ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON MATTHIEU, LIVRE DU PROPHETE SOPHONIE, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS, PSAUME 145

Dimanche 29 janvier 2023 : 4ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 29 janvier 2023 :

4ème dimanche du Temps Ordinaire :

schermata-2017-06-05-b

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Sophonie 2,3 ; 3,12-13

2,3 Cherchez le SEIGNEUR,
vous tous, les humbles du pays,
qui accomplissez sa loi.
Cherchez la justice,
cherchez l’humilité :
peut-être serez-vous à l’abri
au jour de la colère du SEIGNEUR.

3,12     Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ;
il prendra pour abri le nom du SEIGNEUR.
3,13     Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ;
ils ne diront plus de mensonge ;
dans leur bouche, plus de langage trompeur.
Mais ils pourront paître et se reposer,
nul ne viendra les effrayer

EN DIEU SEUL NOTRE ESPERANCE
Le livre de Sophonie est surprenant parce que très contrasté : on y trouve d’une part des menaces terribles contre Jérusalem, et, dans ces passages-là, le prophète a l’air très en colère, et, d’autre part, des encouragements, des promesses de lendemains heureux, toujours adressés à Jérusalem. Reste à savoir pour qui sont les menaces et pour qui les encouragements.
Il faut donc faire un petit détour par l’histoire : nous sommes au septième siècle avant Jésus-Christ, dans le royaume de Juda, c’est-à-dire le royaume du Sud ; le jeune roi Josias vient de monter sur le trône, à l’âge de huit ans, à la suite de l’assassinat de son père. Jérusalem vit donc des temps très troublés, c’est le moins qu’on puisse dire.
Vous vous souvenez qu’à cette époque-là, l’empire assyrien, dont la capitale est Ninive, est en pleine expansion ; sous la menace assyrienne les rois ont préféré capituler d’avance ; cela veut dire en clair que le royaume de Jérusalem est vassal de Ninive.
Or il y a toujours eu une querelle entre les rois et les prophètes sur ce point : le raisonnement des rois, c’est : quand on est un tout petit peuple, on ne peut pas éviter d’être dominé par de plus grands. Et après tout, c’est un moindre mal, plutôt que de disparaître complètement.
Les prophètes, eux, tiennent farouchement à la liberté politique du peuple élu. Car, à leurs yeux, demander alliance à un roi de la terre, c’est la preuve qu’on ne fait pas confiance au roi du ciel ! Dieu vous a libérés d’Egypte, ce n’est pas pour vous laisser mourir maintenant. Vous avez fait alliance avec Dieu, contentez-vous de cette alliance-là, n’en cherchez pas d’autre.
Deuxièmement, si vous faites alliance avec les païens, tôt ou tard, vous deviendrez païens vous aussi : il y aura inévitablement des périodes de persécution où la puissance dominante attaquera votre religion ; sans aller jusque-là, accepter la tutelle assyrienne, c’était déjà accepter de voir s’installer dans la capitale d’Israël les représentants d’une puissance étrangère ; c’était donner de mauvais exemples : mettre sous les yeux de tout le peuple les manières de vivre et de penser des peuples païens ; c’était introduire dans Jérusalem les coutumes, la mode, les lois et plus gravement encore les pratiques religieuses du vainqueur.
Par exemple, on a retrouvé des contrats commerciaux concernant des Juifs, rédigés en assyrien et selon le droit assyrien. Et, pire encore, il se trouve désormais à Jérusalem des prêtres qui pratiquent d’autres religions que celle du Dieu d’Israël. Or, et c’est là le grand danger, si Israël perd la foi au Dieu unique, il ne peut plus remplir sa mission de peuple élu.
Voilà donc les raisons de la colère de Sophonie et pourquoi une bonne partie de son livre est faite de menaces : « Je lèverai la main contre Juda et contre tous les habitants de Jérusalem. Je supprimerai de ce lieu le reste des adorateurs de Baal, le nom des desservants d’idoles, ainsi que les prêtres. Je supprimerai ceux qui se prosternent sur les terrasses devant l’armée des cieux…Je supprimerai ceux qui se détournent du SEIGNEUR, qui ne cherchent pas le SEIGNEUR et ne le consultent pas. » (So 1,4… 6). Ce sera le Jour de la Colère du SEIGNEUR* : vous avez reconnu le fameux texte du « Dies Irae » que nous entendons dans certains « Requiem » célèbres.
CHERCHEZ LE SEIGNEUR, VOUS TOUS, LES HUMBLES DU PAYS
Mais parallèlement à ces menaces, le livre de Sophonie délivre un message de réconfort, adressé à ceux qu’il appelle « les humbles du pays » (en hébreu les « anavim », littéralement les « courbés »). Ceux-là, visiblement, ne risquent rien de la colère du SEIGNEUR : « Cherchez le SEIGNEUR, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du SEIGNEUR ». Ce Jour de colère, c’est celui où Dieu renouvellera la Création tout entière. Jour magnifique pour tous ceux qui auront mis leur confiance en Dieu : le Mal, sous toutes ses formes, sera enfin détruit. Les « dos courbés » peuvent donc déjà se redresser, reprendre courage : Dieu lui-même est à leurs côtés.
Reste à savoir de quel bord nous sommes : devons-nous craindre ce fameux Jour de colère du SEIGNEUR ? Sommes-nous visés par les menaces ou par les encouragements ? Depuis, nous avons appris à lire ces textes : l’humanité n’est pas divisée en deux, les justes, les bons, les humbles, d’un côté… les coupables, les arrogants, les orgueilleux de l’autre. Chacun de nous est visé par ces deux langages, c’est en chacun de nous que Dieu a « du ménage à faire », si j’ose dire. Le jugement de Dieu, c’est un tri à l’intérieur de nous-mêmes.
Et nous sommes tous invités à nous convertir, à devenir ces « humbles du pays », dont parle Sophonie : il les appelle aussi « le Reste d’Israël » :  là, il reprend le mot et l’idée lancés au siècle précédent, par les prophètes Isaïe, Amos, Michée : l’idée, c’est : puisque, premièrement, Dieu a choisi Israël comme un instrument privilégié de son projet sur l’humanité et puisque, deuxièmement, Dieu est fidèle, on en déduit logiquement que, quoi qu’il arrive, Dieu sauvera au moins un reste du peuple.
Sophonie reprend ce thème à son tour : quand tout le mal aura été extirpé de Jérusalem, Dieu ne laissera subsister que le Petit Reste, ceux qui sont restés fidèles : « Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du SEIGNEUR. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. »
« Un peuple pauvre et petit qui prendra pour abri le nom du SEIGNEUR » : voilà une définition de ces « anavim », ces « humbles », ces courbés : ce sont ceux qui cherchent refuge dans le seul nom du SEIGNEUR (à l’inverse des rois dont je parlais tout à l’heure) ; dans le mot « humble » il y a la racine « humus », terre ; les humbles, ce sont ceux qui savent qu’ils ne sont que poussière, et ils attendent tout de Dieu.
Ce Reste d’Israël, fait d’hommes fidèles, humbles et pauvres, portera désormais le poids de la mission du peuple élu : révéler au monde le grand projet de Dieu. C’est toujours une poignée de croyants qui est envoyée au monde comme le ferment dans la pâte.
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Note
* N’oublions pas que, dans la Bible, la vengeance de Dieu est toujours uniquement contre le Mal, contre ce qui abîme ses enfants. Parce que Dieu ne prend jamais son parti de l’humiliation de ses enfants.

Complément
Quand il voit les coutumes assyriennes se répandre dans la ville sainte, le prophète Sophonie s’inquiète ; par exemple, quelques versets avant ceux d’aujourd’hui, il dit : « J’interviendrai contre les ministres, contre les princes et contre tous ceux qui s’habillent à la mode étrangère » (So 1,8) ; à première vue, peut-être, on ne voit pas où est le mal ; mais c’est raisonner selon nos habitudes modernes, dans lesquelles il y a une très grande diversité et liberté dans le domaine de l’habillement ; mais à l’époque, les codes vestimentaires étaient très importants ; adopter la mode des étrangers, c’était déjà accepter de leur ressembler et donc risquer de perdre son identité ; c’était le signe que, bientôt, l’on suivrait aussi leur façon de vivre, de penser, d’adorer.

PSAUME – 145 (146),7…10

Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés,
aux affamés il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.

Le SEIGNEUR protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
10 Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours.

LE SEIGNEUR FAIT JUSTICE AUX OPPRIMES
Trois versets de psaume en forme d’inventaire : celui des bénéficiaires des largesses de Dieu : opprimés, affamés, enchaînés, aveugles, accablés, étrangers, veuves et orphelins. Bref tous ceux que les hommes ignorent ou méprisent.
Et les enfants d’Israël savent de quoi ils parlent : toutes ces situations ils les ont connues. Quand le peuple d’Israël chante ce psaume, c’est sa propre histoire qu’il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; il a connu toutes ces situations : l’oppression en Egypte, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Et ce psaume, d’ailleurs, a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré. Le Temple avait été détruit en 587 av.J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av.J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. La Dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les Lévites et le reste des rapatriés célébrèrent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu » (Esd 6,16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : il a libéré son peuple, il a agi comme son plus proche parent, son vengeur, son racheteur, comme dit la Bible. Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ».
Israël a connu la faim, aussi, dans le désert, pendant l’Exode, et Dieu a envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide ; (« Dieu aime les justes »).
C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours. »
Vous avez remarqué l’insistance sur le nom « SEIGNEUR » (sept fois dans ces trois versets) : ici, il traduit le fameux NOM de Dieu, le NOM révélé à Moïse au Buisson ardent : les quatre lettres « YHVH » qui disent la  présence permanente, agissante, libératrice de Dieu à chaque instant de la vie de son peuple. »
LE SEIGNEUR EST TON DIEU POUR TOUJOURS
Je reprends la dernière ligne d’aujourd’hui : « Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours ». « Le SEIGNEUR est ton Dieu », c’est la formule typique de l’Alliance : « Vous serez MON peuple et je serai VOTRE Dieu. » Toujours, quand on rencontre l’expression « mon Dieu », on sait qu’il y a là un rappel de l’Alliance, de toute l’histoire, l’aventure de l’Alliance entre Dieu et son peuple choisi : Alliance à laquelle Dieu n’a jamais failli.
« Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours » ; une fois de plus, je remarque que la prière d’Israël est toujours tendue vers l’avenir ; elle n’évoque le passé que pour fortifier son attente, son espérance. Et d’ailleurs quand Dieu avait dit son nom à Moïse, il l’avait dit de deux manières : ce fameux nom, imprononçable en quatre lettres, YHVH que nous retrouvons partout dans la Bible, et en particulier dans ce psaume, que nous traduisons « le SEIGNEUR » ; mais aussi, et d’ailleurs il avait commencé par là, il avait donné une formule plus développée, « Ehiè asher ehiè » qui se traduit en français à la fois par un présent « je suis qui je suis » et par un futur « Je serai qui je serai ».1 Manière de dire sa présence permanente et pour toujours auprès de son peuple.
Ici, l’insistance sur le futur, « pour toujours » (verset 10) vise aussi à fortifier l’engagement du peuple : il est bien utile de se répéter ce psaume non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : car, en définitive, cet inventaire est aussi un programme de vie : si Dieu a agi ainsi envers Israël, celui-ci se sent tenu d’en faire autant pour les autres ; tous ces exclus ne connaîtront l’amour que Dieu leur porte qu’à travers le comportement de ceux qui en sont les premiers témoins.
Et d’ailleurs, pour s’assurer que le peuple se conforme peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d’Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. La Loi n’avait qu’un objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui. Parce que Dieu mène inlassablement son peuple, et à travers lui, l’humanité tout entière, sur un long chemin de libération.
Quant aux prophètes, c’est principalement sur l’attitude par rapport aux pauvres et aux affligés de toute sorte qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance. Si on fait l’inventaire des paroles des prophètes, on est obligé d’admettre que leurs rappels à l’ordre portent majoritairement sur deux points : une lutte acharnée contre l’idolâtrie, d’une part, et les appels à la justice et au souci des autres, d’autre part. Jusqu’à oser dire de la part de Dieu « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices, la connaissance de Dieu et non les holocaustes. » (Os 6,6) ; ou encore : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6,8).
Nous lisons dans le livre du Siracide que « les larmes de la veuve (manière de dire ‘tous ceux qui souffrent’ coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18)… Si nous sommes assez près de Dieu, logiquement, elles devraient couler aussi sur nos joues à nous !… C’est probablement cela, être à son image ?
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Note
1 – En hébreu, grammaticalement parlant, une formule telle que « Je suis QUI je suis » ou « Je serai QUI je serai » est tout simplement un superlatif.

DEUXIEME LECTURE – Saint Paul aux Corinthiens 1,26-31

26 Frères,
vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien :
parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes,
ni de gens puissants ou de haute naissance.
27 Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi,
pour couvrir de confusion les sages ;
ce qu’il y a de faible dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi,
pour couvrir de confusion ce qui est fort ;
28 ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde,
ce qui n’est pas,
voilà ce que Dieu a choisi,
pour réduire à rien ce qui est ;
29 ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu.
30 C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus,
lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu,
justice, sanctification, rédemption.
31 Ainsi, comme il est écrit :
« Celui qui veut être fier,
qu’il mette sa fierté dans le Seigneur ».

SAGESSE DE DIEU ET SAGESSE DES HOMMES
On croirait entendre la parabole du Pharisien et du publicain ; c’est vraiment le monde à l’envers : ceux qui, humainement, sont des « gens bien », comme on dit, des sages aux yeux du monde, ne recueillent aucune considération de la part de Paul. Cela ne veut pas dire que Paul méprise la sagesse ! Depuis le roi Salomon, c’est une vertu que l’on demande dans la prière. Et Isaïe en parle comme d’un don de l’Esprit de Dieu. Quand il annonce le Messie, il dit « Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR, esprit de sagesse et de discernement… » Seulement, les hommes de la Bible ont un langage bien particulier sur la sagesse ; ils disent deux choses : Premièrement, ne nous trompons pas de sagesse ; il faut inverser notre regard : la sagesse de Dieu est exactement l’inverse de celle des hommes. Deuxièmement, Dieu seul peut la donner.
D’abord, premier point, il y a sagesse et sagesse ; Paul emploie le même mot « sophia » pour les deux, mais il distingue bien : il y a la sagesse du monde et la sagesse de Dieu. Ce qui semble raisonnable aux yeux des hommes est bien loin du projet de Dieu et, inversement, ce qui est sage aux yeux de Dieu paraît déraisonnable aux hommes. Si on y réfléchit c’est normal car notre sagesse est une logique de raisonnement ; alors que la sagesse de Dieu est la logique de l’amour ; et on sait bien que l’amour échappe à tout raisonnement et que « le cœur  a ses raisons que la raison ne connaît pas ». La folie de l’amour de Dieu, comme dit Saint Paul, est complètement inaccessible à l’étroitesse de nos raisonnements. C’est bien pour cela que la vie et la mort du Christ sont si étonnantes pour nous, si scandaleuses même.
Une fois de plus, on retrouve Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins », dit Dieu (Is 55,8) ; et l’abîme qui sépare nos pensées de celles de Dieu est tel que Jésus pourra aller jusqu’à traiter Pierre de Satan quand il se laisse aller à des considérations trop humaines : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16,23).
La distance qui nous sépare de Dieu, c’est un thème très fort dans toute la Bible : Dieu est le Tout-Autre : avec lui, on dirait que tout notre système de valeurs est inversé : ce que nous appelons richesse, sagesse, force, n’est rien aux yeux de Dieu.
La Bible va encore plus loin : non seulement Dieu ne se conforme pas à notre hiérarchie des valeurs, mais on a bien l’impression qu’il fait juste l’inverse ! Bien souvent, dans l’histoire de l’Alliance, Dieu a porté son choix sur les plus petits : pensez à David ; parmi les huit fils de Jessé, Dieu avait choisi le plus jeune, le plus petit, celui qui était sans importance, tellement sans importance qu’on n’avait même pas pensé à le présenter au prophète Samuel.
Longtemps auparavant, déjà, Moïse précisait bien au peuple (Dt 7,7) : « Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. » et un peu plus loin : « Sache bien que ce n’est pas à cause de ta justice que le SEIGNEUR ton Dieu te donne de posséder ce bon pays, car tu es un peuple à la nuque raide. » (Dt 9,6). Traduisez : Les choix de Dieu sont libres et sans aucun mérite de la part de l’homme, il ne faudrait jamais l’oublier.
LA VRAIE SAGESSE EST DON DE DIEU
Deuxième point, la vraie Sagesse qui est celle de Dieu ne peut être que don de Dieu. Dieu est le Tout-Autre et nous ne l’atteignons pas, nous ne le comprenons pas par nous-mêmes. Tout ce que nous pouvons savoir de Lui, dire de Lui, c’est par révélation. Il nous fait connaître son mystère, comme dit Paul dans sa lettre aux Ephésiens.
Et justement, dans le début de cette même lettre aux Corinthiens, Paul leur avait dit : « Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu. Car le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous. Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Co 1,4-7).
Vous avez remarqué le mot « don »… Et du coup, évidemment, on voit bien que pour Paul, cette connaissance de Dieu qui nous a été donnée par grâce ne doit pas être une occasion de nous vanter : ce serait justement contraire à la sagesse ! Les dons de Dieu ne sont pas une cause d’orgueil personnel, mais d’action de grâce ! Si les vues de Dieu sont différentes des nôtres, lui seul peut nous les faire pénétrer.
Jérémie le disait déjà : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le fort ne se vante pas de sa force, que le riche ne se vante pas de sa richesse. Mais celui qui se vante, qu’il se vante plutôt de ceci : avoir de l’intelligence pour me connaître, moi, le SEIGNEUR qui exerce la fidélité, le droit et la justice. » (Jr 9,22-23).
Le texte d’aujourd’hui apparaît bien comme l’application à la communauté de Corinthe de ces choix surprenants de Dieu. Paul invite les Corinthiens à se regarder avec réalisme : humainement parlant, rien ne les désignait pour recevoir un appel de Dieu… Ils ne sont ni savants, ni puissants, ni nobles aux yeux du monde, mais un ramassis de tout-venants qui ne seraient rien si la puissance de Dieu n’en faisait pas son Eglise. Leur titre de noblesse, le seul important aux yeux de Dieu, c’est leur Baptême. Décidément, Dieu crée le monde nouveau de toutes pièces.
Corinthe, c’est l’illustration vivante de l’initiative inouïe de Dieu qui recrée le monde selon ses propres chemins, bousculant les données habituelles des sociétés humaines. Il n’est plus question de « se glorifier devant Dieu » (comme le faisait le Pharisien de la parabole), mais de rendre Gloire à Dieu pour tant d’amour pour les hommes.

EVANGILE – selon Saint Matthieu 5,1-12a

En ce temps-là,
1   voyant les foules,
Jésus gravit la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
Il disait :
3 « Heureux les pauvres de cœur,
car le royaume des Cieux est à eux.
4 Heureux ceux qui pleurent,
car ils seront consolés.
5 Heureux les doux,
car ils recevront la terre en héritage.
6  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
car ils seront rassasiés.
7  Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8  Heureux les cœurs purs,
car ils verront Dieu.
9  Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
car le royaume des Cieux est à eux.
11  Heureux êtes-vous si l’on vous insulte,
si l’on vous persécute
et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
à cause de moi.
12  Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse,
car votre récompense est grande dans les cieux ! »

LES LARMES DU REPENTIR OU DE LA COMPASSION
Je commence par la phrase qui nous paraît la plus difficile : « Heureux ceux qui pleurent ». Souvenons-nous premièrement, que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Dans l’évangile de dimanche dernier, par exemple, Matthieu écrivait : « Jésus proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple. » Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur ! En revanche, les larmes dont il s’agit, ce sont peut-être celles du repentir. Notre Pape Benoît XVI donne en exemple celles de saint Pierre, après son reniement.
On peut penser également à d’autres larmes, celles de la compassion : Jésus fait peut-être allusion, ici, à une vision d’Ezéchiel : au dernier jour, Dieu enverra son messager, à travers Jérusalem, « marquer d’une croix au front ceux qui gémissent et qui se lamentent sur toutes les abominations qu’on y commet. » (Ez 9,4).
Deuxième remarque : ce discours de Jésus s’adresse à des Juifs : tout ce qu’il leur dit ici, ils le savent déjà, c’est la prédication habituelle des prophètes ; ils le comprennent donc sans difficulté. Pour nous, par conséquent, si nous voulons comprendre, il faut aller relire l’Ancien Testament.
La prédication majeure des prophètes, c’était ce que nous dit le prophète Sophonie dans la première lecture de ce dimanche : « Cherchez le SEIGNEUR, vous tous, les humbles du pays. » Et le psaume de dimanche dernier chantait : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche, c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie. » Ce sont ceux-là les « pauvres de cœur » dont parle la première Béatitude ; ceux qui peuvent chanter de tout leur cœur le psaume de ce dimanche : « Heureux qui a pour aide le Dieu de Jacob, et pour espoir le SEIGNEUR son Dieu » (Ps 145/146,5) ; ceux qui chantent comme nous à la messe « Kyrie eleison », SEIGNEUR prends pitié ; tout comme le publicain de la parabole : vous vous rappelez cette histoire du pharisien et du publicain qui s’étaient rendus au même moment au Temple pour prier. Le Pharisien, pourtant extrêmement vertueux, ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son coeur était plein de lui-même et sa prière consistait finalement à se contempler lui-même ; le publicain, au contraire, se savait pécheur, mais il se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, il était comblé.
Tous ceux qui ressemblent au publicain de la parabole sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne (Mt 7,7). Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces Béatitudes sont des bonnes nouvelles ; Matthieu disait « Il proclamait la bonne nouvelle du Royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Il se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples (Lc 10,3).
Je pense donc qu’une des manières de lire ces Béatitudes, serait de les envisager comme les multiples chemins du Royaume : c’est pour cela que chaque phrase commence par le mot « Heureux » : ce mot, très fréquent dans l’Ancien Testament, sonne toujours comme un compliment, le plus beau compliment dont nous puissions rêver, en fin de compte. André Chouraqui le traduisait « En marche » : sous-entendu, « tu es bien parti. Le Royaume peut s’approcher de toi. » On retrouve ici le thème des « deux voies » si familier à l’Ancien Testament.
Chacun de nous accueille le Royaume et contribue à sa construction avec ses petits moyens ; Jésus regarde la foule, il pose sur tous ces gens le regard de Dieu. Regardez, dit-il à ses disciples : il y a ici des pauvres… des doux… des affligés… des affamés et assoiffés de justice… des compatissants… des cœurs  purs… des artisans de paix… des persécutés. Toutes situations qui ne correspondent guère à l’idée que le monde se fait du bonheur. Mais ceux qui les vivent, dit Jésus, sont les mieux placés pour accueillir et construire le Royaume. L’horizon de l’existence humaine c’est la venue du Royaume de Dieu : tous nos chemins d’humilité y mènent. Paul nous propose exactement la même méditation dans la deuxième lecture de ce dimanche : « Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur. » (1 Co 1,31).
De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur , la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution… Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.
C’est cela l’imitation de Jésus-Christ » : il est le pauvre par excellence, le doux et humble de cœur  ; au fond, si on y regarde bien, cet évangile dessine un portrait, celui de Jésus lui-même : nous l’avons vu doux et miséricordieux, compatissant à la misère et pardonnant à ses bourreaux ; pleurant sur la souffrance des uns, sur la dureté de cœur  des autres ; affamé et assoiffé de justice et acceptant la persécution ; et surtout, en toutes circonstances, pauvre de cœur , c’est-à-dire attendant tout de son Père et lui rendant grâce de « révéler ces choses aux humbles et aux petits ».
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Compléments
« Heureux les pauvres de cœur » : rappelons-nous, Moïse a rencontré Dieu dans le buisson ardent dans la phase la moins brillante de sa carrière, si j’ose dire : il était en fuite dans le désert du Sinaï pour sauver sa vie. Elie, le grand prophète Elie, n’a rencontré le Dieu de la brise légère, lui aussi, qu’au moment où il était menacé de mort, également dans le désert du Sinaï. Or Matthieu nous suggère peut-être ces rapprochements en parlant de la montagne des Béatitudes : ce qui est évidemment un bien grand mot pour qui connaît les modestes collines de Galilée.
Dans l’évangile de Matthieu les Béatitudes dessinent seulement la bonne voie ; chez Luc (6,24-26), on peut lire également l’autre voie, celle des malheureux qui se sont trompés de route.

AVENT, DIMANCHE DE L'AVENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT JACQUES, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 145

Dimanche 11 décembre 2022 : 3ème dimanche de l’Avent : lectures et commentaires

Dimanche 11 décembre 2022 : 3ème dimanche de l’Avent

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 35, 1…10

1 Le désert et la terre de la soif,
qu’ils se réjouissent !
2 Le pays aride, qu’il exulte
et fleurisse comme la rose,
qu’il se couvre de fleurs des champs,
qu’il exulte et crie de joie !
La gloire du Liban lui est donnée,
la splendeur du Carmel et du Sarone.
On verra la gloire du SEIGNEUR,
la splendeur de notre Dieu.
3 Fortifiez les mains défaillantes,
affermissez les genoux qui fléchissent,
4  dites aux gens qui s’affolent :
« Soyez forts, ne craignez pas.
Voici votre Dieu :
c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu.
Il vient lui-même et va vous sauver. »
5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles,
et s’ouvriront les oreilles des sourds.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf,
et la bouche du muet criera de joie.
10 Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent,
ils entrent dans Sion avec des cris de fête,
couronnés de l’éternelle joie.
Allégresse et joie les rejoindront,
douleur et plainte s’enfuient.

LA VENGEANCE DE DIEU, C’EST NOTRE LIBERATION
Je commence tout de suite par le mot difficile de ce texte : au milieu de promesses magnifiques, Isaïe parle de la vengeance de Dieu. Voilà pour nous l’occasion de découvrir une fois pour toutes ce que veut dire ce mot dans la Bible ! Car Isaïe lui-même l’explique très clairement. Il prêche au sixième siècle, au moment de l’Exil à Babylone : à cette époque-là, visiblement, il y a des gens qui s’affolent, puisque le prophète dit : « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent. Dites aux gens qui s’affolent… » Et c’est pour les rassurer qu’il annonce la vengeance de Dieu : « Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. » Et il en donne aussitôt la définition : « Votre Dieu vient lui-même et va vous sauver. » Il continue : « Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. »
Cela veut dire qu’au moment où ce texte a été écrit, l’expression « vengeance de Dieu » est non un épouvantail mais une promesse de salut. C’est donc un sens extrêmement positif du mot « vengeance » ; dans ce texte, il est bien clair que Dieu ne se venge pas des hommes, il ne prend pas sa revanche contre les hommes, mais contre le mal qui atteint l’homme, qui abîme l’homme ; sa revanche c’est la suppression du mal, c’est comme dit Isaïe « les aveugles qui voient et les sourds qui entendent, les boiteux qui bondissent et les muets qui crient de joie, les captifs qui sont libérés ». Quelle que soit l’humiliation physique ou morale que nous ayons subie, il veut nous libérer, nous relever.
Mais il faut bien dire qu’on n’a pas toujours pensé comme cela ! Le texte d’Isaïe est assez tardif dans l’histoire biblique (sixième siècle av.J.C.) ; il a fallu tout un long chemin de révélation pour en arriver là. Au début de son histoire, le peuple de la Bible imaginait un Dieu à l’image de l’homme, un Dieu qui se venge comme les humains.
Puis, au fur et à mesure de la Révélation, grâce à la prédication des prophètes, on a commencé à découvrir Dieu tel qu’il est, et non pas tel qu’on l’imaginait ; alors le mot « vengeance » est resté dans le vocabulaire mais son sens a complètement changé ; nous avons déjà vu plusieurs fois dans la Bible ce phénomène de retournement complet du sens d’un mot : c’est le cas pour le sacrifice, par exemple, et aussi pour la crainte de Dieu.
Très concrètement, quand Isaïe écrit le texte de ce dimanche, le salut auquel aspirent ses contemporains, c’est le retour au pays de tous ceux qui sont exilés à Babylone ; ils ont vécu les atrocités du siège de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor ; et maintenant, l’Exil n’en finit pas ! Cinquante années, de quoi perdre courage. Ce n’est pas par hasard qu’Isaïe leur dit « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : Soyez forts, ne craignez pas ». Pendant ces cinquante années, on a rêvé de ce retour, sans oser y croire. Et voilà que le prophète dit « c’est pour bientôt » : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête ». (verset 10).
LE DESERT FLEURIRA
Pour rentrer au pays, le chemin le plus direct entre Babylone et Jérusalem traverse le désert d’Arabie ; mais cette traversée du désert, Isaïe la décrit comme une véritable marche triomphale… mieux, une procession grandiose : le désert se réjouira, le pays aride exultera et criera de joie, il « jubilera » dit même le texte hébreu… Le désert sera beau… et alors là on pense à ce qui est le plus beau au monde pour un habitant de la Terre Sainte à l’époque : ce qui est le plus beau au monde, ce sont les montagnes du Liban, les collines du Carmel, la plaine côtière de Sarône ! Alors on dit : le désert sera aussi beau et luxuriant que ces trois paysages réputés pour leur beauté ! Beau comme les montagnes du Liban, beau comme les collines du Carmel, beau comme la plaine côtière de Sarône… 1
Et tout cela sera l’œuvre  de Dieu : « Il vient lui-même et va vous sauver… » ; c’est cette œuvre de salut que le prophète appelle « la gloire de Dieu ». Il dit : « On verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu. » Et Isaïe continue : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête ». Au verset précédent, ceux que le SEIGNEUR a libérés, Isaïe les appelle les « rachetés ».
La Loi juive prévoyait une règle qu’on appelait le « rachat » : lorsqu’un débiteur était obligé de vendre sa maison ou son champ pour payer ses dettes, son plus proche parent (on l’appelait le « Go’el ») payait le créancier à sa place et le débiteur gardait donc sa propriété (Lv 25,25) ; si le débiteur avait été obligé de se vendre lui-même comme esclave à son créancier parce qu’il ne possédait plus rien, de la même manière son plus proche parent (le « Go’el ») intervenait auprès du créancier pour libérer le débiteur, on disait qu’il le « revendiquait ». Il y avait bien un aspect financier, mais il était secondaire : ce qui comptait avant tout, c’était la libération du débiteur.
Le génie d’Isaïe a été d’appliquer ces mots à Dieu lui-même pour nous faire comprendre deux choses : premièrement, Dieu est notre plus proche parent ; deuxièmement, il veut nous libérer de tout ce qui nous emprisonne. Cela devrait nous guérir à tout jamais d’un contresens trop fréquent sur le mot « rachat ». Car, nous le savons désormais,  le mot « rachetés », dans la Bible, veut dire « libérés » ; tout comme le mot « rédemption » signifie « libération ».
Et c’est pourquoi nous chantons si volontiers « Alleluia » qui veut dire « Dieu nous a amenés de la servitude à la libération ».
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Note
Le Liban est le pays voisin au Nord d’Israël, il est réputé pour ses forêts de cèdres. En Israël même, le Carmel, au Nord-Ouest, est la petite chaîne montagneuse la plus boisée du pays. Le Sarône est la plaine fertile qui borde la Méditerranée entre le Carmel et Jaffa.

PSAUME – 145 (146), 7-8. 9-10

7  Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8  Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.

9  Le SEIGNEUR protège l’étranger.
il soutient la veuve et l’orphelin.
10   D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera

UN PSAUME TOUT IMPREGNE DE LA JOIE DU RETOUR AU PAYS
Nous n’avons lu ici que quatre versets de ce psaume qui en comporte dix et nous n’avons donc pas entendu les Alleluia du premier et du dernier versets. Pour être ainsi encadré par le mot « Alleluia » qui signifie littéralement « Louez Dieu », ce psaume est tout entier un chant de louange et de reconnaissance. Il a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré.
Le Temple avait été détruit en 587 av. J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av. J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. Vous savez que cela n’a pas été sans mal, de graves dissensions étant apparues entre ceux qui rentraient au pays, pleins d’ardeur et ceux qui s’y étaient installés entre temps. Il a fallu l’énergie et l’obstination des prophètes Aggée et Zacharie pour que les travaux soient quand même menés à bien : ils ont duré de 520 à 515 sous le règne de Darius. La dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les Lévites et le reste des rapatriés célébrèrent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu ». (Esd 6,16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : déjà au moment de l’Exode et de la sortie d’Egypte, et maintenant, avec la sortie de Babylone, il a relevé son peuple, il l’a « vengé » au sens où l’entend Isaïe (voir la première lecture). Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ». Au cours de sa marche au désert, pendant l’Exode, Dieu lui avait envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et c’est ainsi que, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ce n’était pas l’idée que l’on se faisait spontanément du Créateur de l’univers et il a bien fallu toute la révélation biblique pour accepter cette représentation surprenante de Dieu : c’est l’honneur et la fierté du peuple d’Israël d’avoir révélé à l’humanité le Dieu d’amour et de miséricorde ; « miséricorde », cela veut dire « des entrailles qui vibrent à la souffrance ». Vous vous souvenez peut-être de cette phrase superbe que nous avions lue il y a quelques semaines dans le livre du Siracide « Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18 lu dans le commentaire de la première lecture du trentième dimanche ordinaire de l’année C). Notre psaume ne dit pas autre chose : « Le SEIGNEUR soutient la veuve et l’orphelin ».
UN EXEMPLE A IMITER
A son tour, le peuple était invité à imiter Dieu, à se conduire avec la même miséricorde vis-à-vis de tous les opprimés de toute sorte. Et vous savez bien que, pour éduquer le peuple à se conformer peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d’Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. Quant aux prophètes, c’est sur ces critères-là entre autres qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance.
A un autre niveau de lecture, au fur et à mesure qu’il vit dans l’Alliance avec Dieu, le peuple croyant découvre peu à peu que Dieu le transforme en profondeur : « Aux affamés, il donne le pain », le pain matériel, oui… mais il y a au cœur  de chacun d’entre nous une faim plus profonde ; à ces affamés-là, Dieu donne le pain de sa parole… « Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles » ; il y a des aveuglements d’un autre ordre et beaucoup plus graves en définitive ; à ceux-là aussi, Dieu ouvre les yeux. « Le SEIGNEUR délie les enchaînés », il y a d’autres chaînes que celles des prisons, les chaînes de la haine, de l’orgueil, de la jalousie… et le croyant peut témoigner que Dieu peu à peu, le délivre de son cœur  de pierre.
Alors on comprend que ce psaume soit encadré par des Alleluia ; je vous rappelle le sens que la tradition juive attache à ce simple mot « Alleluia » : « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la rédemption. C’est pourquoi, chantons devant lui l’Alleluia » 1.
Bien sûr, les Chrétiens relisent ce psaume en l’appliquant à Jésus-Christ : non seulement il a nourri ses contemporains en multipliant pour eux les pains ; mais désormais il offre à chaque génération de baptisés le pain de son eucharistie ; c’est lui aussi qui a affirmé « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. » (Jn 8,12). C’est en lui, enfin, que l’humanité peut accéder pleinement à la liberté et à la vie ; sa résurrection est la preuve que la mort biologique n’enchaîne pas les baptisés : « le SEIGNEUR délie les enchaînés. »
Dernière remarque sur ce psaume : la Bible affirme que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu ; il nous arrive de nous demander en quoi. Nous avons ici au moins une réponse et un encouragement : la réponse, c’est chaque fois que nous intervenons en faveur d’un malheureux, quel qu’il soit, aveugle, sourd ou muet, prisonnier, étranger, nous sommes l’image de Dieu.
L’encouragement c’est : chaque fois que vous avez fait quelque chose pour le plus petit d’entre les miens, vous avez hâté le jour du Règne de Dieu… Vous connaissez l’histoire de cette catéchumène découvrant le récit de la multiplication des pains par Jésus et demandant « pourquoi ne le fait-il pas aujourd’hui pour tous les affamés du monde ? » Après un petit silence, elle avait murmuré : « Il compte peut-être sur nous pour le faire ?… »
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Note
1 – Ce commentaire à propos de la Pâque juive se trouve dans le Talmud qui regroupe de nombreux commentaires des rabbins. Le Talmud comprend deux grandes parties : la Mishnah et la Gemara. Voici la référence du commentaire de l’Alleluia : Mishnah ; Pesahim V, 5.

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Jacques 5, 7-10

7 Frères,
en attendant la venue du Seigneur,
prenez patience.
Voyez le cultivateur :
il attend les fruits précieux de la terre avec patience,
jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive.
8 Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme
car la venue du Seigneur est proche.
9 Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres,
ainsi vous ne serez pas jugés.
Voyez : le Juge est à notre porte.
10 Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience
les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

DANS L’ATTENTE DE LA VENUE DU SEIGNEUR
Il y avait au moins trois Jacques dans l’entourage proche de Jésus : le premier, c’est Jacques, frère de Jean et fils de Zébédée (c’est celui qu’on retrouve avec Jean (et Pierre) à la Transfiguration et à Gethsémani) ; Jésus avait surnommé les deux frères « fils du tonnerre », ce qui nous laisse imaginer pour le moins un caractère volcanique ! Celui-ci, nous l’appelons Jacques le Majeur ; c’est lui que l’on prie à Saint Jacques de Compostelle… Le second, c’est Jacques, fils d’Alphée, lui aussi membre du groupe des Douze apôtres ; et enfin le troisième, c’est Jacques, cousin de Jésus, (on disait frère de Jésus) qui fut l’un des premiers responsables de la communauté de Jérusalem. Généralement c’est à ce dernier qu’on attribue la lettre qu’on appelle de Saint Jacques ; mais on n’est sûr de rien.
En tout cas, on retrouve dans cette lettre un thème qui était habituel pour les premières générations chrétiennes, celui de l’attente : l’horizon, pour lui, la perspective si vous préférez, c’est la venue du Seigneur. Déjà dans les lettres de Saint Paul, nous avons souvent remarqué qu’il avait sans cesse les yeux tournés vers le but à atteindre, l’accomplissement définitif du projet de Dieu.
Je remarque au passage que, paradoxalement, c’est au début de la prédication chrétienne qu’on était le plus désireux de voir la fin du monde… peut-être parce que la vue du Christ ressuscité en avait donné un avant-goût ?
Mais, dans cette attente, Jacques recommande la patience : il y insiste quatre fois dans ces quelques lignes ; et si je le comprends bien, patience rime avec espérance : « En attendant la venue du Seigneur, prenez patience » : l’espérance, c’est la certitude de la venue du Seigneur, une certitude telle qu’elle nous tient en éveil, tendus vers ce but comme on l’est dans une course selon une comparaison habituelle chez Paul.
Cette course est une course de fond, nous dit Jacques, il y faut du souffle : le verbe grec que Jacques emploie ici et qui a été traduit par « prenez patience » signifie justement « avoir le souffle long »… Il faut croire que le délai de ce qu’on appelait la parousie, l’avènement définitif du Royaume de Dieu, était vécu comme une épreuve d’endurance… Au tout début, après la Résurrection du Christ et son Ascension, on a cru que son retour glorieux était pour très bientôt ; et puis, les années passant, il a bien fallu s’installer dans la durée. C’est là que l’espérance est devenue une affaire de patience : on pourrait dire peut-être que l’espérance, c’est la foi à l’épreuve du temps… (quand l’attente est devenue une course de fond).
Une course de fond, cela demande du souffle, et le souffle, demandez aux coureurs, aux chanteurs, ou aux flûtistes, il y faut de l’entraînement. Pour leur entraînement, Jacques donne deux modèles à ses chrétiens : la sagesse du cultivateur, le courage du prophète. D’année en année, le cultivateur a appris le retour des saisons : il sait que « Dieu donne en son temps la pluie pour la terre » comme dit le livre du Deutéronome (Dt 11,14).
LE SOUFFLE DES PROPHETES
Quant aux prophètes, tous ont eu à affronter l’hostilité de ceux à qui ils annonçaient ce qui était pourtant la parole de salut. Ils ont tous dû apprendre la fermeté et la patience pour rester fidèles à leur mission. La communauté chrétienne de Saint Jacques a elle aussi une mission prophétique qui ressemble à une épreuve d’endurance ; il lui faut du souffle, il lui faut aussi un coeur solide ; Jacques répète : « tenez ferme », l’expression exacte, c’est « Affermissez votre coeur ».
Curieusement, dans le verset suivant, que nous n’avons pas entendu aujourd’hui, Jacques cite un modèle d’endurance de l’Ancien Testament ; et qui choisit-il ? Job ; c’est la seule et unique fois où le Nouveau Testament cite le personnage de Job, cela mérite donc d’être souligné. « Voyez : nous proclamons heureux ceux qui tiennent bon. Vous avez entendu dire comment Job a tenu bon, et vous avez vu ce qu’à la fin le Seigneur a fait pour lui, car le Seigneur est tendre et miséricordieux. » (Jc 5,11). Sous-entendu, si vous êtes aussi patients que lui, et fermes dans votre espérance, vous aussi vous rencontrerez le Seigneur comme Job l’a rencontré.
Concrètement, c’est dans leurs relations mutuelles que les Chrétiens ont à remplir une mission prophétique : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » avait dit Jésus (Jn 13,35). Jacques dit quelque chose d’analogue : « Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. » Ce qui, évidemment, nous renvoie à une autre phrase de Jésus : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » (Mt 7,1 ; Lc 6,37) sous-entendu Dieu seul est juge. Et d’ailleurs la traduction plus littérale dit « ne vous posez pas en juges » ce qui montre mieux que juger c’est usurper un droit qui ne nous appartient pas. Apparemment, ce rappel n’était pas superflu car, dans sa lettre, Jacques y revient plusieurs fois : « Ne médisez pas les uns des autres » ou bien encore « Qui es-tu, toi, pour juger ton prochain ? » (Jc 4,11-12).
Jacques emploie l’expression « Le Juge est à votre porte » : tout d’abord c’est une image, car effectivement, dans les temps anciens, les juges siégeaient aux portes des villes, ils n’étaient pas dans la ville. Ensuite, cela veut dire deux choses : premièrement, la venue du Seigneur sera l’heure du Jugement, sous-entendu « vivez dans cette perspective » ; et là nous retrouvons bien les thèmes prophétiques, en particulier, la prédication de Jean-Baptiste ; deuxièmement, le Juge, ce n’est pas vous. C’est le Seigneur, lui qui regarde le coeur et non les apparences, lui qui seul peut sonder les reins et les coeurs… le vrai moissonneur qui ne précipite pas la moisson de peur de déraciner le blé avec l’ivraie (Mt 13,29).
La leçon est valable pour nous : d’un côté, nous sommes si bien installés dans la durée que nous manquons peut-être du souffle qui fait les prophètes ; mais de l’autre, nous nous posons parfois en juges, ce qui n’est pas notre métier, ou notre vocation, si vous préférez, et nous risquons de confondre l’ivraie et le bon grain. Décidément, l’histoire de la paille et de la poutre est de tous les temps !

EVANGILE – selon Saint Matthieu 11, 2-11

En ce temps-là,
2 Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison,
des œuvres réalisées par le Christ.
Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda :
3 « Es-tu celui qui doit venir,
ou devons-nous en attendre un autre ? »
4 Jésus leur répondit :
« Allez annoncer à Jean
ce que vous entendez et voyez :
5 Les aveugles retrouvent la vue,
et les boiteux marchent,
les lépreux sont purifiés,
et les sourds entendent,
les morts ressuscitent,
et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.
6 Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
7 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient,
Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean :
« Qu’êtes-vous allés regarder au désert ?
un roseau agité par le vent ?
8 Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ?
un homme habillé de façon raffinée ?
Mais ceux qui portent de tels vêtements
vivent dans les palais des rois.
9  Alors, qu’êtes-vous allés voir ?
un prophète ?
Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.
10 C’est de lui qu’il est écrit :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour préparer le chemin devant toi.
11 Amen, je vous le dis :
Parmi ceux qui sont nés d’une femme,
personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ;
et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux
est plus grand que lui. »

LES ETRANGES MANIERES DU NAZAREEN
Dimanche dernier, l’évangile nous a présenté Jean-Baptiste baptisant dans le Jourdain tous ceux qui venaient à lui. Il disait : « Quelqu’un vient après moi ». Et il semble bien que lorsque Jésus lui a demandé le baptême, Jean-Baptiste a reconnu en lui le Messie que tout le monde attendait. Et puis les mois ont passé.
Jean-Baptiste a été mis en prison par Hérode. Les historiens de l’époque situent cet emprisonnement autour de l’année 28 et Saint Matthieu dans son évangile dit que c’est à partir de ce moment-là que Jésus a commencé véritablement sa prédication. Il a quitté la région du Jourdain et est parti vers le Nord en Galilée. C’est là qu’il a commencé sa vie publique. Matthieu nous rapporte toute une série de discours, y compris le fameux discours sur la montagne, les Béatitudes, et puis des actes : des quantités de guérisons d’abord, mais aussi des manières d’être un peu étranges ; par exemple, Jésus s’est entouré de disciples, pas tous très recommandables (il y avait un publicain) et plutôt disparates. Sur le plan religieux (comme sur le plan politique) ils n’étaient pas tous du même bord, c’est le moins qu’on puisse dire…
Et puis pour un prophète, il n’était pas très ascète ! Jean-Baptiste en était un, tout le monde admirait cela au moins. Jésus, lui, mangeait et buvait comme tout le monde mais plus grave encore, il s’affichait avec n’importe qui. Le plus décevant dans tout cela, c’est que Jésus lui-même ne revendiquait pas le titre de messie : il ne cherchait pas le pouvoir, d’aucune manière.
Dans sa prison, Jean-Baptiste entendait parler de tout ce qui se passait : il faut savoir que la détention dans les prisons antiques n’était pas nécessairement inhumaine. On a de nombreux exemples de relations des prisonniers avec l’extérieur et dans la prison. On peut donc très bien imaginer que les disciples le tenaient au courant des faits et gestes du Nazaréen. Si bien que Jean-Baptiste se posait des questions.
Et il a fini par se demander : est-ce que je me serais trompé de Messie ? Donc il envoie des disciples à Jésus avec une question : le Messie, c’est toi, oui ou non ? La question de Jean-Baptiste est réellement cruciale, pour Jean-Baptiste bien sûr puisqu’il la pose, mais aussi pour Jésus. Lui aussi a été obligé de se la poser très certainement et plusieurs fois dans sa vie, il a eu des choix à faire ; (l’épisode des Tentations, par exemple, le dit clairement).
Cette question au fond c’est : le Messie, on est tous sûrs qu’il va venir. On sait qu’il apportera à tous le salut : mais comment sera-t-il ? Il y avait deux sortes de textes dans l’Ecriture pour annoncer le Messie : les textes qui parlaient de ses œuvres , les textes qui parlaient de ses titres. Pour les titres, certains le présentaient comme un roi, d’autres comme un prophète, d’autres comme un prêtre. Jésus ne cite aucun des textes sur les titres du messie, il n’en revendique aucun, une fois encore.
UN MESSIE SELON LES VUES DE DIEU
En revanche, il cite bout à bout plusieurs textes qui parlaient des œuvres  du Messie : « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. »1
Jésus ne répond donc pas par oui ou par non à la question de Jean-Baptiste. Il cite les prophéties que Jean-Baptiste connaissait comme tout le monde et il lui dit en quelque sorte  : vérifie par toi-même si c’est bien cela que je suis en train de faire. Sous-entendu : oui, je suis bien le Messie, le vrai Fils de Dieu, tu ne t’es pas trompé. Seulement si tu es surpris, choqué par mes manières de faire, c’est qu’il te reste à découvrir le Vrai visage de Dieu… un Dieu avec les hommes au service de l’homme. Ce n’était pas comme cela qu’on l’imaginait.
Enfin, Jésus termine sa phrase par un mot d’admiration et d’encouragement pour le prisonnier « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » Car Jean-Baptiste nous donne un exemple en quelque sorte : au lieu d’entretenir son doute en ruminant les bribes d’informations qu’il a reçues, au lieu de se faire sa propre opinion sur Jésus, Jean-Baptiste a pris le chemin direct en envoyant à Jésus lui-même quelques-uns de ses disciples… Par cette démarche, Jean-Baptiste manifeste qu’il n’a pas perdu confiance. La foi, il l’a toujours, et il demande à Jésus lui-même de l’éclairer. Bienheureux homme qui reste debout même dans le doute !
Alors Jésus demande à ses auditeurs : en fait, pourquoi êtes-vous allés là-bas, pour faire du tourisme, pour rêver ? Non, dit-il, sans le savoir peut-être, vous êtes allés vers le plus grand des prophètes, celui qui dit la parole finale de l’Ancien Testament : celui que Dieu envoie comme messager pour ouvrir la voie au Messie2. C’est lui que la Bible avait plusieurs fois annoncé et qu’on appelle le précurseur, celui qui court devant pour ouvrir la route. Il est le plus grand des prophètes parce qu’il apporte le message décisif : ça y est, la promesse de Dieu se réalise. Mais Jésus ajoute : « cependant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste ! »
Parole étrange, mais qui dit bien qu’avec la venue de Jésus, l’histoire humaine vient de basculer : Jean-Baptiste n’est que le porteur d’un message et le contenu de ce message le dépasse infiniment. Ce qu’il ne sait pas et que le plus petit des disciples de Jésus va découvrir, c’est le contenu du message : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ».
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Notes
1 – Jésus fait référence à plusieurs paroles d’Isaïe : en particulier Is 35,5-6 qui fait partie de notre première lecture et Is 61,1 : « L’esprit du SEIGNEUR Dieu est sur moi parce que le SEIGNEUR m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé… »
2 – Le prophète Malachie annonçait de la part de Dieu : « Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi. » (Ml 3,1).

ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DU PROPHETE AMOS, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, PSAUME 145

Dimanche 25 septembre 2022 : 26ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 25 septembre 2022 :

26ème dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Amos 6, 1…7

Ainsi parle le SEIGNEUR de l’univers :
1 Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion,
et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
4 Couchés sur des lits d’ivoire,
vautrés sur leurs divans,
ils mangent les agneaux du troupeau,
les veaux les plus tendres de l’étable ;
5 ils improvisent au son de la harpe,
ils inventent, comme David, des instruments de musique ;
6 ils boivent le vin à même les amphores,
ils se frottent avec des parfums de luxe,
mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël !
7 C’est pourquoi maintenant ils vont être déportés,
ils seront les premiers des déportés ;
et la bande des vautrés n’existera plus.

LES FAUSSES SECURITES
Dans la Bible, Amos est le premier prophète « écrivain », comme on dit, c’est-à-dire qu’il est le premier dont il nous reste un livre. D’autres grands prophètes antérieurs sont restés très célèbres : Elie par exemple ou Elisée, ou Natan… mais on ne possède pas leurs prédications par écrit. On a seulement des souvenirs de leur entourage. Amos a prêché vers 780–750 av. J.C. Combien de temps ? On ne le sait pas. Il a certainement été amené à dire des choses qui n’ont pas plu à tout le monde puisqu’il a fini par être expulsé sur dénonciation au roi. Vous vous rappelez que, originaire du Sud, il a prêché dans le Nord à un moment de grande prospérité économique. La semaine dernière, nous avions lu, déjà, un texte de lui, reprochant à certains riches de faire leur richesse au détriment des pauvres. Il suffit de lire le passage d’aujourd’hui pour imaginer le luxe qui régnait en Samarie : « Couchés sur des lits d’ivoire, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe… ils se frottent avec des parfums de luxe… ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël »… la politique de l’autruche, en somme. Les gouvernants ne savent pas ou ne veulent pas savoir qu’une terrible menace pèse sur eux. « Ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ».
Il est vrai que, a posteriori, l’histoire nous apprend que cette confortable inconscience a été durement secouée quelques années plus tard. « Ils vont être déportés, ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus. » C’est très exactement ce qui s’est passé. On n’a pas écouté ce prophète de malheur qui essayait d’alerter le pouvoir et la classe dirigeante, et même on l’a fait taire en se débarrassant de lui. Mais ce qu’il craignait est arrivé.
C’est donc aux riches et aux puissants, aux responsables que le prophète Amos s’adresse ici. Que leur reproche-t-il au juste ? C’est la première phrase qui nous donne la clé : « Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. » Manière de dire : vous êtes bien au chaud, tout contents dans votre confort et même votre luxe… eh bien moi, je ne partage pas votre inconscience, je vous plains. Je vous plains parce que vous n’avez rien compris : vous êtes comme des gens qui se mettraient sous leur couette pour ne pas voir le cyclone arriver. Le cyclone, ce sera l’écroulement de toute cette société, quelques années plus tard, l’écrasement par les Assyriens, la mort de beaucoup d’entre vous et la déportation de ceux qui restent… « Je vous plains », dit sur ce ton-là, c’est quelque chose qu’on n’aime pas entendre !
« Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie »… Mais, où est le mal ? Le mal, c’est de fonder sa sécurité sur ce qui passe : quelques succès militaires passagers, la prospérité économique, et les apparences de la piété… pour ne pas déplaire à Dieu et à son prophète. Ils se vantent même de leurs réussites, ils croient en avoir quelque mérite, alors que tout leur vient de Dieu. Or la seule sécurité d’Israël, c’est la fidélité à l’Alliance… C’est la grande insistance de tous les prophètes : rappelez-vous Michée (qui prêchera quelques années plus tard à Jérusalem) : « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. » (Mi 6,8).
MARCHER HUMBLEMENT AVEC TON DIEU
C’est juste le contraire à Samarie ; pire encore, ils sont hypocrites : quand ils offrent des sacrifices, ils transforment le repas qui suit en beuverie… car les repas que Amos décrit sont probablement des repas sacrés, comme il y en avait après certains sacrifices. Maintenant, ces repas sont sacrilèges, et n’ont plus grand chose à voir avec l’Alliance.
Ce qui fait la difficulté de ce passage, c’est sa concision : car, pour comprendre ces quelques lignes, il faut avoir en tête la prédication prophétique dans son ensemble ; la logique d’Amos, comme celle de tous les prophètes est la suivante : le bonheur des hommes et des peuples passe inévitablement par la fidélité à l’Alliance avec Dieu ; et fidélité à l’Alliance veut dire justice sociale et confiance en Dieu. Dès que vous vous écartez de cette ligne de conduite, tôt ou tard, vous êtes perdus.
C’est précisément sur ces deux points que Amos a des choses à redire : la justice sociale, on sait ce qu’il en pense, il suffit de relire le chapitre de la semaine dernière où il reprochait à certains riches de faire leur fortune sur le dos des pauvres ; et dans le texte d’aujourd’hui, les repas de luxe qu’on nous décrit ne profitent évidemment pas à tout le monde ; quant à Dieu, on n’a plus besoin de lui… croit-on ; pire, on fait des simulacres de cérémonie ; comme le dit Isaïe : « Ce peuple s’approche de moi en me glorifiant de la bouche et des lèvres, alors que son cœur est loin de moi » (Is 29,13). Il est probable qu’Amos, ce prophète venu d’ailleurs, puisqu’il venait du Sud, avait le regard d’autant plus aiguisé sur les faiblesses du royaume du Nord ; car au Sud, on ne connaissait pas encore une période aussi faste, et on conservait encore le style de vie des origines d’Israël ; tandis qu’au Nord, nous avons vu la semaine dernière que le règne de Jéroboam II était une période plus brillante. Mais la croissance économique exigeait une grande vigilance dans la transformation de la société. Malheureusement on s’éloignait de plus en plus de l’idéal des origines : au début, la Loi défendait l’égalité entre tous les citoyens et prévoyait donc la distribution égale de la terre entre tous. Or Samarie se couvrait de palais luxueux, construits par certains aux dépens des autres ; quand on s’était bien enrichi, grâce au commerce florissant, par exemple, on avait vite fait d’exproprier un petit propriétaire ; et nous avons vu que certains plus pauvres en étaient réduits à l’esclavage ; c’était notre texte de dimanche dernier.
L’archéologie apporte d’ailleurs sur ce point des précisions très intéressantes : alors qu’au dixième siècle, les maisons étaient toutes sur le même modèle et représentaient des trains de vie tout-à-fait identiques, au huitième siècle, au contraire, on distingue très bien des quartiers riches et des quartiers pauvres. Fini le bel idéal de la Terre Sainte, avec une société sans classes.
A bon entendeur, salut : si nous voulons être fidèles aujourd’hui à ce que représentait pour les hommes de la Bible l’idéal de la terre sainte, il nous est bon de relire le prophète Amos.
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N.B. Les exégètes pensent que le verset 1a qui concerne Jérusalem est postérieur ; il serait une adaptation pour Jérusalem d’un texte écrit pour Samarie.

PSAUME – 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10

6 Le SEIGNEUR garde à jamais sa fidélité,
7 il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8 Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes,
9 le SEIGNEUR protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
10 D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

CHANTE, O MON AME, LA LOUANGE DU SEIGNEUR !
Cette litanie superbe n’est qu’une partie du psaume 145/146 ; et, malheureusement, la liturgie de ce dimanche ne nous fait pas entendre les Alleluia qui l’encadrent dans le texte hébreu. (On l’appelle un « Psaume alleluiatique »). C’est dire que nous sommes, comme dimanche dernier, en face d’un psaume de louange. Et la première strophe, c’est « Chante, ô mon âme, la louange du SEIGNEUR ! Je veux louer le SEIGNEUR tant que je vis, chanter mes hymnes pour mon Dieu tant que je dure. »
Qui parle au juste dans ce psaume ? Vous avez entendu : ce sont des opprimés, des affamés, des aveugles, des accablés, des étrangers, des veuves, des orphelins qui reconnaissent la sollicitude de Dieu pour eux. En réalité, c’est le peuple d’Israël qui parle de lui-même : c’est sa propre histoire qu’il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; il a connu toutes ces situations : l’oppression en Egypte, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Israël a connu la faim, aussi, dans le désert et Dieu a envoyé la manne et les cailles.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide (« Dieu aime les justes »). C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. »
Ce nom « SEIGNEUR » qui revient si souvent, de manière litanique, c’est la traduction de ce fameux NOM de Dieu en 4 lettres que l’on appelle « Le Tétragramme » : « YHVH » qui dit sa présence agissante et libératrice. Le verset qui précède ceux d’aujourd’hui les résume tous : « Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR (YHVH) son Dieu » : le secret du bonheur, c’est de s’appuyer sur Dieu, c’est-à-dire d’attendre tout de Lui, et de Lui seul. Là on voit bien pourquoi ce psaume a été choisi pour ce dimanche en réponse au texte d’Amos. Surtout, disait Amos aux gens de Samarie, faites attention à bien placer votre confiance : méfiez-vous des fausses sécurités. Dieu seul est digne de confiance.
APPRENDRE A LUI FAIRE CONFIANCE
En écho, je vous relis quelques autres versets de ce psaume : « Ne comptez pas sur les puissants, (ce ne sont que) des fils d’homme qui ne peuvent sauver ! Leur souffle s’en va, ils retournent à la terre ; et ce jour-là, périssent leurs projets. Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR son Dieu ».
Reconnaître notre dépendance fondamentale et la vivre en toute confiance parce que Dieu n’est que bienveillant… C’est la définition de la foi tout simplement. C’est le secret du bonheur, nous disent les prophètes. Je reprends l’épisode de la manne dont je parlais tout-à-l’heure : vous vous souvenez : en plein désert, ils avaient faim et Dieu avait envoyé la manne ; cette espèce de mince pellicule blanche qui recouvrait le sol… et Moïse avait bien dit : chacun ramasse le nécessaire pour la journée et rien de plus … les petits malins qui croyaient pouvoir faire des provisions voyaient le surplus se gâter… on était obligé d’en laisser pour les autres et de se contenter de son nécessaire… (on se prend à rêver : si nos sociétés fonctionnaient comme cela …?)
Mais surtout, plus tard, ils ont compris que de cette manière Dieu leur avait enseigné la confiance : il leur a appris à vivre au jour le jour sans s’inquiéter du lendemain… parce que ce lendemain lui appartient à lui, tout simplement, et pas à nous. Il ne faut jamais perdre de vue l’expérience unique dont les fils d’Israël ont eu le privilège : tout au long de leur combat pour la liberté, ils ont éprouvé à leurs côtés la présence de celui qu’ils ont reconnu comme leur SEIGNEUR. Et c’est lui qui les a emmenés toujours plus loin dans la recherche de la liberté et de la justice pour tous. Et des phrases comme « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, aux affamés, il donne le pain, Le SEIGNEUR délie les enchaînés, Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles, Le SEIGNEUR redresse les accablés, Le SEIGNEUR aime les justes, Le SEIGNEUR protège l’étranger, il soutient la veuve et l’orphelin » résonnent pour eux comme des appels à plus de justice, plus de respect et de défense des petits et des faibles. Il en va pour eux du respect de l’Alliance. Si on y regarde de plus près, on constate que la Loi d’Israël n’a pas d’autre objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui. C’est sur ce long chemin de libération que Dieu mène inlassablement son peuple.
A notre tour, il nous est bon de relire ce psaume : non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’œuvre  de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : si Dieu a agi ainsi envers Israël, à notre tour, nous qui sommes héritiers de ce long chemin d’Alliance, nous sommes tenus d’en faire autant pour les autres.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul à Timothée 6,11-16

11 Toi, homme de Dieu,
recherche la justice, la piété, la foi, la charité,
la persévérance et la douceur.
12 Mène le bon combat, celui de la foi,
empare-toi de la vie éternelle !
C’est à elle que tu as été appelé,
c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi
devant de nombreux témoins.
13 Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à tous les êtres,
et en présence du Christ Jésus
qui a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation,
voici ce que je t’ordonne :
14 garde le commandement du Seigneur,
en demeurant sans tache, irréprochable
jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ.
15 Celui qui le fera paraître aux temps fixés, c’est Dieu,
Souverain unique et bienheureux,
Roi des rois et Seigneur des seigneurs,
16 lui seul possède l’immortalité,
habite une lumière inaccessible ;
aucun homme ne l’a jamais vu,
et nul ne peut le voir.
À lui, honneur et puissance éternelle. Amen.

OSER AFFIRMER NOTRE FOI
On ne peut pas rêver une synthèse plus complète de tout ce qui fait la foi et la vie du Chrétien. En même temps on est surpris par la solennité des formules de Paul : par exemple « En présence de Dieu et en présence du Christ Jésus, voici ce que je t’ordonne ». Pourquoi Paul dessine-t-il cette espèce de fresque ?
A première lecture, on croit entendre les échos de difficultés dans la communauté d’Ephèse où Timothée avait des responsabilités : « Mène le bon combat, celui de la foi ». Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul avait déjà parlé du « combat » pour la foi. Voici un verset du chapitre 1 : « Voici la consigne que je te transmets, Timothée mon enfant, conformément aux paroles prophétiques jadis prononcées sur toi : livre ainsi la bonne bataille, en gardant la foi et une conscience droite ; pour avoir abandonné cette droiture, certains ont connu le naufrage de leur foi. » (1 Tm 1,18-19). Il y a donc un combat à mener pour oser affirmer sa foi. L’heure est grave et c’est ce qui explique ce ton solennel : il y va de la fidélité de la jeune communauté chrétienne à son Baptême.
Le passage que nous lisons aujourd’hui est encadré par deux textes tout à fait semblables qui précisent encore mieux les choses : les deux dangers à éviter, ce sont premièrement les fausses doctrines, deuxièmement la recherche des richesses. Sur le premier point, il faut croire qu’il y avait de réels problèmes : (en voici un passage) « Timothée, garde le dépôt de la foi. Tourne le dos aux bavardages impies et aux objections de la pseudo-connaissance : en s’y engageant, certains se sont écartés de la foi. » (1 Tm 6,20-21). Et, dans le même sens, quelques versets plus haut : « Si quelqu’un donne un enseignement différent, et n’en vient pas aux paroles solides, celles de notre Seigneur Jésus Christ, et à l’enseignement qui est en accord avec la piété, un tel homme est aveuglé par l’orgueil, il ne sait rien, c’est un malade de la discussion et des querelles de mots. De tout cela, il ne sort que jalousie, rivalité, blasphèmes, soupçons malveillants, disputes interminables de gens à l’intelligence corrompue, qui sont coupés de la vérité. » (1 Tm 6,3-4). Déjà ce problème était apparu dès le début de la lettre et Paul avait recommandé à Timothée de rester à Ephèse : « Comme je te l’ai recommandé en partant pour la Macédoine, reste à Éphèse pour interdire à certains de donner un enseignement différent ou de s’attacher à des récits mythologiques et à des généalogies interminables : cela ne porte qu’à de vaines recherches, plutôt qu’au dessein de Dieu qu’on accueille dans la foi. » (1 Tm 1,3-4).
Sur le deuxième point, il insiste aussi fort : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être attachés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligé à eux-mêmes des tourments sans nombre. » (1 Tm 6,10).
EN VUE DE LA MANIFESTATION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST.
Voilà les deux pires dangers pour la foi aux yeux de Paul. Timothée, quant à lui, doit rester fidèlement accroché à celle de son baptême. Ce n’est certainement pas un hasard si Paul insiste sur la profession de foi de Timothée lors de son Baptême : « Tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins ». A l’époque de Paul on sait que les Baptêmes étaient administrés devant la communauté tout entière, et, dans le déroulement même du Baptême, la profession de foi était un moment très important… Un peu plus loin, Paul fait référence au témoignage de Jésus dans sa Passion : « Le Christ Jésus a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation » ; sous-entendu, c’est dans le témoignage de Jésus que tu puiseras la force de témoigner à ton tour. Le oui de ton Baptême est enraciné dans le oui du Christ à son Père.
Ce oui du Baptême, c’est une chose, mais, maintenant, il va falloir être capable de le redire au jour le jour. Apparemment, Timothée va avoir besoin de toutes ses forces et c’est pour cela que Paul multiplie les recommandations : « Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle. C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins. » Les armes de ce combat, ce sont la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance, la douceur ; curieux combat dont l’arme principale est la douceur ; le vrai combat de la foi, si l’on en croit Paul, n’a rien à voir avec des guerres de religion : il se vit dans l’amour, la douceur, la persévérance (littéralement la « constance »). Nous l’avons trop souvent oublié… et pourtant l’histoire de toutes les religions montre que les guerres de religion n’ont jamais converti personne.
Enfin, par trois fois, dans ce texte, Paul rappelle quel est le but sur lequel nous devons toujours garder les yeux fixés : dans d’autres lettres de lui, nous avons déjà remarqué que toute sa pensée est orientée vers l’avenir ; entendons-nous bien, il faut écrire le mot à-venir en deux mots ; cet à-venir, il l’appelle « vie éternelle » ou encore « manifestation » (« épiphanie ») du Christ : « Garde le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache, irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ…. Celui qui le fera paraître aux temps fixés (sous-entendu que Dieu seul connaît), c’est Dieu ».
Paul termine ce passage par une sorte de profession de foi, qui est, précisément, ce que Timothée doit continuer à affirmer contre vents et marées, avec douceur mais avec constance et fermeté : Dieu est « le Souverain unique et bienheureux, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, lui seul possède l’immortalité, il habite la lumière inaccessible, personne ne l’a jamais vu, personne ne peut le voir ». On ne peut pas dire plus clairement que Dieu est le Tout-Autre : on ne peut pas mettre la main dessus et prétendre le connaître (comme le font les faux docteurs). Ce dernier paragraphe est superbe : on retrouve un thème très cher à l’Ancien Testament, ce qu’on appelle la transcendance de Dieu : Dieu est hors de notre portée, il est le Tout Autre, nous ne l’atteignons pas par nous-mêmes… Mais il se fait proche. C’est Lui qui « fera paraître le Christ au temps fixé ».

EVANGILE – selon Saint Luc 16, 19-31

En ce temps-là,
Jésus disait aux pharisiens :
19 « Il y avait un homme riche,
vêtu de pourpre et de lin fin,
qui faisait chaque jour des festins somptueux.
20 Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare,
qui était couvert d’ulcères.
21 Il aurait bien voulu se rassasier
de ce qui tombait de la table du riche ;
mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
22 Or le pauvre mourut,
et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham.
Le riche mourut aussi,
et on l’enterra.
23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ;
levant les yeux, il vit Abraham de loin
et Lazare tout près de lui.
24 Alors il cria :
‘Père Abraham, prends pitié de moi
et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau
pour me rafraîchir la langue,
car je souffre terriblement dans cette fournaise.
25 – Mon enfant, répondit Abraham,
rappelle-toi :
tu as reçu le bonheur pendant ta vie,
et Lazare, le malheur pendant la sienne.
Maintenant, lui, il trouve ici la consolation,
et toi, la souffrance.
26 Et en plus de tout cela, un grand abîme
a été établi entre vous et nous,
pour que ceux qui voudraient passer vers vous
ne le puissent pas,
et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.’
27 Le riche répliqua :
‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare
dans la maison de mon père.
28 En effet, j’ai cinq frères :
qu’il leur porte son témoignage,
de peur qu’eux aussi ne viennent
dans ce lieu de torture !’
29 Abraham lui dit :
‘Ils ont Moïse et les Prophètes :
qu’ils les écoutent !
30 – Non, père Abraham, dit-il,
mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver,
ils se convertiront.’
31 Abraham répondit :
‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes,
quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts :
ils ne seront pas convaincus.’ »

QUAND JESUS READAPTE UN CONTE POPULAIRE
Elle est doublement terrible cette dernière phrase : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » ; d’abord elle semble désespérée, comme si rien ne pouvait forcer un cœur  de pierre à changer ! Mais elle est plus terrible encore dans la bouche de Jésus : on peut se demander s’il pense à lui-même en disant cela ? « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts »… ? Et quand Luc écrit son évangile, il ne sait que trop bien que la Résurrection du Christ n’a pas converti tout le monde, loin de là, elle en a même endurci plus d’un.
Venons-en à l’histoire du riche et du pauvre Lazare : le riche, finalement, nous ne savons pas grand chose de lui, même pas son nom ; il n’est pas dit qu’il soit spécialement méchant, au contraire, puisqu’il pensera même plus tard à sauver ses frères du malheur dans l’au-delà. Simplement, il est dans son monde, dans son confort, « dans sa tour d’ivoire », pourrait-on dire, comme les Samaritains dont parlait Amos dans la première lecture. Tellement dans sa tour d’ivoire qu’il ne voit même pas à travers son portail, le mendiant qui crève de faim et qui se contenterait bien de ses poubelles.
Le mendiant, lui, a un nom « Lazare » qui veut dire « Dieu aide » et cela, déjà, est tout un programme : Dieu l’aide, non parce qu’il est vertueux, on n’en sait rien, mais parce qu’il est pauvre, tout simplement. Voilà peut-être la première surprise que Jésus fait à ses auditeurs en leur racontant cette parabole : car, en fait, cette histoire, ils la connaissaient déjà, c’était un conte bien connu, qui venait d’Egypte ; les deux personnages étaient un riche plein de péchés et un pauvre plein de vertus : arrivés dans l’au-delà, les deux passaient sur la balance : et on pesait leurs bonnes et leurs mauvaises actions. Et au fond la petite histoire ne dérangeait personne : les bons, qu’ils soient riches ou pauvres, étaient récompensés… les méchants, riches ou pauvres, étaient punis. Tout était dans l’ordre.
Les rabbins, eux aussi, avant Jésus, racontaient une histoire du même genre, elle aussi bien évidemment empruntée à l’Egypte. Le riche était un fils de publicain pécheur, le pauvre un homme très dévot ; eux aussi passaient sur une balance qui pesait soigneusement les mérites des uns et des autres ; très logiquement, le dévot était reconnu plus méritant que le fils du publicain.
LES VRAIS FILS D’ABRAHAM
Jésus bouscule un peu cette logique : il ne calcule pas les mérites et les bonnes actions ; car, encore une fois, il n’est dit nulle part que Lazare soit vertueux et le riche mauvais ; Jésus constate seulement que le riche est resté riche sa vie durant, pendant que le pauvre restait pauvre, à sa porte : c’est dire l’abîme d’indifférence, ou d’aveuglement si vous préférez, qui s’est creusé entre le riche et le pauvre, simplement parce que le riche n’a jamais entrouvert son portail.
Autre détail qui a son importance dans le récit de Jésus : il n’est pas tout-à-fait exact qu’on ne sait rien du riche ; en fait, on sait comment il était habillé : de pourpre et de lin, ce qui est une allusion évidente aux vêtements des prêtres ! La couleur pourpre qui était primitivement la couleur des vêtements royaux, était devenue la couleur des grands prêtres parce qu’ils servent le roi du monde ; quant au lin c’était le tissu de la tunique du grand prêtre ; là, dans la bouche de Jésus, il y a certainement une petite pointe à l’égard de ses auditeurs : très pieux mais peut-être indifférents à la misère des autres ; Jésus leur dit quelque chose comme « grand-prêtre ou pas, si vous méprisez vos frères, vous ne méritez pas votre titre de fils d’Abraham ».
Car, on l’aura remarqué : Abraham est cité sept fois dans cette page ; c’est donc certainement une clé du texte. Au fond, la question de Jésus c’est « qui est vraiment fils d’Abraham ? » et sa réponse : si vous n’écoutez pas la Loi et les Prophètes, si vous êtes indifférents à la souffrance de vos frères, vous n’êtes pas les fils d’Abraham. Jésus va encore plus loin : le pauvre aurait bien voulu manger les miettes du riche, mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies ; or les chiens étaient des animaux impurs… ce qui fait que même si le riche pieux s’était donné la peine d’ouvrir son portail, il aurait été choqué de toute façon et il aurait fui cet homme impur léché par les chiens… la leçon de Jésus, là encore, c’est « vous attachez de l’importance aux mérites, vous veillez à rester purs, vous êtes fiers d’être les descendants d’Abraham… mais vous oubliez l’essentiel ». Cet essentiel est dit dans la loi et les prophètes ; et là, nous n’avons que l’embarras du choix, dans le livre d’Isaïe par exemple : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : …partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?… Si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres… » (Isaïe 58,6-7.10). Pas besoin de signes extraordinaires pour nous convertir : nous avons la Loi, les Prophètes, les Evangiles : à nous de les écouter et d’en vivre !

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT MARC, LETTRE AUX HEBREUX, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIER LIVRE DES ROIS, PSAUME 145

Dimanche 7 novembre 2021 : 32ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 7 novembre 2021 :

32ème dimanche du Temps Ordinaire

The Widow’s Offering (Luke 21, 1 - 4). Wood engraving, published in 1886.
The Widow’s Offering (Luke 21, 1 – 4). Wood engraving, published in 1886.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – livre du premier livre des Rois 17,10-16

En ces jours-là,
10 le prophète Elie partit pour Sarepta,
et il parvint à l’entrée de la ville.
Une veuve ramassait du bois ;
il l’appela et lui dit :
« Veux-tu me puiser, avec ta cruche,
un peu d’eau pour que je boive ? »
11 Elle alla en puiser.
Il lui dit encore :
« Apporte-moi aussi un morceau de pain. »
12 Elle répondit :
« Je le jure par la vie du SEIGNEUR ton Dieu :
je n’ai pas de pain.
J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine,
et un peu d’huile dans un vase.
Je ramasse deux morceaux de bois,
je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste.
Nous le mangerons, et puis nous mourrons. »
13 Elie lui dit alors :
« N’aie pas peur, va, fais ce que tu as dit.
Mais d’abord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ;
ensuite tu en feras pour toi et ton fils.
14 Car ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d’Israël :
Jarre de farine point ne s’épuisera,
vase d’huile point ne se videra,
jusqu’au jour où le SEIGNEUR
donnera la pluie pour arroser la terre. »
15 La femme alla faire ce qu’Elie lui avait demandé,
et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils
eurent à manger.
16 Et la jarre de farine ne s’épuisa pas,
et le vase d’huile ne se vida pas,
ainsi que le SEIGNEUR l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Elie.

LE PROPHETE ELIE, LE PASSIONNE DE DIEU
Pourquoi le prophète Elie est-il ici, loin de son pays ? Il est prophète du royaume du Nord, et cela se passe ailleurs, à Sarepta, une ville de la côte phénicienne, une région qui, à l’époque, fait partie du royaume de Sidon et pas du tout du royaume d’Israël. En clair, le grand prophète a quitté sa patrie qui est le lieu de sa mission pour se réfugier à l’étranger : il est en exil volontaire, pourrait-on dire. Que se passe-t-il donc dans sa patrie ?
Nous sommes au neuvième siècle av. J.C., puisqu’il s’agit du grand prophète Elie, et, plus précisément sous le règne du roi Achab et de la reine Jézabel (vers 870). Or Jézabel n’est pas une fille d’Israël, elle est la fille du roi de Sidon ; en l’épousant, Achab a pratiqué une politique d’alliance (ce que les rois font souvent) mais il a pris un risque ; car le mariage avec une étrangère (donc païenne) est le premier pas vers l’apostasie, on le sait bien. Voici le palais, la ville, bientôt le peuple, ouverts à l’idolâtrie. Car la jeune reine païenne a apporté avec elle ses coutumes, ses prières, ses statues, ses prêtres ; désormais quatre cents prêtres de ce culte idolâtre paradent au palais et prétendent que Baal est le vrai dieu de la fertilité, de la pluie, de la foudre et du vent. Quant au roi Achab, trop faible, il laisse faire, pire, il trahit sa propre religion et il a poussé l’apostasie jusqu’à construire un temple de Baal dans sa capitale, Samarie.
Pour le prophète Elie et les fidèles du Seigneur, c’est la honte ! Car le premier des commandements était : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ! » C’était le B.A. BA en quelque sorte de l’Alliance avec le Dieu de Moïse : Dieu seul est Dieu, toutes les idoles ne servent à rien.
Evidemment, si Elie jouait son rôle de prophète, il ne pouvait que s’opposer à la reine Jézabel, ce qui n’a pas manqué. Mais comment prouver que les idoles ne sont rien que des statues impuissantes ? C’est à ce moment-là qu’intervint en Israël une grande sécheresse ; Elie saisit l’occasion : vous prétendez que Baal est le dieu de la pluie ? Eh bien moi, Elie, je vais vous montrer que le Dieu d’Israël est l’Unique et que tout, pluie ou sécheresse, vient de lui et de personne d’autre. On va voir ce qu’on va voir.
Notre texte d’aujourd’hui se situe à ce moment-là ; prévenu par Dieu, Elie a déclaré solennellement : « Par la vie du SEIGNEUR, le Dieu d’Israël au service duquel je suis, il n’y aura ces années-ci ni rosée ni pluie sinon à ma parole », traduisez Dieu est le seul maître des éléments, vos Baals n’y peuvent rien. Puis il est parti se mettre à l’abri car Dieu lui a dit : « Va-t-en d’ici, dirige-toi vers l’orient et cache-toi dans le ravin de Kerith, qui est à l’est du Jourdain. Ainsi tu pourras boire au torrent, et j’ai ordonné aux corbeaux de te ravitailler là-bas. » (1 R 17, 3-4). La sécheresse persistant, le torrent cesse de couler et Dieu envoie Elie un peu plus loin, à Sarepta, près de Sidon : « La parole du SEIGNEUR lui fut adressée : Lève-toi, va à Sarepta qui appartient à Sidon, tu y habiteras ; j’ai ordonné là-bas à une femme, à une veuve, de te ravitailler. » Bien sûr, Elie obéit et le voilà à Sarepta.

OSER LA CONFIANCE
Voici donc le grand prophète, mendiant, (téléguidé par Dieu, c’est vrai, mais mendiant quand même) et réduit à demander à une inconnue : « Apporte-moi un morceau de pain » ; la femme, elle aussi, est une pauvre, le texte le dit assez : « Je le jure par la vie du SEIGNEUR ton Dieu : je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous mangerons, et puis nous mourrons. » (Sous-entendu ce sera notre dernier repas, puisque ce sont mes dernières provisions).
Mais puisque Dieu a parlé, il faut oser la confiance ; c’est bien le rôle du prophète de le rappeler : « N’aie pas peur, va, fais ce que tu dis. Mais d’abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi, ensuite tu feras du pain pour toi et ton fils. Car ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le SEIGNEUR donnera la pluie pour arroser la terre. » On sait la suite magnifique, sur le plan théologique autant que littéraire : « Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le SEIGNEUR l’avait annoncé par la bouche d’Elie. »
Mais pour cela, il a fallu que la veuve de Sarepta qui est une païenne joue sa vie (puisqu’elle donne la totalité du peu qui lui reste) sur la parole du Dieu d’Israël. L’intention de l’auteur du texte est claire : le peuple bénéficiaire de toutes les sollicitudes de Dieu ferait bien de prendre exemple sur certains païens ! Alors que le peuple élu crève de faim et de malheur, sur sa terre retombée dans l’idolâtrie, des païens peuvent bénéficier des largesses de Dieu, simplement parce qu’ils ont la foi. Et la femme de Sarepta a même entendu Dieu lui parler (lui ordonnant de ravitailler son prophète) : ce qui revient à dire : la Parole de Dieu, mes frères, résonne aussi en terre païenne, qu’on se le dise ! Plus tard, Jésus ne fera pas plaisir à ses compatriotes en leur rappelant cet épisode (Lc 4,25-26). Dans les textes tardifs de l’Ancien Testament (et le premier livre des Rois en fait partie), des païens sont souvent donnés en exemple : on avait bien compris que le salut de Dieu est promis à l’humanité tout entière et pas seulement à Israël.
La grande leçon de ce passage, enfin, c’est la sollicitude de Dieu pour ceux qui lui font confiance : le prophète qui fait assez confiance pour tenir tête à Achab et Jézabel… la veuve qui prend le risque de se dépouiller du peu qui lui reste… L’un et l’autre sont dans la main de Dieu. L’un et l’autre seront comblés au-delà de leur attente.

 

PSAUME – 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10

Le SEIGNEUR garde à jamais sa fidélité,
7 il fait justice aux opprimés ;
aux affamés il donne le pain.
Le SEIGNEUR délie les enchaînés

8 Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
Le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.
9 Le SEIGNEUR protège l’étranger,

Il soutient la veuve et l’orphelin,
Il égare les pas du méchant.
10 D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

QUAND ISRAEL RELIT SON HISTOIRE
« Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés… accablés… affamés… » Lorsque le peuple d’Israël chante ce psaume, c’est sa propre histoire qu’il raconte. Et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; « opprimés, accablés, affamés », il a connu toutes ces situations : l’oppression en Egypte, pour commencer, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et, plus tard, l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Et ce psaume, d’ailleurs, a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré. Le Temple avait été détruit en 587 av.J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Mais Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour (en 539 av.J.C.) et, dès 538, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. La dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les lévites et le reste des déportés firent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu » (Esd 6, 16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : il a libéré son peuple, il a agi comme son plus proche parent, son vengeur, son « racheteur », comme dit la Bible. Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, Le SEIGNEUR redresse les accablés ».
Israël a connu la faim, aussi, dans le désert, pendant l’Exode, et Dieu a envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour le redressement des accablés et pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide ; (« Dieu aime les justes »).
C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. Ton Dieu, ô Sion, pour toujours. »
Vous avez remarqué l’insistance sur le nom « SEIGNEUR » : ici, il traduit le fameux NOM de Dieu, le NOM révélé à Moïse au Buisson ardent : les quatre lettres « YHVH » qui disent la présence permanente, agissante, libérante, de Dieu à chaque instant de la vie de son peuple.
Je reprends la dernière ligne d’aujourd’hui, « Ton Dieu, ô Sion, pour toujours ». « Le SEIGNEUR est ton Dieu » : dans la Bible, l’expression « mon Dieu » (ou « ton Dieu ») est toujours un rappel de l’Alliance, de toute l’aventure étonnante de l’Alliance entre Dieu et son peuple choisi : Alliance à laquelle Dieu n’a jamais failli.
« Ton Dieu pour toujours » : tout d’abord, une fois de plus, je remarque que la prière d’Israël est tendue vers l’avenir ; elle n’évoque le passé que pour fortifier son attente, son espérance. Et d’ailleurs quand Dieu avait dit son nom à Moïse, il l’avait dit de deux manières : ce fameux nom, imprononçable en quatre lettres, YHVH que nous retrouvons souvent dans la Bible, et en particulier dans ce psaume, et que nous traduisons « le SEIGNEUR » ; mais aussi, et d’ailleurs il avait commencé par là, il avait donné une formule plus développée, « Ehiè asher ehiè » qui se traduit en français à la fois par un présent « Je suis qui je suis » et par un futur « Je serai qui je serai ». Manière de dire sa présence permanente et pour toujours auprès de son peuple.

UN MODELE A IMITER
Ensuite, l’insistance sur le futur, « pour toujours » vise également à fortifier l’engagement du peuple. Il est bien utile de se répéter ce psaume non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : car, en définitive, cet inventaire est aussi un programme de vie : si Dieu a agi ainsi envers Israël, celui-ci se sent tenu d’en faire autant pour les autres ; tous les exclus du monde (et de nos sociétés) ne connaîtront l’amour que Dieu leur porte qu’à travers le comportement de ceux qui en sont les premiers témoins.
D’où l’insistance de la Loi de Moïse et des Prophètes sur ce point. Pour commencer, la Loi était prescrite pour éduquer le peuple à se conformer peu à peu à la miséricorde de Dieu : pour cette raison, elle comportait de nombreuses règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. Parce que Dieu mène inlassablement son peuple, et à travers lui, l’humanité tout entière, sur un long chemin de libération, la Loi n’avait qu’un objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui.
Quant aux prophètes, c’est principalement sur l’attitude par rapport aux pauvres et aux affligés de toute sorte qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance. Si on fait l’inventaire des paroles des prophètes, on est bien obligé d’admettre que leurs rappels à l’ordre portent majoritairement sur deux points (qui nous surprennent peut-être) : une lutte acharnée contre l’idolâtrie, d’une part, (nous l’avons vu avec Elie dans la première lecture) et les appels à la justice et au souci des autres, d’autre part. Jusqu’à oser dire de la part de Dieu : « C’est la miséricorde que je veux, non les sacrifices, la connaissance de Dieu, non les holocaustes. » (Os 6, 6) ; ou encore : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6, 8).
Pour terminer, vous connaissez la phrase du livre de Ben Sirac : « Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35, 18). Le peuple d’Israël en est certain, ce sont toutes les larmes de tous ceux qui souffrent qui coulent sur les joues de Dieu… Mais alors, si nous sommes assez près de Dieu, logiquement, elles devraient couler aussi sur nos joues à nous !… C’est probablement cela, être à son image ?

 

DEUXIEME LECTURE – lettre aux Hébreux 9, 24-28

24 Le Christ n’est pas entré
dans un sanctuaire fait de main d’homme,
figure du sanctuaire véritable ;
il est entré dans le ciel même,
afin de se tenir maintenant pour nous
devant la face de Dieu.
25 Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois,
comme le grand prêtre qui, tous les ans,
entrait dans le sanctuaire
en offrant un sang qui n’était pas le sien ;
26 car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion
depuis la fondation du monde.
Mais en fait, c’est une fois pour toutes,
à la fin des temps,
qu’il s’est manifesté
pour détruire le péché par son sacrifice.
27 Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois,
et puis d’être jugés,
28 ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois
pour enlever les péchés de la multitude ;
il apparaîtra une seconde fois,
non plus à cause du péché,
mais pour le salut de ceux qui l’attendent.

LE LIEU DE LA RENCONTRE
L’auteur de la lettre aux Hébreux, nous l’avons vu depuis plusieurs semaines, s’adresse à des Chrétiens d’origine juive qui ont peut-être quelque nostalgie du culte ancien ; dans la pratique chrétienne, il n’y a plus de temple, plus de sacrifices sanglants ; est-ce bien cela ce que Dieu veut ? Alors notre auteur reprend une à une toutes les réalités, toutes les pratiques de la religion juive et il démontre que tout cela est périmé.
Ici, il s’agit surtout du Temple, appelé le « sanctuaire » ; l’auteur précise : il faut distinguer le vrai sanctuaire dans lequel Dieu réside, c’est-à-dire le ciel même, et le temple construit par les hommes qui n’en est évidemment qu’une pâle copie. Les Juifs étaient particulièrement fiers, et à bon droit, de leur magnifique Temple de Jérusalem. Pour autant, ils n’oubliaient jamais que toute construction humaine reste humaine par définition et donc, faible, imparfaite, périssable. De surcroît, personne non plus en Israël ne prétendait enfermer la présence de Dieu dans un temple, même immense. Le tout premier bâtisseur du temple de Jérusalem, le roi Salomon disait déjà : « Est-ce que vraiment Dieu pourrait habiter sur la terre ? Les cieux eux-mêmes et les cieux des cieux ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j’ai bâtie ! » (1 R 8, 27).
On a donc toujours su, dès l’Ancien Testament, que la Présence de Dieu n’était pas limitée à la Tente de la Rencontre pendant l’Exode, ni, plus tard, au Temple de Jérusalem. Mais on recevait ce lieu de prière comme un cadeau : dans sa miséricorde, Dieu avait accepté de donner à son peuple un signe visible de sa Présence.
Désormais, pour les Chrétiens, le vrai Temple, le lieu où l’on rencontre Dieu n’est plus un bâtiment : l’Incarnation de Jésus-Christ a tout changé : désormais le lieu de rencontre entre Dieu et l’homme, c’est Jésus-Christ, le Dieu fait homme. Sous une autre forme, c’est ce que Saint Jean explique aux lecteurs de son évangile, dans l’épisode des vendeurs chassés du Temple : c’était peu de temps avant la fête juive de la Pâque, Jésus qui était monté à Jérusalem avec ses disciples, s’était permis de chasser de l’enceinte du Temple tous les changeurs de monnaie et les marchands de bestiaux pour les sacrifices. Et Jean, plus tard, avait compris : dans peu de temps tout ceci serait périmé. Un dialogue, ou plutôt une querelle avait commencé entre les Juifs et Jésus : les Juifs lui demandaient : « Quel signe nous montreras-tu pour agir de la sorte ? » (traduisez « au nom de qui peux-tu te permettre de faire la révolution ? ») Et Jésus avait répondu : « Détruisez ce Temple et, en trois jours, je le relèverai. » Plus tard, après la Résurrection, les disciples ont compris : « Le Temple dont il parlait, c’était son corps. » (Jn 2, 13-21).

DIEU PARMI LES HOMMES
Je reviens à notre texte : La lettre aux Hébreux dit la même chose : restons greffés sur Jésus-Christ, nourrissons-nous de son corps, ainsi nous sommes mis en présence de Dieu : lui, il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire véritable et il se « tient devant la face de Dieu » (ce sont les termes que l’on employait pour parler du sacerdoce). « Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. »
Quand y est-il entré ? Par sa mort bien sûr. Une fois de plus, nous voyons la place centrale de la croix dans le mystère chrétien, pour tous les auteurs du Nouveau Testament. Un peu plus loin (He 10), l’auteur de la lettre aux Hébreux précisera que cette mort du Christ n’est que le point d’orgue d’une vie tout entière offerte et que quand on parle de son sacrifice, il faut bien entendre « l’acte sacré que fut toute sa vie » et non pas seulement les dernières heures de la Passion.
Pour l’instant, le texte que nous avons sous les yeux parle seulement de la Passion du Christ et de son sacrifice, sans préciser davantage. Il oppose le sacrifice du Christ à celui qu’offrait le grand-prêtre d’Israël, chaque année au jour du Yom Kippour (littéralement « Jour du Pardon ») : ce jour-là, le grand prêtre entrait seul dans le Saint des Saints : en prononçant le Nom sacré (YHVH) et en répandant le sang d’un taureau (pour ses propres fautes) et celui d’un bouc (pour les fautes du peuple), il renouvelait solennellement l’Alliance avec Dieu. A la sortie du grand prêtre du Saint des Saints, le peuple massé à l’extérieur savait que ses péchés étaient pardonnés. Mais ce renouvellement de l’Alliance était précaire, et il fallait recommencer chaque année : « Le grand prêtre, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ».
Tandis que l’Alliance que Jésus-Christ a conclue avec le Père en notre nom est parfaite et définitive : sur le Visage du Christ en croix, les croyants ont découvert le vrai Visage de Dieu qui aime les siens jusqu’au bout ; désormais ils ne se méprennent plus sur Dieu, ils savent que Dieu est leur Père, comme il est le Père de Jésus ; ils peuvent enfin vivre de tout leur cœur l’Alliance que Dieu leur propose ; tout cela c’est la nouveauté, la Nouvelle Alliance apportée par le Christ.
Alors, nous ne craignons plus le jugement de Dieu : nous croyons et nous affirmons que « Jésus reviendra pour juger les vivants et les morts » (dans notre Credo), mais nous savons désormais que, en Dieu, jugement est synonyme de salut : « le Christ, après s’être offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude, apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent. »
————————-
Complément
On peut bien dire de Jésus-Christ qu’il est « le grand prêtre du bonheur qui vient » ! (selon une autre expression de l’auteur de cette lettre -He 9, 11- lue pour la fête du Corps et du Sang du Christ – année B).

 

EVANGILE – selon Saint Marc 12, 38-44

En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait aux foules :
38 « Méfiez-vous des scribes,
qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat
et qui aiment les salutations sur les places publiques,
39 les sièges d’honneur dans les synagogues
et les places d’honneur dans les dîners.
40 Ils dévorent les biens des veuves
et, pour l’apparence, ils font de longues prières :
ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
41 Jésus s’était assis dans le Temple
en face de la salle du trésor
et regardait comment la foule y mettait de l’argent.
Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes.
42 Une pauvre veuve s’avança
et mit deux petites pièces de monnaie.
43 Jésus appela ses disciples et leur déclara :
« Amen, je vous le dis :
cette pauvre veuve a mis dans le Trésor
plus que tous les autres.
44 Car tous, ils ont pris sur leur superflu,
mais elle, elle a pris sur son indigence :
elle a mis tout ce qu’elle possédait,
tout ce qu’elle avait pour vivre. »

MEFIEZ-VOUS DES APPARENCES
« Méfiez-vous … » Dans la bouche de Jésus, voici une parole inattendue ! Nous sommes dans les derniers chapitres de l’Evangile de Marc, avant la Passion et la Résurrection du Christ. Jésus donne ses derniers conseils à ses disciples. Quelques versets plus haut, il leur a dit : « Ayez foi en Dieu (11, 22)… Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu et cela vous sera accordé. » Un peu plus loin, il leur conseillera encore : « Prenez garde que personne ne vous égare … » (13, 5). Ici, c’est quelque chose comme « Ne donnez pas votre confiance à n’importe qui ! » Il s’agit de certains scribes. Nous sommes peut-être surpris de cette véhémence de Jésus, mais elle relève du style prophétique : combien de fois avons-nous vu les prophètes employer un langage très violent pour stigmatiser certaines attitudes ; pour autant, il ne s’agit pas pour Jésus de faire en bloc le procès de tous les scribes.
Les scribes jouissaient d’une grande considération au temps de Jésus, et elle était généralement justifiée. Qui étaient-ils ? Des laïcs qui avaient étudié la Loi de Moïse dans des écoles spécialisées, des diplômés de la Loi (comme on dirait aujourd’hui des « docteurs en théologie »). Ils avaient le droit de commenter l’Ecriture et de prêcher. Ils siégeaient au Sanhédrin, le tribunal permanent de Jérusalem qui se réunissait au Temple deux fois par semaine. Les meilleurs d’entre eux étaient nommés « docteurs de la Loi ». Le respect qu’on leur vouait était en réalité celui qu’on ressentait pour la Loi elle-même. Le livre de Ben Sirac (ou Siracide) consacre une page entière (Si 38,34 – 39,11) à l’éloge du scribe, « celui qui s’applique à réfléchir sur la loi du Très-Haut, qui étudie la sagesse de tous les anciens, et consacre ses loisirs aux prophéties… Il étudie le sens caché des Proverbes, il passe sa vie parmi les énigmes des paraboles. » (Si 39,1… 3). Mais cette reconnaissance populaire pouvait bien monter à la tête de certains : dans les synagogues, ils avaient des places réservées dans les premiers rangs, et les mauvaises langues faisaient remarquer que ces places, curieusement, tournaient le dos aux Tables de la Loi et étaient situées face au public !
Jésus manifeste une très grande liberté à leur égard : dans les versets précédents, il a rendu hommage à l’un d’entre eux : Marc nous raconte que « Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » (12, 34). Ici, en revanche, il semble les prendre à partie de façon plus générale ; en réalité, ce n’est qu’une réponse au harcèlement dont il a été l’objet de la part de certains d’entre eux, depuis le début de sa vie publique, et qui lui a fait prendre conscience de leur jalousie à son égard. En effet, Marc a montré amplement, tout au long de l’évangile, la méfiance grandissante des scribes contre Jésus.
Il faudrait relire (ou relier) tous ces épisodes : la guérison du paralytique de Capharnaüm (2,6-7) ; le repas chez Lévi (2,16) ; les accusations d’être un suppôt du démon, ce qui expliquerait son pouvoir : « Les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient : « Il a Béelzéboul en lui et : C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons. » (3,23). Ou encore la discussion sur le non-respect des traditions (7,5).
Leur jalousie s’est peu à peu muée en haine et a fait naître en eux l’idée de le faire mourir : après qu’il eut chassé les vendeurs du Temple « Les grands prêtres et les scribes l’apprirent et ils cherchaient comment ils le feraient périr. Car ils le redoutaient, parce que la foule était frappée de son enseignement » (11,18 : en somme c’est une jalousie de professeurs). Après l’épisode des vendeurs, justement, ils lui demanderont de justifier ses audaces : « Alors que Jésus allait et venait dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens s’approchent de lui. Ils lui disaient : En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? Ou qui t’a donné autorité pour le faire ? » (11,27-28). D’ailleurs, au moment de la Passion, Pilate ne s’y trompera pas (Marc note « Pilate voyait bien que les grands prêtres l’avaient livré par jalousie » : 15,10).
Jésus est bien conscient de la haine dont il est l’objet, mais ce n’est pas cela qu’il leur reproche ; à ses yeux, il y a plus grave : « Ils dévorent les biens des veuves » ; par là, il reproche à certains de profiter de leur fonction ; on peut supposer que les scribes, donnant des consultations, les veuves leur demandaient probablement des conseils juridiques (qui n’étaient pas gratuits, apparemment !) « Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d’autant plus sévèrement condamnés. » Phrase sévère, mais bien dans le style prophétique : on sait bien que l’endurcissement du coeur vient tout doucement si l’on n’y prend pas garde ; ceux qui sont visés ici « affectent de prier longuement », mais cette prière feinte, affectée, n’est évidemment pas une vraie prière puisque, ensuite, ils volent les pauvres gens… leur prière ne les rapproche donc pas de Dieu ; (traduisez ils s’excluent eux-mêmes du salut).

L’AUDACE DE LA GENEROSITE
Et voici qu’une veuve se présente, justement pour faire son offrande. Elle est pauvre, de toute évidence, Marc le dit trois fois (v.42, 43 « pauvre veuve » ; v. 44 « indigence ») : c’était malheureusement le cas général, car elles n’avaient pas droit à l’héritage de leur mari et leur sort dépendait en grande partie de la charité publique. La preuve de leur pauvreté est dans l’insistance toute particulière de la Loi sur le soutien que l’on doit apporter à la veuve et à l’orphelin, ce qu’un scribe ne peut pas ignorer, lui, le spécialiste de la Loi. La veuve s’avance donc pour déposer deux piécettes ; et c’est elle que Jésus donne en exemple à ses disciples : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre. » L’évangile n’en dit pas plus, mais la réflexion de Jésus à son sujet laisse entendre que sa confiance sera récompensée… Le rapprochement avec la première lecture de ce dimanche (la veuve de Sarepta) est suggestif : comme la veuve de Sarepta avait donné ses dernières provisions au prophète Elie, celle du Temple de Jérusalem donne ses derniers sous. Sa confiance en Dieu va jusque-là. Jusqu’à prendre le maximum de risques, le dépouillement complet.
Ces derniers conseils de Jésus à ses disciples prendront quelques jours après un relief tout particulier. A leur tour, ils devront choisir leur attitude dans l’Eglise naissante. Le modèle que leur Seigneur leur a assigné, ce n’est pas l’ostentation de certains scribes, leur recherche des honneurs… mais la générosité discrète de la veuve et l’audace de tout risquer.

ANCIEN TESTAMENT, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE DE MARC, EVANGILE SELON SAINT MARC, LETTRE DE SAINT JACQUES, LIVRE DU PROPHETE ISAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 145

Dimanche 5 septembre 2021 : 23ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 5 septembre 2021 : 23ème dimanche du Temps Ordinaire

GUERISON-SOURD

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre d’ISAIE 35,4-7a

4 Dites aux gens qui s’affolent :
« Soyez forts, ne craignez pas.
Voici votre Dieu :
c’est la vengeance qui vient,
la revanche de Dieu.
Il vient lui-même
et va vous sauver. »
5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles
et s’ouvriront les oreilles des sourds.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf
et la bouche du muet criera de joie ;
car l’eau jaillira dans le désert,
des torrents dans le pays aride.
7 La terre brûlante se changera en lac ;
la région de la soif, en eaux jaillissantes.

LA VENGEANCE DE DIEU : IL VA NOUS SAUVER
A l’écoute de ce texte, deux mots nous ont surpris, peut-être, ou même choqués : la vengeance de Dieu et la revanche de Dieu : « Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu ». Disons-le tout de suite, ils n’ont pas du tout le même sens ici que dans notre langage courant du vingt-et-unième siècle !
Pour les comprendre, il faut les replacer dans leur contexte : je vous lis la phrase en entier : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu, c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver » ; ce qui veut dire que la revanche de Dieu, c’est de nous sauver. Pour bien faire, il faudrait écrire : « Voici la revanche de Dieu : (« deux points ») il vient lui-même et va vous sauver » ; on devrait même dire « voici la revanche de Dieu : (« deux points ») il vient lui-même pour vous sauver ».
Et tout le reste du texte, ce sont des promesses : promesses de guérison, de rétablissement pour les aveugles, les sourds, les muets, les boiteux… « Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »
Promesses, surtout, de retour au pays pour les exilés : les versets suivants que nous ne lisons pas ce dimanche viennent éclairer le contexte : « Ils reviendront, les captifs rachetés (c’est-à-dire « libérés ») par le SEIGNEUR, ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera leur visage ; allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront. » Effectivement, quand Isaïe prononce ces paroles, le peuple d’Israël est en exil à Babylone, après avoir vécu les atrocités du siège de Jérusalem par les armées de Nabucodonosor.
Cinquante années d’exil, de quoi perdre courage. Ce n’est pas par hasard qu’Isaïe leur dit « Dites aux gens qui s’affolent : Soyez forts, ne craignez pas ».
Cinquante ans pendant lesquels on a rêvé de ce retour, sans oser y croire. Et voilà que le prophète annonce le retour au pays, il dit « Dieu va vous sauver », c’est-à-dire « vous libérer ». Pour rentrer au pays, le chemin le plus direct entre Babylone et Jérusalem traverse le désert d’Arabie ; mais cette traversée du désert, Isaïe la décrit comme une marche triomphale dans un véritable Paradis : le désert se réjouira, le pays aride exultera et criera de joie, il « jubilera » dit même le texte hébreu dans les versets qui précèdent le passage que nous lisons aujourd’hui ; ici, il insiste : « L’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. La terre brûlante se changera en lac ; la région de la soif, en eaux jaillissantes. » ! Il faut entendre la résonance de telles paroles dans un pays de sécheresse et de soif !
Et c’est cela la vengeance de Dieu ! Les assoiffés seront désaltérés ; mieux encore, les humiliés pourront relever la tête ! « Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »
C’est donc un sens extrêmement positif du mot « vengeance » ; pour l’homme de la Bible, il est bien clair que Dieu ne se venge pas de nous, il ne prend pas sa revanche contre nous, mais contre le mal qui nous atteint, qui nous abîme ; sa revanche c’est de nous rendre notre dignité. C’est cela la gloire de Dieu.
A LA DECOUVERTE DU VRAI VISAGE DE DIEU
Mais il faut bien dire qu’on n’a pas toujours pensé comme cela ! Le texte d’Isaïe est assez tardif dans l’histoire biblique ; il a fallu tout un long chemin de révélation pour en arriver là. Au début de son histoire, le peuple de la Bible était comme tous les autres : il imaginait un Dieu à l’image de l’homme, un Dieu qui se venge comme les humains. Puis, au fur et à mesure de la Révélation, grâce à la prédication des prophètes, on a commencé à découvrir Dieu tel qu’il est, et non pas tel qu’on l’imaginait ; alors le mot « vengeance » est resté mais son sens a complètement changé ; nous avons déjà vu plusieurs fois dans la Bible ce phénomène de retournement complet du sens d’un mot : c’est le cas pour le sacrifice, par exemple, et aussi pour la crainte de Dieu.
Il a fallu bien des étapes et bien des siècles pour qu’on découvre le vrai visage de Dieu, un Dieu tout autre que nous et tout autre que ce que nous imaginons spontanément : « Ses pensées ne sont pas nos pensées et nos chemins ne sont pas ses chemins » (comme dit Isaïe : Is 55,8)… un Dieu qui n’est qu’amour et miséricorde pour tous les hommes sans exception, même les méchants, un Dieu qui « ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18,23). On a peu à peu découvert que l’expression « voici la revanche de Dieu : il vient lui-même et va vous sauver » signifie ‘Dieu vous aime plus que tout être au monde, et, quelle que soit l’humiliation physique ou morale que vous ayez subie, il vient pour vous libérer, pour vous relever.’
Isaïe parlait de la libération des captifs de Babylone et de leur retour à Jérusalem ; mais l’humanité attend encore sa libération définitive de toute humiliation, de tout aveuglement, de toute surdité : ce sera l’oeuvre du Messie, les contemporains de Jésus le savaient bien. C’est pour cela que pour se présenter à la synagogue de Nazareth (Luc 4), Jésus a cité un autre passage tout à fait semblable d’Isaïe « Le SEIGNEUR m’a envoyé porter un joyeux message aux humiliés, guérir ceux qui ont le cœur  brisé, annoncer aux prisonniers la délivrance et aux captifs la liberté, annoncer les bienfaits du SEIGNEUR et le jour de la vengeance de notre Dieu. » (Is 61,1-2). Et quand les disciples de Jean lui ont demandé « Es-tu celui qui doit venir ? » Jésus a simplement répondu : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Luc 7,22)… La bonne nouvelle, c’est que Dieu nous relève et nous sauve.

 

PSAUME – 145 (146),6…10

7 Le SEIGNEUR garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés,
aux affamés il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8 Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.
9 Le SEIGNEUR protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin.
Il égare les pas du méchant
10 D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera,
ton Dieu, ô Sion, pour toujours.

LE CHANT DE JOIE DU RETOUR AU PAYS
Ce psaume ressemble à un inventaire ! L’inventaire des bénéficiaires des largesses de Dieu : opprimés, affamés, enchaînés, aveugles, accablés, étrangers, veuves et orphelins. Bref tous ceux que les hommes ignorent ou méprisent. Tous ceux-là, Dieu leur vient en aide.
Quand le peuple d’Israël chante ce psaume qui est une véritable profession de foi, c’est sa propre histoire qu’il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; et si la liturgie du Temple de Jérusalem lui fait chanter ce psaume, justement, c’est pour qu’il n’oublie pas la sollicitude que Dieu lui a témoignée, tout au long de son histoire, malgré ses faiblesses et ses péchés. Car Israël a effectivement connu toutes ces situations : l’oppression en Egypte, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Et ce psaume, d’ailleurs, a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré. Le Temple avait été détruit en 587 av. J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av. J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. Ce ne fut pas sans peine, comme on sait, mais le Temple fut finalement rebâti en 515 et on célébra sa Dédicace dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les lévites et le reste des déportés firent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu » (Esd 6,16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : Il a libéré son peuple, il a agi comme son plus proche parent, son vengeur, son « racheteur » (c’est-à-dire son « libérateur »), comme dit la Bible. Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ».
Israël a connu la faim, aussi, dans le désert, pendant l’Exode, et Dieu a envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide ; (« Dieu aime les justes »).
C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici.
« Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours. »
Vous avez remarqué l’insistance sur le nom « SEIGNEUR » : il traduit le fameux NOM de Dieu, le NOM révélé à Moïse au Buisson ardent : les quatre lettres « YHWH » qui disent la présence permanente, agissante, libérante de Dieu à chaque instant de la vie de son peuple.
Je reprends la dernière ligne d’aujourd’hui : « Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours ». « Le SEIGNEUR est ton Dieu », c’est la formule typique de l’Alliance : « Vous serez MON peuple et je serai VOTRE Dieu. » Chaque fois que l’on rencontre l’expression « mon Dieu », c’est un rappel de l’Alliance, de toute l’histoire, l’aventure de l’Alliance entre Dieu et son peuple choisi : Alliance à laquelle Dieu n’a jamais failli.
UN PROGRAMME DE VIE
« Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours » ; une fois de plus, je remarque que la prière d’Israël est tendue vers l’avenir ; elle n’évoque le passé que pour fortifier son attente, son espérance.
Et d’ailleurs quand Dieu avait dit son nom à Moïse, il l’avait dit de deux manières : ce fameux nom, imprononçable en quatre lettres, YHWH que nous retrouvons partout dans la Bible, et en particulier dans ce psaume, que nous traduisons « le SEIGNEUR » ; mais aussi, et d’ailleurs il avait commencé par là, il avait donné une formule plus développée, « Ehiè asher ehiè » qui se traduit en français à la fois par un présent « je suis qui je suis » et par un futur « Je serai qui je serai ». Manière de dire sa présence permanente et pour toujours auprès de son peuple.
Ici, l’insistance sur le futur, « pour toujours » vise aussi à fortifier l’engagement du peuple : il est bien utile de se répéter ce psaume non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : car, en définitive, cet inventaire est aussi un programme de vie : si Dieu a agi ainsi envers Israël, celui-ci se sent tenu d’en faire autant pour les autres ; tous les exclus ne connaîtront l’amour que Dieu leur porte qu’à travers le comportement de ceux qui en sont les premiers témoins. Et d’ailleurs, pour être sûr que le peuple se conforme peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d’Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers.
La Loi n’avait qu’un objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui. Parce que Dieu mène inlassablement son peuple, et à travers lui, l’humanité tout entière, sur un long chemin de libération.
Quant aux prophètes, c’est principalement sur l’attitude par rapport aux pauvres et aux affligés de toute sorte qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance. Si on fait l’inventaire des paroles des prophètes, on est obligé d’admettre que leurs rappels à l’ordre portent majoritairement sur deux points : une lutte acharnée contre l’idolâtrie, d’une part, et les appels à la justice et au souci des autres, d’autre part. Jusqu’à oser dire de la part de Dieu « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices, la connaissance de Dieu et non les holocaustes. » (Os 6,6) ; ou encore : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6,8).
Nous avions lu dans le livre du Siracide que « les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18)… cela veut dire que toutes les larmes de tous ceux qui souffrent coulent sur les joues de Dieu… Si nous sommes assez près de Dieu, logiquement, elles devraient couler aussi sur nos joues à nous !… C’est probablement cela, être à son image ?
———————-
Note
1 – En hébreu, une telle formule « Je suis qui je suis » ou « je fais miséricorde à qui je fais miséricorde » (le pronom relatif reliant deux expressions semblables) est tout simplement un superlatif, donc une forme emphatique.

 

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Jacques 2,1-5

1 Mes frères,
dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire,
n’ayez aucune partialité envers les personnes.
2 Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps
un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or,
et un pauvre au vêtement sale.
3 Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant
et vous lui dites :
« Assieds-toi ici, en bonne place » ;
et vous dites au pauvre :
« Toi, reste là debout »,
ou bien :
« Assieds-toi au bas de mon marchepied. »
4 Cela, n’est-ce pas faire des différences entre vous,
et juger selon de faux critères ?
5 Écoutez donc, mes frères bien-aimés !
Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi
ceux qui sont pauvres aux yeux du monde
pour en faire des riches dans la foi,
et des héritiers du Royaume
promis par lui à ceux qui l’auront aimé ?

LE SEIGNEUR NE JUGE PAS SELON LES APPARENCES
La petite parabole sur le pauvre et le riche dans l’assemblée chrétienne paraît à première vue un peu caricaturale ; bien sûr, aucun de nous ne tomberait dans ce travers ! Encore que… Il suffirait peut-être de changer un tout petit peu le décor pour que nous nous retrouvions en pays connu ; les snobismes de toute sorte ont cours dans tous les cercles de la société. L’accueil des plus pauvres dans l’Eglise demeure difficile et il y a bien des formes de pauvreté. Ce que Jacques vise donc, ce sont les discriminations, quelles qu’elles soient : d’ordre racial, ethnique, social, financier ou autre.
Pas besoin d’avoir la foi pour cela, me direz-vous ; toute société de droit (c’en est même la définition, justement) recommande l’égalité de tous devant la justice. Israël connaît ce genre de préceptes : « Ne commettez pas d’injustice dans les jugements, n’avantage pas le faible et ne favorise pas le grand, mais juge avec justice ton compatriote. » (Lv 19,15). Mais ce qui est particulier à Israël, une fois de plus, c’est la source de sa Loi, qui n’est autre que Dieu lui-même. Dans le cas présent, c’est parce que Dieu lui-même est impartial, que les hommes sont invités à l’être. En voici quelques exemples : « Vous n’aurez pas de partialité dans le jugement : entendez donc le petit comme le grand, n’ayez peur de personne, car le jugement appartient à Dieu. » (Dt 1,17)… « C’est le SEIGNEUR votre Dieu qui est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand et redoutable, l’impartial, l’incorruptible. » (Dt 10,17)… « Lui seul ne favorise pas les princes et ne fait pas plus de cas du richard que du pauvre, car tous sont l’œuvre  de sa main. » (Jb 34,19)… Et les prophètes ne sont pas en reste, on s’en doute : Malachie, par exemple, fustige les responsables du peuple : « Vous ne suivez pas mes voies et vous faites preuve de partialité dans vos décisions. » (Ml 2,9). Et l’on aime à raconter l’histoire du choix de David par le prophète Samuel : Jessé avait huit fils, parmi lesquels, Samuel le savait, il y avait l’élu de Dieu. Et voici que l’aîné se présente : Samuel le trouve grand, bien fait, c’est sûrement lui. Eh non, justement. Voici la suite du texte : « Le SEIGNEUR dit à Samuel : Ne considère pas son apparence ni sa haute taille. Il ne s’agit pas ici de ce que voient les hommes : les hommes voient ce qui leur saute aux yeux, mais le SEIGNEUR voit le cœur . » (1 S 16,7). On se le redira souvent !
Le Nouveau Testament, bien sûr, n’a pas contredit cette donnée bien établie de la Révélation. Paul affirme « En Dieu, il n’y a pas de partialité. » (Rm 2,11), et Pierre en écho : « Vous invoquez comme Père celui qui, sans partialité, juge chacun selon son œuvre . » (1 Pi 1,17). Mais au fait, la deuxième partie du texte de ce dimanche n’est-elle pas en contradiction avec l’affirmation de l’impartialité de Dieu ? C’est Jacques qui parle : « Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde ? » Alors, Dieu aurait-il une préférence pour les pauvres ?
UN TRESOR DANS DES VASES D’ARGILE
Pour commencer, il ne faut pas oublier que, dans la Bible, choix ne signifie pas « préférence » mais choix pour une mission, toujours. Voilà une spécificité de la Révélation. Le peuple d’Israël le sait d’expérience, lui qui a été choisi, pour une mission bien particulière ; mais qui sait fort bien que Dieu aime tous les peuples et tous les hommes, infiniment. L’infini n’est pas mesurable, par hypothèse. Sans parler de préférence, donc, au sens habituel de ce mot, parlons de choix ; et il semble bien que Dieu confie aux pauvres une mission particulière. « Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. » (1 Co 1,26-28).
Et de fait, dans l’histoire d’Israël, la Bible semble prendre un malin plaisir à montrer que Dieu se plaît à choisir les plus petits. Abraham était un vieillard sans enfant, donc sans avenir, quand Dieu l’a choisi comme tête de son peuple ; Moïse était réduit à l’exil pour avoir tué un Egyptien ; David n’était ni le plus beau ni le plus grand, ni le plus vertueux, des fils de Jessé, semble-t-il ; et que dire de Salomon sur ce chapitre ? Jérémie était un jeune homme faible et craintif et Dieu en a fait un prophète intrépide et infatigable. Bethléem était le plus petit des clans de Juda ; et de Nazareth, on n’a jamais rien vu sortir de bon. Et pourtant, c’est avec tous ces pauvres-là que Dieu a révélé ses richesses au monde. C’est Paul qui nous en donne le secret : « Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, pour que cette incomparable puissance soit reconnue comme étant de Dieu et non de nous. » (2 Co 4,7).

EVANGILE – selon Saint Marc 7, 31 – 37

En ce temps-là,
31  Jésus quitta le territoire de Tyr ;
passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée
et alla en plein territoire de la Décapole.
32 des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler
et supplient Jésus de poser la main sur lui.
33 Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule,
lui mit les doigts dans les oreilles,
et, avec sa salive, lui toucha la langue.
34 Puis, les yeux levés au ciel,
il soupira et lui dit :
« Effata ! », c’est à dire : « Ouvre-toi ! »
35 Ses oreilles s’ouvrirent ;
sa langue se délia,
et il parlait correctement.
36 Alors Jésus leur ordonna
de n’en rien dire à personne ;
mais plus il leur donnait cet ordre,
plus ceux-ci le proclamaient.
37 Extrêmement frappés, ils disaient :
« Il a bien fait toutes choses :
il fait entendre les sourds et parler les muets. »

LA VENUE DU MESSIE CHEZ LES PAIENS
Après la discussion avec les Juifs sur les règles de pureté, Jésus était parti en territoire païen ; là, il a guéri la fille de la syro-phénicienne qui avait manifesté une foi que Jésus aurait bien voulu trouver auprès de ses compatriotes. Les épisodes suivants se déroulent également en territoire païen, en Décapole, plus précisément : c’était une confédération de dix villes grecques, pour la plupart situées à l’est du Jourdain, que Pompée avait soustraites à l’administration d’Hérode et rattachées à la province romaine de Syrie. C’étaient des villes de culture grecque et non juive. Marc ne précise pas de quelle ville il s’agit, la pointe de son propos n’est pas là. C’est ici que se déroule l’épisode de ce dimanche, la guérison d’un homme qui était doublement infirme : il était à la fois sourd et bègue. Nous verrons tout à l’heure que Marc a choisi soigneusement ce vocabulaire.
Pour l’instant, je reprends le texte : Jésus quitte donc la région de Tyr ; passant par Sidon, il prend la direction du lac de Galilée et se rend en plein territoire de la Décapole, (c’est-à-dire en milieu païen). On lui amène un sourd-bègue, et on le prie de poser la main sur lui. Alors, Jésus fait quelque chose qu’il n’avait jamais fait jusqu’ici, il emmène l’infirme à l’écart, loin de la foule et il fait sur lui les gestes que faisaient habituellement les guérisseurs : « Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue. » Il ne change donc pas les gestes, mais il va leur donner un sens nouveau : car, à partir de là, Jésus diffère des autres : « les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : Effata ! c’est-à-dire : Ouvre-toi ! » Le geste de lever les yeux au ciel est sans ambiguïté : Jésus ne guérit que grâce au pouvoir que lui donne son Père.
Quant au soupir, à en croire le vocabulaire, il s’agit plutôt d’un gémissement : le même mot est employé dans les Actes des Apôtres par Etienne dans son discours pour décrire la souffrance du peuple d’Israël esclave en Egypte ; Paul emploie ce mot également pour dire l’impatience de la création  captive en attente de sa délivrance : « La création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8,22) et il l’emploie encore quand il parle de l’Esprit Saint qui prie dans le cœur  des croyants (Rm 8, 26). En Jésus qui gémit, n’y a-t-il pas tout cela ? L’humanité attendant sa délivrance ? Et aussi l’Esprit qui intercède pour nous ? Parce que notre souffrance ne peut laisser Dieu indifférent.
IL FAIT ENTENDRE LES SOURDS ET PARLER LES MUETS
Et voilà notre infirme guéri : « Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. » Une fois de plus, Jésus donne une consigne stricte de silence : espère-t-il être obéi ? Peine perdue. « Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. » Sans le savoir, puisqu’ils sont des païens, ils citent les Ecritures : « Il a bien fait toutes choses » est une reprise du constat de la Genèse ; se retournant sur l’oeuvre qu’il avait faite en sept jours « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » (Gn 1,31) ; « il fait entendre les sourds et parler les muets » est un rappel des promesses d’Isaïe pour l’ère de bonheur qui s’ouvrira au moment de la venue du Messie : « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. » (Is 35,5-6 ; texte de la première lecture de ce dimanche). Les promesses messianiques sont donc pour tous, Juifs et païens. Et, curieusement, ce sont les païens, apparemment, qui en déchiffrent le mieux les signes. Ils « proclamaient » nous dit Marc ; là encore, il ne choisit certainement pas le mot par hasard ; il a usé du même pour Jean-Baptiste (1,4 « proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés »), pour le lépreux (1,45 « une fois parti, il se mit à proclamer bien haut et à répandre la nouvelle ») ; enfin, ce sera l’ordre donné par Jésus à ses apôtres après sa Résurrection (16,15 « Allez par le monde entier, proclamer l’évangile à toutes les créatures. »)
Cette attitude ouverte des païens contraste avec la difficulté des disciples : Marc accumule tout au long de son évangile des notations très négatives à leur propos, faisant ainsi ressortir la solitude de Jésus. A de multiples reprises, en effet, l’évangéliste rapporte des paroles de Jésus non équivoques sur leur difficulté à entrer dans son mystère : par exemple, après la parabole du semeur, « Vous ne comprenez pas cette parabole ! Alors comment comprendrez-vous toutes les paraboles ? » (4,13) ; à la fin de l’épisode de la tempête apaisée : « Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore la foi ? » (4,40-41) ; et surtout après la deuxième multiplication des pains : « Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le cœur  endurci ? Vous avez des yeux : ne voyez-vous pas ? Vous avez des oreilles : n’entendez-vous pas ? » (8,18). Cette surdité et cet aveuglement subsisteront jusqu’après la Résurrection de Jésus : « Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur  parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité. » (16,14).
Alors nous comprenons mieux l’intérêt tout spécial que Marc porte au récit qui nous retient ici (la guérison du sourd-muet en Décapole) et, un peu plus loin, à la guérison d’un aveugle à Bethsaïde, en territoire juif cette fois (deux récits propres à Marc) ; quoi qu’il en soit de nos lenteurs à croire, le temps messianique est bel et bien arrivé pour tous les hommes. Comme l’avait encore dit Isaïe : « Les yeux de ceux qui voient ne seront plus fermés, les oreilles de ceux qui entendent seront attentives, les gens pressés réfléchiront pour comprendre et la langue de ceux qui bégaient parlera vite et distinctement. » (Is 32,3-4).
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Compléments
« Effata », c’est à dire « Ouvre-toi »
Lors de la célébration du baptême d’un adulte, le prêtre lit précisément ce passage de l’évangile de Marc, puis il touche les oreilles et les lèvres du baptisé en disant : « Effata », c’est-à-dire « Ouvrez-vous, afin de proclamer, pour la louange et la gloire de Dieu, la foi qui vous a été transmise. » On entend résonner ici la prière du psaume : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » (Ps 50/51,17), tout autant que la phrase de Paul : « Nul ne peut dire Jésus est Seigneur, si ce n’est par l’Esprit Saint. » (1 Co 12,3). Dieu seul peut nous inspirer pour parler de lui, mais c’est notre liberté qui choisit de proclamer sa louange.
L’homme sourd qui bégayait
Selon son habitude, Marc a soigneusement choisi son vocabulaire ; pour décrire le handicap de celui que Jésus va guérir, il ne le qualifie pas de « muet », mais il emploie un mot grec inhabituel que l’on ne rencontre ailleurs qu’une seule fois dans toute la Bible, chez Isaïe dans une phrase qui caractérisait le Messie : « La bouche du bègue criera de joie » (Is 35,6, texte grec).

ANCIEN TESTAMENT, AVENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT JACQUES, LIVRE D'ISAÎE, LIVRE D'ISAÏE, LIVRE D'SAÏE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 145

Dimanche 15 décembre 2019 : 3ème dimanche de l’Avent : lectures et commentaires

decollation-jean-baptiste-2.jpgDimanche 15 décembre 2019 :

Troisième dimanche de l’Avent

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – Isaïe 35, 1…10

1 Le désert et la terre de la soif,
qu’ils se réjouissent !
2 Le pays aride, qu’il exulte
et fleurisse comme la rose,
qu’il se couvre de fleurs des champs,
qu’il exulte et crie de joie !
La gloire du Liban lui est donnée,
la splendeur du Carmel et du Sarone.
On verra la gloire du SEIGNEUR,
la splendeur de notre Dieu.
3 Fortifiez les mains défaillantes,
affermissez les genoux qui fléchissent,
4 dites aux gens qui s’affolent :
« Soyez forts, ne craignez pas.
Voici votre Dieu :
c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu.
Il vient lui-même et va vous sauver. »
5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles,
et s’ouvriront les oreilles des sourds.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf,
et la bouche du muet criera de joie.
10 Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent,
ils entrent dans Sion avec des cris de fête,
couronnés de l’éternelle joie.
Allégresse et joie les rejoindront,
douleur et plainte s’enfuient.

Je commence tout de suite par le mot difficile de ce texte : au milieu de promesses magnifiques, Isaïe parle de la vengeance de Dieu. Voilà pour nous l’occasion de découvrir une fois pour toutes ce que veut dire ce mot dans la Bible ! Car Isaïe lui-même l’explique très clairement. Il prêche au sixième siècle, au moment de l’Exil à Babylone : à cette époque-là, visiblement, il y a des gens qui s’affolent, puisque le prophète dit : « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent. Dites aux gens qui s’affolent… » Et c’est pour les rassurer qu’il annonce la vengeance de Dieu : « Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. » Et il en donne aussitôt la définition : « Votre Dieu vient lui-même et va vous sauver. » Il continue : « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds, alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »
Cela veut dire qu’au moment où ce texte a été écrit, l’expression « vengeance de Dieu » est non un épouvantail mais une promesse de salut. C’est donc un sens extrêmement positif du mot « vengeance » ; dans ce texte, il est bien clair que Dieu ne se venge pas des hommes, il ne prend pas sa revanche contre les hommes, mais contre le mal qui atteint l’homme, qui abîme l’homme ; sa revanche c’est la suppression du mal, c’est comme dit Isaïe « les aveugles qui voient et les sourds qui entendent, les boiteux qui bondissent et les muets qui crient de joie, les captifs qui sont libérés ». Quelle que soit l’humiliation physique ou morale que nous ayons subie, il veut nous libérer, nous relever.
Mais il faut bien dire qu’on n’a pas toujours pensé comme cela ! Le texte d’Isaïe est assez tardif dans l’histoire biblique (sixième siècle av.J.C.) ; il a fallu tout un long chemin de révélation pour en arriver là. Au début de son histoire, le peuple de la Bible imaginait un Dieu à l’image de l’homme, un Dieu qui se venge comme les humains.
Puis, au fur et à mesure de la Révélation, grâce à la prédication des prophètes, on a commencé à découvrir Dieu tel qu’il est, et non pas tel qu’on l’imaginait ; alors le mot « vengeance » est resté dans le vocabulaire mais son sens a complètement changé ; nous avons déjà vu plusieurs fois dans la Bible ce phénomène de retournement complet du sens d’un mot : c’est le cas pour le sacrifice, par exemple, et aussi pour la crainte de Dieu.
Très concrètement, quand Isaïe écrit le texte de ce dimanche, le salut auquel aspirent ses contemporains, c’est le retour au pays de tous ceux qui sont exilés à Babylone ; ils ont vécu les atrocités du siège de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor ; et maintenant, l’exil n’en finit pas ! Cinquante années, de quoi perdre courage. Ce n’est pas par hasard qu’Isaïe leur dit « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : Prenez courage, ne craignez pas ». Pendant ces cinquante années, on a rêvé de ce retour, sans oser y croire. Et voilà que le prophète dit « c’est pour bientôt » : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête ». (verset 10).
Pour rentrer au pays, le chemin le plus direct entre Babylone et Jérusalem traverse le désert d’Arabie ; mais cette traversée du désert, Isaïe la décrit comme une véritable marche triomphale… mieux, une procession grandiose : le désert se réjouira, le pays aride exultera et criera de joie, il « jubilera » dit même le texte hébreu… Le désert sera beau… et alors là on pense à ce qui est le plus beau au monde pour un habitant de la Terre Sainte à l’époque : ce qui est le plus beau au monde, ce sont les montagnes du Liban, les collines du Carmel, la plaine côtière de Sarône ! Alors on dit : le désert sera aussi beau et luxuriant que ces trois paysages réputés pour leur beauté ! Beau comme les montagnes du Liban, beau comme les collines du Carmel, beau comme la plaine côtière de Sarône… 1
Et tout cela sera l’oeuvre de Dieu : « Il vient lui-même et va vous sauver… » ; c’est cette œuvre de salut que le prophète appelle « la gloire de Dieu ». Il dit : « On verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu. » Et Isaïe continue : « Ceux qu’a libérés le SEIGNEUR reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête ». et l’on sait que le mot « rachetés », dans la Bible, veut dire « libérés » ; tout comme le mot « rédemption » signifie « libération ».
La Loi juive prévoyait une règle qu’on appelait le « rachat » 2 : lorsqu’un débiteur était obligé de vendre sa maison ou son champ pour payer ses dettes, son plus proche parent payait le créancier à sa place et le débiteur gardait donc sa propriété (Lv 25,25) ; si le débiteur avait été obligé de se vendre lui-même comme esclave à son créancier parce qu’il ne possédait plus rien, de la même manière son plus proche parent intervenait auprès du créancier pour libérer le débiteur, on disait qu’il le « revendiquait ». Il y avait bien un aspect financier, mais il était secondaire : ce qui comptait avant tout, c’était la libération du débiteur.
Le génie d’Isaïe a été d’appliquer ces mots à Dieu lui-même pour nous faire comprendre deux choses : premièrement, Dieu est notre plus proche parent ; deuxièmement, il veut nous libérer de tout ce qui nous emprisonne. Et c’est pourquoi nous chantons si volontiers « Alleluia » qui veut dire « Dieu nous a amenés de la servitude à la libération ».
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Notes
1 – Le Liban est le pays voisin au Nord d’Israël, il est réputé pour ses forêts de cèdres. En Israël même, le Carmel, au Nord-Ouest, est la petite chaîne montagneuse la plus boisée du pays. Le Sarône est la plaine fertile qui borde la Méditerranée entre le Carmel et Jaffa.
2 – Le racheteur s’appelait le « Go’el » ; ce mot ne se trouve pas dans les versets lus ce dimanche, mais il apparaît au verset 9 ; (au verset 10, c’est un synonyme). Nous sommes donc bien dans ce cadre-là.

 

PSAUME – 145 (146), 7-8. 9-10

7 Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8 Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.

9 Le SEIGNEUR protège l’étranger.
il soutient la veuve et l’orphelin.
10 D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera

Nous n’avons lu ici que quatre versets de ce psaume qui en comporte dix et nous n’avons donc pas entendu les Alleluia du premier et du dernier versets. Pour être ainsi encadré par le mot « Alleluia » qui signifie littéralement « Louez Dieu », ce psaume est tout entier un chant de louange et de reconnaissance. Il a été écrit après le retour de l’Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré.
Le Temple avait été détruit en 587 av.J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av. J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. Vous savez que cela n’a pas été sans mal, de graves dissensions étant apparues entre ceux qui rentraient au pays, pleins d’ardeur et ceux qui s’y étaient installés entre temps. Il a fallu l’énergie et l’obstination des prophètes Aggée et Zacharie pour que les travaux soient quand même menés à bien : ils ont duré de 520 à 515 sous le règne de Darius. La dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d’Esdras raconte : « Les fils d’Israël, les prêtres, les lévites et le reste des déportés firent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu ». (Esd 6,16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : déjà au moment de l’Exode et de la sortie d’Egypte, et maintenant, avec la sortie de Babylone, il a relevé son peuple, il l’a « vengé » au sens où l’entend Isaïe (voir la première lecture). Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l’a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ». Au cours de sa marche au désert, pendant l’Exode, Dieu lui avait envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et c’est ainsi que, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.
Ce n’était pas l’idée que l’on se faisait spontanément du Créateur de l’univers et il a bien fallu toute la révélation biblique pour accepter cette représentation surprenante de Dieu : c’est l’honneur et la fierté du peuple d’Israël d’avoir révélé à l’humanité le Dieu d’amour et de miséricorde ; « miséricorde », cela veut dire « des entrailles qui vibrent à la souffrance ». Vous vous souvenez peut-être de cette phrase superbe que nous avions lue il y a quelques semaines dans le livre du Siracide « Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18 lu dans le commentaire de la première lecture du trentième dimanche ordinaire de l’année C). Notre psaume ne dit pas autre chose : « Le SEIGNEUR soutient la veuve et l’orphelin ».
A son tour, le peuple était invité à imiter Dieu, à se conduire avec la même miséricorde vis-à-vis de tous les opprimés de toute sorte. Et vous savez bien que, pour éduquer le peuple à se conformer peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d’Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. Quant aux prophètes, c’est sur ces critères-là entre autres qu’ils jugeaient de la fidélité d’Israël à l’Alliance.
A un autre niveau de lecture, au fur et à mesure qu’il vit dans l’Alliance avec Dieu, le peuple croyant découvre peu à peu que Dieu le transforme en profondeur : « Aux affamés, il donne le pain », le pain matériel, oui… mais il y a au coeur de chacun d’entre nous une faim plus profonde ; à ces affamés-là, Dieu donne le pain de sa parole… « Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles » ; il y a des aveuglements d’un autre ordre et beaucoup plus graves en définitive ; à ceux-là aussi, Dieu ouvre les yeux. « Le SEIGNEUR délie les enchaînés », il y a d’autres chaînes que celles des prisons, les chaînes de la haine, de l’orgueil, de la jalousie… et le croyant peut témoigner que Dieu peu à peu, le délivre de son coeur de pierre.
Alors on comprend que ce psaume soit encadré par des Alleluia ; je vous rappelle le sens que la tradition juive attache à ce simple mot « Alleluia » : « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la rédemption. C’est pourquoi, chantons devant lui l’Alleluia » 1.
Bien sûr, les Chrétiens relisent ce psaume en l’appliquant à Jésus-Christ : non seulement il a nourri ses contemporains en multipliant pour eux les pains ; mais désormais il offre à chaque génération de baptisés le pain de son eucharistie ; c’est lui aussi qui a affirmé « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie. » (Jn 8,12). C’est en lui, enfin, que l’humanité peut accéder pleinement à la liberté et à la vie ; sa résurrection est la preuve que la mort biologique n’enchaîne pas les baptisés : « le SEIGNEUR délie les enchaînés. »
Dernière remarque sur ce psaume : la Bible affirme que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu ; il nous arrive de nous demander en quoi. Nous avons ici au moins une réponse et un encouragement : la réponse, c’est chaque fois que nous intervenons en faveur d’un malheureux, quel qu’il soit, aveugle, sourd ou muet, prisonnier, étranger, nous sommes l’image de Dieu.
L’encouragement c’est : chaque fois que vous avez fait quelque chose pour le plus petit d’entre les miens, vous avez hâté le jour du Règne de Dieu… Vous connaissez l’histoire de cette catéchumène découvrant le récit de la multiplication des pains par Jésus et demandant « pourquoi ne le fait-il pas aujourd’hui pour tous les affamés du monde ? » Après un petit silence, elle avait murmuré : « Il compte peut-être sur nous pour le faire ?… »
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Note
1 – Ce commentaire à propos de la Pâque juive se trouve dans le Talmud qui regroupe de nombreux commentaires des rabbins. Le Talmud comprend deux grandes parties : la Mishnah et la Gemara. Voici la référence du commentaire de l’Alleluia : Mishnah ; Pesahim V, 5.

 

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Jacques 5, 7 – 10

7 Frères,
en attendant la venue du Seigneur,
prenez patience.
Voyez le cultivateur :
il attend les fruits précieux de la terre avec patience,
jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive.
8 Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme
car la venue du Seigneur est proche.
9 Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres,
ainsi vous ne serez pas jugés.
Voyez : le Juge est à notre porte.
10 Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience
les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

Il y avait au moins trois Jacques dans l’entourage proche de Jésus : le premier, c’est Jacques, frère de Jean et fils de Zébédée (c’est celui qu’on retrouve avec Jean (et Pierre) à la Transfiguration et à Gethsémani) ; Jésus avait surnommé les deux frères « fils du tonnerre », ce qui nous laisse imaginer pour le moins un caractère volcanique ! Nous, nous l’appelons Jacques le Majeur ; c’est celui qu’on prie à Saint Jacques de Compostelle… Le second, c’est Jacques, fils d’Alphée, lui aussi membre du groupe des Douze apôtres et enfin le troisième, c’est Jacques, cousin de Jésus, (on disait frère de Jésus) qui fut l’un des premiers responsables de la communauté de Jérusalem. Généralement c’est à ce dernier qu’on attribue la lettre qu’on appelle de Saint Jacques ; mais on n’est sûr de rien.
En tout cas, on retrouve dans cette lettre un thème qui était habituel pour les premières générations chrétiennes, celui de l’attente : l’horizon, pour lui, la perspective si vous préférez, c’est la venue du Seigneur. Déjà dans les lettres de Saint Paul, nous avons souvent remarqué qu’il avait sans cesse les yeux tournés vers le but à atteindre, l’accomplissement définitif du projet de Dieu.
Je remarque au passage que, paradoxalement, c’est au début de la prédication chrétienne qu’on était le plus désireux de voir la fin du monde… peut-être parce que la vue du Christ ressuscité en avait donné un avant-goût ?
Mais, dans cette attente, Jacques recommande la patience : il y insiste quatre fois dans ces quelques lignes ; et si je le comprends bien, patience rime avec espérance : « En attendant la venue du Seigneur, prenez patience » : l’espérance, c’est la certitude de la venue du Seigneur, une certitude telle qu’elle nous tient en éveil, tendus vers ce but comme on l’est dans une course selon une comparaison habituelle chez Paul.
Cette course est une course de fond, nous dit Jacques, il y faut du souffle : le verbe grec que Jacques emploie ici et qui a été traduit par « prenez patience » signifie justement « avoir le souffle long »… Il faut croire que le délai de ce qu’on appelait la parousie, l’avènement définitif du Royaume de Dieu, était vécu comme une épreuve d’endurance… Au tout début, après la Résurrection du Christ et son Ascension, on a cru que son retour glorieux était pour très bientôt ; et puis, les années passant, il a bien fallu s’installer dans la durée. C’est là que l’espérance est devenue une affaire de patience : on pourrait dire peut-être que l’espérance, c’est la foi à l’épreuve du temps… (quand l’attente est devenue une course de fond).
Une course de fond, cela demande du souffle, et le souffle, demandez aux coureurs, aux chanteurs, ou aux flûtistes, il y faut de l’entraînement. Pour leur entraînement, Jacques donne deux modèles à ses chrétiens : la sagesse du cultivateur, le courage du prophète. D’année en année, le cultivateur a appris le retour des saisons : il sait que « Dieu donne en son temps la pluie qu’il faut pour la terre » comme dit le livre du Deutéronome (Dt 11,14).
Quant aux prophètes, tous ont eu à affronter l’hostilité de ceux à qui ils annonçaient ce qui était pourtant la parole de salut. Ils ont tous dû apprendre la fermeté et la patience pour rester fidèles à leur mission. La communauté chrétienne de Saint Jacques a elle aussi une mission prophétique qui ressemble à une épreuve d’endurance ; il lui faut du souffle, il lui faut aussi un coeur solide ; Jacques répète : « tenez ferme », l’expression exacte, c’est « Affermissez votre coeur ».
Curieusement, dans le verset suivant, que nous n’avons pas entendu aujourd’hui, Jacques cite un modèle d’endurance de l’Ancien Testament ; et qui choisit-il ? Job ; c’est la seule et unique fois où le Nouveau Testament cite le personnage de Job, cela mérite donc d’être souligné. « Voyez : nous félicitons les gens endurants ; vous avez entendu l’histoire de l’endurance de Job… » (Jc 5,11)… Sous-entendu, si vous êtes aussi patients que lui, et fermes dans votre espérance, vous aussi vous rencontrerez le Seigneur comme Job l’a rencontré.
Concrètement, c’est dans leurs relations mutuelles que les Chrétiens ont à remplir une mission prophétique : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » avait dit Jésus (Jn 13,35). Jacques dit quelque chose d’analogue : « Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. » Ce qui, évidemment, nous renvoie à une autre phrase de Jésus : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » (Mt 7,1 ; Lc 6,37) sous-entendu Dieu seul est juge. Et d’ailleurs la traduction plus littérale dit « ne vous posez pas en juges » ce qui montre mieux que juger c’est usurper un droit qui ne nous appartient pas. Apparemment, ce rappel n’était pas superflu car, dans sa lettre, Jacques y revient plusieurs fois : « Ne médisez pas les uns des autres » ou bien encore « Qui es-tu, toi, pour juger ton prochain ? » (Jc 4,11-12).
Jacques emploie l’expression « Le Juge est à votre porte » : tout d’abord c’est une image, car effectivement, dans les temps anciens, les juges siégeaient aux portes des villes, ils n’étaient pas dans la ville. Ensuite, cela veut dire deux choses : premièrement, la venue du Seigneur sera l’heure du Jugement, sous-entendu « vivez dans cette perspective » ; et là nous retrouvons bien les thèmes prophétiques, en particulier, la prédication de Jean-Baptiste ; deuxièmement, le Juge, ce n’est pas vous. C’est le Seigneur, lui qui regarde le coeur et non les apparences, lui qui seul peut sonder les reins et les coeurs… le vrai moissonneur qui ne précipite pas la moisson de peur de déraciner le blé avec l’ivraie (Mt 13,29).
La leçon est valable pour nous : d’un côté, nous sommes si bien installés dans la durée que nous manquons peut-être du souffle qui fait les prophètes ; mais de l’autre, nous nous posons parfois en juges, ce qui n’est pas notre métier, ou notre vocation, si vous préférez, et nous risquons de confondre l’ivraie et le bon grain.
Décidément, l’histoire de la paille et de la poutre est de tous les temps !

 

EVANGILE – selon Saint Matthieu 11, 2-11

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En ce temps-là,
2 Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison,
des œuvres réalisées par le Christ.
Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda :
3 « Es-tu celui qui doit venir,
ou devons-nous en attendre un autre ? »
4 Jésus leur répondit :
« Allez annoncer à Jean
ce que vous entendez et voyez :
5 Les aveugles retrouvent la vue,
et les boiteux marchent,
les lépreux sont purifiés,
et les sourds entendent,
les morts ressuscitent,
et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.
6 Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
7 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient,
Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean :
« Qu’êtes-vous allés regarder au désert ?
un roseau agité par le vent ?
8 Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ?
un homme habillé de façon raffinée ?
Mais ceux qui portent de tels vêtements
vivent dans les palais des rois.
9 Alors, qu’êtes-vous allés voir ?
un prophète ?
Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.
10 C’est de lui qu’il est écrit :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour préparer le chemin devant toi.
11 Amen, je vous le dis :
Parmi ceux qui sont nés d’une femme,
personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ;
et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux
est plus grand que lui. »

Dimanche dernier, l’évangile nous a présenté Jean-Baptiste baptisant dans le Jourdain tous ceux qui venaient à lui. Il disait : « Quelqu’un vient après moi ». Et il semble bien que lorsque Jésus lui a demandé le baptême, Jean-Baptiste a reconnu en lui le Messie que tout le monde attendait. Et puis les mois ont passé.
Jean-Baptiste a été mis en prison par Hérode. Les historiens de l’époque situent cet emprisonnement autour de l’année 28 et Saint Matthieu dans son évangile dit que c’est à partir de ce moment-là que Jésus a commencé véritablement sa prédication. Il a quitté la région du Jourdain et est parti vers le Nord en Galilée. C’est là qu’il a commencé sa vie publique. Matthieu nous rapporte toute une série de discours, y compris le fameux discours sur la montagne, les Béatitudes, et puis des actes : des quantités de guérisons d’abord, mais aussi des manières d’être un peu étranges ; par exemple, Jésus s’est entouré de disciples, pas tous très recommandables (il y avait un publicain) et plutôt disparates. Sur le plan religieux (comme sur le plan politique) ils n’étaient pas tous du même bord, c’est le moins qu’on puisse dire…
Et puis pour un prophète, il n’était pas très ascète ! Jean-Baptiste en était un, tout le monde admirait cela au moins. Jésus, lui, mangeait et buvait comme tout le monde mais plus grave encore, il s’affichait avec n’importe qui. Le plus décevant dans tout cela, c’est que Jésus lui-même ne revendiquait pas le titre de messie : il ne cherchait pas le pouvoir, d’aucune manière.
Dans sa prison, Jean-Baptiste entendait parler de tout ce qui se passait : il faut savoir que la détention dans les prisons antiques n’était pas nécessairement inhumaine. On a de nombreux exemples de relations des prisonniers avec l’extérieur et dans la prison. On peut donc très bien imaginer que les disciples le tenaient au courant des faits et gestes du Nazaréen. Si bien que Jean-Baptiste se posait des questions.
Et il a fini par se demander : est-ce que je me serais trompé de Messie ? Donc il envoie des disciples à Jésus avec une question : le Messie, c’est toi, oui ou non ? La question de Jean-Baptiste est réellement cruciale, pour Jean-Baptiste bien sûr puisqu’il la pose, mais aussi pour Jésus. Lui aussi a été obligé de se la poser très certainement et plusieurs fois dans sa vie, il a eu des choix à faire ; (l’épisode des Tentations, par exemple, le dit clairement).
Cette question au fond c’est : le Messie, on est tous sûrs qu’il va venir. On sait qu’il apportera à tous le salut : mais comment sera-t-il ? Il y avait deux sortes de textes dans l’Ecriture pour annoncer le Messie : les textes qui parlaient de ses oeuvres, les textes qui parlaient de ses titres. Pour les titres, certains le présentaient comme un roi, d’autres comme un prophète, d’autres comme un prêtre. Jésus ne cite aucun des textes sur les titres du messie, il n’en revendique aucun, une fois encore.
En revanche, il cite bout à bout plusieurs textes qui parlaient des oeuvres du Messie : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » 1
Jésus ne répond donc pas par oui ou par non à la question de Jean-Baptiste. Il cite les prophéties que Jean-Baptiste connaissait comme tout le monde et il lui dit : vérifie par toi-même si c’est bien cela que je suis en train de faire. Sous-entendu : oui, je suis bien le Messie, le vrai Fils de Dieu, tu ne t’es pas trompé. Seulement si tu es surpris, choqué par mes manières de faire, c’est qu’il te reste à découvrir le Vrai visage de Dieu… un Dieu avec les hommes au service de l’homme. Ce n’était pas comme cela qu’on l’imaginait.
Enfin, Jésus termine sa phrase par un mot d’admiration et d’encouragement pour le prisonnier « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » Car Jean-Baptiste nous donne un exemple en quelque sorte : Au lieu d’entretenir son doute en ruminant les bribes d’informations qu’il a reçues, au lieu de se faire sa propre opinion sur Jésus, Jean-Baptiste a pris le chemin direct en envoyant à Jésus lui-même quelques-uns de ses disciples… Par cette démarche, Jean-Baptiste manifeste qu’il n’a pas perdu confiance. La foi, il l’a toujours, et il demande à Jésus lui-même de l’éclairer. Bienheureux homme qui reste debout même dans le doute !
Alors Jésus demande à ses auditeurs : en fait, pourquoi êtes-vous allés là-bas, pour faire du tourisme, pour rêver ? Non, dit-il, sans le savoir peut-être, vous êtes allés vers le plus grand des prophètes, celui qui dit la parole finale de l’Ancien Testament : celui que Dieu envoie comme messager pour ouvrir la voie au Messie 2. C’est lui que la Bible avait plusieurs fois annoncé et qu’on appelle le précurseur, celui qui court devant pour ouvrir la route. Il est le plus grand des prophètes parce qu’il apporte le message décisif : ça y est, la promesse de Dieu se réalise. Mais Jésus ajoute : « cependant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste ! »
Parole étrange, mais qui dit bien qu’avec la venue de Jésus, l’histoire humaine vient de basculer : Jean-Baptiste n’est que le porteur d’un message et le contenu de ce message le dépasse infiniment. Ce qu’il ne sait pas et que le plus petit des disciples de Jésus va découvrir, c’est le contenu du message : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ».
———————–
Notes
1 – Jésus fait référence à plusieurs paroles d’Isaïe : en particulier Is 35,5-6 qui fait partie de notre première lecture et Is 61,1 : « L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi, le SEIGNEUR, en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter joyeux message aux humiliés, panser ceux qui ont le cœur brisé. »
2 – Le prophète Malachie annonçait de la part de Dieu : « Voici, j’envoie mon messager. Il aplanira le chemin devant moi. » (Ml 3,1).

 

ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DU PROPHETE AMOS, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, PSAUME 145

Dimanche 29 septembre 2019 : 26ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 29 septembre 2019 :

26è dimanche du Temps Ordinaire

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 29 septembre 2019

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Amos 6, 1…7

Ainsi parle le SEIGNEUR de l’univers :
1 Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion,
et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
4 Couchés sur des lits d’ivoire,
vautrés sur leurs divans,
ils mangent les agneaux du troupeau,
les veaux les plus tendres de l’étable ;
5 ils improvisent au son de la harpe,
ils inventent, comme David, des instruments de musique ;
6 ils boivent le vin à même les amphores,
ils se frottent avec des parfums de luxe,
mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël !
7 C’est pourquoi maintenant ils vont être déportés,
ils seront les premiers des déportés ;
et la bande des vautrés n’existera plus.

Dans la Bible, Amos est le premier prophète « écrivain », comme on dit, c’est-à-dire qu’il est le premier dont il nous reste un livre. D’autres grands prophètes antérieurs sont restés très célèbres : Elie par exemple ou Elisée, ou Natan… mais on ne possède pas leurs prédications par écrit. On a seulement des souvenirs de leur entourage. Amos a prêché vers 780–750 av. J.C. Combien de temps ? On ne le sait pas. Il a certainement été amené à dire des choses qui n’ont pas plu à tout le monde puisqu’il a fini par être expulsé sur dénonciation au roi. Vous vous rappelez que, originaire du Sud, il a prêché dans le Nord à un moment de grande prospérité économique. La semaine dernière, nous avions lu, déjà, un texte de lui, reprochant à certains riches de faire leur richesse au détriment des pauvres. Il suffit de lire le passage d’aujourd’hui pour imaginer le luxe qui régnait en Samarie : « Couchés sur des lits d’ivoire, ils mangent les meilleurs agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres ; ils improvisent au son de la harpe… ils se frottent avec des parfums de luxe… ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël »… la politique de l’autruche, en somme. Les gouvernants ne savent pas ou ne veulent pas savoir qu’une terrible menace pèse sur eux. « Ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ».
Il est vrai que, a posteriori, l’histoire nous apprend que cette confortable inconscience a été durement secouée quelques années plus tard. « Ils vont être déportés, ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus. » C’est très exactement ce qui s’est passé. On n’a pas écouté ce prophète de malheur qui essayait d’alerter le pouvoir et la classe dirigeante, et même on l’a fait taire en se débarrassant de lui. Mais ce qu’il craignait est arrivé.
C’est donc aux riches et aux puissants, aux responsables que le prophète Amos s’adresse ici. Que leur reproche-t-il au juste ? C’est la première phrase qui nous donne la clé : « Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. » Manière de dire : vous êtes bien au chaud, tout contents dans votre confort et même votre luxe… eh bien moi, je ne partage pas votre inconscience, je vous plains. Je vous plains parce que vous n’avez rien compris : vous êtes comme des gens qui se mettraient sous leur couette pour ne pas voir le cyclone arriver. Le cyclone, ce sera l’écroulement de toute cette société, quelques années plus tard, l’écrasement par les Assyriens, la mort de beaucoup d’entre vous et la déportation de ceux qui restent… « Je vous plains », dit sur ce ton-là, c’est quelque chose qu’on n’aime pas entendre !
« Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie »… Mais, où est le mal ? Le mal, c’est de fonder sa sécurité sur ce qui passe : quelques succès militaires passagers, la prospérité économique, et les apparences de la piété… pour ne pas déplaire à Dieu et à son prophète. Ils se vantent même de leurs réussites, ils croient en avoir quelque mérite, alors que tout leur vient de Dieu. Or la seule sécurité d’Israël, c’est la fidélité à l’Alliance… C’est la grande insistance de tous les prophètes : rappelez-vous Michée (qui prêchera quelques années plus tard à Jérusalem) « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien… rien d’autre que de pratiquer le droit, rechercher la justice et marcher humblement avec ton Dieu ». C’est juste le contraire à Samarie ; pire encore, ils sont hypocrites : quand ils offrent des sacrifices, ils transforment le repas qui suit en beuverie… car les repas que Amos décrit sont probablement des repas sacrés, comme il y en avait après certains sacrifices. Maintenant, ces repas sont sacrilèges, et n’ont plus grand chose à voir avec l’Alliance.
Ce qui fait la difficulté de ce passage, c’est sa concision : car, pour comprendre ces quelques lignes, il faut avoir en tête la prédication prophétique dans son ensemble ; la logique d’Amos, comme celle de tous les prophètes est la suivante : le bonheur des hommes et des peuples passe inévitablement par la fidélité à l’Alliance avec Dieu ; et fidélité à l’Alliance veut dire justice sociale et confiance en Dieu. Dès que vous vous écartez de cette ligne de conduite, tôt ou tard, vous êtes perdus.
C’est précisément sur ces deux points que Amos a des choses à redire : la justice sociale, on sait ce qu’il en pense, il suffit de relire le chapitre de la semaine dernière où il reprochait à certains riches de faire leur fortune sur le dos des pauvres ; et dans le texte d’aujourd’hui, les repas de luxe qu’on nous décrit ne profitent évidemment pas à tout le monde ; quant à Dieu, on n’a plus besoin de lui… croit-on ; pire, on fait des simulacres de cérémonie ; comme le dit Isaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi » (Is 29,13). Il est probable qu’Amos, ce prophète venu d’ailleurs, puisqu’il venait du Sud, avait le regard d’autant plus aiguisé sur les faiblesses du royaume du Nord ; car au Sud, on ne connaissait pas encore une période aussi faste, et on conservait encore le style de vie des origines d’Israël ; tandis qu’au Nord, nous avons vu la semaine dernière que le règne de Jéroboam II était une période plus brillante. Mais la croissance économique exigeait une grande vigilance dans la transformation de la société. Malheureusement on s’éloignait de plus en plus de l’idéal des origines : au début, la Loi défendait l’égalité entre tous les citoyens et prévoyait donc la distribution égale de la terre entre tous. Or Samarie se couvrait de palais luxueux, construits par certains aux dépens des autres ; quand on s’était bien enrichi, grâce au commerce florissant, par exemple, on avait vite fait d’exproprier un petit propriétaire ; et nous avons vu que certains plus pauvres en étaient réduits à l’esclavage ; c’était notre texte de dimanche dernier.
L’archéologie apporte d’ailleurs sur ce point des précisions très intéressantes : alors qu’au dixième siècle, les maisons étaient toutes sur le même modèle et représentaient des trains de vie tout-à-fait identiques, au huitième siècle, au contraire, on distingue très bien des quartiers riches et des quartiers pauvres. Fini le bel idéal de la Terre Sainte, avec une société sans classes.
A bon entendeur, salut : si nous voulons être fidèles aujourd’hui à ce que représentait pour les hommes de la Bible l’idéal de la terre sainte, il nous est bon de relire le prophète Amos.
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N.B. Les exégètes pensent que le verset 1a qui concerne Jérusalem est postérieur ; il serait une adaptation pour Jérusalem d’un texte écrit pour Samarie.

 

PSAUME – 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10

6 Le SEIGNEUR garde à jamais sa fidélité,
7 il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8 Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes,
9 le SEIGNEUR protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
10 D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Cette litanie superbe n’est qu’une partie du psaume 145/146 ; et, malheureusement, la liturgie de ce dimanche ne nous fait pas entendre les Alleluia qui l’encadrent dans le texte hébreu. (On l’appelle un « Psaume alleluiatique »). C’est dire que nous sommes, comme dimanche dernier, en face d’un psaume de louange. Et la première strophe, c’est « Chante, ô mon âme, la louange du SEIGNEUR ! Je veux louer le SEIGNEUR tant que je vis, chanter mes hymnes pour mon Dieu tant que je dure. »
Qui parle au juste dans ce psaume ? Vous avez entendu : ce sont des opprimés, des affamés, des aveugles, des accablés, des étrangers, des veuves, des orphelins qui reconnaissent la sollicitude de Dieu pour eux. En réalité, c’est le peuple d’Israël qui parle de lui-même : c’est sa propre histoire qu’il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; il a connu toutes ces situations : l’oppression en Egypte, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Israël a connu la faim, aussi, dans le désert et Dieu a envoyé la manne et les cailles.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide (« Dieu aime les justes »). C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. »
Ce nom « SEIGNEUR » qui revient si souvent, de manière litanique, c’est la traduction de ce fameux NOM de Dieu en 4 lettres que l’on appelle « Le Tétragramme » : « YHVH » qui dit sa présence agissante et libératrice. Le verset qui précède ceux d’aujourd’hui les résume tous : « Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR (YHVH) son Dieu » : le secret du bonheur, c’est de s’appuyer sur Dieu, c’est-à-dire d’attendre tout de Lui, et de Lui seul. Là on voit bien pourquoi ce psaume a été choisi pour ce dimanche en réponse au texte d’Amos. Surtout, disait Amos aux gens de Samarie, faites attention à bien placer votre confiance : méfiez-vous des fausses sécurités. Dieu seul est digne de confiance. En écho, je vous relis quelques autres versets de ce psaume : « Ne comptez pas sur les puissants, (ce ne sont que) des fils d’homme qui ne peuvent sauver ! Leur souffle s’en va, ils retournent à la terre ; et ce jour-là, périssent leurs projets. Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR son Dieu ».
Reconnaître notre dépendance fondamentale et la vivre en toute confiance parce que Dieu n’est que bienveillant… C’est la définition de la foi tout simplement. C’est le secret du bonheur, nous disent les prophètes. Je reprends l’épisode de la manne dont je parlais tout-à-l’heure : vous vous souvenez : en plein désert, ils avaient faim et Dieu avait envoyé la manne ; cette espèce de mince pellicule blanche qui recouvrait le sol… et Moïse avait bien dit : chacun ramasse le nécessaire pour la journée et rien de plus … les petits malins qui croyaient pouvoir faire des provisions voyaient le surplus se gâter… on était obligé d’en laisser pour les autres et de se contenter de son nécessaire… (on se prend à rêver : si nos sociétés fonctionnaient comme celà …?)
Mais surtout, plus tard, ils ont compris que de cette manière Dieu leur avait enseigné la confiance : il leur a appris à vivre au jour le jour sans s’inquiéter du lendemain… parce que ce lendemain lui appartient à lui, tout simplement, et pas à nous. Il ne faut jamais perdre de vue l’expérience unique dont les fils d’Israël ont eu le privilège : tout au long de leur combat pour la liberté, ils ont éprouvé à leurs côtés la présence de celui qu’ils ont reconnu comme leur SEIGNEUR. Et c’est lui qui les a emmenés toujours plus loin dans la recherche de la liberté et de la justice pour tous. Et des phrases comme « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, aux affamés, il donne le pain, Le SEIGNEUR délie les enchaînés, Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles, Le SEIGNEUR redresse les accablés, Le SEIGNEUR aime les justes, Le SEIGNEUR protège l’étranger, il soutient la veuve et l’orphelin » résonnent pour eux comme des appels à plus de justice, plus de respect et de défense des petits et des faibles. Il en va pour eux du respect de l’Alliance. Si on y regarde de plus près, on constate que la Loi d’Israël n’a pas d’autre objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui. C’est sur ce long chemin de libération que Dieu mène inlassablement son peuple.
A notre tour, il nous est bon de relire ce psaume : non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : si Dieu a agi ainsi envers Israël, à notre tour, nous qui sommes héritiers de ce long chemin d’Alliance, nous sommes tenus d’en faire autant pour les autres.

 

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Paul à Timothée 6, 11-16

11 Toi, homme de Dieu,
recherche la justice, la piété, la foi, la charité,
la persévérance et la douceur.
12 Mène le bon combat, celui de la foi,
empare-toi de la vie éternelle !
C’est à elle que tu as été appelé,
c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi
devant de nombreux témoins.
13 Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à tous les êtres,
et en présence du Christ Jésus
qui a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation,
voici ce que je t’ordonne :
14 garde le commandement du Seigneur,
en demeurant sans tache, irréprochable
jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ.
15 Celui qui le fera paraître aux temps fixés, c’est Dieu,
Souverain unique et bienheureux,
Roi des rois et Seigneur des seigneurs,
16 lui seul possède l’immortalité,
habite une lumière inaccessible ;
aucun homme ne l’a jamais vu,
et nul ne peut le voir.
À lui, honneur et puissance éternelle. Amen.

On ne peut pas rêver une synthèse plus complète de tout ce qui fait la foi et la vie du Chrétien. En même temps on est surpris par la solennité des formules de Paul : par exemple « En présence de Dieu et en présence du Christ Jésus, voici ce que je t’ordonne… » Pourquoi Paul dessine-t-il cette espèce de fresque ?
A première lecture, on croit entendre les échos de difficultés dans la communauté d’Ephèse où Timothée avait des responsabilités : « Continue à bien te battre pour la foi ». Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul avait déjà parlé du « combat » pour la foi. Voici un verset du chapitre 1 : « Voilà l’instruction que je te confie, Timothée, mon enfant… afin que tu combattes le beau combat, avec foi et bonne conscience. Quelques-uns l’ont rejetée et leur foi a fait naufrage. » (1 Tm 1,18-19). Il y a donc un combat à mener pour oser affirmer sa foi. L’heure est grave et c’est ce qui explique ce ton solennel : il y va de la fidélité de la jeune communauté chrétienne à son Baptême.
Le passage que nous lisons aujourd’hui est encadré par deux textes tout à fait semblables qui précisent encore mieux les choses : les deux dangers à éviter, ce sont premièrement les fausses doctrines, deuxièmement la recherche des richesses. Sur le premier point, il faut croire qu’il y avait de réels problèmes : (en voici un passage) « O Timothée, garde le dépôt, évite les bavardages impies et les objections d’une pseudo-science. Pour l’avoir professée (sous-entendu cette pseudo-science), certains se sont écartés de la foi. » (1 Tm 6,20-21). Et, dans le même sens, quelques versets plus haut : « Si quelqu’un enseigne une autre doctrine, s’il ne s’attache pas aux saines paroles de notre Seigneur Jésus-Christ, et à la doctrine conforme à la piété, c’est qu’il se trouve aveuglé par l’orgueil. C’est un ignorant, un malade, en quête de controverses et de querelles de mots. » (1 Tm 6,3-4). Déjà ce problème était apparu dès le début de la lettre et Paul avait recommandé à Timothée de rester à Ephèse : « Selon ce que je t’ai recommandé… demeure à Ephèse pour enjoindre à certains de ne pas enseigner une autre doctrine, et de ne pas s’attacher à des légendes et à des généalogies sans fin ; cela favorise les discussions plutôt que le dessein de Dieu, qui se réalise dans la foi. » (1 Tm 1,3-4).
Sur le deuxième point, il insiste aussi fort : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent… pour s’y être adonné, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercé l’âme de tourments multiples. » (1 Tm 6,10).
Voilà les deux pires dangers pour la foi aux yeux de Paul. Timothée, quant à lui, doit rester fidèlement accroché à celle de son baptême. Ce n’est certainement pas un hasard si Paul emploie deux fois exactement la même expression ; à propos de Timothée d’abord, il dit : « Tu as été capable d’une si belle affirmation de ta foi devant de nombreux témoins » ; c’est un rappel de la célébration du Baptême de Timothée : à l’époque de Paul on sait que les Baptêmes étaient administrés devant la communauté tout entière, et, dans le déroulement même du Baptême, la profession de foi était un moment très important… Un peu plus loin, Paul reprend exactement la même phrase à propos de Jésus : « Le Christ Jésus a témoigné devant Ponce Pilate par une si belle affirmation » ; sous-entendu, c’est dans le témoignage de Jésus que tu puiseras la force de témoigner à ton tour. Le oui de ton Baptême est enraciné dans le oui du Christ à son Père.
Ce oui du Baptême, c’est une chose, mais, maintenant, il va falloir être capable de le redire au jour le jour. Apparemment, Timothée va avoir besoin de toutes ses forces et c’est pour cela que Paul multiplie les recommandations : « Continue à bien te battre pour la foi, et tu obtiendras la vie éternelle ; c’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as été capable d’une si belle affirmation de ta foi devant de nombreux témoins. » Les armes de ce combat, ce sont la foi, l’amour, la persévérance, la douceur ; curieux combat dont l’arme principale est la douceur ; le vrai combat de la foi, si l’on en croit Paul, n’a rien à voir avec des guerres de religion : il se vit dans l’amour, la douceur, la persévérance (littéralement la « constance »). Nous l’avons trop souvent oublié… et pourtant l’histoire de toutes les religions montre que les guerres de religion n’ont jamais converti personne.
Enfin, par trois fois, dans ce texte, Paul rappelle quel est le but sur lequel nous devons toujours garder les yeux fixés : dans d’autres lettres de lui, nous avons déjà remarqué que toute sa pensée est orientée vers l’avenir ; entendons-nous bien, il faut écrire le mot à-venir en deux mots ; cet à-venir, il l’appelle « vie éternelle » ou encore « manifestation » (« épiphanie ») du Christ : « Garde le commandement du Seigneur, en demeurant irréprochable et droit jusqu’au moment où se manifestera notre Seigneur Jésus-Christ…. le Christ paraîtra au temps fixé » (sous-entendu que Dieu seul connaît).
Paul termine ce passage par une sorte de profession de foi, qui est, précisément, ce que Timothée doit continuer à affirmer contre vents et marées, avec douceur mais avec constance et fermeté : Dieu est « le Souverain unique et bienheureux, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, lui seul possède l’immortalité, il habite la lumière inaccessible, personne ne l’a jamais vu, personne ne peut le voir ». On ne peut pas dire plus clairement que Dieu est le Tout-Autre : on ne peut pas mettre la main dessus et prétendre le connaître (comme le font les faux docteurs). Ce dernier paragraphe est superbe : on retrouve un thème très cher à l’Ancien Testament, ce qu’on appelle la transcendance de Dieu : Dieu est hors de notre portée, il est le Tout Autre, nous ne l’atteignons pas par nous-mêmes… Mais il se fait proche. C’est Lui qui « fera paraître le Christ au temps fixé ».

 

EVANGILE – selon Saint Luc 16, 19-31

En ce temps-là,
Jésus disait aux pharisiens :
19 « Il y avait un homme riche,
vêtu de pourpre et de lin fin,
qui faisait chaque jour des festins somptueux.
20 Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare,
qui était couvert d’ulcères.
21 Il aurait bien voulu se rassasier
de ce qui tombait de la table du riche ;
mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
22 Or le pauvre mourut,
et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham.
Le riche mourut aussi,
et on l’enterra.
23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ;
levant les yeux, il vit Abraham de loin
et Lazare tout près de lui.
24 Alors il cria :
‘Père Abraham, prends pitié de moi
et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau
pour me rafraîchir la langue,
car je souffre terriblement dans cette fournaise.
25 – Mon enfant, répondit Abraham,
rappelle-toi :
tu as reçu le bonheur pendant ta vie,
et Lazare, le malheur pendant la sienne.
Maintenant, lui, il trouve ici la consolation,
et toi, la souffrance.
26 Et en plus de tout cela, un grand abîme
a été établi entre vous et nous,
pour que ceux qui voudraient passer vers vous
ne le puissent pas,
et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.’
27 Le riche répliqua :
‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare
dans la maison de mon père.
28 En effet, j’ai cinq frères :
qu’il leur porte son témoignage,
de peur qu’eux aussi ne viennent
dans ce lieu de torture !’
29 Abraham lui dit :
‘Ils ont Moïse et les Prophètes :
qu’ils les écoutent !
30 – Non, père Abraham, dit-il,
mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver,
ils se convertiront.’
31 Abraham répondit :
‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes,
quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts :
ils ne seront pas convaincus.’ »

Elle est doublement terrible cette dernière phrase : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » ; d’abord elle semble désespérée, comme si rien ne pouvait forcer un coeur de pierre à changer ! Mais elle est plus terrible encore dans la bouche de Jésus : on peut se demander s’il pense à lui-même en disant cela ? « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts »… ? Et quand Luc écrit son évangile, il ne sait que trop bien que la Résurrection du Christ n’a pas converti tout le monde, loin de là, elle en a même endurci plus d’un.
Venons-en à l’histoire du riche et du pauvre Lazare : le riche, finalement, nous ne savons pas grand chose de lui, même pas son nom ; il n’est pas dit qu’il soit spécialement méchant, au contraire, puisqu’il pensera même plus tard à sauver ses frères du malheur dans l’au-delà. Simplement, il est dans son monde, dans son confort, « dans sa tour d’ivoire », pourrait-on dire, comme les Samaritains dont parlait Amos dans la première lecture. Tellement dans sa tour d’ivoire qu’il ne voit même pas à travers son portail, le mendiant qui crève de faim et qui se contenterait bien de ses poubelles.
Le mendiant, lui, a un nom « Lazare » qui veut dire « Dieu aide » et cela, déjà, est tout un programme : Dieu l’aide, non parce qu’il est vertueux, on n’en sait rien, mais parce qu’il est pauvre, tout simplement. Voilà peut-être la première surprise que Jésus fait à ses auditeurs en leur racontant cette parabole : car, en fait, cette histoire, ils la connaissaient déjà, c’était un conte bien connu, qui venait d’Egypte ; les deux personnages étaient un riche plein de péchés et un pauvre plein de vertus : arrivés dans l’au-delà, les deux passaient sur la balance : et on pesait leurs bonnes et leurs mauvaises actions. Et au fond la petite histoire ne dérangeait personne : les bons, qu’ils soient riches ou pauvres, étaient récompensés… les méchants, riches ou pauvres, étaient punis. Tout était dans l’ordre.
Les rabbins, eux aussi, avant Jésus, racontaient une histoire du même genre, elle aussi bien évidemment empruntée à l’Egypte. Le riche était un fils de publicain pécheur, le pauvre un homme très dévot ; eux aussi passaient sur une balance qui pesait soigneusement les mérites des uns et des autres ; très logiquement, le dévot était reconnu plus méritant que le fils du publicain.
Jésus bouscule un peu cette logique : il ne calcule pas les mérites et les bonnes actions ; car, encore une fois, il n’est dit nulle part que Lazare soit vertueux et le riche mauvais ; Jésus constate seulement que le riche est resté riche sa vie durant, pendant que le pauvre restait pauvre, à sa porte : c’est dire l’abîme d’indifférence, ou d’aveuglement si vous préférez, qui s’est creusé entre le riche et le pauvre, simplement parce que le riche n’a jamais entrouvert son portail.
Autre détail qui a son importance dans le récit de Jésus : il n’est pas tout-à-fait exact qu’on ne sait rien du riche ; en fait, on sait comment il était habillé : de pourpre et de lin, ce qui est une allusion évidente aux vêtements des prêtres !) ; la traduction que nous lisons ici parle de « vêtements de luxe », mais c’est plus que cela : la couleur pourpre qui était primitivement la couleur des vêtements royaux, était devenue la couleur des grands prêtres parce qu’ils servent le roi du monde ; quant au lin c’était le tissu de la tunique du grand prêtre ; là, dans la bouche de Jésus, il y a certainement une petite pointe à l’égard de ses auditeurs : très pieux mais peut-être indifférents à la misère des autres ; Jésus leur dit quelque chose comme « grand-prêtre ou pas, si vous méprisez vos frères, vous ne méritez pas votre titre de fils d’Abraham ».
Car, on l’aura remarqué : Abraham est cité sept fois dans cette page ; c’est donc certainement une clé du texte. Au fond, la question de Jésus c’est « qui est vraiment fils d’Abraham ? » et sa réponse : si vous n’écoutez pas la Loi et les Prophètes, si vous êtes indifférents à la souffrance de vos frères, vous n’êtes pas les fils d’Abraham. Jésus va encore plus loin : le pauvre aurait bien voulu manger les miettes du riche, mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies ; or les chiens étaient des animaux impurs… ce qui fait que même si le riche pieux s’était donné la peine d’ouvrir son portail, il aurait été choqué de toute façon et il aurait fui cet homme impur léché par les chiens… la leçon de Jésus, là encore, c’est « vous attachez de l’importance aux mérites, vous veillez à rester purs, vous êtes fiers d’être les descendants d’Abraham… mais vous oubliez l’essentiel ». Cet essentiel est dit dans la loi et les prophètes ; et là, nous n’avons que l’embarras du choix, dans le livre d’Isaïe par exemple : « Les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras, devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas… Si tu cèdes à l’affamé ta propre bouchée, si tu rassasies le gosier de l’humilié, ta lumière se lèvera dans les ténèbres… » (Isaïe 58,7-8). Pas besoin de signes extraordinaires pour nous convertir : nous avons la Loi, les Prophètes, les Evangiles : à nous de les écouter et d’en vivre !

ANCIEN TESTAMENT, BIBLE, PSAUME 145, PSAUMES

Le Psaume 145

PSAUME 145

psa_151218

Alléluia ! Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur ! +

Je veux louer le Seigneur tant que je vis, * chanter mes hymnes pour mon Dieu tant que je dure.

Ne comptez pas sur les puissants, des fils d’homme qui ne peuvent sauver !

Leur souffle s’en va : ils retournent à la terre ; et ce jour-là, périssent leurs projets.

Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le Seigneur son Dieu,

 lui qui a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu’ils renferment ! Il garde à jamais sa fidélité,

 il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes,

le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant.

 D’âge en âge, le Seigneur régnera : ton Dieu, ô Sion, pour toujours !