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Dimanche 28 mai 2023 : Solennité de la Pentecôte : lectures et commentaires

Dimanche 28 mai 2023 : Solennité de la Pentecôte

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2, 1-11

1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

DU DON DE LA LOI AU SINAI AU DON DE L’ESPRIT A JERUSALEM
Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
A l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage… Crétois et Arabes ».
La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
L’ESPRIT SAINT VIENT COURONNER LE PLAN DE DIEU
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « comme un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puissante. Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait. » (Ex 19,16-19).2
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur  de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.3
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair », dit Dieu (Jl 3,1 ; « tout être de chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre  qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
———————
Notes
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – Le targum (traduction en araméen) de ce passage du livre de l’Exode racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, des lampes de feu traversaient l’espace. Les langues de feu de la Pentecôte les rappellent irrésistiblement.
3 – « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles…vous, vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

TU ENVOIES TON SOUFFLE, ILS SONT CREES
Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres  de Dieu. J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire  trente-six  « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « (Toi, Dieu,) tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher » (verset 19). Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »… Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… » (verset 33).
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre  de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
TU RENOUVELLES SANS CESSE LA FACE DE LA TERRE
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous, ils comptent sur toi… Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ». (versets 27.29).
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être  le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu  se réjouisse en ses œuvres  ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre  de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! »  L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à tout être de chair », comme dit le prophète Joël (3,1) qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.
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Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

DEUXIEME LECTURE – Première lettre de Paul aux Corinthiens 12, 3b-7. 12-13

Frères,
3 personne n’est capable de dire :
« Jésus est Seigneur »
sinon dans l’Esprit Saint.
4 Les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit.
5 Les services sont variés,
mais c’est le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c’est le même Dieu
qui agit en tout et en tous.
7 À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
en vue du bien.

12 Prenons une comparaison :
le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 C’est dans un unique Esprit, en effet,
que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

L’EGLISE EST UN CORPS DONT LE CHRIST EST LA TETE
Paul nous donne ici une définition de l’Eglise : c’est le lieu où « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien. » Voilà pourquoi nous sommes faits : manifester l’Esprit Saint, et non pas pour notre propre fierté, mais en vue du bien de tous. Et c’est un don gratuit qui est fait à chacun d’entre nous.
Comme tous les membres d’un même corps sont au service de ce corps, sans que personne ne se demande lequel est le plus utile, de la main ou du pied, de l’oreille ou de l’œil , de même nous sommes tous indispensables à ce grand corps du Christ qui est en train de se former. Pour l’instant, l’œuvre  définitive ressemble plutôt à une immense mosaïque dont les pièces sont encore éparpillées, mais c’est justement l’Esprit qui fait l’unité et la cohésion de l’ensemble, et qui relie entre elles les multiples pièces répandues à la surface du globe.
Si, partout dans le monde, des communautés vivent à la manière dont parle Saint Paul, alors cela fera tache d’huile et la mosaïque s’assemblera peu à peu. Car la vie des communautés chrétiennes à la manière de Saint Paul est pour le moins révolutionnaire : d’un trait de plume, il barre toute considération de hiérarchie ou de supériorité !!! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte : notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité… Tout racisme est désormais impossible.
Paul avait certainement de bonnes raisons de le rappeler à ses Chrétiens d’origines si diverses : « Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres »… dit-il. Juifs ou païens, ce sont tous les problèmes de diversités de sensibilités religieuses, sans parler de la difficulté des croyants de longue date à accepter les nouveaux venus. Mettre Juifs et païens sur le même plan au niveau religieux, quand on sait le poids que pouvait revêtir l’élection d’Israël aux yeux de Paul, c’était quand même bien audacieux ! Esclaves ou hommes libres, ce sont les diversités sociales, peut-être même raciales, certainement des clivages politiques et inévitablement pour certains des sentiments de supériorité.
Bien sûr, les problèmes de la communauté de Corinthe n’étaient pas tout à fait les nôtres… Mais sommes-nous tellement loin de cela ? Si elles ne portent plus les mêmes noms, nos diversités de toute sorte sont bien à l’origine de nombreuses difficultés dans nos communautés. Pour certains d’entre nous, s’ajoute peut-être la difficulté de vivre sereinement et de trouver chacun notre juste place dans la structure qui s’est instaurée en vingt siècles de vie d’Eglise.
Et le premier message de Paul, aujourd’hui, c’est que l’Eglise du Christ a précisément pour vocation d’être ce lieu où l’on apprend à ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur… Le lieu où une nomination n’est pas un avancement ou une rétrogradation… Le lieu où une ordination ne confère pas une supériorité… Car les vues de Dieu sont tout autres : « Vous le savez, disait Jésus à ses apôtres, les chefs des nations les commandent en maîtres et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi. » (Mt 20,25-26).
L’ART DE LA MOSAIQUE
Si on devait dessiner l’Eglise, ce ne serait pas une pyramide, mais une foule serrée autour de Quelqu’un. (Et au mot « Quelqu’un », j’ai mis une majuscule bien sûr). Saint Paul aussi dessine, mais lui il dessine tout simplement un corps humain : tous les baptisés, petits ou grands, nous en sommes les membres. Et ceux, parmi nous, qui sont ordonnés, ont justement ce rôle d’être le signe visible de la présence invisible du Christ dans son corps. Cela ne leur confère pas une supériorité, mais une mission.
Nous ne sommes pas tous pareils pour autant : l’âge et le curriculum vitae ont quand même leur importance… mais pas celle qu’on croit. Et voilà le deuxième message de Paul : nos diversités sont des cadeaux ; ce n’est pas un hasard si il emploie plusieurs fois le mot « don » : « Les dons de la grâce sont variés »… « A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. » Cela aussi, c’est un peu le monde à l’envers, parce que, bien souvent, ce sont nos diversités qui nous font souffrir ; on en sait quelque chose en liturgie ; Paul, au contraire, nous invite à nous en réjouir : nos diversités sont des richesses ! Et, paradoxalement, ce sont elles qui bâtiront notre unité. C’est l’un des grands messages de la Pentecôte, nous l’avons vu, en particulier, avec le récit des Actes des Apôtres où toutes les langues diverses s’unissent pour chanter le même chant, les merveilles de Dieu. L’Eglise est aussi ce lieu où l’on peut surmonter les différences de sensibilité et apprendre à vivre la réconciliation. Car l’Esprit qui nous est donné à la Pentecôte est l’Esprit d’amour, donc de pardon et de réconciliation. C’est même justement notre capacité de réconciliation et de respect mutuel qui est la marque de l’Esprit. Voilà le témoignage que le monde attend de nous. « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » disait Jésus le dernier soir (Jn 13,35).
Décidément, si nous avions à imaginer un dessin représentant l’Eglise, on pourrait dessiner une mosaïque : chaque pièce compte et il ne faut surtout pas des pièces trop grandes ! Plus les pièces (ce qu’on appelle les tesselles) sont petites, variées, colorées, plus la mosaïque sera belle et nuancée !
L’unité dans la diversité, c’est un beau pari : mais nous ne pouvons le gagner que parce que l’Esprit nous est donné : l’Esprit d’Amour, l’Amour qui unit le Père et le Fils. C’était déjà la leçon de Babel : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité.

EVANGILE – selon Saint Jean 20,19-23

C’était après la mort de Jésus :
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

DE MEME QUE LE PERE M’A ENVOYE, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE
Pour transmettre l’Esprit Saint à ses disciples, Jésus souffle sur eux ; cela nous fait penser à la phrase célèbre du livre de la Genèse, au chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme le souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Et le psaume 103/104 (que nous entendons également pour cette fête de Pentecôte), commente le texte de la Création en chantant : « Tu envoies ton souffle : ils sont créés. » Or, nous sommes au soir de Pâques et Jésus reprend ce geste du Créateur. On comprend pourquoi Saint Jean note : « C’était le soir du premier jour de la semaine », manière de dire c’est le premier jour de la nouvelle création ; dans le Judaïsme, on évoquait souvent la première création que Dieu avait accomplie en sept jours, comme le dit le fameux poème du chapitre 1 de la Genèse et on attendait le huitième jour, celui du Messie. A sa manière, imagée, Jean nous dit : ce fameux huitième jour est arrivé, c’est à une véritable re-création de l’homme que vous assistez.
Deuxième remarque à propos du souffle, il me semble que l’ordre choisi par Jean pour nous raconter la Pentecôte est une leçon : je reprends les trois phrases dans l’ordre : 1) « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » …2) « Il souffla et il leur dit ‘Recevez l’Esprit Saint’ » … 3) « A qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ». La première et la troisième phrase disent une  mission, elles encadrent la phrase qui dit le don de l’Esprit. Ce qui veut bien dire que l’Esprit est donné POUR la mission. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que cette mission.
Et cette mission consiste à « remettre les péchés » ; c’était déjà celle de Jésus ; et il dit bien d’ailleurs : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Jésus, l’envoyé du Père, c’est un grand thème de Jean… A notre tour, Jésus nous envoie et Jean emploie bien le même mot ; Jésus est l’envoyé du Père et nous sommes les envoyés de Jésus, nous avons la même mission que Jésus, il nous la confie. C’est dire notre responsabilité, la confiance qui nous est faite ; or cela concerne tous les baptisés puisque l’Eglise a toujours jugé bon de confirmer tous les baptisés.
Et cette mission de Jésus, pour s’en tenir au seul évangile de Jean, c’était d’ôter le péché du monde, j’ai envie de dire « extirper » le péché du monde ; et cela en étant l’agneau de Dieu. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » avait dit Jean-Baptiste (Jn 1,29). L’agneau, c’est celui qui reste doux et humble de cœur  face à ses bourreaux (c’est celui dont parle Isaïe 52-53) ; c’est aussi l’agneau pascal, celui qui signe de sa vie la libération du peuple de Dieu. Et au-delà de la libération d’Egypte, la phrase de Jean-Baptiste vise la libération du péché, c’est-à-dire de la haine et de la violence.
Jésus lui-même parle souvent de sa mission : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »… « Dieu a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». (Jn 3,16-17).
DIEU SOUFFLE EN NOUS LES PAROLES ET LES GESTES DU PARDON
Il me semble que toutes ces affirmations de Jésus sur sa mission éclairent la phrase difficile du texte d’aujourd’hui : « A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus ». La première partie de cette phrase nous convient tout à fait, bien sûr, mais la deuxième nous déroute. Pour commencer, je la redis un peu différemment, sans la déformer, j’espère : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous ne remettrez pas ses péchés, ils ne lui seront pas remis ».
Impossible de penser que notre Père du ciel pourrait ne pas nous pardonner. Déjà l’Ancien Testament avait parfaitement mis en lumière que le pardon de Dieu précède même notre repentir ; car en Dieu le pardon n’est pas un acte ponctuel, c’est son être même. Dieu n’est que don et pardon. La caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes.
Le pouvoir donné aux disciples du Christ, et plus que le pouvoir, la mission, confiée aux disciples du Christ, c’est donc de dire cette parole du pardon de Dieu ; c’est aussi, du coup, la terrible responsabilité que nous donne la deuxième partie de la phrase : ne pas dire la parole du pardon de Dieu, laisser le monde ignorer ce pardon, c’est laisser le monde à son désespoir. Nous détenons le pouvoir de ne pas dire le pardon de Dieu et de laisser le monde l’ignorer.
A entendre cela, on a envie de se mettre au travail tout de suite !
Et le pardon de Dieu peut être annoncé de deux manières : par nos paroles et par nos gestes ; ce qui nous est demandé, c’est d’être nous-mêmes pardon. Nous sommes désormais pour le monde les témoins du pardon de Dieu.
Et c’est cela la nouvelle Création : l’Esprit de don et de pardon nous est donné. A la Pentecôte, le pouvoir de pardonner nous est insufflé ; Dieu souffle en nous les paroles du pardon. Au théâtre, il y a un souffleur pour les trous de mémoire de l’acteur… Désormais il y a en nous quelqu’un qui souffle les paroles et les gestes du pardon. L’Esprit fait de nous des agneaux de Dieu à notre tour, il nous donne ainsi le pouvoir de vaincre la spirale de la haine et de la violence. Jésus l’avait déjà dit à ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Comme son Père l’a envoyé pour être l’agneau de Dieu, Jésus nous envoie à notre tour pour être des agneaux dans le monde. Pour répondre à la violence et à la haine par la non-violence et le pardon.
Jusqu’au jour où se lèvera enfin ce fameux « huitième jour » que l’Ancien Testament déjà annonçait, celui où l’humanité tout entière vivra enfin l’amour et le pardon…

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Dimanche 5 juin 2022 : Fête de la Pentecôte : lectures et commentaires

Dimanche 5 juin 2022 : Fête de la Pentecôte

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres  2, 1-11

Quand arriva le jour de la Pentecôte,
au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

A JERUSALEM L’ESPRIT SAINT A ETE REPANDU SUR L’HUMANITE
Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
A l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage… Crétois et Arabes ».
La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
LE REGNE DE DIEU S’EST APPROCHE
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « comme un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puissante. Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait. » (Ex 19,16-19).2
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur  de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.3
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair », dit Dieu (Jl 3,1 ; « tout être de chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre  qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
——————
Notes
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – Le targum (traduction en araméen) de ce passage du livre de l’Exode racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, des lampes de feu traversaient l’espace. Les langues de feu de la Pentecôte les rappellent irrésistiblement.
3 – « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles…vous, vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

 

 

PSAUME – 103 (104),1.24,29-30,31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

QUELLE PROFUSION DANS TES OEUVRES, SEIGNEUR !
Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres  de Dieu.  J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire  trente-six  « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « (Toi, Dieu,) tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher » (verset 19). Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »… Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… » (verset 33).
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre  de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
TU RENOUVELLES SANS CESSE LA FACE DE LA TERRE
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous, ils comptent sur toi… Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ». (versets 27.29).
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être  le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu  se réjouisse en ses œuvres  ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre  de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! »  L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à tout être de chair », comme dit le prophète Joël (3,1) qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.
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Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

 

DEUXIEME LECTURE – lettre de la lettre de Saint Paul aux Romains 8,8-17

Frères,
8 ceux qui sont sous l’emprise de la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.
9 Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous celle de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ
ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, reste marqué par la mort
à cause du péché,
mais l’Esprit vous fait vivre,
puisque vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.
12 Ainsi donc, frères, nous avons une dette,
mais elle n’est pas envers la chair
pour devoir vivre selon la chair.
13 Car si vous vivez selon la chair,
vous allez mourir ;
mais si, par l’Esprit,
vous tuez les agissements de l’homme pécheur,
vous vivrez.
14 En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu,
ceux-là sont fils de Dieu.
15 Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves
et vous ramène à la peur ;
mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ;
et c’est en lui que nous crions
« Abba ! », c’est-à-dire : Père !
16 C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit
que nous sommes enfants de Dieu.
17 Puisque nous sommes ses enfants,
nous sommes aussi ses héritiers :
héritiers de Dieu,
héritiers avec le Christ,
si du moins nous souffrons avec lui
pour être avec lui dans la gloire.

VIVRE COMME DES ESCLAVES OU VIVRE COMME DES FILS ?
La principale difficulté de ce texte est dans le mot « chair » : dans le vocabulaire de Saint Paul, il n’a pas le même sens que dans notre français courant d’aujourd’hui. Nous, nous sommes tentés d’opposer deux composantes de l’être humain que nous appelons le corps et l’âme et nous risquons donc de faire un épouvantable contresens : quand Paul parle de chair et d’esprit, ce n’est pas du tout cela qu’il a en vue. Ce que Saint Paul appelle « chair », ce n’est pas ce que nous appelons le corps ; ce que Paul appelle l’Esprit, ce n’est pas ce que nous appelons l’âme. D’ailleurs Paul précise plusieurs fois qu’il s’agit de l’Esprit de Dieu, ou encore il dit « l’Esprit du Christ ».
Et encore, si on y regarde de plus près, il n’oppose pas deux mots « chair » et « Esprit », mais deux expressions « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Pour lui, il faut choisir entre deux modes de vie ; ou pour le dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou notre ligne de conduite, si vous préférez.
On retrouve ici le thème des deux voies, très habituel pour le Juif qu’est Saint Paul : les deux voies, au sens de deux routes, bien sûr. A nous de choisir : pour mener notre existence, pour prendre des décisions, pour réagir devant les difficultés ou les épreuves, il y a deux attitudes possibles : la confiance en Dieu, ou la méfiance… la certitude qu’il ne nous abandonne jamais, ou le doute… la conviction que Dieu ne veut que notre bonheur, ou le soupçon qu’il voudrait notre malheur… la fidélité à ses commandements parce qu’on lui fait confiance, ou la désobéissance parce qu’on croit mieux savoir…
Devant les épreuves quotidiennes de la vie au désert, et en particulier devant l’épreuve de la soif, le peuple avait soupçonné Dieu de l’abandonner et avait fait un véritable procès d’intention à Dieu et à Moïse ; vous avez reconnu l’épisode de Massa et Meriba au livre de l’Exode. Devant la limite opposée à ses désirs, Adam soupçonne Dieu et désobéit ; c’est l’épisode de la chute au Paradis terrestre ; j’ai parlé au présent, parce que nous sommes tous Adam à certaines heures ; c’est l’éternel problème de la confiance, « la question de confiance », si vous préférez, problème tellement fondamental dans nos vies qu’on l’appelle « originel ».
A l’opposé de cette attitude de soupçon, de révolte contre Dieu, l’attitude du Christ est de confiance et donc de soumission : puisqu’il sait que la volonté de Dieu n’est que bonne, il s’y plie volontiers. Même et y compris devant la souffrance et la mort.
NOUS SOMMES DES FILS… DONC DES HERITIERS
Il y a donc deux attitudes opposées et ce sont ces deux attitudes que Paul appelle « vivre selon la chair » ou « vivre selon l’Esprit » ; et Paul développe cette opposition en nous proposant deux synonymes : « vivre selon la chair » c’est se conduire vis-à-vis de Dieu en esclaves : l’esclave n’a pas confiance en son maître, il se soumet par obligation et par peur des représailles ; l’autre attitude, « vivre selon l’Esprit », il la traduit par « se conduire en fils » : et il entend par là une relation de confiance et de tendresse.
Enfin, il dit deux choses : premièrement, seule l’attitude dictée par l’Esprit de Dieu, l’attitude de confiance et d’amour, à l’exemple du Christ, cette attitude-là est porteuse de vie ; tandis que la méfiance et le soupçon mènent à la mort ; « Si vous vivez selon la chair la chair, (sous-entendu l’attitude de méfiance et de désobéissance envers Dieu), vous allez mourir : mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. » (verset 13). Je traduis : ce qui, en chacun de vous, est attitude d’esclave, est destructeur ; ce qui, en chacun de vous, est attitude filiale, confiante, est chemin de paix et de bonheur.
Deuxièmement, nous dit Paul, d’ores et déjà, l’Esprit de Dieu est en vous, vous êtes des fils, vous appelez Dieu « Abba-Père » : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la  peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire Père. » (verset 15).
Le jour où l’humanité tout entière reconnaîtra en Dieu son Père, ce jour-là, le projet de Dieu sera accompli et nous pourrons tous ensemble entrer dans sa gloire ; quelques versets plus loin, Paul dit : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. » (verset 19).
Il reste la dernière phrase du texte d’aujourd’hui : « Puisque nous sommes les enfants de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers ; héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, à condition de souffrir avec lui pour être avec lui dans sa gloire. » Cette phrase peut se lire de deux manières ; le contresens, l’attitude d’esclave, ce serait (Il n’est pas question) d’imaginer un Dieu qui met des conditions à l’héritage ! Au contraire, si nous écoutons l’Esprit de Dieu, qui nous fait voir en Dieu un Père plein d’amour, nous comprenons que nous sommes invités une fois de plus à demeurer dans la confiance, surtout quand nous abordons la souffrance : comme pour le Christ, les souffrances sont inévitables pour ceux qui s’engagent à sa suite sur le chemin du témoignage ; mais vécues avec lui et comme lui dans la confiance, elles sont chemin de résurrection. En fait, « à condition de souffrir avec lui » veut dire « à condition d’être avec lui, de rester greffés sur lui à tout moment, y compris dans la souffrance inévitable ».

 

EVANGILE – selon Saint Jean 14, 15-16. 23b-26

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15 « Si vous m’aimez,
vous garderez mes commandements.
16 Moi, je prierai le Père,
et il vous donnera un autre Défenseur
qui sera pour toujours avec vous.

23 Si quelqu’un m’aime,
il gardera ma parole ;
mon Père l’aimera,
nous viendrons vers lui
et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas
ne garde pas mes paroles.
Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
elle est du Père, qui m’a envoyé.
25 Je vous parle ainsi,
tant que je demeure avec vous ;
26 mais le Défenseur,
l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout,
et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »

QUAND L’AMOUR DE DIEU ENVAHIT LE CŒUR DES HOMMES
Nous connaissons bien cet évangile, mais il prend bien sûr aujourd’hui un nouvel éclairage grâce aux autres textes qui nous sont proposés pour la fête de la Pentecôte. Par exemple, il est intéressant que, pour la fête du don de l’Esprit, l’évangile qui nous est proposé ne nous parle que d’amour ! Souvent, nous sommes tentés de penser à l’Esprit Saint en termes d’inspiration, d’idées, de discernement, d’intelligence en quelque sorte ; Jésus nous dit ici : l’Esprit de Dieu, c’est tout autre chose, c’est l’Amour personnifié ; pas étonnant, me direz-vous, puisque, comme dit Saint Jean, « Dieu est Amour ».
Cela veut dire que, le matin de la Pentecôte, à Jérusalem, quand les disciples ont été remplis de l’Esprit Saint, c’est l’amour même qui est en Dieu qui les a envahis. Et de même, nous aussi, baptisés, confirmés, notre capacité d’amour est habitée par l’amour même de Dieu. « Tu envoies ton souffle : ils sont créés » dit le psaume 103/104 de cette fête du don de l’Esprit : effectivement, créés à l’image de Dieu, appelés à lui ressembler toujours plus, nous sommes constamment en train d’être modelés par lui à son image ; regardez le potier en train de façonner son vase, celui-ci s’affine de plus en plus dans les mains de l’artisan… Nous sommes cette poterie dans les mains de Dieu : notre ressemblance avec lui s’affine de plus en plus au fur et à mesure que nous laissons l’Esprit d’amour nous transformer.
Dans le passage de la lettre aux Romains que nous lisons pour cette fête de Pentecôte, il est plutôt question de notre relation à Dieu ; on pourrait le résumer par la phrase : nous ne sommes plus des esclaves, nous sommes des fils de Dieu. Dans cet évangile, Jésus fait le lien entre notre relation à Dieu et notre relation à nos frères : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements », et son commandement, nous savons bien ce qu’il est : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13,34) ; et l’on peut penser que cette expression fait référence au lavement des pieds, c’est-à-dire une attitude résolue de service.
Si bien qu’on peut traduire « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » par « Si vous m’aimez, vous vous mettrez au service les uns des autres ». L’amour de Dieu et l’amour des frères sont inséparables, tellement inséparables que c’est à la qualité de notre mise au service de nos frères que l’on peut juger de la qualité de notre amour de Dieu. Du coup on peut retourner la phrase « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » : elle veut dire « Si vous ne vous mettez pas au service de vos frères, ne prétendez pas que vous m’aimez » !
Un peu plus loin, Jésus reprend une expression tout à fait semblable mais il développe encore : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui, et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (verset 23). Cela ne veut évidemment pas dire que notre Père du ciel pourrait ne pas nous aimer si nous ne nous mettons pas au service de nos frères ! En Dieu, il n’y a pas de marchandages, pas de conditions ! Au contraire, la caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes sur le plan de l’amour et du service des autres.
TOUT ART S’APPREND EN S’EXERÇANT
Mais ce que veut dire cette phrase, c’est quelque chose que nous connaissons bien : la capacité d’aimer est un art et tout art s’apprend en s’exerçant ! L’amour du Père est sans mesure, infini ; c’est notre capacité d’accueil de cet amour qui est limitée et qui grandit à mesure que nous l’exerçons. Si bien que l’on pourrait traduire : « Si quelqu’un m’aime, il se mettra au service des autres. Et peu à peu son cœur  s’élargira et l’amour de Dieu l’envahira de plus en plus et il pourra encore mieux servir les autres… et ainsi de suite jusqu’à l’infini… » Jusqu’à l’infini au vrai sens du terme.
Pour terminer, revenons sur le mot « Défenseur » : il est vrai que nous avons besoin d’un Défenseur… mais pas devant Dieu, bien sûr ! Saint Paul nous l’a bien dit dans la lettre aux Romains (qui est notre seconde lecture de cette fête) : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils. » (Rm 8,15).Nous n’avons donc plus peur de Dieu, nous n’avons pas besoin de Défenseur devant lui. Mais alors devant qui ?
Jésus dit bien : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. » Oui, nous avons besoin d’un Défenseur, d’un avocat pour nous défendre : mais c’est devant nous-mêmes, devant nos réticences à nous mettre au service des autres, devant nos timidités du genre « Qu’est-ce que si peu de pains et de poissons pour tant de monde ? »
Nous avons bien besoin de ce Défenseur qui constamment, plaidera en nous la cause des autres. Et ce faisant, c’est nous en réalité qu’il défendra, car notre vrai bonheur, c’est de nous laisser modeler chaque jour par le potier à son image.

ANCIEN TESTAMENT, BAPTEME DE JESUS, BAPTEME DU CHRIST, EVANGILE SELON SAINT LUC, FETE LITURGIQUE, LETTRE DE SAINT PAUL A TITE, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 103

Dimanche 9 janvier 2022 : Fête du Baptême du Seigneur

Dimanche 9 janvier 2022 : Fête du Baptême du Seigneur

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Isaïe 40,1-5.9-11

1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur  de Jérusalem.
Proclamez que son service est accompli,
que son crime est expié,
qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR
le double pour toutes ses fautes.
3 Une voix proclame :
« Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ;
tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu.
4 Que tout ravin soit comblé,
toute montagne et toute colline abaissées !
Que les escarpements se changent en plaine.
et les sommets en large vallée !
5 Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR
et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »
9 Monte sur une haute montagne,
toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
Elève la voix avec force,
toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
Elève la voix, ne crains pas.
Dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu. »
10 Voici le SEIGNEUR Dieu !
Il vient avec puissance ;
son bras lui soumet tout.
Voici le fruit de son travail avec lui,
et devant lui, son ouvrage.
11 Comme un berger, il conduit son troupeau :
son bras rassemble les agneaux,
il les porte sur son cœur ,
il mène brebis qui allaitent.

BONNE NOUVELLE POUR LE PEUPLE DE L’ALLIANCE
C’est ici que commence l’un des plus beaux passages du Livre d’Isaïe ; on l’appelle le « Livret de la Consolation d’Israël » car ses premiers mots sont « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette phrase, à elle toute seule, est déjà une Bonne Nouvelle extraordinaire, presque inespérée, pour qui sait l’entendre ! Car les expressions « mon peuple »… « votre Dieu » sont le rappel de l’Alliance (un peu comme dans un couple, un surnom affectueux redit au moment d’un désaccord, vient rassurer sur la tendresse encore présente).
Or c’était la grande question des exilés. Pendant l’Exil à Babylone, c’est-à-dire entre 587 et 538 avant J.C.,  on pouvait se le demander : Dieu n’aurait-il pas abandonné son peuple, n’aurait-il pas renoncé à son Alliance…? Il pourrait bien s’être enfin lassé des infidélités répétées à tous les niveaux. Tout l’objectif de ce Livret de la Consolation d’Isaïe est de dire qu’il n’en est rien. Dieu affirme encore « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », ce qui était la devise ou plutôt l’idéal de l’Alliance.
Je prends tout simplement le texte dans l’ordre : « Parlez au cœur  de Jérusalem et proclamez que son service est accompli » dit Isaïe ; cela veut dire que la servitude à Babylone est finie ; c’est donc une annonce de la libération et du retour à Jérusalem.
« Que son crime est expié et qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR le double pour toutes ses fautes. » D’après la loi d’Israël, un voleur devait restituer le double des biens qu’il avait volés (par exemple deux bêtes pour une). Parler au passé de cette double punition, c’était donc une manière imagée de dire que la libération approchait puisque la peine était déjà purgée. Ce que le prophète, ici, appelle les « fautes » de Jérusalem, son « crime », ce sont tous les manquements à l’Alliance, les cultes idolâtres, les manquements au sabbat et aux autres prescriptions de la Loi, et surtout les nombreux manquements à la justice et, plus grave encore que tout le reste, le mépris des pauvres. Le peuple juif a toujours considéré l’Exil comme la conséquence de toutes ces infidélités. Car, à l’époque on pensait encore que Dieu nous punit de nos fautes.
« Une voix proclame » (verset 3) : nulle part, l’auteur de ce livret ne nous dit qui il est ; il se présente comme « la voix qui crie de la part de Dieu » ; nous l’appelons traditionnellement le « deuxième Isaïe ». « Une voix proclame : Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ». Déjà une fois dans l’histoire d’Israël, Dieu a préparé dans le désert le chemin qui menait son peuple de l’esclavage à la liberté : traduisez de l’Egypte à la Terre promise ; eh bien, nous dit le prophète, puisque le Seigneur a su jadis arracher son peuple à l’oppression égyptienne, il saura aujourd’hui, de la même manière, l’arracher à l’oppression babylonienne.
LA ROUTE DE LA LIBERTE
« Tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées, que les escarpements se changent en plaine, et les sommets en large vallée ! » C’était l’un des plaisirs du vainqueur que d’astreindre les vaincus à faire d’énormes travaux de terrassement pour préparer une voie triomphale pour le retour du roi victorieux. Il y a pire : une fois par an, à Babylone, on célébrait la grande fête du dieu Mardouk, et, à cette occasion, les esclaves juifs devaient faire ces travaux de terrassement : combler les ravins… abaisser les collines et même les montagnes, de simples chemins tortueux faire d’amples avenues… pour préparer la voie triomphale par laquelle devait passer le cortège, roi et statues de l’idole en tête ! Pour ces Juifs croyants, c’était l’humiliation suprême et le déchirement intérieur. Alors Isaïe, chargé de leur annoncer la fin prochaine de leur esclavage à Babylone et le retour au pays leur dit : cette fois, c’est dans le désert qui sépare Babylone de Jérusalem que vous tracerez un chemin… Et ce ne sera pas pour une idole païenne, ce sera pour vous et votre Dieu en tête !
« Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. » : on pourrait traduire « Dieu sera enfin reconnu comme Dieu et tous verront que Dieu a tenu ses promesses. »
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Elève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. » Au passage, vous avez remarqué le parallélisme de ces deux phrases : parallélisme parfait qui a simplement pour but de porter l’accent sur cette Bonne Nouvelle adressée à Sion ou Jérusalem, c’est la même chose : il s’agit évidemment du peuple et non de la ville. Le contenu de cette Bonne Nouvelle suit immédiatement : « Voici votre Dieu. Voici le SEIGNEUR Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. »
« Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur  , il mène les brebis qui allaitent. » Nous retrouvons ici chez Isaïe l’image chère à un autre prophète de la même époque, Ezéchiel.
La juxtaposition de ces deux images (un roi triomphant, un berger) surprend peut-être, mais l’idéal du roi en Israël comprenait bien ces deux aspects : le bon roi, c’est un berger plein de sollicitude pour son peuple, mais c’est aussi un roi triomphant des ennemis, pour protéger son peuple justement… Comme un berger utilise son bâton pour chasser les animaux qui menaceraient le troupeau.
Ce texte, dans son ensemble, résonnait donc comme une extraordinaire nouvelle aux oreilles des contemporains d’Isaïe, au sixième siècle av. J.C. Et voilà que cinq ou six cents ans plus tard, lorsque Jean-Baptiste a vu Jésus de Nazareth s’approcher du Jourdain et demander le Baptême, il a entendu résonner en lui ces paroles d’Isaïe et il a été rempli d’une évidence aveuglante : le voilà celui qui rassemble définitivement le troupeau du Père… Le voilà celui qui va transformer les chemins tortueux des hommes en chemins de lumière… Le voilà celui qui vient redonner au peuple de Dieu sa dignité… Le voilà celui en qui se révèle la gloire (c’est-à-dire la présence) du SEIGNEUR. Fini le temps des prophètes, désormais Dieu lui-même est parmi nous !

 

PSAUME – 103 (104),1c-3a.3bc-4.24-25.27-28.29-30

1 Revêtu de magnificence,
2 tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
3 tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
4 tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
Tout cela, ta sagesse l’a fait. La terre s’emplit de tes biens.
25 Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits.

27 Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture en temps voulu.
28 Tu donnes, eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main, ils sont comblés.

29 Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre

 

LE PSAUME 103 ET L’HYMNE DU PHARAON AKHENATON
Nous lisons ici des extraits du psaume 103/104 ; or, on peut les comparer avec une prière qui nous vient d’Egypte : il s’agit d’une hymne adressée au soleil par le roi Aménophis IV, l’époux de Nefertiti. On sait que ce Pharaon a consacré une bonne partie de ses énergies à l’instauration d’une religion nouvelle : il a remplacé le culte d’Amon (dont le clergé devenait beaucoup trop puissant à ses yeux) par celui du Dieu Aton, c’est-à-dire le soleil ; et, à cette occasion, il a pris un nouveau nom, Akhenaton. Sa prière a été retrouvée gravée sur un tombeau à Tell El-Amarna en Egypte (au bord du Nil).
La voici : « Tu te lèves beau dans l’horizon du ciel, Soleil vivant qui vis depuis l’origine. Tu resplendis dans l’horizon de l’Est, tu as rempli tout pays de ta beauté. Tu es beau, grand, brillant, tu t’élèves au-dessus de tout pays. Combien nombreuses sont tes œuvres , mystérieuses à nos yeux ! Seul dieu, tu n’as point de semblable, tu as créé la terre selon ton cœur . Les êtres se forment sous ta main comme tu les as voulus. Tu resplendis et ils vivent ; tu te couches et ils meurent. Toi, tu as la durée de la vie par toi-même, on vit de toi. Les yeux sont sur ta beauté jusqu’à ce que tu te caches, et tout travail prend fin, quand tu te couches à l’Occident. »
On ne peut pas nier que cette hymne adressée en Egypte au dieu-soleil ressemble comme deux gouttes d’eau à notre psaume 103/104 composé en Israël ; or le texte égyptien est plus ancien, il date du quatorzième siècle, à une époque où les Hébreux étaient esclaves en Egypte. On peut donc supposer qu’ils ont eu l’occasion d’y entendre ce poème adressé au dieu-soleil ; ils l’auraient alors adapté et transformé à la lumière de leur nouvelle religion, celle du dieu qui les avait libérés d’Egypte, précisément.
J’ai dit « adapté et transformé » parce que si ces deux textes se ressemblent, ils diffèrent plus encore ! Et sur deux points : premièrement, le Dieu d’Israël est un Dieu personnel, qui a proposé une relation d’Alliance à son peuple. Un Dieu qui a un projet sur l’humanité, un Dieu qui veut l’homme libre.
Par exemple, le psaume commence et finit par l’acclamation « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme » qui est typique de l’Alliance du peuple d’Israël avec son Dieu. Car, une fois de plus, le nom employé pour désigner Dieu est le fameux nom de l’Alliance, le nom en quatre lettres YHVH qu’on ne prononce pas, mais qui rappelle la présence de Dieu auprès de son peuple pour toujours. C’est ce nom qui est traduit ici par le mot SEIGNEUR.
DIEU SEUL EST DIEU, LE SOLEIL N’EST QU’UNE CREATURE
Deuxième différence : dans la pensée biblique, contrairement à la prière du pharaon Akhénaton, Dieu seul est Dieu, le soleil n’est qu’une créature dépourvue de toute volonté propre : dans d’autres versets de ce psaume, on affirme « Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher. Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient » (versets 19-20). En d’autres termes, si le soleil a un quelconque pouvoir, c’est Dieu et Dieu seul qui le lui a donné. Dans le même sens, nous avons déjà remarqué l’insistance du livre de la Genèse : pour bien mettre le soleil et la lune à leur place de créatures, le poème du premier chapitre ne dit même pas leurs noms : il se contente de les appeler « les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit » (Gn 1,16), c’est-à-dire uniquement des instruments, en somme.
Revenons au psaume 103/104 : en Israël, donc, il était chanté à la louange du Dieu créateur, roi de toute la Création. C’est particulièrement net dans la phrase : « Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre » ; on pense évidemment au texte de la Genèse « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7).
Pour dire que Dieu est roi, on emploie le langage de la cour : « Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! », comme si Dieu avait un manteau de cour ! Ailleurs encore, le psalmiste s’écrie : « SEIGNEUR, mon Dieu, tu es si grand », acclamation royale traditionnelle en Israël où le mot « grand » est un mot du langage de cour.
Et voilà que la liturgie chrétienne nous propose ce psaume pour la fête du Baptême du Christ : rapprochement à première vue un peu surprenant… Quel lien y a-t-il entre l’acte créateur du Dieu de l’univers et une pratique religieuse d’un certain Jean le Baptiste, des millions d’années après, et à laquelle se soumet un fils de charpentier, Jésus de Nazareth ?
A moins que, justement, ce fils de charpentier ne soit venu pour « refaire le monde », comme on dit. Si ce psaume 103/104, une hymne au Dieu créateur, roi de la Création, nous est proposé pour fêter le Baptême de Jésus, c’est donc pour nous inviter à lire l’événement du Baptême du Christ sous deux aspects complémentaires ; d’une part, c’est lors de son Baptême que Jésus est proclamé « Fils de Dieu » : l’évangile de Luc raconte qu’une voix venue du ciel a dit « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. »
D’autre part, l’heure du Baptême du Christ est aussi l’heure de la nouvelle création ; rappelons-nous le poème du chapitre 1 de la Genèse qui disait « Le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. » (Gn 1,2). Or le Baptême du Christ se déroule au bord des eaux du Jourdain et Saint Luc nous dit : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle comme une colombe, descendit sur Jésus. » Traduisez l’heure de la nouvelle création a sonné.

 

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul apôtre à Tite 2,11-14 ; 3,4-7

2, 11 La grâce de Dieu s’est manifestée
pour le salut de tous les hommes.
12 Elle qui nous apprend à renoncer à l’impiété
et aux convoitises de ce monde,
et à vivre dans le temps présent
de manière raisonnable, avec justice et piété,
13 attendant que se réalise la bienheureuse espérance :
la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ.
14 Car il s’est donné pour nous
afin de nous racheter de toutes nos fautes,
et de nous purifier
pour faire de nous son peuple,
un peuple ardent à faire le bien.

3, 4 Lorsque Dieu, notre Sauveur,
a manifesté sa bonté
et son amour pour les hommes ;
5 il nous a sauvés.
non pas à cause de la justice de nos propres actes,
mais par sa miséricorde.
Par le bain du baptême,
il nous a fait renaître
et nous a renouvelés
dans l’Esprit Saint.
6 Cet Esprit, Dieu l’a répandu
sur nous en abondance,
par Jésus-Christ notre Sauveur ;
7 afin que, rendus justes par sa grâce,
nous devenions en espérance
héritiers de la vie éternelle.

 

LES COMMUNAUTES CHRETIENNES EN CRETE
Paul avait confié à son disciple Tite la responsabilité des communautés chrétiennes de Crète. La tâche n’était sans doute pas facile car les Crétois avaient très mauvaise réputation à l’époque ; c’est un poète local, Epiménide de Cnossos, au sixième siècle av. J.C qui les traitait de « Crétois, toujours menteurs, mauvaises bêtes, gloutons fainéants ». Et Paul, en le citant, le confirme en disant : « Ce témoignage est vrai » ! C’est pourtant de ces Crétois pleins de défauts que Paul et Tite ont essayé de faire des Chrétiens.
Cette lettre à Tite contient donc les conseils du fondateur de la communauté à celui qui en est désormais le responsable. Tout ce qui précède et ce qui suit cet ensemble consiste en recommandations extrêmement concrètes à l’intention des membres de la communauté, vieux et jeunes, hommes et femmes, maîtres et esclaves. Les responsables ne sont pas oubliés et si Paul insiste sur l’irréprochabilité qu’on doit exiger d’eux, il faut croire que cela n’allait pas de soi ! « Il faut que le responsable de communauté soit sans reproche, puisqu’il est l’intendant de Dieu ; il ne doit être ni arrogant, ni coléreux, ni buveur, ni brutal, ni avide de profits malhonnêtes ; mais il doit être accueillant, ami du bien, raisonnable, juste, saint, maître de lui. » (Tt 1,7-8).
Une telle avalanche de conseils donne une idée des progrès qui restaient à faire : en général un bon pédagogue ne se hasarde pas à donner des conseils superflus…
Ce qui est très intéressant pour nous, c’est l’articulation entre tous ces conseils d’ordre moral et le passage qui nous intéresse aujourd’hui et qui est au contraire un exposé théologique sur le mystère de la foi ; mais justement, pour Paul, l’un découle de l’autre ; c’est notre Baptême qui fait de nous des hommes nouveaux. Paul vient de donner toute sa série de conseils et il les justifie par la seule raison que « la grâce de Dieu s’est manifestée », comme il dit.
Cela veut dire que la morale chrétienne s’enracine dans l’événement qui est la charnière de l’histoire du monde : la naissance du Christ. Quand Paul dit « la grâce de Dieu s’est manifestée », il faut traduire « Dieu s’est fait homme ». Et désormais, c’est notre manière d’être hommes qui est transformée : « Par le bain du Baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » (3,5).

UN MONDE NOUVEAU
Désormais la face du monde est changée, et donc aussi notre comportement. Encore faut-il nous prêter à cette transformation. Et le monde attend de nous ce témoignage. Il ne s’agit pas de mérites à acquérir : « Il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde », mais de témoignage à porter. Le mystère de l’Incarnation va jusque-là. Dieu veut le salut de toute l’humanité, pas seulement le nôtre ! « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Mais il attend notre collaboration pour cela.
 C’est donc la transformation de l’humanité tout entière qui est au programme, si l’on peut dire ; car le projet de Dieu, prévu de toute éternité, c’est de nous réunir tous autour de Jésus-Christ. Tellement serrés autour de lui que nous ne ferons qu’un avec lui. Réunir, c’est-à-dire surmonter nos divisions, nos rivalités, nos haines, pour faire de nous un seul homme ! Il y a encore du chemin à faire, c’est vrai ; tellement de chemin que les incroyants disent que « c’est une utopie » ; mais les croyants affirment « puisque c’est une promesse de Dieu, c’est une certitude ! » Paul dit bien : « En attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. » « En attendant », cela veut dire « c’est certain, tôt ou tard, cela viendra. »

Au passage, nous reconnaissons là une phrase que le prêtre prononce à chaque Eucharistie, après le Notre Père : « Nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur. » Ce n’est pas une manière de nous voiler la face sur les lenteurs de cette transformation du monde, c’est un acte de foi : nous osons affirmer que l’amour du Christ aura le dernier mot.
Cette certitude, cette attente sont le moteur de toute liturgie : au cours de la célébration, les Chrétiens ne sont pas des gens tournés vers le passé mais déjà un seul homme debout tourné vers l’avenir. Quand viendra la fin du monde, le journaliste de service écrira : « Et ils se levèrent comme un seul homme. Et cet homme avait pour nom Jésus-Christ ».
———————–
Note
1 – A propos de la naissance d’une communauté chrétienne en Crète, certains exégètes formulent l’hypothèse suivante : d’après les Actes des Apôtres, le bateau qui transportait Paul prisonnier en attente d’un jugement à Rome a fait escale dans un endroit appelé « Beaux Ports » au sud de l’île. Mais Luc ne parle pas de la naissance d’une communauté à cette occasion, et Tite ne faisait pas partie du voyage. On sait qu’après de nombreuses péripéties, ce voyage s’est terminé comme prévu à Rome où Paul a été emprisonné pendant deux ans dans des conditions très libérales : on pourrait parler plutôt de « résidence surveillée ». On suppose que cette captivité romaine s’est soldée par une remise en liberté. Paul aurait alors entrepris un quatrième voyage missionnaire, et c’est au cours de ce dernier voyage qu’il aurait évangélisé la Crète.
2 – Pour des raisons de style, de vocabulaire et même de vraisemblance chronologique, beaucoup de ceux qui connaissent bien les épîtres pauliniennes pensent que cette lettre à Tite (comme les deux lettres à Timothée, d’ailleurs) aurait été écrite seulement à la fin du premier siècle, c’est-à-dire trente ans environ après la mort de Paul, mais dans la fidélité à sa pensée et pour appuyer son oeuvre. Quelle que soit l’époque à laquelle cette lettre a été rédigée, il faut croire que les difficultés des Crétois persistaient !

 

EVANGILE – selon Saint Luc 3,15-22

15 Le peuple venu auprès de Jean-Baptiste était en attente,
et tous se demandaient en eux-mêmes
si Jean n’était pas le Christ.
16 Jean s’adressa alors à tous :
« Moi, je vous baptise avec de l’eau ;
mais il vient, celui qui est plus fort que moi.
Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
21 Comme tout le peuple se faisait baptiser
et qu’après avoir été baptisé lui aussi,
Jésus priait,
le ciel s’ouvrit.
22 L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle,
comme une colombe.
descendit sur Jésus,
et il y eut une voix venant du ciel :
« Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. »

 

TOUT LE PEUPLE SE FAISAIT BAPTISER
Les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent l’événement du Baptême du Christ, chacun à sa manière. Jean, lui, ne le raconte pas, mais il y fait allusion. Luc a ses accents propres et ce sont eux que je vais essayer ici de mettre en lumière. Par exemple, son texte commence par « Comme tout le peuple se faisait baptiser » : Luc est le seul à mentionner que le peuple se faisait baptiser ; il est aussi le seul à mentionner la prière de Jésus : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait » ; ce rapprochement est bien dans la manière de Luc : homme parmi les hommes, Jésus ne cesse pas d’être en même temps uni à son Père.
Luc veut tellement insister sur l’humanité de Jésus que, chez lui et lui seul, curieusement, le récit du Baptême est suivi immédiatement par une généalogie. Contrairement à la généalogie placée tout au début de l’évangile de Matthieu et qui part d’Abraham pour descendre jusqu’à Jésus en passant par David et par Joseph, la généalogie de Jésus chez Luc part de lui pour remonter à ses ancêtres ; il était (à ce que l’on pensait, dit Luc) fils de Joseph, fils de David, fils d’Abraham… Mais Luc remonte encore bien plus haut : il nous dit que Jésus est « fils d’Adam, fils de Dieu ». Cela veut bien dire qu’au moment où il écrit son évangile, les premiers Chrétiens avaient découvert cette relation privilégiée de Jésus le Nazaréen avec Dieu : il était le Fils de Dieu au vrai sens du terme. « Toi, tu es mon Fils bien-aimé » dit la voix venant du ciel.
La suite n’est pas propre à Luc : Matthieu et Marc emploient à peu près les mêmes termes. Pendant que Jésus priait, « le ciel s’ouvrit » : en trois mots, un événement décisif ! La communication entre le ciel et la terre est rétablie ; la prière du peuple croyant vient d’être entendue ; depuis des siècles, c’était l’attente du peuple juif. « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face, comme un feu qui enflamme les broussailles, un feu qui fait bouillonner les eaux. » disait Isaïe (Is 63,19-64,1). Les eaux, nous y sommes, puisque ceci se passe au bord du Jourdain ; le feu, le voici : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » disait Jean-Baptiste. Et Luc continue : « L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus. » Ici l’Esprit n’est pas associé à la violence du feu, mais à la colombe, symbole de douceur et de fragilité. Ce n’est pas contradictoire : force et violence… douceur et fragilité, tel est l’amour, tel est l’Esprit.
Les quatre évangélistes citent cette manifestation de l’Esprit sous la forme d’une colombe : dans les trois évangiles synoptiques, les expressions sont tout à fait similaires : Matthieu et Marc disent que l’Esprit descend « comme une colombe », chez Luc « L’Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Dans l’évangile de Jean, c’est Jean-Baptiste qui, après coup, raconte la scène : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint. Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. » (Jn 1,32-34).
L’ESPRIT SAINT COMME UNE COLOMBE
Cette représentation de la colombe est donc certainement très importante puisque les quatre évangélistes l’ont retenue. Que pouvait-elle évoquer pour eux ? Dans l’Ancien Testament, elle évoque d’abord la Création : le texte de la Genèse ne cite pas la colombe, il dit simplement « le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. » (Gn 1,2). Mais dans la méditation juive, on avait appris à reconnaître dans ce souffle, l’Esprit même de Dieu ; et un commentaire rabbinique de la Genèse dit « L’Esprit de Dieu planait sur la face des eaux comme une colombe qui plane au-dessus de ses petits, mais ne les touche pas. » (Talmud de Babylone). Ensuite, la colombe évoquait l’Alliance entre Dieu et l’humanité, renouée après le Déluge ; on se souvient du lâcher de colombe de Noé : c’est elle qui a indiqué à Noé que le déluge était fini et que la vie pouvait reprendre. Mieux encore, l’amoureux du Cantique des Cantiques appelle sa bien-aimée « ma colombe, dans les fentes du rocher… ma soeur, mon amie, ma colombe, ma toute pure. » (Ct 2,14 ; 5,2). Or le peuple juif lit le Cantique des Cantiques comme la déclaration d’amour de Dieu à l’humanité. Nous sommes donc bien à l’aube d’une ère nouvelle : nouvelle Création, nouvelle Alliance.
A ce moment-là, nous dit Luc « Il y eut une voix venant du ciel : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. » Il ne fait de doute pour personne que cette voix est la voix de Dieu lui-même : depuis bien longtemps, le peuple d’Israël n’avait plus de prophètes, mais les rabbins disaient que rien n’empêche Dieu de se révéler directement et que sa voix, venant des cieux, gémit comme une colombe. Or, cette phrase « Il y eut une voix venant du ciel : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie » n’était pas nouvelle pour des oreilles juives : elle en était d’autant plus grave ; car c’était avec ces mots-là que les prophètes parlaient du Messie. A ce moment-là, Jean-Baptiste a compris : la colombe de l’Esprit désignait le Messie.
————————
Complément
 – Une question nous brûle les lèvres : pourquoi Jésus qui n’est pas pécheur demande-t-il le Baptême ? A quoi l’on peut répondre que c’est le contraire qui serait surprenant. Comment se désolidariserait-il du grand mouvement des foules avides de conversion qui se pressent autour du Baptiste ? D’autre part, Luc a certainement en tête une fois de plus les Chants du Serviteur du deuxième livre d’Isaïe : « Il a été compté avec les pécheurs. » (Is 53,12). Luc la cite lui-même d’ailleurs au cœur de la Passion (Lc 22,37).

ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DE PENTECÔTE, ESPRIT SAINT, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PENTECÔTE, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX GALATES, PSAUME 103, SAINT ESPRIT

Dimanche 23 mai 2021 : Fête de la Pentecôte : lectures et commentaires

Dimanche 23 mai 2021 : Fête de la Pentecôte

Pentecote-coupole-chapelle-Minischalchi-leglise-Sainte-Anastasia-Verone-Italie-Angelo-Giovanni-1506_0
VERONA – JANUARY 27: Apse of Chapel Miniscalchi in Saint Anastasia’s church from year 1506 designed by Angelo di Giovanni with main scene of the Pentecost on January 27, 2013 in Verona, Italy.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

 

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2, 1-11

1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

JERUSALEM, LA VILLE DU DON DE L’ESPRIT
Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
C’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Ce jour-là, la ville de Jérusalem grouillait de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin. Parce que, à l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes ».
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « comme un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment … Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait. » (Ex 19,16-19).
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.2
L’ESPRIT DE DIEU DANS LE CŒUR DE L’HOMME
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair », dit Dieu (Jl 3,1 ; c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
—————–
Notes
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles… vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

 

PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres   !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

QUELLE PROFUSION DANS TES OEUVRES, SEIGNEUR !
Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres  de Dieu. J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire trente-six « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi. Un des versets de notre psaume le dit clairement « (Toi, Dieu,) tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher » (verset 19).
Et plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »…
Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » (verset 34) et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure. » (verset 33).
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre  de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
TU RENOUVELLES LA FACE DE LA TERRE
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous, ils comptent sur toi… Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ». (versets 27.29).
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  ! … moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre  de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! » L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à tout être de chair », comme dit le prophète Joël qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu..

 

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul aux Galates 5, 16-25

Frères,
16 je vous le dis :
marchez sous la conduite de l’Esprit Saint,
et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair.
17 Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit,
et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair.
En effet, il y a là un affrontement
qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez.
18 Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit,
vous n’êtes pas soumis à la Loi.
19 On sait bien à quelles actions mène la chair :
inconduite, impureté, débauche,
20 idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité,
jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme,
21 envie, beuveries, orgies
et autres choses du même genre.
Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait :
ceux qui commettent de telles actions
ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu.
22 Mais voici le fruit de l’Esprit :
amour, joie, paix, patience,
bonté, bienveillance, fidélité,
23 douceur et maîtrise de soi.
En ces domaines, la Loi n’intervient pas.
24 Ceux qui sont au Christ Jésus
ont crucifié en eux la chair,
avec ses passions et ses convoitises.
25 Puisque l’Esprit nous fait vivre,
marchons sous la conduite de l’Esprit.

UN AFFRONTEMENT PERMANENT
Cet affrontement que Paul décrit ici entre les tendances de la chair et les tendances de l’esprit est le lot de chacun de nous depuis que le monde est monde. Le Livre de la Genèse le dit d’une manière très imagée dans l’épisode de Caïn et Abel : Abel était berger, Caïn cultivateur ; au printemps, selon la coutume, chacun des deux fit une offrande : la règle était que le berger offre le premier-né de son troupeau (ce qu’Abel a fait) et le cultivateur les premières gerbes de sa récolte ; pour Caïn, le texte suggère qu’il a peut-être fait son offrande de mauvais gré, puisqu’il est dit : « Caïn présenta des produits de la terre en offrande au SEIGNEUR » (« des produits de la terre » et non les premières gerbes). En tout cas, la suite est claire ; Caïn, peut-être parce qu’il n’a pas la conscience très tranquille, se rend compte (ou croit deviner) que son offrande n’est pas aussi bien vue que celle de son frère : « Le SEIGNEUR tourna son regard vers Abel et son offrande, mais vers Caïn et de son offrande, il ne le tourna pas. Caïn en fut très irrité et montra un visage abattu. Le SEIGNEUR dit à Caïn : pourquoi es-tu irrité, pourquoi ce visage abattu ? Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien… le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer. » (Gn 4,4-7).
Le mot « accroupi » (littéralement « tapi »), ici, est très intéressant ; il se dit d’un animal prêt à bondir : Caïn est écartelé entre cette violence animale qui l’envahit et l’appel de Dieu à dominer son envie de meurtre : « le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer. » Il est clair que, pour Caïn, la véritable liberté aurait été de dominer sa violence : au moment où il se donnait l’illusion d’être le plus fort en tuant son frère, il n’était en réalité que l’esclave d’une violence qu’il n’avait pas su dominer. Nous sommes les descendants de Caïn et toute notre histoire humaine, aussi bien collective qu’individuelle, pourrait s’écrire comme la longue suite de ces affrontements : très lentement, l’humanité apprend à dominer sa violence : elle sort peu à peu de l’animalité pour devenir vraiment humaine. A l’échelon individuel, le même apprentissage est à refaire pour chacun de nous : ceux d’entre nous qui ont éduqué des enfants le savent bien. Long apprentissage de ce qu’est la véritable liberté ! Non pas se laisser aller à n’importe quoi, mais au contraire savoir dominer toutes ces bêtes tapies à notre porte : « inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. » (On reconnaît ici la liste de Paul).
LA LOI, UN PREMIER PAS
Une bonne manière de faciliter cet apprentissage est d’imposer certaines règles de conduite : c’est le rôle des lois. « Tu ne tueras pas » : c’est le premier pas, la première balise ; il serait évidemment beaucoup plus noble pour Caïn d’aimer spontanément Abel ; mais tant qu’on n’en est pas là, au moins la loi limite-t-elle les dégâts et peu à peu elle éduque, de gré ou de force. Son rôle est d’enseigner les « bonnes manières », c’est-à-dire, qu’on le veuille ou non, les manières « d’être bon ! »
« Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de vol, tu ne porteras pas de faux témoignage…, tu ne convoiteras pas… » C’est l’apprentissage de la fidélité à ses promesses, de la vérité, du respect des autres…
Apprentissage par la contrainte, il est vrai, mais l’expérience prouve que dans une première étape du développement des sociétés comme des individus, seule cette contrainte est efficace pour éviter la prolifération de la violence, ce que Paul appelle « les tendances égoïstes de la chair ».
Entendons-nous bien sur le sens de ce mot « chair » pour Paul : contrairement à ce qu’on pourrait croire, chez Saint Paul, le mot « chair » n’a rien de péjoratif ! Ce n’est pas le corps, et encore moins le sexe, c’est l’homme tout entier quand il ressemble à Caïn ; cet homme-là a besoin d’une loi pour ne pas se laisser aller à toutes les violences qui l’habitent. Un jour viendra où la loi ne sera plus nécessaire : ce ne sera plus la loi qui régira les rapports entre les hommes, ce sera l’amour.
Car l’amour de Dieu aura envahi tous les cœurs  : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair » avait annoncé le prophète Joël (3,1). Et l’humanité tout entière aura un esprit neuf, comme dit Ezéchiel :
« Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre (le cœur de Caïn), je vous donnerai un cœur de chair (comme celui de Jésus-Christ). Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois (sous-entendu la loi d’amour), que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles… vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).
C’est déjà merveilleux de pouvoir affirmer « Un jour viendra »… Mais Paul va beaucoup plus loin… Il nous dit que ce jour est déjà venu. Et tous les textes de cette fête de Pentecôte répètent la même chose : ce jour est venu, Dieu a répandu son Esprit sur nous. La loi de contrainte n’a plus sa raison d’être, ou plutôt, une seule loi subsiste : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce jour est venu, et déjà nous avons vu l’œuvre  de l’Esprit d’amour dans le coeur d’un homme qui se laisse complètement habiter par lui : je veux parler de Jésus de Nazareth : quand Paul fait la liste des fruits de l’Esprit, on peut y lire le portrait même de Jésus-Christ : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. »

 

EVANGILE – selon Saint Jean 15,26-27 ; 16,12-15

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15, 26 « Quand viendra le Défenseur,
que je vous enverrai d’auprès du Père,
lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père,
il rendra témoignage en ma faveur.
27 Et vous aussi, vous allez rendre témoignage,
car vous êtes avec moi depuis le commencement.

16, 12 J’ai encore beaucoup de choses à vous dire,
mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
13 Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,
il vous conduira dans la vérité tout entière.
En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même :
mais ce qu’il aura entendu, il le dira ;
et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
14 Lui me glorifiera,
car il recevra ce qui vient de moi
pour vous le faire connaître.
15 Tout ce possède le Père est à moi ;
voilà pourquoi je vous ai dit :
l’Esprit reçoit ce qui vient de moi
pour vous le faire connaître. »

L’ESPRIT DE VERITE…
Cinq fois, au cours de son dernier entretien avec ses disciples, Jésus leur promet l’Esprit, qui sera désormais leur soutien. A plusieurs reprises, il lui donne le nom de Paraclet, traduisez celui qui est appelé auprès d’eux et qui ne les quittera jamais : « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ; l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. » (Jn 14,16-17).
« Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14,26)…« Quand viendra le Défenseur que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement » (c’est le texte d’aujourd’hui – Jn 15,26-27)… « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » (Jn 16,7)… « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même ; mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. » (Jn 16,13).
Si Jésus insiste tant sur le don de l’Esprit, c’est pour conforter ses disciples à l’heure de son départ ; ce sont eux désormais qui seront en première ligne ; ce même soir, il les prévient : « Je vous parle ainsi, pour que vous ne soyez pas scandalisés. On vous exclura des assemblées. Bien plus, l’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu. Ils feront cela, parce qu’ils n’ont connu ni le Père ni moi. Eh bien, voici pourquoi je vous dis cela : quand l’heure sera venue, vous vous souviendrez que je vous l’avais dit. » (Jn 16,1-4).
Jésus sait bien que ses disciples ne seront pas traités autrement que lui : ceux qui ont voulu sa mort ont vraiment cru agir pour l’honneur de Dieu, en supprimant quelqu’un qui blasphémait. C’est ce que rapporte Saint Jean dans le récit de la Passion : les Juifs dirent à Pilate : « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » (Jn 19,7).
On est toujours surpris de cette effroyable méprise : le Fils de Dieu a été crucifié par les défenseurs de Dieu. A leur tour, les disciples du Fils seront persécutés, supprimés les uns après les autres au nom de la religion authentique. Ils auront bien besoin du soutien de l’Esprit de vérité. Jean l’appelle le Défenseur (en grec le « Paraclet ») : entendons-nous bien, il ne s’agit pas de défendre les disciples contre un quelconque jugement de Dieu, mais de les soutenir lorsqu’ils seront traduits devant les tribunaux humains, pour qu’ils puissent témoigner authentiquement du Christ. Jésus n’a pas défini autrement sa propre vocation ; au cours de la Passion, il a dit à Pilate « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). A leur tour, les disciples n’ont pas d’autre raison d’être que de rendre témoignage au Christ pour que le monde connaisse enfin la vérité du Père.
… DONNE AUX CROYANTS POUR EN FAIRE DES TEMOINS
L’Alliance définitive entre Dieu et l’humanité ne pourra s’instaurer que quand l’humanité connaîtra (au sens de « reconnaîtra ») enfin son Dieu. L’effroyable méprise dont je parlais tout-à-l’heure, la méconnaissance de l’humanité à l’égard de Dieu est le problème qui parcourt toute la Bible : depuis le soupçon d’Adam au jardin de la Genèse (Adam qui imagine Dieu jaloux de lui), depuis le soupçon du peuple assoiffé dans le désert du Sinaï, qui ose reprocher à Dieu de l’avoir fait sortir d’Egypte… jusqu’à ceux qui ont crucifié le Fils de Dieu lui-même, simplement parce qu’il ne répondait pas à leurs schémas, c’est toujours la même méconnaissance ; en vain, les prophètes ont alerté le peuple : « Cieux, écoutez ; terre, prête l’oreille, car le SEIGNEUR a parlé. J’ai fait grandir des enfants, je les ai élevés, mais ils se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne, la crèche de son maître. Israël ne le connaît pas, mon peuple ne comprend pas. » (Is 1,2-3). Mais Dieu ne s’est pas lassé, il sait bien que l’humanité ne peut pas le découvrir toute seule, puisqu’il est le Tout-Autre ; il interviendra ; écoutons Jérémie : « Je leur donnerai un cœur qui me connaisse, car je suis le SEIGNEUR ; ils seront mon peuple, et moi, je serai leur Dieu, car ils reviendront à moi de tout leur cœur. » (Jr 24,7).
Voilà qui devrait éclairer tous nos efforts pour connaître Dieu : parce qu’Il est le Tout-Autre, nous ne pouvons pas l’atteindre par nos seuls efforts, c’est lui qui vient se révéler à nous. C’est pour cela qu’il nous fait le don de son Esprit ; selon la très belle formule de la Prière Eucharistique « l’Esprit est le premier don fait aux croyants » pour que, par leur témoignage, le monde parvienne à la connaissance de la vérité de Dieu.
—————
Complément
Il est intéressant de rapprocher la phrase de Pierre lors de l’élection de Matthias (« Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection. » (Ac 1,20) et celle de Jésus le dernier soir : « Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement » (Jn 15,27).

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La Pentecôte : dimanche 31 mai 2020 : lectures et commentaires

Solennité de la Pentecôte : dimanche 31 mai 2020

Pentecôte

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2, 1-11

1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
A l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d’Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Libye proche de Cyrène… Crétois et Arabes ».
La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « pareil à celui d’un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. La montagne du Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme le feu d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment … Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre ». (Ex 19,16-19).
(Et on racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, il y avait des lampes de feu qui traversaient l’espace.)
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le coeur de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.2
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair », dit Dieu (Jl 3, 1 ; « toute chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande oeuvre qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
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Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes…vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

 

PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes oeuvres, SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses oeuvres !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les oeuvres de Dieu J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire trente-six « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « Toi, Dieu, tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher ». Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »… Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… »
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’oeuvre de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous comptent sur toi… Tu caches ton visage, ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ».
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu se réjouisse en ses oeuvres ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’oeuvre de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! » L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à toute chair », comme dit le prophète Joël qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.
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Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

 

DEUXIEME LECTURE –

Première lettre de Paul aux Corinthiens 12, 3b-7. 12-13

Frères,
3 personne n’est capable de dire :
« Jésus est Seigneur »
sinon dans l’Esprit Saint.
4 Les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit.
5 Les services sont variés,
mais c’est le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c’est le même Dieu
qui agit en tout et en tous.
7 À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
en vue du bien.

12 Prenons une comparaison :
le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 C’est dans un unique Esprit, en effet,
que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

Paul nous donne ici une définition de l’Eglise : c’est le lieu où « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien. » Voilà pourquoi nous sommes faits : manifester l’Esprit Saint, et non pas pour notre propre fierté, mais en vue du bien de tous. Et c’est un don gratuit qui est fait à chacun d’entre nous.
Comme tous les membres d’un même corps sont au service de ce corps, sans que personne ne se demande lequel est le plus utile, de la main ou du pied, de l’oreille ou de l’oeil, de même nous sommes tous indispensables à ce grand corps du Christ qui est en train de se former. Pour l’instant, l’oeuvre définitive ressemble plutôt à une immense mosaïque dont les pièces sont encore éparpillées, mais c’est justement l’Esprit qui fait l’unité et la cohésion de l’ensemble, et qui relie entre elles les multiples pièces répandues à la surface du globe.
Si, partout dans le monde, des communautés vivent à la manière dont parle Saint Paul, alors cela fera tache d’huile et la mosaïque s’assemblera peu à peu. Car la vie des communautés chrétiennes à la manière de Saint Paul est pour le moins révolutionnaire : d’un trait de plume, il barre toute considération de hiérarchie ou de supériorité !!! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte : notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité… Tout racisme est désormais impossible.
Paul avait certainement de bonnes raisons de le rappeler à ses Chrétiens d’origines si diverses : « Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres »… dit-il. Juifs ou païens, ce sont tous les problèmes de diversités de sensibilités religieuses, sans parler de la difficulté des croyants de longue date à accepter les nouveaux venus. Mettre Juifs et païens sur le même plan au niveau religieux, quand on sait le poids que pouvait revêtir l’élection d’Israël aux yeux de Paul, c’était quand même bien audacieux ! Esclaves ou hommes libres, ce sont les diversités sociales, peut-être même raciales, certainement des clivages politiques et inévitablement pour certains des sentiments de supériorité.
Bien sûr, les problèmes de la communauté de Corinthe n’étaient pas tout à fait les nôtres… Mais sommes-nous tellement loin de cela ? Si elles ne portent plus les mêmes noms, nos diversités de toute sorte sont bien à l’origine de nombreuses difficultés dans nos communautés. Pour certains d’entre nous, s’ajoute peut-être la difficulté de vivre sereinement et de trouver chacun notre juste place dans la structure qui s’est instaurée en vingt siècles de vie d’Eglise.
Et le premier message de Paul, aujourd’hui, c’est que l’Eglise du Christ a précisément pour vocation d’être ce lieu où l’on apprend à ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur… Le lieu où une nomination n’est pas un avancement ou une rétrogradation… Le lieu où une ordination ne confère pas une supériorité… Car les vues de Dieu sont tout autres : « Vous le savez, disait Jésus à ses apôtres, les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. » (Mt 20,25-26).
Si on devait dessiner l’Eglise, ce ne serait pas une pyramide, mais une foule serrée autour de Quelqu’un. (Et au mot « Quelqu’un », j’ai mis une majuscule bien sûr). Saint Paul aussi dessine, mais lui il dessine tout simplement un corps humain : tous les baptisés, petits ou grands, nous en sommes les membres. Et ceux, parmi nous, qui sont ordonnés, ont justement ce rôle d’être le signe visible de la présence invisible du Christ dans son corps. Cela ne leur confère pas une supériorité, mais une mission.
Nous ne sommes pas tous pareils pour autant : l’âge et le curriculum vitae ont quand même leur importance… mais pas celle qu’on croit. Et voilà le deuxième message de Paul : nos diversités sont des cadeaux ; ce n’est pas un hasard si il emploie plusieurs fois le mot « don » : « Les dons de la grâce sont variés »… « Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous ». Cela aussi, c’est un peu le monde à l’envers, parce que, bien souvent, ce sont nos diversités qui nous font souffrir ; on en sait quelque chose en liturgie ; Paul, au contraire, nous invite à nous en réjouir : nos diversités sont des richesses ! Et, paradoxalement, ce sont elles qui bâtiront notre unité. C’est l’un des grands messages de la Pentecôte, nous l’avons vu, en particulier, avec le récit des Actes des Apôtres où toutes les langues diverses s’unissent pour chanter le même chant, les merveilles de Dieu. L’Eglise est aussi ce lieu où l’on peut surmonter les différences de sensibilité et apprendre à vivre la réconciliation. Car l’Esprit qui nous est donné à la Pentecôte est l’Esprit d’amour, donc de pardon et de réconciliation. C’est même justement notre capacité de réconciliation et de respect mutuel qui est la marque de l’Esprit. Voilà le témoignage que le monde attend de nous. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » disait Jésus le dernier soir (Jn 13,35).
Décidément, si nous avions à imaginer un dessin représentant l’Eglise, on pourrait dessiner une mosaïque : (chaque pièce compte et il ne faut surtout pas des pièces trop grandes !) plus les pièces (ce qu’on appelle les tesselles) sont petites, variées, colorées, plus la mosaïque sera belle et nuancée !
L’unité dans la diversité, c’est un beau pari : mais nous ne pouvons le gagner que parce que l’Esprit nous est donné : l’Esprit d’Amour, l’Amour qui unit le Père et le Fils. C’était déjà la leçon de Babel : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité.

 

EVANGILE – selon Saint Jean 20,19-23

C’était après la mort de Jésus :
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Pour transmettre l’Esprit Saint à ses disciples, Jésus souffle sur eux ; cela nous fait penser à la phrase célèbre du livre de la Genèse, au chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme l’haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Et le psaume 103/104 (que nous entendons également pour cette fête de Pentecôte), commente le texte de la Création en chantant : « Tu envoies ton souffle, ils sont créés. » Or, nous sommes au soir de Pâques et Jésus reprend ce geste du Créateur. On comprend pourquoi Saint Jean note : « C’était le soir du premier jour de la semaine », manière de dire c’est le premier jour de la nouvelle création ; dans le Judaïsme, on évoquait souvent la première création que Dieu avait accomplie en sept jours, comme le dit le fameux poème du chapitre 1 de la Genèse et on attendait le huitième jour, celui du Messie. A sa manière, imagée, Jean nous dit : ce fameux huitième jour est arrivé, c’est à une véritable re-création de l’homme que vous assistez.
Deuxième remarque à propos du souffle, il me semble que l’ordre choisi par Jean pour nous raconter la Pentecôte est une leçon : je reprends les trois phrases dans l’ordre : 1) « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » …2) « Il répandit sur eux son souffle et il leur dit recevez l’Esprit Saint » … 3) « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ». La première et la troisième phrase disent une mission, elles encadrent la phrase qui dit le don de l’Esprit. Ce qui veut bien dire que l’Esprit est donné POUR la mission. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que cette mission.
Et cette mission consiste à « remettre les péchés » ; c’était déjà celle de Jésus ; et il dit bien d’ailleurs : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Jésus, l’envoyé du Père, c’est un grand thème de Jean… A notre tour, Jésus nous envoie et Jean emploie bien le même mot ; Jésus est l’envoyé du Père et nous sommes les envoyés de Jésus, nous avons la même mission que Jésus, il nous la confie. C’est dire notre responsabilité, la confiance qui nous est faite ; or cela concerne tous les baptisés puisque l’Eglise a toujours jugé bon de confirmer tous les baptisés.
Et cette mission de Jésus, pour s’en tenir au seul évangile de Jean, c’était d’ôter le péché du monde, j’ai envie de dire « extirper » le péché du monde ; et cela en étant l’agneau de Dieu. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » avait dit Jean-Baptiste. L’agneau, c’est celui qui reste doux et humble de coeur face à ses bourreaux (c’est celui dont parle Isaïe 52-53) ; c’est aussi l’agneau pascal, celui qui signe de sa vie la libération du peuple de Dieu. Et au-delà de la libération d’Egypte, la phrase de Jean-Baptiste vise la libération du péché, c’est-à-dire de la haine et de la violence.
Jésus lui-même parle souvent de sa mission : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui »… « Dieu a donné son Fils, son unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ».
Il me semble que toutes ces affirmations de Jésus sur sa mission éclairent la phrase difficile du texte d’aujourd’hui : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ». La première partie de cette phrase nous convient tout à fait, bien sûr, mais la deuxième nous déroute. Pour commencer, je la redis un peu différemment, sans la déformer, j’espère : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous ne remettrez pas ses péchés, ils ne lui seront pas remis ».
Impossible de penser que notre Père du ciel pourrait ne pas nous pardonner. Déjà l’Ancien Testament avait parfaitement mis en lumière que le pardon de Dieu précède même notre repentir ; car en Dieu le pardon n’est pas un acte ponctuel, c’est son être même. Dieu n’est que don et pardon. La caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes.
Le pouvoir donné aux disciples du Christ, et plus que le pouvoir, la mission, confiée aux disciples du Christ, c’est donc de dire cette parole du pardon de Dieu ; c’est aussi, du coup, la terrible responsabilité que nous donne la deuxième partie de la phrase : ne pas dire la parole du pardon de Dieu, laisser le monde ignorer ce pardon, c’est laisser le monde à son désespoir. Nous détenons le pouvoir de ne pas dire le pardon de Dieu et de laisser le monde l’ignorer.
A entendre cela, on a envie de se mettre au travail tout de suite !
Et le pardon de Dieu peut être annoncé de deux manières : par nos paroles et par nos gestes ; ce qui nous est demandé, c’est d’être nous-mêmes pardon. Nous sommes désormais pour le monde les témoins du pardon de Dieu.
Et c’est cela la nouvelle Création : l’Esprit de don et de pardon nous est donné. A la Pentecôte, le pouvoir de pardonner nous est insufflé ; Dieu souffle en nous les paroles du pardon. Au théâtre, il y a un souffleur pour les trous de mémoire de l’acteur… Désormais il y a en nous quelqu’un qui souffle les paroles et les gestes du pardon. L’Esprit fait de nous des agneaux de Dieu à notre tour, il nous donne ainsi le pouvoir de vaincre la spirale de la haine et de la violence. Jésus l’avait déjà dit à ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Comme son Père l’a envoyé pour être l’agneau de Dieu, Jésus nous envoie à notre tour pour être des agneaux dans le monde. Pour répondre à la violence et à la haine par la non-violence et le pardon.
Jusqu’au jour où se lèvera enfin ce fameux « huitième jour » que l’Ancien Testament déjà annonçait, celui où l’humanité tout entière vivra l’amour et le pardon…

ACTES DES APÔTRES, ACTES DES APOTRES, ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON SAINT MARC, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, NOUVEAU TESTAMENT, PENTECÔTE, PSAUME 103, SAINT ESPRIT

Le dimanche de Pentecôte : lectures et commentaires

Le dimanche de la Pentecôte

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 9 juin 2019

Fête de la Pentecôte

1ère lecture

Psaume

2ème lecture.

Evangile

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PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 2, 1-11

 

1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

 

Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
C’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Ce jour-là, la ville de Jérusalem grouillait de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin. Parce que, à l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve.
« Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d’Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Libye proche de Cyrène… Crétois et Arabes ».
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « pareil à celui d’un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. La montagne du Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme le feu d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment … Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre ». (Ex 19,16-19).
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur  de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.2
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair », dit Dieu (Jl 3, 1 ; « toute chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre  qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
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Notes
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes… vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». (Ez 36, 26…28).

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PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.

29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

 

Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres  de Dieu. J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire trente-six « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu !
Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de Création…
Par exemple, dans le récit de la Création dans la Genèse, la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi. Un des versets le dit clairement « Toi, Dieu, tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher ».
Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte…
Et plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »…
Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… »
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre  de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous comptent sur toi… Tu caches ton visage, ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ».
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre  de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! » L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à toute chair », comme dit le prophète Joël qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.

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DEUXIEME LECTURE – Lettre de Saint Paul apôtre aux Romains 8, 8 – 17

Frères,
8 ceux qui sont sous l’emprise de la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.
9 Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous celle de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ
ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, reste marqué par la mort
à cause du péché,
mais l’Esprit vous fait vivre,
puisque vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.
12 Ainsi donc, frères, nous avons une dette,
mais elle n’est pas envers la chair
pour devoir vivre selon la chair.
13 Car si vous vivez selon la chair,
vous allez mourir ;
mais si, par l’Esprit,
vous tuez les agissements de l’homme pécheur,
vous vivrez.
14 En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu,
ceux-là sont fils de Dieu.
15 Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves
et vous ramène à la peur ;
mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ;
et c’est en lui que nous crions
« Abba ! », c’est-à-dire : Père !
16 C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit
que nous sommes enfants de Dieu.
17 Puisque nous sommes ses enfants,
nous sommes aussi ses héritiers :
héritiers de Dieu,
héritiers avec le Christ,
si du moins nous souffrons avec lui
pour être avec lui dans la gloire.

 

La principale difficulté de ce texte est dans le mot « chair » : dans le vocabulaire de Saint Paul, il n’a pas le même sens que dans notre français courant d’aujourd’hui. Nous, nous sommes tentés d’opposer deux composantes de l’être humain que nous appelons le corps et l’âme et nous risquons donc de faire un épouvantable contresens : quand Paul parle de chair et d’esprit, ce n’est pas du tout cela qu’il a en vue. Ce que Saint Paul appelle « chair », ce n’est pas ce que nous appelons le corps ; ce que Paul appelle l’Esprit, ce n’est pas ce que nous appelons l’âme. D’ailleurs Paul précise plusieurs fois qu’il s’agit de l’Esprit de Dieu, ou encore il dit « l’Esprit du Christ ».
Et encore, si on y regarde de plus près, il n’oppose pas deux mots « chair » et « Esprit », mais deux expressions « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Pour lui, il faut choisir entre deux modes de vie ; ou pour dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou notre ligne de conduite, si vous préférez.
On retrouve ici le thème des deux voies, très habituel pour le Juif qu’est Saint Paul : les deux voies, au sens de deux routes, bien sûr. A nous de choisir : pour mener notre existence, pour prendre des décisions, pour réagir devant les difficultés ou les épreuves, il y a deux attitudes possibles : la confiance en Dieu, ou la méfiance… la certitude qu’il ne nous abandonne jamais, ou le doute… la conviction que Dieu ne veut que notre bonheur, ou le soupçon qu’il voudrait notre malheur… la fidélité à ses commandements parce qu’on lui fait confiance, ou la désobéissance parce qu’on croit mieux savoir…
Devant les épreuves quotidiennes de la vie au désert, et en particulier devant l’épreuve de la soif, le peuple avait soupçonné Dieu de l’abandonner et avait fait un véritable procès d’intention à Dieu et à Moïse ; vous avez reconnu l’épisode de Massa et Meriba au livre de l’Exode. Devant la limite opposée à ses désirs, Adam soupçonne Dieu et désobéit ; c’est l’épisode de la chute au Paradis terrestre ; j’ai parlé au présent, parce que nous sommes tous Adam à certaines heures ; c’est l’éternel problème de la confiance, « la question de confiance », si vous préférez, problème tellement fondamental dans nos vies qu’on l’appelle « originel ».
A l’opposé de cette attitude de soupçon, de révolte contre Dieu, l’attitude du Christ est de confiance et donc de soumission : puisqu’il sait que la volonté de Dieu n’est que bonne, il s’y plie volontiers. Même et y compris devant la souffrance et la mort.
Il y a donc deux attitudes opposées et ce sont ces deux attitudes que Paul appelle « vivre selon la chair » ou « vivre selon l’Esprit » ; et Paul développe cette opposition en nous proposant deux synonymes : « vivre selon la chair » c’est se conduire vis-à-vis de Dieu en esclaves : l’esclave n’a pas confiance en son maître, il se soumet par obligation et par peur des représailles ; l’autre attitude, « vivre selon l’Esprit », il la traduit par « se conduire en fils » : et il entend par là une relation de confiance et de tendresse.
Enfin, il dit deux choses : premièrement, seule l’attitude dictée par l’Esprit de Dieu, l’attitude de confiance et d’amour, à l’exemple du Christ, cette attitude-là est porteuse de vie ; tandis que la méfiance et le soupçon mènent à la mort ; « Si vous vivez sous l’emprise de la chair, (sous-entendu l’attitude de méfiance et de désobéissance envers Dieu), vous devez mourir : mais si, par l’Esprit, vous tuez les désordres de l’homme pécheur, vous vivrez. » Je traduis : ce qui, en chacun de vous, est attitude d’esclave, est destructeur ; ce qui, en chacun de vous, est attitude filiale, confiante, est chemin de paix et de bonheur.
Deuxièmement, nous dit Paul, d’ores et déjà, l’Esprit de Dieu est en vous, vous êtes des fils, vous appelez Dieu « Abba-Père » : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant Abba ! »
Le jour où l’humanité tout entière reconnaîtra en Dieu son Père, ce jour-là, le projet de Dieu sera accompli et nous pourrons tous ensemble entrer dans sa gloire ; quelques versets plus loin, Paul dit : « La Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. »
Il reste la dernière phrase du texte d’aujourd’hui : « Puisque nous sommes les enfants de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers ; héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, à condition de souffrir avec lui pour être avec lui dans sa gloire. » Cette phrase peut se lire de deux manières ; le contresens, l’attitude d’esclave, ce serait (Il n’est pas question) d’imaginer un Dieu qui met des conditions à l’héritage ! Au contraire, si nous écoutons l’Esprit de Dieu, qui nous fait voir en Dieu un Père plein d’amour, nous comprenons que nous sommes invités une fois de plus à demeurer dans la confiance, surtout quand nous abordons la souffrance : comme pour le Christ, les souffrances sont inévitables pour ceux qui s’engagent à sa suite sur le chemin du témoignage ; mais vécues avec lui et comme lui dans la confiance, elles sont chemin de résurrection. En fait, « à condition de souffrir avec lui » veut dire « à condition d’être avec lui, de rester greffés sur lui à tout moment, y compris dans la souffrance inévitable ».

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EVANGILE – selon Saint Jean 14, 15-16. 23b-26

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15 « Si vous m’aimez,
vous garderez mes commandements.
16 Moi, je prierai le Père,
et il vous donnera un autre Défenseur
qui sera pour toujours avec vous.
23 Si quelqu’un m’aime,
il gardera ma parole ;
mon Père l’aimera,
nous viendrons vers lui
et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas
ne garde pas mes paroles.
Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
elle est du Père, qui m’a envoyé.
25 Je vous parle ainsi,
tant que je demeure avec vous ;
26 mais le Défenseur,
l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout,
et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »

 

Nous connaissons bien cet évangile, mais il prend bien sûr aujourd’hui un nouvel éclairage par les autres textes qui nous sont proposés pour la fête de la Pentecôte. Par exemple, il est intéressant que, pour la fête du don de l’Esprit, l’évangile qui nous est proposé ne nous parle que d’amour ! Souvent, nous sommes tentés de penser à l’Esprit Saint en termes d’inspiration, d’idées, de discernement, d’intelligence en quelque sorte ; Jésus nous dit ici : l’Esprit de Dieu, c’est tout autre chose, c’est l’Amour personnifié ; pas étonnant, me direz-vous, puisque, comme dit Saint Jean, « Dieu est Amour ».
Cela veut dire que, le matin de la Pentecôte, à Jérusalem, quand les disciples ont été remplis de l’Esprit Saint, c’est l’amour même qui est en Dieu qui les a envahis. Et de même, nous aussi, baptisés, confirmés, notre capacité d’amour est habitée par l’amour même de Dieu. « Tu envoies ton souffle, ils sont créés » dit le psaume 103/104 de cette fête du don de l’Esprit : effectivement, créés à l’image de Dieu, appelés à lui ressembler toujours plus, nous sommes constamment en train d’être modelés par lui à son image ; regardez le potier en train de façonner son vase, celui-ci s’affine de plus en plus dans les mains de l’artisan… Nous sommes cette poterie dans les mains de Dieu : notre ressemblance avec lui s’affine de plus en plus au fur et à mesure que nous laissons l’Esprit d’amour nous transformer.
Dans le passage de la lettre aux Romains que nous lisons pour cette fête de Pentecôte, il est plutôt question de notre relation à Dieu ; on pourrait le résumer par la phrase : nous ne sommes plus des esclaves, nous sommes des fils de Dieu. Dans cet évangile, Jésus fait le lien entre notre relation à Dieu et notre relation à nos frères : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements », et son commandement, nous savons bien ce qu’il est : « Mon commandement, le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34) ; et l’on peut penser que cette expression fait référence au lavement des pieds, c’est-à-dire une attitude résolue de service.
Si bien qu’on peut traduire « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » par « Si vous m’aimez, vous vous mettrez au service les uns des autres ». L’amour de Dieu et l’amour des frères sont inséparables, tellement inséparables que c’est à la qualité de notre mise au service de nos frères que l’on peut juger de la qualité de notre amour de Dieu. Du coup on peut retourner la phrase « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » : elle veut dire « Si vous ne vous mettez pas au service de vos frères, ne prétendez pas que vous m’aimez » !
Un peu plus loin, Jésus reprend une expression tout à fait semblable mais il développe encore : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. » Cela ne veut évidemment pas dire que notre Père du ciel pourrait ne pas nous aimer si nous ne nous mettons pas au service de nos frères ! En Dieu, il n’y a pas de marchandages, pas de conditions ! Au contraire, la caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes sur le plan de l’amour et du service des autres.
Mais ce que veut dire cette phrase, c’est quelque chose que nous connaissons bien : la capacité d’aimer est un art et tout art s’apprend en s’exerçant ! L’amour du Père est sans mesure, infini ; c’est notre capacité d’accueil de cet amour qui est limitée et qui grandit à mesure que nous l’exerçons. Si bien que l’on pourrait traduire : « Si quelqu’un m’aime, il se mettra au service des autres. Et peu à peu son cœur  s’élargira et l’amour de Dieu l’envahira de plus en plus et il pourra encore mieux servir les autres… et ainsi de suite jusqu’à l’infini… » Jusqu’à l’infini au vrai sens du terme.
Pour terminer, revenons sur le mot « Défenseur » : il est vrai que nous avons besoin d’un Défenseur… mais pas devant Dieu, bien sûr ! Saint Paul nous l’a bien dit dans la lettre aux Romains (qui est notre seconde lecture de cette fête) : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un Esprit qui fait de vous des fils ». Nous n’avons donc plus peur de Dieu, nous n’avons pas besoin de Défenseur devant lui. Mais alors devant qui ? Jésus dit bien : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. » Nous avons besoin d’un Défenseur, d’un avocat pour nous défendre devant nous-mêmes, devant nos réticences à nous mettre au service des autres, devant nos timidités du genre « Qu’est-ce que si peu de pains et de poissons pour tant de monde ? »
Nous avons bien besoin de ce Défenseur qui constamment, plaidera en nous la cause des autres. Et ce faisant, c’est nous en réalité qu’il défendra, car notre vrai bonheur, c’est de nous laisser modeler chaque jour par le potier à son image.

BAPTÊME DU SEIGNEUR, EPITRE DE SAINT PAUL A TITE, EVANGILE SELON SAINT LUC, JESUS CHRIST, LIVRE D'ISAÏE, PSAUME 103

Lectures de la messe du Baptême du Seigneur

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Baptême du Seigneur : Dimanche 13 janvier 2019  

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

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PREMIERE LECTURE  – Isaïe 40, 5-9-11

1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur  de Jérusalem.
Proclamez que son service est accompli,
que son crime est expié,
qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR
le double pour toutes ses fautes.
3 Une voix proclame :
« Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ;
tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu.
4 Que tout ravin soit comblé,
toute montagne et toute colline abaissées !
Que les escarpements se changent en plaine.
et les sommets en large vallée !
5 Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR
et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »
9 Monte sur une haute montagne,
toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
Elève la voix avec force,
toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
Elève la voix, ne crains pas.
Dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu. »
10 Voici le SEIGNEUR Dieu !
Il vient avec puissance ;
son bras lui soumet tout.
Voici le fruit de son travail avec lui,
et devant lui, son ouvrage.
11 Comme un berger, il conduit son troupeau :
son bras rassemble les agneaux,
il les porte sur son cœur,
il mène brebis qui allaitent.

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C’est ici que commence l’un des plus beaux passages du Livre d’Isaïe ; on l’appelle le « Livret de la Consolation d’Israël » car ses premiers mots sont « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette phrase, à elle toute seule, est déjà une Bonne Nouvelle extraordinaire, presque inespérée, pour qui sait l’entendre ! Car les expressions « mon peuple »… « votre Dieu » sont le rappel de l’Alliance (un peu comme dans un couple, un surnom affectueux redit au moment d’un désaccord, vient rassurer sur la tendresse encore présente).
Or c’était la grande question des exilés. Pendant l’Exil à Babylone, c’est-à-dire entre 587 et 538 avant J.C. on pouvait se le demander : Dieu n’aurait-il pas abandonné son peuple, n’aurait-il pas renoncé à son Alliance…? Il pourrait bien s’être enfin lassé des infidélités répétées à tous les niveaux. Tout l’objectif de ce Livret de la Consolation d’Isaïe est de dire qu’il n’en est rien. Dieu affirme encore « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », ce qui était la devise ou plutôt l’idéal de l’Alliance.
Je prends tout simplement le texte dans l’ordre : « Parlez au cœur de Jérusalem et proclamez que son service est accompli » dit Isaïe ; cela veut dire que la servitude à Babylone est finie ; c’est donc une annonce de la libération et du retour à Jérusalem.
« Que son crime est expié et qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR le double pour toutes ses fautes. » D’après la loi d’Israël, un voleur devait restituer le double des biens qu’il avait volés (par exemple deux bêtes pour une). Parler au passé de cette double punition, c’était donc une manière imagée de dire que la libération approchait puisque la peine était déjà purgée. Ce que le prophète, ici, appelle les « fautes » de Jérusalem, son « crime », ce sont tous les manquements à l’Alliance, les cultes idolâtres, les manquements au sabbat et aux autres prescriptions de la Loi, et surtout les nombreux manquements à la justice et, plus grave encore que tout le reste, le mépris des pauvres. Le peuple juif a toujours considéré l’Exil comme la conséquence de toutes ces infidélités. Car, à l’époque on pensait encore que Dieu nous punit de nos fautes.
« Une voix proclame » : nulle part, l’auteur de ce livret ne nous dit qui il est ; il se présente comme « la voix qui crie de la part de Dieu » ; nous l’appelons traditionnellement le « deuxième Isaïe ». « Une voix proclame : Préparez à travers le désert le chemin du SEIGNEUR ». Déjà une fois dans l’histoire d’Israël, Dieu a préparé dans le désert le chemin qui menait son peuple de l’esclavage à la liberté : traduisez de l’Egypte à la Terre promise ; eh bien, nous dit le prophète, puisque le Seigneur a su jadis arracher son peuple à l’oppression égyptienne, il saura aujourd’hui, de la même manière, l’arracher à l’oppression babylonienne.
« Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits et les escarpements seront changés en plaine. » C’était l’un des plaisirs du vainqueur que d’astreindre les vaincus à faire d’énormes travaux de terrassement pour préparer une voie triomphale pour le retour du roi victorieux. Il y a pire : une fois par an, à Babylone, on célébrait la grande fête du dieu Mardouk, et, à cette occasion, les esclaves juifs devaient faire ces travaux de terrassement : combler les ravins… abaisser les collines et même les montagnes, de simples chemins tortueux faire d’amples avenues… pour préparer la voie triomphale par laquelle devait passer le cortège, roi et statues de l’idole en tête ! Pour ces Juifs croyants, c’était l’humiliation suprême et le déchirement intérieur. Alors Isaïe, chargé de leur annoncer la fin prochaine de leur esclavage à Babylone et le retour au pays leur dit : cette fois, c’est dans le désert qui sépare Babylone de Jérusalem que vous tracerez un chemin… Et ce ne sera pas pour une idole païenne, ce sera pour vous et votre Dieu en tête !
« Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. » : on pourrait traduire « Dieu sera enfin reconnu comme Dieu et tous verront que Dieu a tenu ses promesses. »
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la Bonne nouvelle à Sion. Elève la voix avec force, toi qui portes la Bonne nouvelle à Jérusalem. » Au passage, vous avez remarqué le parallélisme de ces deux phrases : parallélisme parfait qui a simplement pour but de porter l’accent sur cette Bonne Nouvelle adressée à Sion ou Jérusalem, c’est la même chose : il s’agit évidemment du peuple et non de la ville. Le contenu de cette Bonne Nouvelle suit immédiatement : « Voici votre Dieu. Voici le SEIGNEUR Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux. Le fruit de sa victoire l’accompagne et ses trophées le précèdent. »
« Comme un berger, il conduit son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur  et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits. » Nous retrouvons ici chez Isaïe l’image chère à un autre prophète de la même époque, Ezéchiel.
La juxtaposition de ces deux images (un roi triomphant, un berger) surprend peut-être, mais l’idéal du roi en Israël comprenait bien ces deux aspects : le bon roi, c’est un berger plein de sollicitude pour son peuple, mais c’est aussi un roi triomphant des ennemis, pour protéger son peuple justement… Comme un berger utilise son bâton pour chasser les animaux qui menaceraient le troupeau.
Ce texte, dans son ensemble, résonnait donc comme une extraordinaire nouvelle aux oreilles des contemporains d’Isaïe, au sixième siècle av.J.C. Et voilà que cinq ou six cents ans plus tard, lorsque Jean-Baptiste a vu Jésus de Nazareth s’approcher du Jourdain et demander le Baptêm, il a entendu résonner en lui ces paroles d’Isaïe et il a été rempli d’une évidence aveuglante : le voilà celui qui rassemble définitivement le troupeau du Père… Le voilà celui qui va transformer les chemins tortueux des hommes en chemins de lumière… Le voilà celui qui vient redonner au peuple de Dieu sa dignité… Le voilà celui en qui se révèle la gloire (c’est-à-dire la présence) du SEIGNEUR. Fini le temps des prophètes, désormais Dieu lui-même est parmi nous !

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1 Revêtu de magnificence,
2 tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
3 tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
4 tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

24 Quelle profusion dans tes œuvres , SEIGNEUR !
Tout cela, ta sagesse l’a fait. La terre s’emplit de tes biens.
25 Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits.

27 Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture en temps voulu.
28 Tu donnes, eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main, ils sont comblés.

29 Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre

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Nous lisons ici des extraits du psaume 103/104 ; or, on peut les comparer avec une prière qui nous vient d’Egypte : il s’agit d’une hymne adressée au soleil par le roi Aménophis IV, l’époux de Nefertiti. On sait que ce Pharaon a consacré une bonne partie de ses énergies à l’instauration d’une religion nouvelle : il a remplacé le culte d’Amon (dont le clergé devenait beaucoup trop puissant à ses yeux) par celui du Dieu Aton, c’est-à-dire le soleil ; et, à cette occasion, il a pris un nouveau nom, Akhenaton. Sa prière a été retrouvée gravée sur un tombeau à Tell El-Amarna en Egypte (au bord du Nil).
La voici : « Tu te lèves beau dans l’horizon du ciel, Soleil vivant qui vis depuis l’origine. Tu resplendis dans l’horizon de l’Est, tu as rempli tout pays de ta beauté. Tu es beau, grand, brillant, tu t’élèves au-dessus de tout pays. Combien nombreuses sont tes œuvres, mystérieuses à nos yeux ! Seul dieu, tu n’as point de semblable, tu as créé la terre selon ton cœur. Les êtres se forment sous ta main comme tu les as voulus. Tu resplendis et ils vivent ; tu te couches et ils meurent. Toi, tu as la durée de la vie par toi-même, on vit de toi. Les yeux sont sur ta beauté jusqu’à ce que tu te caches, Et tout travail prend fin, quand tu te couches à l’Occident. »
On ne peut pas nier que cette hymne adressée en Egypte au dieu-soleil ressemble comme deux gouttes d’eau à notre psaume 103/104 composé en Israël ; or le texte égyptien est plus ancien, il date du quatorzième siècle, à une époque où les Hébreux étaient esclaves en Egypte. On peut donc supposer qu’ils ont eu l’occasion d’y entendre ce poème adressé au dieu-soleil ; ils l’auraient alors adapté et transformé à la lumière de leur nouvelle religion, celle du dieu qui les avait libérés d’Egypte, précisément.
J’ai dit « adapté et transformé » parce que si ces deux textes se ressemblent, ils diffèrent plus encore ! Et sur deux points : premièrement, le Dieu d’Israël est un Dieu personnel, qui a proposé une relation d’Alliance à son peuple. Un Dieu qui a un projet sur l’humanité, un Dieu qui veut l’homme libre.
Par exemple, le psaume commence et finit par l’acclamation « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme » qui est typique de l’Alliance du peuple d’Israël avec son Dieu. Car, une fois de plus, le nom employé pour désigner Dieu est le fameux nom de l’Alliance, le nom en quatre lettres YHVH qu’on ne prononce pas, mais qui rappelle la présence de Dieu auprès de son peuple pour toujours. C’est ce nom qui est traduit ici par le mot SEIGNEUR.
Deuxième différence : dans la pensée biblique, contrairement à la prière du pharaon Akhénaton, Dieu seul est Dieu, le soleil n’est qu’une créature dépourvue de toute volonté propre : dans d’autres versets de ce psaume, on affirme « Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher. Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient. » En d’autres termes, si le soleil a un quelconque pouvoir, c’est Dieu et Dieu seul qui le lui a donné. Dans le même sens, nous avons déjà remarqué l’insistance du livre de la Genèse : pour bien mettre le soleil et la lune à leur place de créatures, le poème du premier chapitre ne dit même pas leurs noms : il se contente de les appeler « le grand luminaire et le petit luminaire », c’est-à-dire uniquement des instruments, en somme.
Revenons au psaume 103/104 : en Israël, donc, il était chanté à la louange du Dieu créateur, roi de toute la Création. C’est particulièrement net dans la phrase : « Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre » ; on pense évidemment au texte de la Genèse « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7).
Pour dire que Dieu est roi, on emploie le langage de la cour : « Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! », comme si Dieu avait un manteau de cour ! Ailleurs encore, le psalmiste s’écrie : « SEIGNEUR, mon Dieu, tu es si grand », acclamation royale traditionnelle en Israël où le mot « grand » est un mot du langage de cour.
Et voilà que la liturgie chrétienne nous propose ce psaume pour la fête du Baptême du Christ : rapprochement à première vue un peu surprenant… Quel lien y a-t-il entre l’acte créateur du Dieu de l’univers et une pratique religieuse d’un certain Jean le Baptiste, des millions d’années après, et à laquelle se soumet un fils de charpentier, Jésus de Nazareth ?
A moins que, justement, ce fils de charpentier soit venu pour « refaire le monde », comme on dit. Si ce psaume 103/104, une hymne au Dieu créateur, roi de la Création, nous est proposé pour fêter le Baptême de Jésus, c’est donc pour nous inviter à lire l’événement du Baptême du Christ sous deux aspects complémentaires ; d’une part, c’est lors de son Baptême que Jésus est proclamé roi de la Création : l’évangile de Luc raconte qu’une voix venue du ciel a proclamé exactement la formule qui était prononcée par le prêtre sur chaque nouveau roi le jour de son sacre : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »
D’autre part, l’heure du Baptême du Christ est aussi l’heure de la nouvelle création ; rappelons-nous le poème du chapitre 1 de la Genèse qui disait « Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. » (Gn 1, 2). Or le Baptême du Christ se déroule au bord des eaux du Jourdain et Saint Luc nous dit : « Jésus, baptisé, priait ; alors le ciel s’ouvrit ; l’Esprot Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle comme une colombe. » Traduisez l’heure de la nouvelle création a sonné.

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DEUXIEME LECTURE : Lettre de saint Paul Apôtre à Tite 2, 11-14 ; 3, 4-7

2, 11 La grâce de Dieu s’est manifestée
pour le salut de tous les hommes.
12 Elle qui nous apprend à renoncer à l’impiété
et aux convoitises de ce monde,
et à vivre dans le temps présent
de manière raisonnable, avec justice et piété,
13 attendant que se réalise la bienheureuse espérance:
la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ.
14 Car il s’est donné pour nous
afin de nous racheter de toutes nos fautes,
et de nous purifier
pour faire de nous son peuple,
un peuple ardent à faire le bien.

3, 4 Lorsque Dieu, notre Sauveur,
a manifesté sa bonté
et son amour pour les hommes ;
5 il nous a sauvés.
non pas à cause de la justice de nos propres actes,
mais par sa miséricorde.
Par le bain du baptême,
il nous a fait renaître
et nous a renouvelés
dans l’Esprit Saint.
6 Cet Esprit, Dieu l’a répandu
sur nous en abondance,
par Jésus-Christ notre Sauveur ;
7 afin que, rendus justes par sa grâce,
nous devenions en espérance

Héritiers de la même promesse

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Les Crétois avaient très mauvaise réputation au temps de Paul ; c’est un poète local, Epiménide de Cnossos, au sixième siècle av. J.-C qui les traitait de « Crétois, perpétuels menteurs, bêtes méchantes, panses malfaisantes ». Et Paul, en le citant, le confirme en disant : « Ce témoignage est vrai » ! C’est pourtant de ces Crétois pleins de défauts que Paul a essayé de faire des Chrétiens. Apparemment, il a eu fort à faire.
Cette lettre à Tite contient donc les conseils du fondateur de la communauté à celui qui en est désormais le responsable.
Tout ce qui précède et ce qui suit cet ensemble consiste en recommandations extrêmement concrètes à l’intention des membres de la communauté, vieux et jeunes, hommes et femmes, maîtres et esclaves. Les responsables ne sont pas oubliés et si Paul insiste sur l’irréprochabilité qu’on doit exiger d’eux, il faut croire que cela n’allait pas de soi ! « Il faut que l’épiscope soit irréprochable en sa qualité d’intendant de Dieu : ni arrogant, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains honteux. Il doit être hospitalier, ami du bien, pondéré, juste, saint, maître de soi, fermement attaché à la Parole… » Une telle avalanche de conseils donne une idée des progrès qui restaient à faire : en général un bon pédagogue ne se hasarde pas à donner des conseils superflus…
Ce qui est très intéressant pour nous, c’est l’articulation entre tous ces conseils d’ordre moral et le passage qui nous intéresse aujourd’hui et qui est au contraire un exposé théologique sur le mystère de la foi ; mais justement, pour Paul, l’un découle de l’autre ; c’est notre Baptême qui fait de nous des hommes nouveaux. Paul vient de donner toute sa série de conseils et il les justifie par la seule raison que « la grâce de Dieu s’est manifestée », comme il dit.
Cela veut dire que la morale chrétienne s’enracine dans l’événement qui est la charnière de l’histoire du monde : la naissance du Christ. Quand Paul dit « la grâce de Dieu s’est manifestée », il faut traduire « Dieu s’est fait homme ». Et désormais, c’est notre manière d’être hommes qui est transformée : « Par le bain du Baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint »» (3, 5). Désormais la face du monde est changée, et donc aussi notre comportement. Encore faut-il nous prêter à cette transformation. Et le monde attend de nous ce témoignage. Il ne s’agit pas de mérites à acquérir : « Il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde », mais de témoignage à porter. Le mystère de l’Incarnation va jusque-là. Dieu veut le salut de toute l’humanité, pas seulement le nôtre ! « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Mais il attend notre collaboration pour cela.
C’est donc la transformation de l’humanité tout entière qui est au programme, si l’on peut dire ; car le projet de Dieu, prévu de toute éternité, c’est de nous réunir tous autour de Jésus-Christ. Tellement serrés autour de lui que nous ne ferons qu’un avec lui. Réunir, c’est-à-dire surmonter nos divisions, nos rivalités, nos haines, pour faire de nous un seul homme ! Il y a encore du chemin à faire, c’est vrai ; tellement de chemin que les incroyants disent que « c’est une utopie » ; mais les croyants affirment « puisque c’est une promesse de Dieu, c’est une certitude ! » Paul dit bien : « Nous attendons le bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus-Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur. » « Nous attendons », cela veut dire « c’est certain, tôt ou tard, cela viendra. »
Au passage, nous reconnaissons là une phrase que le prêtre prononce à chaque Eucharistie, après le Notre Père : « Nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Comme bien souvent, ce ET signifie « c’est-à-dire ». Il faut entendre « Nous espérons le bonheur que tu promets QUI EST l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Ce n’est pas une manière de nous voiler la face sur les lenteurs de cette transformation du monde, c’est un acte de foi : nous osons affirmer que l’amour du Christ aura le dernier mot.
Cette certitude, cette attente sont le moteur de toute liturgie : au cours de la célébration, les Chrétiens ne sont pas des gens tournés vers le passé mais déjà un seul homme debout tourné vers l’avenir. Quand viendra la fin du monde, le journaliste de service écrira : « Et ils se levèrent comme un seul homme. Et cet homme avait pour nom Jésus-Christ ».
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Note
1 – A propos de la naissance d’une communauté chrétienne en Crète, certains exégètes formulent l’hypothèse suivante : d’après les Actes des Apôtres, le bateau qui transportait Paul prisonnier en attente d’un jugement à Rome a fait escale dans un endroit appelé « Beaux Ports » au sud de l’île. Mais Luc ne parle pas de la naissance d’une communauté à cette occasion, et Tite ne faisait pas partie du voyage. On sait qu’après de nombreuses péripéties, ce voyage s’est terminé comme prévu à Rome où Paul a été emprisonné pendant deux ans dans des conditions très libérales : on pourrait parler plutôt de « résidence surveillée ». On suppose que cette captivité romaine s’est soldée par une remise en liberté. Paul aurait alors entrepris un quatrième voyage missionnaire, et c’est au cours de ce dernier voyage qu’il aurait évangélisé la Crète.
2 – Pour des raisons de style, de vocabulaire et même de vraisemblance chronologique, beaucoup de ceux qui connaissent bien les épîtres pauliniennes pensent que cette lettre à Tite (comme les deux lettres à Timothée, d’ailleurs) aurait été écrite seulement à la fin du premier siècle, c’est-à-dire trente ans environ après la mort de Paul, mais dans la fidélité à sa pensée et pour appuyer son œuvre  Quelle que soit l’époque à laquelle cette lettre a été rédigée, il faut croire que les difficultés des Crétois persistaient !

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EVANGILE SELON SAINT LUC 3, 15-22

15 Le peuple venu auprès de Jean-Baptiste était en attente,
et tous se demandaient en eux-mêmes
si Jean n’était pas le Christ.
16 Jean s’adressa alors à tous :
« Moi, je vous baptise avec de l’eau ;
mais il vient, celui qui est plus fort que moi.
Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
21 Comme tout le peuple se faisait baptiser
et qu’après avoir été baptisé lui aussi,
Jésus priait,
le ciel s’ouvrit.
22 L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle,
comme une colombe.
descendit sur Jésus,
et il y eut une voix venant du ciel :
« Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. »

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Les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent l’événement du Baptême du Christ, chacun à leur manière. Jean, lui, ne le raconte pas, mais il y fait allusion. Luc a ses accents propres et ce sont eux que je vais essayer ici de mettre en lumière. Par exemple, son texte commence par « Comme tout le peuple se faisait baptiser » : Luc est le seul à mentionner que le peuple se faisait baptiser ; il est aussi le seul à mentionner la prière de Jésus : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait » ; ce rapprochement est bien dans la manière de Luc : homme parmi les hommes, Jésus ne cesse pas d’être en même temps uni à son Père.
Luc veut tellement insister sur l’humanité de Jésus que, chez lui et lui seul, curieusement, le récit du Baptême est suivi immédiatement par une généalogie. Contrairement à la généalogie placée tout au début de l’évangile de Matthieu et qui part d’Abraham pour descendre jusqu’à Jésus en passant par David et par Joseph, la généalogie de Jésus chez Luc part de lui pour remonter à ses ancêtres ; il est (croyait-on, dit Luc) fils de Joseph, fils de David, fils d’Abraham… Mais Luc remonte encore bien plus haut : il nous dit que Jésus est « fils d’Adam, fils de Dieu ». Cela veut bien dire qu’au moment où il écrit son évangile, les premiers Chrétiens avaient découvert cette relation privilégiée de Jésus le Nazaréen avec Dieu : il était le Fils de Dieu au vrai sens du terme.
La suite n’est pas propre à Luc : Matthieu et Marc emploient à peu près les mêmes termes. Pendant que Jésus priait, « le ciel s’ouvrit » : en trois mots, un événement décisif ! La communication entre le ciel et la terre est rétablie ; la prière du peuple croyant vient d’être entendue ; depuis des siècles, c’était l’attente du peuple juif. « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais, tel que les montagnes soient secouées devant toi, tel un feu qui brûle des taillis, tel un feu qui fait bouillonner les eaux. » disait Isaïe (Is 63,19 – 64,1). Les eaux, nous y sommes, puisque ceci se passe au bord du Jourdain ; le feu, le voici : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu » disait Jean-Baptiste. Et Luc continue : « L’Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Ici l’Esprit n’est pas associé à la violence du feu, mais à la colombe, symbole de douceur et de fragilité. Ce n’est pas contradictoire : force et violence… douceur et fragilité, tel est l’amour, tel est l’Esprit.
Les quatre évangélistes citent cette manifestation de l’Esprit sous la forme d’une colombe : dans les trois évangiles synoptiques, les expressions sont tout à fait similaires : Matthieu et Marc disent que l’Esprit descend « comme une colombe », chez Luc « L’Esprit Sain descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Dans l’évangile de Jean, c’est Jean-Baptiste qui, après coup, raconte la scène : « J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit : Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Et moi, j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu. » (Jn 1, 32-34).
Cette représentation de la colombe est donc certainement très importante puisque les quatre évangélistes l’ont retenue. Que pouvait-elle évoquer pour eux ? Dans l’Ancien Testament, elle évoque d’abord la Création : le texte de la Genèse ne cite pas la colombe, il dit simplement « le souffle de Dieu planait sur la surface des eaux. » (Gn 1, 2). Mais dans la méditation juive, on avait appris à reconnaître dans ce souffle, l’Esprit même de Dieu ; et un commentaire rabbinique de la Genèse dit « L’Esprit de Dieu planait sur la face des eaux comme une colombe qui plane au-dessus de ses petits, mais ne les touche pas. » (Talmud de Babylone). Ensuite, la colombe évoquait l’Alliance entre Dieu et l’humanité, renouée après le Déluge ; on se souvient du lâcher de colombe de Noé : c’est elle qui a indiqué à Noé que le déluge était fini et que la vie pouvait reprendre. Mieux encore, l’amoureux du Cantique des Cantiques appelle sa bien-aimée « ma colombe au creux d’un rocher… ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite. » Or le peuple juif lit le Cantique des Cantiques comme la déclaration d’amour de Dieu à l’humanité.
Nous sommes donc bien à l’aube d’une ère nouvelle : nouvelle Création, nouvelle Alliance.
A ce moment-là, nous dit Luc « Il y eut une voix venant du ciel : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. » Il ne fait de doute pour personne que cette voix est la voix de Dieu lui-même : depuis bien longtemps, le peuple d’Israël n’avait plus de prophètes, mais les rabbins disaient que rien n’empêche Dieu de se révéler directement et que sa voix, venant des cieux, gémit comme une colombe. Or, cette phrase « Il y eut une voix venant du ciel : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie » n’était pas nouvelle pour des oreilles juives : elle en était d’autant plus grave ; car c’était avec ces mots-là que les prophètes parlaient du Messie. A ce moment-là, Jean-Baptiste a compris : la colombe de l’Esprit désignait le Messie.
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Complément
– Une question nous brûle les lèvres : pourquoi Jésus qui n’est pas pécheur demande-t-il le Baptême ? A quoi l’on peut répondre que c’est le contraire qui serait surprenant. Comment se désolidariserait-il du grand mouvement des foules avides de conversion qui se pressent autour du Baptiste ? D’autre part, Luc a certainement en tête une fois de plus les Chants du Serviteur du deuxième livre d’Isaïe : « Avec les pécheurs il s’est laissé recenser. » (Is 53, 12). Luc la cite lui-même d’ailleurs au cœur de la Passion (Lc 22, 37).

ANCIEN TESTAMENT, BIBLE, PSAUME 103, PSAUMES

Le Psaume 103

PSAUME 103

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Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand ! Revêtu de magnificence,

tu as pour manteau la lumière ! Comme une tenture, tu déploies les cieux,

 tu élèves dans leurs eaux tes demeures ; des nuées, tu te fais un char, tu t’avances sur les ailes du vent ;

tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs, les flammes des éclairs.

Tu as donné son assise à la terre : qu’elle reste inébranlable au cours des temps.

Tu l’as vêtue de l’abîme des mers : les eaux couvraient même les montagnes ;

à ta menace, elles prennent la fuite, effrayées par le tonnerre de ta voix.

Elles passent les montagnes, se ruent dans les vallées vers le lieu que tu leur as préparé.

Tu leur imposes la limite à ne pas franchir : qu’elles ne reviennent jamais couvrir la terre.

Dans les ravins tu fais jaillir des sources et l’eau chemine aux creux des montagnes ;

elle abreuve les bêtes des champs : l’âne sauvage y calme sa soif ;

les oiseaux séjournent près d’elle : dans le feuillage on entend leurs cris.

 De tes demeures tu abreuves les montagnes, et la terre se rassasie du fruit de tes œuvres ;

tu fais pousser les prairies pour les troupeaux, et les champs pour l’homme qui travaille. De la terre il tire son pain :

le vin qui réjouit le cœur de l’homme, l’huile qui adoucit son visage, et le pain qui fortifie le cœur de l’homme.

Les arbres du Seigneur se rassasient, les cèdres qu’il a plantés au Liban ;

c’est là que vient nicher le passereau, et la cigogne a sa maison dans les cyprès ;

aux chamois, les hautes montagnes, aux marmottes, l’abri des rochers.

Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher.

Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient : les animaux dans la forêt s’éveillent ;

 le lionceau rugit vers sa proie, il réclame à Dieu sa nourriture.

 Quand paraît le soleil, ils se retirent : chacun gagne son repaire.

L’homme sort pour son ouvrage, pour son travail, jusqu’au soir.

 Quelle profusion dans tes œuvres , Seigneur ! + Tout cela, ta sagesse l’a fait ; * la terre s’emplit de tes biens.

Voici l’immensité de la mer, son grouillement innombrable d’animaux grands et petits,

ses bateaux qui voyagent, et Léviathan que tu fis pour qu’il serve à tes jeux.

Tous, ils comptent sur toi pour recevoir leur nourriture au temps voulu.

Tu donnes : eux, ils ramassent ; tu ouvres la main : ils sont comblés.

Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière.

Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses œuvres  !

 Il regarde la terre : elle tremble ; il touche les montagnes : elles brûlent.

Je veux chanter au Seigneur tant que je vis ; je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure.

Que mon poème lui soit agréable ; moi, je me réjouis dans le Seigneur.

Que les pécheurs disparaissent de la terre ! Que les impies n’existent plus ! Bénis le Seigneur, ô mon âme !