Crimes sexuels au sein de l’Eglise : le livre coup de poing de Sœur Véronique
Un moment de vérité
Véronique Magron, Jérôme Cordelier
Paris, Albin Michel, 2019. 192 pages.
Véronique Margron préside la Conférence des religieux et religieuses de France, rassemblant les représentants de toutes les congrégations catholiques. Cette sœur dominicaine, théologienne de renom, se bat contre les abus sexuels au sein de l’Eglise. Elle publie un livre de combat, « Un moment de vérité » (Albin Michel), pour en finir avec « ce désastre ».
Présentation de l’éditeur
« Je me suis décidée à écrire non pour enfoncer le glaive plus avant dans l’Église, mais pour proposer des voies afin de sortir de ce désastre. ».
Véronique Margron est une voix catholique qui compte et une responsable reconnue de l’institution ecclésiale. Cette appartenance la rend peut-être plus radicale encore dans sa critique d’un système qui a permis tant d’abus sexuels dans l’Église, et qui en a organisé l’impunité. Véronique Margron a été amenée depuis des décennies à recevoir et écouter des victimes d’abus de toutes sortes, et cette expérience donne à son propos une densité humaine unique. De plus, s’engageant en théologienne, elle pousse la réflexion au-delà de la simple critique d’un dysfonctionnement, fût-il gravissime : il s’agit de déceler dans ce qui structure l’Église les racines du mal – et dans ses fondements spirituels les issues possibles d’un relèvement.
Biographie de l’auteur
Véronique Margron est la provinciale de l’ordre des dominicaines pour la France, et présidente de la CORREF (Conférence des religieux et religieuses de France, qui regroupe tous les prieurs, provinciaux, abbés, abbesses et responsables monastiques). Théologienne spécialiste des questions d’éthique elle a publié une dizaine d’ouvrages dont Libre Traversée de l’Evangile t.1 (Bayard, 2007), Fidélité – infidélité – Question vive (Cerf, 2017) et La Parole est tout près de ton coeur – t. 2 Libre Traversée de l’Evangile (Bayard, 2017).
Une grande colère
Véronique Margron est la première femme à la tête de la Conférence des religieux et religieuses de France qui regroupe tous les prieurs, provinciaux, abbés, abbesses et responsables monastiques. « C’est une voix catholique qui compte et une responsable reconnue de l’institution ecclésiale », souligne son éditeur, Albin Michel, chez qui elle publie ‘Un moment de vérité », livre sans concession, appelant l’Eglise à faire son examen de conscience, à se réformer et à couper les racines du mal qui la ronge: les abus sexuels. « Un désastre », selon ses mots.
Depuis mars, les affaires de pédophilie dans l’Église catholique française se multiplient. Longtemps, « on n’en a pas assez parlé », selon la dominicaine, mais désormais, « il y a eu une avalanche de révélations ». « Tout cela m’a plongé dans un profond désarroi, mais surtout, une grande colère ». L’église, martèle-t-elle, « est faite pour servir les plus fragiles et se retrouve avec des prédateurs dont elle s’est fait le complice, par son déni et son silence ».
L’Eglise n’en fait pas assez
Et aujourd’hui, que la parole des victimes s’est libérée, que les scandales ont éclaté, que des jugements ont été rendus ou des procès en cours, « l’Eglise n’en fait pas assez », selon Sœur Véronique. La parole du pape, sa convocation en février d’un sommet des présidents des conférences épiscopales du monde entier au Vatican, la mise en place d’une commission indépendante chargée de faire la lumière sur les abus sexuels sur mineurs au sein de l’Eglise ne sauraient suffire. « Il ne suffit pas que le chef dise que ça va changer pour que ça suive ».
Si des mesures ont été prises, leurs effets non seulement se font attendre, mais il faut aller plus loin, dans la formation des prêtres, dans l’organisation même de l’Eglise et dans la prise en compte et l’indemnisation des victimes, selon la dominicaine.
Après le silence, la révélation, le temps est venu de la justice. Pas seulement celle des hommes, mais celle de l’institution. « L’Eglise ne fait pas tout ce qu’il faut s’agissant des agresseurs ». La propre justice interne de l’Eglise catholique, qui prononce des peines ecclésiastiques, est défaillante: « A partir du moment où il existe un droit, autant l’appliquer », juge Sœur Véronique.
Le cas Barbarin
Véronique Margron a des mots sévères envers le cardinal Philippe Barbarin, dont le pape a refusé la démission, invoquant « la présomption d’innocence », après que l’archevêque de Lyon, qui depuis s’est mis en retrait de son diocèse, a été condamné le 7 mars à six mois de prison avec sursis, pour non dénonciation à la justice des agressions pédophiles imputées par des scouts lyonnais au père Bernard Preynat.
Sœur Véronique déplore l’appel formé par les avocats de Mgr Barbarin, archevêque de Lyon depuis 2002, cardinal depuis 2003, primat des Gaules: « Comme archevêque, il a proposé sa démission au pape, mais comme homme, il fait appel. Mais il n’a pas été condamné comme citoyen, mais bien comme responsable dans l’exercice de sa fonction épiscopale. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un simple accident de la circulation, qui là relèverait du citoyen. Sa condamnation relève de son rôle ecclésiastique ».
Le pape tout-puissant
La présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France n’est pas plus indulgente avec le pape François, qui a longtemps pris personnellement la défense du cardinal français et avait déjà refusé une première fois sa démission, « un contresens, une imprudence », avait objecté le Saint-Père.
Dans le refus de la démission de Barbarin, Véronique Margron voit un symptôme du dysfonctionnement de l’institution et de son organisation. « Ce pape est lui-même dans une pouvoir tellement autocentré qu’il court le risque d’être discrétionnaire. Il est rattrapé par ce pouvoir alors que lui-même l’a dénoncé comme une de causes de cette crise ».
===========================================
Les 12 travaux de l’Église, selon Véronique Margron
Dans un des rares ouvrages à proposer une réflexion théologique sur la crise des abus sexuels dans l’Église, la théologienne Véronique Margron prend à bras-le-corps les grands chantiers qui attendent le catholicisme avec courage et liberté.
Quelles leçons tirer de la crise des abus que traverse l’Église depuis plusieurs mois ? Alors que la crédibilité de l’institution est mise à mal, toute prise de parole sur le sujet est risquée. Encore plus que par le passé, de beaux discours ne suffisent plus. Toute réflexion, si elle veut être audible, doit faire corps avec la personne qui la prononce et certains, telles les vierges folles de l’Évangile, se réveillent aujourd’hui, sans avoir mené hélas ce long travail intérieur d’une parole éprouvée par le contact direct avec ces trajectoires brisées.
Dans ce contexte, l’analyse de Véronique Margron est d’autant plus essentielle que cette théologienne réputée n’a pas attendu les révélations des médias pour se laisser traverser, ébranler, transformer, que ce soit lorsqu’elle travaillait à la Protection judiciaire de la jeunesse ou, depuis vingt ans, dans l’écoute et l’accompagnement de victimes d’inceste et de pédocriminalité. Présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, la religieuse dominicaine n’a pas non plus déserté l’institution, convaincue que sa foi l’assigne à se tenir, du dedans, aux côtés de ces victimes.
Confusions mortifères
Sa réflexion courageuse, aux racines du mal et éclairée par un retour aux textes bibliques, les pistes qu’elle développe pour en sortir dans cet ouvrage, l’une des rares réflexions théologiques sur la crise, n’en ont que plus de poids.
D’un ton personnel et engagé, Véronique Margron prend donc à bras-le-corps toutes les questions fondamentales soulevées par ces scandales. Rigoureuse, elle décrypte les failles dans lesquelles l’Église s’est abîmée et traque les confusions mortifères. Cela commence par les mots. Elle bannit ainsi d’emblée « pédophilie », dont l’étymologie (l’amour des enfants) occulte la violence de l’agression sexuelle, au profit de la « pédocriminalité », et elle bannit également « abus », qui sous-entendrait qu’abuser d’un enfant serait seulement aller trop loin dans l’exercice d’un droit préalable…
Sans complaisance, elle rappelle l’Église à son devoir de vérité tout en interrogeant les ambiguïtés de la transparence, elle distingue le bon secret, qui protège l’intimité et la dignité de la personne, des secrets qui « volent l’existence », interroge le langage du péché qui a pu conduire à occulter la responsabilité éthique et juridique de l’agresseur.
Une conception archaïque de la sexualité
Cette crise doit amener l’Église à « revoir ses mœurs et une partie de son corpus », affirme la théologienne, convaincue qu’elle peut se réformer et que c’est même « son ADN ». Disciple de Xavier Thévenot, la moraliste n’hésite pas à interroger les héritages de la tradition.
La sacralisation de la prêtrise et le célibat, entre autres, qui n’est ni un état sacré, ni ne répond à une situation supérieure à quiconque, ni encore moins, à ses yeux, n’a de « raison théologique déterminante ».
Le discours sombre de l’Église sur la sexualité, également. Elle en propose une analyse passionnante, qui interroge bien au-delà de la problématique de la pédo-criminalité. Bien souvent, nous sommes encore marqués par une conception très archaïque de la sexualité, appréhendée dans les catégories du pur et de l’impur, explique-t-elle. Mais on est encore loin de l’anthropologie chrétienne, qui donne tout son poids à l’incarnation et à la chair. C’est à la lumière de cette anthropologie, pourtant, que se comprend le vrai sens de la chasteté, un « engagement à vivre des relations sexuées marquées de respect, d’altérité, d’attention ».
Plus humains
À l’image des 12 travaux d’Hercule, dont le plus fameux était le nettoyage des écuries d’Augias, la dominicaine propose 12 chantiers prioritaires à ses yeux, « à porter ensemble ». Mettre au centre les victimes, déconstruire le système clérical, s’ouvrir à une autorité plurielle en associant les femmes « dans toutes les responsabilités », revisiter le rapport à l’autorité et à l’exercice du pouvoir, combattre les phénomènes d’emprise…
En filigrane, cette crise interroge une certaine manière de se situer dans la société, encore parfois en surplomb. L’enjeu est, selon Véronique Margron, de « s’éloigner d’un christianisme du code au profit d’un christianisme du “style” », c’est-à-dire inspiré du style de Jésus et de sa « manière d’habiter le monde par l’hospitalité, l’absence de mensonge et la concordance avec lui-même ». Au fond, un appel stimulant à ressortir plus humains de cette crise.
–––––––––––––––—————-
D’autres livres pour comprendre la crise
– L’Église catholique face aux abus sexuels sur mineurs, de Marie-Jo Thiel (Bayard, 714 p., 24,90 €).
– Combattre l’abus sexuel des enfants, de Stéphane Joulain (DDB, 300 p., 19 €).
– La vérité vous rendra libres. Spiritualité et sexualité du prêtre, de Michael Davide Semeraro (Salvator, 152 p., 16 €).
– Comme un cœur qui écoute, de Luc Ravel (Artège, 228 p., 9,90 €).
– Abus spirituels, s’affranchir de l’emprise, de Jacques Poujol (Empreinte temps présent, 102 p., 8 €).
– Abus spirituels et dérives sectaires dans l’Église. Comment s’en prémunir, de Blandine de Dinechin et Xavier Léger (Médiaspaul, 192 p., 16 €).
– Au troisième jour. De l’abîme à la lumière, de Véronique Garnier (Artège, 180 p., 12,90 €).
– Dérives sectaires dans des communautés catholiques, sous la responsabilité de Mgr Alain Planet (Documents Épiscopat n° 11-2018, 80 p., 5 €).
– Vie religieuse et liberté. Approche canonique, pastorale, spirituelle et psychologique, Conférence monastique de France (Corref, juin 2018).
ttps://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/12-travaux-lEglise-selon-Veronique-Margron-2019-03-29-1201012167
================================
La feuille de route de Véronique Margron face au “désastre” de l’Église
Dans ce livre écrit avec le journaliste du Point Jérôme Cordelier, les mots de Véronique Margron pour parler des maux de l’Église font du bien. La religieuse et thérapeute les pose en experte : depuis plus de 20 ans, elle accompagne des enfants cassés par leurs aînés et des adultes blessés dans leur enfance. Laissant transparaître une saine colère, elle écrit « pour réfléchir, chercher, mettre des mots et essayer de proposer des voies afin de sortir de ce scandale, de ce désastre ». Comme présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), elle décrit « la tourmente » où se trouve l’Église, les crimes des agresseurs, les fautes de l’institution. La théologienne moraliste raconte le silence qui « séquestre » des victimes, la douleur que rien n’efface.
Femme, elle souligne aussi les limites d’un « monde d’hommes » où le pouvoir ne sait pas se vivre en altérité. Enfin, Véronique Margron propose 12 travaux face à la « tempête d’un pareil séisme (où) nul ne sait comment l’Église se relèvera » : transformer la crise en mutation, renforcer le dialogue avec la société, combattre l’emprise… Si aucun chantier n’est nouveau, s’y atteler concrètement serait révolutionnaire. L’auteure ne cache pas la difficulté du travail à accomplir, mais avance une certitude : ensemble, c’est possible. Tout au long des pages, elle semble murmurer, comme à un enfant apeuré : « Viens, allons-y, faisons, et ça ira. »