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Dimanche 25 décembre 2022 : Noël, fête de la Nativité : lectures et commentaires

Dimanche 25 décembre 2022 : Noël, fête de la Nativité

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 52,7-10

7 Comme ils sont beaux sur les montagnes,
les pas du messager,
celui qui annonce la paix,
qui porte la bonne nouvelle,
qui annonce le salut,
et vient dire à Sion :
« Il règne, ton Dieu ! »
8 Écoutez la voix des guetteurs :
ils élèvent la voix,
tous ensemble ils crient de joie
car, de leurs propres yeux,
ils voient le SEIGNEUR qui revient à Sion.
9 Éclatez en cris de joie,
vous, ruines de Jérusalem,
car le SEIGNEUR console son peuple,
il rachète Jérusalem !
10 Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras
aux yeux de toutes les nations.
Tous les lointains de la terre
ont vu le salut de notre Dieu.

LE SEIGNEUR CONSOLE SON PEUPLE
« Eclatez en cris de joie, ruines de Jérusalem ! » L’expression  « ruines de Jérusalem » nous permet de situer très précisément ce texte d’Isaïe : Jérusalem a été dévastée par les troupes de Nabuchodonosor en 587 av. J.C. Elles ont commis les horreurs que commettaient toutes les armées victorieuses à l’époque : pillage, destructions, viols, profanations. Des agriculteurs ont été maintenus sur place pour nourrir les occupants ; et ce qui restait d’hommes et de femmes valides ont été emmenés en déportation à Babylone. Cet Exil devait durer cinquante ans, ce qui est considérable ; amplement le temps de se décourager, de croire qu’on ne reverrait jamais le pays.
Et voilà que le prophète annonce le retour ; il a commencé sa prédication par les mots « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Is 40,1). Ici, il reprend exactement le même mot « consoler »  (« le SEIGNEUR console son peuple »), pour dire que Dieu a déjà agi, le retour est pour très bientôt. Et il voit déjà le messager qui ira annoncer la grande nouvelle à Jérusalem et le guetteur qui, du haut des collines de Jérusalem, verra revenir les colonnes de déportés.
Un messager à pied et un guetteur, voilà deux personnages qu’on a bien du mal à se représenter aujourd’hui ! En ce temps de télécommunications triomphantes (télévision, téléphone portatif, fax…) nous avons un effort d’imagination à faire !
Mais dans le monde antique, il n’y avait pas d’autre moyen qu’un coureur à pied pour annoncer les nouvelles. On connaît le fameux exemple du coureur de Marathon : en 490 av. J.C., lorsque les Athéniens ont remporté la bataille de Marathon contre les Perses, un coureur s’est précipité à Athènes (qui est à quarante-deux kilomètres de Marathon), pour annoncer la Bonne Nouvelle de la victoire. Il a couru d’un trait les quarante-deux kilomètres et a juste eu le temps de crier victoire avant de s’effondrer. C’est de là que vient notre expression « courir le Marathon ».
A l’époque, lorsque les messagers couraient porter les nouvelles, il y avait dans le même temps des guetteurs postés sur les murailles des villes ou sur les collines alentour pour surveiller l’horizon.
Isaïe imagine le guetteur posté sur le haut des remparts ou sur le mont des oliviers, peut-être, et qui voit déjà voler de colline en colline le messager qui annonce le retour au pays : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut ». Non seulement le peuple est sauvé, mais la ville elle-même va l’être, elle sera rebâtie par ceux qui reviennent. C’est pour cela que les ruines de Jérusalem sont invitées à éclater en cris de joie.
NOTRE MISSION : MESSAGERS QUI ANNONCENT LE SALUT
A l’époque on considérait que les défaites d’un peuple étaient aussi celles de son Dieu. Mais voici que le peuple est délivré, son Dieu a fait preuve de sa puissance, il « a montré la sainteté de son bras » comme dit Isaïe. C’est pour cela que le messager vient dire à la ville sainte : « Il règne, ton Dieu ».
Une fois de plus, Dieu a délivré son peuple comme il l’avait libéré d’Egypte, « à main forte et à bras étendu », comme dit le livre du Deutéronome (Dt 4,34). Et, juste derrière le messager, le guetteur voit déjà le cortège triomphal ; et du haut des remparts, que voit-il ? Qui est en tête du cortège triomphal du retour ? Le Seigneur lui-même !  Le Seigneur revient à Sion. Il marche au milieu de son peuple et désormais, il sera de nouveau là, à Jérusalem, au milieu de son peuple.
Pour dire cette action de Dieu, Isaïe emploie un mot très fort, le mot « racheter ». Dans le langage biblique,  ce mot  « racheter »  signifie  « libérer » : vous connaissez l’institution du « Go’el » : lorsqu’un Israélite a été obligé de se vendre comme esclave ou de vendre sa maison à son créancier pour payer ses dettes, son plus proche parent se présentera au créancier pour libérer son parent débiteur. On dira qu’il « rachète » son parent, qu’il le « revendique »… Bien sûr le créancier ne laissera pas partir son débiteur s’il n’est pas remboursé, mais cet aspect financier n’est pas premier dans l’opération. Ce qui est premier, c’est la libération du débiteur. Isaïe a eu l’audace d’appliquer ce mot de « Go’el » à Dieu : manière de dire à la fois qu’il est le plus proche parent de son peuple et qu’Il le libère.
Autre phrase significative de ce texte et qui traduit une avancée très importante de la pensée juive pendant l’Exil à Babylone : c’est à ce moment-là qu’Israël a découvert l’amour de Dieu pour toute l’humanité et pas seulement pour son peuple. Il a compris que son « élection » est une mission au service du salut de toute l’humanité. C’est ce qui explique la phrase :
« Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » : c’est-à-dire, bientôt, elles reconnaîtront que Dieu est sauveur.
Pour nous qui relisons ce texte à l’occasion du la fête de Noël, évidemment, cette prédication d’Isaïe prend un sens nouveau ; plus que jamais, nous pouvons dire : « Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » Notre mission, désormais, c’est d’être ces messagers qui annoncent la paix, ces messagers de la bonne nouvelle, qui annoncent le salut, ceux qui viennent dire non seulement à la cité sainte mais au monde entier : « Il est roi, ton Dieu » !

PSAUME – 97 (98),1-6

1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

2 Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
3 il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
4 Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
sonnez, chantez, jouez !

5 Jouez pour le SEIGNEUR sur la cithare,
sur la cithare et tous les instruments ;
6 au son de la trompette et du cor 1,
acclamez votre roi, le SEIGNEUR !

LE PEUPLE DE L’ALLIANCE…
« La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu » : c’est le peuple d’Israël qui parle ici et qui dit « notre » Dieu, affichant ainsi la relation tout-à-fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers ; mais Israël a peu à peu compris que sa mission dans le monde est précisément de ne pas garder jalousement pour lui cette relation privilégiée mais d’annoncer l’amour de Dieu pour tous les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance.
Ce psaume dit très bien ce que l’on pourrait appeler « les deux amours de Dieu » : son amour pour son peuple choisi, élu, Israël… ET son amour pour l’humanité tout entière, ce que le psalmiste appelle les « nations » … Relisons le verset 2 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations » : les « nations », ce sont tous les autres, les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu.  Mais vient aussitôt le verset 3 : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël », ce qui est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ». Derrière cette toute petite phrase, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut  dire : oui, Israël est bien le peuple choisi, le peuple élu ; mais la phrase d’avant, et ce n’est peut-être pas un hasard si elle est placée avant, cette phrase qui parle des nations, rappelle bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné. Comme disait André Chouraqui, « le peuple de l’Alliance est destiné devenir l’instrument de l’Alliance des peuples ».
L’un des grands acquis de la Bible, c’est que Dieu aime toute l’humanité, et pas seulement Israël. Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; si on regarde d’un peu plus près la construction de ces quelques versets, on remarque la disposition en « inclusion » de ces deux  versets  2 et 3 : l’inclusion est un procédé de style qu’on trouve souvent dans la Bible. Une inclusion, c’est un peu comme un encadré, dans un journal ou dans une revue ; bien évidemment le but est de mettre en valeur le texte écrit dans le cadre.
Dans une inclusion, c’est la même chose : le texte central est mis en valeur, « encadré » par deux phrases identiques, une avant, l’autre après… Ici, la phrase centrale, qui parle d’Israël, est encadrée par deux phrases synonymes qui parlent des nations : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations », voilà la première phrase donc, sur les nations … la deuxième phrase, elle, concerne Israël : « il s’est rappelé sa fidélité, son amour en faveur de la maison d’Israël »… et voici la troisième phrase : « la terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». Le mot « nations » ne figure pas ici, mais il est remplacé par l’expression « la terre tout entière ». La phrase centrale sur ce qu’on appelle «  l’élection d’Israël » est donc encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière et cette construction le manifeste bien.
…AU SERVICE DE L’ALLIANCE DES PEUPLES
Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre.
La première dimension de ce psaume, très importante, c’est donc l’insistance sur ce « les deux amours de Dieu », pour son peuple choisi, d’une part, et pour toute l’humanité, d’autre part. Une deuxième dimension de ce psaume est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu.
Par exemple, on chante au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR » Mais dire « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire » … « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations »… « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».
La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Egypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Egypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’a fait sortir d’Egypte à main forte et à bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Egypte. La formule « il a fait des merveilles » (au verset 1 de ce psaume) est aussi un rappel de la libération d’Egypte.
Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !
Désormais les Chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment (envers et contre tous les événements apparemment contraires), que le Règne de Dieu, c’est-à-dire de l’amour est déjà commencé.
————–
Note
1 – Les instruments de musique : c’est par les psaumes, et en particulier le Ps 150 que l’on connaît les instruments de musique de l’époque. Ici déjà, en voici 3 énumérés : cithare, trompette et cor.
Complément : Devant la Crèche, on ne peut pas s’empêcher de penser que, pour l’instant la force divine du bras de Dieu qui libère son peuple repose dans deux petites mains d’enfant.

DEUXIEME LECTURE – lettre aux Hébreux 1,1-6

1 À bien des reprises
et de bien des manières,
Dieu, dans le passé,
a parlé à nos pères par les prophètes ;
2 mais à la fin, en ces jours où nous sommes,
il nous a parlé par son Fils
qu’il a établi héritier de toutes choses
et par qui il a créé les mondes.
3 Rayonnement de la gloire de Dieu,
expression parfaite de son être,
le Fils, qui porte l’univers
par sa parole puissante,
après avoir accompli la purification des péchés,
s’est assis à la droite de la Majesté divine
dans les hauteurs des cieux ;
4  et il est devenu bien supérieur aux anges,
dans la mesure même où il a reçu en héritage
un nom si différent du leur.
5 En effet, Dieu déclara-t-il jamais à un ange :
« Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? »
Ou bien encore :
« Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ? »
6 À l’inverse, au moment d’introduire le Premier-né
dans le monde à venir,
il dit :
« Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. »

DIEU A PARLE A NOS PERES PAR LES PROPHETES
« Dieu a parlé à nos pères par les prophètes » ; à travers cette phrase on devine que les destinataires de la lettre aux Hébreux sont des Juifs devenus chrétiens. L’une des caractéristiques d’Israël, c’est bien cette conviction que Dieu s’est révélé progressivement à ce peuple qu’il a choisi. Parce que Dieu n’est pas à la portée de l’homme, il faut bien qu’il se révèle lui-même. Vous connaissez la fameuse phrase de Paul dans la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous dévoile le mystère de sa volonté… » (Ep 1,9). Sous-entendu, nous ne l’aurions pas trouvé tout seuls. Et cette révélation ne pouvait être que progressive, tout comme l’éducation d’un enfant ne se fait pas en un jour. Au contraire, les parents disent à leur enfant progressivement, au fur et à mesure du développement de son intelligence, ce dont il a besoin pour comprendre le monde et la société dans laquelle il vit. C’est exactement comme cela que Moïse explique la pédagogie de Dieu dans le livre du Deutéronome : « Comme un homme éduque son fils, ainsi le SEIGNEUR ton Dieu fait ton éducation. » (Dt 8,5).
Pour cette éducation progressive de son peuple, Dieu a suscité, à chaque époque, des prophètes qui parlaient de sa part, dans des termes qui correspondaient à la mentalité de l’époque. On disait qu’ils  étaient la « bouche de Dieu ». Comme dit l’une des phrases de notre liturgie : « Tu les as formés par les prophètes dans l’espérance du salut. » (Prière Eucharistique N° IV). Parce que Dieu utilise avec son peuple cette pédagogie très progressive, il lui parle « à bien des reprises et de bien des manières » (v.1).
Quand l’auteur de la lettre aux Hébreux prend la plume, ce salut est arrivé : c’est pour cela qu’il coupe l’histoire de l’humanité en deux périodes : avant Jésus-Christ et depuis Jésus-Christ. Avant Jésus-Christ, c’est ce qu’il appelle le passé ; depuis Jésus-Christ, c’est ce qu’il appelle « ces jours où nous sommes », c’est le temps de l’accomplissement. En Jésus-Christ, le monde nouveau est déjà inauguré. Le Christ est en lui-même l’accomplissement du projet de Dieu, ce que nous appelons son « dessein bienveillant ».
Après l’éblouissement et la stupeur de la résurrection du Christ, la conviction des premiers Chrétiens s’est forgée peu à peu : oui, Jésus de Nazareth est bien le Messie que le peuple juif attendait, mais il est bien différent de l’idée qu’on s’en était faite à l’avance. L’ensemble du Nouveau Testament médite cette découverte étonnante. Certains attendaient un Messie-roi, d’autres, un Messie-prophète, d’autres, un Messie-prêtre. L’auteur de la lettre aux Hébreux, dans le passage d’aujourd’hui, nous dit : Eh bien, mes frères, Jésus est bien tout cela.
Je vous propose donc une remarque sur chacun de ces trois points : Jésus est le Messieprophète qu’on attendait, il est le Messie-prêtre, il est le Messie-Roi.
LE CHRIST, PRETRE, PROPHETE ET ROI
Pour commencer, Il est le Messie – prophète : l’auteur nous dit : « Dieu nous a parlé par son Fils » : Jésus est bien le prophète par excellence ; si les prophètes de l’Ancien Testament étaient la « bouche de Dieu », lui, il est la Parole même de Dieu, la Parole créatrice « par qui Dieu a créé les mondes » (v. 2). Mieux encore, il est le « rayonnement de la gloire de Dieu » (v. 3)1 ; il dira lui-même « qui m’a vu a vu le Père » (il est l’expression parfaite de l’être de Dieu, v. 3).
Ensuite, Il est le Messie – prêtre : c’était le rôle du grand-prêtre d’être l’intermédiaire entre Dieu et le peuple pécheur ; or, en vivant une relation d’amour parfaite avec son Père, une véritable relation filiale, Jésus-Christ restaure l’Alliance entre Dieu et l’humanité. Il est donc le grand-prêtre par excellence, qui accomplit la « purification  des péchés » : cette « purification des péchés », (l’auteur reviendra longuement sur ce thème dans la suite de sa lettre), Jésus l’a opérée en vivant toute sa vie dans une relation parfaitement filiale, comme un parfait dialogue d’amour et « d’obéissance » avec son Père.
Enfin, Il est le Messie – roi : l’auteur lui applique des titres et des prophéties qui concernaient le Messie : on a là l’image du trône royal, « il est assis à la droite de la Majesté divine », et surtout il est appelé « Fils de Dieu » : or c’était le titre qui était conféré au nouveau roi le jour de son sacre. « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré », était l’une des phrases de la cérémonie du sacre (reprise par le psaume 2). Et le prophète Natan avait annoncé : « Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. » (2 S 7,14). Et, à la différence des rois de la terre, lui, Il est roi sur toute la création, même les Anges : l’auteur nous dit  « il est devenu bien supérieur aux anges, dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si diffdérent du leur. »  (v. 4). Et lorsqu’il dit « Au moment d’introduire le Premier-né dans le monde à venir, il (Dieu) dit : Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu », l’auteur annonce que le Christ est Dieu lui-même ! Puisque Dieu seul a droit à l’adoration des Anges.
Prêtre, prophète et roi, Jésus l’est donc, c’est pourquoi on peut l’appeler Christ qui veut dire « Messie » ; mais ce texte nous révèle en même temps notre propre grandeur puisque notre vocation est d’être intimement unis à Jésus-Christ, de devenir à notre tour les reflets de la gloire du Père… d’être à notre tour appelés Fils… d’être rois en lui… prêtres en lui… prophètes en lui. Au jour de notre baptême, le prêtre nous a annoncé que, désormais, nous étions membres du Christ, Prêtre, Prophète et Roi.
Et si ce passage nous est proposé dès le jour de Noël, c’est pour que nous sachions déjà déchiffrer le mystère de la crèche à cette profondeur-là. L’enfant qui nous est donné à contempler est porteur de tout ce mystère-là et nous en lui, par lui et avec lui.
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Note sur Hébreux 1,3
Dans l’expression « Rayonnement de la gloire de Dieu », on peut entendre un écho de l’épisode de la Transfiguration de Jésus.
Compléments
On a longtemps cru que la lettre aux Hébreux était de saint Paul. Aujourd’hui, on dit souvent par manière de boutade : « Ce n’est pas une lettre, elle n’est pas de saint Paul, elle ne s’adresse pas aux Hébreux. » Le mot « Hébreux », dans cet écrit, désigne probablement d’anciens Juifs devenus chrétiens. Cela expliquerait ses allusions très fréquentes aux textes bibliques et aux pratiques juives.

EVANGILE – selon Saint Jean 1,1-18

1 Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu.
2 Il était au commencement auprès de Dieu.
3 C’est par lui que tout est venu à l’existence,
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
4 En lui était la vie,
et la vie était la lumière des hommes ;
5 la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
6 Il y eut un homme envoyé par Dieu ;
son nom était Jean.
7 Il est venu comme témoin,
pour rendre témoignage à la Lumière,
afin que tous croient par lui.
8 Cet homme n’était pas la Lumière,
mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
9 Le Verbe était la vraie Lumière,
qui éclaire tout homme
en venant dans le monde.
10 Il était dans le monde,
et le monde était venu par lui à l’existence,
mais le monde ne l’a pas reconnu.
11 Il est venu chez lui,
et les siens ne l’ont pas reçu.
12 Mais à tous ceux qui l’ont reçu,
il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
eux qui croient en son nom.
13 Ils ne sont pas nés du sang,
ni d’une volonté charnelle,
ni d’une volonté d’homme :
ils sont nés de Dieu.
14 Et le Verbe s’est fait chair,
il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire,
la gloire qu’il tient de son Père
comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
15 Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant :
« C’est de lui que j’ai dit :
Celui qui vient derrière moi
est passé devant moi,
car avant moi il était. »
16 Tous, nous avons eu part à sa plénitude,
nous avons reçu grâce après grâce ;
17 car la Loi fut donnée par Moïse,
la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18 Dieu, personne ne l’a jamais vu ;
le Fils unique, lui qui est Dieu,
lui qui est dans le sein du Père,
c’est lui qui l’a fait connaître.

LA CREATION EST LE FRUIT DE L’AMOUR
« Au commencement » : Jean reprend volontairement le premier mot de la Genèse (« Bereshit ») ; il faut entendre la profondeur de ce mot : ce n’est pas une précision d’ordre chronologique !  Ce qui commence, c’est ce qui commande toute l’histoire humaine, c’est l’origine, le fondement de toutes choses …
« Au commencement était le VERBE » : tout est mis sous le signe de la Parole, Parole d’Amour, Dialogue… Voilà l’Origine, le commencement de toutes choses… « Et le Verbe était au commencement auprès de Dieu » (v. 2-3) : en grec c’est « pros ton Théon »qui veut dire  littéralement « tourné vers Dieu » ; le Verbe était tourné vers Dieu…  C’est l’attitude du dialogue. Quand on dit « Je t’aime », ou quand on dialogue vraiment avec quelqu’un, on lui fait face ; on est « tourné vers lui » ; quand on lui tourne le dos, qu’on se détourne, le dialogue est rompu ; et il faudra faire demi-tour pour renouer le dialogue.
Ce que saint Jean nous dit ici est capital : la Création tout entière, puisque rien n’a été fait sans le Verbe, (la Création tout entière) est le fruit du dialogue d’amour du Père et du Fils ; et nous, à notre tour, nous sommes créés dans ce dialogue et pour ce dialogue. Nous sommes le fruit d’un dialogue d’amour. Bien sûr, c’est vrai concrètement au niveau de l’acte qui nous a engendrés chacun à la vie. Mais, spirituellement, nous pouvons nous dire que nous sommes le fruit de l’amour de Dieu. La vocation de l’humanité, d’Adam, pour reprendre le mot de la Genèse, c’est de vivre un parfait dialogue d’amour avec le Père.
Mais toute notre histoire humaine, malheureusement, étale le contraire. Le récit de la chute d’Adam et Eve, au deuxième chapitre de la Genèse, nous le dit à sa manière : il montre bien que le dialogue est rompu ; l’homme et la femme se sont méfiés de Dieu, ont soupçonné Dieu d’être mal intentionné à leur égard ; c’est le contraire même du dialogue d’amour ! Nous le savons bien : quand le soupçon traverse nos relations, le dialogue est empoisonné. Et, dans notre vie personnelle, toute l’histoire de notre relation à Dieu pourrait être représentée comme cela : nous sommes tantôt tournés vers lui, tantôt détournés et il nous faut alors faire demi-tour pour qu’il puisse renouer le dialogue… « Demi-tour », c’est exactement le sens du mot « conversion » dans la Bible.
NOTRE AVENIR : ENTRER DANS CE DIALOGUE
Le Christ, lui, vit en perfection ce dialogue sans ombre avec le Père : il vient prendre la tête de l’humanité ; j’ai envie de dire : il est le « OUI » de l’humanité au Père. Il vient vivre ce « OUI » au quotidien ; et alors, par lui, nous sommes réintroduits dans le dialogue primordial : « A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. ». « Pouvoir devenir enfants de Dieu », c’est retrouver cette relation filiale, confiante, sans ombre. Et le seul but du Christ, c’est que l’humanité tout entière puisse rentrer dans ce dialogue d’amour ; « ceux qui croient en son nom », ce sont ceux qui lui font confiance, qui marchent à sa suite. « Pour que le monde croie » : c’est le souhait ardent de Jésus : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21). Je reprends une phrase de Kierkegaard :  « Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, le contraire du péché, c’est la foi ».
« Croire », c’est faire confiance au Père, savoir en toutes circonstances, quoi qu’il nous arrive, que Dieu est bienveillant, ne jamais soupçonner Dieu, ne jamais douter de l’amour de Dieu pour nous et pour le monde… et du coup, bien sûr, regarder le monde avec ses yeux.
Regarder le monde avec les yeux de Dieu : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous », cela veut dire qu’il n’y a pas besoin de s’évader du monde pour rencontrer Dieu. C’est dans la  « chair » même, dans la réalité du monde que nous lisons sa Présence. Comme Jean-Baptiste, à notre tour, nous sommes envoyés comme témoins de cette Présence.

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL AUX THESSALONICIENS, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DU PROPHETE MALACHIE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 97

Dimanche 13 novembre 2022 : 33ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 13 novembre 2022 :

33ème dimanche du Temps Ordinaire

perseverance

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Malachie 3, 19 – 20 a

19 Voici que vient le jour du SEIGNEUR,
brûlant comme la fournaise.
Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété,
seront de la paille.
Le jour qui vient les consumera,
dit le SEIGNEUR de l’univers,
il ne leur laissera ni racine ni branche.
20 Mais pour vous qui craignez mon Nom,
le Soleil de justice se lèvera ;
il apportera la guérison dans son rayonnement.

Quand Malachie écrit ces lignes, les croyants ne savent plus très bien où ils en sont : nous sommes vers 450 av. J.C. dans un contexte de découragement général ; tout le monde a l’air de perdre la foi, y compris les prêtres de Jérusalem qui en sont venus à célébrer le culte un peu n’importe comment. Et tout le monde ou presque se pose des questions du genre « Que fait Dieu ?… Nous oublie-t-il ?… » La vie est tellement injuste ! A ceux qui font le mal, tout réussit… A quoi sert d’être soi-disant le peuple élu, à quoi sert de respecter les commandements ? Il n’y a pas de justice… Dieu est-il vraiment juste, finalement ?
Alors Malachie fait son travail de prophète, c’est-à-dire qu’il s’emploie à galvaniser les énergies. Il rappelle à l’ordre d’abord, les prêtres comme les laïcs, mais surtout, et c’est le texte d’aujourd’hui, il proclame que Dieu est juste… et que son projet d’instaurer la justice entre les hommes progresse irrésistiblement. Le JOUR du SEIGNEUR approche.
« Voici que vient le jour du SEIGNEUR », cela veut dire que l’histoire n’est pas un perpétuel recommencement, elle progresse ; pour les croyants, Juifs ou Chrétiens, c’est un article de foi. « Il vient le jour du SEIGNEUR », c’est certainement le thème de ce dimanche. Le « jour » du SEIGNEUR, sous-entendu le jour de sa venue. Evidemment, selon l’idée que l’on se fait de Dieu, on va, soit redouter, soit attendre impatiemment sa venue. Le croyant, lui, attend impatiemment, ardemment, activement cette venue du jour du SEIGNEUR. Car pour le croyant, celui qui a compris une fois pour toutes que Dieu est Père, l’annonce de la venue du Jour de Dieu est une bonne nouvelle.
L’image employée par Malachie est celle du soleil : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme la fournaise » : il ne faut surtout pas entendre cette phrase comme une menace ! Car le livre de Malachie commence par une déclaration d’amour de Dieu : « Je vous aime, dit le SEIGNEUR » (Ml 1,2) et une autre : « Je suis Père » (Ml 1,6). Le texte que nous venons d’entendre est de la même veine : « une fournaise », quelle image superbe pour dire l’incandescence de l’amour infini ! Cette image de fournaise, nous la retrouvons dans l’évangile : « Notre cœur  n’était-il pas tout brûlant…? » se redisaient, tout émus, les deux disciples d’Emmaüs après leur rencontre avec le Ressuscité.
Et il est vrai que les images de lumière et de chaleur nous viennent spontanément pour exprimer l’amour qui envahit parfois notre coeur. Alors, quand viendra pour chacun de nous le jour de la grande rencontre, c’est dans l’océan brûlant de l’amour de Dieu que nous serons plongés. Que pourrions-nous craindre ? Il suffit de nous rappeler les premières lignes de Malachie : « Je vous aime, dit le SEIGNEUR » ; nous serons bien exposés tout entiers, mais c’est au soleil de l’amour ; et que peut faire Celui qui n’est qu’amour, sinon aimer ? Et aimer de préférence ce qui est exposé, pauvre, nu, sans défense. C’est le merveilleux sens du mot « miséricorde » : un cœur  attiré par la misère ; et miséreux, nous le sommes, indiscutablement ; alors le cœur  de Dieu nous est acquis !
N’empêche que Malachie parle bien ici de jugement : là encore l’image du soleil est suggestive : on sait bien que le soleil est tantôt brûlant, dangereux, tantôt au contraire bienfaisant. Il apporte, selon les cas, brûlure ou guérison. C’est ce que nous appelons l’ambivalence du soleil : son action est double. Dans le domaine de la santé, par exemple, il aggrave certaines maladies, (le cancer par exemple), il en guérit d’autres : avant la découverte des antibiotiques, on employait l’héliothérapie dans le traitement de certaines tuberculoses…
Pour le Soleil de Dieu, dont parle Malachie, c’est la même chose : rien n’échappe à sa lumière ; pas question de nous montrer sous le jour le plus avantageux : aucune tache, aucune imperfection ne restera dans l’ombre. Nous voilà exposés sans défense, semble-t-il, au regard de Dieu, le souverain juge. C’est notre vie tout entière, notre être tout entier, qui sera exposée au soleil purificateur : il brûlera les uns, guérira les autres ; je reprends le texte : « Tous les arrogants, ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille, le jour qui vient les consumera… Mais pour vous qui craignez mon nom, il apportera la guérison ».
Le jugement de Dieu révélera ce que nous sommes en vérité : sommes-nous « arrogants » comme dit Malachie, hommes au coeur sec ? Alors nous verrons ce que nous sommes en réalité : de la paille qui sera emportée dans l’incendie… Sommes-nous humbles devant Dieu, « craignant son Nom », c’est-à-dire attendant tout de lui, comme le publicain de l’autre jour ? Alors nous serons comblés.
Reste une question de taille : comment savoir de quelle catégorie nous sommes, tant qu’il est encore temps ? Aucun d’entre nous n’est totalement bon, nous le savons bien… Mais aucun d’entre nous, non plus, n’est totalement mauvais. Il y a en chacun de nous un peu d’arrogance, et un peu de crainte de Dieu, pour reprendre les termes de Malachie, un peu d’orgueil et un peu d’humilité, un peu de haine ou d’indifférence et un peu d’amour, un peu de service de nous-mêmes et un peu de service des autres…
C’est donc en chacun de nous que le tri va s’opérer : ce qui est bonne graine va germer au soleil de Dieu, ce qui n’est que paille va brûler ; ce qui, en chacun de nous, est reflet ou attente de l’amour de Dieu, ce que Malachie appelle « crainte de Dieu », sera comblé, transfiguré. Ce qui, en chacun de nous, est obstacle à l’amour de Dieu, ce que Malachie appelle « arrogance » fondra comme neige au soleil, ou « brûlera comme de la paille » pour reprendre les termes de notre texte. Ce jugement de Dieu, en fait, c’est une opération de purification, et alors, enfin, en chacun de nous Dieu reconnaîtra son image et sa ressemblance.
Je reprends deux autres images employées ailleurs par Malachie pour décrire l’œuvre  de jugement de Dieu : celles du fondeur et du blanchisseur ; quand le blanchisseur s’attaque aux taches, ce n’est pas pour détruire la nappe des jours de fête, c’est pour qu’elle soit éclatante ; quand le fondeur purifie l’or ou l’argent, ce n’est pas pour supprimer le bijou tout entier, mais pour qu’il rayonne de toute sa beauté. De la même manière, tout ce qui est amour, service sera grandi, épanoui, transfiguré… ce qui n’est pas amour disparaîtra tout simplement.
Au fond, que la paille brûle… quelle importance ? Tout ce qui est bonne graine lèvera au soleil. Non, vraiment, nous n’avons rien à craindre du jour de Dieu.

PSAUME – 97 (98), 5-6, 7-8, 9

5 Jouez pour le SEIGNEUR sur la cithare,
sur la cithare et tous les instruments ;
6 au son de la trompette et du cor,
acclamez votre roi, le SEIGNEUR !

7 Que résonnent la mer et sa richesse,
le monde et tous ses habitants ;
8 que les fleuves battent des mains,
que les montagnes chantent leur joie.

9 Acclamez le SEIGNEUR, car il vient
pour gouverner la terre,
pour gouverner le monde avec justice,
et les peuples avec droiture !

Ce psaume nous transporte en pensée à la fin du monde : c’est la Création tout entière renouvelée qui crie sa joie parce que le règne de Dieu est enfin arrivé. J’ai dit « la Création tout entière » car je lis dans le psaume « La mer et sa richesse, le monde et ses habitants, les fleuves et les montagnes … » Saint Paul dit bien dans sa lettre aux Ephésiens que c’est le projet de Dieu depuis toujours de « réunir l’univers entier » ; je vous rappelle ce texte : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, tout réunir sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».
« Tout réunir », la Création, c’est-à-dire le cosmos et les créatures : et le mot « réunir » est à prendre au sens fort d’union. Le projet de Dieu, de toute éternité, c’est l’harmonie entre tous ; dans ce psaume, on le chante, comme s’il était déjà réalisé : la mer et toutes les créatures aquatiques résonnent, s’associent au son de la trompette et du cor, les fleuves battent des mains, les montagnes chantent leur joie. On se souvient du vieux rêve d’Isaïe au chapitre 11 : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâturage, leurs petits même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11,6-9).
Un rêve bien différent de la réalité qu’on connaît : Israël connaît les dangers de la mer et, d’habitude, la Bible évoque plutôt les mugissements de la tempête, les abîmes de la mort. Et que ce soit entre les éléments et l’homme, entre les animaux, ou entre les hommes eux-mêmes, on assiste à des luttes de toutes sortes, parfois à une guerre sans merci. Où est passé notre beau rêve d’harmonie ? Où est passé le beau rêve de Dieu, surtout ? Mais parce que c’est le projet de Dieu, l’homme de la Bible sait que le jour viendra où le rêve sera réalité. A toutes les époques, c’est le rôle des prophètes de raviver cette espérance.
C’est le rôle des psaumes, aussi, de nous faire inlassablement répéter nos motifs d’espérance : ici, dans le psaume 97/98, on chante le règne de Dieu et cela signifie rétablissement de l’harmonie universelle. Et après tant de rois décevants au Nord comme au Sud du pays, après tant d’injustices de toute sorte, un règne de justice et de droiture va commencer. Si on le chante déjà, c’est par anticipation. En chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre. « Acclamez le SEIGNEUR car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture ».
C’est encore Isaïe qui parlait du règne du Messie, en disant « La justice sera la ceinture de ses hanches et la fidélité le baudrier de ses reins ». (Is 11,5) Isaïe parlait au futur… Mais cette fois le psaume parle au présent.
Nous en avions lu les premiers versets il y a quelques semaines : « Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire ». C’était au passé, on rappelait les hauts faits de Dieu en faveur de son peuple, c’est-à-dire l’exploit de la sortie d’Egypte, d’abord, puis toute la présence de Dieu auprès de son peuple au milieu de toutes les péripéties de son histoire.
Mais, ici le psaume parle au présent : « Acclamez votre roi, le SEIGNEUR ! Acclamez le SEIGNEUR, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice, et les peuples avec droiture ! » Car c’est l’expérience du passé, justement, qui permet à Israël d’anticiper l’avenir. Dieu a fait ses preuves, en quelque sorte ; de la même manière qu’il a délivré son peuple de la servitude en Egypte, il délivrera l’humanité de toutes les chaînes qui l’emprisonnent, celles de la haine et de l’injustice. On peut donc déjà acclamer le règne de Dieu comme accompli parce qu’on sait, sans aucune hésitation possible, que ce n’est qu’une affaire de délai.
C’est le psaume 89/90 qui dit : « Mille ans, à tes yeux, sont comme hier, un jour qui s’en va, comme une heure de la nuit. » Et saint Pierre reprend à peu de choses près les mêmes termes : à des Chrétiens qui s’impatientent devant la longueur du délai de la venue du Royaume, Pierre répond : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous… » (2 Pi 3,8-9).
On retrouve ici un écho des promesses de Malachie, que nous entendons ce dimanche en première lecture : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme une fournaise… Pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de justice se lèvera ; il apportera la guérison dans son rayonnement. » Ceux qui chantent ce psaume, ce sont les humbles, les pauvres du SEIGNEUR, justement, ceux qui attendent avec impatience sa venue, son rayonnement, comme dit Malachie.
A l’époque où ce psaume a été composé, c’est le peuple élu tout seul qui chantait au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR». Mais quand les temps seront accomplis, c’est la Création tout entière qui chantera et pas seulement le peuple élu… Et nous avons vu, déjà, que le mot « chanter » ici est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah ».
Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que Dieu va créer, ce cri de victoire va se transformer : il n’y aura plus de place pour des cris de guerre car, et c’est encore Isaïe qui parle « La justice de Dieu sera là pour toujours et son salut, de génération en génération. » Nous comprenons pourquoi Jésus nous fait répéter : « Que ton Règne vienne ! »

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul apôtre aux Thessaloniciens 3, 7-12

Frères,
7 vous savez bien, vous,
ce qu’il faut faire pour nous imiter.
Nous n’avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ;
8 et le pain que nous avons mangé,
nous ne l’avons pas reçu gratuitement.
Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour,
nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous.
9 Bien sûr, nous avons le droit d’être à charge,
mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter.
10 Et quand nous étions chez vous,
nous vous donnions cet ordre :
si quelqu’un ne veut pas travailler,
qu’il ne mange pas non plus.
11 Or, nous apprenons que certains d’entre vous
mènent une vie déréglée,
affairés sans rien faire.
12 A ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ
cet ordre et cet appel :
qu’ils travaillent dans le calme
pour manger le pain qu’ils ont gagné.

« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » : voilà une phrase que Saint Paul ne redirait certainement pas telle quelle aujourd’hui ! Ceux qui ont la chance d’avoir du travail (c’était le cas de Saint Paul), n’oseraient jamais dire une chose pareille aux millions de chômeurs d’aujourd’hui. On a là, une fois de plus, la preuve qu’il ne faut jamais sortir une phrase biblique de son contexte !
Le contexte, aujourd’hui, c’est le chômage de quantité de gens de bonne volonté dont les compétences, le savoir-faire, sont inutilisés… Le contexte à l’époque de Saint Paul était tout autre ! On n’avait certainement pas de mal à trouver du travail, puisque lui-même qui n’a séjourné que quelques semaines à Thessalonique, peut parler du métier qu’il y a exercé. S’il a pu trouver du travail en si peu de temps, c’est qu’il n’y avait pas de chômage. Et, rappelez-vous, à Corinthe, il avait trouvé de l’embauche très vite chez Priscille et Aquilas qui pratiquaient le même métier que lui.
Nous le savons par le livre des Actes des Apôtres : « En quittant Athènes, Paul se rendit ensuite à Corinthe. Il rencontra là un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont, qui venait d’arriver d’Italie avec sa femme Priscille. (L’empereur) Claude, en effet, avait décrété que tous les Juifs devaient quitter Rome. (on est en 50 ap J.C. environ). Paul entra en relations avec eux et, comme il avait le même métier – c’était des fabricants de tentes – il s’installa chez eux et il y travaillait. » (Ac 18,1-3).
Les oisifs dont parle Paul ne sont donc pas des chômeurs au sens moderne du terme : il dit bien « si quelqu’un ne veut pas travailler » ; mais vous vous rappelez que Paul partait en guerre contre ceux qui prétextaient la venue imminente du royaume de Dieu pour se mettre en vacances.
Paul, lui, pratiquait donc un métier manuel, celui de tisseur de toiles de tentes ; les toiles étaient tissées en poils de chèvre, c’était une technique qu’il avait apprise en Cilicie, sa patrie natale (on se souvient que Paul est de Tarse, en Cilicie, c’est-à-dire le Sud-Est de la Turquie actuelle). Les poils de chèvre devaient produire une toile plutôt rugueuse, et notre mot « cilice » pour désigner un vêtement de pénitence, vient de là.
Ce n’était pas un métier glorieux : dans le monde grec, on avait plus de considération pour les artistes ou les intellectuels ; tandis que les rabbins, au contraire, ne dédaignaient pas les métiers manuels ; et la phrase « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », Paul ne l’a pas inventée, elle était courante dans les milieux rabbiniques.
Le métier de Paul n’était pas lucratif non plus : il n’a pas dû gagner grand chose puisqu’il a dû travailler nuit et jour ; il dit : « Dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous ». Et encore, malgré ce travail incessant, il ne subvenait à ses besoins que grâce à un complément envoyé par ses amis de la ville de Philippes. (C’est la lettre aux Philippiens qui nous l’apprend). C’est cet acharnement au travail qui autorise Paul à en parler à ceux qui se contentent de l’oisiveté sous prétexte que le Christ ne va pas tarder à revenir.
Nous avons déjà eu l’occasion de voir que, tout convaincus que le Royaume était déjà commencé avec Jésus-Christ, les Chrétiens de Thessalonique avaient perdu leur motivation pour leur travail quotidien… Il est vrai que si le Christ devait revenir dans quelques semaines ou quelques mois, on se poserait la question du bien-fondé de beaucoup de nos occupations… Les Thessaloniciens en étaient là… Et c’est précisément parce qu’il sait leur démotivation (comme on dirait aujourd’hui) que Paul met son point d’honneur à travailler de ses mains, pour ne pas leur donner le mauvais exemple : « Nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter ».
Le premier argument, pour Paul, semble bien être le souci de n’être à charge de personne… C’est donc une affaire de respect des autres. Il n’est pas question de prendre l’imminence du Royaume comme prétexte pour rester inactifs.
Mais il y a aussi une deuxième raison : oui, le monde, tel que nous le connaissons, n’est que provisoire, mais c’est de ce monde que Dieu fait son Royaume : ce n’est pas pour rien que Dieu a donné le commandement du livre de la Genèse « Dominez la terre et soumettez-la »… sous-entendu, faites-en votre Royaume.
Les plus âgés d’entre nous ont connu, peut-être, la chanson du père Aimé Duval « Ton ciel se fera sur terre avec tes bras… » Dans un autre style, l’écrivain Libanais, Khalil Gibran dit dans « le Prophète » : Lorsque vous travaillez, vous accomplissez une part du rêve de la terre… » Un croyant traduit : le rêve de la terre, c’est le Royaume ; Dieu a créé la terre pour en faire le Royaume… Son Royaume et le nôtre, le Royaume de l’amour.
Chaque fois que nous agissons, de quelque manière que ce soit, même si ce n’est pas par un travail rémunéré, pour faire grandir l’homme, pour répandre de l’amour, nous accomplissons une part de ce rêve, de ce projet du Royaume ; Khalil Gibran continue : « Cette part de rêve vous fut assignée lorsque ce rêve naquit », c’est-à-dire depuis l’origine. Je reprends sa phrase en entier : « Lorsque vous travaillez, vous accomplissez une part du rêve le plus lointain de la terre, (une part) qui vous fut assignée lorsque ce rêve naquit… Le travail est l’amour rendu visible ».
Or notre participation à la construction du Royaume de Dieu semble bien indispensable. Je reprends, mais cette fois en entier, la phrase de Pierre que nous lisions à propos du psaume de ce dimanche : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3,8-9). Si je comprends bien, si nous voulons que le Règne de Dieu arrive plus vite, nous n’avons pas une minute à perdre !

EVANGILE – selon Saint Luc 21, 5-19

En ce temps-là,
5 comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple,
des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient,
Jésus leur déclara :
6 « Ce que vous contemplez,
des jours viendront
où il n’en restera pas pierre sur pierre :
tout sera détruit. »
7 Ils lui demandèrent :
« Maître, quand cela arrivera-t-il,
et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
8 Jésus répondit :
« Prenez garde de ne pas vous laisser égarer,
car beaucoup viendront sous mon nom
et diront : ‘C’est moi’,
ou encore : ‘Le moment est tout proche’.
Ne marchez pas derrière eux !
9 Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres,
ne soyez pas terrifiés :
il faut que cela arrive d’abord,
mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
10 Alors Jésus ajouta :
« On se dressera nation contre nation,
royaume contre royaume.
11 Il y aura de grands tremblements de terre,
et, en divers lieux, des famines et des épidémies ;
des phénomènes effrayants surviendront,
et de grands signes venus du ciel.
12 Mais avant tout cela,
on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ;
on vous livrera aux synagogues et aux prisons,
on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs,
à cause de mon Nom.
13 Cela vous amènera à rendre témoignage.
14 Mettez-vous donc dans l’esprit
que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense.
15 C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse
à laquelle tous vos adversaires ne pourront
ni résister ni s’opposer.
16 Vous serez livrés même par vos parents,
vos frères, votre famille et vos amis,
et ils feront mettre à mort certains d’entre vous.
17 Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom.
18 Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.
19 C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »

« Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu »!… Et pourtant, depuis notre naissance, nous avons quand même perdu beaucoup de cheveux. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas prendre ces expressions au pied de la lettre ; elles sont une manière de parler. Jésus parle comme tous les prophètes avant lui : ils ne prédisent pas l’avenir : leurs discours ne sont jamais des prédictions, mais des prédications. La remarque est valable aussi pour la parole de Jésus sur la fin du Temple.
Voilà donc une première leçon de ce texte pour nous ; ce genre de discours ne doit pas être pris au pied de la lettre, il n’est pas fait pour prédire l’avenir de manière exacte : il est fait pour nous aider à surmonter les épreuves du présent. Le message, en définitive, c’est « Quoi qu’il arrive… Ne vous effrayez pas… »
C’est aussi : « Ne vous appuyez pas sur de fausses valeurs ». Le Temple en était un bon exemple ; restauré par Hérode, agrandi, embelli, couvert de dorures, il était magnifique ; mais lui aussi fait partie de ce monde qui passe…
Inutile également de chercher dans les paroles de Jésus des précisions sur les dates ou les modalités du Royaume ; qu’il s’agisse de la résurrection de la chair dans sa réponse aux Sadducéens, dimanche dernier, qu’il s’agisse de la fin des temps, aujourd’hui, il ne donne pas de précision ; si j’ose dire, il répond à côté : on lui demande « Quand cela arrivera-t-il ? et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » Il ne répond pas à ces questions pourtant bien précises : il dit « prenez garde de ne pas vous laisser égarer.. » ce qui n’est pas vraiment une réponse à la question posée. Il faut croire que ce n’est pas le genre de précisions dont nous avons besoin pour mener notre vie de Chrétiens …
Ailleurs il dira qu’il ne lui appartient pas, même à lui, le Christ, de connaître ces choses-là ; mais il nous dit très clairement quelle doit être notre attitude : une attitude de confiance que rien n’ébranle : ni les catastrophes, ni les persécutions.
Si j’entends bien, les persécutions viendront vite : Jésus décrit des catastrophes et il dit : « Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. » Et un peu plus bas, « Vous serez détestés de tous à cause de mon Nom ». Luc sait à quel point c’est venu vite, effectivement : d’Etienne à Paul en passant par Jacques et tant d’autres… persécution de la part des Juifs d’abord, puis des Romains.
Au passage, on note que Jésus emploie deux fois l’expression « à cause de mon Nom » : à elle seule, elle dit la divinité du Christ ; dans le langage des Juifs, très souvent, pour parler de Dieu lui-même, on disait simplement ces deux mots « Le Nom ».
La parole qui suit, nous la connaissons bien : « Mettez-vous dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister opposer ni s’opposer. » Cela ne veut pas dire que les Chrétiens persécutés échapperont forcément à leurs persécuteurs… Certains mourront, Jésus le dit bien « ils feront mettre à mort certains d’entre vous » mais il ajoute « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu », ce qui veut dire que tout notre être, corps et âme, est dans la main de Dieu. A travers la mort même, nous sommes assurés de rester vivants de la vie de Dieu. Et, quelles que soient les persécutions, la Parole de Dieu poursuivra sa course, comme dit saint Paul.
Dans les perturbations du monde, ensuite, seule une confiance tenace nous évitera les égarements, et nous évitera aussi de nous laisser effrayer quels que soient les événements ; et Jésus cite les tremblements de terre, les épidémies, les faits terrifiants, les guerres… Et c’est notre assurance même, notre tranquillité, le fait de ne pas nous laisser effrayer qui sera témoignage. Le même évangéliste, Luc raconte dans les Actes des Apôtres la joie ressentie par Pierre et Jean poursuivis par les autorités juives : « Ils étaient tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom. » (Ac 5,41).
Il faut garder en tête cette phrase de Jésus que saint Jean a retenue : « Confiance ! J’ai vaincu le monde ! » Saint Paul le dit aussi à sa manière ; vous connaissez ce texte : « Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Rm 8,38-39).

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DEUXIEME LIVRE DES ROIS, DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE, EVANGILE SELON SAINT LUC, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 97

Dimanche 9 octobre 2022 : 28ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 9 octobre 2022 :

28ème dimanche du Temps Ordinaire

Guérison-des-dix-lépreux_Codex-Aureus-dEchternach-1035-1040

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – deuxième livre des Rois 5,14-17

En ces jours-là,
le général syrien Naaman, qui était lépreux,
14 descendit jusqu’au Jourdain et s’y plongea sept fois,
pour obéir à la parole d’Élisée, l’homme de Dieu ;
alors sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant :
il était purifié !
15 Il retourna chez l’homme de Dieu avec toute son escorte ;
il entra, se présenta devant lui et déclara :
« Désormais, je le sais :
il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël !
Je t’en prie, accepte un présent de ton serviteur. »
16 Mais Élisée répondit :
« Par la vie du SEIGNEUR que je sers,
je n’accepterai rien. »
Naaman le pressa d’accepter, mais il refusa.
17 Naaman dit alors :
« Puisque c’est ainsi,
permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays
autant que deux mulets peuvent en transporter,
car je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice
à d’autres dieux qu’au SEIGNEUR Dieu d’Israël. »

NAAMAN CHEZ LE PROPHETE ELISEE
La lecture de ce dimanche commence au moment où le général Naaman, apparemment doux comme un mouton, se plonge dans l’eau du Jourdain, sur l’ordre du prophète Elisée ; mais il nous manque le début de l’histoire : je vous la raconte : Naaman est un homme important, un général Syrien ; il a fait une très belle carrière militaire en Syrie, et il est bien vu du roi d’Aram (l’actuelle Damas) ; évidemment, pour le peuple d’Israël, il est un étranger, à certaines époques même, un ennemi ; mais surtout pour ce qui nous intéresse ici, il est un païen : il ne fait pas partie du peuple élu. Enfin, plus grave encore, il est lépreux, ce qui veut dire que d’ici peu, tout le monde le fuira ; pour lui donc, c’est une véritable malédiction.
Heureusement pour lui, sa femme a une petite esclave israélite (enlevée quelque temps auparavant au cours d’une razzia) : laquelle dit à sa maîtresse « Tu sais quoi ? A Samarie, il y a un grand prophète ; lui, pourrait sûrement guérir Naaman. » Dans un cas pareil, on est prêt à tout ! La nouvelle circule vite : l’esclave dit à sa maîtresse, qui dit à son mari Naaman, qui dit au roi d’Aram : le prophète de Samarie peut me guérir. Et comme Naaman est bien vu, le roi écrit une lettre d’introduction à son homologue, le roi de Samarie. La lettre dit quelque chose comme : ‘Je te recommande mon ami et loyal serviteur, mon général en chef des armées, Naaman ; il est atteint de la lèpre. Je te demande de faire tout ce qui est en ton pouvoir pour le guérir’. (Sous-entendu, envoie-le à ton grand prophète et guérisseur, Elisée, dont la réputation est venue jusqu’à nous). Et là il se passe quelque chose de très intéressant : c’est que, comme bien souvent, on ignore les trésors qu’on a à sa portée… Le roi d’Israël reçoit cette lettre et il ne lui vient pas à l’idée que le petit prophète Elisée est capable de guérir qui que ce soit ! Du coup, il est pris de panique : qu’est-ce qui lui prend au roi de Syrie d’exiger que je fasse des miracles ? Il cherche un prétexte pour me faire la guerre ? ou quoi ?
Heureusement encore, en Israël aussi, le bouche à oreille existe. Elisée apprend l’histoire, et il dit au roi : ‘On va voir ce qu’on va voir… Dis à Naaman de se présenter chez moi… et il va savoir qui est le vrai Dieu’. Naaman se présente donc chez Elisée avec toute son escorte et des cadeaux plein ses bagages pour le guérisseur, et il attend à la porte du prophète ; en fait, c’est un simple serviteur qui entrebâille la porte et se contente de lui dire : ‘Mon maître te fait dire que tu dois aller te plonger sept fois de suite dans l’eau du Jourdain et tu seras purifié’. C’est déjà un drôle d’accueil pour un général mais en plus, franchement, on se demande à quoi çà rime de se plonger dans le Jourdain : pas besoin de faire un tel voyage ! Des fleuves en Syrie, il y en a et des bien plus beaux que son petit Jourdain…
Naaman est furieux ! Et il reprend le chemin de Damas. Heureusement, il est bien entouré : ses serviteurs lui disent : ‘Tu t’attendais à ce que le prophète te demande des choses extraordinaires pour être guéri… tu les aurais faites… il te demande une chose ordinaire… tu peux bien la faire aussi ???’ Au passage, on voit que les serviteurs ont du bon ; la Bible ne manque jamais une occasion de le faire remarquer… En tout cas, dans le cas présent, Naaman les écoute… et c’est là que commence la lecture d’aujourd’hui.
LA DECOUVERTE DE NAAMAN
Donc, Naaman, redevenu quelqu’un comme tout le monde, obéit tout simplement à un ordre tout simple… il se plonge sept fois dans le Jourdain, comme on le lui a dit et il est guéri. C’est tout simple à nos yeux et aux yeux de ses serviteurs, mais pour un grand général d’une armée étrangère, c’est cette obéissance même qui n’est pas simple ! La suite du texte le prouve. Voilà Naaman guéri ; il n’est pas un ingrat ; il retourne chez Elisée pour lui dire deux choses : la première, c’est « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël » … (et un peu plus tard, il ira jusqu’à lui dire : quand je serai dans mon pays, c’est à lui désormais que j’offrirai des sacrifices). Soit dit en passant, l’auteur de ce passage en profite pour donner une petite leçon à ses compatriotes : quelque chose comme ‘vous bénéficiez depuis des siècles de la protection du Dieu unique, et bien, dites-vous que les bontés de Dieu sont aussi pour les étrangers et puis, vous que Dieu a choisis parmi tous, vous continuez pourtant à être tentés par l’idolâtrie… cet étranger, lui, a compris bien plus vite que vous d’où lui vient sa guérison’.
La deuxième chose que Naaman dit à Elisée, c’est je vais te faire un cadeau pour te remercier. Mais Elisée refuse énergiquement : on n’achète pas les dons de Dieu. Décidément Naaman va de surprise en surprise : la première fois qu’il s’est présenté chez Elisée, il avait tout prévu : Elisée le recevrait, le guérirait et en échange, lui, Naaman offrirait des cadeaux dignes de son rang, on serait quittes. Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Enfin, on se demande pourquoi Naaman souhaite emporter un peu de la terre d’Israël ? Il justifie sa demande en disant : « Je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d’autres dieux qu’au SEIGNEUR Dieu d’Israël. » Cela s’explique par le fait que, à l’époque du prophète Elisée, la croyance largement répandue chez tous les peuples voisins d’Israël était que les divinités règnent sur des territoires. Pour pouvoir offrir des sacrifices au Dieu d’Israël, Naaman se croit donc obligé d’emporter de la terre sur laquelle règne ce Dieu.
Cela inspire trois remarques : premièrement, Naaman n’a même pas rencontré le prophète : car ce n’est pas le prophète qui guérit, c’est Dieu. Deuxièmement, il n’y a pas eu de geste spectaculaire ou magique, mais la chose la plus banale qui soit pour un homme de ces pays-là : se plonger dans le fleuve…  et c’est dans ce geste banal fait par obéissance qu’il a rencontré la puissance de Dieu : celui-ci ne nous demande pas des choses extraordinaires, mais seulement notre confiance. Troisièmement, il n’y a pas eu de cadeau de remerciement : la seule manière de manifester à Dieu notre reconnaissance, c’est de reconnaître ce qui nous vient de lui. Quant au prophète, le serviteur de Dieu, il ne demande rien pour lui ; ce que Jésus traduira plus tard : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
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Compléments
– Le rôle des serviteurs : on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Sans les serviteurs, la petite esclave d’abord, ses conseillers ensuite, jamais Naaman n’aurait été guéri. En fait, on aurait dû y penser : pas étonnant que les petits soient les mieux placés pour nous enseigner le chemin de l’humilité.
– La terre : A l’époque du prophète Elisée, on l’a vu, la croyance largement répandue chez tous les peuples voisins d’Israël est que les divinités règnent sur des territoires. Mais, en Israël au contraire, on expérimente déjà depuis plusieurs siècles que Dieu accompagne son peuple sur tous ses chemins.

PSAUME – 97 (98),1-4

1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

2 Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations :
3 il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
4 Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
Sonnez, chantez, jouez !

DIEU D’AMOUR ET DE FIDELITE
La première lecture de ce dimanche raconte comment Naaman, un général syrien, donc païen, a été guéri par le prophète Elisée et du coup il a découvert le Dieu d’Israël. Naaman serait donc tout-à-fait bien placé pour chanter ce psaume dans lequel il est question de l’amour de Dieu et pour les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu (ceux que la Bible appelle les « nations ») et pour Israël. Je vous relis le verset 2 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. » Mais vient aussitôt le verset 3 : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël », ce qui est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël », la relation tout-à-fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers.
Derrière ces mots, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut dire : oui, Israël est bien le peuple choisi, le peuple élu ; mais la phrase précédente (et ce n’est peut-être pas un hasard si elle est placée avant), rappelle bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné. Son rôle c’est d’annoncer l’amour de Dieu POUR TOUS les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance.
Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; si on regarde d’un peu plus près, on remarque la construction en « inclusion » de ces deux  versets  2 et 3. Pour mémoire, une inclusion est un procédé de style qu’on trouve souvent dans la Bible. C’est un peu comme un encadré, dans un journal ou dans une revue ; bien évidemment le but est de mettre en valeur le texte écrit dans le cadre. Dans une inclusion, c’est la même chose : le texte central est mis en valeur, « encadré » par deux phrases identiques, une avant, l’autre après… Ici, la phrase centrale parle d’Israël, le peuple élu, et elle est encadrée par deux phrases qui parlent des nations : première phrase : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations » … la deuxième phrase, elle, concerne Israël : « il s’est rappelé sa fidélité, son amour en faveur de la maison d’Israël »… et voici la troisième phrase : « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». On n’y trouve pas le mot « nations » mais il est remplacé par l’expression « la terre tout entière ». La phrase centrale sur ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » est donc encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. Traduisez : L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière.
POUR ISRAEL ET POUR TOUTE L’HUMANITE
Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre. Naaman, le général syrien, païen, en est un précurseur.
Une deuxième insistance de ce psaume c’est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu. Par exemple, on chante au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR. » Mais quand je dis « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire… Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations… La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».
La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Egypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Egypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’en a fait sortir (d’Egypte) à main forte et à bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Egypte ; on la retrouve par exemple dans le livre du Deutéronome et dans les psaumes. La formule « il a fait des merveilles » est aussi un rappel de la libération d’Egypte.
Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !
Désormais les Chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment envers et contre tous les événements apparemment contraires que le Règne de Dieu, c’est-à-dire de l’amour est déjà commencé.

DEUXIEME LECTURE – deuxième lettre de Saint Paul à Timothée 2,8-13

Bien-aimé,
8 souviens-toi de Jésus Christ,
ressuscité d’entre les morts,
le descendant de David :
voilà mon évangile.
9 C’est pour lui que j’endure la souffrance,
jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur.
Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu !
10 C’est pourquoi je supporte tout
pour ceux que Dieu a choisis,
afin qu’ils obtiennent, eux aussi,
le salut qui est dans le Christ Jésus,
avec la gloire éternelle.
11 Voici une parole digne de foi :
Si nous sommes morts avec lui,
avec lui nous vivrons.
12 Si nous supportons l’épreuve,
avec lui nous régnerons.
Si nous le rejetons,
lui aussi nous rejettera.
13 Si nous manquons de foi,
lui reste fidèle à sa parole,
car il ne peut se rejeter lui-même.

DE DEUX CHOSES L’UNE…
De deux choses l’une… Ou Jésus est ressuscité, ou il ne l’est pas. Longtemps, Paul a refusé de croire aux affirmations des disciples de Jésus ; cela lui apparaissait comme une invention. A ses yeux, donc, il fallait à tout prix empêcher cette fable de se propager. Mais, depuis l’événement du chemin de Damas, Paul ne peut plus en douter : oui, Jésus est ressuscité, il l’a vu de ses yeux. Et alors la face du monde est changée : en ressuscitant Jésus, Dieu l’a reconnu comme son envoyé, il a authentifié ses paroles et ses actes : Jésus-Christ, vainqueur de la mort, l’est également de toutes les forces du mal. Et donc, le monde nouveau est déjà né : à nous de nous y engager par nos paroles et par toute notre vie. Avec le Christ, nous pouvons vaincre à notre tour les forces du mal.
Paul va désormais consacrer toutes ses forces à annoncer l’évangile et c’est bien à cette tâche qu’il convie Timothée, sans lui cacher qu’il rencontrera des oppositions ; tous ces dimanches-ci, nous lisons des extraits des deux lettres à Timothée et plusieurs fois, on a bien senti un climat de conflit, sans que Paul précise clairement de quoi il s’agit ; mais à plusieurs reprises il engage Timothée à garder courage, à combattre le beau combat de la foi, il lui rappelle qu’il a reçu un esprit non de peur mais de force et il lui conseille de combattre ses contradicteurs par la douceur. La Résurrection est donc le cœur  de la foi chrétienne ; mais si, en milieu juif, la foi en la résurrection de la chair était chose acquise pour un grand nombre de personnes, en milieu grec, au contraire, cette affirmation était dure à entendre ; on se rappelle l’échec de la prédication de Paul à Athènes : on parlait de lui en disant « Que veut donc dire cette jacasse1 ? » C’est pour avoir clamé un peu trop haut, un peu trop fort, la foi en la résurrection dans un monde peu disposé à l’entendre que Paul a connu la prison à plusieurs reprises. « Souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d’entre les morts… voilà mon Evangile. C’est pour lui que j’endure la souffrance, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. » Et il ne se fait pas d’illusion : Timothée, lui aussi, aura à souffrir pour affirmer sa foi ; quelques versets plus haut, Paul lui disait : « Prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Evangile ».
Paul est enchaîné, mais cela n’empêche pas la vérité de se propager ; il a transmis le flambeau à Timothée qui le transmettra à d’autres à son tour. Ailleurs il lui dit : « Ce que tu as appris de moi, confie-le à des hommes fidèles, qui seront eux-mêmes capables de l’enseigner encore à d’autres ». On peut bien enchaîner un homme, on peut le forcer à se taire, mais on n’enchaîne pas la vérité. Tôt ou tard, elle brillera en pleine lumière. Paul dit « Je suis enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu ! ».
ON N’ENCHAINE PAS LA PAROLE DE DIEU !
Jésus avait dit quelque chose d’analogue : un jour où la foule l’acclamait parce qu’elle l’avait fugitivement reconnu comme le Messie, on lui avait dit « fais taire ces gens »… Jésus avait répondu « S’ils se taisent, ce sont les pierres qui crieront ». Rien n’empêchera la vérité d’éclater.
Paul continue : « Je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent eux aussi le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle. » Nous retrouvons là les paroles de notre chant : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ; il est notre salut, notre gloire éternelle ». Nous sommes ces élus qui avons obtenu par notre Baptême le salut, la gloire éternelle du Christ. Les versets suivants sont très probablement une hymne que l’on chantait pour les cérémonies de baptême. La formule « Voilà une parole digne de foi » introduit manifestement un texte déjà connu : « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons, si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. » C’est le mystère du Baptême, tel que Paul l’a développé dans la lettre aux Romains au chapitre 6. Par le Baptême, nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ, nous avons été greffés sur lui, plus rien ne peut nous séparer de lui. Passion, mort et Résurrection du Christ sont liées : c’est le même événement, celui qui a ouvert une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité.
Enfin, les deux dernières phrases peuvent paraître contradictoires à première vue : : « Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera… Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ». Ces derniers mots ne nous surprennent pas ; nous savons que « fidélité, c’est le nom même de Dieu : si nous manquons de foi, lui il demeure toujours fidèle, nous n’en doutons pas. Mais alors la phrase précédente vient-elle dire le contraire ? « Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. » Ce qu’elle dit, en fait, c’est notre liberté… que Dieu ne force jamais : si nous le refusons sciemment, il ne nous contraint pas. Dans l’Evangile, quand il appelle quelqu’un, c’est toujours « Si tu veux…. ». Il y a une différence entre le rejeter et manquer de foi : le rejeter, c’est refuser sciemment son projet d’amour ; et lui nous aime assez pour respecter notre refus (c’est le sens de l’expression « lui aussi nous rejettera ») ; manquer de foi, ce n’est pas refuser le projet, c’est l’accepter mais avoir du mal à garder le cap. Heureusement « chaque fois que nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ».
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Note
1 – Jacasse (littéralement « ramasse-miettes ») étant le nom d’un oiseau nuisible et bavard, on appliquait ce sobriquet à des philosophes de pacotille qui grappillaient leurs idées n’importe où.
Compléments
–« On n’enchaîne pas la vérité » : au cours du procès de Pierre et de Jean devant le Sanhédrin, le pharisien Gamaliel avait dit équivalemment la même chose : « Si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. Ne risquez donc pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » (Ac 5,38-39).
–Il faut entendre le mot « évangile » dans son sens étymologique, c’est-à-dire « bonne nouvelle ». Pour Paul, la grande nouvelle du christianisme tient en une phrase : « Jésus Christ est ressuscité ». Et du coup, on comprend mieux contre quels adversaires Paul se bat tout au long de ces deux lettres à Timothée. Qui sont ces contradicteurs ? Paul ne le dit pas vraiment… sauf ici justement peut-être. Car, quelques versets plus bas, Paul citera deux personnes, Hyménée et Philétos, qui nient la résurrection de la chair ; on se souvient que, dans la première lettre aux Corinthiens, Paul avait déjà été affronté à la même querelle ; à ses yeux, c’est très grave : tout l’édifice de la foi repose sur la Résurrection du Christ. Voici quelques versets de la première lettre aux Corinthiens, au chapitre 15 : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité ; et si Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu aussi, votre foi aussi est sans contenu. » (1 Co 15,13-14).

EVANGILE – selon Saint Luc 17, 11-19

En ce temps-là,
11 Jésus, marchant vers Jérusalem,
traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
12 Comme il entrait dans un village,
dix lépreux vinrent à sa rencontre.
Ils s’arrêtèrent à distance
13 et lui crièrent :
« Jésus, maître,
prends pitié de nous. »
14 A cette vue, Jésus leur dit :
« Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés.
15 L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,
revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus
en lui rendant grâce.
Or, c’était un Samaritain.
17 Alors Jésus prit la parole en disant :
« Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ?
Les neuf autres, où sont-ils ?
18 Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger
Pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
19 Jésus lui dit :
« Relève-toi et va :
ta foi t’a sauvé. »

L’HEURE DU SALUT POUR TOUS LES HOMMES
Jésus est en route vers Jérusalem ; il sait que ce voyage le conduit à sa Passion, sa mort et sa Résurrection ; on peut penser que si Luc tient à nous parler de son itinéraire, c’est parce que ce qu’il va nous raconter maintenant a un lien direct avec le mystère du salut que le Christ apporte à l’humanité.
Donc Jésus traverse la région située entre la Samarie et la Galilée ; dix lépreux viennent à sa rencontre, mais ils restent à distance : la Loi leur interdit de s’approcher de quiconque ; ils sont contagieux à tous points de vue ; la lèpre est une maladie très contagieuse et d’autre part, elle était, à l’époque, considérée comme le signe de la malédiction divine, car on croyait qu’elle était le signe du péché. Nos dix lépreux s’arrêtent donc à distance de Jésus et, de loin, ils crient vers lui. Ce cri et le titre « Maître » qu’ils décernent à Jésus sont à la fois l’aveu de leur faiblesse et de la confiance qu’ils mettent en lui. Jésus ne bouge pas, ne se rapproche pas d’eux. Déjà une fois Luc (chap. 5,12) avait raconté la guérison d’un lépreux par Jésus : l’homme était près de lui, Jésus avait tendu la main et l’avait touché pour le guérir ; cette fois, dans l’épisode des dix lépreux, c’est de loin que Jésus dit aux malades : « Allez vous montrer aux prêtres » ; se montrer aux prêtres, c’était la démarche que les lépreux devaient faire pour que leur guérison soit officiellement reconnue. Cet ordre de Jésus est donc en soi une promesse de guérison.
On peut rapprocher l’attitude de Jésus dans l’épisode des dix lépreux de celle du prophète Elisée envers Naaman dans la première lecture ; Elisée non plus n’avait pas fait un geste, il avait simplement fait dire par son serviteur : « Va te baigner sept fois dans l’eau du Jourdain et tu seras  purifié. » Dans les deux cas, effectivement, l’obéissance à l’ordre reçu apporte aux lépreux la guérison. Dans l’épisode qui nous occupe, les lépreux se mettent en marche pour aller rencontrer le prêtre ; et c’est en marchant qu’ils voient leur lèpre disparaître ; réellement, leur confiance les a sauvés. La maladie avait rapproché ces dix hommes ; dans la guérison, ils vont révéler le fond de leur cœur : ils ne sont plus dix lépreux, dix exclus ; ils sont neuf bons Juifs et un Samaritain, c’est-à-dire plus ou moins un hérétique. Tout hérétique qu’il est, le Samaritain sait que la vie, la guérison viennent de Dieu ; alors il rebrousse chemin, il fait demi-tour et cette fois, purifié, il peut s’approcher de Jésus : Luc dit « il glorifie Dieu à pleine voix » et aussi « il se jette face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce » ce qui est une attitude réservée à Dieu.
Ce Samaritain vient de rencontrer le Messie et il le reconnaît. Implicitement, il vient également de reconnaître que pour rendre véritablement gloire à Dieu, ce n’est plus vers le Temple de Jérusalem qu’il faut se tourner, mais vers Jésus lui-même. Faire demi-tour, c’est précisément le sens du mot « conversion ». Et Jésus reconnaît publiquement cette conversion du Samaritain : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ».
HEUREUX LES PAUVRES DE COEUR
« Et les neuf autres ? » demande Jésus. Eux n’ont pas fait demi-tour ; ils ont pourtant rencontré le Messie, eux aussi… mais ils ne l’ont pas reconnu… Ou, en tout cas, ils ont considéré comme plus urgent de se mettre en règle avec la Loi en continuant leur chemin vers le Temple et les prêtres. Jésus leur avait dit d’aller se montrer aux prêtres, ils y vont sans même prendre le temps de l’action de grâce.
C’est un thème fréquent des Evangiles : le salut est pour tous les hommes et, bien souvent, ce ne sont pas ceux qui s’en croient les plus proches qui l’accueillent le mieux ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu » dit Saint Jean. L’Ancien Testament insistait déjà très fort sur ce qu’on appelle l’universalité du salut ; nous l’avons d’ailleurs entendu dans le psaume 97/98 de ce dimanche. Et la première lecture rapportait la conversion du général Syrien Naaman, lui aussi un étranger. Plus haut, dans le même évangile de Luc, Jésus a d’ailleurs commenté cet événement pour reprocher à ses compatriotes leur aveuglement à son sujet : il a commencé par constater
« Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays » puis il a ajouté : « Au temps du prophète Elisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien ». Et à ces mots toute la synagogue s’était mise en colère (Luc 4,24-27). Et plus tard, dans les Actes des Apôtres, Luc insistera sur le refus opposé à l’évangile par toute une partie du peuple d’Israël en contraste avec le succès de la prédication chez les païens.
C’est une question qui troublait les premières générations chrétiennes ; quand Luc écrit son Evangile, par exemple, la jeune communauté chrétienne se divise sur un problème de fond : faut-il nécessairement être Juif pour être baptisé ? Ou bien peut-on admettre des non-Juifs, des païens, au Baptême ? Le récit de la guérison d’un Samaritain, d’un hérétique, et plus encore le récit de sa conversion profonde venaient à point nommé pour rappeler trois vérités à ne pas oublier : premièrement, le salut inauguré par Jésus-Christ dans sa passion, sa mort et sa Résurrection est offert à tous les hommes sans exception. Deuxièmement, rendre grâce à Dieu, c’est la vocation du peuple élu, mais parfois ce sont des étrangers considérés comme hérétiques qui le font le mieux. Troisièmement, ce sont bien souvent les pauvres qui ont le cœur  le plus ouvert à la rencontre de Dieu. Pour le dire autrement : sur le chemin de Jérusalem, c’est-à-dire du salut, Jésus entraîne tous les hommes qui le veulent bien. Quelle que soit leur race, leur religion, il suffit qu’ils soient prêts à faire demi-tour.

ACTES DES APÔTRES, ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT JEAN, PSAUME 97, TEMPS PASCAL

Dimanche 9 mai 2021 : 6ème dimanche de Pâques : lectures et commentaires

Dimanche 9 mai 2021 : 6ème dimanche de Pâques

lavement

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des Apôtres 10, 25 … 48

25 Comme Pierre arrivait à Césarée
chez Corneille, centurion de l’armée romaine,
celui-ci vint à sa rencontre,
et tombant à ses pieds, il se prosterna.
26 Mais Pierre le releva en disant :
« Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. »

34 Alors Pierre prit la parole et dit :
« En vérité, je le comprends :
Dieu est impartial ;
35 il accueille, quelle que soit la nation,
celui qui le craint
et dont les œuvres sont justes. »

44 Pierre parlait encore
quand l’Esprit Saint
descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole.
45 Les croyants qui accompagnaient Pierre,
et qui étaient Juifs d’origine,
furent stupéfaits de voir que, même sur les nations,
le don de l’Esprit Saint avait été répandu.
46 En effet, on les entendait parler en langues
et chanter la grandeur de Dieu.
Pierre dit alors :
47 « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême
à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint
tout comme nous ? »
48 Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ.
Alors ils lui demandèrent
de rester quelques jours avec eux.

QUAND L’ESPRIT SAINT ABOLIT LES FRONTIERES
Il faut peser l’importance de la première phrase de notre texte : « Pierre arriva à Césarée chez Corneille, centurion de l’armée romaine… » Jusqu’à la veille, Pierre n’aurait jamais eu l’idée de faire une chose pareille !
Tout les oppose, ces deux hommes : Pierre, le Juif, croyant, convaincu, depuis peu devenu disciple de Jésus… et ce païen, quelqu’un qu’on ne fréquente pas : parce que, d’une part, il est l’occupant, mais plus encore parce qu’il est païen… Et, d’ailleurs, ce n’est pas Pierre, tout seul, qui a eu cette idée bizarre, d’aller chez Corneille, à Césarée. C’est Dieu qui a tout organisé, si j’ose dire : il a préparé les deux hommes à ce qui devait être un événement très important pour la jeune communauté chrétienne. Chacun des deux hommes a eu ce jour-là une vision : Corneille a entendu un ange de Dieu lui dire « Le Seigneur t’a entendu ; fais chercher Pierre pour qu’il vienne chez toi. »
Quant à Pierre, à des kilomètres de là, lui aussi, il a eu une vision : une vision curieuse, qui a l’air de vouloir déranger ses habitudes. Dans cette vision, il a devant les yeux des quantités d’animaux, dont certains considérés par la loi juive comme impurs étaient strictement interdits, et une voix le pousse à désobéir : tue et mange ! Pierre qui est un scrupuleux, ne veut pas désobéir aux règles de son enfance ; alors la voix lui fait remarquer qu’il appartient à Dieu seul de décider ce qui est pur ou impur… pour l’instant, il ne s’agit que d’alimentation, mais, déjà, ses certitudes sur les sacro-saintes règles juives de pureté sont sérieusement battues en brèche ; il faut bien cela pour le préparer à ce qui l’attend !
Trois fois de suite, cette curieuse vision se reproduit… et Pierre reste perplexe ; c’est à ce moment précis que les envoyés de Corneille arrivent ; ils viennent demander à Pierre quelque chose de plus grave encore que de manquer chez soi aux règles alimentaires : ils viennent lui demander d’aller chez ce païen de Corneille !
On se rappelle le tollé quand Jésus allait manger chez n’importe qui ! Et encore, il s’agissait de Juifs ; cette fois, il s’agit d’un incirconcis, comme on disait.
Mais, comme chacun sait, Dieu a de la suite dans les idées ; Luc précise que l’Esprit Saint lui-même rassure Pierre sur ce qu’il va faire : « Pierre était toujours préoccupé de sa vision, mais l’Esprit lui dit : Voici deux hommes qui te cherchent. Descends donc tout de suite avec eux et prends la route avec eux sans te faire aucun scrupule : car c’est moi qui les envoie ». Au passage, on remarque que c’est l’Esprit Saint qui dit à Pierre « ne te fais pas de scrupule » … Ce qui prouve au moins que tous nos scrupules ne sont pas toujours inspirés par l’Esprit Saint … Et qu’il nous faut apprendre à distinguer parmi nos scrupules ceux qui sont bien inspirés… de ceux qui le sont moins. Evidemment, Pierre a obéi à cette voix, et le voilà chez Corneille.
Et c’est là que commence notre texte d’aujourd’hui. Corneille, en voyant entrer Pierre, se jette à ses pieds, mais Pierre le relève : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme moi aussi. » Il ne peut évidemment pas accepter des manifestations de respect qui ne sont dues qu’à Dieu seul.
Et, tout d’un coup, Pierre comprend la vision qui l’avait tellement intrigué : les animaux n’étaient qu’une image destinée à lui faire comprendre autre chose ; à table, on sait qu’il était interdit par la loi religieuse de manger certains animaux considérés comme impurs : or la fameuse vision l’invitait à dépasser cet interdit parce que Dieu seul en définitive peut déterminer ce qui est pur ou impur.
UN TOURNANT DECISIF
Mais il était également interdit de fréquenter les païens. Ce que Pierre est invité à découvrir, c’est que cette barrière-là, elle aussi, doit tomber. Pourquoi cette interdiction de fréquenter des païens ? Ce n’était pas du mépris ; mais, tout simplement, parce que leurs pratiques étant différentes, la fréquentation des païens risquait d’entraîner les Juifs à délaisser leurs propres pratiques. Pierre vient de comprendre : Dieu l’invite à dépasser cette loi ; tout comme la vision l’invitait à ne plus faire de distinction entre animaux purs et animaux impurs, désormais il ne faut plus faire de distinction entre hommes purs et hommes impurs ; cela permettra de fréquenter sans scrupule tout le monde.
C’est un tournant décisif qui s’amorce : comment annoncer la Bonne Nouvelle aux païens si on s’interdisait de les fréquenter ? Dans une première étape du plan de salut de Dieu, le peuple juif a été choisi et, pendant tout un temps de maturation nécessaire, il fallait préserver la foi et donc rester entre croyants. Mais, désormais, c’est une nouvelle étape : il faut ouvrir les portes aux païens pour pouvoir leur annoncer à eux aussi la Bonne Nouvelle. Jésus, lui aussi, avait plusieurs fois fait comprendre à ses apôtres que, désormais, la loi ancienne était caduque, et qu’une nouvelle étape s’ouvrait. Etre fidèle à la foi des pères ne signifie pas répéter indéfiniment leurs manières d’agir et de parler. A questions nouvelles, solutions nouvelles.
C’est ce que Pierre comprend d’un coup et explique à Corneille et à son entourage : « Vous savez que c’est un crime pour un Juif de fréquenter des étrangers ; mais Dieu vient de me faire comprendre que, désormais, il ne faut plus faire de différence entre les hommes : car Dieu lui-même ne fait pas de différence entre les hommes ». Et Pierre commence la catéchèse de ce nouvel auditoire ; et là encore, l’Esprit Saint intervient : Saint Luc note « Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur ceux qui écoutaient la Parole. »
Décidément, c’est toujours grâce à L’Esprit Saint que l’Eglise progresse !
———————-
Compléments
– On dit volontiers que Paul est l’apôtre des païens ; mais, pour être juste, il faut dire que Pierre l’a précédé : ici, on peut dire qu’il est l’apôtre des Romains ! Puisque, Corneille, on nous l’a dit, est centurion de l’armée d’occupation, l’armée romaine. Corneille faisait certainement partie des sympathisants qui gravitaient autour des synagogues, peut-être même était-il un « craignant Dieu » : c’est-à-dire un non-Juif qui adhère de cœur  à la religion juive sans pour autant se soumettre à la circoncision et aux innombrables règles de la religion juive.
– Nous sommes souvent surpris que les Actes des Apôtres nomment si facilement l’Esprit Saint ; son action est reconnue à chaque page et c’est grâce à lui que l’Eglise affronte des questions nouvelles, et ose aborder des auditoires nouveaux… Evidemment, nous ne pouvons pas nous permettre de penser qu’il serait moins actif aujourd’hui que dans les premiers temps de l’Eglise ! J’en déduis que c’est à nous d’ouvrir un peu mieux les yeux pour détecter son action. Si nous le laissons faire, Jésus l’a bien promis, « l’Esprit nous mènera vers la vérité tout entière ».
– Dernière remarque : c’est en entendant Corneille chanter la gloire de Dieu que Pierre a reconnu la présence de l’Esprit Saint. Doit-on en déduire que nos moments moroses sont ceux où nous avons mis de côté l’Esprit Saint ?

PSAUME – 97 (98), 1. 2-3ab. 3cd-4

1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

2 Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
3 il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
4 Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
Sonnez, chantez, jouez !

LES DEUX AMOURS DE DIEU
« La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu » : c’est le peuple d’Israël qui parle ici et qui dit « NOTRE Dieu », affichant ainsi la relation tout à fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers ; mais Israël a peu à peu compris que sa mission dans le monde est précisément de ne pas garder jalousement pour lui cette relation privilégiée mais d’annoncer l’amour de Dieu POUR TOUS les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance. Car la terre tout entière n’a pas seulement vocation à voir la victoire de notre Dieu, elle a vocation à en bénéficier.
Ce psaume dit très bien ce que j’appellerais « les deux amours de Dieu » : son amour pour son peuple choisi, élu, Israël… ET son amour pour l’humanité tout entière, ce que le psalmiste appelle tantôt « les nations », tantôt « La terre tout entière ». Les « nations », ce sont tous les autres, les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu.  Car une des grandes certitudes que les hommes de la Bible ont acquise peu à peu, c’est que Dieu aime toute l’humanité, et pas seulement Israël.
Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; puisque la phrase centrale sur ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » est encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière et cette construction le manifeste bien.
Je vous relis les versets 2 et 3 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations… Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël…La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». La phrase centrale (« Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël ») est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ». Derrière cette toute petite phrase, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut dire : oui, Israël est le peuple choisi, le peuple élu.
Mais les deux phrases qui l’encadrent et qui parlent des nations, rappellent bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné.
Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on anticipe en quelque sorte, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre.
La première dimension de ce psaume, très importante, c’est donc l’insistance sur ce que j’ai appelé « les deux amours de Dieu », pour son peuple choisi et pour toute l’humanité. Une deuxième dimension de ce psaume est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu.
DANS L’ATTENTE DE L’ULTIME VICTOIRE
Par exemple, on chante au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR. » Mais quand je dis « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire » … « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations »…  « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».
La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Egypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Egypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Egypte ; on la retrouve par exemple dans le livre du Deutéronome et dans les psaumes. La formule « il a fait des merveilles » est aussi un rappel de la libération d’Egypte.
Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !
Désormais les Chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment (envers et contre tous les événements apparemment contraires), que le Règne de Dieu, c’est-à-dire le Règne de l’amour est déjà commencé.
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Complément
– Ce cri de victoire a pris sa place dans la liturgie du peuple juif, chaque année à l’automne, au cours de la Fête des Tentes, à Jérusalem. Cette fête durait huit jours et comportait de nombreuses cérémonies de toute sorte : célébrations pénitentielles, sacrifices d’action de grâce… et aussi des « fêtes pour le roi ». Et c’est ce roi que l’on acclamait en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes, et dans les applaudissements de la foule. Or, l’étonnant, c’est que lorsqu’on célébrait ces « fêtes pour le roi », après l’Exil à Babylone (c’est-à-dire à partir du sixième siècle av. J.C.), il n’y avait plus de roi en Israël ! Plus de roi visible, en tout cas.
Mais, d’une part, on se rappelait la promesse de Dieu : on savait qu’un roi, fils (c’est-à-dire descendant) de David, viendrait un jour et on le fêtait déjà. C’était un moyen d’encourager l’espérance. D’autre part, en Israël, même lorsqu’il y avait un roi sur le trône, on n’a jamais oublié que le seul roi au monde, le seul pouvoir, le seul maître est Dieu. C’est lui que l’on acclame dans ce psaume 97/98.

DEUXIEME LECTURE – première lettre de Saint Jean 4,7-10

7 Bien-aimés,
aimons-nous les uns les autres,
puisque l’amour vient de Dieu.
Celui qui aime
est né de Dieu,
et connaît Dieu.
8 Celui qui n’aime pas
n’a pas connu Dieu,
car Dieu est amour.
9 Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous :
Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde
pour que nous vivions par lui.
10 Voici en quoi consiste l’amour :
ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu,
mais c’est lui qui nous a aimés,
et il a envoyé son Fils
en sacrifice de pardon pour nos péchés.

LA OU EST L’AMOUR, LA EST DIEU
Ce texte parle d’amour à toutes les lignes, ou presque ! (Il est donc bien dans la tonalité des autres lectures de ce dimanche.)
Pour autant, on n’imagine pas Saint Jean baignant dans une communauté à l’eau de rose ! S’il en parle tant, c’est que ce n’est pas si simple ! La communauté à laquelle il écrit (probablement à la fin du premier siècle) est en crise. Des faux prophètes de toute sorte risquent d’égarer les esprits dans d’interminables discussions théologiques. Pendant ce temps, on oublie l’essentiel.  Dans ce texte, Saint Jean ramène sa communauté à l’essentiel, c’est-à-dire Dieu, c’est-à-dire l’Amour. S’il fallait résumer ce passage, on pourrait dire : Dieu est amour, tout amour humain vient de Dieu. Vous cherchez à connaître Dieu, dit Jean, vous avez bien raison, mais ne vous égarez pas avec toutes vos discussions sur la connaissance de Dieu : c’est bien simple, mettez-vous à son diapason. Puisque Dieu est Amour, tout ce qui en vous est Amour vient de Dieu ; et chaque fois que vous aimez, vous êtes au diapason de Dieu.
Un chant très ancien de l’Eglise dit « Ubi caritas et amor, Deus ibi est » ; ce qui veut dire « Là où il y a de l’amour, là est Dieu ». Cette phrase pourrait être signée par Jean, il dit la même chose : « Celui qui aime est né de Dieu, et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » Là, nous avons un critère extrêmement simple et clair pour juger tout ce que nous faisons et tout ce que nous voyons faire. Il y a toute une éducation du regard ! Et il semble bien que ce soit la grande leçon que Saint Jean veut donner aux croyants. Peut-être est-ce cela le rôle des croyants : être à l’affût, détecter tout ce qui est parcelle d’amour, regards d’amour, gestes d’amour, et, à chaque fois, savoir dire « Dieu est là ».
C’est dans ce sens-là, peut-être, que Jésus disait « le royaume de Dieu est au milieu de vous ». Et c’est valable tous les jours, sous nos yeux, sur toute la surface du globe, chez les jeunes et chez les vieux, dans toutes les races et toutes les religions, y compris chez ceux qui n’ont pas de religion. (C’est Saint Jean qui nous le dit aujourd’hui.)
Ce qui revient à dire que si on sait ouvrir les yeux, Dieu nous est donné à contempler tous les jours de mille manières. L’Ancien Testament, déjà, avait très bien compris que connaître Dieu et aimer, c’est la même chose et que le jour où l’humanité connaîtra vraiment Dieu, elle deviendra fraternelle.
Isaïe, pour faire entendre ce message-là a inventé sa merveilleuse fable des animaux : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits mêmes gîtes. Le lion comme le bœuf  mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR comme la mer que comblent les eaux » (Is 11,6-9).
UN JOUR, L’HUMANITE CONNAITRA ENFIN SON DIEU
C’est bien le projet de Dieu pour l’humanité depuis toujours, un projet d’harmonie universelle.
Un peu plus haut, dans cette même lettre, Jean dit « Tel est le message que vous avez entendu dès le commencement : que nous nous aimions les uns les autres » (1 Jn 3,11) ; « dès le commencement », c’est-à-dire depuis les origines. Nous lisions la semaine dernière, dans la même lettre de Jean : « Voici son commandement : adhérer avec foi à son Fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement. » (1 Jn 3,23). Et Jean continue : « Voici comment Dieu a manifesté son amour parmi nous : Dieu a envoyé son Fils Unique dans le monde pour que nous vivions par lui. »
On entend résonner ici l’évangile de Jean : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 17,3). Vivre, (au sens de la vie éternelle) c’est connaître Dieu ; et pour que nous le connaissions vraiment tel qu’Il est, et pas tel que nous l’imaginons, Il a envoyé son Fils. Tant que Dieu est invisible, comment le connaîtrions-nous vraiment ? En Jésus, parce qu’Il est Dieu fait homme, nous voyons enfin Dieu sur un visage d’homme et dans des gestes d’homme. « Dieu a envoyé son Fils Unique dans le monde pour que nous vivions par lui », c’est-à-dire pour que nous le connaissions.
Toute sa vie, Jésus a révélé dans ses paroles et dans ses gestes ce qu’est l’amour de Dieu pour l’humanité : paroles qui relèvent et qui pardonnent, gestes qui guérissent et qui rassurent ; le dernier soir, Jean raconte qu’il a laissé à ses apôtres un dernier geste qui parle mieux que des paroles : « Jésus sachant que son Heure était venue, l’Heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême… »
« Sachant que le Père a remis toutes choses entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu, Jésus se lève de table, dépose son vêtement… » Le lavement des pieds est en quelque sorte la signature de sa vie : « il est sorti de Dieu… il va vers Dieu », c’est l’amour même qui avait planté sa tente parmi les hommes ; et l’admirable de ce texte, c’est la leçon qu’il en donne : ce n’est pas « malgré qu’il soit Dieu », par condescendance, en quelque sorte, qu’il se met à genoux devant les hommes pour leur laver les pieds ; c’est « parce qu’il est Dieu » qu’il se met à leur service. « Vous m’appelez le Maître et le Seigneur, et vous dites bien car je le suis. » Et il ajoute « Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,13).
Cette découverte du vrai visage de Dieu change la face du monde : jusque-là on croyait que Dieu avait des comptes à régler avec l’humanité pécheresse ; pour obtenir l’effacement de tous ces péchés, on croyait bon d’offrir des sacrifices, des victimes ; en Jésus-Christ, on découvre un Dieu qui est Amour et Pardon, qui n’a pas de comptes à régler mais qui nous demande simplement de lui ressembler en nous aimant les uns les autres.

EVANGILE – selon Saint Jean 15,9-17

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
9 « Comme le Père m’a aimé,
moi aussi je vous ai aimés.
Demeurez dans mon amour.
10 Si vous gardez mes commandements,
vous demeurerez dans mon amour,
comme moi,
j’ai gardé les commandements de mon Père,
et je demeure dans son amour.
11 Je vous ai dit cela
pour que ma joie soit en vous,
et que votre joie soit parfaite.
12 Mon commandement, le voici :
Aimez-vous les uns les autres
comme je vous ai aimés.
13 Il n’y a pas de plus grand amour
que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
14 Vous êtes mes amis
si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs,
car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ;
je vous appelle mes amis,
car tout ce que j’ai entendu de mon Père,
je vous l’ai fait connaître.
16 Ce n’est pas vous qui m’avez choisi,
c’est moi qui vous ai choisis et établis,
afin que vous alliez,
que vous portiez du fruit,
et que votre fruit demeure.
Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom,
il vous le donnera.
17 Voici ce que je vous commande :
c’est de vous aimer les uns les autres. »

DIEU VEUT LA JOIE DES HOMMES
« Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » Voilà une bonne nouvelle dans ce texte ! Quand le Christ parle à ses apôtres, c’est pour les combler de joie. Et la raison de cette joie, c’est que la vie de Jésus n’a été qu’amour, à l’image de son Père : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » Nous sommes tout à fait dans la ligne de la deuxième lecture : quand l’humanité connaîtra enfin Dieu tel qu’Il est, elle sera comblée de joie. Plus on lit la Bible, plus on est frappé de cette insistance : le seul problème de l’humanité, c’est de ne pas connaître Dieu, de se tromper sur Lui. Elle le prend pour un Juge terrible, alors que c’est un Père qui se réjouit de la joie de ses enfants.
Dès l’Ancien Testament, tout le travail des prophètes a consisté à révéler ce vrai visage du Dieu de tendresse et de pitié, comme le disent les psaumes, un Dieu qui veut notre joie. Voici quelques phrases d’Isaïe, par exemple : « Ils reviendront, ceux que le SEIGNEUR a rachetés, ils arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite ! Allégresse et joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s’enfuiront. » (Is 35,10)… « C’est un enthousiasme et une exultation perpétuels que je vais créer : en effet l’exultation que je vais créer, ce sera Jérusalem, et l’enthousiasme, ce sera son peuple ; oui, j’exulterai au sujet de Jérusalem et je serai dans l’enthousiasme au sujet de mon peuple ! » (Is 65,18-19).
A noter que ces passages sont des textes tardifs de l’Ancien Testament, cela veut dire que la Révélation a déjà fait du chemin ; Sophonie, à son tour, insiste sur la joie de Dieu de voir ses enfants heureux : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Eclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! Le SEIGNEUR a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écarté tes ennemis. Le roi d’Israël, le SEIGNEUR, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. Ce jour-là, on dira à Jérusalem : Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le SEIGNEUR ton Dieu est en toi, c’est lui le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. » (So 3,14-18).
Malheureusement, nous avons du mal à y croire, comme si c’était trop beau ; c’est seulement à la fin des temps que l’humanité connaîtra enfin Dieu et donc vivra dans la joie ; c’est pour cela que, dans l’Ancien Testament, la joie est toujours présentée comme une caractéristique du salut que l’humanité attend. Quand Dieu « répandra son Esprit sur toute chair », comme le dit le prophète Joël (3,1), alors nous connaîtrons que Dieu est amour et nous serons dans la joie.
UNE JOIE QUE NUL NE NOUS RAVIRA
Le Nouveau Testament dit quelle joie, déjà, a accompagné la venue de Celui qui est venu révéler le visage de Dieu aux hommes ; à propos de la naissance de Jean-Baptiste, par exemple, l’ange dit à Zacharie : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée. Ta femme Elisabeth mettra au monde pour toiun fils et tu lui donneras le nom de Jean. Tu seras dans la joie et l’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance. » (Lc 1,13-14). Puis, à propos de la naissance de Jésus, l’ange dit aux bergers : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » (Lc, 2,10).
Visiblement, c’est un thème qui a beaucoup marqué Jean ; du dernier soir de son Maître, il a retenu une grande impression de joie plus forte que l’épreuve pourtant toute proche ; par exemple : « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens à vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. » (Jn 14,28)… « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée.  Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre coeur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. » (Jn 16,20-24). Et dans sa dernière prière, Jésus dit à son Père : « Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. » (Jn 17,13).
Les apôtres, à leur tour, promettent aux hommes la joie : saint Jean y insiste dans ses lettres : « Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite. » (1 Jn 1,4)… « J’ai bien des choses à vous écrire ; je n’ai pas voulu le faire avec du papier et de l’encre, mais j’espère me rendre chez vous et vous parler de vive voix, pour que notre joie soit parfaite. » (2 Jn 12).
C’est peut-être à cela que l’on reconnaît les prophètes ou les apôtres : ce sont ceux qui révèlent aux hommes le vrai visage du Dieu de la joie. Ceux-là, quand leur heure sera venue, s’entendront dire : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25,21).

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL AUX THESSALONICIENS, EVANGILE SELON SAINT LUC, LIVRE DU PROPHETE MALACHIE, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 97

Dimanche 17 novembre 2019 : 33ème dimanche du Temps Ordinaire : textes et commentaires

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Dimanche 17 novembre 2019 :

33ème dimanche du Temps Ordinaire

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – prophète Malachie 3, 19 – 20 a

19 Voici que vient le jour du SEIGNEUR,
brûlant comme la fournaise.
Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété,
seront de la paille.
Le jour qui vient les consumera,
dit le SEIGNEUR de l’univers,
il ne leur laissera ni racine ni branche.
20 Mais pour vous qui craignez mon Nom,
le Soleil de justice se lèvera ;
il apportera la guérison dans son rayonnement.

Quand Malachie écrit ces lignes, les croyants ne savent plus très bien où ils en sont : nous sommes vers 450 av. J.C. dans un contexte de découragement général ; tout le monde a l’air de perdre la foi, y compris les prêtres de Jérusalem qui en sont venus à célébrer le culte un peu n’importe comment. Et tout le monde ou presque se pose des questions du genre « Que fait Dieu ?… Nous oublie-t-il ?… » La vie est tellement injuste ! A ceux qui font le mal, tout réussit… A quoi sert d’être soi-disant le peuple élu, à quoi sert de respecter les commandements ? Il n’y a pas de justice… Dieu est-il vraiment juste, finalement ?
Alors Malachie fait son travail de prophète, c’est-à-dire qu’il s’emploie à galvaniser les énergies. Il rappelle à l’ordre d’abord, les prêtres comme les laïcs, mais surtout, et c’est le texte d’aujourd’hui, il proclame que Dieu est juste… et que son projet d’instaurer la justice entre les hommes progresse irrésistiblement. Le JOUR du SEIGNEUR approche.
« Voici que vient le jour du SEIGNEUR », cela veut dire que l’histoire n’est pas un perpétuel recommencement, elle progresse ; pour les croyants, Juifs ou Chrétiens, c’est un article de foi. « Il vient le jour du SEIGNEUR », c’est certainement le thème de ce dimanche. Le « jour » du SEIGNEUR, sous-entendu le jour de sa venue. Evidemment, selon l’idée que l’on se fait de Dieu, on va, soit redouter, soit attendre impatiemment sa venue. Le croyant, lui, attend impatiemment, ardemment, activement cette venue du jour du SEIGNEUR. Car pour le croyant, celui qui a compris une fois pour toutes que Dieu est Père, l’annonce de la venue du Jour de Dieu est une bonne nouvelle.
L’image employée par Malachie est celle du soleil : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme la fournaise » : il ne faut surtout pas entendre cette phrase comme une menace ! Car le livre de Malachie commence par une déclaration d’amour de Dieu : « Je vous aime, dit le SEIGNEUR » (Ml 1,2) et une autre : « Je suis Père » (Ml 1,6). Le texte que nous venons d’entendre est de la même veine : « une fournaise », quelle image superbe pour dire l’incandescence de l’amour infini ! Cette image de fournaise, nous la retrouvons dans l’évangile : « Notre coeur n’était-il pas tout brûlant…? » se redisaient, tout émus, les deux disciples d’Emmaüs après leur rencontre avec le Ressuscité.
Et il est vrai que les images de lumière et de chaleur nous viennent spontanément pour exprimer l’amour qui envahit parfois notre coeur. Alors, quand viendra pour chacun de nous le jour de la grande rencontre, c’est dans l’océan brûlant de l’amour de Dieu que nous serons plongés. Que pourrions-nous craindre ? Il suffit de nous rappeler les premières lignes de Malachie : « Je vous aime, dit le SEIGNEUR » ; nous serons bien exposés tout entiers, mais c’est au soleil de l’amour ; et que peut faire Celui qui n’est qu’amour, sinon aimer ? Et aimer de préférence ce qui est exposé, pauvre, nu, sans défense. C’est le merveilleux sens du mot « miséricorde » : un coeur attiré par la misère ; et miséreux, nous le sommes, indiscutablement ; alors le coeur de Dieu nous est acquis !
N’empêche que Malachie parle bien ici de jugement : là encore l’image du soleil est suggestive : on sait bien que le soleil est tantôt brûlant, dangereux, tantôt au contraire bienfaisant. Il apporte, selon les cas, brûlure ou guérison. C’est ce que nous appelons l’ambivalence du soleil : son action est double. Dans le domaine de la santé, par exemple, il aggrave certaines maladies, (le cancer par exemple), il en guérit d’autres : avant la découverte des antibiotiques, on employait l’héliothérapie dans le traitement de certaines tuberculoses…
Pour le Soleil de Dieu, dont parle Malachie, c’est la même chose : rien n’échappe à sa lumière ; pas question de nous montrer sous le jour le plus avantageux : aucune tache, aucune imperfection ne restera dans l’ombre. Nous voilà exposés sans défense, semble-t-il, au regard de Dieu, le souverain juge. C’est notre vie tout entière, notre être tout entier, qui sera exposée au soleil purificateur : il brûlera les uns, guérira les autres ; je reprends le texte : « Tous les arrogants, ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille, le jour qui vient les consumera… Mais pour vous qui craignez mon nom, il apportera la guérison ».
Le jugement de Dieu révélera ce que nous sommes en vérité : sommes-nous « arrogants » comme dit Malachie, hommes au coeur sec ? Alors nous verrons ce que nous sommes en réalité : de la paille qui sera emportée dans l’incendie… Sommes-nous humbles devant Dieu, « craignant son Nom », c’est-à-dire attendant tout de lui, comme le publicain de l’autre jour ? Alors nous serons comblés.
Reste une question de taille : comment savoir de quelle catégorie nous sommes, tant qu’il est encore temps ? Aucun d’entre nous n’est totalement bon, nous le savons bien… Mais aucun d’entre nous, non plus, n’est totalement mauvais. Il y a en chacun de nous un peu d’arrogance, et un peu de crainte de Dieu, pour reprendre les termes de Malachie, un peu d’orgueil et un peu d’humilité, un peu de haine ou d’indifférence et un peu d’amour, un peu de service de nous-mêmes et un peu de service des autres…
C’est donc en chacun de nous que le tri va s’opérer : ce qui est bonne graine va germer au soleil de Dieu, ce qui n’est que paille va brûler ; ce qui, en chacun de nous, est reflet ou attente de l’amour de Dieu, ce que Malachie appelle « crainte de Dieu », sera comblé, transfiguré. Ce qui, en chacun de nous, est obstacle à l’amour de Dieu, ce que Malachie appelle « arrogance » fondra comme neige au soleil, ou « brûlera comme de la paille » pour reprendre les termes de notre texte. Ce jugement de Dieu, en fait, c’est une opération de purification, et alors, enfin, en chacun de nous Dieu reconnaîtra son image et sa ressemblance.
Je reprends deux autres images employées ailleurs par Malachie pour décrire l’oeuvre de jugement de Dieu : celles du fondeur et du blanchisseur ; quand le blanchisseur s’attaque aux taches, ce n’est pas pour détruire la nappe des jours de fête, c’est pour qu’elle soit éclatante ; quand le fondeur purifie l’or ou l’argent, ce n’est pas pour supprimer le bijou tout entier, mais pour qu’il rayonne de toute sa beauté. De la même manière, tout ce qui est amour, service sera grandi, épanoui, transfiguré… ce qui n’est pas amour disparaîtra tout simplement.
Au fond, que la paille brûle… quelle importance ? Tout ce qui est bonne graine lèvera au soleil. Non, vraiment, nous n’avons rien à craindre du jour de Dieu.

 

PSAUME – 97 (98), 5-6, 7-8, 9

5 Jouez pour le SEIGNEUR sur la cithare,
sur la cithare et tous les instruments ;
6 au son de la trompette et du cor,
acclamez votre roi, le SEIGNEUR !

7 Que résonnent la mer et sa richesse,
le monde et tous ses habitants ;
8 que les fleuves battent des mains,
que les montagnes chantent leur joie.

9 Acclamez le SEIGNEUR, car il vient
pour gouverner la terre,
pour gouverner le monde avec justice,
et les peuples avec droiture !

Ce psaume nous transporte en pensée à la fin du monde : c’est la Création tout entière renouvelée qui crie sa joie parce que le règne de Dieu est enfin arrivé. J’ai dit « la Création tout entière » car je lis dans le psaume « La mer et sa richesse, le monde et ses habitants, les fleuves et les montagnes … » Saint Paul dit bien dans sa lettre aux Ephésiens que c’est le projet de Dieu depuis toujours de « réunir l’univers entier » ; je vous rappelle ce texte : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, tout réunir sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».
« Tout réunir », la Création, c’est-à-dire le cosmos et les créatures : et le mot « réunir » est à prendre au sens fort d’union. Le projet de Dieu, de toute éternité, c’est l’harmonie entre tous ; dans ce psaume, on le chante, comme s’il était déjà réalisé : la mer et toutes les créatures aquatiques résonnent, s’associent au son de la trompette et du cor, les fleuves battent des mains, les montagnes chantent leur joie. On se souvient du vieux rêve d’Isaïe au chapitre 11 : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâturage, leurs petits même gîte. Le lion, comme le boeuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11,6-9).
Un rêve bien différent de la réalité qu’on connaît : Israël connaît les dangers de la mer et, d’habitude, la Bible évoque plutôt les mugissements de la tempête, les abîmes de la mort. Et que ce soit entre les éléments et l’homme, entre les animaux, ou entre les hommes eux-mêmes, on assiste à des luttes de toutes sortes, parfois à une guerre sans merci. Où est passé notre beau rêve d’harmonie ? Où est passé le beau rêve de Dieu, surtout ? Mais parce que c’est le projet de Dieu, l’homme de la Bible sait que le jour viendra où le rêve sera réalité. A toutes les époques, c’est le rôle des prophètes de raviver cette espérance.
C’est le rôle des psaumes, aussi, de nous faire inlassablement répéter nos motifs d’espérance : ici, dans le psaume 97/98, on chante le règne de Dieu et cela signifie rétablissement de l’harmonie universelle. Et après tant de rois décevants au Nord comme au Sud du pays, après tant d’injustices de toute sorte, un règne de justice et de droiture va commencer. Si on le chante déjà, c’est par anticipation. En chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre. « Acclamez le SEIGNEUR car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture ».
C’est encore Isaïe qui parlait du règne du Messie, en disant « La justice sera la ceinture de ses han ches et la fidélité le baudrier de ses reins ». (Is 11,5) Isaïe parlait au futur… Mais cette fois le psaume parle au présent.
Nous en avions lu les premiers versets il y a quelques semaines : « Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire ». C’était au passé, on rappelait les hauts faits de Dieu en faveur de son peuple, c’est-à-dire l’exploit de la sortie d’Egypte, d’abord, puis toute la présence de Dieu auprès de son peuple au milieu de toutes les péripéties de son histoire.
Mais, ici le psaume parle au présent : « Acclamez votre roi, le SEIGNEUR ! Acclamez le SEIGNEUR, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice, et les peuples avec droiture ! » Car c’est l’expérience du passé, justement, qui permet à Israël d’anticiper l’avenir. Dieu a fait ses preuves, en quelque sorte ; de la même manière qu’il a délivré son peuple de la servitude en Egypte, il délivrera l’humanité de toutes les chaînes qui l’emprisonnent, celles de la haine et de l’injustice. On peut donc déjà acclamer le règne de Dieu comme accompli parce qu’on sait, sans aucune hésitation possible, que ce n’est qu’une affaire de délai.
C’est le psaume 89/90 qui dit : « Mille ans, à tes yeux, sont comme hier, un jour qui s’en va, comme une heure de la nuit. » Et saint Pierre reprend à peu de choses près les mêmes termes : à des Chrétiens qui s’impatientent devant la longueur du délai de la venue du Royaume, Pierre répond : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous… » (2 Pi 3,8-9).
On retrouve ici un écho des promesses de Malachie, que nous entendons ce dimanche en première lecture : « Voici que vient le jour du SEIGNEUR, brûlant comme une fournaise… Pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de justice se lèvera ; il apportera la guérison dans son rayonnement. » Ceux qui chantent ce psaume, ce sont les humbles, les pauvres du SEIGNEUR, justement, ceux qui attendent avec impatience sa venue, son rayonnement, comme dit Malachie.
A l’époque où ce psaume a été composé, c’est le peuple élu tout seul qui chantait au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR». Mais quand les temps seront accomplis, c’est la Création tout entière qui chantera et pas seulement le peuple élu… Et nous avons vu, déjà, que le mot « chanter » ici est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah ».
Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que Dieu va créer, ce cri de victoire va se transformer : il n’y aura plus de place pour des cris de guerre car, et c’est encore Isaïe qui parle « La justice de Dieu sera là pour toujours et son salut, de génération en génération. » Nous comprenons pourquoi Jésus nous fait répéter : « Que ton Règne vienne ! »

 

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens 3, 7-12

Frères,
7 vous savez bien, vous,
ce qu’il faut faire pour nous imiter.
Nous n’avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ;
8 et le pain que nous avons mangé,
nous ne l’avons pas reçu gratuitement.
Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour,
nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous.
9 Bien sûr, nous avons le droit d’être à charge,
mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter.
10 Et quand nous étions chez vous,
nous vous donnions cet ordre :
si quelqu’un ne veut pas travailler,
qu’il ne mange pas non plus.
11 Or, nous apprenons que certains d’entre vous
mènent une vie déréglée,
affairés sans rien faire.
12 A ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ
cet ordre et cet appel :
qu’ils travaillent dans le calme
pour manger le pain qu’ils ont gagné.

« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » : voilà une phrase que Saint Paul ne redirait certainement pas telle quelle aujourd’hui ! Ceux qui ont la chance d’avoir du travail (c’était le cas de Saint Paul), n’oseraient jamais dire une chose pareille aux millions de chômeurs d’aujourd’hui. On a là, une fois de plus, la preuve qu’il ne faut jamais sortir une phrase biblique de son contexte !
Le contexte, aujourd’hui, c’est le chômage de quantité de gens de bonne volonté dont les compétences, le savoir-faire, sont inutilisés… Le contexte à l’époque de Saint Paul était tout autre ! On n’avait certainement pas de mal à trouver du travail, puisque lui-même qui n’a séjourné que quelques semaines à Thessalonique, peut parler du métier qu’il y a exercé. S’il a pu trouver du travail en si peu de temps, c’est qu’il n’y avait pas de chômage. Et, rappelez-vous, à Corinthe, il avait trouvé de l’embauche très vite chez Priscille et Aquilas qui pratiquaient le même métier que lui.
Nous le savons par le livre des Actes des Apôtres : « En quittant Athènes, Paul se rendit ensuite à Corinthe. Il rencontra là un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont, qui venait d’arriver d’Italie avec sa femme Priscille. (L’empereur) Claude, en effet, avait décrété que tous les Juifs devaient quitter Rome. (on est en 50 ap J.C. environ). Paul entra en relations avec eux et, comme il avait le même métier – c’était des fabricants de tentes – il s’installa chez eux et il y travaillait. » (Ac 18,1-3).
Les oisifs dont parle Paul ne sont donc pas des chômeurs au sens moderne du terme : il dit bien « si quelqu’un ne veut pas travailler » ; mais vous vous rappelez que Paul partait en guerre contre ceux qui prétextaient la venue imminente du royaume de Dieu pour se mettre en vacances.
Paul, lui, pratiquait donc un métier manuel, celui de tisseur de toiles de tentes ; les toiles étaient tissées en poils de chèvre, c’était une technique qu’il avait apprise en Cilicie, sa patrie natale (on se souvient que Paul est de Tarse, en Cilicie, c’est-à-dire le Sud-Est de la Turquie actuelle). Les poils de chèvre devaient produire une toile plutôt rugueuse, et notre mot « cilice » pour désigner un vêtement de pénitence, vient de là.
Ce n’était pas un métier glorieux : dans le monde grec, on avait plus de considération pour les artistes ou les intellectuels ; tandis que les rabbins, au contraire, ne dédaignaient pas les métiers manuels ; et la phrase « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », Paul ne l’a pas inventée, elle était courante dans les milieux rabbiniques.
Le métier de Paul n’était pas lucratif non plus : il n’a pas dû gagner grand chose puisqu’il a dû travailler nuit et jour ; il dit : « Dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous ». Et encore, malgré ce travail incessant, il ne subvenait à ses besoins que grâce à un complément envoyé par ses amis de la ville de Philippes. (C’est la lettre aux Philippiens qui nous l’apprend). C’est cet acharnement au travail qui autorise Paul à en parler à ceux qui se contentent de l’oisiveté sous prétexte que le Christ ne va pas tarder à revenir.
Nous avons déjà eu l’occasion de voir que, tout convaincus que le Royaume était déjà commencé avec Jésus-Christ, les Chrétiens de Thessalonique avaient perdu leur motivation pour leur travail quotidien… Il est vrai que si le Christ devait revenir dans quelques semaines ou quelques mois, on se poserait la question du bien-fondé de beaucoup de nos occupations… Les Thessaloniciens en étaient là… Et c’est précisément parce qu’il sait leur démotivation (comme on dirait aujourd’hui) que Paul met son point d’honneur à travailler de ses mains, pour ne pas leur donner le mauvais exemple : « Nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter ».
Le premier argument, pour Paul, semble bien être le souci de n’être à charge de personne… C’est donc une affaire de respect des autres. Il n’est pas question de prendre l’imminence du Royaume comme prétexte pour rester inactifs.
Mais il y a aussi une deuxième raison : oui, le monde, tel que nous le connaissons, n’est que provisoire, mais c’est de ce monde que Dieu fait son Royaume : ce n’est pas pour rien que Dieu a donné le commandement du livre de la Genèse « Dominez la terre et soumettez-la »… sous-entendu, faites-en votre Royaume.
Les plus âgés d’entre nous ont connu, peut-être, la chanson du père Aimé Duval « Ton ciel se fera sur terre avec tes bras… » Dans un autre style, l’écrivain Libanais, Khalil Gibran dit dans « le Prophète » : Lorsque vous travaillez, vous accomplissez une part du rêve de la terre… » Un croyant traduit : le rêve de la terre, c’est le Royaume ; Dieu a créé la terre pour en faire le Royaume… Son Royaume et le nôtre, le Royaume de l’amour.
Chaque fois que nous agissons, de quelque manière que ce soit, même si ce n’est pas par un travail rémunéré, pour faire grandir l’homme, pour répandre de l’amour, nous accomplissons une part de ce rêve, de ce projet du Royaume ; Khalil Gibran continue : « Cette part de rêve vous fut assignée lorsque ce rêve naquit », c’est-à-dire depuis l’origine. Je reprends sa phrase en entier : « Lorsque vous travaillez, vous accomplissez une part du rêve le plus lointain de la terre, (une part) qui vous fut assignée lorsque ce rêve naquit… Le travail est l’amour rendu visible ».
Or notre participation à la construction du Royaume de Dieu semble bien indispensable. Je reprends, mais cette fois en entier, la phrase de Pierre que nous lisions à propos du psaume de ce dimanche : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3,8-9). Si je comprends bien, si nous voulons que le Règne de Dieu arrive plus vite, nous n’avons pas une minute à perdre !

 

EVANGILE – selon Saint Luc 21, 5-19

En ce temps-là,
5 comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple,
des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient,
Jésus leur déclara :
6 « Ce que vous contemplez,
des jours viendront
où il n’en restera pas pierre sur pierre :
tout sera détruit. »
7 Ils lui demandèrent :
« Maître, quand cela arrivera-t-il,
et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
8 Jésus répondit :
« Prenez garde de ne pas vous laisser égarer,
car beaucoup viendront sous mon nom
et diront : ‘C’est moi’,
ou encore : ‘Le moment est tout proche’.
Ne marchez pas derrière eux !
9 Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres,
ne soyez pas terrifiés :
il faut que cela arrive d’abord,
mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
10 Alors Jésus ajouta :
« On se dressera nation contre nation,
royaume contre royaume.
11 Il y aura de grands tremblements de terre,
et, en divers lieux, des famines et des épidémies ;
des phénomènes effrayants surviendront,
et de grands signes venus du ciel.
12 Mais avant tout cela,
on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ;
on vous livrera aux synagogues et aux prisons,
on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs,
à cause de mon Nom.
13 Cela vous amènera à rendre témoignage.
14 Mettez-vous donc dans l’esprit
que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense.
15 C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse
à laquelle tous vos adversaires ne pourront
ni résister ni s’opposer.
16 Vous serez livrés même par vos parents,
vos frères, votre famille et vos amis,
et ils feront mettre à mort certains d’entre vous.
17 Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom.
18 Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.
19 C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »

« Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu »!… Et pourtant, depuis notre naissance, nous avons quand même perdu beaucoup de cheveux. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas prendre ces expressions au pied de la lettre ; elles sont une manière de parler. Jésus parle comme tous les prophètes avant lui : ils ne prédisent pas l’avenir : leurs discours ne sont jamais des prédictions, mais des prédications. La remarque est valable aussi pour la parole de Jésus sur la fin du Temple.
Voilà donc une première leçon de ce texte pour nous ; ce genre de discours ne doit pas être pris au pied de la lettre, il n’est pas fait pour prédire l’avenir de manière exacte : il est fait pour nous aider à surmonter les épreuves du présent. Le message, en définitive, c’est « Quoi qu’il arrive… Ne vous effrayez pas… »
C’est aussi : « Ne vous appuyez pas sur de fausses valeurs ». Le Temple en était un bon exemple ; restauré par Hérode, agrandi, embelli, couvert de dorures, il était magnifique ; mais lui aussi fait partie de ce monde qui passe…
Inutile également de chercher dans les paroles de Jésus des précisions sur les dates ou les modalités du Royaume ; qu’il s’agisse de la résurrection de la chair dans sa réponse aux Sadducéens, dimanche dernier, qu’il s’agisse de la fin des temps, aujourd’hui, il ne donne pas de précision ; si j’ose dire, il répond à côté : on lui demande « Quand cela arrivera-t-il ? et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » Il ne répond pas à ces questions pourtant bien précises : il dit « prenez garde de ne pas vous laisser égarer.. » ce qui n’est pas vraiment une réponse à la question posée. Il faut croire que ce n’est pas le genre de précisions dont nous avons besoin pour mener notre vie de Chrétiens …
Ailleurs il dira qu’il ne lui appartient pas, même à lui, le Christ, de connaître ces choses-là ; mais il nous dit très clairement quelle doit être notre attitude : une attitude de confiance que rien n’ébranle : ni les catastrophes, ni les persécutions.
Si j’entends bien, les persécutions viendront vite : Jésus décrit des catastrophes et il dit : « Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. » Et un peu plus bas, « Vous serez détestés de tous à cause de mon Nom ». Luc sait à quel point c’est venu vite, effectivement : d’Etienne à Paul en passant par Jacques et tant d’autres… persécution de la part des Juifs d’abord, puis des Romains.
Au passage, on note que Jésus emploie deux fois l’expression « à cause de mon Nom » : à elle seule, elle dit la divinité du Christ ; dans le langage des Juifs, très souvent, pour parler de Dieu lui-même, on disait simplement ces deux mots « Le Nom ».
La parole qui suit, nous la connaissons bien : « Mettez-vous dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister opposer ni s’opposer. » Cela ne veut pas dire que les Chrétiens persécutés échapperont forcément à leurs persécuteurs… Certains mourront, Jésus le dit bien « ils feront mettre à mort certains d’entre vous » mais il ajoute « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu », ce qui veut dire que tout notre être, corps et âme, est dans la main de Dieu. A travers la mort même, nous sommes assurés de rester vivants de la vie de Dieu. Et, quelles que soient les persécutions, la Parole de Dieu poursuivra sa course, comme dit saint Paul.
Dans les perturbations du monde, ensuite, seule une confiance tenace nous évitera les égarements, et nous évitera aussi de nous laisser effrayer quels que soient les événements ; et Jésus cite les tremblements de terre, les épidémies, les faits terrifiants, les guerres… Et c’est notre assurance même, notre tranquillité, le fait de ne pas nous laisser effrayer qui sera témoignage. Le même évangéliste, Luc raconte dans les Actes des Apôtres la joie ressentie par Pierre et Jean poursuivis par les autorités juives : « Ils étaient tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom. » (Ac 5,41).
Il faut garder en tête cette phrase de Jésus que saint Jean a retenue : « Confiance ! J’ai vaincu le monde ! » Saint Paul le dit aussi à sa manière ; vous connaissez ce texte : « Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Rm 8,38-39).

ANCIEN TESTAMENT, DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL A TIMOTHEE, DEUXIEME LIVRE DES ROIS, EVANGILE SELON SAINT LUC, NOUVEAU TESTAMENT, PSAUME 97

Dimanche 13 octobre 2019 : 28ème dimanche du Temps Ordinaire : lectures et commentaires

Dimanche 13 octobre 2019 :

Vingt-huitième dimanche du Temps Ordinaire

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE – deuxième livre des Rois 5, 14-17

En ces jours-là,
le général syrien Naaman, qui était lépreux,
14 descendit jusqu’au Jourdain et s’y plongea sept fois,
pour obéir à la parole d’Élisée, l’homme de Dieu ;
alors sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant :
il était purifié !
15 Il retourna chez l’homme de Dieu avec toute son escorte ;
il entra, se présenta devant lui et déclara :
« Désormais, je le sais :
il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël !
Je t’en prie, accepte un présent de ton serviteur. »
16 Mais Élisée répondit :
« Par la vie du SEIGNEUR que je sers,
je n’accepterai rien. »
Naaman le pressa d’accepter, mais il refusa.
17 Naaman dit alors :
« Puisque c’est ainsi,
permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays
autant que deux mulets peuvent en transporter,
car je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice
à d’autres dieux qu’au SEIGNEUR Dieu d’Israël. »

La lecture de ce dimanche commence au moment où le général Naaman, apparemment doux comme un mouton, se plonge dans l’eau du Jourdain, sur l’ordre du prophète Elisée ; mais il nous manque le début de l’histoire : je vous la raconte : Naaman est un homme important, un général Syrien ; il a fait une très belle carrière militaire en Syrie, et il est bien vu du roi d’Aram (l’actuelle Damas) ; évidemment, pour le peuple d’Israël, il est un étranger, à certaines époques même, un ennemi ; mais surtout pour ce qui nous intéresse ici, il est un païen : il ne fait pas partie du peuple élu. Enfin, plus grave encore, il est lépreux, ce qui veut dire que d’ici peu, tout le monde le fuira ; pour lui donc, c’est une véritable malédiction.
Heureusement pour lui, sa femme a une petite esclave israélite (enlevée quelque temps auparavant au cours d’une razzia) : laquelle dit à sa maîtresse « Tu sais quoi ? A Samarie, il y a un grand prophète ; lui, pourrait sûrement guérir Naaman. » Dans un cas pareil, on est prêt à tout ! La nouvelle circule vite : l’esclave dit à sa maîtresse, qui dit à son mari Naaman, qui dit au roi d’Aram : le prophète de Samarie peut me guérir. Et comme Naaman est bien vu, le roi écrit une lettre d’introduction à son homologue, le roi de Samarie. La lettre dit quelque chose comme : « Je te recommande mon ami et loyal serviteur, mon général en chef des armées, Naaman ; il est atteint de la lèpre. Je te demande de faire tout ce qui est en ton pouvoir pour le guérir ». (Sous-entendu, envoie-le à ton grand prophète et guérisseur, Elisée, dont la réputation est venue jusqu’à nous). Et là il se passe quelque chose de très intéressant : c’est que, comme bien souvent, on ignore les trésors qu’on a à sa portée… Le roi d’Israël reçoit cette lettre et il ne lui vient pas à l’idée que le petit prophète Elisée est capable de guérir qui que ce soit ! Du coup, il est pris de panique : qu’est-ce qui lui prend au roi de Syrie d’exiger que je fasse des miracles ? Il cherche un prétexte pour me faire la guerre ? ou quoi ?
Heureusement, en Israël aussi, le bouche à oreille existe. Elisée apprend l’histoire, et il dit au roi : « On va voir ce qu’on va voir… Dis à Naaman de se présenter chez moi… et il va savoir qui est le vrai Dieu ». Naaman se présente donc chez Elisée avec toute son escorte et des cadeaux plein ses bagages pour le guérisseur, et il attend à la porte du prophète ; en fait, c’est un simple serviteur qui entrebâille la porte et se contente de lui dire : « Mon maître te fait dire que tu dois aller te plonger sept fois de suite dans l’eau du Jourdain et tu seras purifié ». C’est déjà un drôle d’accueil pour un général mais en plus, franchement, on se demande à quoi çà rime de se plonger dans le Jourdain : pas besoin de faire un tel voyage ! Des fleuves en Syrie, il y en a et des bien plus beaux que son petit Jourdain…
Naaman est furieux ! Et il reprend le chemin de Damas. Heureusement, il est bien entouré : ses serviteurs lui disent : « Tu t’attendais à ce que le prophète te demande des choses extraordinaires pour être guéri… tu les aurais faites… il te demande une chose ordinaire… tu peux bien la faire aussi ??? » Au passage, on voit que les serviteurs ont du bon ; la Bible ne manque jamais une occasion de le faire remarquer… En tout cas, dans le cas présent, Naaman les écoute… et c’est là que commence la lecture d’aujourd’hui.
Donc, Naaman, redevenu quelqu’un comme tout le monde, obéit tout simplement à un ordre tout simple… il se plonge sept fois dans le Jourdain , comme on le lui a dit et il est guéri. C’est tout simple à nos yeux et aux yeux de ses serviteurs, mais pour un grand général d’une armée étrangère, c’est cette obéissance même qui n’est pas simple ! La suite du texte le prouve. Voilà Naaman guéri ; il n’est pas un ingrat ; il retourne chez Elisée pour lui dire deux choses : la première, c’est « Je le sais désormais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël » … (et un peu plus tard, il ira jusqu’à lui dire : quand je serai dans mon pays, c’est à lui désormais que j’offrirai des sacrifices). Soit dit en passant, l’auteur de ce passage en profite pour donner une petite leçon à ses compatriotes : quelque chose comme « vous bénéficiez depuis des siècles de la protection du Dieu unique, et bien, dites-vous que les bontés de Dieu sont aussi pour les étrangers et puis, vous que Dieu a choisis parmi tous, vous continuez pourtant à être tentés par l’idolâtrie… cet étranger, lui, a compris bien plus vite que vous d’où lui vient sa guérison ».
La deuxième chose que Naaman dit à Elisée, c’est je vais te faire un cadeau pour te remercier. Mais Elisée refuse énergiquement : on n’achète pas les dons de Dieu. Décidément Naaman va de surprise en surprise : la première fois qu’il s’est présenté chez Elisée, il avait tout prévu : Elisée le recevrait, le guérirait et en échange, lui, Naaman offrirait des cadeaux dignes de son rang, on serait quittes. Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Enfin, on se demande pourquoi Naaman souhaite emporter un peu de la terre d’Israël ? Il justifie sa demande en disant : « Je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d’autres dieux qu’au SEIGNEUR Dieu d’Israël. » Cela s’explique par le fait que, à l’époque du prophète Elisée, la croyance largement répandue chez tous les peuples voisins d’Israël était que les divinités règnent sur des territoires. Pour pouvoir offrir des sacrifices au Dieu d’Israël, Naaman se croit donc obligé d’emporter de la terre sur laquelle règne ce Dieu.
Cela inspire trois remarques : premièrement, Naaman n’a même pas rencontré le prophète : car ce n’est pas le prophète qui guérit, c’est Dieu. Deuxièmement, il n’y a pas eu de geste spectaculaire ou magique, mais la chose la plus banale qui soit pour un homme de ces pays-là : se plonger dans le fleuve… et c’est dans ce geste banal fait par obéissance qu’il a rencontré la puissance de Dieu : celui-ci ne nous demande pas des choses extraordinaires, mais seulement notre confiance. Troisièmement, il n’y a pas eu de cadeau de remerciement : la seule manière de manifester à Dieu notre reconnaissance, c’est de reconnaître ce qui nous vient de lui. Quant au prophète, le serviteur de Dieu, il ne demande rien pour lui ; ce que Jésus traduira plus tard : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8).
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Compléments
– Le rôle des serviteurs : on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Sans les serviteurs, la petite esclave d’abord, ses conseillers ensuite, jamais Naaman n’aurait été guéri. En fait, on aurait dû y penser : pas étonnant que les petits soient les mieux placés pour nous enseigner le chemin de l’humilité.
– La terre : A l’époque du prophète Elisée, la croyance largement répandue chez tous les peuples voisins d’Israël est que les divinités règnent sur des territoires. Mais, en Israël au contraire, on expérimente déjà depuis plusieurs siècles que Dieu accompagne son peuple sur tous ses chemins.

 

PSAUME – 97 (98), 1-4

1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

2 Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations :
3 il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
4 Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
Sonnez, chantez, jouez !

La première lecture de ce dimanche raconte comment Naaman, un général syrien, donc païen, a été guéri par le prophète Elisée et du coup il a découvert le Dieu d’Israël. Naaman serait donc tout-à-fait bien placé pour chanter ce psaume dans lequel il est question de l’amour de Dieu et pour les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu (ceux que la Bible appelle les « nations ») et pour Israël. Je vous relis le verset 2 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. » Mais vient aussitôt le verset 3 : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël », ce qui est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël », la relation tout-à-fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers.
Derrière ces mots, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut dire : oui, Israël est bien le peuple choisi, le peuple élu ; mais la phrase d’avant, (et ce n’est peut-être pas un hasard si elle est placée avant), rappelle bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné. Son rôle c’est d’annoncer l’amour de Dieu POUR TOUS les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance.
Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; si on regarde d’un peu plus près, on remarque la construction en « inclusion » de ces deux versets 2 et 3. Pour mémoire, une inclusion est un procédé de style qu’on trouve souvent dans la Bible. C’est un peu comme un encadré, dans un journal ou dans une revue ; bien évidemment le but est de mettre en valeur le texte écrit dans le cadre. Dans une inclusion, c’est la même chose : le texte central est mis en valeur, « encadré » par deux phrases identiques, une avant, l’autre après… Ici, la phrase centrale parle d’Israël, le peuple élu, et elle est encadrée par deux phrases qui parlent des nations : première phrase : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations » … la deuxième phrase, elle, concerne Israël : « il s’est rappelé sa fidélité, son amour en faveur de la maison d’Israël »… et voici la troisième phrase : « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». On n’y trouve pas le mot « nations » mais il est remplacé par l’expression « la terre tout entière ». La phrase centrale sur ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » est donc encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. Traduisez : L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière.
Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre. Naaman, le général syrien, païen, en est un précurseur.
Une deuxième insistance de ce psaume c’est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu. Par exemple, on chante au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR. » Mais quand je dis « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire… Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations… La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».
La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Egypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Egypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Egypte ; on la retrouve par exemple dans le livre du Deutéronome et dans les psaumes. La formule « il a fait des merveilles » est aussi un rappel de la libération d’Egypte.
Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !
Désormais les Chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment envers et contre tous les événements apparemment contraires que le Règne de Dieu, c’est-à-dire de l’amour est déjà commencé.

 

DEUXIEME LECTURE –

deuxième lettre de Saint Paul à Timothée 2, 8 – 13

Bien-aimé,
8 souviens-toi de Jésus Christ,
ressuscité d’entre les morts,
le descendant de David :
voilà mon évangile.
9 C’est pour lui que j’endure la souffrance,
jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur.
Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu !
10 C’est pourquoi je supporte tout
pour ceux que Dieu a choisis,
afin qu’ils obtiennent, eux aussi,
le salut qui est dans le Christ Jésus,
avec la gloire éternelle.
11 Voici une parole digne de foi :
Si nous sommes morts avec lui,
avec lui nous vivrons.
12 Si nous supportons l’épreuve,
avec lui nous régnerons.
Si nous le rejetons,
lui aussi nous rejettera.
13 Si nous manquons de foi,
lui reste fidèle à sa parole,
car il ne peut se rejeter lui-même.

Nous reconnaissons ce texte que nous chantons souvent : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ; il est notre salut, notre gloire éternelle ». Ici, sous une forme à peine différente, nous le trouvons dans le contexte où il est né. Dans cette deuxième lettre à Timothée, le texte original, est : « Souviens-toi de Jésus-Christ, le descendant de David », c’est-à-dire le Messie promis, attendu depuis des siècles par nos ancêtres dans la foi. Dans un milieu d’origine juive, il était très important d’affirmer que Jésus était bien le descendant de David, sinon il n’aurait pas pu être reconnu comme le Messie. Et Paul continue : « Il est ressuscité d’entre les morts, voilà mon Evangile ».
De deux choses l’une… Ou Jésus est ressuscité, ou il ne l’est pas. Longtemps, Paul a refusé de croire aux affirmations des disciples de Jésus ; cela lui apparaissait comme une invention. A ses yeux, donc, il fallait à tout prix empêcher cette fable de se propager. Mais, depuis l’événement du chemin de Damas, Paul ne peut plus en douter : oui, Jésus est ressuscité, il l’a vu de ses yeux. Et alors la face du monde est changée : en ressuscitant Jésus, Dieu l’a reconnu comme son envoyé, il a authentifié ses paroles et ses actes : Jésus-Christ, vainqueur de la mort, l’est également de toutes les forces du mal. Et donc, le monde nouveau est déjà né : à nous de nous y engager par nos paroles et par toute notre vie. Avec le Christ, nous pouvons vaincre à notre tour les forces du mal. Paul va désormais consacrer toutes ses forces à annoncer l’évangile et c’est bien à cette tâche qu’il convie Timothée, sans lui cacher qu’il rencontrera des oppositions ; tous ces dimanches-ci, nous lisons des extraits des deux lettres à Timothée et plusieurs fois, on a bien senti un climat de conflit, sans que Paul précise clairement de quoi il s’agit ; mais à plusieurs reprises il engage Timothée à garder courage, à combattre le beau combat de la foi, il lui rappelle qu’il a reçu un esprit non de peur mais de force et il lui conseille de combattre ses contradicteurs par la douceur.
La Résurrection est donc le coeur de la foi chrétienne ; mais si, en milieu juif, la foi en la résurrection de la chair était chose acquise pour un grand nombre de personnes, en milieu grec, au contraire, cette affirmation était dure à entendre ; on se rappelle l’échec de la prédication de Paul à Athènes : on parlait de lui en disant « Que veut donc dire cette jacasse1 ? » C’est pour avoir clamé un peu trop haut, un peu trop fort, la foi en la résurrection dans un monde peu disposé à l’entendre que Paul a connu la prison à plusieurs reprises. « Christ est ressuscité d’entre les morts, voilà mon Evangile. C’est pour lui que je souffre, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. » Et il ne se fait pas d’illusion : Timothée, lui aussi, aura à souffrir pour affirmer sa foi ; quelques versets plus haut, Paul lui disait : « Prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Evangile ».
Paul est enchaîné, mais cela n’empêche pas la vérité de se propager ; il a transmis le flambeau à Timothée qui le transmettra à d’autres à son tour. Ailleurs il lui dit : « Ce que tu as appris de moi, confie-le à des hommes fidèles, qui seront eux-mêmes capables de l’enseigner encore à d’autres ». On peut bien enchaîner un homme, on peut le forcer à se taire, mais on n’enchaîne pas la vérité. Tôt ou tard, elle brillera en pleine lumière. Paul dit « Je suis enchaîné comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée ». Jésus avait dit quelque chose d’analogue : un jour où la foule l’acclamait parce qu’elle l’avait fugitivement reconnu comme le Messie, on lui avait dit « fais taire ces gens »… Jésus avait répondu « S’ils se taisent, ce sont les pierres qui crieront ». Rien n’empêchera la vérité d’éclater.
Paul continue : « Je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent eux aussi le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle. » Nous retrouvons là les paroles de notre chant : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ; il est notre salut, notre gloire éternelle ». Nous sommes ces élus qui avons obtenu par notre Baptême le salut, la gloire éternelle du Christ. Les versets suivants sont très probablement une hymne qu’on chantait pour les cérémonies de baptême. La formule « Voilà une parole digne de foi » introduit manifestement un texte déjà connu : « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons, si nous supportons l’épreuve avec lui, avec lui nous régnerons. » C’est le mystère du Baptême, tel que Paul l’a développé dans la lettre aux Romains au chapitre 6. Par le Baptême, nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ, nous avons été greffés sur lui, plus rien ne peut nous séparer de lui. Passion, mort et Résurrection du Christ sont liées : c’est le même événement, celui qui a ouvert une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité.
Enfin, les deux dernières phrases peuvent paraître contradictoires à première vue : : « Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera… Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ». Ces derniers mots ne nous surprennent pas ; nous savons que « fidélité, c’est le nom même de Dieu : si nous manquons de foi, lui il demeure toujours fidèle, nous n’en doutons pas. Mais alors la phrase précédente vient-elle dire le contraire ? « Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. » Ce qu’elle dit, en fait, c’est notre liberté… que Dieu ne force jamais : si nous le refusons sciemment, il ne nous contraint pas. Dans l’Evangile, quand il appelle quelqu’un, c’est toujours « Si tu veux…. ». Il y a une différence entre le rejeter et manquer de foi : le rejeter, c’est refuser sciemment son projet d’amour ; et lui nous aime assez pour respecter notre refus (c’est le sens de l’expression « lui aussi nous rejettera ») ; manquer de foi, ce n’est pas refuser le projet, c’est l’accepter mais avoir du mal à garder le cap. Heureusement « chaque fois que nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ».
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Note
1 – Jacasse (littéralement « ramasse-miettes ») étant le nom d’un oiseau nuisible et bavard, on appliquait ce sobriquet à des philosophes de pacotille qui grappillaient leurs idées n’importe où.
Compléments
–« On n’enchaîne pas la vérité » : au cours du procès de Pierre et de Jean devant le Sanhédrin, le pharisien Gamaliel avait dit équivalemment la même chose : « Si c’est des hommes que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d’elle-même ; si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. » (Ac 5, 38-39).
–Il faut entendre le mot « évangile » dans son sens étymologique, c’est-à-dire « bonne nouvelle ». Pour Paul, la grande nouvelle du christianisme tient en une phrase : « Jésus Christ est ressuscité ». Et du coup, on comprend mieux contre quels adversaires Paul se bat tout au long de ces deux lettres à Timothée. Qui sont ces contradicteurs ? Paul ne le dit pas vraiment… sauf ici justement peut-être. Car, quelques versets plus bas, Paul citera deux personnes, Hyménée et Philétos, qui nient la résurrection de la chair ; on se souvient que, dans la première lettre aux Corinthiens, Paul avait déjà été affronté à la même querelle ; à ses yeux, c’est très grave : tout l’édifice de la foi repose sur la Résurrection du Christ. Voici quelques versets de la première lettre aux Corinthiens, au chapitre 15 : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité ; et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi notre foi. »

 

EVANGILE – selon Saint Luc 17, 11-19

11 Jésus, marchant vers Jérusalem,
traversait la Samarie et la Galilée.
12 Comme il entrait dans un village,
dix lépreux vinrent à sa rencontre.
Ils s’arrêtèrent à distance
13 et lui crièrent :
« Jésus, maître,
prends pitié de nous. »
14 En les voyant, Jésus leur dit :
« Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés.
15 L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,
revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus
en lui rendant grâce.
Or, c’était un Samaritain.
17 Alors Jésus demanda :
« Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ?
Et les neuf autres, où sont-ils ?
18 On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ;
il n’y a que cet étranger ! »
19 Jésus lui dit :
« Relève-toi et va :
ta foi t’a sauvé. »

Jésus est en route vers Jérusalem ; il sait que ce voyage le conduit à sa Passion, sa mort et sa Résurrection ; on peut penser que si Luc tient à nous parler de son itinéraire, c’est parce que ce qu’il va nous raconter maintenant a un lien direct avec le mystère du salut que le Christ apporte à l’humanité.
Donc Jésus traverse la Samarie et la Galilée ; dix lépreux viennent à sa rencontre, mais ils restent à distance : la Loi leur interdit de s’approcher de quiconque ; ils sont contagieux à tous points de vue ; la lèpre est une maladie très contagieuse et d’autre part, elle était, à l’époque, considérée comme le signe de la malédiction divine, car on croyait qu’elle était le signe du péché. Nos dix lépreux s’arrêtent donc à distance de Jésus et, de loin, ils crient vers lui. Ce cri et le titre « Maître » qu’ils décernent à Jésus sont à la fois l’aveu de leur faiblesse et de la confiance qu’ils mettent en lui. Jésus ne bouge pas, ne se rapproche pas d’eux. Déjà une fois Luc (chap. 5,12) avait raconté la guérison d’un lépreux par Jésus : l’homme était près de lui, Jésus avait tendu la main et l’avait touché pour le guérir ; cette fois, dans l’épisode des dix lépreux, c’est de loin que Jésus dit aux malades : « Allez vous montrer aux prêtres » ; se montrer aux prêtres, c’était la démarche que les lépreux devaient faire pour que leur guérison soit officiellement reconnue. Cet ordre de Jésus est donc en soi une promesse de guérison.
On peut rapprocher l’attitude de Jésus dans l’épisode des dix lépreux de celle du prophète Elisée envers Naaman dans la première lecture ; Elisée non plus n’avait pas fait un geste, il avait simplement fait dire par son serviteur : « Va te baigner sept fois dans l’eau du Jourdain et tu seras purifié. » Dans les deux cas, effectivement, l’obéissance à l’ordre reçu apporte aux lépreux la guérison. Dans l’épisode qui nous occupe, les lépreux se mettent en marche pour aller rencontrer le prêtre ; et c’est en marchant qu’ils voient leur lèpre disparaître ; réellement, leur confiance les a sauvés. La maladie avait rapproché ces dix hommes ; dans la guérison, ils vont révéler le fond de leur coeur : ils ne sont plus dix lépreux, dix exclus ; ils sont neuf bons Juifs et un Samaritain, c’est-à-dire plus ou moins un hérétique. Tout hérétique qu’il est, le Samaritain sait que la vie, la guérison viennent de Dieu ; alors il rebrousse chemin, il fait demi-tour et cette fois, purifié, il peut s’approcher de Jésus : Luc dit « il glorifie Dieu à pleine voix » et aussi « il se jette la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce » ce qui est une attitude réservée à Dieu. Ce Samaritain vient de rencontrer le Messie et il le reconnaît. Implicitement, il vient également de reconnaître que pour rendre véritablement gloire à Dieu, ce n’est plus vers le Temple de Jérusalem qu’il faut se tourner, mais vers Jésus lui-même. Faire demi-tour, c’est précisément le sens du mot « conversion ». Et Jésus reconnaît publiquement cette conversion du Samaritain : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ».
« Et les neuf autres ? » demande Jésus. Eux n’ont pas fait demi-tour ; ils ont pourtant rencontré le Messie, eux aussi… mais ils ne l’ont pas reconnu… Ou, en tout cas, ils ont considéré comme plus urgent de se mettre en règle avec la Loi en continuant leur chemin vers le Temple et les prêtres. Jésus leur avait dit d’aller se montrer aux prêtres, ils y vont sans même prendre le temps de l’action de grâce.
C’est un thème fréquent des Evangiles : le salut est pour tous les hommes et, bien souvent, ce ne sont pas ceux qui s’en croient les plus proches qui l’accueillent le mieux ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu » dit Saint Jean. L’Ancien Testament insistait déjà très fort sur ce qu’on appelle l’universalité du salut ; nous l’avons d’ailleurs entendu dans le psaume 97/98 de ce dimanche. Et la première lecture rapportait la conversion du général Syrien Naaman, lui aussi un étranger. Plus haut, dans le même évangile de Luc, Jésus a d’ailleurs commenté cet événement pour reprocher à ses compatriotes leur aveuglement à son sujet : il a commencé par constater « nul n’est prophète en son pays » puis il a ajouté : « Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée ; pourtant aucun d’entre eux ne fut purifié, mais bien Naaman le Syrien ». Et à ces mots toute la synagogue s’était mise en colère (Luc 4,27). Et plus tard, dans les Actes des Apôtres, Luc insistera sur le refus opposé à l’évangile par toute une partie du peuple d’Israël en contraste avec le succès de la prédication chez les païens.
C’est une question qui troublait les premières générations chrétiennes ; quand Luc écrit son Evangile, par exemple, la jeune communauté chrétienne se divise sur un problème de fond : faut-il nécessairement être Juif pour être baptisé ? Ou bien peut-on admettre des non-Juifs, des païens, au Baptême ? Le récit de la guérison d’un Samaritain, d’un hérétique, et plus encore le récit de sa conversion profonde venaient à point nommé pour rappeler trois vérités à ne pas oublier : premièrement, le salut inauguré par Jésus-Christ dans sa passion, sa mort et sa Résurrection est offert à tous les hommes sans exception. Deuxièmement, rendre grâce à Dieu, c’est la vocation du peuple élu, mais parfois ce sont des étrangers considérés comme hérétiques qui le font le mieux. Troisièmement, ce sont bien souvent les pauvres qui ont le coeur le plus ouvert à la rencontre de Dieu. Pour le dire autrement : sur le chemin de Jérusalem, c’est-à-dire du salut, Jésus entraîne tous les hommes qui le veulent bien. Quelle que soit leur race, leur religion, il suffit qu’ils soient prêts à faire demi-tour.

 

ANCIEN TESTAMENT, BIBLE, PSAUME 97, PSAUMES

Le Psaume 97

PSAUME 97

psaume-ange-trompette

Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire.

Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations ;

il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël ; la terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu.

Acclamez le Seigneur, terre entière, sonnez, chantez, jouez ;

 jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare et tous les instruments ;

au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur !

Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants

que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie,

à la face du Seigneur, car il vient pour gouverner la terre, * pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture !