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Mardi 1er novembre : Fête de la Toussaint : lectures et commentaires

Mardi 1er novembre 2022 : Fête de la Toussaint

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

PREMIERE LECTURE –

LECTURE DU LIVRE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN 7, 2 – 4. 9 – 14

Moi, Jean,
2 j’ai vu un ange
qui montait du côté où le soleil se lève
avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ;
d’une voix forte, il cria aux quatre anges
qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer :
3 « Ne faites pas de mal à la terre,
ni à la mer, ni aux arbres,
avant que nous ayons marqué du sceau
le front des serviteurs de notre Dieu. »
4 Et j’entendis le nombre
de ceux qui étaient marqués du sceau :
ils étaient cent quarante-quatre mille,
de toutes les tribus des fils d’Israël.

9 Après cela, j’ai vu :
et voici une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer,
une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
10 Et ils s’écriaient d’une voix forte :
« Le salut appartient à notre Dieu,
qui siège sur le Trône,
et à l’Agneau ! »
11 Tous les anges se tenaient debout autour du Trône,
autour des Anciens et des quatre Vivants ;
se jetant devant le Trône, face contre terre,
ils se prosternèrent devant Dieu.
12 Et ils disaient :
« Amen !
Louange, gloire, sagesse et action de grâce,
honneur, puissance et force
à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
13 L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :
« Ces gens vêtus de robes blanches,
qui sont-ils ? et d’où viennent-ils ? »
14  Je lui répondis :
« Mon seigneur, toi, tu le sais. »
Il me dit :
« Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
ils ont lavé leurs robes,
ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »

LA FOULE DES BAPTISES
« Moi, Jean, j’ai vu » il s’agit donc d’une vision : « Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève », et un peu plus loin : « Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer ». Nous sommes prévenus : la description qui va suivre, et qui, ici, est superbe, grandiose, est d’ordre mystique : il n’est pas question de la prendre au pied de la lettre ; pour la comprendre, il faut nous laisser prendre, elle nous emporte dans un autre monde.
Lorsque l’apôtre Jean raconte la vision qu’il a eue à Patmos, ses auditeurs comprennent fort bien ce qu’il veut leur dire ; pour nous c’est moins clair ; je vais donc reprendre les éléments les uns après les autres.
Jean nous décrit une immense procession composée de deux foules distinctes : la première est composée de cent quarante-quatre mille personnes, (bien sûr, c’est un chiffre symbolique) qu’il appelle les serviteurs de Dieu. Ils sont marqués du « sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ». C’est le Baptême*. Voici donc le peuple des baptisés : c’est à eux que Jean adresse son Apocalypse.
Il décrit ensuite une autre foule : c’est une foule immense, innombrable, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Vous notez au passage qu’il y a quatre termes dans cette énumération : le chiffre quatre dans ce genre de textes évoque le monde créé, le cosmos et donc aussi l’humanité (peut-être en référence aux quatre points cardinaux). Cette foule de « toutes nations, tribus, peuples et langues » représente donc l’humanité. Ils sont en vêtements blancs, ce qui veut dire qu’ils ont revêtu la robe des noces ; ensuite, ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, avec des palmes à la main. La position debout (qui est la posture du ressuscité), la robe nuptiale, les palmes de la victoire, tout nous dit qu’ils sont sauvés.
Et d’ailleurs, ils le proclament : « Le salut appartient (sous-entendu est donné par) à notre Dieu qui siège sur le Trône, et à l’Agneau ! »
Et pourtant les membres de cette deuxième foule ne sont pas marqués du sceau du Baptême. Qui les a introduits dans le salut ? La foule des cent quarante-quatre mille justement. Les cent quarante-quatre mille, je vous ai dit que ce sont les baptisés, les contemporains de Saint Jean. Or ils sont à ce moment précis affrontés à une terrible persécution, celle de l’empereur Domitien à la fin du premier siècle.
ET LA FOULE INNOMBRABLE DES HOMMES SAUVES
Je crois que le message de l’Apocalypse aux chrétiens persécutés est le suivant : tenez bon ; votre témoignage portera ses fruits. Dans votre épreuve se trouve le salut de tous les hommes. Grâce à vous, grâce à vos souffrances endurées dans « la grande épreuve » (v. 14) de la persécution, la foule innombrable des nations sera sauvée.
Evidemment, on peut se poser deux questions : tout d’abord, pourquoi la souffrance des uns entraîne-t-elle le salut des autres ? D’autre part, pourquoi Jean parle-t-il ainsi dans un langage tellement codé que nous avons du mal à le déchiffrer. Pourquoi ne parle-t-il pas en clair ?
A propos de la souffrance des uns qui entraîne le salut des autres, c’est le grand mystère dont le prophète Isaïe parlait dans les chants du serviteur souffrant : il disait que le cœur du bourreau ne peut être touché que par la prise de conscience de la douleur de ses victimes. « Reconnu juste, mon serviteur dispensera la justice », disait Isaïe (Is 53). Zacharie reprenait la même méditation lorsqu’il disait : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10) et ce jour-là leur cœur sera enfin changé. Et l’évangéliste Jean lui-même a précisément repris cette phrase dans le récit de la Mort du Christ. Ici, Jean dit la même chose à ses frères persécutés : dans vos souffrances, se trouve le salut de vos frères.
Pourquoi saint Jean ne parle-t-il pas en clair ? C’est tout le problème du style de son discours, il s’agit de ce que l’on appelle une « Apocalypse » ; c’est-à-dire que c’est un écrit clandestin qui circule sous le manteau, à la barbe des autorités ; ici, il s’agit des autorités romaines, à la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Ce livre s’adresse donc à des croyants qui vivent sous la menace perpétuelle de la persécution ; et donc, il se présente comme tous les messages de réseaux de résistance, avec un langage codé, compréhensible par les seuls initiés. C’est la première caractéristique de ce genre littéraire : tous les écrits apocalyptiques rapportent des visions et emploient des images et des nombres symboliques.
La deuxième caractéristique des Apocalypses, c’est leur thème. Dans toutes les périodes sombres de l’histoire d’Israël, Dieu a suscité des prophètes dont la mission était de réveiller l’espérance ; en période de persécution, le discours tenu pour réveiller les énergies consiste à dire : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Les vrais vainqueurs en définitive, c’est vous, les croyants, à l’image du Christ lui-même ; il est l’Agneau apparemment vaincu, égorgé, mais en réalité, il a vaincu le monde, il a vaincu la mort. **
Alors, on comprend le titre de ce livre « Apocalypse » qui signifie « lever le voile » ; une « apocalypse » est toujours une « révélation », un « dévoilement » au sens de « retirer un voile ». Cet écrit lève le voile de l’apparence (à savoir la domination triomphante de Rome) et il annonce, il révèle la victoire de Dieu et de son Christ sur toutes les forces du mal, si terrifiantes soient-elles.
Nous retrouvons ces deux caractéristiques dans le texte d’aujourd’hui.
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Complément
–  C’était l’usage dans l’armée romaine de marquer les recrues d’un signe sur le front ; de la même manière, le baptisé était devenu soldat du roi des cieux. Le sceau protecteur était également un thème connu de l’Ancien Testament (Ex 12,7 ; Ez 9,4).
– Apocalypse : Jean voit la victoire des pauvres et des petits, non pas comme une revanche mais comme le dévoilement de la victoire de Dieu sur les forces du mal

PSAUME – 23 (24)

1 Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
2 C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

3 Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
et se tenir dans le lieu saint ?
4 L’homme au coeur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

5 Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
6 Voici le peuple de ceux qui le cherchent
qui recherchent la face de Dieu !

QUI PEUT GRAVIR LA MONTAGNE DU SEIGNEUR ?
Comme dans tout psaume, Nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’approche ; à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (Vous vous souvenez que le Temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ».
C’est le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint, Saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers » proclament les séraphins pendant l’extase de la vocation d’Isaïe… (Is 6,3) et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir », comme dit Isaïe, en sa compagnie. Vous voyez combien ce psaume consonne avec la fête de tous les saints. Ils ont « gravi la montagne du SEIGNEUR », ils sont admis en présence du Dieu saint et ils chantent désormais le chant d’Isaïe, celui auquel nous unissons nos voix chaque dimanche, comme le dit la Préface de la Toussaint : juste avant de chanter ce que nous appelons le Sanctus, le prêtre dit « C’est pourquoi avec cette foule immense que nul ne peut dénombrer, avec tous les anges du ciel, nous voulons te chanter… »
Le psaume continue : « l’homme au cœur  pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; nous retrouvons là une expression que nous connaissons bien : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; même chose dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par Saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » : « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.
UN CŒUR PUR, ENTIEREMENT TOURNE VERS DIEU
« L’homme au cœur  pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens  qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le coeur pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.
« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.
Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au cœur  pur, aux mains innocentes… qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. « L’homme au coeur pur, aux mains innocentes, (c’est celui) qui ne livre pas son âme aux idoles. »
Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener tout au long de l’histoire d’Israël pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; depuis la sortie d’Egypte (vous vous rappelez l’épisode du veau d’or), et jusqu’à l’Exil à Babylone et même au-delà ; il faut dire qu’à toutes les époques, Israël a été en contact avec une civilisation polythéiste ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. Au passage, il faut noter que l’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.
Effectivement, c’est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; bien sûr, à un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au cœur  pur deviendra peu à peu un homme au cœur  de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.
En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés… Heureux les cœurs  purs, ils verront Dieu ». La dernière phrase « Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu ! » est peut-être une bonne définition de la pauvreté de cœur  dont parle Jésus dans les Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur  : le Royaume des cieux est à eux ! »

DEUXIEME LECTURE –

LECTURE DE LA PREMIERE LETTRE DE SAINT JEAN 3, 1 – 3

Bien-aimés,
1 voyez quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu
– et nous le sommes.
Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
C’est qu’il n’a pas connu Dieu.
2 Bien-aimés,
dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
Nous le savons : quand cela sera manifesté,
nous lui serons semblables
car nous le verrons tel qu’il est.
3 Et quiconque met en lui une telle espérance
se rend pur comme lui-même est pur.

L’URGENCE D’OUVRIR LES YEUX
 « Mes bien-aimés, voyez… » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », disaient les prophètes : voilà le drame de l’homme. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son dessein bienveillant, comme dirait Saint Paul ; Saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.
Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu’un texte.
Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Eve dans le jardin d’Eden : c’est bien une affaire de regard ; le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor : un jardin avec des quantités d’arbres ; « Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 2,9). Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas… » Alors le serpent, pour séduire Eve, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. »  Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l’accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent… » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu’ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.
Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de Saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Eve a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de Saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean. (Jn 17,3).
UNE MULTITUDE DE FILS
Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; Saint Paul, dans la lettre aux Ephésiens, dit : « Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ, ainsi l’a voulu sa bienveillance. » (Ep 1,5). C’est ce qu’il appelle le « dessein bienveillant de Dieu » qui consiste à réunir toute l’humanité en un seul être, dont la tête est Jésus-Christ et dont nous sommes les membres. Jean ne dit pas autre chose : Jésus est le Fils par excellence et nous qui sommes ses membres, nous sommes appelés, c’est logique, enfants de Dieu. Et il continue : « et nous le sommes » ; c’est déjà devenu une réalité par notre Baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres. Paul dit exactement la même chose « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27).
Comme dit encore Jean dans le Prologue de son évangile : « A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12 ). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet Esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père : « Dieu a envoyé dans nos cœurs  l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4,4). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez Saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.
En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». les non-croyants ; Comme dit Jean : « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. A ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »

EVANGILE – SELON SAINT MATTHIEU 5, 1-12a

En ce temps-là,
1  voyant les foules,
Jésus gravit la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2  Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
Il disait :
3  « Heureux les pauvres de cœur,
car le royaume des Cieux est à eux.
4  Heureux ceux qui pleurent :
car ils seront consolés.
5 Heureux les doux,
car ils recevront la terre en héritage.
6  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
car ils seront rassasiés.
7  Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8  Heureux les cœurs  purs,
car ils verront Dieu.
9  Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
car le royaume des Cieux est à eux !
11  Heureux êtes-vous si l’on vous insulte,
si l’on vous persécute
et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
à cause de moi.
12  Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse,
car votre récompense est grande dans les cieux ! » »

LE DON DES LARMES
Commençons par ce qui risque de nous choquer : « Heureux ceux qui pleurent ». Qui d’entre nous oserait dire une chose pareille devant quelqu’un qui pleure ? Et souvenons-nous que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur !
Tout d’abord, il faut s’entendre sur le mot « heureux » : les auditeurs de Jésus le connaissaient bien car il était très habituel dans l’Ancien Testament. Contrairement à ce que nous imaginons, ce n’est pas un constat de bonheur du genre « tu en as de la chance ! », c’est un encouragement à tenir bon. André Chouraqui le traduisait « En marche » : sous-entendu, « Tu es bien parti. Tu es bien en marche vers le royaume. » On peut l’entendre aussi comme « Tiens bon, garde le cap ». Adressée à des gens qui pleurent, cela voudrait dire : « Ne vous laissez pas décourager, ne changez pas de ligne de vie pour autant ».
Ensuite, sans parler des larmes de bonheur, évidemment, il y a des larmes qui sont bénéfiques : celles du repentir de saint Pierre, par exemple, dont parle le Pape Benoît XVI dans son livre sur Jésus. C’est là que l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu. Il y a également celles que nous versons lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance ou le chagrin des autres. Dans ces cas-là, nous sommes sur le bon chemin, nos cœurs de pierre sont en train de devenir des cœurs  de chair, pour reprendre l’expression du prophète Ezéchiel. On pourrait dire la même chose lorsque nous pleurons devant la cruauté de certains, devant ce que j’appellerais la dureté du monde.1
Enfin, il y a là très certainement, de la part de Jésus l’annonce que le temps du Messie est venu, le temps où s’instaurera le bonheur promis à l’humanité.
Je reviens à la première béatitude : « Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux ». Il me semble que cette béatitude-là contient toutes les autres, qu’elle est le secret de toutes les autres. Evidemment, ce n’est pas une idéalisation de la pauvreté matérielle : la Bible présente toujours la pauvreté comme un mal à combattre ; mais d’abord, il faut bien dire que ce n’étaient pas les gens socialement influents, importants qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus ! On lui a assez reproché de frayer avec n’importe qui !
Deuxièmement, le mot « pauvres » dans l’Ancien Testament n’a pas toujours un rapport avec le compte en banque : les « pauvres » au sens biblique (les « anavim ») ce sont ceux qui n’ont pas le coeur fier ou le regard hautain, comme dit un psaume ; on les appelle « les dos courbés » : ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d’eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler. Nous retrouvons ici sous la plume de Matthieu un écho de la parabole du pharisien et du publicain : le pharisien pourtant extrêmement vertueux ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son cœur  était plein de lui-même ; le publicain, notoirement pécheur, se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, alors il était comblé.
HEUREUX LES PAUVRES, LES RICHESSES DE DIEU SONT A VOUS
La qualité dont il s’agit ici, c’est « l’esprit de pauvreté », c’est-à-dire la qualité de « celui qui a pour refuge le nom du SEIGNEUR », comme le dit Sophonie, celui qui a besoin de Dieu, celui qui reçoit tout de Dieu comme un cadeau : celui qui prie humblement « Kyrie eleison », Seigneur prends pitié. Et qui attend de Dieu et de lui seul tout ce dont il est question dans les autres Béatitudes : être capable de miséricorde, c’est-à-dire de pardon et de compassion, être artisan de paix, être doux, ou non-violent, être affamé et assoiffé de justice ; car tout cela est cadeau ; et nous ne pouvons mettre véritablement ces talents au service du Royaume que quand nous les recevons dans cet esprit. Au fond, la première Béatitude, c’est celle qui nous permet de recevoir toutes les autres. Heureux, les pauvres : mettez votre confiance en Dieu : Il vous comblera de ses richesses … SES richesses… « Heureux » …  cela veut dire « bientôt on vous enviera » !
Tous ceux qui attendent tout de Dieu, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces béatitudes sont, comme leur nom l’indique, des bonnes nouvelles ; quelques lignes avant cet évangile des Béatitudes, Matthieu disait : « Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Mais ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Dieu se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples.
De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur , la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution… Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.
Autre bonne nouvelle : de cela nous sommes tous capables !
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Note
1 – D’après Ezéchiel, seront marqués d’un signe spécial au Jour du Jugement, ceux qui auront pleuré devant les douleurs et les méfaits du monde (Ez 9,4).

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Nos amis les saints de Georges Bernanos

NOS AMIS LES SAINTS, DE GEORGES BERNANOS

toussaint

Georges Bernanos, « Nos amis les Saints »  Tunis, 1947.

 Nos amis les saints… Ces grandes destinées échappent, plus que toutes les autres, à n’importe quel déterminisme : elles rayonnent, elles resplendissent d’une éclatante liberté. Si le père de Foucauld en personne m’avait demandé cette conférence, je me demande si je n’aurais pas réussi à trouver quelque raison de lui refuser et son indulgence l’eût probablement jugée valable. Mais il m’a fait demander la chose par ses filles, et me voilà ici devant vous, nous voilà tous rassemblés ici pour bien prouver que les filles du père de Foucauld finissent toujours par faire ce qu’elles veulent. Ce n’est peut-être pas tout à fait un miracle, mais ça y ressemble déjà pas mal. Admettons que ce soit un miracle préparatoire. Car ayant imprudemment décidé de vous parler ce soir d’un pays où je n’ai jamais mis les pieds, bien que je sois un vieux voyageur, dont je ne suis même nullement sûr d’avoir jamais rencontré un seul habitant authentique, un seul autochtone, bref, puisque j’ai décidé de vous parler des saints et de la sainteté, le miracle, le vrai miracle, le miracle incontestable serait que vous réussissiez à m’écouter sans ennui… Enfin que voulez-vous que je vous dise ? Tâchez d’être le plus indulgent possible : c’est mon premier sermon. Vous me direz que j’aurais pu choisir un autre sujet. Ce n’est pas sûr ; le plus souvent, voyez-vous, ce n’est pas nous qui choisissons le sujet, c’est le sujet qui nous choisit. Les amateurs de littérature croient volontiers qu’un écrivain fait ce qu’il veut de son imagination. Hélas, l’autorité de l’écrivain sur son imagination d’écrivain est à peu près celle que le Code civil nous garantit vis-à-vis de nos charmantes et pacifiques compagnes, vous voyez d’ici ce que je veux dire ?

Lorsque m’est parvenue la lettre que Sœur Simone du Cœur Eucharistique m’avait fait l’honneur de m’écrire, mon premier mouvement – je crois l’avoir déjà dit – a été de me dérober, dans le sens où on dit qu’un cheval se dérobe. Si je ne refuse pas l’obstacle du premier coup, j’aime autant, après, le sauter à fond comme les vieux chevaux consciencieux qui le prennent toujours au centre à l’endroit le plus haut… « Ah ! c’est donc comme ça, ai-je pensé. Tant pis pour eux ! Je vais leur parler de la sainteté. » Mais, soyons francs, le sujet, le fameux sujet m’avait déjà mis le grappin dessus, et je sentais très bien que le sort en était jeté, que je ne pourrais pas vous parler d’autre chose. Et d’abord qu’est-ce que je me propose de faire en parlant des saints ? Oh ! certainement pas de vous édifier ! Si je vous édifie ce sera du moins sans le faire exprès, je vous assure. Nous allons essayer de parler des saints, tranquillement, comme les enfants parlent entre eux des grandes personnes. Nous ne prétendons rien d’autre qu’échanger nos impressions sur ces hommes à la fois si éloignés et si proches de nous. Cela me rappelle un vers célèbre d’Éluard dans son poème Guernica : « La Mort si difficile… et si facile… ». On pourrait très bien en dire autant de la sainteté… Elle nous paraît terriblement difficile, peut-être simplement parce que nous ne savons pas, nous ne nous demandons même jamais sérieusement ce qu’elle est. Il en est de même pour les enfants qui parlent des grandes personnes. Ils ne savent pas ce qu’ils en pensent, ils n’osent pas savoir ce qu’ils en pensent, ils se contentent de jouer au monsieur et à la dame. Puis, peu à peu, à force de jouer ainsi aux grandes personnes, ils deviennent grands à leur tour. Peut-être la recette est-elle bonne ?

Peut-être, à force de jouer aux saints, finirions-nous par le devenir ? En tout cas, il semble bien que la petite Sœur Thérèse ne s’y soit pas prise autrement. On pourrait dire qu’elle est devenue sainte en jouant aux saints avec l’Enfant Jésus, comme un petit garçon qui, à force de faire tourner un train mécanique devient, presque sans y penser, ingénieur des chemins de fer, ou même plus simplement chef de gare… Permettez-moi de m’en tenir un moment à cette comparaison de chemin de fer. Je ne la trouve pas si bête, après tout… On peut parfaitement imaginer l’Église ainsi qu’une vaste entreprise de transport, de transport au paradis, pourquoi pas ? Eh bien, je le demande, que deviendrions-nous sans les saints qui organisent le trafic ? Certes, depuis deux mille ans, la compagnie a dû compter pas mal de catastrophes, l’arianisme, le nestorianisme, le pélagianisme, le grand schisme d’Orient, Luther … pour ne parler que des déraillements et télescopages les plus célèbres.

Mais, sans les saints, moi je vous le dis, la chrétienté ne serait qu’un gigantesque amas de locomotives renversées, de wagons incendiés, de rails tordus et de ferrailles achevant de se rouiller sous la pluie. Aucun train ne circulerait plus depuis longtemps sur les voies envahies par l’herbe. Oh ! je sais bien que certains d’entre vous se disent en ce moment que je fais la part trop belle aux saints, que je donne trop d’importance à des gens tout de même un peu en marge, et que j’ai tort de les comparer à de paisibles fonctionnaires, d’autant plus qu’en dépit de toute tradition administrative, ils bénéficient de l’avancement au mérite et non pas à l’ancienneté, qu’on les voit passer brusquement du modeste emploi d’homme d’équipe à celui d’inspecteur général ou de directeur de la compagnie, alors même qu’ils en ont été fichus brutalement à la porte, comme Jeanne d’Arc, par exemple. Mais je crois qu’il vaut mieux arrêter là mes comparaisons ferroviaires, ne serait-ce que pour épargner l’amour-propre, toujours un peu scrupuleux, de MM. les ecclésiastiques particulièrement ; c’est trop naturel, de ceux qui m’ont fait l’honneur de venir m’entendre et qui doivent se demander avec inquiétude de quoi ils sont, au juste, chargés dans cette imaginaire compagnie de transport : la distribution des billets ou la police des gares ? …

Je voudrais que vous reteniez seulement de mon propos cette idée que l’Église est en effet un mouvement, une force en marche, alors que tant de dévots et de dévotes ont l’air de croire, feignent de croire, qu’elle est seulement un abri, un refuge, une espèce d’auberge spirituelle à travers les carreaux de laquelle on peut se donner le plaisir de regarder les passants, les gens du dehors, ceux qui ne sont pas pensionnaires de la maison, marcher dans la crotte. Oh ! il est certainement parmi vous de ces hommes du dehors que scandalise profondément la sécurité des chrétiens médiocres, sécurité qui ressemble à la légendaire sécurité des imbéciles – probablement parce que c’est la même – …

Mon Dieu, croyez-moi, je ne me fais pas tellement d’illusions sur la sincérité de certains incroyants, je n’entre pas dans tous leurs griefs, je sais que beaucoup d’entre eux s’efforcent de justifier leur propre médiocrité par la nôtre, rien de plus. Mais je ne peux pas m’empêcher de les aimer, je me sens terriblement solidaire de ces gens qui n’ont pas encore trouvé ce que j’ai reçu moi-même sans l’avoir mérité, sans l’avoir seulement demandé, dont je jouis dès le berceau, pour ainsi dire, et par une sorte de privilège dont la gratuité m’épouvante.

Car je ne suis pas un converti, j’ai presque honte de l’avouer, puisque depuis une vingtaine d’années la mode est aux convertis, peut-être parce que les convertis parlent beaucoup, parlent énormément de leur conversion, un peu à la manière de ces malades guéris qui ne nous font grâce d’aucun des détails de leur ancienne maladie, vous assomment d’élixirs et de pilules. Faut-il ajouter que les cléricaux ont beaucoup de goût pour cette sorte de gens, et il est certain que leur témoignage a la même valeur publicitaire que celui de ces messieurs dont on voit la photographie à la quatrième page des journaux.

L’histoire religieuse – l’histoire religieuse est sans doute un mot trop prétentieux – disons donc la chronique dévote de la première moitié du siècle est pleine de conversions littéraires. Une des plus célèbres fut celle de M. Paul Claudel qui nous a retracé toutes les circonstances de ce matin mémorable où, dissimulé derrière une colonne de Notre-Dame de Paris, il a senti tout à coup ce mystérieux mouvement intérieur, ce spasme spirituel, cette espèce d’éternuement de l’âme par laquelle a commencé une prestigieuse carrière de poète catholique qui vient de recevoir son couronnement à l’Académie française comme sa nomination au poste envié de Washington avait mis le sceau suprême à la carrière, non moins prestigieuse, du fonctionnaire. Nous avons connu d’autres conversions littéraires presque aussi retentissantes, bien que souvent moins solides, celle de M. Cocteau par exemple, signée par M. Jacques Maritain (les conversions littéraires peuvent être signées comme des toiles de maître) ou celle -portant la même signature- de ce pauvre Sachs qui alla, lui, jusqu’au séminaire et dont la première soutane avait été coupée chez Paquin. N’importe ! Je m’excuse de m’être laissé aller à ces plaisanteries sur les convertis, mais elles ne leur font pas grand mal, et je leur reproche de ne pas comprendre toujours grand-chose à ceux dont ils ont partagé auparavant l’erreur, ce qui est d’ailleurs parfaitement naturel, car il est rare qu’un converti ne se soit pas un peu converti aux dépens de quelqu’un ou de quelque chose…

Mais un chrétien tel que moi, ou que beaucoup d’entre vous pour lesquels la foi catholique est un élément hors duquel ils ne pourraient pas plus vivre qu’un poisson hors de l’eau, comment voudriez-vous qu’ils ne sentissent pas de l’angoisse, et comme une sorte de honte, en face de ceux de leurs frères incompréhensiblement privés de ce qui ne leur a jamais manqué une seconde ? Si j’étais converti pour ma part, j’aurais beau me répéter sans cesse que ce n’est pas moi qui ai trouvé Dieu, que c’est Lui qui m’a trouvé, c’est là un de ces raisonnements dont on cherche plutôt à se rassurer qu’à se convaincre. Au lieu que je ne saurais pas plus me vanter d’être chrétien que de parler correctement ma langue maternelle.

Comment voudriez-vous que je ne me sente pas gravement et profondément engagé vis-à-vis de ceux qui doivent, pour apprendre ce langage, oublier péniblement le leur, celui dont ils se sont toujours servis ? Que les chrétiens qui m’écoutent veuillent bien me pardonner. N’y eût-il parmi eux qu’un seul étranger à notre foi, c’est pour lui seul que je parlerais en ce moment. Je rougirais trop qu’il s’imaginât que je m’adresse à lui du plus profond, du plus creux de ma sécurité de croyant -comme d’un gîte sûr et tiède-, que je reste étranger à son risque.

Ce n’est pas vrai, non ce n’est pas vrai que la foi est une sécurité, du moins au sens humain du mot. Oh ! sans doute, on rencontre, de par le monde, beaucoup de chrétiens médiocres qui ne demandent pas mieux que de se faire des illusions là-dessus, se croient sûrs de la grâce de Dieu, et mettent au compte de la religion l’espèce de contentement de soi qu’ils partagent avec tous les imbéciles, croyants ou non-croyants. La foi ne saurait être comparée en rien à ces évidences dont celle du « deux et deux font quatre » passe pour le type le plus ordinaire. Je comprends très bien l’agacement ou même l’indignation des incrédules en face de gens auxquels ils attribuent faussement des certitudes analogues à celle-ci en tout ce qui concerne le monde invisible, la mort et l’au-delà de la mort.

Parfois la colère ou l’indignation font place à l’envie : « Vous avez bien de la chance de croire », disent-ils avec une naïveté déconcertante. « Moi, je ne peux pas. » Et c’est vrai qu’ils s’efforcent de croire, du moins ils s’efforcent de croire qu’ils croient, et s’étonnent de n’aboutir à rien, comme ces insomnieux qui se répètent à eux-mêmes qu’ils vont dormir, et se tiennent ainsi éveillés, car le sommeil est toujours imprévu. Qui l’attend peut-être sûr de ne jamais le voir venir, car on ne le voit pas venir. Ils souhaitent de croire, ils s’efforcent de croire, ils s’efforcent de croire qu’ils croient, et d’ailleurs ils ne savent pas très bien ce que nous croyons nous-mêmes, ils attachent volontiers autant d’importance à n’importe laquelle des aventures merveilleuses de la Bible qu’à la Sainte Incarnation du Verbe, ils se travaillent pour croire que Jonas a été quelques jours locataire d’une confortable baleine, que le passage de la mer Rouge fut vraiment tel que le représente une enluminure célèbre où l’on voit les Hébreux passer entre deux hautes murailles liquides à travers lesquelles les poissons contemplent le spectacle, comme on regarde, de sa fenêtre, passer le cortège du Mardi gras…

Hélas ! il y a trop de dévots et de dévotes pour égarer sur ce point la bonne foi des mécréants, non seulement par ignorance ou par sottise, mais aussi par cette sorte de vanité imbécile qui porte certains croyants à renchérir sur leur propre croyance. Les convertis littéraires dont je parlais tout à l’heure ont la spécialité de ces vantardises où l’orgueil a son compte.

Il est clair que l’incrédule peut rester indifférent lorsque vous faites devant lui profession de croire aux grands mystères de la foi qu’il entend mal, et qui ne disent pas grand-chose à son imagination. Si vous lui affirmez au contraire, sans la moindre hésitation, que la loi de la gravitation universelle s’est trouvée suspendue afin de permettre à Josué de retarder d’une heure sa montre, il vous traitera peut-être de fou en se frappant le front de l’index mais il n’en commencera pas moins à vous juger : un type intéressant, formidable, un phénomène. Hé oui, que voulez-vous, c’est pourtant vrai. Un chrétien n’est nullement tenu de prendre comme on dit « à la lettre » l’histoire de Jonas ou de Josué. Remarquez bien qu’en ce qui me concerne, j’y croirais volontiers, je ne demanderais qu’à y croire, les miracles ne m’intéressent pas en ce sens que les miracles n’ont jamais converti grand monde. C’est Notre-Seigneur qui a pris la peine de le dire lui-même dans l’Évangile en se moquant de ceux qui lui demandaient des prodiges. Trop souvent les miracles frappent l’esprit mais endurcissent le cœur parce qu’ils donnent l’impression d’une espèce de mise en demeure brutale, d’une sorte de viol du jugement et de la conscience par un fait qui est, en apparence du moins, une violation de l’ordre.

Je ne saurais m’étendre plus longtemps sur ce sujet, mais il ne me faut pas seulement penser à mes incroyants qui se disent peut-être en ce moment que les bonnes dévotes viennent d’en prendre un sacré petit coup, et qui n’en sont pas tellement mécontents. Après tout, ces bonnes âmes ont bien le droit d’être rassurées si mes plaisanteries leur paraissent sentir le fagot. Je leur conseille fortement de relire l’Histoire Sainte de Daniel-Rops, parue ces dernières années avec le Nihil Obstat et l’Imprimatur de l’archevêché de Paris. Elles y verront, par exemple, qu’on a des raisons de supposer que les sonneries de trompettes étaient le signal convenu pour prévenir les sapeurs d’avoir à sortir des galeries, en mettant le feu à la boiserie, afin de faire écrouler les murailles car telle était la technique des sapeurs à ce moment-là, faute de poudre.

À propos de la traversée du Jourdain à pied sec par l’armée de Josué, à la hauteur de la ville d’Adom, elles liraient encore ceci : la ville d’Adom est probablement El Damieh, à 25 kilomètres en amont de Jéricho. Là, le fleuve coule entre deux talus d’argile hauts de 15 mètres qui glissent aisément. En 1927, à la suite d’un léger séisme, ils s’écroulèrent et barrèrent le lit à tel point que le flot fut interrompu vingt et une heures, reproduisant ainsi exactement les circonstances rapportées par la Bible qui parle, elle aussi, de séisme dans son langage oriental : « les montagnes sautèrent comme des béliers, les collines comme des agneaux ». Je répète que le livre de Daniel-Rops est revêtu de l’Imprimatur.

Je répète que ces questions ne me passionnent nullement. J’admettrais volontiers que les Juifs ont traversé sans se mouiller les pieds non seulement la mer Rouge, mais l’océan Atlantique, que m’importe ?

Je dis seulement qu’il m’est affreusement pénible de penser que des hommes de bonne foi puissent être tenus éloignés du Christ par des scrupules sans fondement et sans objet véritables. Si Dieu avait voulu nous gagner par des miracles, Il ne s’en serait certainement pas tenu à celui de Cana, ou même à la résurrection de Lazare. Il ne lui en eût rien coûté de s’imposer par des prodiges beaucoup plus extraordinaires, cosmiques. Au lieu que ce que les Saints Évangiles nous rapportent des phénomènes qui ont marqué la mort du Sauveur, le soleil qui s’obscurcit, le voile du temple qui se déchire, la terre qui tremble, sont bien peu de chose comparés aux effets de la bombe de Hiroshima. Mais allons plus loin, réfléchissons encore un peu. Pourquoi nous regagner en forçant notre volonté par des miracles ? Contrainte pour contrainte, il eût été tellement plus facile de ne jamais nous perdre en accordant une fois pour toute la volonté humaine à la volonté divine, comme une planète qui tourne autour de son soleil. C’est que Dieu n’a pas voulu nous faire irresponsables, je veux dire incapables d’amour, car il n’y a pas de responsabilité sans liberté et l’amour est un choix libre ou il n’est rien.

Je parais peut-être m’écarter de mon sujet. Vous auriez pourtant tort de le croire. Une théorie matérialiste du monde ne saurait expliquer l’homme moral. Mais il ne suffit pas non plus de placer par l’imagination au principe et à la tête du monde un être suprême, une intelligence suprême, un dieu-géomètre pour justifier l’existence des saints. Plus je vois l’univers, disait à peu près Voltaire, et moins je puis songer que cette horloge marche et n’ait pas d’horloger ; vers idiots qui ont néanmoins rempli d’aise d’innombrables générations de chanoines tout fiers de penser que le bon Dieu existait désormais avec l’autorisation de M. de Voltaire, tout joyeux et contents de l’excellent tour que le bon Dieu avait joué à son ennemi personnel – « Écrasons l’infâme ! » en profitant d’un moment d’inattention de M. de Voltaire pour lui faire signer un petit papier de reconnaissance… Hélas ! en écrivant ces vers de mirliton, M. de Voltaire ne se souciait nullement des saints, et les chanoines qui le citaient avec honneur aux distributions de prix ne s’en préoccupaient peut-être pas beaucoup davantage… Que diable – c’est le cas de le dire ! -un horloger pourrait-il faire des saints, je me le demande ? Il n’y a rien de moins libre qu’une horloge, puisque tous les engrenages s’y trouvent dans la plus étroite dépendance les uns des autres. Vous me répondrez probablement que l’univers physique offre assez l’exemple d’une mécanique de précision ? Mais êtes-vous certains de ne pas prendre le signe pour la chose, comme un être d’une intelligence absolument différente de la nôtre, ignorant tout du langage et de l’écriture, qui s’extasierait sur le rythme des voix, la symétrie d’une page d’imprimerie, s’efforcerait de dégager les lois de l’une et de l’autre, sans rien savoir de l’essentiel – de cela qui seul importe -, la pensée, la pensée toujours vivante et libre sous la contrainte apparente des caractères ou des sons qui l’expriment. Si la vie était la pensée libre de ce monde en apparence déterminé ?

La vie, c’est-à-dire cette énergie mystérieuse, immatérielle, à laquelle la physique moderne réduit la matière elle-même. L’univers matérialiste n’a que faire de l’homme moral. L’univers des déistes, à la manière de l’auteur de la Henriade, n’a pas de place pour les saints – le saint serait aussi déplacé dans ce monde qu’un poète lyrique à l’école des Ponts et Chaussées… Comment pourrais-je continuer à vous parler des saints et de la sainteté sans vous rappeler – ou vous apprendre que pour nous chrétiens, Dieu est Amour, la Création est un acte d’amour. Je ne parle pas ainsi dans l’intention de vous convaincre, je vous demande seulement d’entrer avec moi, un moment, dans une telle hypothèse, autrement nous nous parlerions en vain. Oh! je sais, je sais, vous pensez aussitôt à ce gémissement de la douleur universelle qui ne se tait ni jour ni nuit. Vous vous rappelez les vers de Baudelaire :

Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage

Que nous puissions donner de notre dignité

Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge

Et vient mourir au bord de votre éternité.

Mais réfléchissons bien que c’est au nom de la Raison et de la Justice que vous dénoncez la cruauté de ce monde, et dans cette voie, une longue expérience prouve que vous ne pouvez aller qu’à la révolte, au désespoir ou à la négation absolue. Il est vrai que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous lui ressemblons même beaucoup plus que nous n’osons le penser, que les philosophes nous permettent de le penser. « Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu » – comme une telle expression est mystérieuse et redoutable -, mais comme elle a perdu peu à peu sa signification par l’usage, ainsi qu’une pièce de monnaie son effigie, pour avoir passé dans trop de mains ! Je voudrais cependant que vous vous y arrêtiez une minute.

Combien d’entre nous, chrétiens, avons vraiment conscience d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Qui se préoccupe du sens réel de ces paroles si surprenantes ? S’il est vrai que nous sommes créés à l’image de Dieu, comment mépriserions-nous une des plus hautes facultés de l’homme ? Vous me répondrez que sans la mépriser, je viens de la déclarer impuissante. Non pas impuissante à tirer parti de la création, mais incapable d’en pénétrer le sens, de la comprendre, au sens exact du mot. Si la création était l’œuvre de la seule intelligence, l’intelligence humaine pourrait faire mieux que de découvrir quelques-unes de ses lois, afin d’exploiter cette connaissance, ainsi qu’on se sert d’une mécanique. Elle ne serait pas toujours prête à la condamner au nom de la logique ou de la justice. C’est que la création est une œuvre d’amour. L’intelligence, réduite à ses propres forces, ne croit trouver dans la nature qu’indifférence et cruauté, mais c’est sa propre cruauté qu’elle y découvre. À proprement dire ce n’est pas la souffrance qu’elle condamne, c’est ce qui lui paraît une anomalie, un gaspillage, une mauvaise organisation de la souffrance. L’intelligence est plus cruelle que la nature. Nous commençons, par exemple, à comprendre qu’une société organisée par elle – ou du moins par cette forme dégradée de l’intelligence qui s’appelle la technique – sera sans pitié non seulement pour les éléments suspects de produire moins qu’ils ne consomment, mais encore pour tout ce qui ne pensera en accord avec la monstrueuse conscience collective…

Oui, à ne parler que des mal fichus, la nature en laisse subsister des millions qui n’échapperont sûrement pas demain aux techniciens chargés de maintenir et d’augmenter sans cesse le rendement de la colossale usine universelle. En réalité l’intelligence ne s’indigne pas contre la souffrance, elle la refuse, comme elle refuse un syllogisme mal construit, quitte à s’en servir elle-même, selon ses méthodes, après avoir remis le syllogisme d’aplomb. Qui parle de la Douleur comme d’une intolérable violation de l’âme, ou même d’une absurdité toute pure, est certain de l’approbation des imbéciles. Mais pour un petit nombre de révoltés sincères, combien d’autres qui ne cherchent dans la révolte contre la souffrance qu’une justification plus ou moins sournoise de leur indifférence et de leur égoïsme vis-à-vis de ceux qui souffrent ? Sinon, par quel miracle les hommes qui acceptent le plus humblement, sans le comprendre, ce scandale permanent de la souffrance et de la misère, sont-ils presque toujours ceux qui se dévouent le plus tendrement aux souffrants et aux misérables : saint François d’Assise ou saint Vincent de Paul ?

Le scandale de l’univers n’est pas la souffrance, c’est la liberté. Dieu a fait libre sa création, voilà le scandale des scandales, car tous les autres scandales procèdent de lui. Oh ! je sais bien, nous paraissons être ici en pleine métaphysique. Que voulez-vous que j’y fasse ? Si je me fais mal comprendre de quelques-uns d’entre vous, c’est que je me serai mal expliqué, voilà tout. Expliquer, d’ailleurs, à quoi bon ? Il y a en ce moment, dans le monde, au fond de quelque église perdue, ou même dans une maison quelconque, ou encore au tournant d’un chemin désert, tel pauvre homme qui joint les mains et du fond de sa misère, sans bien savoir ce qu’il dit, ou sans rien dire, remercie le bon Dieu de l’avoir fait libre, de l’avoir fait capable d’aimer. Il y a quelque part ailleurs, je ne sais où, une maman qui cache pour la dernière fois son visage au creux d’une petite poitrine qui ne battra plus, une mère près de son enfant mort qui offre à Dieu le gémissement d’une résignation exténuée, comme si la Voix qui a jeté les soleils dans l’étendue ainsi qu’une main jette le grain, la Voix qui fait trembler les mondes, venait de lui murmurer doucement à l’oreille «Pardonne-moi, un jour, tu sauras, tu comprendras, tu me rendras grâce. Mais maintenant, ce que j’attends de toi, c’est ton pardon, pardonne. » Ceux-là, cette femme harassée, ce pauvre homme, se trouvent au cœur du mystère, au cœur de la création universelle et dans le secret même de Dieu. Que vous en dire ? Le langage est au service de l ’intelligence. Et ce que ces gens-là ont compris, ils l’ont compris par une lucidité supérieure à l’intelligence, bien qu’elle ne soit nullement en contradiction avec elle, ou plutôt par un mouvement profond et irrésistible de l’âme qui engageait toutes les facultés à la fois qui engageait à fond toute leur nature… Oui, au moment où cet homme, cette femme acceptaient leur destin, s’acceptaient eux-mêmes, humblement le mystère de la Création s’accomplissait en eux, tandis qu’ils couraient ainsi sans le savoir tout le risque de leur conduite humaine, se réalisaient pleinement dans la charité du Christ, devenant eux-mêmes, selon la parole de saint Paul, d’autres Christ. Bref, ils étaient des saints.

S’engager tout entier… Vous le savez, la plupart d’entre nous n’engagent dans la vie qu’une faible part, une petite part, une part ridiculement petite de leur être, comme ces avares opulents qui passaient, jadis, pour ne dépenser que le revenu de leurs revenus. Un saint ne vit pas du revenu de ses revenus, ni même seulement de ses revenus, il vit sur son capital il engage totalement son âme. C’est d’ailleurs en quoi il diffère du sage qui sécrète sa sagesse à la manière d’un escargot, sa coquille, pour y trouver un abri. Engager son âme !

Non ce n’est pas là simple image littéraire. Il ne faudrait même pas la pousser très loin pour lui donner une signification sinistre. Dans son récent livre, Les Problèmes de la vie , l’illustre professeur à l’Université de Genève, M. Guyénot, reprend la distinction entre le corps, l’esprit et l’âme. Si l’on admet cette hypothèse, que saint Thomas ne repousse pas, on se dit avec épouvante que des hommes sans nombre naissent, vivent et meurent sans s’être une seule fois servi de leur âme, réellement servi de leur âme, fût-ce pour offenser le bon Dieu. Qui permet de distinguer ces malheureux ? En quelle mesure n’appartenons-nous pas nous-mêmes à cette espèce ?

La Damnation ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre, et gâtée comme certaines soies précieuses, faute d’usage ? Quiconque se sert de son âme, si maladroitement qu’on le suppose, participe aussitôt à la Vie universelle, s’accorde à son rythme immense, entre de plain-pied, du même coup, dans cette communion des Saints qui est celle de tous les hommes de bonne volonté auxquels fut promise la Paix, cette sainte Église invisible dont nous savons qu’elle compte des païens, des hérétiques, des schismatiques ou des incroyants, dont Dieu seul sait les noms. La communion des saints… Lequel d’entre nous est sûr de lui appartenir ? Et s’il a ce bonheur, quel rôle y joue-t-il ? Quels sont les riches et les pauvres de cette étonnante communauté ? Ceux qui donnent et ceux qui reçoivent ? Que de surprises ! Tel vénérable chanoine pieusement décédé, dont le Bulletin diocésain aura fait l’éloge pompeux, dans le style particulier à ces publications, ne risque-t-il pas d’apprendre, par exemple, qu’il a dû sa vocation et son salut à quelque incrédule notoire, secrètement harcelé par l’angoisse religieuse, et auquel Dieu avait incompréhensiblement refusé les consolations mais non pas les mérites de la foi ?

 Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé. Oh ! rien ne paraît mieux réglé, plus strictement ordonné, hiérarchisé, équilibré que la vie extérieure de l’Église. Mais sa vie intérieure déborde des prodigieuses libertés, on voudrait presque dire des divines extravagances de l’Esprit, l’Esprit qui souffle où il veut. Lorsqu’on songe à la stricte discipline qui maintient presque implacablement à sa place assignée chaque membre de ce grand corps ecclésiastique depuis le modeste vicaire jusqu’au Saint-Père avec ses privilèges, ses titres, on voudrait presque dire son vocabulaire particulier n’est-ce pas en effet comme une extravagance, ces promotions soudaines, parfois très soudaines, de religieuses obscures, de simples laïques, ou même de mendiants faits brusquement patrons, protecteurs et parfois docteurs de l’Église universelle ?

Oh ! Il ne s’agit pas d’opposer l’Église visible à l’Église invisible Église visible, que voulez-vous, ce n’est pas seulement la hiérarchie ecclésiastique, c’est vous, c’est moi, elle n’est donc pas toujours agréable et elle a même été parfois très désagréable, à regarder de près, au XVème siècle par exemple, au temps du Concile de Bâle, et dans ces cas-là on est naturellement tenté de regretter que ce ne soit pas elle, l’invisible ; oui, on regrette qu’un cardinal soit reconnaissable de si loin à sa belle cape écarlate tandis qu’un saint, de son vivant, ne se distingue par aucun détail vestimentaire… Oh ! Je sais bien que ce qui paraît ici une plaisanterie est pour beaucoup d’âmes une idée parfois torturante. On a tort de raisonner comme si l’Église visible et l’Église invisible étaient en réalité deux Églises, alors que l’Église visible est ce que nous pouvons voir de l’Église invisible, et cette part visible de l’Église invisible varie avec chacun de nous

Car nous connaissons d’autant mieux ce qu’il y a en elle d’humain que nous sommes moins dignes de connaître ce qu’elle a de divin. Sinon, comment expliqueriez-vous cette bizarrerie que les plus qualifiés pour se scandaliser des défauts, des déformations ou même des difformités de l’Église visible – je veux dire les saints -soient précisément ceux qui ne s’en plaignent jamais ? Oui, l’Église visible est ce que chacun de nous peut voir de l’Église invisible, selon ses mérites et la grâce de Dieu.

C’est bien joli de dire : « J’aimerais mieux voir autre chose que ce que je vois. » Oh ! Bien sûr, si le monde était le chef-d’œuvre d’un architecte soucieux de symétrie, ou d’un professeur de logique, d’un Dieu déiste, en u mot, l’Église offrirait le spectacle de la perfection, de l’ordre, la sainteté y serait le premier privilège du commandement, chaque grade dans la hiérarchie correspondant à un grade supérieur de sainteté, jusqu’au plus saint de tous, Notre Saint-Père le Pape, bien entendu. Allons ! Vous voudriez d’une Église telle que celle-ci ? Vous vous y sentiriez à l’aise ? Laissez-moi rire, loin de vous y sentir à l’aise, vous resteriez au seuil de cette Congrégation de surhommes, tournant votre casquette entre les mains, comme un pauvre clochard à la porte du Ritz ou du Claridge.

L’Église est une maison de famille, une maison paternelle, et il y a toujours du désordre dans ces maisons-là, les chaises ont parfois un pied de moins, les tables sont tachées d’encre, et les pots de confitures se vident tout seuls dans les armoires, je connais ça, j’ai l’expérience… La maison de Dieu est une maison d’hommes et non de surhommes. Les chrétiens ne sont pas des surhommes. Les saints pas davantage, ou moins encore, puisqu’ils sont les plus humains des humains.

Les saints ne sont pas sublimes, ils n’ont pas besoin du sublime, c’est le sublime qui aurait plutôt besoin d’eux. Les saints ne sont pas des héros, à la manière des héros de Plutarque. Un héros nous donne l’illusion de dépasser l’humanité, le saint ne la dépasse pas, il l’assume, il s’efforce de la réaliser le mieux possible, comprenez-vous la différence ? Il s’efforce d’approcher le plus près possible de son modèle Jésus-Christ, c’est-à-dire de Celui qui a été parfaitement homme, avec une simplicité parfaite, au point, précisément, de déconcerter les héros en rassurant les autres, car le Christ n’est pas mort seulement pour les héros, il est mort aussi pour les lâches. Lorsque ses amis l’oublient, ses ennemis, eux, ne l’oublient pas. Vous savez que les nazis n’ont cessé d’opposer à la Très Sainte Agonie du Christ au jardin des Oliviers la mort joyeuse de tant de jeunes héros hitlériens. C’est que le Christ veut bien ouvrir à ses martyrs la voie glorieuse d’un trépas sans peur, mais il veut aussi précéder chacun de nous dans les ténèbres de l’angoisse mortelle. La main ferme, impavide, peut au dernier pas chercher appui sur son épaule, mais la main qui tremble est sûre de rencontrer la sienne…

Oh ! … Je voudrais que nous finissions sur une pensée qui n’a cessé de m’accompagner tout au long de cette causerie ainsi que le fil du tisserand qui court sous la trame. Ceux qui ont tant de mal à comprendre notre foi sont ceux qui se font une idée trop imparfaite de l’éminente dignité de l’homme dans la création, qui ne le mettent pas à sa place dans la création, à la place où Dieu l’a élevé afin de pouvoir y descendre. Nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, parce que nous sommes capables d’aimer. Les saints ont le génie de l’amour. Oh ! remarquez-le, il n’en est pas de ce génie-là comme de celui de l’artiste, par exemple, qui est le privilège d’un très petit nombre. Il serait plus exact de dire que le saint est l’homme qui sait trouver en lui, faire jaillir des profondeurs de son être, l’eau dont le Christ parlait à la Samaritaine : « Ceux qui en boivent n’ont jamais soif… » Elle est là en chacun de nous, la citerne profonde ouverte sous le ciel. Sans doute, la surface en est encombrée de débris, de branches brisées, de feuilles mortes, d’où monte une odeur de mort. Sur elle brille une sorte de lumière froide et dure, qui est celle de l’intelligence raisonneuse. Mais au-dessous de cette couche malsaine, l’eau est tout de suite si limpide et si pure ! Encore un peu plus profond, et l’âme se retrouve dans son élément natal, infiniment plus pur que l’eau la plus pure, cette lumière incréée qui baigne la création tout entière – en Lui était la Vie, et la Vie était la lumière des hommes – in ipso Vita erat et Vita erat lux hominum.

La foi que quelques-uns d’entre vous se plaignent de ne pas connaître, elle est en eux, elle remplit leur vie intérieure, elle est cette vie intérieure même pas quoi tout homme, riche ou pauvre, ignorant ou savant, peut prendre contact avec le divin, c’est-à-dire avec l’amour universel, dont la création tout entière n’est que le jaillissement inépuisable. Cette vie intérieure contre laquelle conspire notre civilisation inhumaine avec son activité délirante, son furieux besoin de distraction et cette abominable dissipation d’énergies spirituelles dégradées, par quoi s’écoule la substance même de l’humanité.

Au commencement, je vous disais que le scandale de la création n’était pas la souffrance mais la liberté. J’aurais pu aussi bien dire l’Amour. Si les mots avaient gardé leur sens, je dirais que la Création est un drame de l’Amour. Les moralistes considèrent volontiers la sainteté comme un luxe. Elle est une nécessité. Aussi longtemps que la charité ne s’est pas trop refroidie dans le monde, aussi longtemps que le monde a eu son compte de saints, certaines vérités ont pu être oubliées. Elles reparaissent aujourd’hui comme le roc à marée basse.

C’est la sainteté, ce sont les saints qui maintiennent cette vie intérieure sans laquelle l’humanité se dégradera jusqu’à périr. C’est dans sa propre vie intérieure en effet que l’homme trouve les ressources nécessaires pour échapper à la barbarie ou à un danger pire que la barbarie, la servitude bestiale de la fourmilière totalitaire. Oh ! Sans doute, on pourrait croire que ce n’est plus l’heure des saints, que l’heure des saints est passée. Mais comme je l’écrivais jadis, l’heure des saints vient toujours.

MORT, PAUL VERLAINE, PAUL VERLAINE (1844-1896), POEME, POEMES, POESIES, POETE FRANÇAIS, TOUSSAINT

Toussaint de Paul Verlaine

Toussaint

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Ces vrais vivants qui sont les saints,
Et les vrais morts qui seront nous,
C’est notre double fête à tous,
Comme la fleur de nos desseins,

Comme le drapeau symbolique
Que l’ouvrier plante gaîment
Au faite neuf du bâtiment,
Mais, au lieu de pierre et de brique,

C’est de notre chair qu’il s’agit,
Et de notre âme en ce nôtre œuvre
Qui, narguant la vieille couleuvre,
A force de travaux surgit.

Notre âme et notre chair domptées
Par la truelle et le ciment
Du patient renoncement
Et des heures dûment comptées.

Mais il est des âmes encor,
Il est des chairs encore comme
En chantier, qu’à tort on dénomme
Les morts, puisqu’ils vivent, trésor

Au repos, mais que nos prières
Seulement peuvent monnayer
Pour, l’architecte, l’employer
Aux grandes dépenses dernières.

Prions, entre les morts, pour maints
De la terre et du Purgatoire,
Prions de façon méritoire
Ceux de là-haut qui sont les saints.

 

Paul Verlaine (1844-1896)

Extraits de Liturgies intimes (1892)

ANCIEN TESTAMENT, EVANGILE SELON MATTHIEU, FETE DE LA TOUSSAINT, LIVRE DE L'APOCALYPSE, LIVRE DE L'APOCALYPSE SELON SAINT JEAN, NOUVEAU TESTAMENT, PREMIERE LETTRE DE SAINT JEAN, PSAUME 23, TOUSSAINT

Dimanche 1er novembre 2020 : Fête de la Toussaint : Lectures et commentaires

Dimanche 1er novembre 2020 : Fête de la Toussaint

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Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,

1ère lecture

Psaume

2ème lecture

Evangile

 

PREMIERE LECTURE –

LIVRE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN 7, 2 – 4. 9 – 14

 

Moi, Jean,
2 j’ai vu un ange
qui montait du côté où le soleil se lève
avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ;
d’une voix forte, il cria aux quatre anges
qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer :
3 « Ne faites pas de mal à la terre,
ni à la mer, ni aux arbres,
avant que nous ayons marqué du sceau
le front des serviteurs de notre Dieu. »
4 Et j’entendis le nombre
de ceux qui étaient marqués du sceau :
ils étaient cent quarante-quatre mille,
de toutes les tribus des fils d’Israël.

9 Après cela, j’ai vu :
et voici une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer,
une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
10 Et ils s’écriaient d’une voix forte :
« Le salut appartient à notre Dieu,
qui siège sur le Trône,
et à l’Agneau ! »
11 Tous les anges se tenaient debout autour du Trône,
autour des Anciens et des quatre Vivants ;
se jetant devant le Trône, face contre terre,
ils se prosternèrent devant Dieu.
12 Et ils disaient :
« Amen !
Louange, gloire, sagesse et action de grâce,
honneur, puissance et force
à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
13 L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :
« Ces gens vêtus de robes blanches,
qui sont-ils ? et d’où viennent-ils ? »
14 Je lui répondis :
« Mon seigneur, toi, tu le sais. »
Il me dit :
« Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
ils ont lavé leurs robes,
ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »

LA FOULE DES BAPTISES
« Moi, Jean, j’ai vu » il s’agit donc d’une vision : « Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève », et un peu plus loin : « Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer ». Nous sommes prévenus : la description qui va suivre, et qui, ici, est superbe, grandiose, est d’ordre mystique : il n’est pas question de la prendre au pied de la lettre ; pour la comprendre, il faut nous laisser prendre, elle nous emporte dans un autre monde.
Lorsque l’apôtre Jean raconte la vision qu’il a eue à Patmos, ses auditeurs comprennent fort bien ce qu’il veut leur dire ; pour nous c’est moins clair ; je vais donc reprendre les éléments les uns après les autres.
Jean nous décrit une immense procession composée de deux foules distinctes : la première est composée de cent quarante-quatre mille personnes, (bien sûr, c’est un chiffre symbolique) qu’il appelle les serviteurs de Dieu. Ils sont marqués du « sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ». C’est le Baptême *. Voici donc le peuple des baptisés : c’est à eux que Jean adresse son Apocalypse.
Il décrit ensuite une autre foule : c’est une foule immense, innombrable, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Vous notez au passage qu’il y a quatre termes dans cette énumération : le chiffre quatre dans ce genre de textes évoque le monde créé, le cosmos et donc aussi l’humanité (peut-être en référence aux quatre points cardinaux). Cette foule de « toutes nations, tribus, peuples et langues » représente donc l’humanité. Ils sont en vêtements blancs, ce qui veut dire qu’ils ont revêtu la robe des noces ; ensuite, ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, avec des palmes à la main. La position debout (qui est la posture du ressuscité), la robe nuptiale, les palmes de la victoire, tout nous dit qu’ils sont sauvés.
Et d’ailleurs, ils le proclament : « Le salut appartient (sous-entendu est donné par) à notre Dieu qui siège sur le Trône, et à l’Agneau ! »
Et pourtant les membres de cette deuxième foule ne sont pas marqués du sceau du Baptême. Qui les a introduits dans le salut ? La foule des cent quarante-quatre mille justement. Les cent quarante-quatre mille, je vous ai dit que ce sont les baptisés, les contemporains de Saint Jean. Or ils sont à ce moment précis affrontés à une terrible persécution, celle de l’empereur Domitien à la fin du premier siècle.
ET LA FOULE INNOMBRABLE DES HOMMES SAUVES
Je crois que le message de l’Apocalypse aux chrétiens persécutés est le suivant : tenez bon ; votre témoignage portera ses fruits. Dans votre épreuve se trouve le salut de tous les hommes. Grâce à vous, grâce à vos souffrances endurées dans « la grande épreuve » (v. 14) de la persécution, la foule innombrable des nations sera sauvée.
Evidemment, on peut se poser deux questions : tout d’abord, pourquoi la souffrance des uns entraîne-t-elle le salut des autres ? D’autre part, pourquoi Jean parle-t-il ainsi dans un langage tellement codé que nous avons du mal à le déchiffrer. Pourquoi ne parle-t-il pas en clair ?
A propos de la souffrance des uns qui entraîne le salut des autres, c’est le grand mystère dont le prophète Isaïe parlait dans les chants du serviteur souffrant : il disait que le cœur du bourreau ne peut être touché que par la prise de conscience de la douleur de ses victimes. « Reconnu juste, mon serviteur dispensera la justice », disait Isaïe (Is 53). Zacharie reprenait la même méditation lorsqu’il disait : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10) et ce jour-là leur cœur sera enfin changé. Et l’évangéliste Jean lui-même a précisément repris cette phrase dans le récit de la Mort du Christ. Ici, Jean dit la même chose à ses frères persécutés : dans vos souffrances, se trouve le salut de vos frères.
Pourquoi saint Jean ne parle-t-il pas en clair ? C’est tout le problème du style de son discours, il s’agit de ce que l’on appelle une « Apocalypse » ; c’est-à-dire que c’est un écrit clandestin qui circule sous le manteau, à la barbe des autorités ; ici, il s’agit des autorités romaines, à la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Ce livre s’adresse donc à des croyants qui vivent sous la menace perpétuelle de la persécution ; et donc, il se présente comme tous les messages de réseaux de résistance, avec un langage codé, compréhensible par les seuls initiés. C’est la première caractéristique de ce genre littéraire : tous les écrits apocalyptiques rapportent des visions et emploient des images et des nombres symboliques.
La deuxième caractéristique des Apocalypses, c’est leur thème. Dans toutes les périodes sombres de l’histoire d’Israël, Dieu a suscité des prophètes dont la mission était de réveiller l’espérance ; en période de persécution, le discours tenu pour réveiller les énergies consiste à dire : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Les vrais vainqueurs en définitive, c’est vous, les croyants, à l’image du Christ lui-même ; il est l’Agneau apparemment vaincu, égorgé, mais en réalité, il a vaincu le monde, il a vaincu la mort. **
Alors, on comprend le titre de ce livre « Apocalypse » qui signifie « lever le voile » ; une « apocalypse » est toujours une « révélation », un « dévoilement » au sens de « retirer un voile ». Cet écrit lève le voile de l’apparence (à savoir la domination triomphante de Rome) et il annonce, il révèle la victoire de Dieu et de son Christ sur toutes les forces du mal, si terrifiantes soient-elles.
Nous retrouvons ces deux caractéristiques dans le texte d’aujourd’hui.
——————-
Complément
– C’était l’usage dans l’armée romaine de marquer les recrues d’un signe sur le front ; de la même manière, le baptisé était devenu soldat du roi des cieux. Le sceau protecteur était également un thème connu de l’Ancien Testament (Ex 12,7 ; Ez 9,4).
– Apocalypse : Jean voit la victoire des pauvres et des petits, non pas comme une revanche mais comme le dévoilement de la victoire de Dieu sur les forces du mal

 

PSAUME – 23 (24)

1 Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
2 C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

3 Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
et se tenir dans le lieu saint ?
4 L’homme au cœur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

5 Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
6 Voici le peuple de ceux qui le cherchent
qui recherchent la face de Dieu !

QUI PEUT GRAVIR LA MONTAGNE DU SEIGNEUR ?
Comme dans tout psaume, Nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’approche ; à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (Vous vous souvenez que le Temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ».
C’est le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint, Saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers » proclament les séraphins pendant l’extase de la vocation d’Isaïe… (Is 6,3) et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir », comme dit Isaïe, en sa compagnie. Vous voyez combien ce psaume consonne avec la fête de tous les saints. Ils ont « gravi la montagne du SEIGNEUR », ils sont admis en présence du Dieu saint et ils chantent désormais le chant d’Isaïe, celui auquel nous unissons nos voix chaque dimanche, comme le dit la Préface de la Toussaint l : juste avant de chanter ce que nous appelons le Sanctus, le prêtre dit « C’est pourquoi avec cette foule immense que nul ne peut dénombrer, avec tous les anges du ciel, nous voulons te chanter… »
Le psaume continue : « l’homme au cœur  pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; nous retrouvons là une expression que nous connaissons bien : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; même chose dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par Saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » : « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.
UN CŒUR PUR, ENTIEREMENT TOURNE VERS DIEU
« L’homme au cœur  pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le cœur  pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.
« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.
Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au cœur pur, aux mains innocentes… qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. « L’homme au cœur  pur, aux mains innocentes, (c’est celui) qui ne livre pas son âme aux idoles. »
Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener tout au long de l’histoire d’Israël pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; depuis la sortie d’Egypte (vous vous rappelez l’épisode du veau d’or), et jusqu’à l’Exil à Babylone et même au-delà ; il faut dire qu’à toutes les époques, Israël a été en contact avec une civilisation polythéiste ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. Au passage, il faut noter que l’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.
Effectivement, c’est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; bien sûr, à un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au cœur  pur deviendra peu à peu un homme au coeur de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.
En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés… Heureux les coeurs purs, ils verront Dieu ». La dernière phrase « Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu ! » est peut-être une bonne définition de la pauvreté de cœur  dont parle Jésus dans les Béatitudes : « Heureux les pauvres de coeur : le Royaume des cieux est à eux ! »

 

DEUXIEME LECTURE – PREMIERE LETTRE DE SAINT JEAN 3, 1 – 3

Bien-aimés,
1 voyez quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu
– et nous le sommes.
Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
C’est qu’il n’a pas connu Dieu.
2 Bien-aimés,
dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
Nous le savons : quand cela sera manifesté,
nous lui serons semblables
car nous le verrons tel qu’il est.
3 Et quiconque met en lui une telle espérance
se rend pur comme lui-même est pur.

L’URGENCE D’OUVRIR LES YEUX
« Mes bien-aimés, voyez… » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », disaient les prophètes : voilà le drame de l’homme. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son dessein bienveillant, comme dirait Saint Paul ; Saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.
Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu’un texte.
Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Eve dans le jardin d’Eden : c’est bien une affaire de regard ; le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor : un jardin avec des quantités d’arbres ; « Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 2,9). Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas… » Alors le serpent, pour séduire Eve, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l’accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent… » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu’ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.
Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de Saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Eve a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de Saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean. (Jn 17,3).
UNE MULTITUDE DE FILS
Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; Saint Paul, dans la lettre aux Ephésiens, dit : « Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par JésusChrist, ainsi l’a voulu sa bienveillance. » (Ep 1,5). C’est ce qu’il appelle le « dessein bienveillant de Dieu » qui consiste à réunir toute l’humanité en un seul être, dont la tête est Jésus-Christ et dont nous sommes les membres. Jean ne dit pas autre chose : Jésus est le Fils par excellence et nous qui sommes ses membres, nous sommes appelés, c’est logique, enfants de Dieu. Et il continue : « et nous le sommes » ; c’est déjà devenu une réalité par notre Baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres. Paul dit exactement la même chose « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27).
Comme dit encore Jean dans le Prologue de son évangile : « A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12 ). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet Esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4,4). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez Saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.
En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». les non-croyants ; Comme dit Jean : « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. A ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »

 

EVANGILE– selon saint Matthieu 5, 1-12a

En ce temps-là,
1 voyant les foules,
Jésus gravit la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
Il disait :
3 « Heureux les pauvres de cœur,
car le royaume des Cieux est à eux.
4 Heureux ceux qui pleurent :
car ils seront consolés.
5 Heureux les doux,
car ils recevront la terre en héritage.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
car ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8 Heureux les cœurs  purs,
car ils verront Dieu.
9 Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
car le royaume des Cieux est à eux !
11 Heureux êtes-vous si l’on vous insulte,
si l’on vous persécute
et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
à cause de moi.
12 Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse,
car votre récompense est grande dans les cieux ! » »

LE DON DES LARMES
Commençons par ce qui risque de nous choquer : « Heureux ceux qui pleurent ». Qui d’entre nous oserait dire une chose pareille devant quelqu’un qui pleure ? Et souvenons-nous que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur !
Tout d’abord, il faut s’entendre sur le mot « heureux » : les auditeurs de Jésus le connaissaient bien car il était très habituel dans l’Ancien Testament. Contrairement à ce que nous imaginons, ce n’est pas un constat de bonheur du genre « tu en as de la chance ! », c’est un encouragement à tenir bon. André Chouraqui le traduisait « En marche » : sous-entendu, « Tu es bien parti. Tu es bien en marche vers le royaume. » On peut l’entendre aussi comme « Tiens bon, garde le cap ». Adressée à des gens qui pleurent, cela voudrait dire : « Ne vous laissez pas décourager, ne changez pas de ligne de vie pour autant ».
Ensuite, sans parler des larmes de bonheur, évidemment, il y a des larmes qui sont bénéfiques : celles du repentir de saint Pierre, par exemple, dont parle le Pape Benoît XVI dans son livre sur Jésus. C’est là que l’on fait l’expérience de la miséricorde  de Dieu. Il y a également celles que nous versons lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance ou le chagrin des autres. Dans ces cas-là, nous sommes sur le bon chemin, nos cœurs de pierre sont en train de devenir des cœurs  de chair, pour reprendre l’expression du prophète Ezéchiel. On pourrait dire la même chose lorsque nous pleurons devant la cruauté de certains, devant ce que j’appellerais la dureté du monde.1
Enfin, il y a là très certainement, de la part de Jésus l’annonce que le temps du Messie est venu, le temps où s’instaurera le bonheur promis à l’humanité.
Je reviens à la première béatitude : « Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux ». Il me semble que cette béatitude-là contient toutes les autres, qu’elle est le secret de toutes les autres. Evidemment, ce n’est pas une idéalisation de la pauvreté matérielle : la Bible   présente toujours la pauvreté comme un mal à combattre ; mais d’abord, il faut bien dire que ce n’étaient pas les gens socialement influents, importants qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus ! On lui a assez reproché de frayer avec n’importe qui !
Deuxièmement, le mot « pauvres » dans l’Ancien Testament n’a pas toujours un rapport avec le compte en banque : les « pauvres » au sens biblique (les « anavim ») ce sont ceux qui n’ont pas le coeur fier ou le regard hautain, comme dit un psaume ; on les appelle « les dos courbés » : ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d’eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler. Nous retrouvons ici sous la plume de Matthieu un écho de la parabole la  du pharisien et du publicain : le pharisien pourtant extrêmement vertueux ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son cœur  était plein de lui-même ; le publicain, notoirement pécheur, se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, alors il était comblé.
HEUREUX LES PAUVRES, LES RICHESSES DE DIEU SONT A VOUS
La qualité dont il s’agit ici, c’est « l’esprit de pauvreté », c’est-à-dire la qualité de « celui qui a pour refuge le nom du SEIGNEUR », comme le dit Sophonie, celui qui a besoin de Dieu, celui qui reçoit tout de Dieu comme un cadeau : celui qui prie humblement « Kyrie eleison », Seigneur prends pitié. Et qui attend de Dieu et de lui seul tout ce dont il est question dans les autres Béatitudes : être capable de miséricorde  c’est-à-dire de pardon et de compassion, être artisan de paix, être doux, ou non-violent, être affamé et assoiffé de justice ; car tout cela est cadeau ; et nous ne pouvons mettre véritablement ces talents au service du Royaume que quand nous les recevons dans cet esprit. Au fond, la première Béatitude, c’est celle qui nous permet de recevoir toutes les autres. Heureux, les pauvres : mettez votre confiance en Dieu : Il vous comblera de ses richesses … SES richesses… « Heureux » … cela veut dire « bientôt on vous enviera » !
Tous ceux qui attendent tout de Dieu, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces béatitudes sont, comme leur nom l’indique, des bonnes nouvelles ; quelques lignes avant cet évangile des Béatitudes, Matthieu disait : « Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Mais ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Dieu se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples.
De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur , la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution… Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.
Autre bonne nouvelle : de cela nous sommes tous capables !
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Note
1 – D’après Ezéchiel, seront marqués d’un signe spécial au Jour du Jugement, ceux qui auront pleuré devant les douleurs et les méfaits du monde (Ez 9,4).

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Toussaint : poème de Paul Verlaine

Toussaint

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Ces vrais vivants qui sont les saints,
Et les vrais morts qui seront nous,
C’est notre double fête à tous,
Comme la fleur de nos desseins,

Comme le drapeau symbolique
Que l’ouvrier plante gaîment
Au faite neuf du bâtiment,
Mais, au lieu de pierre et de brique,

C’est de notre chair qu’il s’agit,
Et de notre âme en ce nôtre œuvre
Qui, narguant la vieille couleuvre,
A force de travaux surgit.

Notre âme et notre chair domptées
Par la truelle et le ciment
Du patient renoncement
Et des heures dûment comptées.

Mais il est des âmes encor,
Il est des chairs encore comme
En chantier, qu’à tort on dénomme
Les morts, puisqu’ils vivent, trésor

Au repos, mais que nos prières
Seulement peuvent monnayer
Pour, l’architecte, l’employer
Aux grandes dépenses dernières.

Prions, entre les morts, pour maints
De la terre et du Purgatoire,
Prions de façon méritoire
Ceux de là-haut qui sont les saints.

 

Poète : Paul Verlaine (1844-1896)

Recueil : Liturgies intimes (1892).

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Paul Verlaine (1844-1896)

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Paul Marie Verlaine est un poète français.

Fils d’un officier napoléonien, Paul Verlaine fait ses études à Paris au lycée Bonaparte. Il travaille ensuite à l’hôtel de ville de la capitale. Ne pouvant supporter cet emploi médiocre, il fréquente les cafés et leurs poètes et commence à boire.

Ce rapport catastrophique à l’alcool est générateur de violence. Tout au long de sa vie, il est sujet, en état d’ivresse, à de très graves colères qui lui font commettre des actes brutaux.

Cette compagnie l’incite à rédiger ses premiers poèmes, empreints de mélancolie, où se mêlent préciosité et personnages de la commedia dell’arte (« Fêtes galantes » 1869) ainsi que son admiration pour Baudelaire (« Poèmes saturniens » 1866 à 22 ans) . En 1870, il fait la connaissance de Mathilde Mauté, qu’il épouse. Il écrit pour elle le recueil « La Bonne Chanson ».

En 1871, il rencontre Arthur Rimbaud pour lequel il sacrifie son couple et s’enfuit en Angleterre. A l’issue d’une dispute entre eux, il blesse à coups de pistolet le jeune poète. Condamné pour homosexualité, Verlaine est emprisonné pendant deux ans et c’est à cette époque qu’il rédige l’essentiel des recueils « Romance sans paroles » (1874) et « Sagesse » (1881). De retour à Paris, il sombre à nouveau dans l’alcoolisme. En 1884, paraît son recueil « Jadis et naguère » qui reprend des poèmes écrits une décennie plus tôt et que couronne Art poétique. La mort de sa mère en 1886, le condamne à la misère, malgré l’admiration des symbolistes.

Paul Verlaine est avant tout le poète des clairs-obscurs. L’emploi de rythmes impairs, d’assonances, de paysages en demi-teintes le confirment, rapprochant même, par exemple, l’univers des Romances sans paroles des plus belles réussites impressionnistes. Il s’ingénie à introduire le maximum de variété dans le rythme, initiant par là l’avènement du vers libre.

C’est lui qui a lancé la notion de « poètes maudits».

CHRYSANTHEMES, CIMETIERES, MORT, TOMBES, TOUSSAINT

Des chrysanthèmes à la Toussaint

Pourquoi des chrysanthèmes à la Toussaint ?

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Les chrysanthèmes, dont l’étymologie grecque signifie « feuille d’or », sont les fleurs les plus achetées chaque année pour la Toussaint. Elles viennent orner les tombes, à la mémoire des défunts. Mais savez-vous d’où vient cette tradition ?

 

Alors qu’en Asie, le chrysanthème est un symbole de félicité, en France et en Belgique il est associé à la mort, faisant figure d’exception culturelle. En effet, il est traditionnellement choisi pour fleurir les tombes, le 2 novembre, jour de commémoration des défunts. Mais alors, pourquoi les chrysanthèmes sont-elles devenues les fleurs indissociables de la Toussaint ?

 

Fleurir une tombe avec des chrysanthèmes, une tradition récente

Jusqu’au XIXème siècle, la coutume voulait que l’on dispose des bougies sur les tombes des cimetières pour honorer ses proches, mais les flammes des bougies ont peu à peu été remplacées par les chrysanthèmes d’automne. L’explication est à chercher du côté de la Grande Guerre…

C’est en effet en 1919, à l’occasion du premier anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918, qui célébrait la fin des combats de la Première Guerre Mondiale, que le président Raymond Poincaré a appelé les français à fleurir les tombes des soldats morts au front. Le chrysanthème fut choisi pour deux raisons : il fleurit durant cette période et résiste aux basses températures. Suite à cette anecdote, les français ont également pris l’habitude d’utiliser le chrysanthème pour décorer les tombes de leurs proches, à l’occasion du jour férié de la Toussaint.

 

 L’origine des chrysanthèmes

Son histoire commence en Chine, il y a 3000 ans, où le chrysanthème était cultivé pour l’ornement, l’alimentation et la pharmacopée. Nommés « Ju Hua » (菊花 ) en chinois, les chrysanthèmes de couleur jaune et blanche sont notamment utilisés en infusions, pour leurs vertus calmantes et anti-vieillissantes.

Introduit au Japon à partir du VIIIème siècle, son succès fût tel qu’il devint le symbole de l’empereur et l’emblème du pays. L’ordre du chrysanthème est en effet la plus haute distinction du Japon, décernée aux personnalités d’honneur. On retrouve d’ailleurs le symbole de la fleur sur les passeports japonais.

Les premiers spécimens de chrysanthèmes à pompon sont arrivés au XVIIème siècle en Europe et les variétés à grandes fleurs furent introduites, un siècle plus tard. C’est le navigateur marseillais Pierre Blancard qui en 1789, a trouvé des descriptions de la fleur en Hollande, où elle fût importée.

En France, son succès a pris de l’ampleur à partir de la Belle Époque, c’est-à-dire entre le XIXème et le début du XXème siècle, avec la mode du style japonais, devenant un motif récurrent de l’Art Nouveau.

La symbolique heureuse du chrysanthème

En Asie, le chrysanthème est synonyme de bonheur et d’amour. Selon un proverbe chinois : « Si vous souhaitez être heureux pour une vie, cultivez des chrysanthèmes ». Comme le relate Dominique  Pen Du dans Le petit livre des fleurs, paru aux éditions du Chêne, les Japonais lui prêtent une naissance divine, d’après la légende suivante : « Un jour que Dieu Izanagi se purifiait dans l’eau d’un fleuve, ses vêtement jetés à terre se changèrent en douze dieux et ses bijoux en trois fleurs : un iris, un lotus et un chrysanthème ».

Suite aux nombreuses hybridations dont la fleur a fait l’objet, il en existe aujourd’hui environ une centaine d’espèces, offrant une grande variété de couleurs. Sa symbolique d’amour et de bonheur en fait une plante privilégiée pour les mariages : le blanc traduisant un amour pur, symbolisant la fidélité, le rouge incarnant l’amour et le jaune tout comme le rose, symbolisant un amour plus fragile. Notez cependant que les chrysanthèmes de couleurs jaune sont tout autrement symboles d’immortalité et de longévité en Orient et en Extrême-Orient.

 

https://fr.aleteia.org/2017/10/27/pourquoi-des-chrysanthemes-a-la-toussaint/

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La fête de la Toussaint

Qu’est-ce-que la Toussaint ?

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Comme son nom l’indique, la Toussaint est la fête de tous les saints. Chaque 1er novembre, l’Église honore ainsi la foule innombrable de ceux et celles qui ont été de vivants et lumineux témoins du Christ.

Si un certain nombre d’entre eux ont été officiellement reconnus, à l’issue d’une procédure dite de « canonisation », et nous sont donnés en modèles, l’Eglise sait bien que beaucoup d’autres ont également vécu dans la fidélité à l’Evangile et au service de tous. C’est bien pourquoi, en ce jour de la Toussaint, les chrétiens célèbrent tous les saints, connus ou inconnus.
Cette fête est donc aussi l’occasion de rappeler que tous les hommes sont appelés à la sainteté, par des chemins différents, parfois surprenants ou inattendus, mais tous accessibles.

La sainteté n’est pas une voie réservée à une élite : elle concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ. Le pape Jean-Paul II nous l’a fait comprendre en béatifiant et canonisant un grand nombre de personnes, parmi lesquelles des figures aussi différentes que le Père Maximilien Kolbe, Edith Stein, Padre Pio ou Mère Térésa…

La vie de ces saints constitue une véritable catéchèse, vivante et proche de nous. Elle nous montre l’actualité de la Bonne nouvelle et la présence agissante de l’Esprit Saint parmi les hommes. Témoins de l’amour de Dieu, ces hommes et ces femmes nous sont proches aussi par leur cheminement – ils ne sont pas devenus saints du jour au lendemain -, par leurs doutes, leurs questionnements… en un mot : leur humanité.
La Toussaint a été longtemps célébrée à proximité des fêtes de Pâques et de la Pentecôte. Ce lien avec ces deux grandes fêtes donne le sens originel de la fête de la Toussant: goûter déjà à la joie de ceux qui ont mis le Christ au centre de leur vie et vivre dans l’espérance de la Résurrection.

 

Qu’est-ce que la sainteté ?

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Le texte des Béatitudes, qui est l’Évangile lu au cours de la messe de la Toussaint, nous dit à sa manière, que la sainteté est accueil de la Parole de Dieu, fidélité et confiance en Lui, bonté, justice, amour, pardon et paix.

« Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait :
« Heureux les pauvres de coeur : le Royaume des cieux est à eux !
Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !
Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassasiés !
Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde !
Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu !
Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux !
Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! » » (Matthieu 5, 1-12a)

 

Toussaint et Halloween, est-ce la même chose ?

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Chaque année, le 31 octobre, c’est Halloween, une fête d’origine celte. N’est-ce pas, pour les catholiques, une occasion à saisir pour redécouvrir la Toussaint ?

Il y a plus de 2500 ans, les Celtes célébraient, le 31 octobre, leur Nouvel an, la fin des récoltes, le changement de saison et l’arrivée de l’hiver.

Cette cérémonie festive, en l’honneur de la divinité Samain (dieu de la mort), permettait de communiquer avec l’esprit des morts. Ce jour-là, les portes entre le monde des vivants et celui des morts s’ouvraient : selon la légende, cette nuit-là, les fantômes des morts rendaient visite aux vivants. Pour apaiser les esprits, les villageois déposaient des offrandes devant leurs portes.

Cette fête est conservée dans le calendrier irlandais après la christianisation du pays, comme un élément de folklore, de carnaval. Elle s’implante ensuite aux Etats-Unis avec les émigrés irlandais de la fin du XIXème siècle où elle connaît, aujourd’hui encore, un immense succès. Halloween traversera ensuite l’Atlantique et arrivera en France essentiellement pour des raisons commerciales.

« All Hallows Eve » ?

Etymologiquement, « Halloween » vient de l’expression anglaise « All Hallows Eve »?, qui signifie « veille de la Toussaint » ? N’y a-t-il donc pas là, pour les catholiques, une occasion de redécouvrir la Toussaint ?

Il est, bien entendu, difficile de comparer Halloween à la Toussaint. Ces deux fêtes sont en effet, si l’on y réfléchit, totalement contradictoires.

La « vraie lumière »

Halloween est avant tout un prétexte pour « faire la fête » et oublier les longues soirées automnales, souvent pluvieuses et tristes. La Toussaint, elle, est une fête beaucoup plus recueillie, « intérieure ». L’Eglise nous libère de cette peur de la mort en insistant, au jour de la Toussaint, sur l’espérance de la Résurrection et sur la joie de ceux qui ont mis les Béatitudes au centre de leur vie. Elle recentre sur le Christ, vainqueur de la mort.

Quelques passages d’Évangile peuvent d’ailleurs éclairer ce débat (Jn 1, 9 ; Mt 5, 14 ; Ps 139, verset 12).

Fête de la peur et communion

Halloween est une fête de la peur. Les enfants « s’amusent » à se faire peur (aux autres et à eux-mêmes).  La Toussaint, au contraire, est une fête de la communion, communion avec les saints, le 1er novembre, et avec les morts, le 2 novembre. Communion de tous par et avec un Dieu d’Amour. Être en communion de pensée, par la prière, c’est être en lien, en
relation, en sympathie avec les autres. A contrario, cultiver la peur, c’est s’éloigner des autres, s’isoler d’eux, se replier sur ses peurs.

« Négatif » et « positif »

Halloween est une fête du négatif :  la peur, la frayeur, la mort anonyme, l’angoisse.
La Toussaint, elle, est une fête du positif : les saints, la proximité avec les morts de sa famille, la mémoire des autres. Les saints
ont des individus qui, soucieux de suivre l’Evangile, ont aimé les autres, se sont dévoués corps et
âme pour l’humanité souffrante. Ils sont des modèles de vie.

Alors que faire ? Sans doute redonner éclat à la Toussaint, fêter avec plus de joie et de dignité ce grand jour. Et expliquer à nos enfants qu’Halloween, c’est juste pour s’amuser !

Trick or treat

Les enfants ont l’habitude, la nuit d’Halloween, de passer de maison en maison et de demander des bonbons en disant “trick or treat » ? : ils échangent une protection contre un “mauvais sort » ?
contre un bonbon.
L’expression anglaise Trick or Treat (Courir l’Halloween en français) provient d’une vieille coutume européenne qu’on appelait souling. Des mendiants allaient de village en village en demandant des soul cakes (gâteaux de l’âme) qui étaient faits de morceaux de pain carrés avec des raisins secs. S’ils recevaient beaucoup de gâteaux, ils promettaient beaucoup de prières pour les âmes des parents défunts du donneur.
On croyait que les âmes des défunts restaient encore un moment dans leur corps et que des prières, même par des étrangers, pourraient garantir le passage de l’âme vers le Ciel.

 

Source : Gratiane DORLANNE, diocèse de Valence

 

D’où vient la fête de la Toussaint que nous célébrons le 1er novembre ?

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La Toussaint est une solennité célébrée le 1er novembre par l’Église catholique latine en l’honneur de tous les saints, connus et inconnus. La célébration liturgique commence aux vêpres le soir du 31 octobre et se termine à la fin du 1er novembre. La Toussaint est la veille de la Commémoration des fidèles défunts. Mais quelles sont les origines de cette fête ?

Dès le 4ème siècle, l’Eglise syrienne consacrait un jour à fêter tous les martyrs dont le nombre était devenu si grand qu’il rendait impossible toute commémoration individuelle. Trois siècles plus tard, dans son effort pour christianiser les traditions païennes, le pape Boniface IV transformait un temple romain dédié à tous les dieux, le Panthéon, en une église consacrée à tous les saints. Cette coutume se répandit en Occident, mais chaque Eglise locale les fêtait à des dates différentes jusqu’en 835, où elle fut fixée au 1er novembre. Dans l’Eglise byzantine, c’est le dimanche après la Pentecôte qui est consacré à la fête de tous les saints.

 

 Que commémore-t-on le jour de prière des défunts ?

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Le  2 novembre, après avoir célébré tous les saints, les catholiques prient pour leurs défunts. Dans la lumière de la Toussaint, cette journée est pour les chrétiens l’occasion d’affirmer et de vivre l’espérance en la vie éternelle donnée par la résurrection du Christ. C’est bien pour signifier cela, qu’à l’occasion de ces célébrations, un grand nombre de personnes se rendent dans les cimetières pour honorer leurs proches disparus et fleurir leur tombe.

L’Évangile de la messe du jour de prière pour les défunts rappelle ces propos du Christ :

Tous ceux que le Père me donne viendront à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors. Car je ne suis pas descendu du ciel pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. Or, la volonté du Père qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite tous au dernier jour. Car la volonté de mon Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle ; et moi, je les ressusciterai au dernier jour.
(Jean 6, 37-40)

 

Quelles sont les origines du jour de prière pour les défunts ?

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La fête de la Toussaint est inséparable de du jour de prière pour les défunts, que l’Eglise commémore le 2 novembre. La première célébration s’est vécue dans la joie; la seconde est plus en lien avec les souvenirs envers ceux que nous avons aimés.

La conviction que les vivants ont à prier pour les morts s’est établie dès les premiers temps du christianisme. L’idée d’une journée spéciale de prière pour les défunts dans le prolongement de la Toussaint a vu le jour dès avant le Xe siècle. Le lien ainsi établi avec la fête de tous les saints répond à une vue cohérente : le 1er novembre, les catholiques célèbrent dans l’allégresse la fête de tous les saints ; le lendemain, ils prient plus généralement pour tous ceux qui sont morts.
Par ce jour consacré aux défunts, l’Église signifie aussi que la mort est une réalité qu’il est nécessaire et possible d’assumer puisqu’elle est un passage à la suite du Christ ressuscité.
Dans la lumière de la Toussaint, cette journée est pour les chrétiens l’occasion d’affirmer et de vivre l’espérance en la vie éternelle donnée par la résurrection du Christ.
L’Evangile de la messe du jour de prière pour les défunts rappelle ces propos du Christ :

Tous ceux que le Père me donne viendront à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors. Car je ne suis pas descendu du ciel pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé.
Or, la volonté du Père qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite tous au dernier jour. Car la volonté de mon Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle ; et moi, je les ressusciterai au dernier jour. » (Jean 6, 37-40)

BERNARD DE CLAIRVAUX, HOMELIES, TOUSSAINT

TOUS SAINTS !

 

« Ressuscitons avec le Christ…  Désirons ceux qui nous désirent… »

 

toussaint4Pourquoi notre louange à l’égard des saints, pourquoi notre chant à leur gloire, pourquoi cette fête même que nous célébrons ? Que leur font ces honneurs terrestres, alors que le Père du ciel, en réalisant la promesse du Fils, les honore lui-même ? De nos honneurs les saints n’ont pas besoin, et rien dans notre culte ne peut leur être utile. De fait, si nous vénérons leur mémoire, c’est pour nous que cela importe, non pour eux. […] Pour ma part, je l’avoue, je sens que leur souvenir allume en moi un violent désir […]

Le premier désir, en effet, que la mémoire des saints éveille, ou plus encore stimule en nous, le voici : nous réjouir dans leur communion tellement désirable et obtenir d’être concitoyens et compagnons des esprits bienheureux, d’être mêlés à l’assemblée des patriarches, à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des martyrs, à la communauté des confesseurs, au chœur des vierges, bref d’être associés à la joie et à la communion de tous les saints.  […] Cette Église des premiers-nés nous attend, et nous n’en aurions cure ! Les saints nous désirent et nous n’en ferions aucun cas ! Les justes nous espèrent et nous nous déroberions !

Réveillons-nous enfin, frères ; ressuscitons avec le Christ, cherchons les réalités d’en haut ; ces réalités, savourons-les. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, et puisqu’ils comptent sur nous, accourrons avec nos désirs spirituels. {…] Ce qu’il nous faut souhaiter, ce n’est pas seulement la compagnie des saints, mais leur bonheur, si bien qu’en désirant leur présence, nous ayons l’ambition aussi de partager leur gloire, avec toute l’ardeur et les efforts que cela suppose. Car cette ambition-là n’a rien de mauvais : nul danger à se passionner pour une telle gloire. […]

Et voici le second désir dont la commémoration des saints nous embrase : voir, comme eux, le Christ nous apparaître, lui qui est notre vie, et paraître, nous aussi, avec lui dans la gloire. Jusque-là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu’il s’est fait pour nous : notre Tête, non pas couronnée de gloire, mais ceinte par les épines de nos péchés […] Viendra le jour de l’avènement du Christ : alors on n’annoncera plus sa mort de manière à nous faire savoir que nous aussi sommes morts et que notre vie est cachée avec lui. La Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elles les membres resplendiront de gloire, lorsque le Christ restaurera notre corps d’humilité pour le configurer à la gloire de la Tête, puisque c’est lui la Tête.

Cette gloire, il nous faut la convoiter d’une absolue et ferme ambition. […] Et vraiment, pour qu’il nous soit permis de l’espérer, et d’aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher de tout cœur l’aide et la prière des saints : ce qui est au-dessus de nos forces puisse-t-il nous être donné par leur intercession !

St Bernard de Clairvaux

 

HOMELIES, TOUSSAINT

HOMELIE DE SAINT BERNARD POUR LA TOUSSAINT

« Recherchons les choses d’en-haut  » :
Une homélie de saint Bernard pour la Toussaint
Du fond des siècles, la prédication de St. Bernard de Clairvaux nous parvient et n’a rien perdu de sa fougue ! Il nous confie une chose essentielle : les saints ne sont pas faits que pour être admirés ! Nous sommes tous appelés à faire partie de « la foule immense des témoins » dont le grand bonheur est de voir un jour le visage du Seigneur et d’être semblable à lui (1 Jn 3,2). Tel est le sens de la fête de la Toussaint célébrée le 1er novembre.

Pourquoi notre louange à l’égard des saints, pourquoi notre chant à leur gloire, pourquoi cette fête même que nous célébrons ? Que leur font ces honneurs terrestres, alors que le Père du ciel, en réalisant la promesse du Fils, les honore lui-même ? De nos honneurs les saints n’ont pas besoin, et rien dans notre culte ne peut leur être utile. De fait, si nous vénérons leur mémoire, c’est pour nous que cela importe, non pour eux. […] Pour ma part, je l’avoue, je sens que leur souvenir allume en moi un violent désir […]
Le premier désir, en effet, que la mémoire des saints éveille, ou plus encore stimule en nous, le voici : nous réjouir dans leur communion tellement désirable et obtenir d’être concitoyens et compagnons des esprits bienheureux, d’être mêlés à l’assemblée des patriarches, à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des martyrs, à la communauté des confesseurs, au chœur des vierges, bref d’être associés à la joie et à la communion de tous les saints. […] Cette Église des premiers-nés nous attend, et nous n’en aurions cure ! Les saints nous désirent et nous n’en ferions aucun cas ! Les justes nous espèrent et nous nous déroberions !
Réveillons-nous enfin, frères ; ressuscitons avec le Christ, cherchons les réalités d’en haut ; ces réalités, savourons-les. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, et puisqu’ils comptent sur nous, accourrons avec nos désirs spirituels. {…] Ce qu’il nous faut souhaiter, ce n’est pas seulement la compagnie des saints, mais leur bonheur, si bien qu’en désirant leur présence, nous ayons l’ambition aussi de partager leur gloire, avec toute l’ardeur et les efforts que cela suppose. Car cette ambition-là n’a rien de mauvais : nul danger à se passionner pour une telle gloire. […]
Et voici le second désir dont la commémoration des saints nous embrase : voir, comme eux, le Christ nous apparaître, lui qui est notre vie, et paraître, nous aussi, avec lui dans la gloire. Jusque-là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu’il s’est fait pour nous : notre Tête, non pas couronnée de gloire, mais ceinte par les épines de nos péchés […] Viendra le jour de l’avènement du Christ : alors on n’annoncera plus sa mort de manière à nous faire savoir que nous aussi sommes morts et que notre vie est cachée avec lui. La Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elles les membres resplendiront de gloire, lorsque le Christ restaurera notre corps d’humilité pour le configurer à la gloire de la Tête, puisque c’est lui la Tête.
Cette gloire, il nous faut la convoiter d’une absolue et ferme ambition. […] Et vraiment, pour qu’il nous soit permis de l’espérer, et d’aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher de tout cœur l’aide et la prière des saints : ce qui est au-dessus de nos forces puisse-t-il nous être donné par leur intercession !

toussaintSt Bernard

TOUSSAINT

FETE DE HALLOWEEN

Halloween

Halloween ou l’Halloween (usage canadien) est une fête originaire des îles Anglo-Celtes1 célébrée dans la soirée du 31 octobre, veille de la Toussaint. Son nom est une contraction de l’anglais All Hallows Eve qui signifie the eve of All Saints’ Day en anglais contemporain et peut se traduire comme « la veillée de la Toussaint ».
En dépit de son nom d’origine chrétienne et anglaise, la grande majorité des sources présentent Halloween comme un héritage de la fête païenne de Samain qui était célébrée au début de l’automne par les Celtes et constituait pour eux une sorte de fête dunouvel an. Halloween est ainsi connue jusqu’à nos jours sous le nom de Oíche Shamhna en gaélique. Elle est une fête très populaire en Irlande, Écosse et au Pays de Galles où l’on trouve de nombreux témoignages historiques de son existence. Jack-o’-lantern, la lanterne emblématique d’Halloween, est elle-même issue d’une légende irlandaise.
C’est à partir du VIIIe siècle, sous les papes Grégoire III (731-741) et Grégoire IV (827-844), que l’église catholique introduisit la Toussaint en date du 1er novembre opérant un syncrétisme avec les fêtes de Samain.
La fête d’Halloween est introduite en Amérique du Nord après l’arrivée massive d’émigrants irlandais et écossais notamment à la suite de la Grande famine en Irlande (1845-1851). Elle y gagne en popularité à partir des années 19202 et c’est sur le nouveau continent qu’apparaissent les lanternes Jack-o’-lanterns confectionnées à partir de citrouilles, d’origine locale, en remplacement des rutabagas utilisés en Europe.
Halloween est aujourd’hui célébrée principalement en Irlande, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en France. La tradition moderne la plus connue veut que les enfants se déguisent avec des costumes effrayants comme des costumes de fantômes, de sorcières, de monstres ou de vampires et aillent sonner aux portes en demandant des friandises avec la formule : Trick or treat ! qui signifie « Farce ou friandise ! ». La soirée peut également être marquée par des feux de joie des feux d’artifices, des jeux d’enfants, la lecture de contes horrifiques ou de poèmes d’Halloween, la diffusion de films d’horreur mais aussi la tenue de messes anticipées de la Toussaint dans sa composante strictement religieuse3.

Étymologie et orthographe
L’étymologie du mot Halloween appartient strictement à la langue anglaise, sans aucun rapport avec le gaélique ou toute autre langue celtique. Son nom actuel est une altération de All Hallows Eve qui signifie littéralement « le soir de tous les saints », c’est-à-dire la veille de la fête chrétienne de la Toussaint. Hallow est une forme archaïque du mot anglais holy et signifie « saint », even est une forme usuelle qui a formé evening, le soir. L’orthographe Hallowe’en est encore parfois utilisée au Canada et au Royaume-Uni6, « e’en » étant la contraction de even, devenue « een ».
Au Canada, le mot « Halloween » est précédé de l’article défini « l’». Par exemple : « C’est l’Halloween ! ». D’après l’Office québécois de la langue française, « en dépit du fait qu’en typographie la majuscule caractérise les noms de fêtes civiles ou religieuses, ce terme est parfois attesté avec une minuscule. D’autre part, même si ce mot est d’origine étrangère, le « h » initial est muet, ce qui entraîne son élision, par exemple dans l’expression des bonbons d’Halloween. »

Historique

Origine celtique : la fête de Samain
De jeunes garçons jouent au « Snap Apple » en premier plan de cette scène d’une soirée d’Halloween en Irlande à Blarney, comté de Cork en 1832.
La plupart des historiens considèrent la fête folklorique païenne traditionnelle d’Halloween comme un héritage de Samain, une fête qui était célébrée au début de l’automne par les celtes et constituait pour eux une sorte de fête du nouvel an. Pendant la protohistoire celtique, existait une fête religieuse – Samain en Irlande, Samonios en Gaule –, qui se déroulait sous l’autorité des druides, pendant sept jours : le jour de Samain lui-même et trois jours avant et trois jours après. « C’est une fête de fermeture de l’année écoulée et d’ouverture de l’année à venir. Le temps de Samain est celui du Sidh (l’autre monde) brièvement confondu avec celui de l’humanité». La nuit de Samain n’appartient ni à l’année qui se termine, ni à celle qui commence. La fête est une période close en dehors du temps. C’est la période ou les hommes peuvent communiquer avec les gens de l’autre monde (Il s’agit là de démons ou des dieux des Tuatha Dé Danann). Lors de cette nuit de fermeture, les Gaulois avaient l’habitude de pratiquer une cérémonie afin de s’assurer que la nouvelle année à venir se déroulerait sereinement. Par tradition, ils éteignaient le feu de cheminée dans leur foyer puis se rassemblait en cercle autour du feu sacré de l’autel, où le feu était aussi étouffé pour éviter l’intrusion d’esprits maléfiques dans le village. Après la cérémonie, chaque foyer recevait des braises encore chaudes pour rallumer le feu dans leurs maisons pour ainsi protéger la famille des dangers de l’année à venir.
Les fêtes druidiques ont disparu d’Irlande au Ve siècle, avec l’arrivée d’une nouvelle religion, le christianisme.

Halloween, Toussaint et fête des Morts
La fête catholique de la Toussaint tire son origine d’une commémoration de tous les martyrs instituée à Rome en 613 par le pape Boniface IV ; à l’origine elle était fêtée le 13 mai, jour anniversaire de la dédicace du Panthéon13. Elle remplaçait la fête des ‘’Lemuria’’ de la Rome antique célébrée à cette date pour conjurer les spectres malfaisants.
Au IXe siècle, la fête fut étendue à « tous les saints » par le pape Grégoire IV et décalée au 1er novembre. Les historiens considèrent généralement que cette date a été choisie pour christianiser la fête de Samain. Certains spécialistes considèrent toutefois les festivités de « la veille de la Toussaint » comme devant exclusivement être rattachées à la tradition chrétienne et récusent toute origine païenne à ces célébrations.
La célébration de Toussaint fut suivie localement d’un office des morts dès le IXe siècle. En 998, les moines de Cluny instituèrent une fête des trépassés le 2 novembre, qui entra comme dans la liturgie romaine comme commémoration des fidèles défunts au XIIIe siècle. Le culte des morts resta cependant massivement célébré au 1er novembre Sur le Continent, l’historienne Nadine Cretin cite une croyance bretonne qui aurait perduré jusqu’au début du XXe siècle, selon laquelle les (âmes des morts) revenaient à la veille de laToussaint et lors des nuits de solstice. Avant d’aller se coucher, on leur laissait de la nourriture sur la table et une bûche allumée dans le feu pour qu’ils puissent se chauffer. Cette croyance n’étant pas chrétienne, elle pourrait être, si elle est confirmée, une survivance de Samain.

Diffusion de l’Irlande en Amérique du Nord
Hors de l’Empire carolingien, le changement de date ne fut pas systématique ; l’Irlande continua à fêter les martyrs au 20 avril et non au 1er novembre. L’abondante littérature irlandaise médiévale, élaborée par les clercs entre les VIIIe et XIIe siècles, ne mentionne que la fête sacrée de Samain.
À la suite de la Grande Famine de 1845 en Irlande, plus de 2 millions d’irlandais s’installèrent aux États-Unis et apportèrent avec eux leurs pratiques et coutumes.

Jack o’ lantern
Légende
Jack-o’-lantern est probablement le personnage le plus populaire associé à Halloween. Il nous provient d’un vieux conte irlandais. Jack aurait été un avare, un personnage ivrogne, méchant et égocentrique. Un soir, alors qu’il était dans une taverne, le diable lui apparut et lui réclama son âme. Jack demande au diable de lui offrir à boire, un dernier verre avant de partir pour l’enfer. Le diable accepte et se transforme en pièce de six pence. Jack la saisit et la place immédiatement dans sa bourse. Cette dernière ayant une serrure en forme de croix, le diable ne peut s’en échapper. Finalement, Jack accepta de libérer le diable, à condition que ce dernier lui accorde dix ans de plus à vivre. Dix ans plus tard, Jack fit une autre farce au Diable, le laissant en haut d’un arbre (sur lequel il avait gravé une croix grâce à son couteau) avec la promesse qu’il ne le poursuivrait plus.
Lorsque Jack meurt, l’entrée au paradis lui est refusée, et le diable refuse également de le laisser entrer en enfer. Jack réussit néanmoins à convaincre le diable de lui donner un morceau de charbon ardent afin d’éclairer son chemin dans le noir. Il place le charbon dans un navet creusé en guise de lanterne et est condamné à errer sans but, jusqu’au jour du jugement dernier. Il est alors nommé Jack of the Lantern (Jack à la lanterne, en français), ou Jack-o’-lantern. Il réapparaît chaque année, le jour de sa mort, à Halloween.

Symboles
À l’origine, le symbole d’Halloween était un navet contenant une bougie pour commémorer la légende de Jack-o’-lantern (Jack à la lanterne), condamné à errer éternellement dans l’obscurité entre l’enfer et le paradis en s’éclairant d’un tison posé dans un navet. Le navet fut progressivement remplacé par une citrouille. Même s’il y a une tradition des Îles Britanniques consistant à sculpter une lanterne à partir d’un rutabaga ou d’un navet, la pratique fut associée à Halloween en Amérique du Nord, où la citrouille était plus large et plus facile à sculpter
Au début du XXe siècle, les enfants du Finistère, en Bretagne, auraient encore eu pour coutume de sculpter des têtes dans des betteraves et des navets à l’approche de la Toussaint, ainsi que de jouer des tours aux autres villageois, selon une anecdote rapportée par Pierre-Jakez Hélias dans son livre Le Cheval d’orgueil1.
L’imagerie qui entoure Halloween est un large amalgame de la saison d’Halloween elle-même (saison où les nuits deviennent de plus en plus longues par rapport au jour), d’un siècle ou presque de représentations artistiques (notamment dans les films américains), et une volonté mercantile de commercialiser ce qui a rapport au sombre et au mystérieux. Ceci implique généralement la mort, la magie ou des monstres mythiques. Les personnages couramment associés à Halloween sont les fantômes, les goules, les sorcières, les vampires, les chauves-souris, les hiboux, les corbeaux, les vautours, les maisons hantées, les cimetières, des personnages à tête de citrouille, les chats noirs, les araignées, lesg obelins, les zombies, les momies, les squelettes, les loups-garous et les démons. Surtout en Amérique du Nord, le symbolisme est inspiré par les classiques du cinéma d’horreur, avec des personnages comme Dracula, le monstre de Frankenstein, le Loup-Garou et la Momie. Les maisons sont souvent décorées avec ces symboles.
L’orange et le noir sont les deux couleurs traditionnellement associées à Halloween. Pour l’historienne Nadine Cretin, ces couleurs ont été adoptées après la rencontre d’Halloween avec l’antique fête des Morts célébrée au Mexique. Dans les produits et les images plus récents, les couleurs mauve, vert et rouge peuvent être retrouvées. L’usage de ces couleurs est, en partie, dû à leur usage dans les publicités ayant rapport à cette fête depuis plus d’un siècle

Activités
La chasse aux bonbons
L’événement principal de la fête est la chasse aux bonbons, aussi appelé passage d’Halloween, durant lequel des enfants déguisés vont de porte en porte pour réclamer des friandises. Les petits anglophones crient « Trick or treat ! », qui signifie « Farce ou friandise ! ». En France et en Belgique, l’habitude est de dire une phrase semblable à celle des anglophones « Des bonbons ou un sort ! » Tandis qu’au Québec, les enfants crient « Bonbons s’il-vous-plaît ! ». En ce sens, Halloween fut d’abord connue sous le nom de « Soirée des tours » dans les premières régions des États-Unis où elle se diffusa. Les costumes des enfants, souvent effrayants, servent à donner l’illusion que les esprits maléfiques d’autrefois reviennent hanter les rues des villes auxquels le porte-à-porte est pratiqué
La tradition du porte-à-porte pour demander de la nourriture existait déjà au Royaume-Uni et en Irlande : les enfants et les pauvres chantaient et récitaient des prières contre une part de cake. La tradition d’Halloween est née au XIXe siècle en Écosse et en Irlande. Aux États-Unis et dans les pays du Commonwealth, le trick-or-treating est une tradition depuis les années 1930.
Les propriétaires de maisons souhaitant participer à cette tradition décorent habituellement leur porte de toiles d’araignées, de squelettes en plastiques ou de Jack-o’-lantern. Les habitants sont eux-mêmes souvent déguisés, donnent des friandises, des barres de chocolat, et parfois même des boissons gazeuses. Certaines personnes utilisent des effets sonores et de la fumée pour ajouter de l’ambiance.
À une certaine époque, aux États-Unis, il eut de nombreuses rumeurs portant sur des enfants qui auraient retrouvé des épingles et des lames de rasoir dans des pommes et des bonbons récoltés la nuit d’Halloween. Bien qu’il existe des preuves de ces incidents, ces actes malveillants sont extrêmement rares et n’ont jamais donnés lieu à des blessures graves26. Néanmoins, certaines mesures de sécurité ont été mises en place pour rassurer la population.
La collecte pour l’UNICEF est devenue une tradition durant Halloween en Amérique du Nord. Débutant en 1948 comme événement local dans une banlieue de Philadelphie, le programme consiste en la distribution de petites boîtes aux écoliers, avec lesquelles ils peuvent solliciter des dons en visitant les maisons. Selon les estimations, les enfants ont amassé plus de 119 millions de dollars américains pour l’UNICEF depuis le début du programme. En 2006, l’UNICEF retire ces boîtes dans certaines parties du monde, citant des problèmes administratifs et de sécurité.

Nourriture
Une tradition qui a survécu jusqu’au temps moderne en Irlande est la cuisson (ou l’achat) d’un barmbrack (báirín breac en irlandais), un gâteau aux fruits léger. Un anneau est placé dans le gâteau avant la cuisson. Il est dit que quiconque trouve l’anneau trouvera le véritable amour durant l’année. La citrouille n’a pas seulement un aspect décoratif. Les graines rôties peuvent être mangées et la chair peut être utilisée pour faire de la tarte, de la soupe, de la confiture ou du pain. D’autres aliments sont associés à la fête, tels que le Colcannon (en Irlande), le bonfire toffee (au Royaume-Uni), le Toffee Apple (en Australie ; en Grande-Bretagne à la place des pommes d’amour), le cidre chaud, le blé d’Inde rôti, les beignets, et le pop-corn.
En France, il y avait, à la fin des années 90 et au début des années 2000, un gâteau commercialisé pendant la fête d’Halloween : Le Samain. Il était alors breveté par la société Optos-Opus, qui avait déjà déposé la marque Halloween, et vendu comme étant le gâteau officiel d’Halloween. Le Samain, dont le nom fait référence au Samain de la mythologie celtique, était alors confectionné à base de pâte feuilletée, de pommes, de noisettes grillée, de raisins secs et de caramel. Son aspect lui donnait l’impression d’être illuminé de l’intérieur avec des têtes de citrouille.
Enfin, les enfants récoltent les friandises associées au « Trick or treat »

Popularité dans le monde
Europe

Irlande
En Irlande, Halloween est une fête très populaire, connue sous le nom Gaélique Oíche Shamhna (littéralement la nuit de la fin de l’été), et célébrée depuis des siècles. Dans la nuit d’Halloween, les enfants et les adultes se déguisent en créatures maléfiques (fantômes, zombis, sorcières, goblins), des grands feux sont allumés et des feux d’artifices sont tirés partout dans le pays.

Écosse
L’Écosse, ayant une langue et une culture gaéliques communes avec l’Irlande, célèbre la fête de Samhain depuis des siècles. Robert Burns fit un portrait des différentes coutumes dans son poème Hallowe’en (1785). Halloween, connu en gaélique écossais sous le nom de Oidhche Shamhna, consiste principalement en des enfants déguisés (souvent en sorcière ou en fantôme) faisant du porte-à-porte et offrant des divertissements variés. Si la performance est appréciée, les enfants sont récompensés avec des bonbons, des fruits ou un peu d’argent. Le folklore, incluant Halloween, est centré sur la croyance envers les fées. Les enfants se costument et transportent une Neepy Candle, un visage diabolique gravé dans un rutabaga (neep en anglais) évidé, éclairé de l’intérieur, pour effrayer les mauvaises fées. Un jeu d’enfants populaire durant cette soirée est celui où une pomme doit être attrapée dans un bac d’eau en utilisant seulement sa bouche. Un autre jeu consiste à essayer de manger, en ayant les yeux bandés, un pain enrobé de mélasse pendant au plafond par une ficelle.

Angleterre
En Angleterre, la fête d’Halloween était autrefois appelée « la nuit du casse-noisettes » ou « la nuit de la pomme croquante ». Les familles réunies autour du feu racontaient des histoires tout en mangeant des noisettes et des pommes. Ce jour-là, les pauvres recevaient des gâteaux appelés « les gâteaux de l’esprit ». Halloween a été critiquée en Angleterre pendant la période des réformes pour être opposée à la notion de prédestination et sa popularité a baissé dans ce pays.

France
En France, il existait en Bretagne, dans le Finistère, du XVe siècle jusqu’à la moitié du XXe siècle, une coutume chez les enfants, « vers l’approche de la Toussaint, de creuser des betteraves, d’y pratiquer des trous en forme d’yeux, de nez et de bouche, d’y introduire un bout de bougie et de refermer le tout » ; outre ce « lampion à tête humaine, posé la nuit sur un talus ou dissimulé dans les broussailles d’un terrain creux » pour effrayer les gens, le même témoignage évoque des enfants avec cette fois la tête-betterave portée sur leur tête et montés sur des échasses, en une terrifiante procession supposée représenter l’Ankou et les êtres de l’Autre Monde. En Lorraine, la Rommelbootzennaat (nuit des betteraves grimaçantes en Francique lorrain) est une tradition célébrée en Moselle la veille de la Toussaint, essentiellement dans le Pays de Nied et dans leland de Sarre voisin. La veille de la Toussaint, les enfants sculptent des têtes grimaçantes aussi dans des betteraves, légumes dont la récolte marque la fin des travaux des champs. Éclairées par la lumière d’une bougie, les têtes sont déposées sur les rebords de fenêtres, des puits, les murs des cimetières ou aux croisements des chemins pour effrayer les passants31. Cette fête a continué à être célébrée bien avant le retour en Europe de la mode d’Halloween à la fin des années 1990..

Belgique
En Belgique, Il existait, en milieu rural, des traditions similaires à celles du Jack-O-Lantern. En Flandres, à l’occasion de la Saint-Martin, les enfants creusent en effet des betteraves et y percent des trous pour figurer un visage grimaçant éclairé par une bougie placée à l’intérieur de la betterave. En Wallonie, ces lanternes étaient appelées Grign’ Dints. Ces lanternes étaient réalisées au moment de la récolte qui coïncide avec le début de l’automne et avec les fêtes de la Toussaint. Cette pratique tend à disparaître depuis les années 1980. Halloween n’a commencé à être fêtée que depuis le début des années 1990.

Suisse
La ville de Richterswil accueille l’ancienne fête du Räbeliechtli le 2e samedi de novembre où l’on défile dans la ville avec des raves creusées et éclairées par une bougie à l’intérieur33. Cette fête fait partie des traditions vivantes de Suisse.

Amérique du Nord

États-Unis
C’est à la fin du XIXe siècle qu’Halloween devint aux États-Unis une source de festivité avec les déguisements et les décorations tournant autour des têtes de morts, fantômes, squelettes, sorcières. Les enfants déguisés en sorcières ou en fantômes défilent dans les rues en frappant aux portes et en revendiquant des petits cadeaux (des bonbons) sous menace de malédiction en cas de refus. La coutume du Trick or treat est apparue aux États-Unis dans les années 193034. Aujourd’hui Halloween est fêté par un américain sur deux, un sur deux décore sa maison, 72,3 % distribuent des bonbons et 40,6 % se déguisent. Ils dépensent en moyenne 62 dollars par personne, ce qui représente un total de 8 milliards de dollars.

Canada
Au Canada, la fête d’Halloween est largement célébrée. Le 31 octobre, le soir venu, les enfants revêtent des costumes de toutes sortes, amusants ou effrayants, et envahissent les rues pour frapper à chaque porte et demander des friandises. Les foyers qui participent à la fête ornent le pas de leur porte d’une citrouille illuminée ou branchent simplement les décorations pour indiquer que les enfants y sont les bienvenus. Depuis quelques années, cette fête a pris de l’ampleur et donne lieu à de multiples activités pour petits et grands. La fête suscite aussi un engouement croissant pour la création de véritables décors d’horreur devant certaines maisons. Les commerces comme les restaurants et les discothèques se prêtent également au jeu.
Il fallut néanmoins attendre les années 1960-1970 pour qu’elle s’impose réellement dans les régions à grande majorité francophone, comme le Bas-Saint-Laurent. Par ses manifestations, la fête d’Halloween s’apparente à celle du Mardi gras, ou de la Mi-Carême , qui donnaient lieu, dans certaines régions du pays, à des déguisements et à la collecte de bonbons, notamment au Goulet (Nouveau-Brunswick) et à Saint-Antoine-de-l’Isle-aux-Grues (Québec).

Caraïbes
Halloween est célébré dans les Caraïbes. Dans certaines régions des Antilles britanniques, il y a des célébrations en l’honneur de la Nuit de Guy Fawkes qui ont lieu aux environs d’Halloween. Sur l’île de Bonaire, les enfants d’une ville se rassemblent en groupe, et contrairement aux autres endroits du monde, ils fêtent Halloween dans les confiseries, au lieu de faire du porte-à-porte.

Controverses
Dans plusieurs pays ne célébrant traditionnellement pas Halloween, son introduction a suscité une opposition plus ou moins forte. Certaines voix se sont élevées pour dénoncer une américanisation croissante du monde, ou pour craindre que les fêtes religieuses autour du 31 octobre, comme la Toussaint, ne soient balayées par cette fête.

Aspects commerciaux

En France, la tradition indigène de la Rommelbootzennaat (nuit des betteraves grimaçantes) s’est maintenue dans le Pays de Nied en Lorraine. D’autre part, Halloween était surtout célébré dans les familles ou regroupements anglo-saxons, mais aucun distributeur n’osait commercialiser la fête à grande échelle. Halloween se développe en France à partir de 1991/1992 avec une accélération en 1994/1995. Constatant ce phénomène, Philippe Cahen, créateur de conseil en prospective, décide alors de fonder la société Optos-Opus pour ensuite déposer la marque Halloween. La société commercialise alors des confiseries, des boissons, des gâteaux et divers produits alimentaires, ce qui a permis de valoriser l’image de la fête et de lui donner une visibilité importante auprès des grandes surfaces. La fête d’Halloween devient alors un phénomène visible à partir de 1997.
Tout s’accélère en 1997, lorsque l’opérateur téléphonique France Télécom lance un téléphone mobile de couleur orange baptisé « Olaween ». Une importante campagne publicitaire (8 000 citrouilles sont distribuées au Trocadéro), associée à d’autres initiatives commerciales (comprenant des événements spécifiques au sein du parc à thèmes de Disneyland Paris) donne à cette fête une visibilité médiatique instantanée. Coca-Cola, en partenariat avec d’autres marques, crée l’événement en 1999 en organisant une Halloween Party au Zénith de Paris réservé aux personnes de 15 à 25 ans. La marque organise par la même occasion plus de 400 opérations dans les bars et discothèques de France. D’autres marques importantes, comme Orangina, Haribo, Materne, BN, M&M’s ou encore McDonalds tentent eux aussi de profiter de la popularité de la fête pour lancer divers gammes de produits aux couleurs d’Halloween39. La Salsa du démon est rééditée en version remixée. Dès 1998, Halloween est adoptée par les commerçants et certains médias, la fête tombant juste au moment de la « période creuse » avant les fêtes de Noël.
Rapidement, cette importation (notamment dans la grande distribution) est critiquée en la dénonçant comme du marketing visant à faire plus de profit auprès des jeunes consommateurs (confiseries, jouets, masques et costumes…) Néanmoins, la fête s’impose en France en moins de quatre ans comme la troisième fête commerciale de l’année, juste derrière Noël et le jour de l’An. La société Optos-Opus, qui avait déposé la marque Halloween au milieu des années 90, finit par perdre son droit d’exploitation de la marque après un arrêté délivré par la chambre du commerce et de la cour de cassation, en 2004. La chambre syndicale nationale de la confiserie déclare que le dépôt d’une marque comme Halloween, qui représente un événement public, est considéré comme un acte à caractère frauduleux et empêche ainsi les autres commerçants de commercialiser des produits au nom de la fête. La société Optos-Opus s’est alors vu attribuer une amende de 5000 € auprès de diverses organisations.
Mais dès 2006, de nombreux médias comme L’Express et 20 minutes font état d’un désintérêt progressif des Français pour Halloween. La pure logique commerciale et la survente médiatique de la fête en France sont mises en avant pour expliquer ce rapide retour de balancier.

Aspects politiques et religieux
Halloween a aussi beaucoup souffert de vives oppositions politiques ou religieuses, la fête entrant en concurrence avec la Toussaint (le 1er novembre) et la fête des morts (le 2 novembre).
L’Église catholique romaine aurait constaté qu’une population non chrétienne s’intéresse au sens de la mort avec Halloween. Pour rappeler le sens de la Toussaint catholique, le diocèse de Paris a instauré, depuis 2002, une manifestation festive baptisée, en anglais approximatif (et ce pour créer un jeu de mot en opposition à Halloween), « Holy wins » (possiblement traduit par « ce qui est saint est victorieux »). Des centaines de personnes y participent chaque année. Une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), commandée par la Chambre syndicale nationale des arts funéraires et datée de 2005, fait apparaître en parallèle une récente augmentation du succès commercial de la fête de la Toussaint. Au mois d’octobre, les confiseurs vendent leurs bonbons en indice 130 contre 100 les autres mois, ce qui montre bien le succès de la fête, du point de vue des confiseurs tout du moins. D’après le directeur du Crédoc même, « le chiffre d’affaires de la fête d’Halloween en France n’a jamais dépassé celui des fleuristes pour la Toussaint »
En Allemagne et en France, le 31 octobre est la fête de la réforme. L’Église évangélique y distribue des bonbons à l’effigie de Martin Luther pour décourager les enfants de célébrer Halloween. Selon l’évêque de Hanovre, il est « absurde de célébrer Halloween, Martin Luther ayant libéré les protestants de la peur des démons et des sorcières ».
En Russie, le Kremlin et l’Église orthodoxe tentent de freiner la popularité grandissante d’Halloween. Il est maintenant interdit de la célébrer dans les écoles de Moscou.
En Équateur, le président Rafael Correa a demandé, en 2007, aux fonctionnaires de ne pas célébrer Halloween car, selon lui, le gouvernement équatorien est nationaliste et la population doit célébrer les fêtes locales. Au Venezuela, le président Hugo Chávez a déjà affirmé qu’Halloween répandait la terreur et qu’il fallait que la population résiste à l’envahissement de la culture américaine. Au Brésil, la fête d’Halloween n’est pas célébrée ; sa popularité a cependant augmenté de par l’influence de la culture américaine. Il existe également, parmi les habitants, des oppositions quant à fêter ce jour. Le gouvernement a alors créé en 2005 le « Jour du Saci » (Dia do Saci, en portugais), se déroulant à la même date qu’Halloween et faisant hommage à un personnage du folklore brésilien.
À l’île Maurice, cette quête de friandises est parfois effectuée par les enfants, bien que cela ne soit pas entièrement inscrit dans les mœurs du pays.
Au Maroc, la fête d’Halloween est peu célébrée mais sa popularité augmente rapidement au point de voir des citrouilles dans certains quartiers, des enfants déguisés et des adultes qui organisent des soirées.

Santé et sécurité

À chaque fête d’Halloween, aux États-Unis, il y a des rumeurs persistantes selon lesquelles des gens introduiraient du poison ou des objets dangereux (lames, aiguilles) dans les bonbons. Certains postes de police organisent même une inspection gratuite des friandises. Certains hôpitaux ont aussi offert des scanners aux rayons X pour trouver d’hypothétiques objets malveillants affins de rassurer les enfants et les parents. La plupart de ces rumeurs sont des canulars parfois émis par la propre famille des enfants. Pourtant, chaque année, des reportages avertissant les gens du danger sont diffusés. La version 2014 met en garde contre la distribution de bonbons au cannabis.
Les consignes de sécurité élémentaires sont régulièrement rappelées :
Ne faire la collecte qu’en groupe, et accompagné d’un adulte pour les plus jeunes ;
Ne jamais entrer chez des inconnus ;
Ne pas consommer les friandises non emballées, et si possible attendre pour les trier chez soi ;
Être visible pour circuler dans la pénombre.
À Churchill, au Manitoba, un périmètre de sécurité est établi à l’aide d’automobiles munies de gyrophares pour permettre aux enfants de fêter Halloween à l’abri des ours polaires, qui peuvent parfois se promener dans la ville à la tombée de la nuit.

Incidents autour d’Halloween
Aux États-Unis, dans l’État du Michigan et à certains endroits des Maritimes canadiennes, certaines personnes prennent très à cœur l’aspect « mauvais coups » de la fête. Il y a des actes de vandalisme tels que le toilet papering (acte de dérouler des rouleaux de papier toilette dans les arbres ou sur la voie publique) ou l’incendie de voitures. À certains endroits, les policiers se laissent lancer des œufs dans l’espoir de réduire le vandalisme.
En 2014, quelques jours avant la fête d’Halloween, plusieurs agressions ont été commises par des personnes déguisées en Clown maléfique. Certaines apparitions de clowns visant juste à effrayer les passants, d’autres allant jusqu’aux agressions physiques. Ce phénomène a pris une ampleur importante qui a suscité l’effroi de plusieurs villes françaises où de nombreuses alertes se sont multipliées. Pour Halloween, les autorités ont fortement conseillés à la population de ne pas se costumer en clowns, ce qui n’a pas empêché les nombreux signalements de clowns agressifs durant la nuit d’Halloween. La psychose des clowns agressifs recommence l’année suivante, en octobre 2015. Des personnes déguisées en clown se sont ainsi amusés à poursuivre trois jeunes collégiennes en les menaçants avec des couteaux.

Dans la culture populaire

Halloween est le prétexte d’un nombre important d’œuvres, notamment cinématographiques comme It’s the Great Pumpkin, Charlie Brown (1966) (de Bill Meléndez), La Nuit des masques (1978) (de John Carpenter) et ses suites, Hocus Pocus (1993), (de David Kirschner et Mick Garris),L’Étrange Noël de monsieur Jack (1993), (de Henry Selick) et Trick ‘r Treat, (2008) (de Michael Dougherty) mais aussi télévisuels comme Les Sorcières d’Halloween et ses suites, Le Fantôme d’Halloween, Le Sauveur d’Halloween ou encore Le Crime d’Halloween.
Les feuilletons et séries télévisées américains ont souvent un épisode consacré à Halloween, quand ce n’est pas plusieurs (voir Les Simpson par exemple, ou encore la série Friends ou dans des séries policières tel que NCIS : Enquêtes spéciales). Au Canada, notons le clip Halloween desTêtes à claques57 et de nombreux épisodes de Chair de poule.
Dans Buffy contre les vampires, Halloween est le jour que les « démons » détestent, le jour où ils préfèrent ne pas sortir de chez eux, révoltés à l’idée de ne pas être suffisamment pris au sérieux et d’être dévalués par une manifestation commerciale. Ce qui est un curieux contre-sens : dans la tradition celtique, la fête de Samain était justement celle de la réunion du monde visible et du monde invisible, le jour de l’année où les vivants pouvaient avoir accès à l’« Autre Monde ».
Dans Charmed, Halloween est considéré comme le jour le plus magique de l’année, nouvel an sorcier. C’est par cette magie que les démons vaincus au cours de l’année précédente peuvent revenir d’entre les morts pour la journée et circuler librement parmi les humains festifs. Pour les sorcières, c’est un jour où la magie primitive peut être invoquée facilement. Un chapeau pointu leur permet ainsi facilement de capter les énergies célestes tandis qu’un balai ou une pomme se trouvent être des moyens de défense et d’attaque inestimables.

Fêtes similaires
À noter que cette fête existe chez les kabyles en Algérie, semblable avec une chanson « bonbons ou monstre ».
Halloween n’est pas célébrée traditionnellement en Chine, mais il existe une fête proche, la Fête des fantômes.
Au Mexique, la fête n’est pas célébrée mais les Mexicains fêtent le Jour des morts le 1er novembre.
À l’île de Man, le 31 octobre est la fête de Hop-tu-Naa .
Il existe en Catalogne la Fête de la châtaigne, ou Castanyada, qui provient d’une ancienne fête rituelle funéraire.
Au Portugal, on célèbre le « Magusto », fête des châtaignes, entre la Toussaint et la Saint Martin
En Galice, la fête du « Magosto » est célébrée de la même façon qu’au Portugal.
Le Japon a sa fête traditionnelle des morts : le O-Bon. C’est l’occasion pour visiter les sépultures des défunts et y déposer des offrandes ou des fleurs. Cette fête se déroule du 13 au 15 août.

Bibliographie
Philippe Cahen, Secrets et mystères d’Halloween, Jacques Grancher,‎ 1999, 173 p.
Jean Markale, Halloween, histoire et traditions, Imago,‎ 2000, 164 p
Damien Le Guay, La face cachée d’Halloween, Paris, Éditions du Cerf,‎ 2002, 161 p.
P. Majérus, Halloween la revenante, dans Les Cahiers de La Fonderie, Bruxelles,‎ 2012, nr. 47, p. 22-24. p.
Adrien Lherm, « Halloween et les français », dans Hélène Harter, Terres promises, Sorbonne,‎ 2008 , p. 289-302.
Nicholas Rogers, Halloween: From Pagan Ritual to Party Night, Oxford University Press,‎ 2003
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