CARÊME 2023, CAREME, EGLISE CATHOLIQUE, JEAN PAUL II, LA THEOLOGIE DU CORPS SELON JEAN-PAUL II, THEOLOGIE, THEOLOGIE DU CORPS

La théologie du corps selon Jean-Paul II

La « théologie du corps » de Jean-Paul II, une vision de la sexualité audacieuse mais idéalisée

5_0

Entre 1979 et 1984, le pape Jean-Paul II a proposé chaque mercredi une catéchèse autour du couple, de la sexualité et du mariage. Si des catholiques ont trouvé dans cette « théologie du corps » un enseignement éclairant leur vie conjugale, d’autres en pointent les limites. Corps et âme (5/6)

Carême 2023 : corps et âme

Épisode 8/12

Mercredi 5 septembre 1979, place Saint-Pierre à Rome. Les pèlerins qui affluent au petit matin pour l’audience générale ne savent pas que Jean-Paul II compte leur parler ce jour-là du couple et du mariage. Ce sera la première des 129 catéchèses données par le pape polonais, chaque mercredi, jusqu’en novembre 1984. Elles forment ce qu’il est convenu d’appeler sa « théologie du corps », qui est surtout une théologie de la sexualité et de la conjugalité.

L’intérêt de Jean-Paul II pour ces questions remonte loin : aux premières années de son ministère quand il était aumônier d’étudiants, puis à son enseignement en théologie morale à l’Université catholique de Lublin (Pologne). « L’amour humain a toujours passionné Jean-Paul II, dès les tout débuts de son ministère de prêtre, dans l’accompagnement des jeunes et des fiancés, de qui, de son aveu, il a tout appris, souligne François de Muizon, philosophe et professeur de théologie à l’Université catholique de l’Ouest (UCO) (1). Dès les années 1950, il a fait preuve d’une grande audace pour aborder le corps et la sexualité, avec les ressources de la sexologie et de la psychologie, qu’il a intégrées au dynamisme global de la personne. C’était très novateur pour un prêtre, en Pologne et avant le Concile, d’aborder ces sujets-là. »

« Le corps est considéré comme expression de la personne »

Ces catéchèses sont aussi une manière de répondre aux débats, et même au scandale, provoqués parmi les catholiques par l’encyclique Humanae vitae (1968), qui a condamné les moyens modernes de contraception. « La théologie du corps de Jean-Paul II est en fait une réécriture d’Humanae vitae, à partir du concept de personne humaine préféré à celui de loi naturelle, devenu difficile à comprendre », explique la théologienne Francine Charoy, ancienne enseignante de théologie morale à l’Institut catholique de Paris (ICP).

Ce travail de reformulation passe par une méditation très personnelle de l’Écriture, notamment de la Genèse, des prophètes, du Cantique des Cantiques et du Livre de Tobie. S’y mêlent des influences philosophiques empruntant au personnalisme de Max Scheler et à la phénoménologie, « où le corps est considéré comme expression de la personne, manifestation de l’invisible, corps-sujet, corps signifiant et langage, et pas seulement corps-objet ou organisme », indique François de Muizon. Son enseignement est également nourri de références à la spiritualité de Jean de la Croix et à « la nuptialité de l’amour ».

Une méditation sur la condition humaine originelle

Que contient la « théologie du corps » ? Elle commence par une méditation sur la condition humaine originelle « dont nous gardons un écho en nous sous la forme d’une aspiration fondamentale à aimer et à nous donner », explique François de Muizon. Le corps sexué est considéré comme portant la trace du Créateur, comme langage du Créateur et de la personne.

Le propos se prolonge ensuite avec une méditation sur la condition historique, où l’homme et la femme apparaissent marqués par le péché, qui se manifeste dans la tentation d’instrumentaliser le corps et d’en faire un objet de convoitise. Elle se poursuit par une réflexion sur la « condition glorieuse » à venir des corps dans la résurrection.

 Jean-Paul II entend ainsi répondre au contexte culturel de la libération sexuelle, mais aussi à ceux qui, au sein du christianisme, portent encore un regard condescendant sur la sexualité. Il veut proposer un discours qui mette fin au soupçon pesant sur le corps, au dualisme entre corps et esprit, et reconnaisse pleinement le mariage comme un chemin de sainteté. Mais son discours entend aussi fixer la norme de l’amour humain authentique.

 « Jean-Paul II procède à un travail de renforcement de la doctrine. Il n’hésite pas à aller plus loin qu’Humanae vitae, en affirmant qu’une union sexuelle qui n’est pas ouverte à la vie n’est pas une relation authentiquement humaine, fait remarquer Francine Charoy. En affirmant que les époux rejouent dans l’acte sexuel l’acte créateur, ce discours donne à la sexualité un sens profond, mais aussi éminemment normatif. »

« Un discours un peu iréniste »

De fait, la « théologie du corps » laisse dans l’obscurité tout ce qui sort de la norme du mariage unique, hétérosexuel et indissoluble : la sexualité hors mariage, la réalité des divorcés remariés et des célibataires, l’homosexualité…

 « On est dans un discours idéalisé et un peu iréniste, comme si la sexualité était une réalité sans ombres, objectivable et maîtrisable par le savoir ou l’effort sur soi, relève le psychanalyste Jacques Arènes. Ce discours ne tient pas compte de la pulsion de mort qui la traverse. Il passe aussi sans cesse de ce qui est “souhaitable” à ce qui serait “sacré”. Ce qui fait peser un poids énorme sur les épaules des catholiques et peut susciter une angoisse terrible de ne pas être “à la hauteur’’. »

Dans sa recherche, Jean-Paul II mobilise les Écritures, mais il met en œuvre une lecture qui privilégie ce qui vient conforter la doctrine, sans relever les dissonances ou les silences qui pourraient la nuancer. Quitte parfois à tordre les textes. Dans son interprétation de la Genèse, il lie ainsi la bénédiction d’Adam et Ève à celle de leur fécondité. Il propose aussi une méditation sur la solitude originelle de l’homme, qui questionne des théologiens.

Une théologie qui mériterait d’être l’objet de discussions paisibles

« Cela a de grandes implications pour le statut des femmes, fait remarquer le théologien Philippe Bordeyne. Quand vous partez d’une solitude originelle et non d’une relation originelle entre l’homme et la femme, vous avez beaucoup plus tendance à développer la spécificité du féminin à partir d’une reconstruction masculine. C’est en quelque sorte une autoroute pour une pensée patriarcale. »

Quarante ans après sa formulation, cette théologie du corps mériterait d’être l’objet de discussions critiques paisibles. « C’est malheureusement souvent impossible. Si on la discute, on passe pour ne pas l’avoir lue ou comprise », regrette Francine Charoy.

 La crise des abus sexuels dans l’Église devrait pourtant rendre ce travail incontournable, tant son langage a pu être dévoyé par les abuseurs, dont certains furent des proches de Jean-Paul II. « Toute cette théologie du corps, qui a fait vibrer beaucoup de clercs, a été le royaume de la perversion pour des abuseurs, poursuit la théologienne. Des victimes ont été confrontées au renversement complet de son discours sur la donation totale par la sexualité. »

 

————-

Pour aller plus loin

La Théologie du corps, Jean-Paul II, Cerf, 2014, 784 p., 39 €.

Quelle éthique théologique de la procréation et de la filiation pour les débats actuels ?, Bruno Saintôt, Revue d’éthique et de théologie morale, n°297, mars 2018.

L’invention chrétienne du corps, Adolphe Gesché, Revue théologique de Louvain, n°2, 2004.

Eros enchaîné. Les chrétiens, la famille et le genre, André Paul, Albin Michel, 2014, 320 p., 20 €

Après la CIASE, penser ensemble l’Église et l’éthique des relations, Revue d’éthique et de théologie morale, n°317, février 2023.

Un corps pour se donner. Aimer en vérité selon Jean-Paul II, Mame, 160 p.

https://www.la-croix.com/Religion/theologie-corps-Jean-Paul-II-vision-sexualite-audacieuse-idealisee-2023-03-23-1201260376

BERNARD SESBOÜE (1929-2021), BIOGRAPHIES, EGLISE CATHOLIQUE, PERE BERNARD SESBOÜE (1929-2021), THEOLOGIE, THEOLOGIEN, THEOLOGIEN FRANCAIS

Père Bernard Sesboüé (1929-2021)


Bernard Sesboüé (1929-2021)

 

Lancien-professeur-faculte-theologie-Centre-Sevres-Paris-Bernard-Sesboue-fevrier-2006_0
P. Bernard SESBOUE (jésuite) professeur à la faculté de théologie du Centre-Sèvres de Paris. Membre du groupe des Dombes depuis 1967, il est Consulteur auprès du Secrétariat romain pour l’Unité des chrétiens. Théologien.

 

Biographie :

Bernard Sesboüé, issu d’une famille très catholique, passe son bac au lycée Notre-Dame-de-Sainte-Croix du Mans, puis une licence de lettres classiques à la Sorbonne.

Il entre dans la Compagnie de Jésus en 1948, au noviciat jésuite de Laval. Il est ordonné prêtre en septembre 1960 à Saint-Leu-d’Esserent par le cardinal Maurice Feltin, archevêque de Paris. Il fait son Troisième an à Paray-le-Monial, puis part à Rome en 1962, alors que s’ouvre le concile Vatican II, pour préparer une thèse de doctorat sur Basile de Césarée.

En 1964, il enseigne la patristique et la dogmatique à la Faculté de théologie jésuite de Fourvière, à Lyon. Il est ensuite professeur au centre Sèvres de Paris de 1974 à 2006.

Il a fait partie de la Commission théologique internationale. Spécialiste de l’œcuménisme, il participe de 1967 à 2005, au groupe des Dombes dont il a été coprésident. Il est consulteur au secrétariat pour l’unité des chrétiens.

En 2011, Bernard Sesboüé a reçu le prix du Cardinal-Grente, de l’Académie française, pour l’ensemble de son œuvre.

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Sesbo%C3%BC%C3%A9

https://www.la-croix.com/Religion/Mort-Bernard-Sesboue-figure-majeure-theologie-XXe-siecle-2021-09-22-1201176663

https://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Bernard-Sesbouee-un-demi-siecle-d-engagement-theologique-_NG_-2007-09-21-526331

doctrine catholique, EGLISE CATHOLIQUE, FILLES ET FILS DE DIEU, HISTOIRE DES DOGMES, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, LUCA CASTIGLIONI, THEOLOGIE

Filles et fils de Dieu de Lucas Castiglioni

Filles et fils de Dieu : égalité baptismale et différence sexuelle

Lucas Castiglioni9782204137263_1_75

Paris, Le Cerf, 2020. 687 pages.

.

Présentation de l’éditeur

En théologie, il y a trois à quatre ouvrages véritablement révolutionnaires par siècle. En voici un ! Qu’en est-il des genres, de l’Église et de ses sacrements ? Un ouvrage visionnaire, courageux, promis au plus dur débat. Un événement.

Un même baptême pour les hommes et pour les femmes, un seul Dieu, une seule foi. Pourtant, la part masculine de l’Église a souvent peur des voix féminines. Interpellée par celles-ci, qu’est-ce que l’Église a entendu ou a cru entendre ? A-t-elle bien écouté ? Les réponses esquissées sont-elles à la hauteur du cri ? À partir de là, comment progresser ?
Prêtre italien animé d’un esprit de discernement, Luca Castiglioni interroge ici la notion de genre : a-t-elle sa place en théologie ?
À la lumière des interprétations historiques, après un diagnostic sur la manière dont l’Église a conçu la condition des femmes et leur prise de parole, Luca Castiglioni sollicite les ressources de la foi chrétienne, des textes de la Genèse et du Cantique des cantiques aux discours de saint Paul et aux récits des relations de Jésus avec les hommes et les femmes. Se dégagent alors de grands défis pour l’Église, y compris l’accès à des ministères consacrés pour les femmes.
Une étude novatrice.

Biographie de l’auteur

Luca Castiglioni est prêtre du diocèse de Milan. Maître en théologie fondamentale à l’université grégorienne de Rome et docteur en théologie des Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), il contribue à la revue La Scuola Cattolica

CHRISTIANISME, EGLISE CATHOLIQUE, JOSEPH MOINGT (1915-2020), L'ESPRIT DU CHRISTIANISME, LITTERATURE CHRETIENNE, LIVRE, LIVRES, LIVRES - RECENSION, THEOLOGIE, THEOLOGIEN

L’esprit du christianisme par Joseph Moingt

L’esprit du christianisme 

Joseph Moingt

Paris, Temps Présent, 2018. 282 pages.

41rk87uBEzL._SX320_BO1,204,203,200_

Théologien jésuite de réputation mondiale, Joseph Moingt est, à 102 ans, une voix libre et très écoutée du monde catholique. Face au constat d’une Eglise en difficulté, qui doit affronter les scandales à répétition et le recul des vocations, Joseph Moingt se demande comment maintenir vivants son héritage et son message. La solution, selon lui, passe par l’émancipation de la foi et par le maintien du lien entre christianisme et raison. Il développe ses arguments autour de trois grandes questions fondamentales qui structurent son livre : la religion, la révélation et le salut. Un thème très actuel surgit au coeur de ces réflexions, celui du rapport aux autres. Comment, en tant que croyant, peut-on être habité parla foi en l’Autre, habillé d’une majuscule sacrée, et rejeter les autres, devenus ennemis parce que différents d’origine, de culture ou de religion ? Pour Joseph Moingt, on ne peut dissocier l’identité de l’Autre et celle des autres. Elles sont une seule et même question qui rebondit de majuscule en minuscule, et inversement, puisque l’Esprit de Dieu se découvre dans l’esprit de l’homme, et réciproquement. Dans cet ouvrage exceptionnellement écrit à la première personne, qu’il présente comme son « livre-testament », l’auteur n’hésite pas à interroger sa propre foi. Si Joseph Moingt, dont le nom est inscrit dans la liste des « dossiers sensibles » du Vatican, prend à nouveau le risque de bousculer son Eglise, c’est avant tout pour l’aider et la rendre audible du plus grand nombre. En quoi il se rapproche de son frère jésuite et lecteur attentif, le pape François.

 

================================

 « L’Esprit du christianisme » par Joseph Moingt

Le théologien jésuite Joseph Moingt prolonge sa réflexion sur la foi chrétienne face à l’incroyance et au doute, en questionnant certaines formulations du dogme chrétien. Un ouvrage qui met la foi au travail.

 

Le théologien Joseph Moingt a aujourd’hui 103 ans et, pour la première fois, il prend la plume à la première personne du singulier. Ce « je » est essentiel à la compréhension de ce livre, qu’il présente comme son ultime écrit, où il poursuit et approfondit le projet qui est le sien depuis plusieurs décennies : repenser la foi chrétienne dans la situation de déclin et la menace d’effacement qu’elle affronte aujourd’hui, pour lui redonner un avenir.

Le jésuite a consacré sa vie à l’intelligence de la foi chrétienne, comme enseignant à l’Institut catholique de Paris et au Centre Sèvres, comme directeur de la revue Recherches de sciences religieuses (RSR) et, depuis trente ans, comme auteur de sommes théologiques essentielles (L’Homme qui venait de DieuDieu qui vient à l’homme…). S’il emploie dans cet ouvrage un ton plus personnel, c’est parce qu’il a conscience que ce livre est plus audacieux, plus risqué aussi, que les précédents dans son effort de concilier la foi et la raison.

Porter la foi vers demain

Le travail théologique de Joseph Moingt est marqué par une constante : le refus de surmonter les obstacles que l’intelligence rencontre dans l’acte de croire en glissant du côté de l’irrationnel ou en cédant à un sens du « mystère » frelaté. Son honnêteté intellectuelle est totale, parce qu’il prend en charge, pour lui-même d’abord, la question de l’incroyance et le défi que pose la perte du sens de la foi. L’importance qu’il confère à la raison humaine n’est pas une concession au rationalisme. Elle est un témoignage rendu au Dieu de Jésus-Christ qui jamais n’humilie l’homme qu’Il a créé à son image.

C’est avec cet arrière-plan qu’il convient d’aborder cet ouvrage où l’auteur confie chercher « à exprimer l’essentiel de ma foi et de ma vie religieuse dans un langage pleinement accessible à ma raison naturelle ». Pour répondre à une crise profonde où l’Église est interrogée sur « la question de sa propre vérité », Joseph Moingt recherche les « outres neuves », qui pourront porter la foi vers demain.

Retrouver « l’esprit du christianisme »

Pour cela, le théologien puise aux sources de la tradition apostolique, méditant essentiellement saint Paul et saint Jean pour retrouver « l’esprit du christianisme » et le libérer de la gangue religieuse qu’il a revêtue au tournant du IIIe siècle, pour faire face à la grave crise gnostique. Tournant qui le conduisit à adopter une théologie du sacrifice et de la rédemption, une Église hiérarchique et un corps de prêtres, un culte et un ritualisme que l’auteur juge étrangers aux sources scripturaires qu’il privilégie et qu’il veut nous faire entendre.

Cette lecture dessine clairement un avant et un après, une rupture nette sur laquelle historiens et théologiens auront matière à débattre. Toutefois, en différenciant la prédication apostolique de la tradition de l’Église qui lui succède, Joseph Moingt prend soin de ne pas les opposer. À ses yeux, cette dernière a conservé « l’essentiel » de la prédication apostolique. Il écrit aussi qu’elle l’a « recouvert » mais « pas au point de l’effacer ». En sorte que le théologien se voit « fondé à penser qu’il (lui) sera possible de dénoncer et d’amender les écarts de son discours par rapport à sa source apostolique en [se] recommandant de la même foi ».

 

Peu de théologiens font entendre aussi nettement la voix du Dieu

« Dénoncer et amender les écarts », Joseph Moingt le fait en revisitant vigoureusement les principaux dogmes de la foi (Incarnation, Trinité, Salut…), sans se soucier d’abord d’orthodoxie. Il questionne les héritages religieux, mythologiques et philosophiques qu’ils contiennent à la recherche d’un sens universellement partageable du salut chrétien. On pourra le lui reprocher, juger certaines propositions téméraires, contestables.

Prévenons le lecteur catholique : chacun d’entre nous trouvera dans ces pages une raison (ou plusieurs) d’être questionné, déplacé et/ou choqué. On pourra donc discuter cet ouvrage, le critiquer, l’amender, le prolonger, mais on aurait tort de le pourfendre ou de l’ignorer, car peu de théologiens font entendre aussi nettement la voix du Dieu qui « a tant aimé le monde » (Jean 3, 16).

 

https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/LEsprit-christianisme-Joseph-Moingt-2019-01-17-1200996078

 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

Mort de Joseph Moingt, la foi en perpétuel questionnement

Joseph-Moingt-jesuite-1915-Salbris-Loir-Cher_0_729_487
Joseph Moingt, jésuite, est né en 1915 à Salbris (Loir-et-Cher). Après les études habituelles de philosophie et de théologie à la Compagnie de Jésus, il a suivi l’École Pratique des Hautes Études et a soutenu une thèse de théologie à l’Institut Catholique de Paris. Il a enseigné la théologie successivement à la Faculté jésuite de Lyon-Fourvière, à l’Institut Catholique de Paris et aux Facultés de Philosophie et de Théologie de la Compagnie de Jésus à Paris (Centre Sèvres). Il a dirigé la revue Recherches de Science religieuse de 1968 à 1997. Auteur d’un grand nombre d’articles et de divers livres, il a produit un remarquable travail de synthèse portant sur Jésus-Christ et qui s’intitule L’homme qui venait de Dieu (725 p., Cerf, 1993, plusieurs fois réimprimé). Le grand public connaît surtout J. Moingt par un livre de vulgarisation qui a connu un vif succès, La plus belle histoire de Dieu (Seuil, 1997, en collaboration avec J. Bottéro et M.-A. Ouaknin, réédité en format de poche), ainsi que par Les Trois Visiteurs (Desclée de Brouwer, 1999).

Le théologien jésuite, décédé mardi 28 juillet à 104 ans, a consacré toute sa vie à l’intelligence de la foi chrétienne, comme enseignant de théologie et comme auteur d’ouvrages essentiels. Sa pensée s’est toujours voulue libre, assumant sa puissance corrosive, quitte à choquer au sein même de l’Église.

À 103 ans, Joseph Moingt avait encore puisé dans son inaltérable vigueur intellectuelle pour définir « L’esprit du christianisme » dans ce que son éditeur présentait alors comme son livre testament (1). Écrit de manière inédite à la première personne, l’ouvrage résumait les questionnements d’une vie d’un théologien dont la liberté fut toujours le maître mot. Quitte à remettre en question des dogmes, à développer des théses qui contribuaient à la réflexion mais rarement à l’unanimité.

« Chacun d’entre nous trouvera dans ces pages une raison (ou plusieurs) d’être questionné, déplacé et/ou choqué, écrivait à cette occasion Élodie Maurot dans La Croix le 17 janvier 2019. On pourra donc discuter cet ouvrage, le critiquer, l’amender, le prolonger, mais on aurait tort de le pourfendre ou de l’ignorer, car peu de théologiens font entendre aussi nettement la voix du Dieu qui « a tant aimé le monde » (Jean 3, 16). »

C’est ce monde que le père Joseph Moingt a quitté, mardi 28 juillet, à l’âge de 104 ans. Ses obsèques seront célébrées samedi 1er août à 10 h 30 en l’église Saint François d’Assise de Vanves (Hauts-de-Seine).

 Il réconfortait les chrétiens ébranlés

Il y a tout juste dix ans, le théologien jésuite sillonnait encore la France, toujours vif et plein d’humour pour évoquer « Croire quand même » (2) publié sous le pontificat de Benoît XVI à une époque où de nombreux fidèles se sentaient mal à l’aise avec « l’option choisie par Rome d’un retour au passé », selon le vieux jésuite. Multipliant les conférences, il s’employait à fortifier des chrétiens ébranlés dans leur foi et parfois tentés de quitter l’Église. « Restez », leur disait-il.

Il pouvait se permettre d’aborder sans fard la crise du christianisme, s’appuyant sur la légitimité que confèrent des décennies de travail et d’engagement théologique. Né en 1915, à Salbris (Loir-et-Cher), et entré fin 1938, à 23 ans, dans la Compagnie de Jésus, le père Moingt aura consacré toute sa vie à l’intelligence de la foi chrétienne.

Il enseigna la théologie à partir de 1956, à la Faculté jésuite de Fourvière, à Lyon, puis à partir de 1968, à l’Institut catholique de Paris (ICP). En 1970, il fut engagé pour donner des cours de christologie dans le cadre du Cycle C (formation pour les laïcs en cours du soir à l’ICP), ainsi qu’au scolasticat jésuite de Chantilly (Oise). À partir de 1974, il livre sa pensée au Centre Sèvres, ne s’interrompant qu’en 2002, à 87 ans…

 

Rendre accessibles les sujets doctrinaux

Ayant pris sa retraite de la Catho de Paris à 65 ans, le jésuite continua ses recherches théologiques et la publication d’ouvrages importants, en particulier « Croire au Dieu qui vient » (2 tomes, Gallimard, 2014 et 2016) dans lequel il tentait de rendre accessibles les sujets doctrinaux sur lesquels il travaillait depuis plus de soixante ans : Comment dire l’humanité du Christ s’il est né d’une femme vierge ? Comment expliquer la Trinité si on ne peut différencier l’Esprit du Père de celui du Fils ?

Des questions qu’il approfondissait pour repenser certaines formulations du dogme chrétien. Lui qui, pendant ses expériences paroissiales à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), puis à Poissy (Yvelines) et Sarcelles (Val-d’Oise), avait mis en place « des groupes de laïcs fréquentant l’Eucharistie mais ayant besoin de se retrouver pour des partages d’Évangile ou des relectures de vie », annonçait une « Église en diaspora », fondée sur des chrétiens, certes bien moins nombreux, mais mieux formés et vivant une vie spirituelle et apostolique réelle.

Car pour Joseph Moingt, ce n’est pas en se focalisant sur l’institution ecclésiale que l’on pourra mener une réforme radicale du catholicisme, mais en revenant à l’Évangile. « Il y a urgence à repenser toute la foi chrétienne pour dire “Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme” dans le langage d’aujourd’hui et en continuité avec la Tradition », répétait-il en puisant sur son immense culture théologique et biblique pour confirmer que l’Église ne peut s’imaginer un avenir avec des réponses dogmatiques et qu’il faut qu’en son sein des théologiens « fassent du neuf sans être menacés d’excommunication ». En ce qui le concerne, sa plume n’a jamais été motivée par la peur d’une sanction ecclésiale, mais plutôt par le désir d’écrire en accord avec sa foi. Et puis, « à mon âge, on ne risque plus grand-chose ! ».

La liberté, toujours. Dans « Croire quand même », il disait : l’Église a un avenir, mais celui-ci n’est pas à chercher ailleurs que « dans la liberté que l’Évangile lui ouvre ».

 

(1) L’Esprit du christianisme, 2018, Temps présent, 282 p., 22 €

(2) Croire quand même, Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme, avec Karim Mahmoud-Vintam et Lucienne Gouguenheim, Temps Présent, coll. « Semeurs d’avenir », 2010, 245 p., 19 €