AUGUSTIN (saint ; 354-430), AUGUSTIN D'Ippone, DIOCESE D'AIX ET ARLES (France ; Bouches-du-Rhône), EGLISE CATHOLIQUE, ORDINATION EPISCOPALE, SERMON DE SAINT AUGUSTIN POUR LE JOUR ANNIVERSAIRE DE SON ORDINATION EPISCOPALE (SERMON 340), SERMONS

Sermon de saint Augustin pour le jour anniversaire de son ordination épiscopale (Sermon 340)

Sermon de saint Augustin

pour le jour anniversaire de son ordination épiscopale (Sermon 340)

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À la vérité, depuis que ce fardeau, dont j’ai à rendre un compte si difficile, est placé sur mes épaules, la pensée de ma dignité me tient constamment en éveil : toutefois je m’en sens beaucoup plus pénétré et plus ému, quand, en me renouvelant la mémoire du passé, ce jour anniversaire de mon sacre me met si vivement en présence du fardeau dont je suis chargé, qu’il me semble arriver pour m’en charger aujourd’hui seulement.

Or, qu’y a-t-il à craindre dans cette dignité, sinon qu’on n’aime plus les dangers qu’elle renferme, que l’avancement de votre salut ? Ah ! aidez-moi donc de vos prières, afin que le Seigneur daigne porter avec moi ce fardeau qui est le sien. Quand vous priez pour moi, d’ailleurs, vous priez aussi pour vous ; car le fardeau dont je vous parle est-il autre chose que vous ? Priez pour moi sincèrement, comme je demande pour vous que vous ne me pesiez pas. Jésus Notre-Seigneur n’appellerait pas ce fardeau léger, s’il ne le portait avec quiconque en est chargé. Vous aussi, soutenez-moi, et conformément au précepte de l’Apôtre, nous porterons les fardeaux les uns des autres et nous accomplirons ainsi la loi du Christ. Ah ! si le Christ ne porte avec nous ces fardeaux, nous fléchissons ; et nous succombons, s’il ne nous porte.

Si je m’effraie d’être à vous, je me console d’être avec vous ; car je suis à vous comme évêque, et comme chrétien je suis avec vous ; le premier titre rappelle des obligations contractées, le second, la grâce reçue ; le premier, des dangers, le second, le salut ; en accomplissant les devoirs attachés au premier, nous sommes en proie aux secousses de la tempête sur une mer immense ; mais en nous rappelant quel sang nous a rachetés, nous trouvons dans la tranquillité que nous inspire cette pensée, comme un port paisible, et tout en travaillant au devoir qui nous est propre, nous goûtons le repos de la grâce faite à tous. Si donc je suis plus heureux d’être racheté avec vous que de vous être placé à votre tête, je ne vous en servirai que mieux, comme l’ordonne le Seigneur, car je ne veux pas payer d’ingratitude celui qui m’a obtenu d’être avec vous son serviteur. Ne dois-je pas moi aussi aimer mon Rédempteur et comment pourrais-je ignorer qu’il a dit à Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis ! » ; et cela, il l’a dit une fois, deux fois, trois fois … ! En demandant à Pierre s’il l’aimait, il le chargeait de travailler ; c’est que plus est grand l’amour, moins le travail est pénible.

« Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a rendus ? » Si je prétends lui rendre en paissant son troupeau, je ne dois pas oublier que « ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi » qui accomplit ce devoir. Comment rendre à Dieu, quand pour tout ce que j’accomplis, c’est lui prend les devants ? Et pourtant, si gratuit que soit notre amour, nous cherchons une récompense en faisant paître le troupeau sacré. Comment cela ? — Comment pouvons-nous dire : « J’aime parfaitement afin de pouvoir paître », ou encore : « Je demande à être récompensé de ce que je fais ? » La chose serait impossible ; jamais le pur amour n’ambitionnerait de récompense, si sa récompense n’était Celui-là même à qui il s’attache. Si nous lui témoignons, en paissant son troupeau, notre reconnaissance pour le bienfait d’avoir été sauvé, que lui rendrons-nous pour la grâce d’être pasteur ? Il est vrai que c’est notre malice personnelle qui fait malice personnelle qui fait de nous de mauvais pasteurs ; mais sans la grâce qu’il nous donne, nous ne saurions être bons pasteurs. C’est pourquoi nous vous prions et nous vous commandons, mes frères, « de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu ». Faites porter du fruit à notre ministère, car « vous êtes le champ que Dieu cultive ». Accueillez à l’extérieur, celui qui vous plante et vous arrose à l’intérieur de vous-mêmes car c’est lui qui vous donne l’accroissement.

Il nous faut arrêter les inquiets, consoler les pusillanimes, soutenir les faibles, réfuter les contradicteurs, nous garder des gens rusés, instruire les ignorants, réveiller les paresseux, réprimer les orgueilleux, apaiser les disputeurs, aider les indigents, délivrer les opprimés, encourager les bons, tolérer les méchants, aimer tout le monde. Sous le poids de devoirs si importants, si nombreux et si variés, aidez-nous de vos prières et de votre soumission, ,obtenez que nous soyons moins flattés de vous commander que de vous rendre service

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CAREME, EVANGILE SELON SAINT LUC, GREGOIRE (saint ; pape), SERMONS, TENTATION DE JESUS AU DESERT

La tentation de Jésus au désert : sermon de saint Grégoire

La tentation de Jésus au désert

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Homélie 16 de saint Grégoire, Pape, prononcée devant le peuple dans la basilique de saint Jean, dite Constantinienne, le premier dimanche de Carême 4 mars 591

 

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour y être tenté par le diable. Quand il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Et le tentateur, s’approchant, lui dit : «Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains.» Jésus lui répondit : «Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.» Alors le diable le transporta dans la cité sainte, et l’ayant placé sur le pinacle du Temple, il lui dit : «Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il a pour toi donné ordre à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, pour que ton pied ne heurte pas la pierre.» Jésus lui dit : «Il est écrit aussi : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.» Le diable, de nouveau, le transporta sur une très haute montagne, et lui montrant tous les royaumes du monde avec leur gloire, il lui dit : «Tout cela, je te le donnerai si, tombant à mes pieds, tu m’adores.» Alors Jésus lui dit : «Retire-toi, Satan, car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et lui seul que tu serviras.»

 

Alors le diable le laissa, et voici que les anges s’approchèrent, et ils le servaient.

 

Il en est qui se demandent par quel esprit Jésus fut conduit au désert, à cause de ce qui suit dans le texte : «Le diable le transporta dans la cité sainte», et encore : «Il le transporta sur une très haute montagne.» Mais en vérité, et sans hésitation possible, on doit en bonne logique accepter de croire que Jésus fut conduit au désert par l’Esprit-Saint, en sorte que son propre Esprit le conduisît là où devait le trouver l’esprit malin pour le tenter.

 

Cependant, lorsqu’on nous dit que l’Homme-Dieu a été transporté par le diable sur une très haute montagne ou dans la cité sainte, l’esprit humain a peine à l’accepter, et les oreilles s’effrayent de l’entendre. Cela nous paraîtra pourtant moins impossible à croire si nous considérons d’autres événements concernant le Sauveur. Le diable est sans aucun doute le chef de tous les méchants, et tous les méchants sont les membres de ce chef. Pilate n’était-il pas membre du diable? Les Juifs qui persécutèrent le Christ, et les soldats qui le crucifièrent, n’étaient-ils pas membres du diable? Pourquoi donc s’étonner que le Sauveur ait permis au diable de le conduire sur une montagne, puisqu’il a supporté aussi d’être crucifié par les membres d’un tel chef? Il n’était pas indigne de notre Rédempteur de vouloir être tenté, lui qui était venu pour être tué. Il était juste, au contraire, qu’il triomphât de nos tentations par les siennes, comme il était venu vaincre notre mort par sa mort (cf. He 2, 18).

 

Sachons cependant que la tentation agit de trois façons : par la suggestion, par la délectation et par le consentement. Nous-mêmes, lorsque nous sommes tentés, nous glissons généralement dans la délectation, ou même dans le consentement; car propagés de la chair du péché, nous portons en nous l’origine même des combats à endurer. Mais le Dieu qui s’était incarné dans le sein d’une Vierge et qui était venu dans le monde sans péché ne portait en lui aucune contradiction. Il a donc pu être tenté par suggestion, mais la délectation du péché n’a pas eu de prise sur son esprit. Toute cette tentation diabolique fut pour lui extérieure, sans rien au-dedans.

 

  1. En examinant le déroulement de la tentation du Seigneur, nous pourrons sonder avec quelle ampleur nous sommes délivrés de la tentation. L’antique ennemi s’est dressé contre le premier homme, notre ancêtre, par trois tentations : il l’a tenté par la gourmandise, la vaine gloire et l’avarice; tentations victorieuses, puisqu’il se soumit Adam en obtenant son consentement. C’est par la gourmandise qu’il l’a tenté en lui montrant le fruit défendu de l’arbre et en le persuadant de le manger. C’est par la vaine gloire qu’il l’a tenté en disant : «Vous serez comme des dieux.» (Gn 3, 5). Et c’est par un surcroît d’avarice qu’il l’a tenté en ajoutant : «Vous connaîtrez le bien et le mal.» En effet, l’avarice n’a pas seulement pour objet l’argent, mais aussi les honneurs. On parle à bon droit d’avarice à propos de la poursuite désordonnée des honneurs. Car si ravir des honneurs ne relevait pas de l’avarice, jamais Paul n’aurait dit du Fils unique de Dieu : «Il n’a pas considéré qu’être l’égal de Dieu serait ravir quelque chose.» (Ph 2, 6). C’est donc en excitant dans notre ancêtre le désir avide des honneurs que le diable l’a entraîné à l’orgueil.

 

  1. Mais c’est par les moyens mêmes qui lui avaient servi à terrasser le premier homme que le diable succomba devant le second [Jésus] quand il le tenta. Il le tente par la gourmandise en lui demandant : «Ordonne que ces pierres deviennent des pains»; il le tente par la vaine gloire en lui disant : «Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas»; il le tente par le désir avide des honneurs lorsqu’il lui montre tous les royaumes du monde en déclarant : «Tout cela, je te le donnerai si, tombant à mes pieds, tu m’adores.» Mais le diable est vaincu par le second homme grâce aux mêmes moyens que ceux qu’il se glorifiait d’avoir utilisés pour vaincre le premier homme. Et celui-ci, ayant ainsi fait prisonnier le diable, l’expulse de nos cœurs par l’accès même qui lui avait permis d’y entrer et de les tenir en son pouvoir.

 

Il y a autre chose, frères très chers, que nous devons considérer dans la tentation du Seigneur : c’est que tenté par le diable, il lui répond par des sentences de l’Ecriture Sainte; il pouvait précipiter son tentateur dans l’abîme en usant de la Parole qui constituait son être, mais il n’a pas manifesté son pouvoir personnel, se limitant à répondre par des préceptes de la divine Ecriture. Il l’a fait pour nous donner l’exemple de sa patience, et nous inviter ainsi à recourir à l’enseignement plutôt qu’à la vengeance chaque fois que nous avons à souffrir de la part d’hommes pervers. Voyez quelle est la patience de Dieu, et quelle est notre impatience ! Nous autres, nous sommes emportés de fureur pour peu que l’injustice ou l’offense nous atteignent, et nous nous vengeons autant que nous le pouvons, ou menaçons du moins de le faire si nous ne le pouvons pas. Le Seigneur, lui, a enduré l’hostilité du diable, et il ne lui a répondu qu’avec des paroles de douceur. Il a toléré celui qu’il pouvait punir, afin de mériter d’autant plus de gloire qu’il triomphait de son ennemi en le supportant pour un temps au lieu de l’anéantir.

 

  1. Il faut encore remarquer ce qui suit : quand le diable l’eut quitté, les anges le servaient. Ce fait montre bien l’existence de deux natures dans sa personne unique. Il est homme, puisqu’il est tenté par le diable; et il est Dieu, puisqu’il est servi par les anges. Sachons donc reconnaître en lui notre nature, car si le diable ne discernait pas en lui un homme, il ne le tenterait pas. Vénérons en lui sa divinité, car s’il n’était pas comme Dieu au-dessus de tout, jamais les anges ne le serviraient.

 

  1. Puisqu’il y a harmonie entre la lecture du jour et le temps liturgique — nous avons en effet entendu lire que notre Rédempteur a pratiqué l’abstinence pendant quarante jours, et en même temps nous entamons la sainte Quarantaine — il nous faut examiner attentivement pourquoi cette abstinence est observée pendant quarante jours. Moïse, pour recevoir la Loi une seconde fois, jeûna quarante jours. Elie, dans le désert, s’abstint de manger quarante jours. Le Créateur des hommes lui-même, venant parmi les hommes, ne prit pas la moindre nourriture pend ant quarante jours. Efforçons-nous, nous aussi, autant que cela nous est possible3 , d’affliger notre chair par l’abstinence en ce temps annuel de la sainte Quarantaine.

 

Pourquoi le nombre quarante est-il fixé pour l’abstinence, sinon parce que le Décalogue trouve sa perfection dans les quatre livres du Saint Evangile? De même, en effet, que dix multipliés par quatre donnent quarante, nous observons les commandements du Décalogue à la perfection par la pratique des quatre livres du Saint Evangile.

 

On peut donner aussi une autre interprétation à ce nombre : notre corps mortel subsiste par quatre éléments, et c’est par les plaisirs de ce corps que nous nous opposons aux préceptes du Seigneur. Or ceux-ci nous sont prescrits par le Décalogue. Par conséquent, puisque les désirs de la chair nous font mépriser les commandements du Décalogue, il convient que nous mortifiions cette chair quarante fois.

 

Voici encore une autre explication possible de cette sainte Quarantaine : depuis aujourd’hui jusqu’aux joies de la solennité de Pâques, il va s’écouler six semaines, ce qui fait quarante-deux jours. Puisque six dimanches sont retirés à l’abstinence, il ne reste plus que trente-six jours d’abstinence. Se mortifier trente-six jours dans une année qui en compte trois cent soixante-cinq, c’est un peu en donner à Dieu la dîme : ayant vécu pour nous-mêmes pendant l’année qu’il nous a accordée, nous nous mortifions dans l’abstinence pour notre Créateur pendant le dixième de cette année.

 

Ainsi, frères très chers, puisque la Loi vous ordonne d’offrir [à Dieu] la dîme de toute chose (cf. Lv 27, 30), efforcez-vous de lui offrir aussi la dîme de vos jours. Que chacun se macère en sa chair à la mesure de ses forces, qu’il mortifie ses désirs et anéantisse ses concupiscences honteuses, afin de devenir, selon le mot de Paul, une hostie vivante (cf. Rm 12, 1). L’homme est une hostie à la fois vivante et immolée lorsque, sans quitter cette vie, il fait cependant mourir en lui les désirs charnels. La chair satisfaite nous a entraînés au péché; que la chair mortifiée nous ramène au pardon. L’auteur de notre mort [Adam] a transgressé les préceptes de vie en mangeant le fruit défendu de l’arbre. Il faut donc que déchus des joies du paradis par le fait de la nourriture, nous nous efforcions de les reconquérir, autant que nous le pouvons, par l’abstinence.

 

  1. Mais que personne ne s’imagine qu’il nous suffise de cette abstinence, alors que le Seigneur dit par la bouche du prophète : «Le jeûne que je préfère ne consiste-t-il pas plutôt en ceci ?» Et il ajoute : «Partage ton pain avec l’affamé, reçois chez toi les pauvres et les vagabonds; si tu vois quelqu’un de nu, habille-le, et ne méprise pas celui qui est ta propre chair.» (Is 58, 6-7). Voilà le jeûne que Dieu approuve : un jeûne qui élève à ses yeux des mains remplies d’aumônes, un jeûne réalisé dans l’amour du prochain et imprégné de bonté. Prodigue à autrui ce que tu retires à toi-même; ainsi, la mortification même de ta chair viendra soulager la chair de ton prochain qui est dans le besoin.

 

C’est en ce sens que le Seigneur dit par la voix du prophète : «Lorsque vous jeûniez et que vous vous lamentiez, est-ce pour moi que vous jeûniez tant? Et quand vous mangez et buvez, n’est-ce pas pour vous que vous mangez et pour vous que vous buvez?» (Za 7, 5-6). Celui-là mange et boit pour lui-même, qui consomme, sans les partager avec les indigents, les aliments du corps, qui sont des dons du Créateur appartenant à tous. Et c’est pour soi qu’on jeûne, si l’on ne donne pas aux pauvres ce dont on s’est privé pour un temps, mais qu’on le garde pour l’offrir un peu plus tard à son ventre. A ce sujet, Joël dit : «Sanctifiez le jeûne.» (Jl 1, 14). Sanctifier le jeûne, c’est rendre son abstinence corporelle digne de Dieu en y associant d’autres bonnes œuvres. Que cesse la colère; que les querelles s’apaisent. Car il est vain de tourmenter sa chair si l’on ne met un frein aux plaisirs mauvais de l’âme, puisque le Seigneur affirme par la voix du prophète : «Voilà qu’au jour de jeûne, vous ne faites que votre volonté. Voilà que vous jeûnez en vue des procès et des luttes; vous frappez méchamment à coups de poing, et vous réclamez leurs dettes à tous vos débiteurs.» (Is 58, 3-4). Celui qui réclame à son débiteur ce qu’il lui a donné ne fait rien d’injuste ; mais à celui qui se mortifie par la pénitence, il convient mieux de s’interdire de ré e de réclamer même ce qui lui revient de droit. Quant à nous, mortifiés et pénitents, Dieu ne nous remettra ce que nous avons fait d’injuste que si nous abandonnons, par amour pour lui, même ce qui nous revient de droit.

DIMANCHE DE PENTECÔTE, ESPRIT SAINT, FÊTE DE LA PENTECÔTE, PENTECÔTE, SAINT ESPRIT, SERMONS

Fête de la Pentecôte

DIMANCHE 23 MAI 2021

Fête de la  Pentecôte

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Viens, Esprit Saint, en nos cœurs
et envoie du haut du ciel
un rayon de ta lumière.

Viens en nous, père des pauvres,
viens, dispensateur des dons,
viens, lumière de nos cœurs.

Consolateur souverain,
hôte très doux de nos âmes,
adoucissante fraîcheur.

Dans le labeur, le repos ;
dans la fièvre, la fraîcheur ;
dans les pleurs, le réconfort.

Ô lumière bienheureuse,
viens remplir jusqu’à l’intime
le cœur de tous les fidèles.

Sans ta puissance divine,
il n’est rien en aucun homme,
rien qui ne soit perverti.

Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride,
guéris ce qui est blessé.

Assouplis ce qui est raide,
réchauffe ce qui est froid,
rends droit ce qui est faussé.

À tous ceux qui ont la foi
et qui en toi se confient
donne tes sept dons sacrés.

Donne mérite et vertu,
donne le salut final,
donne la joie éternelle.

Amen

TRAITÉ DE SAINT IRÉNÉE CONTRE LES HÉRÉSIES

L’envoi de l’Esprit

Quand le Seigneur donna à ses disciples le pouvoir de régénérer les hommes en Dieu, il leur dit : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

C’est cet Esprit dont il a promis par les prophètes l’effusion dans les temps derniers, sur les serviteurs et les servantes, afin qu’ils prophétisent. Voilà pourquoi l’Esprit est descendu dans le Fils de Dieu, devenu le fils de l’homme, pour s’habituer avec lui à habiter le genre humain, à reposer parmi les hommes, à habiter l’œuvre de Dieu, pour opérer en ces hommes la volonté du Père, et les renouveler de leur désuétude dans la nouveauté du Christ.

C’est l’Esprit, au dire de Luc, qui est descendu après l’Ascension du Seigneur sur les Apôtres à la Pentecôte, et qui a pouvoir sur tous les peuples pour les introduire à la vie et leur ouvrir la nouvelle Alliance.

C’est pourquoi, s’unissant à toutes les langues, ils chantaient une hymne à Dieu. L’Esprit ramenait à l’unité toutes les races éloignées, et offrait au Père les prémices de tous les peuples.

Voilà pourquoi aussi le Seigneur a promis de nous envoyer le Paraclet, qui nous adapte à Dieu. En effet la farine sèche ne peut sans eau devenir une seule pâte, pas davantage nous tous, ne pouvions devenir un en Jésus Christ sans l’eau qui vient du ciel. La terre aride, si elle ne reçoit pas d’eau, ne fructifie pas ; ainsi nous-mêmes, qui d’abord étions du bois sec, nous n’aurions jamais porté le fruit de la vie, sans l’eau librement donnée d’en haut. Ainsi nos corps ont reçu par l’eau du baptême l’unité qui les rend incorruptibles ; nos âmes l’ont reçue de l’Esprit. ~

L’Esprit de Dieu descendit sur le Seigneur, Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu. À son tour le Seigneur l’a donné à l’Église, en envoyant des cieux le Paraclet sur toute la terre, là où le diable fut abattu comme la foudre, dit le Seigneur.

Ainsi cette rosée de Dieu nous est bien nécessaire pour n’être point consumés ni rendus stériles, et pour que là où nous avons l’accusateur, là nous ayons le Défenseur : car le Seigneur a confié à l’Esprit Saint l’homme qui est sien, cet homme qui était tombé aux mains des brigands. Il en a eu pitié et a pansé ses blessures, lui donnant deux pièces à l’effigie du Roi, pour qu’ayant reçu par l’Esprit l’image et le sceau du Père et du Fils, nous fassions fructifier la pièce qu’il nous a confiée, et la rendions multipliée au Seigneur.

AUGUSTIN (saint ; 354-430), AUGUSTIN D'Ippone, PSAUME 41, SERMONS

Psaume 41 : Sermon de saint Augustin

AUGUSTIN, COMME UN CERF ALTÉRÉ (COMMENTAIRE DU PS. 41)

Augustin, Comme un cerf altéré (Commentaire du Ps. 41)

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La soif du cerf.

  1. Depuis longtemps, je désire avec vous savourer la parole de Dieu, et vous saluer en celui qui est notre secours et notre salut. Que nous apporte le Seigneur ? Ecoutez-le et en lui réjouissez-vous comme moi, en sa parole, en sa vérité et en son amour.

Je voudrais vous parler d’un psaume dont vous attendez le commentaire. Ce psaume est soulevé par un immense désir, et celui qui le chante dit: Comme le cerf aspire aux sources des eaux, ainsi mon âme aspire à toi, mon Dieu. Qui parle ainsi ? Nous-mêmes, si nous le voulons. Pourquoi chercher au-dehors qui est Dieu, quand toi-même tu peux être ce que tu cherches ? En réalité il est question moins d’un homme que d’un corps; et ce corps est l’église du Christ (Cf. Col 1, 24). Tous ceux qui fréquentent l’église ne ressentent peut-être pas ce désir, mais celui qui a goûté la douceur du Maître et qui se retrouve lui-même en ce psaume, y découvre qu’il n’est pas seul: le Seigneur a semé le grain dans son champ qui est la terre entière. C’est en quelque sorte tout le corps des chrétiens qui dit: Comme le cerf aspire à la source des eaux, ainsi mon âme aspire à toi, mon Dieu.

Ces paroles s’appliquent d’abord aux catéchumènes, impatients de recevoir le saint baptême. Pourquoi leur chanter solennellement ce psaume? Afin qu’ils aspirent aux eaux du pardon, comme le cerf aspire aux sources des eaux. Oui, cette interprétation est juste et l’Église la tient pour essentielle. Et pourtant, frères, je ne crois pas qu’au jour même du baptême, les fidèles puissent étancher toute leur soif; à mon avis, à connaître le lieu que nous traversons et celui où tendent nos pas, nous ressentons plus brûlante notre soif.

Coré et le Christ.

  1. Le psaume porte en inscription : Pour la finPour l’intelligence, aux enfants de Coré, psaume. Nous avons rencontré ces enfants de Coré en d’autres inscriptions. Je me souviens vous en avoir déjà parlé: je vous avais expliqué le sens de leur nom. Mais je tiens aujourd’hui encore à en dire un mot; ne nous faisons pas scrupule de répéter ce que nous avons pu dire autrefois. Car vous n’avez pas tous assisté à chacune de mes prédications.

Coré était un homme, soit. Il eut des enfants, appelés les enfants de Coré (Nb 26, 11). Mais nous n’examinerons ici que le symbole que ce nom recèle et en extrairons le sens.

C’est à dessein que l’on appelle les chrétiens enfants de Coré. Pourquoi enfants de Coré? Parce que enfants de l’époux, enfants du Christ. Les chrétiens sont appelés les enfants de l’époux (Mt 9, 15). Pourquoi Coré désigne-t-il le Christ ? Parce que Coré signifie chauve. Voilà qui est plus étrange encore! Je cherchais pourquoi Coré désigne le Christ, je serais plus curieux encore de savoir en quoi le mot de chauve évoque le Christ !

Eh bien, le Christ n’a-t-il pas été crucifié sur le Calvaire [Calvaire, en latin calvarium, le crâne, à rapprocher de calvus, chauve. C’est la traduction de l’hébreu Golgotha, lieu du crâne. NdlT]? Si. Voilà pourquoi les enfants de l’époux, les enfants de sa passion, les enfants rachetés par son sang, les enfants de sa croix, qui portent au front ce bois que ses ennemis avaient dressé au Calvaire, sont appelés les enfants de Coré. Et le psaume qu’on leur chante s’adresse à leur intelligence.

 

Une source et une lumière.

Vibrons de cette intelligence, et essayons de comprendre ce chant qui nous est destiné. Que devons-nous comprendre? Quel sens donner à ce psaume? J’ose le dire: Depuis la création, les œuvres  de Dieu rendent visibles à l’intelligence ses attributs invisibles (Rm 1, 20).

Ah, mes frères! Sentez ma ferveur, partagez mon désir ! Ensemble aimons, ensemble brûlons de cette soif, ensemble courons à la source de l’intelligence! Je ne parle pas ici de la source où aspirent les candidats au baptême, dans l’attente du pardon. Nous, les baptisés, aspirons à cette source dont l’Ecriture dit ailleurs : En toi est la source de vie (Ps 36, 10).

Lui-même est source et lumière : En ta lumière, nous verrons la lumière (Ps 36, 10). Et s’il est à la fois source et lumière, il est aussi intelligence, il rassasie l’âme affamée de savoir, et tout être doué d’intelligence est illuminé non par une lumière corporelle, ni charnelle, ni extérieure mais par une lumière tout intérieure. Oui, mes frères, elle existe, cette lumière intérieure, mais les êtres sans intelligence en sont privés. Et c’est aux autres, à ceux qui désirent la source de vie et y puisent déjà quelque douceur, que s’adresse l’Apôtre, les suppliant de ne pas se conduire comme les païens, esprits frivoles: Car leur intelligence est obscurcie, et l’ignorance qu’engendre en eux, l’endurcissement du cœur , les tient éloignés de la vie de Dieu (Ep 4, 17-18). Si leur intelligence est obscurcie, en d’autres termes, si, faute d’intelligence, ils sont dans les ténèbres, les êtres intelligents, eux, sont dans la lumière.

Cours aux sources, aspire aux sources des eaux. En Dieu est la source de la vie, et une source qui ne peut tarir; en sa lumière, une lumière qui ne peut s’obscurcir. Aspire à cette lumière, source et lumière que tes yeux ne connaissent pas. Cette lumière, l’œil intérieur se prépare à la contempler; cette source, la soif intérieure brûle de s’y abreuver.

Cours à la source, aspire à la source. Mais n’y cours pas n’importe comment, ni comme le ferait un autre animal. Cours comme le cerf. Pourquoi le cerf ? Que rien ne ralentisse ta course, cours de toute ta force, de toute ta force désire la source. Cette impétuosité est le propre du cerf.

 Tuer les serpents.

  1. Mais peut-être l’Ecriture n’a pas voulu dans le cerf nous rendre seulement sensibles à la légèreté. Elle nous invite à y voir un autre trait: écoute-le. Le cerf est un tueur de serpents; lorsqu’il a tué les serpents, il sent redoubler sa soif. Les serpents morts, il court avec plus d’ardeur encore vers les sources.

Les serpents sont tes vices. Détruis les serpents de l’iniquité, et tu aspireras plus fort encore à la source de vérité. L’avarice émet-elle en toi ses obscurs sifflements ? Elle siffle contre la parole de Dieu. Elle siffle contre le commandement de Dieu, et quand on te met en garde contre le péché que tu pourrais commettre, et que tu aimes mieux, toi, commettre le péché que te priver d’un plaisir, tu choisis d’être mordu par le serpent, au lieu de le tuer toi-même. Tant que tu obéis à tes vices, à ta cupidité, à ton avarice, à tes serpents, puis-je trouver en toi l’élan qui t’emportera à la source des eaux ? Aspires-tu à la source de la sagesse tant que te ronge un venin malicieux ? Tue en toi tout ce qui est contraire à la vérité, mais lorsque tu te verras pur de toute passion mauvaise, n’en reste pas là, comme si tu n’avais plus rien à désirer. Laisse-toi encore emporter, lors même que tu as réussi à vaincre toutes les difficultés qui t’assaillaient. Car peut-être me diras-tu, en bon cerf : Dieu le sait, je ne suis plus avare, je ne convoite plus le bien d’autrui, je ne brûle plus de passion adultère, je ne suis plus la proie de la haine ou de l’envie, ni d’autres vices. Me voilà débarrassé, dis-tu, et peut-être te demandes-tu où trouver ta joie. Aspire à cette source de joie: aspire aux sources des eaux. Dieu saura te réconforter, et combler celui qui vient vers lui, en cerf léger, tout altéré, après avoir tué ses serpents.

  

Porter les fardeaux.

  1. On peut remarquer un autre trait chez le cerf. On dit, et certains mêmes l’ont vu (sans témoins, on n’aurait pu le rapporter), on dit donc, que les cerfs qui voyagent en troupe, ou qui gagnent d’autres rives à la nage, appuient leur tête les uns sur les autres l’un d’eux ouvre la marche, et ceux qui sont derrière posent sur lui leur front, et servent également d’appui aux suivants et ainsi de suite jusqu’au dernier du troupeau. Le chef de file qui porte son fardeau de têtes, va en queue dès qu’il sent la fatigue; un autre le remplace, prend sa charge et va se reposer à son tour en allant appuyer sa tête comme ses compagnons. Ainsi se partagent-ils les fardeaux et accomplissent-ils leur voyage sans se séparer.

L’Apôtre semble s’adresser à des cerfs lorsqu’il dit: Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ (Ga 6, 2).

 

L’objet de la foi est invisible.

  1. Etabli dans la foi, le cerf ne voit pas encore l’objet de sa foi; il aspire à comprendre ce qu’il aime; mais voici qu’il se heurte à l’hostilité de ceux qui ne sont pas des cerfs: leur intelligence est obscurcie, ils sont plongés dans les ténèbres extérieures et aveuglés par l’ombre des vices; bien plus, ils insultent sa foi et comme il n’en peut montrer l’objet, ils lui disent : Où est ton Dieu ? Que fait le cerf à ces mots? Ecoutons-le, si c’est possible, imitons-le.

Il exprime d’abord sa soif: Comme le cerf aspire aux sources des eaux, ainsi mon âme aspire à toi, mon Dieu. Mais pourquoi le cerf cherche-t-il les sources des eaux ? Pour se laver ? Pour boire ou pour se laver ? On ne le sait pas. Ecoute la suite et tu ne chercheras plus : Mon âme a soif du Dieu vivant.

Quand je dis: Comme le cerf aspire aux sources des eaux, ainsi mon âme aspire à toi, mon Dieu, je dis : Mon âme a soif du Dieu  vivant. Quelle est cette soif ? Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? C’est là ma soif: venir et paraître. Ce voyage me donne soif, cette course m’altère : je boirai à l’arrivée.

Mais quand viendrai-je ? Ce qui est court à Dieu paraît long à notre désir. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? Le même désir lui inspire ailleurs ce cri : Une chose au Seigneur je demande, une chose je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie (Ps 27, 4). Pourquoi ? Pour contempler la beauté du Seigneur. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ?

 

Le pain des larmes.

  1. Tandis que je médite, tandis que je cours, tandis que je suis en voyage, avant de venir, avant de paraître, mes larmes sont mon pain, nuit et jour, lorsqu’on me dit sans cesse: Où est ton Dieu? Mes larmes, dit-il, m’ont été, non une amertume, mais un pain. je trouvais de la douceur dans mes larmes mêmes: assoiffé de cette source où je ne pouvais encore boire, je dévorais mes larmes avec une sorte de rage.

Car il ne dit pas : Mes larmes m’ont été une boisson, de peur de sembler les désirer comme les sources des eaux, mais: Cette soif dont je brûle et qui m’entraîne vers les sources des eaux ne s’est point apaisée ; et mes larmes ont été mon pain, en toute cette attente. Ces larmes qu’il dévorait ne faisaient sans doute qu’aggraver sa soif et son désir de boire aux sources. Nuit et jour, mes larmes ont été mon pain.

Les hommes mangent le jour cette nourriture qu’ils appellent le pain, et ils dorment la nuit. Mais le pain des larmes se mange jour et nuit. Que tu appelles le jour et la nuit la totalité du temps, ou que tu comprennes le jour comme les joies de la vie et la nuit comme ses détresses, heureux ou malheureux, je répands les larmes de mon désir, et ce désir ne perd point de sa force. Toutes les joies de la vie me sont sujets de tristesse, jusqu’à ce que je paraisse devant la face de Dieu. Pourquoi m’obliger à me féliciter le jour, s’il m’advient quelque bonheur ? Celui-ci n’est-il pas fallacieux ? N’est-il pas furtif, caduc et mortel? N’est-il pas changeant, capricieux, passager ? N’est-il pas fait de plus d’illusions que de plaisirs ? Pourquoi donc au sein du bonheur mes larmes ne feraient-elles pas mon pain ? Ici-bas, même au comble du bonheur, tant que nous demeurons en ce corps, nous habitons loin du Seigneur (2 Co 5, 6)?

On me répète sans cesse: Où est ton Dieu ? Si un païen me tient ce langage, je ne puis lui dire, moi : Où est ton Dieu ? Car il montre son Dieu du doigt. Il désigne du doigt une pierre et dit : Voilà mon Dieu. Où est ton Dieu ? je me moque de sa pierre. Il rougit de me l’avoir montrée. Il en détourne ses yeux et les lève au ciel; pointant le doigt vers le soleil, il répète : Voilà mon Dieu. Où est ton Dieu ? Il a su montrer un objet aux yeux de la chair; et moi, j’aurais bien quelqu’un à lui montrer, mais lui n’a pas d’yeux pour le voir. Il a pu montrer son Dieu, le soleil, à mes yeux de chair, mais de quels yeux, moi, pourrai-je lui montrer le Créateur du soleil ?

  

Où voir Dieu?

  1. Harcelé par cette question: Où est ton Dieu ? sans cesse nourri de mes larmes, j’ai médité, jour et nuit, sur ces mots que j’entendais: Où est ton Dieu ? Et je me suis mis moi-même à la recherche de mon Dieu, non plus seulement pour croire en lui, mais pour tâcher, dans la mesure de mes forces, de le contempler. Car je vois les œuvres de mon Dieu, mais je ne vois pas mon Dieu, qui en est l’auteur.

Comme un cerf, j’aspire aux sources des eaux; en lui est la source de vie; ce psaume est dédié aux enfants de Coré, à leur intelligence; et les œuvres de Dieu rendent visibles à l’intelligence ses attributs invisibles (Rm 1, 20). Cela étant, que ferai-je pour trouver mon Dieu? je considérerai la terre. La terre est son œuvre , et sa beauté éclate de toute part et elle la doit à un ouvrier. Plantes et animaux sont de pures merveilles, tous ont un créateur. Je montre l’immensité des mers qui nous entourent: elle m’étonne, elle me ravit, j’en cherche l’auteur. Je regarde le ciel et la beauté des étoiles, j’admire l’éclat du soleil qui suffit à faire le jour, la lune qui nous rend la nuit si douce. Ces beautés nous étonnent, nous bouleversent, nous font rêver. Elles ne sont plus de la terre, mais déjà du ciel. Et pourtant je reste sur ma soif: je suis tout saisi, tout ému, mais j’ai soif de leur créateur.

Je reviens en moi-même et je cherche qui je suis, moi qui cherche ainsi. Je découvre que j’ai un corps et une âme; je dois mener l’un et être mené par l’autre; au corps d’obéir, à l’âme de gouverner. Je sens que mon âme vaut mieux que mon corps ; qui ici poursuit cette quête ? Mon âme, je le vois, et non mon corps. J’avoue pourtant n’avoir rien observé qui ne l’ait été par le corps. J’admirais la terre: je l’avais vue de mes yeux. J’admirais la mer: encore mes yeux. J’admirais le ciel, les étoiles, le soleil et la lune : toujours mes yeux.

Les yeux sont des parties de mon corps, ce sont les fenêtres de l’âme. Quelqu’un est derrière, qui regarde. S’abandonne-t-il à sa rêverie, ces fenêtres ouvertes sont aveugles.

Mon Dieu qui a créé ce que je vois de mes yeux, ne doit point être cherché avec ces yeux-là. L’âme doit se regarder par elle-même et chercher si elle n’est point une substance que les yeux ne peuvent saisir, comme les couleurs ou la lumière; ni les oreilles, comme les chants ou le bruit; ni les narines, comme les parfums; ni le palais et la langue, comme les saveurs; ni tout le corps, comme les contacts durs ou tendres, froids ou chauds, piquants ou doux ; l’âme, dis-je, doit chercher s’il y a quelque chose au-dedans que je puisse découvrir.

Et que puis-je découvrir au-dedans qui n’ait ni couleur, ni son, ni odeur, ni saveur, qui ne soit ni chaud ni froid, ni dur ni tendre? Que l’on me dise donc la couleur de la sagesse ! Lorsque nous pensons à la justice, et qu’en secret, nous rêvons à sa beauté, quel son retentit à nos oreilles? Quelle odeur monte à nos narines? Quel goût vient à notre bouche ? Quel objet la main caresse-t-elle ? La justice est tout intérieure; mais elle est belle, mais on l’admire, mais on la voit. Si nos yeux de chair sont dans les ténèbres, l’âme s’enchante de sa lumière. Que voyait Tobie lorsque aveugle, il enseignait la sagesse à un fils dont les yeux étaient sains (Tb 4, 2) ?

Il existe donc un principe que l’âme qui domine, gouverne et habite le corps, peut voir; qu’elle connaît, non par les yeux du corps, ni par les oreilles, ni par les narines, ni par le palais, ni par le toucher, mais par elle-même. Et son propre témoignage vaut sans doute mieux que celui de ses serviteurs. Ainsi, l’âme se voit par elle-même, et se voit pour se connaître. Pour se voir, elle n’a point besoin des yeux du corps ; au contraire, elle rejette tous les sens qui lui semblent grossiers et tumultueux; elle revient vers elle, pour se voir elle-même, pour se connaître elle-même.

Mais Dieu est-il comme l’âme ? Sans doute Dieu ne peut-il être vu que par l’âme, mais on ne peut le voir comme on voit l’âme ? Car notre âme cherche ce Dieu qui fera taire les sarcasmes : Où est ton Dieu ? Elle cherche une vérité immuable, une substance sans défaut. Telle n’est pas l’âme: elle recule, elle avance, elle sait, elle ignore; elle se souvient, elle oublie, tantôt elle veut, tantôt elle ne veut pas. Dieu n’est pas sujet à ces inconstances. Si je dis: Dieu est changeant, ce sera m’insulter que me dire : Où est ton Dieu?

 

 Une haute demeure.

  1. J’ai cherché mon Dieu dans ses œuvres visibles et matérielles, et ne l’ai point trouvé, j’ai cherché sa substance en moi-même, comme s’il ressemblait à ce que je suis, et ne l’ai point trouvé; je découvre alors que Dieu est plus que mon âme. Et, pour le toucher, j’ai médité et j’ai épanché au-dessus de moi mon âme. Mon âme saurait-elle toucher ce qu’elle cherche au-dessus d’elle, si elle ne s’épanchait au-dessus d’elle-même? Si elle demeurait en elle, elle se verrait seule, et en se voyant seule, elle ne verrait pas son Dieu. Laissons l’insulte: où est ton Dieu ? Laissons. Moi, tant que je ne vois pas et que je demeure en attente, je me nourris jour et nuit de mes larmes. Qu’on me le dise encore : où est ton Dieu?Je cherche, moi, mon Dieu dans tous les êtres de la terre et du ciel, et je ne le trouve pas. Je cherche sa substance dans mon âme, et je ne la trouve pas; et pourtant j’ai cherché un moyen de voir Dieu, et, désirant contempler l’invisible grandeur de mon Dieu dans les ouvrages qu’il a faits, j’ai épanché au-dessus de moi mon âme. Il ne me reste plus rien à présent à toucher, que mon Dieu seul. Et la demeure de Dieu est là, au-dessus de mon âme; là il habite, de là il me regarde; de là, il m’a créé, de là il me gouverne, de là il me protège, de là il me suscite, de là il m’appelle, de là il me dirige, de là il me conduit et de là il me conduira jusqu’à la fin.

 

 La tente terrestre.

  1. Celui qui habite une si haute et si mystérieuse demeure, possède aussi une tente sur la terre. Sa tente sur la terre, est son Église, qui est encore loin de lui. Mais c’est là qu’il faut le chercher, c’est dans cette tente que l’on trouve le chemin qui mène à sa demeure. Pourquoi lorsque je cherchais Dieu, ai-je épanché au-dessus de moi mon âme ? Pourquoi ? J’entrerai dans le lieu de la tente. Hors du lieu de cette tente, je ne pourrai chercher mon Dieu sans me perdre. J’entrerai dans le lieu de la tente admirable jusqu’à la maison de Dieu. J’ai bien des sujets d’admiration sous cette tente. Voyez ce que je puis y admirer: les croyants sont la tente de Dieu sur la terre. J’admire qu’ils aient si bien soumis leur corps: en eux le péché, détrôné, ne fait plus prévaloir ses désirs et ils ne livrent pas leurs membres au péché comme des armes d’iniquité, mais ils les donnent au Dieu vivant en des actes de justice. J’admire que des membres de chair s’unissent ainsi à l’âme pour le service de Dieu (cf. Rm 6, 12-13).

Je considère aussi l’âme qui obéit à Dieu, qui règle les tâches de sa vie, fait taire ses convoitises, dissipe son ignorance, se dépense dans toutes sortes d’épreuves rudes et difficiles, et répand sur autrui la justice et l’amour. Oui, j’admire ces vertus dans l’âme mais je ne m’arrête pas encore sous cette tente, je vais plus loin. Si admirable que soit cette tente, je ne rêve que de parvenir à la maison de Dieu. Le prophète en parle dans un autre psaume, où il se pose la question – rude et difficile – de savoir pourquoi en ce monde les méchants sont heureux et les justes malheureux : J’ai cherché à comprendre, mais cette tâche est trop dure pour moi, jusqu’au jour où j’entrerai dans le lieu de la tente admirable, jusqu’à la maison de Dieu, et comprendrai la fin de tout (Ps 73, 16-17). Oui, là est la source de l’intelligence: dans le sanctuaire de Dieu, dans la maison de Dieu. Là, David a compris la fin de tout, il a compris pourquoi les méchants sont heureux et les justes affligés. Qu’a-t-il compris ? Que les méchants qui jouissent ici de l’impunité, sont gardés pour des peines éternelles et que les bons qui sont dans le malheur, sont éprouvés avant de toucher enfin leur héritage.

 

La fête éternelle.

Voilà ce qu’il a appris dans le sanctuaire de Dieu, voilà ce qu’il a compris touchant la fin de tout. Il est monté vers la tente et il est parvenu à la maison de Dieu. Tandis qu’il admirait les membres qui peuplent la tente, il a été conduit à la maison de Dieu, emporté par une certaine douceur et par je ne sais quel charme intérieur et secret; comme si de la maison de Dieu s’élevaient les sons délicieux de quelque instrument; il marchait dans la tente, attentif à je ne sais quelle musique intérieure, dont la douceur l’entraînait; il suivait les sons qui l’arrachaient à tout le tumulte de la chair et du sang, et il est parvenu jusqu’à la maison de Dieu.

Lui-même décrit son voyage et son cheminement, comme si nous lui avions dit: tu admires la tente sur cette terre; mais comment es-tu parvenu dans le secret de la maison de Dieu ? Au milieu des cris de joie et de louange, et des rumeurs de la fête.

Lorsque les hommes ici, célèbrent leurs fêtes grossières, ils ont coutume de faire jouer des instruments devant leurs maisons, ou de faire venir un orchestre et d’écouter ses musiques faciles et sensuelles. Devant tout ce bruit, nous disons, nous passants : qu’y a-t-il là ? On nous répond qu’une fête se donne: on célèbre un anniversaire, ce sont des noces. Comme si nous devions concevoir une moins fâcheuse opinion de ces chansons, et que le sujet de la fête excusât sa vulgarité !

Mais dans la maison de Dieu, il est une fête éternelle. On n’y célèbre point un événement passager. Une fête éternelle. Le chœur des anges. Devant tous, la face de Dieu. Une allégresse sans fin. Ce jour sacré n’a point de commencement pour l’ouvrir, ni de terme pour le clore. Cette fête éternelle et jamais interrompue fait résonner au cœur  je ne sais quels chants doux et tendres, pourvu que celui-ci se soit fermé au tumulte du monde. Celui qui s’avance dans cette tente et considère les merveilles que Dieu accomplit pour le salut des siens, a l’oreille caressée par la rumeur de la fête, qui l’emporte, tel un cerf, vers les sources des eaux.

  

Loin de Dieu.

  1. Mais, frères, aussi longtemps que nous sommes en ce corps, nous habitons loin du Seigneur. Le corps, voué à la corruption, pèse sur l’âme et la demeure terrestre abat l’esprit aux mille pensées. Sans doute, tandis que nous marchons, tendus, les nuages s’écartent-ils, sans doute parvenons-nous à saisir quelques sons et à entrevoir à force de ferveur, la beauté de la maison de Dieu. Mais sous le poids de notre faiblesse, nous retombons dans notre premier état, et retrouvons notre ancienne inertie. Et comme nous avions découvert là des sujets de joie, nous ne manquerons pas ici de sujets de plainte.

Car ce cerf altéré qui se nourrit nuit et jour de ses larmes et que son ardeur entraîne vers les sources des eaux, vers l’intime douceur de Dieu, ce cerf qui épanche son âme au-dessus de lui, afin de toucher ce qui est au-dessus de son âme, qui marche dans la tente admirable jusqu’à la maison de Dieu, se laisse porter par la beauté d’une musique intérieure et spirituelle, et en vient à dédaigner tous les mirages extérieurs, pour ne suivre que les joies intérieures, ce cerf, dis-je, est encore un homme, il gémit encore, il revêt encore une chair fragile, il est encore exposé aux scandales du monde.

Alors il se regarde comme s’il revenait d’un rêve, il se voit jeté en des tristesses qu’il compare aux grâces dont il s’était approché pour les voir, et dont il est sorti après les avoir vues: Pourquoi es-tu triste, mon âme, s’écrie-t-il, et pourquoi te troubles-tu ? Nous avons déjà goûté une secrète douceur, nous avons déjà pu, par la pointe de l’esprit, apercevoir, bien vite, il est vrai, et comme en un éclair, nous avons pu, dis-je, apercevoir quelque chose d’immuable; pourquoi me troubles-tu encore, pourquoi cette tristesse? Tu ne doutes pas de ton Dieu. Et tu n’es plus désemparé lorsqu’on te dit « où est ton Dieu ? » J’ai déjà contemplé quelque chose d’immuable. Pourquoi me troubles-tu encore ? Espère en Dieu. Et l’âme semble répondre, à mi-voix : pourquoi te troublé-je, sinon parce que je ne suis pas encore là où règne cette douceur qui m’a un moment emportée ? Puis-je déjà boire sans émoi à cette source ? N’ai-je plus de scandale à redouter ? Suis-je à l’abri de toutes mes passions comme si elles étaient domptées et vaincues ? Le démon, mon ennemi, ne me guette-t-il pas? Ne me tend-il pas chaque jour ses rets perfides? Et tu ne veux pas que je te trouble, moi qui suis jetée en ce monde, si loin encore de la maison de mon Dieu ?

 

Espérer en Dieu.

Espère en Dieu, répond-il à l’âme qui le trouble, et dont la tristesse semble justifiée par les maux dont le monde foisonne. Mais demeure aussi dans l’espérance. Quand on voit ce qu’on espère, ce n’est plus de l’espérance, mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons patiemment (Rm 8, 24-25).

  1. Espère en Dieu. Pourquoi: espère Parce que je le louerai. Quelle sera ta louange? Mon Dieu est le salut de ma face. Le salut ne peut venir de moi-même; je le dirai, je le louerai: Mon Dieuest le salut de ma face. Craignant de perdre les notions qu’il a pu entrevoir, il regarde avec inquiétude si son ennemi ne se glisse point à ses côtés. Il ne dit pas encore: je suis totalement sauvé. Quoique nous ayons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement attendant d’être adoptés et délivrés de notre corps (Rm 8, 23). Quand ce salut sera accompli en nous, nous serons dans la maison de Dieu, où nous vivrons sans fin, où sans fin nous louerons celui à qui il est dit : Heureux ceux qui habitent en ta maison, ils te loueront aux siècles des siècles (Ps 84, 5). Nous n’y sommes point encore, car notre salut n’est encore qu’une promesse. Mais je loue mon Dieu, dans l’espérance, je lui dis: Mon Dieu est le salut de ma face.

C’est en espérance que nous sommes sauvés; or quand on voit ce qu’on espère, ce n’est pas l’espérance. Persévère donc afin d’arriver. Persévère jusqu’à ce que vienne le salut. Ecoute ton Dieu lui-même te parler au-dedans de toi: Attends le Seigneur, demeure ferme, fortifie ton coeur, attends le Seigneur. Car celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé (Ps 27, 14; Mt 10, 22).

Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi me troubles-tu? Espère en Dieu, car je le louerai. Et voici ma louange: Mon Dieu est le salut de ma face.

AVENT, JOHN HNERY NEWMAN (1801-1890), SERMONS

Temps de l’Avent : semon du cardinal Newman (3 décembre 1837)

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Sermon du cardinal Newman

pour le 1er dimanche de l’Avent (3 décembre 1837)

« Soyez sur vos gardes, veillez [et priez], car vous ne savez pas quand ce sera le moment » (Mc 13, 33).

 

Notre Seigneur nous a donné cet avertissement quand il était sur le point de quitter ce monde ; le quitter signifiait la fin de sa présence visible. Il avait en perspective les centaines d’années qui devaient s’écouler avant son retour. Il connaissait son but à lui et celui de son Père : laisser progressivement le monde à lui-même, lui ôter les signes de sa bienveillante présence. Il voyait, comme il voit toutes choses, la négligence à son égard qui se répandrait même parmi ceux qui feraient profession de le suivre, la désobéissance téméraire et les paroles violentes qu’oseraient lancer contre lui et contre son Père beaucoup de ceux qu’il avait régénérés, la froideur, la lâcheté et la tolérance à l’égard de l’erreur dont beaucoup feraient preuve – sans qu’ils aillent jusqu’à parler ou agir contre lui. Il prévoyait l’état du monde et celui de l’Église, tels que nous les voyons aujourd’hui, alors que son absence prolongée a pratiquement fait croire qu’il ne reviendra jamais sous une forme visible. Dans le texte en exergue, il nous chuchote à l’oreille, avec sa miséricorde, de ne pas partager l’infidélité générale, de ne pas nous laisser emporter à la dérive par ce monde mais « d’être sur nos gardes, de veiller ‘ et de prier » et d’attendre sa venue.

Assurément, ce bienveillant avertissement devrait être toujours pré­sent à notre pensée tant il est net, solennel et sérieux. Le Christ a annoncé sa première venue, et pourtant il a pris son Église au dépourvu quand il est arrivé ; ce sera bien plus vrai quand il viendra soudain pour la deuxième fois, il surprendra les gens, étant donné qu’il n’a pas fixé la mesure de l’intervalle qui le précède, comme il le fit alors, mais il a laissé à notre vigilance le soin de garder la foi et l’amour.

Considérons donc cette très grave question qui concerne chacun de nous si intimement. Qu’est-ce que veiller dans l’attente du Christ ? Il nous dit : « Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir, à minuit, au chant du coq ou le matin, de peur que, venant à l’improviste, il ne vous trouve endormis. Et ce que je vous dis à vous, je le dis à tous : veillez ! » Et de nouveau : « si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur devait venir, il [aurait veillé et] n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. » Un avertissement semblable est donné ailleurs à la fois par notre Seigneur et par ses apôtres. Par exemple, nous avons la parabole des dix vierges, cinq étaient avisées et cinq insensées ; l’époux, après avoir tardé, vint soudainement vers elles, cinq furent trouvées sans leur provision d’huile. Sur quoi notre Seigneur déclare : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure [où le Fils de l’homme viendra]. » Et il dit encore ceci : « Tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent dans la débauche, l’ivrognerie, les soucis de la vie, et que ce Jour-là ne fonde soudain sur vous comme un filet ; car il s’abattra comme un filet sur tous ceux qui habitent la surface de toute la terre. Veillez donc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme5. » De la même manière, il a réprimandé Pierre ainsi : « Simon, tu dors ? Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? »

Pareillement saint Paul écrit dans la lettre aux Romains : « C’est l’heure désormais de vous arracher au sommeil […]. La nuit est avan­cée. Le jour est tout proche. » Et encore « Veillez, demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, soyez forts. » « Rendez-vous puis­sants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’armure de Dieu pour pouvoir résister aux manœuvres du diable […] afin qu’au jour mauvais vous puissiez résister et, après avoir tout mis en œuvre, rester fermes. » « Ne nous endormons pas, comme font les autres, mais restons éveillés et sobres. » De la même manière, on trouve chez saint Pierre : « La fin de toutes choses est proche. Soyez donc sages et sobres en vue de la prière […]. Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. » Et chez saint Jean : «Voici que je viens comme un voleur : heureux celui qui veille et garde ses vêtements.»

Je considère que ce mot veiller, employé par notre Seigneur, ensuite par son disciple préféré et par les deux grands apôtres Pierre et Paul, est un mot remarquable ; remarquable parce que l’idée n’est pas si évidente qu’il pourrait sembler à première vue, et ensuite parce que tous y insistent. Nous ne devons pas seulement croire, mais veiller ; veiller pourquoi ? Pour ce grand événement, la venue du Christ. Que nous considérions la signification évidente de ce mot ou l’objet vers lequel il nous oriente, il nous semble y discerner un devoir particulier qui nous est enjoint, un devoir tel qu’il ne vient pas naturellement à notre esprit. La plupart d’entre nous ont une idée générale de ce que l’on entend par croire, craindre, aimer, obéir; mais peut-être ne considérons-nous pas assez et ne comprenons-nous pas ce que Ton entend par veiller.

Pour moi, c’est l’un des points principaux qui, en pratique, séparera les vrais et parfaits serviteurs de Dieu de la foule de ceux qui portent le nom de chrétiens ; de ceux qui, je ne dis pas sont perfides et réprouvés, mais tels que l’on ne peut rien dire d’eux ni avoir la moindre idée de ce qu’ils deviendront. En disant cela, n’entendez pas que j’affirme – je me garderais bien de le faire – qu’on puisse dire avec certitude qui sont les parfaits chrétiens et qui sont les chrétiens hypocrites et inconséquents ; ou que ceux qui discourent avec insistance sur ces sujets sont du côté des bons. Je ne parle que de deux types d’hommes. ceux qui sont sincères et fermes dans leurs principes et ceux qui n’ont pas de fermeté ; et, selon moi, ils seront très largement distingués et départagés par ce seul critère : les vrais chrétiens, quels qu’ils soient, veillent, les chrétiens inconséquents ne veillent pas. Mais qu’est-ce que le fait de veiller ?

 

Je crois qu’on peut le définir à partir de ce qui suit : savez-vous ce que l’on ressent dans la vie courante lorsqu’on attend un ami, que l’on guette sa venue et qu’il tarde? Savez-vous ce que c’est que d’être en compagnie désagréable, de souhaiter que le temps passe et que sonne l’heure de retrouver sa liberté? Savez-vous ce que c’est que d’être dans l’angoisse d’une chose qui peut ou non se produire ou dans l’incertitude d’un événement important qui vous fait battre le cœur dès qu’on vous le rappelle, qui revient comme votre première pensée du matin ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir un ami, loin à l’étranger, d’attendre de ses nouvelles et de se demander jour après jour ce qu’il fait maintenant et s’il va bien ? Savez-vous ce que ce c’est que de vivre attaché à quelqu’un que vous suivez des yeux, dans l’âme de qui vous pouvez lire, dont vous remarquez les changements dans le maintien, dont vous anticipez les désirs, avec qui vous échangez les sourires et de qui vous partagez la tristesse, peiné quand il est contrarié, joyeux quand il réussit ? Veiller dans l’attente du Christ est un sentiment analogue à ceux-là dans la mesure où les sentiments de ce monde peuvent nous donner une image de ceux de l’autre.

Il veille dans l’attente du Christ, celui qui a un cœur sensible, ouvert et accueillant, qui est éveillé, prompt, intuitif, qui se tient aux aguets, ardent à le chercher et à l’honorer, qui l’attend dans tout ce qui arrive et qui ne serait ni surpris ni décontenancé ni bouleversé s’il était mis tout à coup devant le fait soudain de sa venue.

Et il veille avec le Christ celui qui, en regardant vers l’avenir, ne néglige pas le passé et ne se borne pas à contempler ce que son Sauveur lui a acquis au point d’oublier ce qu’il a souffert pour lui. Il veille avec le Christ celui qui fait mémoire de la croix et de l’agonie du Christ et les revit en sa propre personne, celui qui prend sur lui, avec joie, ce manteau d’affliction que le Christ a porté ici-bas et a laissé derrière lui quand il est monté au ciel. C’est pourquoi, dans les épîtres, les écrivains inspirés expriment aussi souvent leur désir de son deuxième avènement qu’ils expriment leur souvenir de sa première venue et qu’ils ne perdent jamais de vue son crucifiement en célébrant sa résurrection. C’est pourquoi saint Paul, qui rappelle aux Romains qu’ils « attendent la rédemption de leurs corps » au dernier jour, dit aussi : « puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui ». S’il parle aux Corinthiens de « l’attente de notre Seigneur Jésus Christ », il dit aussi : « Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps. » S’il parle aux Philippiens de la « puissance de sa résurrection », il évoque aussitôt après « la communion à ses souffrances [pour] lui devenir conforme dans la mort». S’il console les Colossiens avec l’espérance que, « quand le Christ sera manifesté […], alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire », il a déjà déclaré : « je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église ». Ainsi, la pensée de ce qu’est le Christ maintenant ne doit pas effacer de l’esprit la pensée de ce qu’il a été ; la foi ne cesse de s’affliger avec lui en même temps qu’elle se réjouit avec lui. La même union de pensées opposées est imprimée en nous dans la sainte communion où nous voyons réunies en un même temps la mort et la résurrection du Christ ; nous faisons mémoire de l’une et nous nous réjouissons de l’autre, nous faisons une offrande et nous obtenons une bénédiction.

C’est donc cela, veiller ; être détaché du présent et vivre dans l’invi­sible ; vivre dans la pensée du Christ tel qu’il est venu une fois et tel qu’il reviendra de nouveau ; désirer son second avènement en se rappelant le premier avec amour et reconnaissance. Or c’est cette attitude que les gens, en général, n’ont pas à ce qu’il nous semble. Certes, ils manquent aussi de foi et d’amour, mais ils professent au moins qu’ils ont ces grâces, et il n’est pas facile de les convaincre qu’ils ne les ont pas. Ils considèrent qu’ils ont la foi parce qu’ils tiennent que la Bible est venue de Dieu et qu’ils font entièrement confiance au Christ pour leur salut ; et ils considèrent qu’ils ont l’amour parce qu’ils obéissent à quelques-uns des commandements les plus explicites de Dieu. L’amour et la foi, ils pensent les avoir ; mais ce qui est sûr, c’est qu’ils ne s’imaginent même pas qu’ils veillent. Ce que signifie veiller et comment c’est un devoir, ils n’en ont pas d’idée définie ; ainsi, il se trouve de fait que veiller est la marque propre du chrétien parce que cette attitude particulière de foi et d’amour, tout essentielle qu’elle soit, et que les hommes de ce monde n’adoptent pas, représente la vie et la force de la foi et de l’amour, et la manière selon laquelle la foi et l’amour se manifestent quand ils sont authentiques.

Il est facile d’illustrer ce que je veux dire par l’expérience que nous avons tous de la vie. Beaucoup de gens, certes, attaquent ouvertement la religion ou du moins désobéissent ouvertement à ses lois ; mais examinons le cas de ceux qui relèvent d’une forme d’esprit plus retenue et plus consciencieuse. Ils ont nombre de bonnes qualités et sont en un certain sens et jusqu’à un certain point religieux ; mais ils ne veillent pas. Leur notion de la religion se résume brièvement à aimer Dieu, certes, mais aussi à aimer ce monde ; à ne pas seulement accomplir leur devoir, mais à trouver leur bien principal et le plus élevé dans cet état de vie en lequel il a plu à Dieu de les appeler, à s’installer en lui, à le considérer comme leur part. Ils servent Dieu et le cherchent ; mais ils considèrent le monde présent comme s’il était éternel et non comme étant le théâtre seulement temporaire de leurs devoirs et de leurs privilèges, et ils ne considèrent jamais la possibilité d’en être séparés. Ce n’est pas qu’ils oublient Dieu ou qu’ils vivent sans principes ou qu’ils ne se souviennent pas que les biens de ce monde viennent de lui ; mais ils les aiment pour eux-mêmes plutôt que pour leur donateur, et ils comptent sur leur durée comme si elle était comparable à celle de leurs devoirs et de leurs privilèges spirituels. Ils ne comprennent pas qu’ils sont appelés à être des étrangers et des voyageurs sur la terre, que leur part et leurs biens en ce monde sont une sorte d’accident dans leur existence, qu’ils ne détiennent réellement aucune propriété même si la loi humaine leur en garantit le droit. Par suite, Us mettent leurs cœurs dans leurs possessions, grandes ou petites, non sans avoir le sens de la religion en général mais aussi en tombant dans l’idolâtrie. Telle est leur faute, assimiler Dieu à ce monde et, par suite, idolâtrer le monde ; ce qui, en conséquence, les dispense de chercher leur Dieu car ils pensent l’avoir trouvé dans les biens de ce monde. Certes, ils sont réellement dignes de louange en maints domaines de leur conduite, ils sont bienveillants, charitables, affables, de bon voisinage, utiles à leur génération et, à la vérité, peut-être réguliers dans les devoirs religieux qui relèvent de la coutume, ils font preuve de sentiments justes et aimables et de beaucoup de rectitude dans leurs idées, ils sont même sur la voie d’améliorer leur caractère et leur comportement, de corriger beaucoup de leurs travers, d’acquérir une plus grande maîtrise d’eux-mêmes, de la maturité dans leur jugement, et d’être bien considérés en conséquence ; pourtant, il est évident qu Us aiment ce monde, qu’ils regretteraient de le quitter et qu’ils souhaitent avoir encore plus des bonnes choses qu’il leur offre. Ils aiment la richesse, l’honneur, le crédit et l’influence. Il se peut qu’ils progressent dans leur conduite mais non dans leurs aspirations ; ils avancent mais ne s’élèvent pas ; ils se meuvent à un bas niveau, et le continueraient-ils pendant des siècles qu’ils ne s’élèveraient jamais au-dessus de l’atmosphère de ce monde. « Je vais me tenir à mon poste de garde, je vais rester debout sur mon rempart ; je guetterai pour voir ce qu il me dira, ce qu’il va répondre à ma doléance. » Telle est la qualité d’esprit qu’il leur manque ; et quand nous nous rendons compte a quel point elle est rare parmi les chrétiens déclarés, nous comprenons pourquoi notre Seigneur la recommande si instamment ; c’est comme s il disait : « Je ne vous donne pas d’avertissement à vous, mes disciples, contre l’apostasie ouverte ; elle ne se produira pas ; mais je prévois que bien peu resteront en éveil et en attente quand je serai parti. Bénis seront les serviteurs qui veilleront ; peu m’ouvriront dès que je frap­perai. Ils auront toujours quelque chose à faire d’abord, ils auront a se préparer. Ils auront à revenir de la surprise et de la confusion qui les envahiront aux premières annonces de ma venue. Ils auront besoin de temps pour se ressaisir et rassembler de meilleures pensées et de meilleurs sentiments. Ils se trouvent si bien comme ils sont ; ils souhaitent servir Dieu comme ils sont. Ils sont contents de rester sur la terre ; ils ne souhaitent pas la quitter ; ils ne souhaitent pas changer. »

Sans contester à ces gens la valeur de leurs nombreuses habitudes religieuses, je dirais qu’il leur manque un cœur tendre et sensible qui s’attache à la pensée du Christ et qui vit dans son amour. L’air de ce monde a le pouvoir particulier, pour ainsi dire, de rouiller leur âme. Leur miroir intérieur, au lieu de réfléchir le Fils de Dieu, leur Sauveur. est devenu terne et décoloré ; en conséquence (pour employer une expression familière), même s’il y a beaucoup de bien en eux, il est seulement en eux ; il ne les pénètre pas, ne les enveloppe pas, ne les couvre pas. Une croûte mauvaise est sur eux : ils sont remplis d’idées et de manières de parler qui sont celles du monde ; le monde est leur référence et ils ont une sorte de révérence pour tout ce qu’il dit. Il y a en eux un manque de naturel, de simplicité et de docilité de l’enfant. Il est difficile de les toucher ou (si l’on peut dire) de les atteindre et de les persuader d’être fermes dans les questions religieuses. Ils se décident à agir quand vous vous y attendez le moins : ils émettent des réserves, font des distinctions, trouvent des exceptions, ils hésitent sur des questions où il n’y a que deux réponses, une bonne et une mauvaise. Leurs sentiments religieux ont du mal à s’exprimer au moment même où il le faudrait : ou bien ils sont méfiants et ne peuvent rien dire, ou bien ils sont affectés et contraints dans leur façon de converser. Et comme la rouille ronge le métal et le creuse, cet esprit mondain pénètre de plus en plus profondément dans leur âme, une fois qu’il y est entré. Et ce serait, semble-t-il, mettre un terme définitif à ces afflic­tions que d’effacer et de purifier ces souillures venues de l’extérieur et de garder l’âme dans un certain degré de pureté baptismale et d’éclat.

Ainsi, on ne saurait douter du fait qu’il y a dans l’Eglise une quantité de personnes telles que je viens de les décrire qui ne voudraient ni ne pourraient accueillir notre Seigneur au moment de sa venue. Nous ne pouvons, certes, pas appliquer ce qui vient d’être dit à tel ou tel en particulier, mais, dans l’ensemble, considérant la majorité des cas, on ne peut se méprendre. Il y a des exceptions, mais, toutes les restrictions possibles ayant été faites, un grand nombre restent irrésolus, s’efforçant d’unir des réalités incompatibles. Nous pourrions en être sûrs même si le Christ n’avait rien dit sur le sujet ; mais c’est avec beaucoup d’émotion et de gravité que nous constatons qu’il a, de fait, attiré notre attention sur ce danger précis, le danger d’une religion mondaine, car il faut bien la nommer ainsi, bien qu’il s’agisse de religion ; ce mélange de religion et d’infidélité qui amène à servir Dieu en vérité mais aussi à aimer la mode, les distinctions, les plaisirs, le confort de cette vie, à se satisfaire des circonstances qui donnent accès aux honneurs et aux vanités, à se montrer exigeant dans les affaires de nourriture, d’habillement, de logement, de mobilier ou de service domestique, à faire la cour aux grands et à rechercher toute position sociale. Le Christ avertit ses disciples du danger qu’il y a à laisser l’esprit se détourner de lui, quelle qu’en soit la cause ; il les met en garde contre toute excitation, toute séduction de ce monde ; il les avertit solennel­lement que le monde ne sera pas préparé pour sa venue, et il les supplie, avec tendresse, de ne pas se compromettre avec lui. Il les avertit par les exemples de l’homme riche à qui on a demandé son âme, du serviteur qui a mangé et bu et des vierges folles. Quand il reviendra, il leur manquera du temps ; ils ne sauront où donner de la tête, leurs yeux se brouilleront, leur langue bégaiera, leurs membres fléchiront comme s’ils étaient réveillés en sursaut. Ils ne retrouveront pas sur le moment leurs sens et leurs facultés. Ô pensée redoutable ! le cortège nuptial s’avance – les anges sont là -, les justes rendus parfaits sont là – petits enfants, saints docteurs, élus vêtus de leur robe blanche, martyrs qui ont lavé la leur dans le sang; les noces de l’Agneau sont arrivées et son épouse s’est préparée. Elle a revêtu sa parure : pendant que nous dormions, elle a mis ses habits, ajouté bijou sur bijou, beauté sur beauté ; elle a rassemblé les invités de son choix, un par un, elle les a formés à la sainteté en les purifiant pour son Seigneur, maintenant l’heure des noces est arrivée. La Jérusalem céleste descend et une voix puissante proclame : « Voici que l’époux arrive, allez à sa rencontre ! » Mais nous, hélas ! nous sommes seulement éblouis par l’éclat de sa lumière et aucun de nous n’accueille cette voix ni ne lui obéit, et tout cela, pourquoi? Qu’aurons-nous gagné ? Qu’est-ce que ce monde aura fait pour nous ? Monde misérable et trompeur ! qui sera alors consumé, incapable non seulement de nous être utile mais de se sauver lui-même. Heure misérable, en vérité, quand nous aurons soudain pleine conscience de ce que nous refusons de croire maintenant, c’est-à-dire que nous sommes à présent les serviteurs du monde. Nous badinons maintenant avec notre conscience ; nous trompons notre meilleur jugement ; nous refusons les conseils de ceux qui nous disent que nous nous joignons à ce monde périssable. Nous voulons goûter un peu de ses plaisirs et suivre ses voies, nous pensons qu’il n’y a pas de mal à cela pourvu que nous ne négligions pas en même temps la religion. Je veux dire que nous nous permettons d’envier ce que nous n’avons pas, de nous vanter de ce que nous avons, de mépriser ceux qui ont moins ; ou bien nous nous permettons de professer ce que nous n’essayons pas de pratiquer d’argumenter par amour de la réussite, de débattre quand il faudrait obéir ; nous tirons orgueil de notre capacité de raisonner, nous nous croyons éclairés, nous dédaignons ceux qui ont moins à dire en leur faveur et nous étalons et défendons nos propres théories ; ou bien nous sommes rongés d’inquiétude, irritables, minés par les soucis des affaires du monde, rancuniers, jaloux, mécontents et d’un naturel malveillant : nous avons partie liée avec ce monde et nous ne voulons pas l’admettre. Nous refusons obstinément de le croire ; nous savons que nous ne sommes pas, somme toute, irréligieux et nous nous persuadons que nous sommes religieux. Nous apprenons à penser qu’il es( possible d’être trop religieux ; nous nous sommes convaincus qu’il n’y avait rien d’élevé ou de profond dans la religion, aucun grand déploiement de nos sentiments, aucune nourriture de qualité pour notre pensée, aucune tâche assez digne pour nos efforts. Nous poursuivons notre route de satisfaction et de suffisance de nous-mêmes, sans regarder hors de nous-mêmes, sans nous tenir, comme des soldats aux aguets, dans la nuit sombre ; mais nous allumons notre propre feu et nous prenons notre plaisir à ses étincelles. Tel est notre état ou quelque chose de semblable, et le grand jour le manifestera ; ce jour est à nos portes ; ce jour scrutera notre cœur et nous fera comprendre même malgré nous que nous nous sommes leurrés en paroles, que nous n’avons pas servi le Christ, comme le demande le rédempteur de nos âmes, sinon d’un service mesquin, partiel, mondain, sans une vraie contemplation de celui qui est au-dessus du monde et distinct de lui. Silencieusement, les années passent, l’une après l’autre ; la venue du Christ est toujours plus proche qu’elle n’était. Ô, tandis qu’il approche de la terre, puissions-nous nous approcher du ciel ! Ô, mes frères, priez-le pour qu’il vous donne un cœur qui le cherche sincèrement. Priez-le de vous rendre sérieux. Vous n’avez qu’une chose à faire, porter votre croix à sa suite. Avec sa force, décidez de le faire. Décidez de n’être plus séduits par des « ombres de religion », par des mots ou des discussions ou de simples notions ou des déclarations éclatantes ou des excuses ou les promesses ou les menaces du monde. Priez-le de vous donner ce que l’Écriture appelle « un cœur honnête et bon » ou « un cœur parfait », et, sans attendre, commencez tout de suite à lui obéir de tout votre cœur. Toute forme d’obéissance est meilleure qu’aucune obéissance, toute profession de foi qui n’est pas associée à l’obéissance est une pure prétention et une tromperie. Toute religion qui ne vous rapproche pas de Dieu est une religion mondaine. Vous devez chercher son visage ; l’obéissance est la seule manière de le chercher. Tous nos devoirs sont des actes d’obéissance. Si vous devez croire aux vérités qu’il a révélées, si vous devez vous régler sur ses préceptes, si vous devez fréquenter régulièrement ses sacrements, appartenir à son Église et à son peuple, pour quel motif devez-vous le faire sinon parce qu’il vous l’a commandé ? Faire ce qu’il commande c’est lui obéir, et lui obéir c’est se rapprocher de lui. Tout acte d’obéissance nous met plus près toujours, plus près de Dieu qui n’est pas loin de nous, malgré les apparences ; il est tout près, derrière l’écran visible des choses qui nous le cachent. Il est derrière les formes matérielles ; terre et ciel ne sont qu’un voile entre lui et nous ; le jour viendra où il déchirera le voile et se montrera à nous. Alors, selon que nous l’aurons attendu, il nous récompensera. Si nous l’avons oublié, il ne nous reconnaîtra pas ; mais « Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera fidèles à veiller ! […] il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira. Qu’il vienne à la deuxième ou à la troisième veille, s’il trouve les choses ainsi, heureux seront-ils ! » Puisse cela être la part de chacun de vous ! Il est dur d’y arriver ; mais il est tragique d’échouer. La vie est courte ; la mort est certaine ; et le monde à venir est éternel.

 

Sermon du 3 décembre 1837

Trad. Marie-Bernard Duvignau et Pierre Poque.

John Henry Newman, Sermons Paroissiaux vol 4 (Le paradoxe chrétien) sermon 22, Cerf, Paris 1996, pp. 277-289. 

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AVENT, BERNARD DE CLAIRVAUX, BERNARD DE CLAIRVAUX (saint ; 1091-1153), PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT, SERMONS

Sermon de saint Bernard pour le premier dimanche de l’Avent

Sermon de l’avent de Saint Bernard –

De l’avènement de Notre Seigneur et de ses six circonstances

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Méditation, contemplation et explication : pourquoi ce mot avent ?

  1. Mes Frères, nous célébrons aujourd’hui le commencement de l’Avent. Le nom, comme celui des autres solennités, en est familier et connu de tout le monde ; mais peut-être ne connaît-on pas aussi bien la raison pour laquelle il est ainsi appelé.

Les infortunés enfants d’Adam négligeant les vérités salutaires, s’attachent de préférence aux choses fragiles et transitoires. A qui assimilerons-nous les hommes de cette génération, à qui les comparerons-nous quand nous voyons qu’on ne peut ni les enlever ni les arracher aux consolations matérielles de la terre ? Je les comparerai aux gens qui se noient.

En effet, voyez comme ils serrent ce qu’ils peuvent saisir ; rien ne saurait leur faire lâcher prise pour quitter le premier objet qui s’est trouvé sous leur main quel qu’il soit, quand bien même il ne saurait leur être d’aucune utilité, comme des racines d’herbe et d’autres pareils objets. Et même, si quelqu’un vient à leur secours, ils le saisissent ordinairement de telle sorte, qu’ils l’entraînent avec eux et le mettent hors d’état de les sauver et de se sauver lui-même.

Voilà comment les malheureux enfants d’Adam périssent dans cette mer vaste et profonde ; ils ne recherchent que des soutiens périssables et négligent les seuls dont la solidité leur permettrait de surnager et de sauver leurs âmes. Ce n’est pas de la vanité mais de la vérité qu’il a été dit : « Vous la connaîtrez et elle vous délivrera »[1]

Pour vous donc, mes Frères, vous à qui Dieu révèle comme à de petits enfants, tes choses qui sont cachées aux sages et aux prudents du monde, appliquez avec soin toutes vos pensées à ce qui est vraiment salutaire, pesez attentivement la raison de l’Avent et demandez-vous quel est celui qui vient, pourquoi il vient, quand il vient et par où il vient. C’est là une curiosité louable et salutaire, car l’Eglise ne célébrerait point l’Avent avec tant de piété, s’il ne cachait pour nous quelque grand mystère.

 

  1. En premier lieu, considérez avec le même étonnement et la même admiration que l’Apôtre, quel est celui qui vient. C’est, dit l’ange Gabriel, le fils même du Très-Haut, Très-Haut lui-même par conséquent. Car on ne saurait sans crime penser que Dieu a un fils dégénéré ; il faut donc le proclamer l’égal de son Père en grandeur et en dignité. Qui ne sait en effet, que les enfants des princes sont eux-mêmes princes et que les fils de rois sont rois ?

D’où vient cependant que des trois personnes que nous croyons, que nous confessons et que nous adorons, dans la suprême Trinité, ce n’est ni le Père, ni le Saint-Esprit, mais le Fils qui vient ? Je ne saurais croire qu’il en est ainsi sans cause aucune. Mais qui a pénétré les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans le secret de ses conseils[2] ? Or, ce n’est point sans un très-profond dessein de la Trinité qu’il a été réglé que ce serait le Fils qui viendrait. Si nous considérons la cause de notre exil, peut-être pourrons-nous con-naître, du moins en partie, quelle convenance il y avait que nous fussions sauvés plutôt par le Fils de Dieu que par l’une des deux autres personnes divines. En effet, ce Lucifer qui se levait le matin, ayant voulu se faire semblable au Très-Haut et tenté de se rendre égal à Dieu, ce qui est le propre du Fils, fut à l’instant précipité du haut du Ciel, parce que le Père prit la défense de la gloire de son Fils et montra par les faits la vérité de ce qu’il dit quelque part : « La vengeance m’est réservée et c’est moi qui l’exercerai »[3] Et « je voyais alors Satan tomber du Ciel comme un éclair »[4]. Qu’as-tu donc à l’enorgueillir, ô toi qui n’es que cendre et que poussière ? Si Dieu n’a point épargné les anges eux-mêmes dans leur orgueil, combien moins t’épargnera-t-il toi qui n’es que corruption, que vers 1 Satan n’avait rien fait, il n’était encore coupable que d’une pensée d’orgueil, et à l’instant même, en un clin d’oeil, il se vit à jamais précipité dans l’abîme, parce que, selon l’Evangéliste : « Il n’est point resté ferme dans la vérité »[5].

 

  1. 0 mes Frères, fuyez, fuyez l’orgueil de toutes vos forces, je vous en conjure. L’orgueil est le principe de tout péché, c’est lui qui a si rapidement plongé dans d’éternelles ténèbres ce Lucifer, qui brillait naguère d’un plus vif éclat que tous les astres ensemble ; c’est lui, dis-je, qui a changé en un démon non pas un ange seulement, mais le premier des anges. Après cela, devenant tout à coup jaloux du bonheur de l’homme, Lucifer fit naître, dans le coeur de l’homme, l’iniquité qu’il avait d’abord conçue dans le sien, et lui conseilla de manger du fruit défendu, en lui disant qu’il deviendrait aussi semblable à Dieu, connaissant le bien et le mal.

O malheureux, quelles espérances donnes-tu, que promets-tu à l’homme, quand il n’y a que le Fils du Très-Haut qui ait la clef de la science, ou plutôt quand il n’y a que lui qui soit « la clef de David qui ouvre, et personne ne ferme »[6] ? C’est en lui que tous les trésors de la sagesse et de la science divines se trouvent renfermés[7] ; iras-tu les dérober pour en faire part à l’homme ? Voyez si, comme le dit le Seigneur lui-même, « Il n’est pas un menteur et le père même du mensonge »[8]. En effet ne ment-il point quand il dit « Je serai semblable au Très-Haut »[9] ? Et n’est-il pas le père même du mensonge, quand il sème dans le coeur de l’homme le germe de ses faussetés, en lui disant : « Vous serez comme des dieux »[10] ? Et toi, ô homme, voyant le voleur, tu te mets à sa suite. Vous vous rappelez, mes frères, le passage d’lsaïe que nous lisions cette nuit, où il est dit : « Vos princes sont des infidèles »[11], ou, selon une autre version, « sont des désobéissants et les compagnons des voleurs ».

 

  1. En effet nos premiers parents, Adam et Eve, la source de notre race, sont désobéissants, et compagnons de voleurs, puisqu’ils veulent, sur les conseils du serpent ou plutôt sur les conseils du diable lui-même par l’organe du serpent, ravir au fils de Dieu ce qui lui appartient en propre. Mais Dieu le Père ne ferme point les yeux sur l’injure faite à son fils, « car le Père aime le Fils»[12], et à l’instant même, il tire vengeance de l’homme et appesantit son bras sur nous. Tous en effet nous avons péché en Adam et tous nous avons été condamnés en lui.

Que fera le Fils, en voyant que son Père prend en main sa défense et que pour lui il n’épargne aucune créature ? Voilà, se dit-il, que mon Père, à cause de moi, perd toutes ses créatures. Le premier des anges a voulu usurper la grandeur qui m’est propre et il a trouvé de l’écho parmi ses semblables. Mais à l’instant mon Père a pris avec ardeur la défense de ma cause en main, et il a frappé d’un coup cruel, d’une blessure incurable l’ange rebelle et tous ses partisans. De son côté l’homme a voulu aussi s’arroger la science qui est mon partage exclusif, et mon Père n’a point eu non plus pitié de lui, son oeil ne l’a point épargné.

Le Père avait fait deux nobles créatures, auxquelles il avait donné la raison en partage et qu’il avait faites susceptibles de bonheur : l’ange et l’homme. Or voici qu’à cause de moi il a perdu une multitude d’anges et tous les hommes. Mais moi, pour qu’ils sachent que j’aime mon Père, je veux lui rendre ceux qu’il semble n’avoir perdus qu’à cause de moi. « Si c’est à cause de moi que cette affreuse tempête s’est déchaînée sur vous, dira Jonas, prenez-moi et jetez-moi à la mer »[13]. Ils portent tous un regard d’envie sur moi, eh bien ! me voici, je vais me montrer à eux en tel état que quiconque voudra me porter envie et ambitionnera de devenir semblable à moi, n’aura cette ambition et ce désir que pour son bien. Quant aux anges, je sais bien qu’ils n’ont déserté la bonne voie que par un sentiment mauvais et inique et qu’ils n’ont péché ni par faiblesse ni par ignorance, aussi ont-ils dû périr quoiqu’ils ne le voulussent point, car l’amour du Père et la majesté du Roi suprême éclatent dans sors amour pour la justice[14].

 

  1. Voilà pourquoi il a créé les hommes afin qu’ils prissent la place des anges et qu’ils réparassent les brèches de Jérusalem ; car il savait que pour les anges il n’y avait plus aucun moyen de retour. « Il connaissait en effet l’orgueil de Moab et voyait qu’il est superbe à l’excès»[15], et que son orgueil est sans repentir et par conséquent sans pardon. Mais il n’a point fait une autre créature pour remplacer l’homme, voulant montrer par là qu’il pouvait encore être racheté ; il n’avait péri que par la malice d’un autre, il était juste, par conséquent, que la bonté d’un autre pût le sauver.

Je vous en prie donc, Seigneur, daignez me tirer de là où je suis, parce que je suis faible et que j’ai été enlevé par fraude et par violence de mon pays, et qu’on m’a jeté dans cette fosse quoique je fusse innocent[16]. Innocent, c’est peut-être beaucoup dire, mais ce n’est pas trop, eu égard à celui qui m’a séduit. Seigneur, on m’a fait croise un mensonge ; vienne maintenant la Vérité en personne, afin que la fausseté soit confondue, que je connaisse la vérité et que la vérité me délivre, si toutefois je sais renoncer au mensonge, quand on me l’aura montré, et embrasser la vérité lorsqu’on me l’aura fait connaître. Autrement ma tentation et mon péché ne seraient plus simplement la tentation et le péché de l’homme, mais l’obstination même du diable. Car c’est quelque chose de diabolique que de persévérer dans le mal, et quiconque ressemble au diable dans son péché est digne de périr avec lui.

 

  1. Vous avez entendu, mes Frères, quel est celui qui vient, écoutez maintenant d’où et où il vient. Or il vient du sein de son Père dans celui d’une Vierge mère ; il vient du haut des Cieux dans ces bas-ses régions de la terre. Mais quoi donc ? Ne faut-il point alors que nous vivions aussi sur la terre ? Oui, s’il y est resté lui-même. Car où pourrait-on être bien s’il n’y est pas, et mal s’il s’y trouve ? « Car qu’y a-t-il pour moi dans le ciel même et que désiré je sur la terre si ce n’est vous, Dieu de mon coeur et mon partage pour l’éternité»[17] ? Et quand même « je marcherais au milieu des ombres mêmes de la mort, il n’est point de maux que je craindrais, si toutefois vous étiez avec moi »[18].

Or je vois aujourd’hui qu’il est descendu non-seulement sur la terre, mais encore jusque dans les enfers, non pas comme un coupable chargé de liens, mais libre au milieu des morts, comme la lumière qui descend dans les ténèbres, mais que les ténèbres n’ont point comprise ; aussi son âme ne reste-t-elle point dans les enfers et son corps ne connaît-il point la corruption du tombeau ; car le Christ qui est descendu du ciel est le même qui y est remonté pour accomplir tous les oracles, car c’est de lui qu’il a été dit : « Il faisait le bien en passant d’un lieu dans un autre et guérissait tous ceux qui étaient sous la puissance du diable »[19], et encore : « Il s’élance avec ardeur pour courir comme un géant dans la carrière, mais il part de l’extrémité du ciel »[20]. Aussi est-ce avec raison que l’Apôtre s’écrie : « Ne recherchez que ce qui est en haut, dans le ciel où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu »[21], C’est en vain qu’il se donnerait du mal pour porter nos coeurs en haut, s’il ne nous apprenait que l’auteur de notre salut s’y trouve.

Mais voyons la suite ; car si le sujet est fécond et abondant, cependant le temps qui presse ne me permet pas de vous parler longuement. Ainsi quand nous nous sommes demandé quel est celui qui vient, nous avons trouvé que c’est un hôte d’une grande et ineffable majesté ; et, lorsque nous avons recherché d’où il vient, il s’est trouvé que nous avons vu se dérouler à nos yeux une route d’une longueur immense, selon ce qu’avait dit le Prophète sous l’inspiration de l’Esprit : « Voilà la majesté du Seigneur qui vient de loin »[22]. Enfin à cette question : où vient-il ? Nous avons reconnu l’honneur inestimable et presque incompréhensible qu’il daigne nous faire en descendant de si haut dans l’horrible séjour de notre prison.

 

  1. Mais à présent qui pourrait douter qu’il ne fallût rien moins qu’une bien grande cause pour qu’une si grande Majesté daignât descendre de si loin dans un séjour si peu digne d’elle ? En effet, le motif qui l’y a déterminé est tout à fait grand, car ce n’est rien moins qu’une grande miséricorde, une grande compassion et une immense charité. En effet, pour quoi devons-nous croire qu’il est venu ? C’est le point que nous avons maintenant à éclaircir.

Nous n’avons pas besoin de nous donner beaucoup de mal pour cela, puisque ses paroles et ses actes nous crient bien haut le motif de sa venue. En effet, c’est pour chercher la centième brebis qui était perdue et errante qu’il est descendu en toute hâte des montagnes célestes ; c’est pour que ses miséricordes et ses merveilles montrassent plus clairement aux hommes que c’est pour eux qu’il est venu. Combien grand est l’honneur que nous fait le Dieu qui nous vient chercher ! Mais aussi combien est grande la dignité de l’homme que Dieu recherche ainsi ! Assurément s’il veut se glorifier de cela, ce ne sera point à lui une folie de le faire, non pas qu’il paraisse être quelque chose de son propre fond, mais parce que celui qui l’a fait l’estime lui-même à un si haut prix. Car ce ne sont point toutes les richesses du monde, ni toute la gloire d’ici-bas, ni rien de ce qui peut flatter nos désirs sur la terre qui fait notre grandeur, tout cela n’est même absolument rien en comparaison de l’homme lui-même. Seigneur, qu’est-ce donc que l’homme pour que vous le combliez de tant de gloire et pourquoi votre coeur est-il porté en sa faveur ?

 

  1. Néanmoins je me demande pourquoi au lieu de venir à nous, n’est-ce point nous qui sommes allés à lui ; car outre que c’est notre intérêt qui est en question, ce n’est pas l’habitude que les riches aillent trouver les pauvres, même quand ils ont le désir de leur faire du bien. Il est vrai, mes Frères c’était bien à nous à aller vers lui, mais nous en étions doublement empêchés ; d’abord nos yeux étaient bien malades ; or il habite une lumière inaccessible[23]. Et puis nous étions paralysés et gisant sur notre grabat, nous ne pouvions donc nous élever jusqu’à Dieu qui demeure si haut. Voilà pourquoi le bon Sauveur et doux médecin de nos âmes est descendu de là-haut où il habite, et a voilé l’éclat de sa lumière pour nos yeux malades. Il s’est en quelque sorte placé dans une lanterne en prenant son glorieux corps, cette chair infiniment pure de toute souillure. C’est là, en effet, ce nuage léger et translucide dont parle le Prophète[24], sur lequel il avait annoncé que le Seigneur monterait pour descendre en Egypte.

 

  1. Il nous faut aussi considérer en quel temps est venu le Sauveur. Or il est venu ainsi que vous le savez, non au commencement, ni au milieu, mais à la fin des temps. Ce n’est pas sans raison, mais avec beaucoup de raison, au contraire, que la Sagesse par excellence a réglé qu’elle n’apporterait de secours aux hommes qu’alors qu’il leur deviendrait plus nécessaire, car elle n’ignore point que les enfants d’Adam sont enclins à l’ingratitude. Or on pouvait dire avec vérité que déjà la nuit approchait, que le jour était sur son déclin, que le soleil de la justice avait un peu baissé à l’horizon, et ne répandait plus sur la terre que des rayons presque éteints et une chaleur affaiblie. Car la lumière de la connaissance de Dieu était devenue bien faible, en même temps que, sous le manteau glacial de l’iniquité, la chaleur de la charité avait sensiblement baissé. 11 n’y avait plus d’apparition d’anges, plus de prophètes qui élevas-sent la voix ; il semble que, vaincus par le désespoir à la vue de l’endurcissement excessif et de l’obstination des hommes, ils avaient cessé les uns d’apparaître et les autres de parler. Mais moi, dit le Fils « c’est alors que je me suis écrié, me voici, je viens»[25].

Oui, voilà comment à l’heure où tout reposait dans un paisible silence et que la nuit était au milieu de sa course, votre Parole toute-puissante, ô Seigneur, vint du Ciel et descendit de son trône royal[26]. C’est dans le même sens que l’Apôtre disait : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils »[27]. C’est qu’en effet la plénitude et l’abondance des choses du temps avaient produit l’oubli et la disette de celles de l’éternité. Il était donc bien à propos que l’éternité vînt puisque la temporalité prévalait. En effet, sans parler du reste, la paix temporelle elle-même était si générale alors, qu’un homme n’a eu qu’à l’ordonner et le dénombrement du monde se fit[28].

 

  1. Vous connaissez maintenant quel est Celui qui vient ; de même que là où il vient et d’où il vient, enfin le temps et la cause de sa venue vous sont également connus ; il ne nous reste donc plus qu’à rechercher avec soin par quelle voie il vient, afin que nous allions à sa rencontre, comme il est juste que nous le fassions.

Mais, s’il est venu une fois sur la terre, dans une chair visible, pour opérer notre salut, il vient encore tous les jours invisiblement et en esprit pour sauver nos âmes à tous, selon ce qui est écrit : « Le Christ, Notre-Seigneur, est un esprit devant nos yeux ». Et pour que vous sachiez que cet avènement spirituel est caché, il est dit « C’est à son ombre que nous vivrons au milieu des nations ». Voilà pourquoi il est juste, si le malade est trop faible pour aller bien loin au devant d’un si grand médecin, il s’efforce au moins de lever la tête et de se soulever un peu lui-même à son arrivée.

Non, non, ô homme, tu n’as pas besoin de passer les mers, de t’élever dans les nues, de gravir les montagnes, et la route qui t’est montrée n’est pas longue à parcourir, tu n’as qu’à rentrer en toi-même pour aller au devant de ton Dieu ; en effet sa parole est dans ta bouche et dans ton coeur.

Va donc au moins au devant de lui jusqu’à la componction du coeur et à la confession de la bouche, si tu veux sortir du fumier sur lequel ta malheureuse âme est étendue, car il n’est pas convenable que l’auteur de toute pureté s’avance jusque-là. Mais qu’il vous suffise de ce peu de mots sur cet avènement, dans lequel il daigne éclairer nos âmes par son invisible présence.

 

  1. Mais il faut aussi considérer la voie de son avènement visible, car toutes ses voies sont belles et ses sentiers pacifiques[29]. « Or le voici, dit l’Epouse, le voici qui vient, sautant sur les montagnes et passant par-dessus les collines»[30]. Vous le voyez quand il vient, ô belle Epouse, mais vous ne pouviez le voir auparavant, quand il reposait, car vous vous écriiez alors : « O vous, le bien-aimé de mon âme, dites-moi où vous menez paître vos troupeaux, où vous vous reposez »[31].

Lorsqu’il repose, ce sont les anges qu’il paît pendant des éternités sans fin, et qu’il rassasie de la vision de son immuable éternité. Mais ne vous méconnaissez point vous-même, ô belle Epouse, car c’est par vous que s’est produite cette admirable vision, par vous qu’elle s’est affermie, et vous ne pouvez y arriver.

Mais voici qu’il est sorti de son sanctuaire, celui qui paît les anges quand il repose, il s’est mis en marche, il va nous guérir. On va le voir venant et rassasié, lui qu’on ne pouvait voir quand il reposait et paissait. Il vient, dis-je, en franchissant d’un bond les montagnes et en passant par-dessus les collines. Les montagnes et les collines, ce sont les patriarches et les prophètes ; or voyez, dans sa généalogie, comment il vient en franchissant les unes d’un bond et en sautant par-dessus les autres. « Abraham, y est-il dit, engendra Isaac, Isaac engendra Jacob… »[32].

Vous verrez, en poursuivant, que de ces montagnes sortit la souche de Jessé sur laquelle, selon le mot du Prophète[33], poussa un rameau qui produisit une fleur sur laquelle l’Esprit aux sept dons se reposa. C’est ce que le même Prophète nous explique dans un autre endroit en disant : « Une Vierge concevra et enfantera un Fils qui aura nom Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous »[34].

Ainsi, ce qui n’était d’abord qu’une fleur, il l’appelle ensuite Emmanuel, et ce qui n’était qu’un rameau, il dit plus clairement que c’est une Vierge.

Mais je me vois contraint de remettre à un autre jour les considérations qu’il y aurait à faire sur ce profond mystère ; c’est un sujet bien digne d’être traité à part, d’autant plus que le sermon a été un peu long aujourd’hui.

 

[1] Evangile selon saint Jean, VIII 32.

[2] Epître de saint Paul aux Romains. XI 34.

[3] Epître de saint Paul aux Romains, XII 19.

[4] Evangile selon saint Luc, X 18.

[5] Evangile selon saint Jean VIII 44.

[6] Apocalypse, III 7.

[7] Epître de saint Paul aux Colossiens, II 3.

[8] Evangile selon saint Jean, VIII 44.

[9] 9 Isaïe, XIV 94.

[10] Genèse, III 6.

[11] Isaïe I 23.

[12] Evangile selon saint Jean, V 20.

[13] Jonas, I 12.

[14] Psaume XCV1I 3.

[15] Isaïe, XVl 6.

[16] Genèse, XL 15.

[17] Psaume LXXII, 25 & 26.

[18] Psaume XXII 4.

[19] Actes des Apôtres, X 38.

[20] Psaume XVIII 7.

[21] Epître de saint Paul aux Colossiens, III 1.

[22] Isaïe XXX 27.

[23] Première épître de saint Paul à Timothée, VI 16.

[24] Isaïe XIX 1.

[25] Psaume, XXXIX 9.

[26] Sagesse, XVIII 14.

[27] Epître de saint Paul aux Galates, IV 4.

[28] Evangile selon saint Luc, II 1.

[29] Proverbes, III 17.

[30] Cantique des cantiques, II 8.

[31] Cantique des cantiques, I 6.

[32] Evangile selon saint Matthieu, I 2.

[33] Isaïe, XI 2.

[34] Isaïe VII 14.

CHRIST ROI, FETE DU CHRIST ROI, HOMELIES, JEAN CHRYSOSTOME (saint ; 344/349-407), LE BON LARRON, LITURGIE, SERMONS

Fête du Christ-Roi : homélie de saint Jean Chrysostome

Sur la Croix, Jésus est Roi, homélie de St Jean Chrysostome

dimas

 

Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne (Lc 23, 42). Le larron n’a pas osé faire cette Prière avant d’avoir déposé par son aveu le fardeau de ses péchés. Tu vois, chrétien, quelle est la puissance de la Confession!
Il a avoué ses péchés et le Paradis s’est ouvert.
Il a avoué ses péchés et il a eu assez d’assurance pour demander le Royaume après ses brigandages.

Songes-tu à tous les bienfaits que la Croix nous procure? Tu veux connaître le Royaume? Dis-moi: Que vois-tu donc ici qui y ressemble?
Tu as sous les yeux les clous et une croix, mais cette Croix même, disait Jésus, est bien le signe du Royaume.
Et moi, en le voyant sur la Croix, je le proclame Roi.
Ne revient-il pas à un roi de mourir pour ses sujets? Lui-même l’a dit: Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jn 10, 11).
C’est également vrai pour un bon roi: lui aussi donne sa vie pour ses sujets. Je le proclamerai donc Roi à cause du don qu’il a fait de sa vie. Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume.

Comprends-tu maintenant comment la Croix est le signe du Royaume? Si tu le veux, voici encore une autre preuve.
Le Christ n’a pas laissé sa Croix sur la Terre, mais il l’a soulevée et emportée avec lui dans le Ciel.
Nous le savons parce qu’il l’aura près de Lui quand il reviendra dans la Gloire. Tout cela pour t’apprendre combien est vénérable la Croix qu’il a appelée sa Gloire.

Lorsque le Fils de l’homme viendra, le soleil s’obscurcira et la lune perdra son éclat (Mt 24, 29). Il régnera alors une clarté si vive que même les étoiles les plus brillantes seront éclipsées. Les étoiles tomberont du Ciel. Alors paraîtra dans le Ciel le signe du Fils de l’homme (Mt 24, 29-30).

Tu vois quelle est la puissance du signe de la Croix ! Quand un roi entre dans une ville, les soldats prennent les étendards, les hissent sur leurs épaules et marchent devant lui pour annoncer son arrivée.
C’est ainsi que des légions d’Anges et d’Archanges précéderont Le Christ, lorsqu’Il descendra du Ciel.
Ils porteront sur leurs épaules ce signe annonciateur de la venue de notre Roi.

Source: Homélie de Saint Jean Chrysostome (+ 407) 
Homélie sur la Croix et le larron, 1,3-4, PG 49, 403-404. 

BERNARD DE CLAIRVAUX, BERNARD DE CLAIRVAUX (saint ; 1091-1153), FETE DE LA TOUSSAINT, FETE LITURGIQUE, JOHN HNERY NEWMAN (1801-1890), PRIERE, SERMONS

Premier novembre : fête de la Toussaint

Le premier novembre : Fête de tous les saints

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« Recherchons les choses d’en-haut « ,

Une homélie de saint Bernard pour la Toussaint

 

 Du fond des siècles, la prédication de St. Bernard de Clairvaux nous parvient et n’a rien perdu de sa fougue! Il nous confie une chose essentielle: les saints ne sont pas faits que pour être admirés! Nous sommes tous appelés à faire partie de “la foule immense des témoins” dont le grand bonheur est de voir un jour le visage du Seigneur et d’être semblable à lui (1 Jn 3,2). Tel est le sens de la fête de la Toussaint célébrée le 1er novembre.

Pourquoi notre louange à l’égard des saints, pourquoi notre chant à leur gloire, pourquoi cette fête même que nous célébrons ? Que leur font ces honneurs terrestres, alors que le Père du ciel, en réalisant la promesse du Fils, les honore lui-même ? De nos honneurs les saints n’ont pas besoin, et rien dans notre culte ne peut leur être utile. De fait, si nous vénérons leur mémoire, c’est pour nous que cela importe, non pour eux. […] Pour ma part, je l’avoue, je sens que leur souvenir allume en moi un violent désir […]

Le premier désir, en effet, que la mémoire des saints éveille, ou plus encore stimule en nous, le voici : nous réjouir dans leur communion tellement désirable et obtenir d’être concitoyens et compagnons des esprits bienheureux, d’être mêlés à l’assemblée des patriarches, à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des martyrs, à la communauté des confesseurs, au chœur des vierges, bref d’être associés à la joie et à la communion de tous les saints. […] Cette Église des premiers-nés nous attend, et nous n’en aurions cure ! Les saints nous désirent et nous n’en ferions aucun cas ! Les justes nous espèrent et nous nous déroberions !

Réveillons-nous enfin, frères ; ressuscitons avec le Christ, cherchons les réalités d’en haut ; ces réalités, savourons-les. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, et puisqu’ils comptent sur nous, accourrons avec nos désirs spirituels. {…] Ce qu’il nous faut souhaiter, ce n’est pas seulement la compagnie des saints, mais leur bonheur, si bien qu’en désirant leur présence, nous ayons l’ambition aussi de partager leur gloire, avec toute l’ardeur et les efforts que cela suppose. Car cette ambition-là n’a rien de mauvais : nul danger à se passionner pour une telle gloire. […]

Et voici le second désir dont la commémoration des saints nous embrase : voir, comme eux, le Christ nous apparaître, lui qui est notre vie, et paraître, nous aussi, avec lui dans la gloire. Jusque-là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu’il s’est fait pour nous : notre Tête, non pas couronnée de gloire, mais ceinte par les épines de nos péchés […] Viendra le jour de l’avènement du Christ : alors on n’annoncera plus sa mort de manière à nous faire savoir que nous aussi sommes morts et que notre vie est cachée avec lui. La Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elles les membres resplendiront de gloire, lorsque le Christ restaurera notre corps d’humilité pour le configurer à la gloire de la Tête, puisque c’est lui la Tête.

Cette gloire, il nous faut la convoiter d’une absolue et ferme ambition. […] Et vraiment, pour qu’il nous soit permis de l’espérer, et d’aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher de tout cœur l’aide et la prière des saints : ce qui est au-dessus de nos forces puisse-t-il nous être donné par leur intercession !

 

Saint Bernard de Clairvaux (1090-1153)

 

 

Rayonne à travers moi !

 

A l’approche de la Toussaint, voici une prière du Cardinal Newman (1801-1890) qui pourrait être un programme de sainteté.

Seigneur Jésus,
inonde-moi de ton Esprit et de ta vie.
Prends possession de tout mon être
pour que ma vie ne soit
qu’un reflet de la tienne

Rayonne à travers moi, habite en moi,
et tous ceux que je rencontrerai
pourront sentir ta Présence auprès de moi,
en me regardant ils ne verront plus que Toi seul,
Seigneur!

Demeure en moi et alors je pourrai,
comme Toi, rayonner,
au point d’être à mon tour
une lumière pour les autres,
lumière, Seigneur,
qui émanera complètement de Toi,
c’est Toi qui, à travers moi,
illuminera les autres.

Ainsi ma vie deviendra une louange à ta gloire,
la louange que tu préfères,
en te faisant rayonner sur ceux qui nous entourent.
Par la plénitude éclatante de l’amour
que te porte mon cœur. Amen.

 

https://www.jeunes-cathos.fr/toussaint/recherchons-les-choses-den-haut-une-homelie-de-saint-bernard-pour-la-toussaint

BEATITUDES, BEATITUDES, NOUVEAU TESTAMENT, SERMONS

Sermon de Saint Léon le Grand sur les Béatitudes

 

SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND SUR LES BÉATITUDES

« Heureux ceux qui ont faim et» soif de justice 

Le Seigneur a dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Cette faim n’a rien de corporel, cette soif ne désire rien de terrestre. Elles aspirent à être rassasiées de justice et, lorsqu’elles ont été introduites dans le secret de tous les mystères, elles souhaitent être comblées du Seigneur lui-même.

Heureuse l’âme qui convoite cette nourriture et qui brûle de désir pour une telle boisson : elle n’y aspirerait pas si elle n’avait déjà goûté quelque chose de sa douceur. Elle a entendu l’Esprit qui fait parler les prophètes, quand il lui disait : Goûtez et voyez comme le Seigneur est doux ! Alors elle a reçu comme une parcelle de la douceur d’en haut, elle s’est enflammée d’amour pour cette volupté très pure. Aussi, méprisant tous les biens corporels, elle a brûlé de toute son ardeur pour cette nourriture et cette boisson de la justice, et elle a saisi la vérité de ce premier commandement qui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton esprit et de toute ta force. Car aimer Dieu n’est rien d’autre que désirer la justice.

Enfin, de même que le souci du prochain se rattache à l’amour de Dieu, ainsi la vertu de miséricorde s’unit à ce désir de la justice, si bien qu’il est dit : Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde !

Reconnais, chrétien, la valeur de ta sagesse ; comprends à quelles récompenses tu es appelé, et par la pratique de quels enseignements tu les obtiendras. La Miséricorde veut que tu sois miséricordieux ; la Justice, que lu sois juste, afin que le Créateur apparaisse dans sa créature et que, dans le miroir du cœur humain, resplendisse l’image de Dieu exprimée par les traits qui la reproduisent. Ta foi peut être assurée, si elle s’accompagne de la pratique : tout ce que tu désires viendra à ta rencontre, et tu posséderas sans fin ce que tu aimes.

Et parce que tout est pur pour toi grâce à ton aumône, tu parviendras aussi à la béatitude que le Seigneur promet ensuite lorsqu’il dit : Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ! Quelle grande félicité, mes bien-aimés, pour laquelle est préparée une telle récompense ! Qu’est-ce donc qu’avoir le cœur pur, sinon s’appliquer aux vertus qui viennent d’être énumérées ? Voir Dieu, quel esprit peut concevoir, quelle langue peut exprimer une telle béatitude ? C’est cependant ce qu’on obtiendra lorsque la nature humaine sera transformée : ce ne sera plus comme une image obscure, dans un miroir, mais face à face, qu’elle verra, telle qu’elle est, la divinité que nul être humain n’a jamais pu voir. Et alors, ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, elle le possédera dans la joie indicible d’une éternelle contemplation.

 

ANCIEN TESTAMENT, BERNARD DE CLAIRVAUX (saint ; 1091-1153), BERNARD DE CLAIRVEAUX, CANTIQUE DES CANTIQUES, SERMONS

Sermon de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques

SERMON DE S. BERNARD

SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES

bernard-chapitre

L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer.

Quelle grande chose que l’amour, si du moins il remonte à son principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source pour y puiser un continuel jaillissement ! De tous les mouvements de l’âme, de ses sentiments et de ses affections, l’amour est le seul qui permette à la créature de répondre à son Créateur, sinon d’égal à égal, du moins dans une réciprocité de ressemblance. Car, lorsque Dieu aime, il ne veut rien d’autre que d’être aimé. Il n’aime que pour qu’on l’aime, sachant que ceux qui l’aimeront trouveront dans cet amour même la plénitude de la joie.

L’amour de l’Époux, ou plutôt l’amour qu’est l’Époux, n’attend qu’un amour réciproque et la fidélité. Qu’il soit donc permis à celle qu’il chérit de l’aimer en retour. Comment l’épouse pourrait-elle ne pas aimer, elle qui est l’épouse de l’Amour ? Comment l’Amour ne serait-il pas aimé ?

Elle a donc raison de renoncer à tous ses autres mouvements intérieurs, pour s’adonner seulement et tout entière à l’amour, puisqu’elle a la possibilité de répondre à l’amour même par un amour de réciprocité. Car elle pourra bien se répandre tout entière dans son amour, que grâce au regard du flot éternel d’amour qui jaillit de la source même ? Les eaux ne sourdent pas avec la même profusion de celle qui aime et de l’Amour, de l’âme et du Verbe, de l’épouse et de l’Époux, du Créateur et de la créature : la différence n’est pas moins grande qu’entre l’être assoiffé et la source.

Alors quoi ? Faudra-t-il pour autant que périsse et disparaisse complètement chez l’épouse le souhait de voir s’accomplir ses noces ? Le désir qu’expriment ses soupirs, la force de son amour, son attente pleine de confiance ; seront-ils réduits à rien, parce qu’elle ne peut égaler à la course un géant, et qu’elle ne peut rivaliser de douceur avec le miel, de tendresse avec l’agneau, de blancheur avec le lis, de rayonnement avec le soleil, d’amour avec celui qui est l’amour en personne ? Non, car même si la créature aime moins, en raison de ses limites, pourvu qu’elle aime de tout son être, il ne manque rien à son amour, puisqu’il constitue un tout. C’est pourquoi aimer de la sorte équivaut à un mariage, car une affection si forte ne saurait recevoir une réponse de moindre affection, dans cet accord réciproque des deux époux qui fait la solidité et la perfection du mariage. À moins qu’on ne mette en doute que l’amour du Verbe précède et dépasse celui de l’épouse…