Blondel appelle les premiers les extrincésistes et les seconds les historicistes. En opposant constamment dogme et histoire tout en cherchant une conciliation neuve.

  Critique de l’apologétique courante, l’ « extrincésisme » ou la « théologite »

Pour Blondel, « Si les faits chrétiens (histoire) et les croyances chrétiennes (dogme) coïncidaient à la lumière d’une expérience ou d’une évidence complète; si, du moins, l’on n’avait qu’à croire ce que d’autres ont vu et constaté, il n’y aurait aucune place pour notre difficulté.» Geneviève Mosseray commente ce point comme suit : « Le tort d’une apologétique, courante à l’époque, était de déclarer que la Bible était garantie en bloc par l’autorité divine et que dès lors l’enseignement chrétien découlait de manière directe des textes sacrés. Blondel appelle « extrincécisme » cette première attitude qui fait refluer, sans intermédiaire, le dogme sur l’histoire. C’était l’attitude de certains théologiens rigides pour qui l’argument d’autorité dispensait de toute recherche scientifique (Dans une lettre à un ami, Blondel désigne plaisamment cette attitude du nom de « théologite »). Mais c’était aussi l’attitude de nombreuses personnes bien disposées, marquées par leur éducation chrétienne.»

Devant cette crise Blondel signale le raidissement de certains qu’on appellera plus tard intégrisme, un mot forgé dans le contexte antimoderniste selon G. Mosseray. Mais Blondel prend aussi la mesure de la crise de l’ Église et met en cause aussi bien ceux qui sont troublés par « la cécité de ceux qui ferment les yeux sur les faits » (soit les partisans de la « criticité ») que ceux (les partisans de la « théologie »), qui sont ébranlés par «les affirmations troublantes de ceux qui cherchent trop la lumière en eux.» Cette seconde attitude est ce que Blondel appelle l’« historicisme ».

  Critique de l’ « historicisme » ou de la « criticité »

Cette attitude, « au lieu de faire refluer le dogme sur l’histoire (…) cherche à monter comment l’histoire et l’histoire seule, peut rendre compte de tout le développement du christianisme.», les deux attitudes partageant la présupposé selon Geneviève Mosseray d’un passage direct de l’idée au fait ou l’inverse. Pourtant, si c’est Loisy qui est visé par Blondel, Blondel lui-même ne contestait pas l’autonomie de l’histoire dans son ordre ni d’ailleurs la volonté d’inscrire l’histoire de l’Église dans les lois humaines de la société, cette action divine (à supposer qu’elle existe), ne faisant pas « nombre avec les faits qui gardent leur intelligibilité propre.» Cependant, Blondel fut déçu par la volonté de Loisy de s’en tenir aux faits sans s’intéresser à d’autres problèmes comme celui de l’âme de Jésus. Il s’explique comme suit : « L’histoire réelle est faite de vies humaines; et la vie humaine, c’est la métaphysique en acte. Prétendre constituer la science historique en dehors de toute préoccupation idéale, supposer même que la partie inférieure ou la cuisine de l’histoire peut être, au sens étroit du mot, une constatation positive, c’est, sous prétexte d’une neutralité impossible, se laisser dominer par des partis pris – des partis pris comme tout le monde en a forcément, dès lors qu’on n’a pas acquis une conscience réfléchie de ses propres attitudes d’esprit ni soumis à une critique méthodique les postulats sur lesquels on fonde ses recherches.»

Or le positivisme de l’époque empêchait de voir la pertinence de ce point de vue, selon Geneviève Mosseray, et interdisait aussi selon elle toute étude de la conscience que Jésus pouvait avoir de son action. On connaît l’affirmation centrale de Loisy  : « Le Christ a annoncé le Royaume, mais c’est l’Église qui est venue » [42]. Mais la question de savoir si le Christ a fondé l’Église ou s’il est seulement « l’initiateur occasionnel d’un mouvement humanitaire.», est une question que peut certes poser l’historien mais qu’il ne peut pas trancher définitivement.

  La solution blondélienne: la tradition créatrice ou vivante

Certes, poursuit Geneviève Mosseray, le christianisme se présente comme un fait, mais il y a différents sens à ce terme : succession chronologiquesuccession logique et continuité organique. Pour passer de la succession chronologique aux autres significations, « l’historien doit chaque fois faire intervenir une idée directrice qui lui permet d’organiser ses observations et de leur donner un sens.» Il faut trouver un intermédiaire entre le dogme et l’histoire et c’est la tradition qui n’est pas une attitude tournée vers le passé uniquement mais aussi vers l’avenir, qui n’est pas la simple transmission orale à côté des textes de l’écriture, mais « l’action même des croyants qui vivent du message évangélique.» « L’Église » poursuit Geneviève Mosseray, « par sa tradition vivante s’assure la permanence de l’esprit de son fondateur, dans le dynamisme de son propre mouvement spirituel à travers l’histoire.» Pour Blondel, cette tradition est « puissance conservatrice mais en même temps conquérante » qui a « sans cesse à nous apprendre du nouveau parce qu’elle fait passer quelque chose de l’implicite vécu à l’explicite connu » et sert « à nous faire atteindre, sans passer par les textes, le Christ réel qu’aucun portrait littéraire ne saurait épuiser ni suppléer .»

Voici donc selon G.Mosseray les trois thèmes que Blondel développe dans Histoire et dogme : « critique de l’extrincésisme qui cherche à confirmer directement le dogme par l’histoire; critique de l’historicisme qui rente de réduire le christianisme à son devenir observable; nécessité de recourir à la tradition vécue pour comprendre le passage des faits aux idées.» Geneviève Mosseray pense que ces trois thèmes du développement qu’elle vient d’expliciter s’applique parfaitement à un roman qu’elle qualifie de blondélien.

  

  Le roman blondélien de Joseph Malègue illustre la démarche du philosophe

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En 1933, paraissait le roman de Joseph Malègue intitulé Augustin ou le Maître est là. Maurice Blondel a eu l’occasion d’entretenir à propos de ce livre une abondante correspondance avec son auteur que Geneviève Mosseray a eu l’occasion de dépouiller aux Archives Blondel de Louvain-la-neuve. Elle pense que les trois thèmes blondéliens développés dans le paragraphe précédent se retrouvent dans une sorte de synopsis que le héros central du livre (qui a perdu la foi avec la crise moderniste) donne de son propre itinéraire – avec une amère ironie ! mais c’est bien la synthèse du roman – alors qu’il se sait condamné par la tuberculose vers la fin du livre :

« Premier tableau : la critique positive détruit le Christianisme du jeune héros. […] Deuxième tableau : la critique de la critique positive détruit la critique positive. […] Acte trois: l’apparition de l’Ange. L’Ange reconquiert le jeune héros

   Premier Tableau du roman : la perte de la foi

Augustin a d’abord fait partie de ceux – comme bien des chrétiens de base de cette époque de l’Eglise – qui font simplement confiance aux écritures et aux faits qu’elles rapportent par référence à l’autorité divine (la théologite au sens de Blondel). À la suite des «affirmations troublantes de ceux qui cherchent trop la lumière en eux[39].», c’est-à-dire ces mêmes faits, (la criticite dans le vocabulaire moqueur de Blondel), il perd la foi – PREMIER TABLEAU du roman.

   Deuxième tableau du roman : la critique de la critique

Sans la recouvrer, il se rend compte cependant des a priori de la critique historique positiviste et rédige d’ailleurs à cette fin un article pour les proceedings d’Harvard intitulé Paralogismes de la critique biblique où le héros de Malègue a l’instar de Blondel, pense, selon G. Mosseray, que l’histoire n’atteint pas le fond de la réalité mais « n’est jamais qu’une reconstruction faite sur la base d’hypothèses sans cesse à réviser. On retrouve ici l’affirmation blondélienne selon laquelle les faits observables ne s’organisent pas sans idées directrices.» – DEUXIÈME TABLEAU du roman.

  Acte trois : la venue de l’ Ange et de la tradition au sens de Blondel

Après cette critique de la critique, Augustin cherche dans son œuvre  de philosophe, notamment dans sa thèse sur Aristote, l’idée de finalité qui « vient corriger le mécanisme par un dynamisme spirituel.» Lors de l’examen que présente chez lui Anne de Préfailles, jeune femme dont il tombera éperdument amoureux et dont l’élévation spirituelle est constante, il lui cite de mémoire un texte d’Emile Boutroux: « Lorsque l’être a atteint toute la perfection dont sa nature est capable, cette nature ne lui suffit plus. Il a acquis l’idée claire du principe supérieur dont cette nature l’inspirait sans le savoir. C’est ce nouveau principe qu’il a désormais l’ambition de développer.» Pour Geneviève Mosseray, cette idée exprimée à travers la philosophie de Boutroux, est une allusion également aux trois ordres de Pascal (les corps, l’esprit, la charité). Mais aussi une allusion aux étapes, hétérogènes et solidaires (les cercles concentriques pareils à ceux que crée une pierre immergée à la surface de l’eau), que chez Blondel l’action doit franchir « pour rester fidèle à son élan.»

Pourtant Augustin ne se convertit pas encore. Dans une lettre à Malègue, Blondel écrit : « la perte de sa foi n’est-elle pas due à une imprudence, à une présomption, à une erreur de méthode, analogues à celles que dans mes articles Histoire et dogme sur les lacunes d’exégètes comme Loisy, j’avais essayé de définir et de proscrire ?» Malègue lui répond que cette remarque était judicieuse et que la faute d’Augustin avait été de travailler seul, ce qui fait qu’il ne pouvait revenir « qu’avec quelqu’un…», soit avec un Ange : G. Mosseray montre que l’ Ange, ce n’est pas seulement son ami de l’École Normale, Largilier, mais d’une certaine façon ce que Blondel appelle « la tradition, soit l’expérience de la foi vécue chez bien d’autres croyants rencontrés par Augustin Méridier.

Certes parmi ces croyants, le plus voyant dans l’intrigue romanesque, c’est un ami et compagnon d’Augustin du temps de sa jeunesse studieuse à l’École Normale supérieure, Largilier (qui, lui-même, assistant aux douloureux débats intérieurs d’Augustin lui avait rappelé un mot connu selon lequel Dieu n’abandonne pas ceux qui le cherchent, il enverrait plutôt un Ange). Mais, pense, G. Mosseray, « Largilier n’est en définitive que le représentant d’une foule de témoins qui n’ont cessé d’entourer le héros au cours de sa vie. Si l’on veut trouver dans le roman l’équivalent de la « tradition » avancée par Blondel, c’est aussi dans la description des personnages secondaires qu’il faut la chercher en  particulier Anne de Préfailles, la mère et la sœur du héros en lesquelles Augustin expérimentent sa « vieille idée  » selon laquelle « Quelques âmes ne perdent jamais le sentiment de la paternité de Dieu […] Sa vieille idée que le seul terrain d’exploration directe du phénomène religieux est l’âme des saints lui parut insuffisante. Les âmes plus modestes comptaient aussi, les classes moyennes de la sainteté

Ce retour à la foi c’est le TROISIÈME TABLEAU du roman ou l’ ACTE TROIS pour reprendre les mots d’Augustin se décrivant ironiquement.

 

  Œuvres

L’Action – Essai d’une critique de la vie et d’une science de la pratique, 1893, P.U.F, 1950

Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique et sur la méthode philosophique dans l’étude du problème religieux, Annales de Philosophie Chrétienne, janv.-juillet 1896.

Histoire et dogme, les lacunes philosophiques de l’exégèse moderne, Impr. Librairie de Montligeon, 1904. Dans cette série de trois articles publiés en janvier-février 1904 dans la revue La Quinzaine, Blondel répond à quelques problèmes soulevés par L’Evangile et l’Église d’Alfred Loisy, ouvrage paru l’année précédente. Il y renvoie dos à dos l' »extrinsécisme » (Utilisation de la Bible comme si les faits bibliques étaient extrinsèques à leur signification; attitude fréquente chez les théologiens catholiques de l’époque) et l' »historicisme » (Majoration de l’importance de la science historique dans la foi chrétienne).

L’itinéraire philosophique de Maurice Blondel (Propos recueillis par F.Lefèvre), Spes, Paris, 1928.

Le problème de la philosophie catholique, Paris, Bloud & Gay, 1932

La Pensée Tome 1 – La genèse de la pensée et les paliers de son ascension spontanée, Félix Alcan, PUF, 1934

La Pensée Tome 2 – les responsabilités de la pensée et la possibilité de son achèvement, Félis Alcan, PUF, 1934

L’Être et les êtres – Essai d’ontologie concrète et intégrale, 1935, P.U.F, 1963

L’Action. vol. I: Le problème des causes secondes et le pur agir, Paris, Alcan, 1936. Nouvelle édition P.U.F., Paris, 1949

L’Action. vol. II: L’Action humaine et les conditions de son aboutissement, Paris, Alcan, 1937. Nouvelle édition Paris : P.U.F., 1963. Ce volume est une version revue et corrigée de l’Action de 1893

Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix, Paris, Flammarion, 1939. Nouvelle édition 1947

La philosophie et l’Esprit chrétien, 2 vol, Paris, P.U.F., 1944/46. Nouvelle édition du vol. I, 1950

Exigences philosophiques du christianisme, Paris, P.U.F., 1950

Lettres philosophiques, Paris, Aubier, 1961

Carnets intimes, Tome 1 (1893-1894), Cerf Paris, 1961 et Tome 2 (1894-1949), même édition, Paris, 1966.

Notes d’Esthétique (1878-1900), établies, présentées et annotées par Sante Babolin, Rome, P.U.G., 1973, 349 p.

Les Œuvres complètes de Maurice Blondel sont en cours de publication chez P.U.F. :

Volume 1: 1893: Les deux thèses. Texte établi et présenté par Claude Troisfontaines. – 1995.

Volume 2: 1888-1913: La philosophie de l’action et la crise moderniste. Texte établi et présenté par Claude Troisfontaines. – 1997.

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  Bibliographie

Frédéric LefèvreL’itinéraire philosophique de Maurice Blondel, Éditions Spes,, 1929

Maurice Blondel-Auguste Valensin, Correspondance, Montaigne, Paris, 1957.

Pierre De Cointet, Maurice Blondel, Un Réalisme Spirituel, collection Humanités, éd. Parole Et Silence, 2001.

Emmanuel Gabellieri et Pierre de Cointet, Maurice Blondel et la philosophie française, colloque tenu à Lyon, 24-26 janvier 2005, Parole et silence, Paris, 2007,

René Virgoulay,

Philosophie et théologie chez Maurice Blondel, Paris, Éditions du Cerf, Philosophie et Théologie, 2002, 214 p.

Blondel et le modernisme, La philosophie de l’action et les sciences religieuses (1896-1913), Cerf, 1980.

L’Action de Maurice Blondel, 1893, relecture pour un centenaire, Éditions Beauchesne, 1992

Le Christ De Maurice Blondel, collection : Jésus et Jésus-Christ, éd. Desclée-Mame, 2003.

Philippe CapellePhilosophie et Apologétique – Maurice Blondel Cent Ans Après, Cerf, 1999.

Jean Leclercq, Maurice Blondel lecteur de Bernard de Clairvaux, Editeur : Lessius, Collection : donner raison, 2001

Paul Archambault, Vers un réalisme intégral, L’œuvre philosophique de Maurice Blondel, éd. Librairie Bloud & Gay, 1928

Marie-Jeanne Coutagne :

Maurice Blondel et la quête du sens, Collection : Bibliothèque des Archives de Philosophie, Editions Beauchesne, 1998,

Maurice Blondel, dignité du politique et philosophie de l’action, Editeur, Parole Et Silence, 2006.

L’action, une dialectique du salut, colloque du centenaire, Aix-en-Provence, mars 1993, Editions Beauchesne, 1994,

Xavier Tilliette Philosophies eucharistiques de Descartes à Blondel, Éd. Du Cerf, 2006.

Jean-Hugues Soret, Philosophies de l’Action catholique : Blondel-Maritain, éd. Du Cerf.

Tonquedec, Deux études sur « la pensée » de M. Blondel, Editions Beauchesne, 1934.

Marc Leclerc, Blondel, entre l’Action et la Trilogie, Actes Du Colloque International sur les écrits intermédiaires De Maurice Blondel, tenu à l’Université Grégorienne, à Rome du 16 Au 18 novembre 2000, Collection Donner Raison, Editions Lessius, 2003.

Alain Létourneau, L’herméneutique de Maurice Blondel, son émergence pendant la crise moderniste, Les Editions Fides, 1998,

Lecture blondélienne de Kant dans les principaux écrits de 1893 à 1930, vers un dépassement de l’idéalisme transcendental dans le réalisme intégral de Diogène Bidéri, éd. Pontificia Università Gregoriana, 1999,

JEAN-LOUIS CHRETIEN (1952-2019), PHILOSOPHE CHRETIEN, PHILOSOPHE FRANÇAIS, PHILOSOPHIE

Jean-Louis Chrétien (1952-2019)

Jean-Louis Chrétien, homme de parole

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Le philosophe Jean-Louis Chrétien est décédé vendredi 28 juin.

Dans un dialogue fécond avec les Écritures, mais aussi avec la littérature et la poésie, son œuvre cherchait à recueillir les résonances de l’expérience humaine.

Avec Jean-Louis Chrétien, mort à Paris vendredi 28 juin, c’est l’un des grands noms de la philosophie en France qui disparaît, alors qu’il venait de prendre sa retraite. Né le 24 juillet 1952 à Paris, converti au catholicisme dans sa jeunesse, il fit une carrière universitaire classique. Après l’École normale supérieure et l’agrégation de philosophie – à ces deux concours, il fut reçu premier –, il passa trois ans à la Fondation Thiers puis enseigna à l’université de Créteil. Enfin, il termina sa carrière comme professeur à la Sorbonne, chargé de l’enseignement de la philosophie de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge.

Des générations d’étudiants gardent le souvenir de son enseignement, avec, accompagnant sa puissante vocation pédagogique et sa vaste érudition, une part non négligeable d’humour. En 2002, il recevait, de l’Académie française, le prix du cardinal Lustiger pour l’ensemble de son œuvre, riche d’environ 25 volumes.

La tradition du Dieu caché

C’est en 1985 qu’il publia son premier livre, Lueur du secret (L’Herne), dans lequel il étudiait la tradition du Dieu caché, et les rapports de la Révélation et du secret. Entre 1989 et 2001 parurent six livres de poèmes, puis Chrétien décida de clore cette partie de son œuvre, qui n’est cependant en rien une marge. D’une certaine manière, la rigueur de sa pensée s’y exprime pleinement. C’est ce que Merleau-Ponty nommait le cœur des choses et l’entrelacs de la chair et du monde, qui sont convoqués dans ces vers, comme l’analysa Jérôme Laurent, excluant les formes plaintives et narcissiques du lyrisme.

Le court essai intitulé L’Effroi du beau (Cerf, 1987) peut être lu comme une préface de l’œuvre à venir. Comme la poésie, l’art et la littérature resteront toujours des points d’approfondissement de la pensée phénoménologique de Jean-Louis Chrétien. En 1990, La Voix nuePhénoménologie de la promesse (Minuit), puis deux ans plus tard, chez le même éditeur, L’Appel et la Réponse posent l’axe de cette pensée au sein de laquelle la parole n’est pas un simple instrument.

Une méditation des Saintes Écritures

À ce propos, on se reportera à L’Arche de la parole et à Saint Augustin et les actes de parole (PUF, 1998 et 2002) : « Toute voix humaine répond, toute inauguration est en souffrance et en passion sous une voix antérieure qu’elle n’entend qu’en lui répondant, qui la précède et qui l’excède. Elle ne parle qu’en écoutant, elle n’écoute qu’en répondant… », écrit Chrétien.

Réfutant une frontière étanche entre philosophie et théologie, il méditera les Saintes Écritures dans plusieurs ouvrages : « Nous ne parlons qu’appelés (…). Nous parlons pour avoir entendu, et ne cessant d’entendre, toute voix porte en elle plusieurs voix parce qu’il n’y a pas de première voix. » Le souci et l’exigence de la langue et jusqu’à la beauté du style de Jean-Louis Chrétien participent pleinement de son projet philosophique.

Souvent la réflexion du philosophe s’est concentrée sur un mot, une notion : De la fatigue (Minuit, 1996), La Joie spacieuse (id, 2007), ou il y a deux ans, comme un signe, Fragilité (id, 2017) (1). Il faut enfin citer les deux magnifiques volumes de Conscience et roman (id,2009 et 2011), dans lesquels l’analyse de la littérature ne contredit en rien les autres axes de ce qui est la pensée de Jean-Louis Chrétien.

 

Sources : Journal La Croix du 1er juillet 2019.

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Jean-Louis Chrétien, poète-philosophe du Verbe divin

 

Professeur de philosophie, écrivain et poète, Jean-Louis Chrétien nous a quittés à moins d’un mois de ses 67 ans. Ce n’est pas un vide qu’il laisse, mais une espérance.

La carrière de Jean-Louis Chrétien vient de s’achever prématurément, alors qu’il venait à peine, comme professeur d’université, d’accéder à l’éméritat. Ce n’était pas une « célébrité » : pas de déclarations ni de gestes provocants dont les médias sont friands et qui valent des invitations régulières à des débats télévisés. Il n’était adepte ni des réseaux sociaux, ni même de l’ordinateur, du traitement de texte et du téléphone. Et pourtant, il aura été de son temps, voire en avance, car il nous reste à emprunter les chemins qu’il a frayés en compagnie d’autres pionniers tout en laissant une note personnelle trop intense pour être résumée en quelques slogans.

 Retrouvailles de philosophie, de la poésie et de la théologie

Son parcours académique est exemplairement celui d’un surdoué : reçu premier à l’École normale supérieure puis à l’agrégation de philosophie, enseignant à Créteil puis rapidement à la Sorbonne, avec la chaire d’histoire de la philosophie de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne travailla que sur la pensée du premier millénaire de notre ère. Au contraire, cet intérêt pour un passé qui semble aujourd’hui bien lointain était motivé par les intuitions des maîtres les plus influents du XXe siècle : Husserl et Heidegger. C’est la phénoménologie dont ils ont été les initiateurs qui a permis l’avènement d’une « modernité » qui dépasse celle des « Lumières » — un rationalisme assaisonné de sentimentalité — et dégage les horizons.

Cette approche nouvelle des réalités a autorisé et même stimulé trois percées : d’abord une redécouverte des spéculations grecques antérieures et postérieures à Platon. S’il faut donner des noms, ce sont « avant » : Héraclite et Parménide, et « après » : le juif Philon d’Alexandrie et Plotin. Ensuite la reconnaissance de la parenté entre philosophie et littérature — plus spécialement la poésie : Heidegger s’est référé à Hölderlin, son compatriote, romantique et hellénisant du XIXe siècle, et aussi à Héraclite et Parménide, dont les œuvres sont des poèmes. Enfin un rapprochement entre philosophie et théologie, où la première accueille les apports conceptuels et non « naturels » des révélations religieuses et où des « docteurs de l’Église » comme saint Augustin et même des mystiques comme sainte Thérèse d’Avila sont considérés comme des auteurs majeurs et inescamotables dans l’histoire de la pensée humaine, jusqu’à aujourd’hui et pour l’avenir.

 Le tournant théologique de la phénoménologie

C’est de ces intuitions qu’est imprégnée la production de Jean-Louis Chrétien : quelque trente livres, publiés le plus souvent aux Éditions de Minuit (dans la même maison que Samuel Beckett, Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Claude Simon, vedettes de la littérature du XXe siècle). L’unité des trois avancées de la philosophie est réalisée pour lui dans sa conversion au catholicisme avant l’âge de 30 ans. Ce n’était pas au départ une évidence, car son milieu d’origine était bien étranger au patronyme dont il avait hérité : sa famille était communiste et athée. Mais il a tenu un rôle éminent, après le juif Emmanuel Levinas et le protestant de Paul Ricœur, aux côtés des catholiques Michel Henry (converti) et Jean-Luc Marion, dans ce qui a été appelé « le tournant théologique de la phénoménologie française ».

Un de ses premiers livres, Lueur du secret (1985), médite sur le Dieu caché qui se révèle. Le titre d’un autre annonce le dessein de dépasser le simplisme des idées reçues : L’Effroi du Beau (1987). Viennent ensuite six recueils de poèmes et des essais sur les facettes les plus intimes et les plus décisives de l’expérience humaine : la fatigue (1996), le corps (1997 et 2005), la joie (2001 et 2007), la responsabilité comme réponse (2007), l’intériorité (2014), la fragilité (2017, l’absence (presque achevé). Il n’a pas séparé dans ses recherches la parole humaine de la Parole de Dieu. Il a aussi réfléchi sur la culture contemporaine et l’art, spécialement la littérature, avec les deux volumes de Conscience et Roman (2009 et 2011) où il montrait comment le narrateur omniscient prend la place du Créateur pour s’ériger non pas en Sauveur mais en juge finalement impuissant.

 Les enjeux spirituels du monde de demain

Dans tout cela, Jean-Louis Chrétien a su partager sa sensibilité à la qualité des mots et à l’élégance qui donne au style une efficacité presque involontaire. C’est pourquoi ses livres restent à lire et à relire en prenant tout son temps — le temps de la parole qui vient de loin, qui cherche en elle-même l’image et les échos du Verbe divin, lequel, en se faisant écouter, l’inspire et lui donne d’exprimer poétiquement l’imprévu qu’elle n’aurait pu concevoir. C’est une démarche qui sort des carcans de la « modernité » comme de la « postmodernité » et qui rouvre l’avenir. Et c’est pourquoi Jean-Louis Chrétien n’a, malgré lui, pas échappé à tous les honneurs, puisque lui a été attribué en 2012 par l’Académie française le Prix du cardinal Lustiger, qui distingue une œuvre dégageant les enjeux spirituels de la vie culturelle.

Source Aletetia