ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX THESSALONICIENS, LIVRE DE LA SAGESSE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 62

Dimanche 8 novembre 2020 : 32ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 8 novembre 2020 :

32ème dimanche du Temps Ordinaire

FZsAb69VVq-9zB-yzjaBl9akZHw
http://www.byzantina.com/ _ Histoire de l’Etat byzantin, par Georges Ostrogorsky.  » Histoire  » Payot, 1996.

Commentaire de Marie-Noëlle Thabut

Ière Lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre de la Sagesse 6,12-16

12 La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas.
Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment,
elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent.
13 Elle devance leurs désirs
en se faisant connaître la première.
14 Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas :
il la trouvera assise à sa porte.
15 Penser à elle est la perfection du discernement,
et celui qui veille à cause d’elle
sera bientôt délivré du souci.
16 Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ;
au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ;
dans chacune de leurs pensées,
elle vient à leur rencontre.

OR DONC, ROIS, LAISSEZ-VOUS INSTRUIRE
Avec Aragon, les amoureux chantent « Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ? » : les croyants le chantent encore plus ; la foi est bien l’histoire d’une rencontre. Dans ce texte du livre de la Sagesse, comme dans toute la Bible, il s’agit de la foi d’Israël, de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Car l’auteur du livre de la Sagesse est un croyant ! Je dis « l’auteur » à défaut de pouvoir être plus précise ! On ne sait pas qui il est : une seule chose est sûre : ce livre intitulé « Livre de la sagesse de Salomon » n’est très certainement pas du grand roi Salomon, le fils de David, qui a régné vers 950 av. J.C. Ce Livre a été écrit en grec (et non en hébreu) par un Juif anonyme, à Alexandrie en Egypte, environ cinquante ans seulement, peut-être moins, avant la naissance de Jésus-Christ. Le passage que la liturgie   nous offre ici fait partie de tout un ensemble de recommandations aux rois ; évidemment, l’attribution du livre au roi dont la Sagesse était proverbiale donnait toute latitude à l’auteur pour donner des conseils.
Le chapitre 6 commence par : « Or donc, rois, écoutez et comprenez, laissez-vous instruire, vous dont la juridiction s’étend à toute la terre… C’est à vous, ô princes, que vont mes paroles, afin que vous appreniez la Sagesse et ne trébuchiez pas ». Son discours tient en trois points :
Premièrement, la Sagesse est la chose la plus précieuse du monde : et là, ce livre au titre trop sérieux recèle des envolées littéraires auxquelles on ne s’attendait pas : « La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas ». Ou encore : « Elle est un effluve de la puissance de Dieu, une pure irradiation de la gloire du Tout-Puissant… elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l’activité de Dieu et une image de sa bonté. » (Sg 4,25-26). Elle est tellement précieuse qu’on la compare à la plus désirable des femmes : « Elle est plus radieuse que le soleil et surpasse toute constellation. Comparée à la lumière, sa supériorité éclate : la nuit succède à la lumière, mais le mal ne prévaut pas sur la Sagesse. » (Sg 7,29-30). « C’est elle que j’ai aimée et recherchée dès ma jeunesse, j’ai cherché à en faire mon épouse et je suis devenu l’amant de sa beauté. » (Sg 8,2).
Deuxièmement, la Sagesse est à notre portée, ou, plus exactement, elle se met à notre portée : « Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment… elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. » Au passage, il faut admirer ce style très balancé que nous trouvons si souvent dans la Bible, en particulier chez les prophètes et dans les psaumes.. Mais surtout, il y a dans ces deux phrases parallèles une affirmation fondamentale : c’est qu’il n’y a pas de conditions pour rencontrer Dieu ; pas de conditions d’intelligence, de mérite ou de valeur personnelle… Jésus le redira sous une autre forme : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira… Quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira. » (Mt 7,7-9).
QUI DEMANDE REÇOIT
Et l’auteur attribue au roi Salomon cette confidence : « J’ai prié et le discernement m’a été donné, j’ai imploré et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. » (Sg 7,7). Il nous suffit de la désirer : la seule condition, évidemment, la chercher, la désirer ardemment : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » dit le psaume 62/63. « Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte » ; toujours cette affirmation qu’elle est tout près de nous, et qu’il nous suffit de la chercher… manière aussi de dire que nous sommes libres ; Dieu ne nous force jamais la main.
Troisièmement, non seulement, elle répond à notre attente, mais elle-même nous recherche, elle nous devance ! Et là, il faut quand même de l’audace… Pourtant, l’auteur le dit en toutes lettres : « Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première »… « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle. » Dieu prend l’initiative de se révéler à l’homme ; car, on l’a deviné, la Sagesse n’est autre que Dieu lui-même inspirant notre conduite. Plus tard, Saint Paul dira de Jésus-Christ qu’il est la Sagesse de Dieu : « Il est Christ, Puissance de Dieu, Sagesse de Dieu » (1 Co 1,24-30). « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle » : de nous-mêmes, nous ne pourrions pas atteindre Dieu. Et la dignité dont il est question ici, c’est seulement ce désir de Dieu : la seule dignité qui nous est demandée, c’est d’avoir un cœur  qui cherche Dieu. Serait-ce cela la « robe des noces » de la parabole ?
Et voilà pourquoi il peut y avoir rencontre, Alliance : on sait bien que, pour qu’il y ait vraiment rencontre intime entre deux êtres, il faut que les deux le désirent ; et c’est ce que nous dit le passage d’aujourd’hui : Dieu est à la recherche de l’homme ; il faut et il suffit que l’homme soit à la recherche de Dieu : « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre ».
On peut se poser la question : sur quels critères peut-on juger qu’un roi (ou quiconque) aura été sage ou non ? Voici ce qu’en dit Jérémie : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le vaillant ne se vante pas de sa vaillance, que le riche ne se vante pas de sa richesse ! Mais qui veut se vanter, qu’il se vante de ceci : avoir de l’intelligence et me connaître, car je suis le SEIGNEUR qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre. Oui, c’est cela qui me complaît, oracle du SEIGNEUR ! » (Jr 9, 22-23). Voilà donc les critères de la vraie sagesse : celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice.
Notre auteur dit quelque chose d’équivalent : « C’est lui (le Très-Haut) qui examinera vos actes… Si vous, les ministres de sa royauté n’avez pas jugé selon le droit, ni respecté la loi, ni agi selon la volonté de Dieu… (sous-entendu « il vous jugera ») » (Sg 6,3-4). Décidément, où qu’on se tourne dans la Bible, cela revient toujours au même : la seule chose qui nous est demandée, c’est d’agir selon la volonté de Dieu : « Ce ne sont pas ceux qui disent ‘Seigneur, Seigneur’, mais ceux qui font la volonté de mon Père… » et le prophète  Michée précise : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR attend de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu (d’autres traductions disent « la vigilance » dans la marche avec ton Dieu) (Mi 6,8). Toutes les autres lectures de ce trente-deuxième dimanche nous parleront de cette vigilance.

PSAUME – 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8

2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

3 Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

5 Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
6 Comme par un festin je serai rassasié :
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

7 Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
8 Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.

JE CRIE DE JOIE À L’OMBRE DE TES AILES
« Je crie de joie à l’ombre de tes ailes » : c’est beau, mais c’est quand même étonnant ! En fait, il faut se transporter en pensée, à l’intérieur du Temple de Jérusalem (avant sa destruction, bien sûr, en 587 av. J.C. par Nabuchodonosor)… et supposer que nous sommes prêtres ou lévites. Là, dans le lieu le plus sacré, le « Saint des Saints », se trouvait l’Arche d’Alliance : attention, quand nous disons Arche aujourd’hui, nous risquons de penser à une œuvre  architecturale imposante : les Parisiens penseront peut-être à ce qu’ils appellent la Grande Arche de la Défense… Pour Israël, c’est tout autre chose ! Il s’agit de ce qu’ils avaient de plus sacré 1 : un petit coffret de bois précieux, recouvert d’or, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui abritait les tables de la Loi. Sur ce coffret, veillaient deux énormes statues de chérubins.
Les « Chérubins » n’ont pas été inventés par Israël : le mot vient de Mésopotamie. C’étaient des êtres célestes, à corps de lion, et face d’homme, et surtout des ailes immenses. En Mésopotamie, ils étaient honorés comme des divinités… En Israël au contraire, on prend bien soin de montrer qu’ils ne sont que des créatures : ils sont représentés comme des protecteurs de l’Arche, mais leurs ailes déployées sont considérées comme le marchepied du trône de Dieu. Ici, un prêtre en prière dans le Temple, à l’ombre des ailes des chérubins se sent enveloppé de la tendresse de son Dieu depuis l’aube jusqu’à la nuit.2
Les autres images de ce psaume sont toutes également empruntées au vocabulaire des lévites : « Je t’ai contemplé au sanctuaire » : ils étaient les seuls à pénétrer dans la partie sainte du Temple… « toute ma vie, je vais te bénir » : effectivement toute leur vie était consacrée à la louange de Dieu… « lever les mains en invoquant ton nom » : là nous voyons le lévite en prière, les mains levées… « Comme par un festin je serai rassasié », c’est une allusion à certains sacrifices qui étaient suivis d’un repas de communion pour tous les assistants, et d’autre part, on sait que les lévites recevaient pour leur nourriture une part de la viande des sacrifices… « Dans la nuit, je me souviens de toi, je reste des heures à te parler » : lorsqu’ils étaient de service à Jérusalem, leur vie entière se déroulait dans l’enceinte du Temple.
En fait, ce psaume est une métaphore : ce lévite, c’est Israël tout entier qui, depuis l’aube de son histoire et jusqu’à la fin des temps, s’émerveille de l’intimité que Dieu lui propose : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi… » Et quand il dit « dès l’aube », il veut dire depuis l’aube des temps : depuis toujours le peuple d’Israël est en quête de son Dieu. « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » : en Israël, ces expressions sont très réalistes : la terre désertique, assoiffée, qui n’attend que la pluie pour revivre, c’est une expérience habituelle, très suggestive.
DIEU, TU ES MON DIEU, JE TE CHERCHE DÈS L’AUBE
Depuis l’aube de son histoire, Israël a soif de son Dieu, une soif d’autant plus grande qu’il a expérimenté la présence, l’intimité proposée par Dieu. Et donc, à un deuxième niveau, c’est l’expérience du peuple qui affleure dans ce psaume : par exemple « mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » est certainement une allusion au séjour dans le désert après la sortie d’Egypte et à l’expérience terrible de la soif à Massa et Meriba (Ex 17). La plus belle prière est certainement celle qui jaillit de notre pauvreté spirituelle, comme la plainte du déshydraté : « J’ai soif ».
« Je t’ai contemplé au sanctuaire » est une allusion aux manifestations de Dieu au Sinaï, le lieu sacré où le peuple a contemplé son Dieu qui lui offrait l’Alliance. « J’ai vu ta force et ta gloire », dans la mémoire d’Israël, cela évoque les prodiges de l’Exode pour libérer son peuple de l’esclavage en Egypte. Tout autant que la formule « Tu es venu à mon secours » : on n’oubliera jamais, de mémoire d’homme, en Israël, cette phrase de Dieu à Moïse : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer. » (Ex 3,7).
Quand on méditait sur cette libération apportée par Dieu, on comparait parfois celui-ci à un aigle apprenant à ses petits à voler : « Il est comme l’aigle qui encourage sa nichée : il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32,11). En écho on lit dans le livre de l’Exode, au moment de la célébration de l’Alliance : « Tu diras ceci à la maison de Jacob… Vous avez vu vous-mêmes comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. » (Ex 19, 4). Si bien que les ailes des chérubins dans le Temple prenaient encore une autre signification. Elles sont les ailes protectrices de celui qui apprend à Israël le chemin de la liberté.
Toutes ces évocations d’une vie d’Alliance, d’intimité sans ombre sont peut-être la preuve que ce psaume a été écrit dans une période moins lumineuse ! Où l’on a bien besoin de s’accrocher aux souvenirs du passé. Tout n’est pas si rose et les derniers versets (que la liturgie ne nous fait pas chanter), disent fortement, violemment même l’attente de la disparition du mal sur la terre, par exemple : « Ceux qui pourchassent mon âme, qu’ils descendent aux profondeurs de la terre »… Israël attend la pleine réalisation des promesses de Dieu, les cieux nouveaux, la terre nouvelle, et la délivrance de tout mal et de toute persécution.
L’expression « je te cherche dès l’aube… mon âme a soif » dit aussi que cette quête n’est pas encore comblée : Israël est le peuple de l’attente, de l’espérance: « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur n’attend l’aurore. » (Ps 129/130,6). Quand Jésus parle de veille, de vigilance dans la parabole des vierges sages et des vierges folles (qui sera notre évangile de ce trente-deuxième dimanche), c’est à cela qu’il pense : une recherche permanente de Dieu.
Aujourd’hui à la suite du peuple juif, le peuple chrétien reprend à son compte cette prière, cette soif, cette attente : le psaume 62/63 fait partie de la prière des Heures du dimanche matin de la première semaine. Car dans la liturgie chrétienne, le dimanche, jour de la Résurrection  du Christ, est le jour privilégié où nous célébrons la totalité du mystère de l’Alliance de Dieu avec son peuple, depuis l’aube de son histoire, dans l’attente de l’avènement définitif de son Royaume.
————————
Notes
1 – L’Arche d’Alliance est perdue depuis l’Exil à Babylone et personne ne sait ce qu’elle est devenue.
2 – En réalité, seul le grand-prêtre – avait accès au Saint des Saints, une fois par an, le jour du Yom Kippour (le Grand Pardon). Le prêtre en prière, s’imagine être sous l’ombre de l’Arche.

DEUXIEME LECTURE –

lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens 4, 13-18

13 Frères,
nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance
au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ;
il ne faut pas que vous soyez abattus
comme les autres, qui n’ont pas d’espérance.
14 Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ;
de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis,
Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
15 Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci :
nous les vivants,
nous qui sommes encore là pour la venue du Seigneur,
nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis.
16 Au signal donné par la voix de l’archange, et par la trompette divine,
le Seigneur lui-même descendra du ciel,
et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord.
17 Ensuite, nous les vivants,
nous qui sommes encore là,
nous serons emportés sur les nuées du ciel,
en même temps qu’eux,
à la rencontre du Seigneur.
Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur.
18 Réconfortez-vous donc les uns les autres
avec ce que je viens de dire.

L’ESPERANCE DES CHRÉTIENS
On se demande souvent ce que les Chrétiens ont de plus que les autres ; Saint Paul vient de nous donner une réponse : nous avons reçu en cadeau l’espérance! D’après lui, c’est ce qui nous distingue : « Il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance». Une espérance qui ne repose ni sur des raisonnements, ni sur des convictions, ni sur de quelconques prédictions… mais sur un événement qui est le socle de notre foi : à savoir la Résurrection de Jésus-Christ.
Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul va jusqu’à dire : « Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi. » (1 Co 15,14). De deux choses l’une : ou bien Christ est ressuscité ou bien il ne l’est pas. S’il n’est pas ressuscité, alors notre foi est un château de cartes qui ne peut que s’écrouler. « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire… Dès lors, même ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (1 Co 15,17-19). Si c’est cela, nous avons été trompés et l’avenir est bouché.
Mais, bien sûr, Paul continue, toujours dans cette lettre aux Corinthiens : « Mais non : Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts. » (1 Co 15,20). « Prémices », c’est-à-dire premier-né de l’humanité vivante. Paul fait allusion, ici, à la coutume de l’offrande des prémices dans l’Ancien Testament : lorsqu’on offrait à Dieu la première gerbe de la récolte, ou l’animal premier-né du troupeau, ces offrandes (ces « prémices ») représentaient la totalité de la récolte, l’ensemble du troupeau. De la même manière, Jésus ressuscité est « prémices » de toute l’humanité.
Et alors nous pouvons contempler ce projet de Dieu : le Dieu vivant a conçu un peuple de vivants ; et c’est pour cela que nous sommes le peuple de l’espérance; rappelons-nous la discussion de Jésus avec les Sadducéens (Mt 22,23s) : à l’époque du Christ, la foi en la Résurrection était un progrès tout récent de la théologie juive ; les Pharisiens y croyaient, mais pas encore les Sadducéens : ils donnaient pour argument la complexité des rapports dans l’au-delà pour une femme qui aurait eu sur terre successivement sept maris : « A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femme, puisque tous l’ont eue pour femme ? » Jésus leur répond, d’abord, qu’il ne faut pas envisager la Résurrection comme une copie de notre vie sur la terre, la perspective de la mort en moins ; mais surtout, il affirme la Résurrection : « Pour ce qui est de la Résurrection   des morts, n’avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite : ‘Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob’ ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».
LA CRÉATION TOUT ENTIÈRE GÉMIT DANS LES DOULEURS DE L’ENFANTEMENT
Cette parole-là lui a permis, à lui, Jésus, le premier, d’affronter la mort. Quand il annonce sa Passion à ses disciples, il annonce toujours en même temps sa Résurrection (Mt 16,16 par ex) ; cette parole-là doit nous permettre à notre tour d’affronter la vie sans angoisse excessive à la pensée de son terme inéluctable, et d’affronter la mort, le jour venu. Comme dit Paul encore : « J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu … elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. » (Rm 8,17-23).
Cet enfantement, c’est celui du dessein bienveillant de Dieu : s’il y a un moment où nous devons nous souvenir à tout prix que le dessein de Dieu est bienveillant, c’est quand nous envisageons notre mort ; et alors, il ne nous reste plus qu’à nous laisser faire puisque sa volonté est bonne pour nous : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Ep 1,9-10).
RIEN NE POURRA NOUS SÉPARER DE LUI
Ce projet de Dieu, c’est donc un peuple de vivants qui ne font qu’un en Jésus-Christ, comme un seul homme. Au fond, ce qui nous est le plus difficile à imaginer, c’est ce projet d’union : « Réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ ». C’est certainement à cela que Paul pensait lorsqu’il écrivait : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ?… Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort, ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8,35-39).
Rien ne pourra nous séparer de lui, rien, pas même la mort biologique : c’est pour cela que Paul emploie l’image du sommeil ; quelqu’un qui dort est bien vivant ! Et donc ceux qui nous ont quittés ne seront pas séparés du Christ. Comme dit Paul dans notre texte d’aujourd’hui : « Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur ». Voilà qui devrait nous permettre de nous réconforter mutuellement. Paul lui-même en a eu peut-être parfois besoin puisqu’il dit dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage et même si, en nous, l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. » (2 Co 4,16-17) ; et dans la lettre aux Philippiens : « Notre cité à nous est dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, qui transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec la force qui le rend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir. » (Phi 3,20-21).
Pour terminer, imaginons le dernier jour, celui que Jésus appelle « l’avènement du Fils de l’Homme » : le journaliste de service écrira « Ils se sont tous levés comme un seul homme » !

EVANGILE – selon saint Matthieu 25, 1-13

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples cette parabole :
1 « Le royaume des Cieux sera comparable
à dix jeunes filles invitées à des noces,
qui prirent leur lampe
pour sortir à la rencontre de l’époux.
2 Cinq d’entre elles étaient insouciantes,
et cinq étaient prévoyantes :
3 les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
4 tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes,
des flacons d’huile.
5 Comme l’époux tardait,
elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
6 Au milieu de la nuit, il y eut un cri :
‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’
7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
et se mirent à préparer leur lampe.
8 Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes :
‘Donnez-nous de votre huile,
car nos lampes s’éteignent.’
9 Les prévoyantes leur répondirent :
‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous,
allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’
10 Pendant qu’elles allaient en acheter,
l’époux arriva.
Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces,
et la porte fut fermée.
11 Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’
12 Il leur répondit :
‘Amen, je vous le dis :
je ne vous connais pas.’
13 Veillez donc,
car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

LA PARABOLE DES DIX JEUNES FILLES
« Le Royaume des cieux est semblable à dix jeunes filles invitées à des noces … » Cette comparaison très positive avec des noces prouve bien que Jésus n’a pas imaginé cette parabole pour nous inquiéter ; il nous invite à nous transporter déjà au terme du voyage, quand le Royaume sera accompli et il nous dit « Ce sera comme un soir de noce » : d’entrée de jeu, on peut donc déjà déduire que même la dernière parole « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » ne doit pas nous faire peur, ce n’est jamais le but de Jésus. A nous de déchiffrer ce qu’elle veut dire.
C’est une parabole, c’est-à-dire que c’est la leçon finale qui compte. Ce n’est pas une allégorie, il n’y a donc pas à chercher des correspondances entre chaque détail de l’histoire et des situations ou des personnes concrètes. Enfin, ne nous scandalisons pas de ces prévoyantes qui refusent de partager, ce n’est pas une parabole sur le partage.
Toutes ces précautions prises, il reste à découvrir ce que peut vouloir dire cette fameuse dernière phrase « Veillez donc ». Pour commencer, reprenons les éléments de la parabole : des noces, une invitation ; dix jeunes filles, cinq d’entre elles sont insouciantes, cinq sont prévoyantes ; les prévoyantes ont de l’huile en réserve, les insouciantes ont pris leur lampe sans emporter d’huile… or il est vrai qu’une lampe à huile sans huile n’est plus une lampe à huile… C’est aussi insensé 1 que de mettre une lampe sous le boisseau : « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » (Mt 5,15).
L’époux tarde à venir et tout notre petit monde s’endort, les prévoyantes comme les autres : on peut noter au passage que ce sommeil ne leur est pas reproché, ce qui prouve que le mot de la fin « Veillez » n’interdit pas de dormir, ce qui est pour le moins paradoxal ! L’époux finit quand même par arriver et l’on connaît la suite : les prévoyantes entrent dans la salle de noces, les insouciantes se voient fermer la porte avec cette phrase dont on ne sait pas dire si elle est dure ou attristée « Je ne vous connais pas » leur dit l’époux. Et cette fameuse conclusion : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »
A LA RENCONTRE DE L’ÉPOUX CHAQUE JOUR
Chose curieuse, Jésus a déjà traité à peu près le même thème dans une autre parabole, celle des deux maisons : l’une est bâtie sur le roc, l’autre sur le sable. « La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé » : l’une des deux a résisté, l’autre s’est écroulée ; jusque-là rien de surprenant, on aurait pu s’en douter ; mais voici que Jésus s’explique : celui qui a bâti sur le roc, c’est « tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique… » ; que sont ces fameuses « paroles qu’il vient de dire » ? Nous sommes au chapitre 7 de Saint Matthieu ; quelques lignes auparavant, on a pu lire : « Ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur’, qu’on entrera dans le royaume des Cieux ; mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?’ Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus. Ecartez-vous de moi, vous qui commettez le mal. » (Mt 7,21-27).
Et Jésus continue : « Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique, est comparable à un homme prévoyant 2 qui a construit sa maison sur le roc… ». Dans la parabole des deux maisons, le lien est donc clair : « Je ne vous connais pas, car vous commettez le mal » ; en d’autres termes, « vous faites de très belles choses (prophéties, miracles…) mais vous n’aimez pas vos frères » ; ici, dans la parabole des dix vierges, cela revient au même : c’est « Je ne vous connais pas, vous n’êtes pas la lumière du monde… vous êtes appelées à l’être, mais il n’y a pas d’huile dans vos lampes ».
Les deux fois, Jésus emploie cette même formule « Je ne vous connais pas » : ce n’est pas un verdict sans appel, c’est un constat triste : « Je ne vous connais pas encore », « Vous n’êtes pas encore prêts pour le Royaume, vous n’êtes pas prêts pour les noces » ; il faut sans doute l’entendre au sens de « Je ne vous reconnais pas » : vous ne me ressemblez pas, vous n’êtes pas en communion avec moi.
Le rapprochement avec la parabole des deux maisons peut encore nous éclairer : celle-ci était la conclusion du discours sur la montagne dans lequel Jésus proclamait « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi’. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes…Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5,43-48).
« Veiller », c’est donc vivre au jour le jour cette ressemblance avec le Père pour laquelle nous sommes faits : c’est aimer comme lui ; chose impossible, sommes-nous tentés de dire… heureusement cette ressemblance d’amour est cadeau ; comme nous l’ont dit les autres lectures de ce dimanche, il nous suffit de la désirer ; de le chercher, comme dit le psaume « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » ; d’aller à la rencontre de cette Sagesse dont nous parlait la première lecture, celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice. Veiller, en fin de compte, c’est être toujours prêt à le recevoir. Cette rencontre de l’époux se fait non pas au bout du temps, à la fin de l’histoire terrestre de chacun, mais à chaque jour du temps ; c’est à chaque jour du temps qu’il nous modèle à son image.
————————
Notes
1-« Insensé » : c’est affaire de cohérence.
2-Le mot grec qui a été traduit en français par « prévoyant » est bien le même dans les deux paraboles (Mt 7,24 // Mt 25,2).
Compléments
– Il y a plusieurs manières d’envisager le temps qui passe ; pour un Chrétien, elle ne peut être que positive : c’est le temps qui prépare la venue du Seigneur, « l’avènement du Fils de l’Homme ». Jean-Sébastien Bach a traité ce thème dans un choral intitulé « Le choral du veilleur » et qui est en fait une variation sur la parabole des jeunes filles prévoyantes et des jeunes filles insouciantes ; il commence par un pas de danse très gai sur un registre un peu haut : vous les avez reconnues, ce sont les jeunes filles insouciantes ; puis, plus bas, intervient gravement la musique du cantique « Adoro te devote » : ce sont les vierges prévoyantes en train de méditer ; enfin au pédalier, s’installe un rythme régulier, appuyé, qui symbolise le temps qui s’écoule.
– « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » : Personne ne peut remplir ma lampe à ma place. Il y va de ma liberté et de ma responsabilité.

ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS, LIVRE DE JEREMIE, LIVRE DU PROPHETE JEREMIE, MARTIN DE TOURS (saint ; 316-397), Non classé, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 62

Dimanche 30 août 2020 : 22ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

Dimanche 30 août 2020 : 22ème dimanche du Temps Ordinaire

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile


PREMIERE LECTURE – Livre du prophète Jérémie 20,7-9

7 SEIGNEUR, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ;
tu m’as saisi, et tu as réussi.
À longueur de journée je suis exposé à la raillerie,

tout le monde se moque de moi.

8 Chaque fois que j’ai à dire la Parole,
je dois crier, je dois proclamer :
« Violence et dévastation ! »
À longueur de journée, la parole du SEIGNEUR
attire sur moi l’insulte et la moquerie.
9 Je me disais : « Je ne penserai plus à lui,
je ne parlerai plus en son nom. »
Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur,
elle était enfermée dans mes os.
Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.


Jérémie nous décrit ici l’expérience spirituelle de persécution et de déchirement intérieur qu’il a vécue toute sa vie ; et il n’est pas le seul ; de nombreux autres prophètes et, plus tard, Jésus lui-même, ont affronté de telles situations 1.
Revenons à Jérémie : je vous rappelle le contexte de sa prédication : il a exercé son ministère pendant les quarante années qui ont précédé le désastre de Jérusalem en 587 av. J.C. et la déportation à Babylone. Quarante années de décadence spirituelle, et son ministère, précisément, consistait à prédire la catastrophe :
pas pour le plaisir de jouer les oiseaux de mauvais augure, évidemment, mais au contraire dans l’espoir d’obtenir in extremis la conversion du roi et du peuple.
Il ne néglige rien pour alerter ses contemporains, s’il est encore temps ; mais eux-mêmes ne négligent rien non plus pour faire taire cet empêcheur de danser en rond. C’est dans ce contexte très polémique et donc très angoissant pour lui que sont nées ces confidences dont nous venons de lire un extrait, ce que nous appelons ses « confessions » ; malheureusement, le mot « jérémiades », qui vient de là, bien sûr, est devenu péjoratif, ce qui est tout à fait injuste ; car les confessions de Jérémie sont magnifiques, pleines de douleur, c’est vrai, mais plus encore pleines de foi et de passion pour la cause de son Dieu.
Dans le texte d’aujourd’hui, par exemple, il nous livre le débat intérieur qui se joue au plus profond de lui : écartelé entre l’appel de Dieu qui le pousse à parler, et la sagesse humaine qui le pousse à se taire : « Je me disais : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir. » Mais abandonner la partie serait abandonner ses concitoyens à leur triste sort et tromper la confiance de Dieu.
On voit bien pourquoi ce texte nous est proposé ce dimanche où nous entendrons l’évangile de la confession de Pierre à Césarée. Quand Jésus avait demandé à ses disciples « Pour vous, qui suis-je ? » Pierre avait su répondre que Jésus était bien le Messie attendu ; mais aussitôt, Jésus avait dévoilé à ses disciples le sort qui l’attendait : la Passion, la croix, la mort, la résurrection ; je vous rappelle ce passage de l’évangile de saint Matthieu : « Pierre avait dit à Jésus : Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des chefs des prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. » Pierre, évidemment, s’était récrié : « Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. » Mais Jésus l’avait traité de Satan et avait prévenu ses disciples qu’ils ne seraient pas mieux traités que leur maître : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la gardera. »
Et il avait expliqué pourquoi : les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes, comme disait Isaïe ; un véritable prophète est donc inévitablement dérangeant pour les idées à la mode ; le feu dévorant de la parole de Dieu invitant à la conversion n’est pas fait pour plaire : « A longueur de journée je suis en butte à la raillerie, tout le monde se moque de moi » avoue Jérémie, et il ne cache pas qu’il lui arrive d’avoir peur. Il lui arrive d’entendre les gens parler dans son dos et comploter pour l’éliminer : « J’entends les propos menaçants de la foule » (Jr 20,10).
Le prophète est d’autant plus dérangeant qu’on n’arrive pas à s’en débarrasser : car s’il est vraiment l’envoyé du Seigneur, celui-ci lui donne la force de continuer malgré toutes les persécutions ; si bien qu’il n’y a pas moyen de le faire taire. On comprend bien pourquoi la persécution est inévitable.
Par exemple, les versets qui précèdent notre lecture d’aujourd’hui nous décrivent un épisode particulièrement difficile de la vie du prophète : Jérémie avait tellement cassé les oreilles de tout le monde dans le Temple avec tous ses reproches que le prêtre Pashehour l’avait fait attacher au pilori la tête en bas, sur la place publique ; le lendemain, quand Pashehour en personne est venu le détacher, pensant que cette rude punition l’avait enfin calmé, Jérémie avait repris de plus belle et s’en était pris carrément à Pashehour lui-même.
Et pourtant, ces confessions de Jérémie, empreintes de douleur, sont en même temps un aveu de la passion dévorante qui le brûle et, finalement, illumine sa vie : « SEIGNEUR, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. » Il se plaint, oui, mais il ne donnerait pas sa place à un autre. « La Parole était comme un feu brûlant dans mon cœur. »
Ce feu dévorant fait évidemment penser à la phrase du psaume 68/69 : « Le zèle de ta maison me dévorera », qui exprime bien la persécution endurée par tous les prophètes ; pour commencer, ce fut le cas du peuple d’Israël lui-même, investi d’une mission prophétique au service des nations. Tout au long de son histoire, il a cherché à rester fidèle à sa mission et cela lui valut par moments de terribles persécutions.
Puis ce fut le cas de tous les prophètes, les uns après les autres, parmi lesquels Jérémie ; et, bien sûr, les premiers chrétiens ont relu la vie de Jésus de la même manière. Comme Jérémie, Jésus a finalement été réduit au silence. Mais rien ne peut faire taire la Parole de Dieu : le Christ est ressuscité ; et désormais nous savons qu’un jour viendra où les hommes écouteront la Parole et y trouveront enfin leur lumière. Qui accepte de perdre sa vie la sauvera, la sienne et celle des autres.

———————–
Note
On lit un texte tout à fait semblable de Jérémie dans la liturgie du douzième dimanche ordinaire de l’année A : Jr 20,10-13.
Compléments
« Le zèle de ta maison me dévorera » : Saint Jean, lui, a appliqué cette phrase à Jésus ; comme Jérémie, il a prêché à Jérusalem, et comme lui, il a été amené à déplaire ; et comme lui encore, il a risqué sa vie pour continuer à annoncer à temps et à contre-temps la parole qui aurait pu sauver ses contemporains, si seulement ils avaient bien voulu l’écouter. L’épisode que Jean a choisi pour évoquer la parole de ce psaume, c’est ce que l’on appelle la « purification du temple », c’est-à-dire le jour où Jésus a chassé les vendeurs du Temple de Jérusalem. Ce jour-là, d’ailleurs, Jésus citait une phrase de Jérémie : « Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, (dit Dieu, traduisez le temple), la prenez-vous pour une caverne de bandits ? » (Jr 7,11).


PSAUME – 62 (63), 2…9

2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

3 Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !


Ce psaume fait parfaitement écho à l’expérience spirituelle de Jérémie qui était l’objet de notre première lecture : il disait son déchirement intérieur, les agressions perpétuelles dont il était l’objet, mais aussi sa passion pour Dieu qui était plus forte que tout et l’aidait à tout supporter. C’est bien parce que, pour lui, « l’amour de Dieu valait mieux que la vie » qu’il trouvait la force de résister à toutes les menaces et à toutes les humiliations ; mais c’est pour cela aussi qu’on s’acharnait sur lui de plus belle.
Mais ce n’est pas pour parler de Jérémie que ce psaume a été composé. Serait-ce une prière du roi David ? Car le premier verset lui donne un sous-titre : « Psaume de David quand il était dans le désert de Juda », sous-entendu « quand il s’était réfugié dans le désert de Juda pour échapper à ses ennemis ». Ce psaume se présente donc comme une prière que le roi David aurait composée lorsqu’il était traqué par des ennemis
L’Ancien Testament rapporte au moins trois épisodes au cours desquels David a dû se réfugier dans le désert de Juda : je vous les rappelle : les deux premières fois, c’était pour échapper à la folie meurtrière du roi Saül, son prédécesseur ; Saül était devenu tellement jaloux du petit David à qui tout réussissait trop bien, qu’il a essayé à plusieurs reprises de se débarrasser de lui ; et David a dû s’enfuir dans le désert pour échapper au roi ; on trouve ces deux récits au premier livre de Samuel (22,5 ; 23,14).
La troisième fois fut encore plus dramatique : celui qui pourchassait David et voulait le tuer c’était son propre fils Absalom, un peu trop pressé de récupérer le trône et donc de hâter la mort de son père. Le dit Absalom avait déjà prouvé que rien ne l’arrêterait puisque, quelques années plus tôt, il avait réglé le sort de son frère aîné. David n’a pas tout de suite compris le danger : il était un coeur pur, lui, et avait jusqu’au bout respecté la vie de son prédécesseur ; il ne pouvait pas imaginer une âme aussi noire que celle d’Absalom. Quand il a enfin compris, il était trop tard : Absalom était sur le point de conquérir Jérusalem ; il ne restait qu’une seule solution, la fuite. Et tout Jérusalem a vu son roi, humilié, fuir à pied la ville sainte, témoin jadis de sa splendeur, et monter en pleurant le mont des Oliviers. (2 S 15,23-28). Sa cause était perdue, tout le monde le savait : David était à pied, Absalom le poursuivait à cheval… c’est tout dire. Et on prête à David les paroles de
ce psaume : « Ton amour vaut mieux que la vie ».
Mais nous avons déjà vu que les indications en tête des psaumes (ce que l’on appelle la suscription) ne désignent pas l’auteur du psaume, ici le roi David : ce psaume-ci en particulier recèle plusieurs allusions trop claires au Temple de Jérusalem que, bien sûr, David n’a pas connu puisque le temple n’a été construit que par son fils Salomon.
Je reviens au sous-titre de ce psaume : il indique plutôt un état d’esprit. « Psaume de David », ici, signifie « à la manière de David, l’assoiffé de Dieu ». La prière « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi. » a pu être celle du roi David qui était un homme de prière, c’est certain. Mais elle est également celle de toutes les générations du peuple élu, à toutes les époques de son histoire : depuis l’aube des temps (traduisez depuis Abraham) et jusqu’à la fin, jusqu’à la venue du JOUR.
Et, là-bas, dans ce pays qui sait être torride, l’expérience de la sécheresse, souvent, de la famine parfois, donne tout son poids aux images employées : « Après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. »
Dans les périodes les plus dramatiques, (et Dieu sait s’il y en a eu) la prière ne prenait que plus de force : pendant l’Exil à Babylone, par exemple, on a connu cette soif de l’âme ; « mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair » et on se remémorait les joies passées des célébrations au Temple de Jérusalem : « Je t’ai contemplé au sanctuaire, j’ai vu ta force et ta gloire. » Seul ce souvenir pouvait fortifier la foi et la volonté de rester fidèle dans le milieu idolâtre où on était plongés.
De retour d’Exil, le peuple rend grâce : « Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l’ombre de tes ailes » ; ce sont les ailes des chérubins qui recouvrent l’Arche d’Alliance dans le Saint des Saints, d’abord ; mais elles rappellent aussi les ailes du grand aigle du désert qui protège sa nichée quand il lui apprend à voler : et Moïse avait repris l’image au compte de Dieu pour exprimer de quelle sollicitude il avait entouré son peuple : « Je vous ai portés sur des ailes d’aigle », avait dit Dieu (Ex 19,4 ; Dt 32,10-11).
Dans ces conditions, bien sûr, les paroles de louange viennent d’elles-mêmes : « Tu seras la louange de mes lèvres ! Toute ma vie je vais te bénir, lever les mains en invoquant ton nom. Comme par un festin je serai rassasié : la joie sur les lèvres, je dirai ta louange. » (Le mot « festin » fait référence aux repas de communion qui suivaient certains sacrifices au Temple de Jérusalem).
Et puis, il y a eu des périodes plus terribles encore, celles des persécutions : au deuxième siècle av. J.C., par exemple, il a fallu affronter la terrible persécution du roi grec, Antiochus Epiphane ; et nombre de Juifs sont morts, au nom de leur foi, en disant : « Ton amour, Seigneur, vaut mieux que la vie ».
Aujourd’hui encore, les croyants peuvent dire de toute leur âme : « Ton amour vaut mieux que la vie » : ce verset résonne particulièrement en ce dimanche où nous entendrons Jésus dire à ses disciples : « Celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » (Mt 16,25).
———————–
Complément
– Jérémie… Elie, même combat : « Je suis passionné pour le Dieu des puissances, mais on cherche à m’ôter la vie. » (1 R 19,10).


DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul apôtre aux Romains 12,1-2

1 Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu,
à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –,
en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu :
c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte.
2 Ne prenez pas pour modèle le monde présent,
mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser
pour discerner quelle est la volonté de Dieu :
ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.


« Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu » : quelle magnifique entrée en matière ; jusqu’ici, en fin de compte, Paul n’a parlé que de cela, « la tendresse de Dieu ». Les onze premiers chapitres de la lettre aux Romains ont traité apparemment de questions doctrinales ; les grands thèmes de la théologie de Paul ont été longuement et profondément exposés : la puissance de la grâce, l’universalité du péché, la justification par la foi, le mystère pascal, l’action de l’Esprit, le salut promis et donné à tous. Mais tout ceci revient toujours à cet unique sujet, la tendresse de Dieu.
Maintenant, comme dans toutes ses lettres, Paul tire pour ses lecteurs les conséquences de son enseignement : car la découverte de cette immense tendresse de Dieu ne peut que bouleverser, ou plutôt irriguer désormais toute notre vie. « Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu… ». Ce qu’il va dire maintenant est en lien étroit avec tout ce qu’il a écrit jusqu’ici, notamment dans les dernières lignes du chapitre précédent ; je vous en rappelle quelques mots : « Dieu veut faire à tous miséricorde… » suivis immédiatement de l’hymne d’action de grâce que nous avons lue dimanche dernier : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! »

Donc, dit Saint Paul, il n’y a pas à hésiter : à ce Dieu si étonnant par sa tendresse et sa volonté de sauver toute l’humanité sans exception, sa puissance inouïe de pardon, une seule réponse est possible : celle de l’abandon et de la confiance ; accorder toute notre vie, toute notre personne à cette réalité bouleversante, nous offrir à Dieu pour qu’il accomplisse en nous son oeuvre. « Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. » On sait que le verbe « sacrifier – sacrum facere » veut dire « rendre sacré » ; on pourrait donc traduire ainsi : « Je vous exhorte à faire de vos personnes, de votre vie, une chose sacrée, une chose divine. »
Pierre le dira autrement en affirmant avec force que cela est possible : « La puissance divine nous a fait don de tout ce qui est nécessaire à la vie et à la piété en nous faisant connaître celui qui nous a appelés par sa propre gloire et par sa puissance agissante. Par elles, les biens du plus haut prix qui nous avaient été promis nous ont été accordés, pour que par ceux-ci vous entriez en communion avec la nature divine. » (2 P 1,3-4). Nous sommes donc invités à la démarche qu’exprimait déjà le psaume 39 (40) : « Tu ne voulais ni offrande, ni sacrifice, tu m’as façonné un corps ; tu ne voulais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit voici, je viens » (Ps 39,7-8). On est en droite ligne de l’enseignement du prophète Michée : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que de respecter le droit, aimer la fidélité, et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6,8).
Je reprends le texte : « Offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable », nous dit Saint Paul, d’après notre traduction ; mais si on scrute un peu les mots qu’il emploie, on s’aperçoit que le mot « véritable » de notre texte traduit le mot grec « logikos », au sens de conforme à la raison, à la logique : il est « logique » de vous comporter ainsi, dit Paul, cela est conforme à ce que Dieu a fait pour vous : pour le dire autrement, c’est la conséquence tout simplement de notre découverte de la tendresse de Dieu. Cette attitude est la réponse logique à l’œuvre  de Dieu pour nous. Il ne s’agit pas de gestes extérieurs, mais d’un culte qui nous engage vraiment, totalement, qui nous transforme en profondeur (le mot « logikos » en grec a également ce sens-là) : Paul consacrera la suite de la lettre aux Romains à présenter la nature de l’engagement chrétien : chacun, en fonction de ses dons et qualités, est invité à tenir sa place dans la mission de l’Eglise qui est le service de tous les hommes. Cet engagement est une participation active à la « volonté de Dieu » : cette volonté « que tous les hommes soient sauvés, c’est-à-dire parviennent à la connaissance de la vérité » (comme dit Paul ailleurs, dans la première lettre à Timothée (1 Tm 2,4).
Cela exige sans doute que nous acceptions chaque jour de « nous transformer en renouvelant notre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » Accepter de « renouveler notre façon de penser » est pour nous, parfois, une véritable conversion. Car, trop souvent, « nos pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes », comme l’a reproché Jésus à Pierre, à Césarée de Philippe (Mt 16,23 : notre évangile de ce dimanche). Mais l’Esprit nou
s a été donné pour susciter en nous ce renouvellement : « Il nous mènera vers la vérité tout entière », nous a promis Jésus le dernier soir (Jn 16,13).
Cela exige également que nous acceptions de ne pas « prendre pour modèle le monde présent », ce qui est peut-être la chose la plus difficile à faire, pour les Romains du temps de Paul, comme pour nous. La véritable liberté consiste à frayer notre chemin, quelles que soient les sirènes de la mode ; et Paul s’est assez plaint dans les premiers chapitres que ses interlocuteurs se soient égarés.
Aimer le monde sans être esclaves des comportements du monde exige une vigilance de tous les instants : c’est logique pourtant, comme dit Saint Paul, quand on baigne dans la tendresse de Dieu ; mais nous savons tous que ce n’est pas facile ! Jésus le savait mieux que nous ; et ce n’est pas un hasard si ce fut justement l’objet de sa prière pour ses disciples, le dernier soir : « Je ne te demande pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais. » (Jn 17,15).


EVANGILE – selon saint Matthieu 16,21-27

21 En ce temps-là,
Jésus commença à montrer à ses disciples
qu’il lui fallait partir pour Jérusalem,
souffrir beaucoup de la part des anciens,

des grands prêtres et des scribes,
être tué, et le troisième jour ressusciter.
22 Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches :
« Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. »
23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre :
« Passe derrière moi, Satan !
Tu es pour moi une occasion de chute :
tes pensées ne sont pas celles de Dieu,
mais celles des hommes. »

24 Alors Jésus dit à ses disciples :
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite,
qu’il renonce à lui-même,
qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
25 Car celui qui veut sauver sa vie la perdra,
mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera.
26 Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier,
si c’est au prix de sa vie ?
Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ?
27 Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges
dans la gloire de son Père ;
alors il rendra à chacun selon sa conduite.


Ce récit fait suite à la mémorable profession de foi de Pierre que nous avons entendue dimanche dernier : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » ; cette affirmation lui a valu cette réponse de Jésus : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela (sous-entendu tu ne l’as pas deviné tout seul), mais mon Père qui est aux cieux. » Comme toute béatitude, celle-ci, « Heureux es-tu » sonne comme un compliment (et quel compliment !) mais aussi comme un encouragement. Et effectivement, il faudra beaucoup de courage à Pierre pour rester fidèle à cette première profession de foi. Car il n’en connaît pas encore toute la portée, Jésus n’a pas fini de le surprendre.
En effet, celui-ci vient d’accepter au moins implicitement la reconnaissance par Pierre de son titre de Messie (« C’est mon Père qui t’a révélé cela ») et aussitôt après il présente son programme qui ne cadre nullement avec l’idée qu’on se faisait communément du Messie : « A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup… » C’était le monde à l’envers : un roi sans armes ni privilèges… Pire, un roi maltraité et apparemment consentant… Il parle de souffrir beaucoup et d’être même mis à mort !
Quelle idée ! Pierre a quelque raison de s’insurger. Comme beaucoup de ses contemporains, il attendait un Messie-roi, triomphant, glorieux, puissant, et chassant une bonne fois de Jérusalem l’occupant romain. Alors ce qu’annonce Jésus est inacceptable, le Dieu tout-puissant ne peut pas laisser faire des choses pareilles ! On pourrait presque intituler ce texte : « Le premier reniement de Pierre », premier refus de suivre le Messie dans la souffrance.
Jésus affronte ce refus spontané de Pierre comme une véritable tentation pour lui-même et il le lui dit avec véhémence : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute 1, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Que nos vues soient spontanément « humaines », quoi de plus naturel ! Mais il nous faut laisser l’Esprit les transformer, parfois les bouleverser complètement, si nous voulons rester fidèles au plan de Dieu. Au passage, nous voyons que Jésus n’a pas affronté des tentations seulement une fois pour toutes au début de son ministère (Mt 4,1-11), mais plusieurs fois au cours de sa mission, il a rencontré des « occasions de chute ».
Comme dit Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche, il nous faut accepter de laisser l’Esprit de Dieu transformer complètement nos façons de voir : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. »
Et là nous risquons d’avoir des surprises ; car les manières de Dieu sont toutes différentes de nos propres manières de voir. Il ne faut jamais perdre de vue la fameuse phrase d’Isaïe (c’est Dieu qui parle) : « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins, oracle du SEIGNEUR. C’est que les cieux sont hauts par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts par rapport à vos chemins, et mes pensées par rapport à vos pensées. » (Is 55, 6-8). « Si je comprenais Dieu, ce ne serait pas Dieu » disait saint Augustin. Il nous faut donc accepter d’être surpris : les apôtres et tous les Juifs de leur temps l’ont été, Pierre le premier. A de rares exceptions près, ils avaient prévu un Messie puissant, triomphant ; or Jésus est aux antipodes de ces belles prévisions.
Le dessein de Dieu, nous le savons, ce n’est rien d’autre que le salut du monde, c’est-à-dire la naissance de l’humanité nouvelle, celle qui ne vivra que de tendresse et de pitié, à l’image de Dieu lui-même. Or, le salut des hommes, c’est-à-dire notre conversion totale et définitive à l’amour et au pardon, à la fraternité et à la paix, au partage et à la justice, ne peut pas se faire par un coup de baguette magique : où serait notre liberté ?
Le salut des hommes passe donc inévitablement par une lente transformation des hommes ; et comment transformer les hommes sans leur en montrer le chemin ? Alors, il fallait bien que Jésus emprunte jusqu’au bout le chemin de douceur, de bonté, de pardon, si l’on veut avoir quelques chances que nous l’empruntions à notre tour. C’est pour cela que Jésus, expliquant sa passion et sa mort aux disciples d’Emmaüs, leur dit « il fallait », au sens de « il fallait malheureusement ».
Le plan de salut de Dieu ne s’accommode donc pas d’un Messie triomphant : pour que les hommes « parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4), il faut qu’ils découvrent le Dieu de tendresse et de pardon, de miséricorde et de pitié : cela ne se pourra pas dans des actes de puissance mais dans le don suprême de la vie du Fils : on comprend mieux alors cette phrase de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13). Seule cette suprême preuve d’amour peut nous amener à emprunter à notre tour le chemin de l’amour
.
———————–
Note
1 – « Occasion de chute » : le mot employé par Jésus signifie « pierre d’achoppement », la pierre qui fait trébucher. Voici encore l’une des facettes de la vie des disciples, dont Pierre est un exemple-type (cf l’épisode de la marche sur les eaux) : nos fragilités, nos doutes peuvent devenir pierres d’achoppement pour nous ou pour les autres.

ANCIEN TESTAMENT, BIBLE, PSAUME 62, PSAUMES

Le Psaume 62

PSAUME 62

lumignon-Taize

Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire, j’ai vu ta force et ta gloire.

Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir, lever les mains en invoquant ton nom.

Comme par un festin je serai rassasié ; la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler.

Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l’ombre de tes ailes.

Mon âme s’attache à toi, ta main droite me soutient.

 [Mais ceux qui pourchassent mon âme, qu’ils descendent aux profondeurs de la terre,

qu’on les passe au fil de l’épée, qu’ils deviennent la pâture des loups !

 Et le roi se réjouira de son Dieu. Qui jure par lui en sera glorifié, tandis que l’homme de mensonge aura la bouche close !]